Synopsis
Depuis son enfance jusqu’à sa mort, c’est la trajectoire fulgurante de la vie de Margherita Cagol, alias Mara,
épouse de Renato Curcio, fondateur et idéologue des Brigades Rouges, que reparcourt l’auteure. Marghe-
rita est une enfant qui grandit et développe sa conscience politique pendant ses études à la faculté de so-
ciologie de Trente, où elle rencontre Renato Curcio. Le couple part à Milan, fonde la lutte armée, effectue
les premiers enlèvements, mais, le 6 juin 1975, Mara est tuée au cours d’un affrontement avec les forces de
l’ordre. Dans la pièce d’Angela Dematté, l’interlocuteur omniprésent de Margherita est son père. À partir
de leurs échanges, deux visions du monde entrent en collision : le bon sens commun, « petit bourgeois »,
du père et la vision idéologique, intransigeante, de Mara. Pour évoquer la vie et la mort de Mara Cagol, An-
gela Dematté s’appuie, en outre, sur des lettres de Mara à sa mère, des communiqués (successifs) des Bri-
gades Rouges, des extraits de journaux, photographiant ainsi un moment particulier de l’histoire italienne :
la naissance des Brigades Rouges, le passage à la lutte armée jusqu’à la disparition tragique de Mara. L’au-
teure oppose le quotidien à l’exceptionnel car elle choisit – et c’est là le plus intéressant – le point de vue
de l’intime : au centre, la relation entre le Père et la Fille, dans laquelle la raison « concrète » du père, celle
des affects, particulièrement touchante, déteint sur les raisons quelque peu abstraites et suicidaires de
Mara. À travers leurs dialogues, Angela Dematté raconte non seulement l’histoire d’une des fondatrices des
Brigades Rouges mais elle explore également le rapport concret entre un père et sa fille, fait de silences, de
non-dits et d’incompréhensions. Pour cela, elle a recours au dialecte de Trente, froid et poignant à la fois,
jusqu’au moment de la rupture finale entre Margherita et son père, marquée par un retour à l’italien ex-
primant l’aberration du langage idéologique. La pièce est un témoignage fidèle de cette période de l’his-
toire : outre sa valeur documentaire certaine, elle laisse la parole aux « communiqués » de Mara et de son
groupe, thématisant ainsi leur aveuglement et leur isolement, face à l’incompréhension de ce Père qui ne
lâche jamais prise dans sa tentative, sans cesse réitérée, de ramener sa fille aux raisons de la vie et de sa pro-
pre humanité.
J’avais un beau ballon rouge (Avevo un bel pallone rosso), pièce inédite (en français) de la jeune dramaturge ita-
lienne Angela Dematté, est une fiction qui repose sur le socle d’une lourde réalité. Obéissant à des conven-
tions théâtrales non réalistes (déroulement chronologique fragmenté, décor non illusionniste, etc.), ce
texte a plus que des accents de vérité. Tout en exposant, de manière humaine et tendre, les rapports intimes
de deux personnages rattachés par les liens du sang (un père et sa fille), il convoque sur scène un moment
particulièrement grave de l’histoire récente, lorsque, dans les années dites « de plomb », le combat politique
d’extrême-gauche a soudainement viré, en Italie, à l’extrémisme de la lutte armée. La fille dont il est ques-
tion n’est autre que Margherita Cagol, la compagne de Renato Curcio, fondateur du mouvement Brigades
Rouges dont la pièce, par un enchaînement de scènes qui s’étalent sur une décennie (de 1965 à 1975), relate
indirectement la naissance et la montée en puissance. Dans le double espace d’une cuisine et d’une cham-
bre, on assiste à la transformation de la relation père-fille et, surtout, à la maturation physique et intel-
lectuelle de Margherita, personnage que travaille, dès l’enfance, le sentiment de l’injustice. Adolescente
studieuse, brillante étudiante, titulaire d’un doctorat en sociologie, elle en arrive, sous l’influence de son
compagnon Renato, à la solution d’un engagement politique radical. Terrain sur lequel son père, repré-
sentant d’une génération respectueuse des valeurs traditionnelles et de l’autorité cléricale, a bien du mal
à la suivre, malgré l’évidence d’une ascension sociale qui lui échappe et l’admiration qu’il porte à sa fille.
La petite histoire familiale s’apprête, ainsi, à faire les frais de la grande Histoire (« l’Histoire avec sa grande
hache », comme dit Georges Perec...). Le dialogue père-fille glisse progressivement dans la langue de bois
J’avais un beau ballon rouge Angela Dematté - Michel Didym
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