1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours CHAPITRE 1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Repères littéraires p. 42 (ES/S et Techno) p. 44 (L/ES/S) Les pages « Repères littéraires » retracent l’évolution qu’a subie la construction du personnage de roman au fil des transformations de la société et de la succession des mouvements littéraires. Chacun des textes qui apparaissent dans les séquences de ce chapitre peut être rattaché à une grande période de l’histoire littéraire et culturelle. La consultation de ces pages aide l’élève à situer les œuvres étudiées dans leur époque et leur contexte. PISTES D’EXPLOITATION Le tableau de Giuseppe de Nittis (p. 43 ES/S et Techno / p. 45 L/ES/S), peintre qui se rapprocha du mouvement impressionniste, traite d’un thème contemporain, inspiré par une activité ordinaire de la société bourgeoise de Paris, et s’efforce de saisir dans ses moindres détails l’atmosphère d’un moment : on peut le rapprocher du texte de Zola (p. 110 ES/S et Techno / p. 112 L/ES/S), où est représentée, dans tout son réalisme, une scène de repas. Le Nouveau Roman, dont les fondements sont posés dans le recueil d’essais de Nathalie Sarraute L’Ère du soupçon, trouve son illustration dans les chapitres consacrés au roman : dans la séquence 1, « La construction du personnage : l’entrée en scène du héros du XVIIe siècle à nos jours », le passage de La Modification, de Michel Butor (p. 56 ES/S et Techno / p. 58 L/ES/S) ; dans la séquence 2, « Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle », l’extrait d’Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (p. 77 ES/S et Techno / p. 79 L/ES/S) ; les extraits de Marguerite Duras peuvent être reliés à ce mouvement, malgré les dénégations de l’auteur : dans la séquence 2, « Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle », Un barrage contre le Pacifique (p. 76 ES/S et Techno / p. 78 L/ES/S) ; dans la séquence 4, « Les scènes de repas dans les romans du XVIe siècle au XXe siècle », Moderato Cantabile (p. 114 ES/S et Techno / p. 116 L/ES/S) ; dans la séquence 5, « Visages de la folie dans les romans du XVIIIe siècle au XXe siècle », Le Ravissement de Lol V. Stein ; dans la partie « Étude de la langue », Marguerite Duras, Le Marin de Gibraltar (p. 413 ES/S et Techno / p. 533 L/ES/S) ; dans les « Outils d’analyse », l’extrait de Michel Butor, La Modification (p. 431 ES/S et Techno / p. 551 L/ES/S). 27 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 27 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Paragraphes des Repères littéraires Textes et entrées dans le chapitre « Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours » Aux origines du personnage de roman SÉQUENCE 3 – De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie (p. 99 ES/S et Techno / p. 101 L/ES/S); SÉQUENCE 4 – Les scènes de repas dans les romans du XVIe au XXe siècle : une mise en scène des personnages • François Rabelais, Gargantua (p. 104 ES/S et Techno / p. 106 L/ES/S). Le XVIIe siècle : les personnages se diversifient SÉQUENCE 1 – La construction du personnage : l’entrée en scène du héros du XVIIe siècle à nos jours • Paul Scarron, Le Roman comique (p. 46 ES/S et Techno / p. 48 L/ES/S) SÉQUENCE 2 – Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (p. 66 ES/S et Techno / p. 68 L/ES/S) • Paul Scarron, Le Roman comique (p. 68 ES/S et Techno / p. 70 L/ES/S) Séquence 3 – De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (p. 84 ES/S et Techno / p. 86 L/ES/S) Le XVIIIe siècle : le personnage est un « individu » SÉQUENCE 1 – La construction du personnage : l’entrée en scène du héros du XVIIe siècle à nos jours • Denis Diderot, Jacques le Fataliste (p. 48 ES/S et Techno / p. 50 L/ES/S) • Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (p. 50 ES/S et Techno / p. 52 L/ES/S) SÉQUENCE 3 – De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • L’Abbé Prévost, Manon Lescaut (p. 88 ES/S et Techno / p. 90 L/ES/S) SÉQUENCE 5 – Visages de la folie dans les romans du XVIIIe au XXe siècle • Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (p. 124 ES/S et Techno / p. 126 L/ES/S) Le XIXe siècle : le personnage « réaliste » SÉQUENCE 1 – La construction du personnage : « l’entrée en scène du héros » du XVIIe au XXe siècle • Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (p. 52 ES/S et Techno / p. 54 L/ES/S) SÉQUENCE 2 – Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Stendhal, Le Rouge et le Noir (p. 70 ES/S et Techno / p. 72 L/ES/S) • Honoré de Balzac, Eugénie Grandet (p. 72 ES/S et Techno / p. 74 L/ES/S) • Gustave Flaubert, Madame Bovary (p. 73 ES/S et Techno / p. 75 L/ES/S) SÉQUENCE 3 – De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (p. 90 ES/S et Techno / p. 92 L/ES/S) SÉQUENCE 4 – Les scènes de repas dans les romans du XVIe au XXe siècle : une mise en scène des personnages • Gustave Flaubert, Madame Bovary (p. 108 ES/S et Techno / p. 110 L/ ES/S) • Émile Zola, L’Assommoir (p. 110 ES/S et Techno / p. 112 L/ES/S) SÉQUENCE 5 – Visages de la folie dans les romans du XVIIe au XXe siècle • Honoré de Balzac, Adieu (p. 128 ES/S et Techno / p. 130 L/ES/S) • Corpus Bac (Séries générales) : Émile Zola, Thérèse Raquin (p. 140 ES/S / p. 142 L/ES/S) • Corpus bac (Séries technologiques) : Stendhal, Le Rouge et le Noir (p. 140 Techno) 28 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 28 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Le XXe siècle : la déconstruction du personnage XVIIe siècle à nos jours Le temps des doutes SÉQUENCE 1 – La construction du personnage : « l’entrée en scène du héros » du XVIIe au XXe siècle • Alain Fournier, Le Grand Meaulnes (p. 54 ES/S et Techno / p. 56 L/ES/S) SÉQUENCE 2 – Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (p. 74 ES/S et Techno / p. 76 L/ES/S) SÉQUENCE 4 – Les scènes de repas dans les romans du XVIe au XXe siècle : une mise en scène des personnages • Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe (p. 112 ES/S et Techno / p. 114 L/ES/S) La fin du personnage ? SÉQUENCE 1 – La construction du personnage : « l’entrée en scène du héros » du XVIIe au XXe siècle • Michel Butor, La Modification (p. 56 ES/S et Techno / p. 58 L/ES/S) • Albert Camus, L’Étranger (p. 60 ES/S et Techno / p. 62 L/ES/S) SÉQUENCE 2 – Le portrait dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle • Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique (p. 76 ES/S et Techno / p. 78 L/ES/S) • Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (p. 77 ES/S et Techno / p. 79 L/ES/S) SÉQUENCE 4 – Les scènes de repas dans les romans du XVIe au XXe siècle : une mise en scène des personnages •Marguerite Duras, Moderato cantabile (p. 114 ES/S et Techno / p. 116 L/ ES/S) Des personnages pluriels SÉQUENCE 3 – De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe siècle au XXe siècle •Albert Cohen, Belle du seigneur (p. 94 ES/S et Techno / p. 96 L/ES/S) SÉQUENCE 5 – Visages de la folie dans les romans du XVIIIe au XXe siècle • François Mauriac, Thérèse Desqueyroux (p. 132 ES/S et Techno / p. 134 L/ ES/S) • Corpus Bac (Séries générales) : André Malraux, La Condition humaine ; Albert Camus, L’Étranger (p. 142 ES/S / p. 144 L/ES/S) • Corpus Bac (Séries technologiques) : André Malraux, La Condition humaine (p. 142) 29 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 29 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur QUESTIONS EXPOSÉS 1. Cherchez l’étymologie du mot « héros » : quels personnages présents dans les textes du manuel, selon vous, peuvent être nommés « héros » ? Pour quelle raison ? Quels personnages ne peuvent être nommés ainsi ? 2. Effectuez une recherche sur l’Iliade et sur l’Odyssée, puis lisez les textes de Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, (p. 99 ES/S et Techno / p. 101 L/ ES/S) et de François Rabelais, Gargantua, (p. 104 ES/S et Techno / p. 106 L/ES/S) : pourquoi peut-on rapprocher leurs personnages des héros peints par Homère ? Quelles différences pouvez-vous observer ? 3. Les termes « satire » et « parodie » apparaissent plusieurs fois dans la page 42 ES/S et Techno / page 44 L/ES/S. Reportez-vous aux textes écrits par les auteurs évoqués : pourquoi peut-on parler, dans leurs écrits, de satire et de parodie ? 4. Le personnage de roman au XIXe siècle est dit « réaliste » : dressez la liste des formules qui, dans la page « Repères littéraires », permettent de comprendre le sens de cet adjectif. Quel mot, dans cette page, s’oppose au mot « réaliste » ? Parcourez ensuite le manuel, en classant les personnages de roman selon qu’ils sont réalistes, ou non. 5. Cherchez les différents extraits qui abordent la question de la passion amoureuse : à quelles époques ont-ils été écrits ? Quelle image de l’amour donnent-ils ? Que pouvez-vous en conclure, en ce qui concerne la relation entre le genre du roman et le thème de l’amour ? 6. Cherchez une définition des mots « individu » et « subjectivité », puis retrouvez dans le manuel les textes dont les auteurs sont cités dans les paragraphes « aux origines du roman », « le XVIIe siècle : les personnages se diversifient », « Le XVIIIe siècle : le personnage est un individu » : pourquoi peut-on considérer qu’avant le XVIIIe siècle, les personnages ne représentent pas des individus ? 7. Quels romans constituent la Recherche du temps perdu ? Quels horizons d’attente font naître leurs titres ? Quelle évolution marquent-ils dans la construction du personnage ? Le projet de Balzac, dans La Comédie humaine, est, avant tout, d’observer la réalité dans ses moindres détails. Puis il se livre à l’analyse de ses observations, à leur agencement selon un plan précis, afin de saisir la vérité d’une époque et les mécanismes d’une société, mais aussi afin de mener une réflexion morale et philosophique. En effet, Balzac se fait aussi historien des mœurs, et s’intéresse aussi bien à la VIe publique des hommes qu’à leur VIe privée. Son œuvre est composée par le rassemblement de ses romans, et répond à une visée encyclopédique : Balzac veut donner un tableau de la société, comme en témoignent les titres des grands ensembles qui la composent. Les trois grandes parties qui ordonnent cette vaste fresque sociale sont intitulées « Études de mœurs », « Études philosophiques », et « Études analytiques ». Eugénie Grandet, dont le manuel propose un passage dans la séquence 2 (p. 72 ES/S et Techno / p. 74 L/ES/S), appartient aux scènes de la VIe de province ; L’Adieu, dont un extrait est proposé dans la séquence 5 (p. 128 ES/S et Techno / p. 130 L/ES/S) trouve sa place dans les Études philosophiques, dont les plus célèbres romans sont La Peau de chagrin et Le Chef-d’œuvre inconnu. Le personnage de l’enfant ou de l’adolescent fait son apparition dans certains extraits proposés par le manuel : Le Bachelier (p. 431 ES/S et Techno / p. 551 L/ES/S) montre un narrateur devenu adulte, qui revient sur les lieux de son enfance et retrouve ses souvenirs d’alors ; souvent aussi, les romans mettent en scène le moment de l’adolescence : Le Grand Meaulnes (p. 541 ES/S et Techno / p. 56 L/ES/S), L’Éducation sentimentale (p. 52/90 ES/S et Techno / p. 54/92 L/ES/S), Le Rouge et le Noir (p. 70 ES/S et Techno / p. 72 L/ES/S), L’Adolescent (p. 62 ES/S et Techno / p. 64 L/ES/S), Eugénie Grandet (p. 72 ES/S et Techno / p. 74 L/ES/S), Manon Lescaut (p. 88 ES/S et Techno / p. 90 L/ES/S), Le Roman de Troie (p. 99 ES/S et Techno / p. 101 L/ES/S), Le Guépard (p. 116 ES/S et Techno / p. 118 L/ES/S), Un barrage contre le Pacifique (p. 76 ES/S et Techno / p. 78 L/ ES/S), Moderato cantabile (p. 114 ES/S et Techno / p. 116 L/ES/S), Le ravissement de Lol V. Stein (p. 134 ES/S et Techno / p. 136 L/ES/S). Ce type de personnage est particulièrement original et intéressant parce qu’il montre une image d’une humanité en devenir, saisie comme au point le plus aigu d’une destinée. La figure de l’adolescent, en particulier, intermédiaire entre la figure fragile de l’enfant et la figure plus affirmée de l’adulte, saisit ce qui est sur le point de se transformer. 30 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 30 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 Séquence 1 La construction du personnage : « l’entrée en scène du héros » du XVIIe au XXe siècle p. 45 (ES/S et Techno) p. 47 (L/ES/S) Problématique : Comment le personnage se construit-il au fil du roman ? Quels sont les différents types de personnages romanesques ? Éclairages : Les extraits des romans qui constituent ce groupement de texte sont des incipit, seuil du roman où se lisent les premiers éléments constitutifs de la fiction, le cadre spatio-temporel de l’histoire et où le ou les premiers personnages entrent en scène. La problématique de ce groupement de textes qui s’échelonnent du XVIIe siècle au XXe siècle consiste à interroger les circonstances de la présentation de ces héros révélateurs de l’histoire qui va se jouer, des catégories du roman et de l’Histoire du genre en cours d’élaboration. Au cœur du pacte de lecture, la première rencontre avec le héros permet au lecteur de construire une première représentation de l’œuvre, de son contexte et de son orientation interprétative. Texte 1 – Paul Scarron, Le Roman comique (1651-1655) p. 46 (ES/S et Techno) p. 48 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Relever les éléments caractéristiques d’un incipit. – Repérer la dimension parodique du Roman comique. LECTURE ANALYTIQUE L’entrée dans l’univers du roman Cette première page de roman s’inscrit dans le registre épique d’un récit qui pourrait être héroïque illustré par la longue métaphore filée qui indique le moment de la journée, la mi-journée, « le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course » (l.1). Dieux, personnages chevaleresques et êtres fantastiques pourraient peupler et animer cet univers. Cette image grandiloquente laisserait donc penser à un récit héroïque si, très vite, l’auteur ne venait luimême apporter malicieusement les clés de cette entrée parodique : «Pour parler plus humainement et plus intelligemment, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans» (l. 7-8). Le char du soleil qui avait contribué à construire le registre épique renforcé par l’évocation des chevaux, « ils ne s’amusaient qu’à faire des courbettes » (l. 4-5), se transforme brusquement en charrette, un moyen de transport bien trivial et commun qu’on imagine brinquebalant car tiré par « des bœufs fort maigres » (l. 8-9), ce que renforce aussi l’évocation des « halles » (l. 8) dans lesquelles elle pénètre, un univers finalement réaliste situé avec précision, au Mans. L’entrée en scène des personnages On évoque d’abord l’attelage et le contenu de la charrette. Les personnages sont ensuite identifiés de la façon la plus neutre correspondant à un regard extérieur ; il y a là « une demoiselle » (l. 12), « un jeune homme » (l. 13), « un vieillard » (l. 27), trois personnages caractérisés de manière contrastée par leur apparence et leurs vêtements, entre ville et campagne pour la jeune fille, entre misère et bonne mine pour le jeune homme et bien que décente dans une grande pauvreté pour le vieillard. Mis en relation avec le titre et le thème de ce premier chapitre, ces trois personnages correspondent aux rôles convenus de la comédie représentés par le couple des jeunes amoureux et le vieillard qui s’oppose à leurs projets. De ces trois personnages, celui du jeune homme est le plus développé. Son portrait est très construit, partant de son visage caché par « un emplâtre » jusqu’à ses pieds chaussés de « brodequins à l’Antique ». L’énumération de chaque partie de son corps donne lieu à des précisions sur ses vêtements, en piteux état, et les accessoires qu’il porte également et qui nous renseignent sur ses activités précédant le moment de cette histoire : les oiseaux qu’il porte en bandoulière pourraient être le résultat d’activités de braconnage « pies, geais et corneilles » (l. 16) l’emplâtre pourrait empêcher qu’on le reconnaisse ou soigner des mauvais coups reçus à moins qu’il ne s’agisse de restes de maquillage, enfin ses brodequins crottés disent qu’il a battu la campagne par tous les temps. Tous les détails de ses vêtements, leur caractère disparate, composite, la pauvreté des matières et le mauvais état de l’ensemble disent encore l’extrême pauvreté de la petite troupe. Ce portrait cocasse pourrait être le symbole du comédien qui emmène avec lui ses rôles et sa VIe. Le narrateur semble vouloir partager avec son public un regard amusé sur sa narration l’inscrivant, comme on l’a vu, dans un univers épique pour rapidement passer à un registre burlesque et 31 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 31 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur contrasté : les oppositions qui se succèdent sont pour la plupart nettement comiques et l’exagération en est un ressort fréquent. Non content de cette connivence, il interpelle à travers de ses commentaires son lecteur : «Pour parler plus humainement et plus intelligemment...» (l. 8) «Quelque critique murmurera de la comparaison à cause du peu de proportion qu’il y a de la tortue à un homme, mais j’entends parler… » (l. 30-31). « je m’en sers de ma seule notoriété. Retournons à notre caravane.» (l. 32-33). En s’adressant ainsi au lecteur, il fait de lui son complice mais il lui signifie également sa liberté de ton et lui donne en quelque sorte ses règles du jeu. Texte 2 – Denis Diderot, Jacques le Fataliste (1796) p. 48 (ES/S et Techno) p. 50 (L/ES/S) Un univers théâtral On ne sait, en fait, quasiment rien des deux personnages en présence que l’on appelle « Le Maître » et « Jacques ». En attestent les nombreuses questions introductives adressées par le lecteur au narrateur «Comment s’appelaient-ils ? « (l. 1) auquel ce dernier répond avec une grande désinvolture : « Que vous importe ?» (l. 2). La désignation «Le Maître» introduit juste un rapport hiérarchique entre lui et Jacques que l’on devine être son valet. Rapport validé par le tutoiement qu’il lui adresse et le vouvoiement qui lui est retourné. La discussion que le lecteur surprend après quelques lignes de présentation des personnages lui permet de reconstituer dans le dialogue l’histoire de Jacques, le valet bien nommé, Jacques, s’est enrôlé dans un régiment après une dispute violente avec son père. Il a ensuite participé à la célèbre bataille de Fontenoy, y a reçu un coup de feu dans le genou. C’est tous ces évènements qui le conduiront aux amours dont on attend qu’il raconte l’histoire. Les événements sont racontés chronologiquement avec la plus grande concision jusqu’à la litote : « il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules » (l. 15). Le Maître a deux attitudes très opposées : tout d’abord, une attitude bienveillante animée par l’envie de savoir, de découvrir l’histoire des amours de son valet. Puis une attitude violente telle qu’elle pouvait exister alors entre maître et valet «une colère terrible et tombant à grands coups de fouet sur son valet...». Cette ambivalence est tout à fait conforme à ce que nous montre la comédie. Dès le titre le lecteur sait qu’il s’agit ici d’une troupe de comédiens. Chacun de personnages est vêtu des costumes des rôles qu’il peut interpréter, tenues disparates qui disent leur pauvreté aussi. D’autres détails évoquent les toiles peintes qui servent de décors tandis que coffres et malles doivent être emplis de costumes et d’accessoires. La comparaison des brodequins du jeune premier donne lieu à l’évocation des cothurnes des acteurs de l’Antiquité. Enfin le vieil homme porte une basse de viole qui doit accompagner des intermèdes musicaux. Tout ici permet de restituer l’univers du théâtre et annoncer une représentation qui devrait avoir lieu dans les halles du Mans où arrivent les comédiens. Synthèse L’arrivée de cette petite troupe de comédiens est en soi un spectacle de comédie. Sur fond des halles du Mans, les personnages «entrent en scène» dans des costumes inattendus pour un spectacle imprévisible pouvant tenir à la fois de la farce et de la tragédie. CONJUGAISON Les verbes « eussent voulu » et « eusse achevé » sont conjugués au plus-que-parfait du subjonctif. Ce temps et ce mode sont employés ici pour marquer dans des subordonnées de condition, dans une langue littéraire, l’irréel du passé. S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION Il faudra absolument que les élèves respectent les indices spatio-temporels du récit d’origine, et veillent à situer le récit au XVIIe siècle : sans aller bien sûr jusqu’à une reconstitution fidèle du décor, on les mettra en garde contre les anachronismes. On valorisera les textes sinon comiques, du moins humoristiques, et particulièrement les copies qui auront aussi plagié les récits héroïques (par exemple les épithètes homériques). On les invitera à être plus particulièrement attentifs aux descriptions. OBJECTIFS ET ENJEUX – Distinguer des modalités énonciatives. – Déterminer les codes et conventions de l’écriture romanesque. LECTURE ANALYTIQUE Un couple de personnages Le brouillage des genres L’histoire de Jacques et de son valet tient à la fois de la comédie, un genre facilement repérable à la mise en page, à la désignation des personnages et aux dialogues, comme on peut le lire des lignes 6 à 33, et qui constitue une très courte scène qui va introduire un récit au passé « L’aube du jour parut « (l. 46). Ce récit lui-même est fréquemment interrompu par des adresses directes du narrateur au lecteur faites au présent d’énonciation «Vous voyez, lecteur... » (l. 39). Jacques, comme l’indique le titre du roman, semble adepte de la philosophie fataliste. Selon lui, et son capitaine, tout ce qui arrive devait arriver, laissons faire le destin. Cette philosophie qu’on nommera quelques années plus tard déterministe 32 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 32 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du énonce un principe universel de causalité : ainsi, c’est parce qu’il a reçu une balle dans le genou qu’il a rencontré l’amour. Et s’il reçoit des coups de son maître, c’est qu’il devait les recevoir « Celui-là était apparemment encore écrit là-haut... » (l. 37-38). Le goût pour la litote de Jacques, la stichomythie du dialogue et l’enchaînement rapide et mécanique des actions qui construisent son destin, comme celui du Candide de Voltaire, tout concourt à rendre le texte drôle jusqu’à l’ironie. Les pouvoirs du narrateur Dès les premières lignes, répondant aux questions légitimes d’un lecteur qui s’engage dans une histoire « Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? » Par une sorte d’indifférence, voire de mépris « Que vous importe ? », le narrateur prend le risque de voir ce lecteur le quitter. Un risque bien calculé car c’est précisément cette distance ironique feinte qui pique la curiosité de ce même lecteur. Le narrateur joue avec le lecteur de son pouvoir sur les personnages et leur histoire « Qu’est-ce qui m’empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? » (l. 42) Il veut faire le récit des amours de Jacques en évoquant pour le lecteur nombre de scénarii possibles, des clichés romanesques attendus, qu’il réfère au genre du conte où en effet tout est permis : « Qu’il est facile de faire des contes ! » (l. 44). C’est donc dans la catégorie du conte que Diderot inscrit le début de son récit, un conte philosophique qui pourrait interroger le fatalisme ce qui explique cet incipit inattendu où ce sont les possibles du récit qui sont interrogés. Tout semble vraiment commencer ensuite quand le narrateur redonne la parole à Jacques qui pourra faire enfin entendre son récit à un lecteur impatient. Synthèse Cet incipit se démarque des entrées en scène traditionnelles des héros romanesques. Le mélange des genres, entre théâtre et récit, les nombreuses interpellations facétieuses du narrateur au lecteur semblent construire un genre inattendu, très inhabituel livrant, en quelque sorte, les personnages et le lecteur à eux-mêmes. GRAMMAIRE Deux modalités énonciatives se succèdent dans cet incipit : un récit canonique faisant alterner le passé simple pour construire les actions du récit et l’imparfait pour représenter l’arrière plan de la narration, à l’exemple des lignes 34 à 36. Mais le narrateur interpelle également son lecteur dans l’actualité du temps de l’énonciation utilisant alors des formes du présent : « vous voyez lecteur que je suis en beau chemin et qu’il ne tiendrait qu’à moi de vous faire attendre… » (l. 39-40). Le texte intègre également des insertions de dialogue théâtral, formes du discours qui coïncide aussi avec le moment de l’énonciation (l. 6-33). XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION On pourra proposer aux élèves de rappeler comment la tradition romanesque traite le personnage (on les renverra aux repères littéraires) puis ils utiliseront leurs réponses aux questions 4 à 7. Texte 3 – Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (1782) p. 50 (ES/S et Techno) p. 52 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Recomposer les éléments constitutifs d’un incipit implicite. – Dégager le portrait de l’épistolière. LECTURE ANALYTIQUE Une situation initiale à recomposer Le roman épistolaire doit construire son cadre narratif au travers d’informations données de manière incidente dans le cours de la lettre. C’est l’enjeu de la lecture de cette première lettre du roman pour le lecteur qui doit y retrouver toutes les informations lui permettant d’entrer dans la fiction. Il s’agit d’abord de la situer dans une période. Les marques du XVIIIe siècle sont lisibles d’abord dans l’évocation «des bonnets», «pompons» et «parures» et surtout dans l’énoncé des occupations de la narratrice révélant les caractéristiques d’une VIe très mondaine, d’un milieu très aisé : les occupations de la jeune fille «harpe», «dessin», «lecture» et sa soumission aux codes sociaux (l’obéissance à sa mère, les obligations pour les repas, les heures de rencontre programmées avec sa mère...) et enfin la présence de domestiques «J’ai une femme de chambre à moi» (l. 8). Il s’agit aussi de recomposer l’action : la narratrice a quitté le couvent où elle a reçu une éducation stricte et elle ne peut donc communiquer que par lettre avec son amie Sophie restée, elle, dans ce même couvent. De l’éducation très stricte du couvent, Cécile est passée à une relative liberté qu’elle apprécie tout particulièrement. Elle peut même avoir son coin secret dans ce «joli secrétaire», elle peut vaquer à ses occupations, lire, dessiner, jouer de la musique sans crainte d’être grondée ; mais elle peut aussi ne rien faire. Dans cette nouvelle VIe, Cécile Volanges semble attendre avec impatience le moment où on lui présentera – autre caractéristique de l’époque – son futur époux, «le Monsieur» tant attendu (l. 26). Les relations qu’entretient Cécile Volanges avec sa mère lui conviennent parfaitement : elle discute avec elle, lui laisse des libertés. Cécile est même étonnée et ravie d’être consultée «sur tout» (l. 7). La jeune fille passe ainsi d’une stricte sujétion à une certaine autonomie, celle de la jeune 33 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 33 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur fille à marier qui doit apprendre à se comporter dans le Monde dans lequel elle fait son entrée. Un type de personnage Le couvent est un milieu fermé où les jeunes filles doivent rester jusqu’à leur mariage pour y être éduquées, y apprendre leur rôle ou plutôt leurs devoirs de femme. Elles y apprennent entre autre la musique et le dessin et pratiquent la lecture. Les pensionnaires doivent subir la sévérité constante des sœurs «Mère Perpétue n’est pas là pour gronder» (l.14-15). En revanche, les relations entre les jeunes filles semblent sereines, voire détendues «je n’ai pas ma Sophie pour causer et pour rire» (l. 16-17) et peuvent aller jusqu’à des liens très forts «Je t’aime comme si j’étais encore au Couvent» (l. 59). La scène du cordonnier nous révèle l’impatience qui anime Cécile Volanges de découvrir celui qu’on lui aura choisi comme mari. Et c’est de cette impatience que naît le quiproquo de cette scène. Ce monsieur inconnu d’elle arrive en carrosse, on la fait demander... « Si c’était le Monsieur ? « s’interroge-t-elle déjà. Il est bien vêtu, a de bonnes manières et tient des propos dont l’ambiguïté ne font qu’ajouter au trouble de la jeune fille «Voilà une charmante Demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés» (l. 35-36). De plus, il tombe à ses genoux comme le ferait un prétendant ! Elle tire de sa méprise et de la honte qu’elle a éprouvée, une leçon pour l’avenir : il faudra désormais aborder les rencontres futures avec calme et mesure. Le personnage de Cécile Volanges est représentatif du personnage de «la jeune fille innocente» qui a tout à découvrir de la VIe et qui aspire à la rencontre amoureuse qui l’emmènera vers sa VIe d’adulte. Gommer la fiction Tout semble authentique dans cet échange épistolaire : la correspondance est motivée puisqu’elle semblait promise «je tiens parole» (l. 1) ; les liens avec la destinataire, Sophie, leur passé commun sont rappelés; le ton de la confidence entre jeunes filles complices est partout présent. Figure même un post-scriptum évoquant l’envoi de la lettre qui semble attester de la réalité de l’échange. Ce discours différé caractéristique du genre épistolaire renforce pour le lecteur l’illusion de réel. L’échange est au présent, saisissant les faits dans leur actualité ; l’interlocutrice est constamment interpellée sous des formes marquant des liens affectifs forts «ma Sophie», «Ta pauvre Cécile» (l. 39) ; le scripteur livre ses réactions, ses sentiments «combien j’ai été honteuse» (l. 50-51). L’ensemble donne, en fait, une vraie lecture du personnage : une jeune fille dans toute son innocence, impatiente de rentrer dans sa VIe d’adulte, de connaître l’amour. Synthèse Cette première lettre des Liaisons dangereuses donne à découvrir l’autoportrait spontané et sincère de la jeune ingénue qui va devenir la proie des deux libertins du roman de Laclos. Le caractère primesautier de Cécile, sa naïveté, sa spontanéité se lisent dans le désordre de son récit, les interruptions de la rédaction et les changements de registres qui disent la variété et la force de ses émotions nouvelles. Le lecteur séduit et amusé par la vivacité du personnage, sa vitalité et son désir de bonheur entre vite dans l’histoire de Cécile et de ses amours à venir. GRAMMAIRE « Et sans les apprêts que je vois faire, […] je croirais qu’on ne songe pas à me marier… ». Le groupe prépositionnel peut être reformulé ainsi : Si je ne voyais pas ces apprêts, je croirais… ». La transformation du groupe prépositionnel en proposition subordonnée de condition montre que nous sommes dans le système hypothétique. S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE On conseillera aux élèves de se reporter aux questions 5, 6, et 8. Texte 4 – Gustave Sentimentale (1869) Flaubert, L’Éducation p. 52 (ES/S et Techno) p. 54 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Analyser les effets de la focalisation. – Lire le portrait du jeune héros romantique. LECTURE ANALYTIQUE Une histoire inscrite dans le réel L’univers décrit réfère à des lieux géographiques et des sites véritables, identifiables par tout lecteur «le quai Saint-Bernard» (l. 2), «l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame» (l. 14). Cette illusion réaliste est renforcée par une référence temporelle très précise «Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin» (l. 1). Les activités sur les quais, les bateaux à vapeur terminent cette immersion dans l’univers du XIXe siècle situé et daté. Cette inscription historique et géographique se double d’effets de réel repérables dans le second paragraphe qui est à la fois descriptif et énumératif. Il s’agit d’une accumulation presque exclusivement bâtie sur une succession de brèves propositions indépendantes juxtaposées, séparées par un point virgule qui, entremêlant sons et images, donnent une impression de fourmillement, d’intense agitation qui immergent lecteur et personnages dans un cadre très réaliste, très visuel où jusqu’aux choses, tout bouge et vit : « les colis montaient » (l .5), « le tapage s’absorbait » (l. 5). Après le départ 34 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 34 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du du bateau, c’est le paysage qui devient le cœur de l’action : «grèves de sable» (l. 27), «remous des vagues» (l. 28), «le cours de la Seine» (l. 30), «la rive opposée»(l. 31), «les brumes errantes» (l. 29) sont autant de groupes nominaux qui, dans des rythmes proches de quatre ou cinq syllabes, traduisent la lente et constante avancée du bateau que renforcent les allitérations en [r] et [l]. L’irruption du passé simple, inhabituelle dans un texte descriptif, traduit un paysage en mouvement correspondant à la vision du passager : le paysage se transforme au fur et à mesure que le bateau avance. Le paysage devenu sujet du récit dévoile le regard du personnage principal perdu dans sa contemplation. Identité et portrait du personnage principal La fiche d’identité du personnage peut s’établir ainsi : – son nom : Frédéric Moreau ; – son âge : 18 ans ; – son origine sociale : humble «sa mère espère un héritage» ; – son passé récent : «nouvellement reçu bachelier» ; – ses projets : «faire son droit» ; – une caractéristique physique : «longs cheveux». En dehors de «ses longs cheveux» (l. 11), rien n’est dit du portrait du personnage. Il doit être avide de poésie et de culture comme le laissent penser son regret de ne pouvoir séjourner dans la capitale ou encore l’évocation de sujets de tableaux. Il semble quelque peu rêveur, voire mélancolique ; mais aussi empressé, impatient de voir aboutir ses projets, ses «passions futures» (l. 33). Le narrateur et son personnage Le personnage est d’abord identifié comme «un jeune homme de dix-huit ans» puis clairement nommé de façon distanciée «M. Frédéric Moreau» (l. 16) et, enfin, désigné par son prénom «Frédéric». L’approche du personnage est construite selon une gradation notable qui nous conduit du quasi-anonymat à une réelle proximité autorisant l’usage du seul prénom «Frédéric». Le personnage est donc d’abord construit selon une focalisation externe : «un jeune homme... auprès du gouvernail, immobile» puis une focalisation zéro où l’omniscience du narrateur permet de révéler d’où il vient, où il va... et, enfin, une focalisation interne permettant de découvrir pensées et sentiments «Frédéric pensait à la chambre... à des passions futures. Il trouvait que...» (l. 32-33). Ces variations donnent au lecteur, en changeant les approches, une image complète du personnage. Ainsi le narrateur porte-t-il sur son personnage un regard qui varie au fil du texte : d’abord extérieur, il devient omniscient et permet au lecteur de découvrir le personnage dans tous ses aspects, de construire avec lui une véritable proximité. Frédéric Moreau apparaît ainsi, dès l’incipit, comme le héros du roman autour duquel toute l’intrigue va se construire. Le jeune homme romantique comme ses XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 rêves en témoignent mais aussi ses regards sur le paysage, sa posture à l’avant du bateau, cheveux longs au vent et album de dessins sous le bras constitue bien un personnage romanesque dont les aspirations ne seront peut-être satisfaites comme le regard distancie du narrateur jusqu’à l’ironie peut le faire pressentir. Il entre ainsi dans la catégorie des héros du désenchantement, mais de ceux qui ne le sauront même pas. Synthèse La fin du texte voit l’arrivée d’un personnage nouveau décrit selon le point de vue de Frédéric. Le regard plutôt positif et admiratif qu’il lui porte, « un monsieur » (l. 36) est complété par celui du narrateur qui livre des détails qui font douter de la distinction du nouveau personnage. Ses vêtements et son attitude disent un certain mauvais goût voire la vulgarité et la prétention du parvenu. Ce double regard dit aussi l’ingénuité de Frédéric et combien il peut être la victime des apparences, ce que la suite du roman montrera peut-être. GRAMMAIRE L’imparfait constitue comme on le sait l’arrière-plan du récit : il permet d’en construire le cadre. C’est le cas dans ce début de roman où les préparatifs de départ d’un bateau sont peints par touches, la fumée des machines, « la Ville-de-Montereau […] fumait » (l. 1-2) et l’agitation des passagers et des matelots servent de toile de fond à un récit qui va s’enclencher avec le départ du bateau : « Des gens arrivaient […] ; les matelots ne répondaient à personne » (l. 3-4). S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE On invitera les élèves à repérer les caractéristiques de la description (temps – ici l’imparfait –, expansions du nom, verbes de mouvement, verbes attributifs…) pour choisir celles qu’il sera opportun d’exploiter, à observer comment il y a dramatisation de la description. Ils seront attentifs aussi à tous les éléments réalistes. Texte 5 – Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes (1913) p. 54 (ES/S et Techno) p. 56 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Lire les effets d’un portrait retardé. – Élaborer des hypothèses de lecture. 35 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 35 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur LECTURE ANALYTIQUE L’apparition du personnage principal Le portrait du personnage s’élabore progressivement en trois grandes étapes : une première étape où l’on prend connaissance du personnage seulement par ce que sa mère en dit, un portrait forcément subjectif et qui apparaît vite laudatif à l’excès «Ce qu’elle contait de son fils avec admiration...» (l. 6). Les propos de la mère sont rapportés au discours indirect libre annoncé par «ce qu’elle contait de son fils» ; ces propos se fondent ainsi dans le récit et sont mis à distance. Dans une seconde étape, on devine sa présence à travers les expressions à caractère métonymique «un pas inconnu» (l. 17), «ce bruit» (l. 21), «la porte […] s’ouvrit» (l. 24). Dans la troisième étape, on découvre enfin le personnage «C’était un grand garçon...» (l. 28). Comme on le voit, l’arrivée d’Augustin est théâtralisée, dramatisée : le dévoilement progressif provoque un effet d’attente qui avive la curiosité. Les métonymies, «un pas inconnu allait et venait», «la porte du grenier s’ouvrit» relayées par le pronom indéfini «quelqu’un», signalent juste une présence, mais une présence énergique au pas « assuré », « ébranlant le plafond » (l. 17-18), un curieux qui « arpentait traversait les immenses greniers ténébreux du premier étage et se perdait… » (l. 18-19), sans crainte aucune. Il faut, ensuite, qu’il sorte de «l’entrée obscure» pour qu’enfin on découvre «un grand garçon de dix-sept ans environ» (l. 28). Les relations entre les personnages Dès le début, une différence d’éducation évidente apparaît : alors qu’Augustin peut braconner, suivre la rivière, chercher des œufs de poule d’eau, François, lui, n’ose même pas rentrer à la maison quand il a un accroc à sa blouse. Augustin a parcouru et exploré sans autorisation les différents greniers, il en a même ramené des éléments de feu d’artifice. «J’hésitai une seconde...»(l. 34), «Nous étions tous les trois le cœur battant» (l. 23) sont des réactions qui traduisent l’étonnement d’un narrateur déconcerté par un comportement troublant. Des réactions qui révèlent sa sagesse, sa bonne éducation, sa timidité aussi. Des hypothèses de lecture Cette entrée en scène laisse penser à une dépendance future de François subjugué par Augustin et subissant déjà son influence «J’allai vers lui» (l. 35) précise-t-il. Le début du récit évoque tout de suite le cadre spatial : nous sommes chez les parents de François, dans une grande école aux chambres d’adjoints devenues des greniers. Des greniers «où l’on mettait sécher le linge, le tilleul et mûrir les pommes» (l. 19-20). «Le Cours supérieur» où l’on préparait le brevet d’instituteur, «Le chapeau de feutre et la blouse noire sanglée d’une ceinture»(l. 29-30) qui évoquent la tenue des écoliers sont des images caractéristiques du début du XXe siècle. C’est dans ce contexte que l’histoire va se poursuivre, dans ce décor que les deux écoliers vont vivre des aventures où l’on imagine bien que l’un jouera le rôle de l’initiateur, du « meneur » tandis que l’autre, le narrateur, suivra avec crainte et envie son ami. Synthèse On voit comment dans ce récit rétrospectif de l’arrivé du héros chez le narrateur, l’événement est vu au travers des conséquences qu’il va provoquer. Personnage énigmatique et fascinant Le Grand Meaulnes captive le narrateur dès son apparition subite et il l’entraîne aussitôt dans des activités interdites et dangereuses sources d’émotion et du plaisir de la transgression. Le narrateur tranquille et secret va voir sa VIe changer, c’est ce que le lecteur peut imaginer en découvrant par le regard de François Seurel le héros éponyme de cette histoire. GRAMMAIRE Le temps dominant du premier paragraphe est le plus-que-parfait. Ce temps indique l’antériorité d’actions du passé par rapport à un moment écrit également au passé. Dans ce récit de la visite d’une femme et de son fils, le voyage pour parvenir jusqu’à la maison du narrateur, la mort accidentelle du fils cadet et sa décision de mettre l’aîné en pension, sont antérieurs au récit au passé simple de cette visite : « elle fit même signe à la dame de se taire » (l. 13). L’utilisation du plus-que-parfait fait entendre la voix de la mère de Meaulnes comme l’indique la précision « à ce qu’elle nous fit comprendre » (l. 2). S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION Il sera nécessaire de respecter la concordance passé. Il faudra aussi illustrer les traits de caractères avancés par de petites anecdotes ou le récit de d’habitudes d’Augustin. Enfin, pour que le portait soit cohérent, on conseillera de dresser un rapide portrait de la mère d’Augustin d’après les informations délivrées dans l’extrait, et de récapituler ce que l’on sait d’Augustin ; les élèves auront intérêt à noter au brouillon quelques phrases de commentaire comme « Moi qui n’osais plus rentrer à la maison quand j’avais un accroc à ma blouse, je regardais Millie avec étonnement » (l. 11-12). Texte 6 – Michel Butor, La Modification (1957) p. 56 (ES/S et Techno) p. 58 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Analyser les effets d’une énonciation inattendue. – Lire les caractéristiques de l’école littéraire du « Nouveau Roman ». 36 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 36 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du LECTURE ANALYTIQUE Le narrateur s’adresse à un «vous» d’abord difficilement identifiable. Un « vous » qui demande au lecteur de suivre en quelque sorte le personnage qu’il découvre, qui se construit sous ses yeux. L’utilisation du présent ajoute à ce «brouillage» : les événements et les choses se construisent au fur et à mesure que le personnage et la lecture avancent. En fait, ce « vous » interpellé vient d’atteindre les « quarante-cinq ans» (l. 15), il prend le train pour se rendre à Rome pour quelques jours. Plus loin on comprend que le personnage a des enfants « pour les enfants » (l. 19) et des liens proches avec deux femmes dont on apprend le nom, « pour Henriette et pour Cécile » (l. 19). Le lecteur est amené à partager tout au long des deux premiers paragraphes les sensations physiques du personnage, sa relative faiblesse «vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant» (l. 3-4), «vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu’elle soit» (l. 9-10) et les douleurs qui en résultent. Douleurs dont l’irradiation progressive est bien marquée, étape par étape, par cette longue énumération « non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et vos vertèbres depuis votre cou jusqu’aux reins» (l. 10-12). L’explication de cette faiblesse est donnée dans le paragraphe suivant : l’heure matinale mais surtout les marques du temps déjà perceptibles même si le personnage vient «seulement d’atteindre les quarante-cinq ans» (l. 15). Ce début d’histoire est presque exclusivement descriptif ; après une longue description des douleurs ressenties vient une longue description du visage du personnage principal, ses «yeux», «paupières», « tempes» (l . 16-17) qui sont douloureux. La seule action décrite est l’entrée difficile dans le compartiment : une action banale sans véritable intérêt narratif présentée avec un excès de détails. Les représentations habituelles de début de roman sont brouillées. L’utilisation du «vous» qui superpose lecteur et personnage finit d’ajouter à ce trouble. Synthèse Dans cette écriture et énonciation singulières, le lecteur vouvoyé par le narrateur s’identifie au personnage principal du roman dont il épouse les actions et partage les sensations. Ce n’est qu’au fil des pensées du personnage qu’il comprend l’intrigue qui se met en place, une escapade pour quelques jours à Rome, un voyage qui ne doit pas être divulgué. Cette écriture caractéristique des expériences des écrivains du Nouveau Roman est déroutante et elle conduit le lecteur à s’interroger sur les codes habituels du roman et leurs effets. GRAMMAIRE La première phrase du roman est écrite sous la forme de deux propositions indépendantes cordon- XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 nées qui marquent la succession de deux actions du personnage. C’est ainsi que s’enclenche le récit sans qu’un contexte précis n’ait été construit préalablement. Lecture d’images – « Figures de Don quichotte : le chevalier à la triste figure » p. 57 (ES/S et Techno) p. 59 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Comprendre l’évolution d’un mythe à travers les époques. – Étudier le traitement plastique d’une parodie. LECTURE ANALYTIQUE 1. Représentations de Don Quichotte Ces deux gravures sont contemporaines, elles datent du XIXe siècle et ont servi d’illustrations au roman de Cervantès. Si elles mettent en scène le héros au centre de l’image, assis dans un fauteuil dans sa bibliothèque, elles différent pourtant notablement. Dans la première, celle d’Octave Uzanne, la perspective adoptée, la contre-plongée, rend le personnage imposant et insiste sur sa grande taille, avec son corps vu de trois quart qui met en valeur la longueur de ses jambes qui deviennent un axe de composition de la scène. Sa tenue, ses vêtements soignés, la raideur de la pose, le visage fermé et le regard figé, tout contribue à faire de lui ce gentilhomme, cet hidalgo solitaire que peignent les premières lignes de l’ouvrage. En arrière plan les éléments du décor et les meubles renvoient à la raideur et à la lourdeur décorative du siècle d’or : haute et inconfortable cathèdre en bois travaillé, pieds du bureau tournés, murs damassés. Toutefois quelques détails annoncent la métamorphose qui s’apprête : les pièces d’une armure de grande taille occupent l’espace resté libre du décor, du haut de l’image jusqu’au sol où elles rejoignent des livres ouverts et entassés sur le sol dans un grand désordre : tout est réuni pour que les récits lus pendant les longues nuits d’insomnie deviennent les rêves et fantasmagories de Don Quichotte. La gravure de Gustave Doré saisit le personnage dans le délire provoqué par ses lectures. Pris de face et en plongée le personnage un livre à la main brandit une épée dans un large mouvement provoqué par ce qu’il semble regarder devant lui, le regard exorbité. Dans une position peu flatteuse, les vêtements en piteux état, dans un décor mal tenu si l’on en juge par le sol terne et les souris qui le parcourent, Don Quichotte paraît totalement égaré. Les raisons de cette folie l’entourent occupant le reste du décor : il s’agit de personnages fantastiques et effrayants à l’image de cette énorme tête vivante posée sur le sol, des dra- 37 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 37 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur gons au-dessus de son fauteuil, des géants qui maintiennent prisonnières de jeunes filles comme on le voit dans l’angle droit de la gravure. Des armures et des blasons, des lances et des chevaux s’ajoutent à la scène : tous les éléments de l’univers féerique des romans du Moyen-âge sont réunis pour peupler le bureau de Don Quichotte et son esprit. Les deux illustrations représentent donc le passage du héros, hobereau solitaire d’une bourgade de la Manche à la figure du chevalier qu’il rêve de d’incarner. La deuxième illustration représente bien ce moment où Don Quichotte devient ce chevalier affublé comme ceux des romans d’une épithète « le chevalier à la triste figure » lui permettant de rejoindre ainsi le « chevalier au lion » et ces autres chevaliers errants. 2. Un début du récit comique et parodique Le court extrait du début du roman explique bien la métamorphose du héros : la lecture que pratique Don Quichotte de manière exagérée, il ne fait plus que cela, nourrit son imagination jusqu’à lui faire croire à la réalité des mondes qui sont représentés dans des fictions qu’il dévore. Dans un monde qui n’est plus celui du Moyen-âge, qui n’en a plus les valeurs il croit pouvoir vivre selon un idéal dépassé : la gloire n’est plus permise à une noblesse devenue pauvre mais condamné à ne pas travailler pour ne pas déroger à sa condition et à la noblesse et la pureté de son sang. Le service dû à son pays n’est plus de mise non plus. Devant cette impossibilité de trouver dans le réel des raisons de vivre Don Quichotte, retourne dans le passé par la lecture et y revit grâce à son imagination, et/ou sa folie. Synthèse Ces quelques lignes offrent l’occasion de retrouver de manière extrêmement sommaire les lieux communs des romans de chevalerie dont l’énumération produit un effet comique mais également parodique. Tous les ingrédients sont réunis : de l’enchantement aux tempêtes et aux amours dans une diversité qui confine « aux extravagances ». Mais n’est-ce pas la définition de l’errance de Don Quichotte ? Œuvre intégrale – Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678) p. 58 (ES/S et Techno) p. 60 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Comprendre comment la psychologie du personnage romanesque s’étoffe au XVIIe siècle. – Comprendre la relation entre cadre historique et intrigue amoureuse. – Découvrir la question de la vraisemblance. POUR COMMENCER… 1. Les premières de couverture des éditions représentées constituent des choix pour mettre en valeur différentes dimensions de l’œuvre. Une description de chaque image conduira à le repérer. Celle de l’édition GF affiche une des scènes clef de l’histoire quand la Princesse de Clèves aperçoit dans un miroir le vol que Monsieur de Nemours opère de son portrait et qui symbolique la passion que les deux personnages éprouvent l’un pour l’autre : La Princesse de Clèves y apparaît donc comme un roman d’amour. L’éditeur de la collection « Étonnants classiques » a choisi de montrer le cadre historique du roman : il représente la cour et la foule indistincte qui la fréquente dont tous les regards sont tournés vers un portrait en hauteur, celui du roi. Un seul personnage féminin dont on imaginera qu’il s’agit du personnage éponyme apparaît clairement face à une autre silhouette de dos, isolée qui pourrait représenter le duc de Nemours. À noter l’effet de citation de Velázquez car le personnage de madame de Clèves évoque un des personnages représenté dans le tableau « les Ménines » ce qui ancre davantage le récit dans le contexte d’une cour royale. La dimension historique de la nouvelle ou du petit roman est ici soulignée. Dans la troisième édition c’est le personnage de madame de Clèves qui est privilégié avec un portrait qui pourrait la représenter et où apparaissent sa jeunesse, sa beauté, sa réserve aussi et l’extrême soin porté à sa tenue qui dit autant le désir de plaire que la gloire de son rang. Ces trois éditions mettent chacune en évidence un élément important du roman, la figure de l’héroïne au centre, celle de madame de Clèves, ou le contexte historique d’un roman ancré dans une période précisément datée ou enfin un genre d’histoire, celle d’une passion amoureuse. CONTEXTE DE L’ŒUVRE… Un auteur anonyme 2. Une fiche biographique de l’auteur construite selon les axes proposés permettra d’inscrire madame de Lafayette dans l’histoire culturelle et artistique de son temps tout en revenant si nécessaire sur le statut de la femme au XVIIe siècle. On pourra souligner l’origine de sa famille, la petite noblesse, qui la conduit tout de même à devenir demoiselle d’honneur de la reine-mère Anne d’Autriche. Les relations qu’elle noue alors avec de grandes dames de la cour, la reine Henriette et sa fille par exemple ainsi qu’avec madame de Sévigné et la fréquentation des salons lui donnent cette culture et ce bel esprit que l’on reconnaît au Précieuses. Le comte François de Lafayette qu’elle épouse lui donne un nom fort honorable et elle pourra à Paris tenir salon et recevoir pour une VIe mondaine les personnages les plus importants de la 38 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 38 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du cour et des écrivains de renommée tels que Chapelain, Voiture. Quand elle se lance dans l’écriture avec La Princesse de Montpensier, elle le fait en collaboration avec Ménage. Amie de la Rochefoucauld, elle poursuit son œuvre et publie La Princesse de Clèves sans nom d’auteur. C’est ce dernier point qui pourra donner lieu à discussion des hypothèses proposées : une grande dame ne doit pas se commettre en écrivant des romans ; Madame de Lafayette ne souhaitait pas qu’on puisse tenter de chercher des modèles à ses personnages ; on a pu dire aussi qu’elle avait le goût du mystère et que cet anonymat a pu donner plus de prix encore à son roman. Toutes ces raisons peuvent être justes ensemble et elles permettent de dessiner un champ littéraire bien différent de celui d’aujourd’hui. Tomes Tome 1, début XVIIe UNE FICTION : UN RÉCIT, DES PERSONNAGES, DES SCÈNES ROMANESQUES La structure du roman, sa dynamique 3. Le tableau ci-dessous pourra être complété selon l’édition choisie par le professeur au fil de la lecture. On y fait figurer les éléments qui pourront être commentés avec la classe. L’analyse de la structure est celle de Pierre Malandain dans La Princesse de Clèves, Études Littéraires PUF, 1985. Evénements ….la cour : spectacle Tome 1, milieu siècle à nos jours – Séquence 1 Péripéties …. Le mariage de la Princesse de Clèves Tome 1, Fin le bal Tome 2, début Horoscopes et préparatifs des fêtes Tome 2, milieu L’accident et ses effets et ses effets Tome 2, Fin Tome 3, début La lettre de madame de Thémines au centre du livre Tome 3, milieu Coulommiers : l’aveu Tome 3, fin Le tournoi Tome 4, début Coulommiers : le pavillon Tome 4, milieu La mort de Monsieur de Clèves Tome 4, fin La retraite 4. La progression du récit articule les éléments du cadre historique aux péripéties de l’aventure amoureuse. Elle commence avec l’arrivée de l’extérieur de Mademoiselle de Chartes dans ce lieu fermé qu’est la cour et la ville pour inverser le mouvement dans la deuxième partie et quitter le centre et l’intérieur vers l’extérieur pour la retraite que s’impose madame Clèves. Au centre la lettre de madame de Thémines est considérée comme un discours qui revendique l’autonomie de la femme qui fait le choix de quitter celui qu’elle aime pour ne pas déchoir de l’estime de soi. Un personnage : la Princesse de Clèves 5. Le portrait – Mademoiselle de Chartes est une jeune fille noble, une des plus belles héritières de France qui devient madame de Clèves en épousant le Prince de Clèves, à l’âge de seize ans. – C’est une très belle jeune fille qui concentre de manière hyperbolique toutes les qualités jusqu’à la perfection : « c’était une beauté parfaite ». – L’habit : la cour d’Henry II est célèbre dès les premiers mots du livre pour sa « magnificence » et son « éclat ». La belle madame de Clèves passe la journée à se parer avant le bal où elle rencontrera Monsieur de Nemours. 39 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 39 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur – La psychologie : Madame de Clèves éprouve toutes les souffrances de l’amour, de la jalousie jusqu’au renoncement, des sentiments qui la conduiront à s’éloigner de la cour. – La biographie : le récit qui s’attache à la jeune femme au moment de sa présentation à la cour et s’achève quand elle la quitte quelques années plus tard évoque dans la dernière ligne du roman une VIe courte. Les actions Héroïne du roman, la Princesse est un personnage qui assume le rôle que lui imposent sa haute naissance et l’éducation exigeante reçue de sa mère. Franche et loyale à un mari qu’elle n’aime pas mais estime, elle refuse un amour coupable puis un amour acceptable que sa morale et le souci de sa gloire lui feront tout de même refuser. Ce sont ses valeurs qui conduisent sa VIe et ses actions. L’importance hiérarchique Madame de Clèves est le personnage central du récit. La perspective romanesque est centrée sur elle et le récit s’achève avec sa disparition de la cour. Son importance hiérarchique se dit aussi dans le caractère exceptionnel de ses actions : l’aveu à son mari de son amour pour Nemours, son renoncement final à cet amour. PARCOURS DE LECTURE : LECTURES ANALYTIQUES OU CURSIVES Le parcours de lecture pourra se construire au fil des extraits isolés ici ou qui figurent dans le manuel. Tout dépendra du projet de lecture retenu qui peut ne pas imposer l’étude de tous ces moments de l’histoire. On a retenu les scènes romanesques, ces passages souvent narratifs, descriptifs et dialogué où sont expansés les topoï romanesques. RÉCEPTION, INTERPRÉTATION : LA QUESTION DE LA VRAISEMBLANCE La polémique à laquelle l’aveu de madame de Clèves à son mari a donné lieu a été très importante au XVIIe siècle. Bussy juge l’aveu extravagant non parce qu’il le juge impossible mais parce qu’il trouve contraire à la bienséance dans un roman. Cet avis est largement partagé par les Anciens et on accuse l’auteur d’avoir voulu ne pas ressembler aux autres romans avant tout. On relève aussi la cruauté de l’aveu pour le mari. (Donneau de Visé) D’autres font l’éloge du procédé, les modernes que sont Perrault et Fontenelle, qui y voit lui « un trait admirable et très bien préparé ». Au XVIIIe siècle on partage encore l’avis des Anciens, mais surtout au nom de l’authenticité. On ne croit pas à la vérité psychologique de cet aveu. Le dialogue avec la classe permettra d’échanger les arguments pour une réception contemporaine de cet aveu sur lequel les élèves se prononceront avec des arguments qui témoigneront de leur lecture de l’œuvre. Comme pour la question précédente, les raisons du retrait du monde de madame de Clèves constitueront des axes de lecture de la fin de l’œuvre et seront confrontés avec les représentations des élèves qui peuvent se sentir éloignés de telles conceptions de l’amour et de la VIe en société mais peuvent y trouver des illustrations du désir d’authenticité et d’estime de soi. Enfin, une recomposition de l’histoire de La Princesse de Clèves sous le titre du Prince de Clèves peut donne lieu à une réflexion sur les conséquences du changement de perspective narrative, sur les transformations nécessaires de la composition et l’écriture de certains extraits qui ne pourraient se faire que selon le point du vue du mari de madame de Clèves. L’œuvre qui s’achèverait plus vite donnerait lieu également à une interprétation différente : en quoi le destin de monsieur de Clèves pourrait-il proposer une autre vision de l’homme dans cette société du XVIIe siècle ? ENTRAÎNEMENT Commentaire Cet extrait qui se situe dans les dernières pages du roman fait entendre le dialogue entre la Princesse de Clèves et Nemours qui tente de la persuader de céder à son amour. Elle refuse et lui expose ses raisons. Dans le même temps il s’agit-là d’une scène d’adieu puisque les deux amants ne se reverront pas. Dans ce contexte particulier, on pourra proposer aux élèves de développer l’analyse des raisons alléguées par Madame de Clèves pour refuser l’amour. On pourra également orienter le travail sur l’expression de l’amour chez les deux personnages. La classe pourrait être divisée en deux parties afin que chaque groupe étudie une des deux problématiques, apporte à l’autre en complément sa réflexion et qu’ainsi le texte soit lu dans ces deux dimensions, rhétorique et pathétique. Dissertation Le libellé de la dissertation ressemble parfois à un sujet de cours et il n’est pas très facile alors de dégager une problématique pour construire la réflexion. L’image du monde que délivre la Princesse de Clèves peut être lue à deux niveaux : son propre point de vue tel qu’elle le développe par exemple à la fin de l’œuvre en refusant l’amour de Nemours. On relèvera alors ses scrupules moraux avec le refus d’épouser celui qui a été la cause indirecte de la mort de son mari, sa crainte de souffrir de l’infidélité de celui qui a déjà aimé à plusieurs reprises, …etc. On pourra dégager ainsi les valeurs qui sont les siennes et celles de son monde. On pourra engager ensuite les élèves à évaluer, selon une perspective plus contemporaine, cette société et le comportement de madame de Clèves dont le refus peut être interprété différemment, l’orgueil ou un certain quiétisme, la tentation du retrait du monde, etc. La 40 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 40 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du rédaction de l’introduction mettra les élèves à l’épreuve de ce distinguo subtile. Ils pourront ensuite développer la vision du monde révélée par le discours du personnage éponyme de l’œuvre de Madame de Lafayette. Écriture d’invention Ce sujet d’invention constitue une réflexion sur la réception contemporaine de l’œuvre de Madame de Lafayette. Elle aura pu être préparée par l’étude de la polémique provoquée par la scène de l’aveu (questions 6 et 8). Il y a aussi dans la scène de première rencontre un stéréotype, celui du coup de foudre, de l’amour au premier regard qui peut favoriser l’analyse précise des effets de cette rencontre. On pourra aider les élèves en leur projetant un extrait du film de Jean Delannoy afin que les personnages en acquièrent une réalité plus grande, leur jeunesse, leur beauté et que le texte s’en éclaire. Les codes de la lettre auront été étudiés auparavant afin que l’attention se concentre sur les indices et éléments du texte à citer et à commenter et sur l’expression de l’émotion du lecteur. Œuvre intégrale – Albert Camus, L’Étranger (1942) p. 60 (ES/S et Techno) p. 62 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Recomposer le personnage au travers de la narration. – Interpréter la fonction du personnage. – Dégager une vision du monde et de la condition humaine. POUR COMMENCER… La photographie qui fait entrer dans l’univers de L’Étranger évoque la prison dans laquelle Meursault est enfermé après son meurtre. La plongée et les lignes des barreaux qui s’enfoncent avec le regard vers le personnage seul au centre montrent bien l’écrasement, l’enfermement de sa situation. La tête baissée, les poings serrés posés sur les genoux disent à la fois sa souffrance et peut-être la rébellion. Le blanc et le noir évoquent un univers contrasté entre le mal et le bien entre le propre et le sale de la tinette, seul objet de la cellule qui ressemble davantage à une cage. Pour reprendre la problématique de lecture de cette œuvre intégrale, le lecteur peut se demander si le personnage peut ou non sortir du désespoir qui semble l’habiter. La structure du roman, sa dynamique Première partie La première partie dure environ dix-huit jours tandis que la seconde se déroule sur une année, le temps XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 de l’instruction du procès et du jugement. La première partie est rythmée par les jours qui se succèdent faisant penser le lecteur à un journal intime. Les chapitres les plus développés sont ceux qui développent des scènes romanesques parmi lesquelles celle de l’enterrement ou le meurtre. La VIe de Meursault semble pouvoir changer dans la première partie avec la rencontre avec Marie, avec qui il semble avoir découvert le bonheur, ce que rappelle la fin du chapitre 6 : « J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux ». Deuxième partie C’est bien évidememnt le meurtre qui sert de charnière entre la première et la deuxième partie qui dure environ un an. Les chapitres s’organisent selon les grandes étapes de l’instrucution du procés : l’interrogatoire, la VIe en prison, le procès, les vistes de l’aumonier puis l’attente de l’execution. Un personnage : Meursault Le portrait • Aucune indication ne nous permet de nous représenter le personnage principal de l’Étranger dont on ne connaît que le nom, Meursault. • La psychologie : Meursault semble davantage un être de sensations que de réflexion au début de l’œuvre. Il est peu intéressé par son travail, et semble plutôt regarder ce qui se passe autour de lui, de sa fenêtre ou chez ses voisins. Plutôt indifférent, il est tout de même sensible à l’amitié qu’on lui prodigue. Il paraît surtout très sensible aux sensations agréables, que cela soit la chaleur du sable, la fraîcheur de la mer ou les baisers de Marie. • La biographie : le récit qui s’attache au personnage au moment de la mort de sa mère et ne nous donne pas d’informations sur sa VIe antérieure. Et le récit s’achève sur l’évocation de sa mort prochaine. C’est donc l’histoire de la dernière année de la VIe de l’Étranger que raconte le roman. Les actions Héros du roman, Meursault ne répond jamais aux attentes des personnages qui peuplent son univers ni à celles du lecteur de romans. S’il répond aux sollicitations des autres, il semble bien incapable dans la première partie du roman de mener sa VIe. C’est dans la seconde partie qu’il assumera son geste et refusera d’adopter le comportement qu’on attend de lui. L’importance hiérarchique Meursault est le personnage central du récit. La perspective romanesque est centrée sur lui et le récit s’achève avec sa disparition. Son importance hiérarchique se dit aussi dans le caractère étonnant de ce qui lui arrive et dans ses réactions à ce qui se passe dans sa VIe, cette « étrangeté au monde » qui rend incompréhensible son attitude. 41 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 41 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur PARCOURS DE LECTURE : LECTURES ANALYTIQUES OU CURSIVES Le parcours de lecture pourra se construire au fil des extraits isolés ici ou qui figurent dans le manuel. Tout dépendra du projet de lecture retenu qui peut ne pas imposer l’étude de tous ces moments de l’histoire. On a retenu les scènes romanesques, ces passages souvent narratifs, descriptifs et dialogué où sont expansés les topoï romanesques. RÉCEPTION, INTERPRÉTATION Mourir pour la vérité c’est, selon Meursault, ne pas s’imposer le comportement que l’on attend de vous, c’est aussi de pas expliquer ce qui a pu donner lieu à une interprétation erronée. C’est ainsi que tout commence avec cette incapacité du narrateur de pleurer la mort de sa mère au moment où l’on attend qu’il le fasse. C’est aussi ne pas vouloir expliquer pourquoi la chaleur, puis un reflet, ont pu donner lieu à un comportement que tous veulent interpréter comme le signe de l’indifférence ou de la violence. Lors de son interrogatoire, Meursault exclut aussi de manifester son regret ou d’afficher une foi qu’il n’éprouve pas. Refusant ainsi de jouer au coupable anéanti par son geste, il se perd dans l’esprit du juge d’instruction. Enfin au nom de la vérité, il refuse que la crainte de la mort ne lui fasse accepter un réconfort auquel il ne croit pas et c’est ainsi qu’il n’accepte plus les visites de l’aumônier. Seul, il ne lui reste plus qu’à espérer les cris de haine de la foule qui pourront donner sens à sa mort en témoignant de la totale incompréhension de son attitude et de son refus d’acheter par le mensonge une quelconque mansuétude. Meursault affiche ainsi – et revendique – sa liberté entière. C’est ainsi qu’il échappe aussi au désespoir. ENTRAÎNEMENT Commentaire La piste de commentaire qui est proposée aux élèves montre que l’Étranger n’est pas indifférent au monde qui l’entoure. La galerie des personnages qui passent sous ses fenêtres le conduisent à une analyse de différents groupes sociaux. On pourra guider les élèves sur l’analyse des détails qui se concentrent pour identifier des types dont le comportement attendu ou le ridicule peuvent donner à rire ou à sourire. Dissertation Ce sujet conduit à une réflexion sur le choix de « personnages types » qu’un auteur peut vouloir mettre en scène dans son œuvre. Après avoir examiné quelles caractéristiques seraient celles d’un personnage répondant à cette définition, il s’agira ensuite de se demander dans quelle mesure le personnage de Meursault peut répondre à cette définition. On pourra mettre en commun avec la classe les caractéristiques d’un tel personnage pour demander ensuite à chacun de rédiger une partie de devoir dans laquelle il montrera que le comportement de Meursault peut en effet se résumer à cette phrase. Écriture d’invention Cette activité peut être proposée à des groupes d’élèves qui se chargeront chacun d’un extrait de leur choix qui pourra compléter le groupement étudié en classe. Cet exercice conduit les élèves à une véritable lecture analytique du texte choisi mis en relation avec l’œuvre et en articulation avec les perspectives d’étude privilégiées. L’utilisation des outils numériques favorisera la mise en cohérence de la présentation des pages élaborées. Enfin on peut imaginer que cet exercice conduira les élèves à une meilleure lecture des supports méthodologiques qui leur sont proposés. Perspective – Fédor Dostoïevski, L’Adolescent (1875) p. 62 (ES/S et Techno) p. 64 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Distinguer l’autobiographie de la fiction. – Découvrir les caractéristiques du héros du Roman d’apprentissage. LECTURE ANALYTIQUE Dès les premières lignes, le personnage narrateur du livre donne les éléments de son statut social, il est lycéen, son âge, vingt ans et son identité avec son nom, Dolgorouki et celui de ses pères, le domestique Makar Ivanov Dolgorouki et le propriétaire terrien Versilov. On sait également qu’il a commencé sa VIe dans la province de Toula. On comprend très vite, et d’ailleurs le narrateur le précise aussi, qu’il est un enfant illégitime, ce qui n’est pas anodin dans le contexte de la société russe du XIXe siècle. On comprend également que ses deux pères le font appartenir à deux univers sociaux opposés et ce d’autant plus que Versilov, « mon père c’est lui » (l. 6) est le maître du père légitime, Dolgorouki. Dans le début du roman on ne sait pas quelles sont les relations entre le narrateur et le jardinier Dolgorouki mais on apprend l’importance, « l’influence si capitale » (l. 9) que Versilov a pu avoir sur lui à plusieurs moments de sa VIe. Le pacte de lecture qui semble se construire dans le début de ce livre évoque un récit autobiographique : le narrateur parle à la première personne il semble être le sujet de l’histoire et il commence par cette présentation de soi et de ses origines attendue dans un tel genre. On y lit aussi plusieurs époques organisées dans un récit rétros- 42 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 42 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du pectif. Toutefois le nom de l’auteur et celui du narrateur différent ce qui interdit de lire l’Adolescent comme une autobiographie véritable. Pourtant tout est fait pour faire croire au lecteur que c’est un jeune homme qui parle ici avec fougue et passion dans le désordre d’un récit qu’il cherche pourtant à organiser. En témoignent ses commentaires sur sa narration : « mais, au fond – ça plus tard. On ne peut pas raconter comme ça » (l. 12-13) et le langage spontané et elliptique qu’il tient : « cet homme-là déjà sans ça… » (l. 13). Ce désordre on peut le mettre au compte de la jeunesse, de la difficulté à commencer à raconter une histoire mais également le comprendre comme une difficulté à dire des faits ou évènements traumatiques : l’illégitimité du personnage d’abord et la relation complexe et toujours actuelle qu’il entretient avec son père. « Cet homme qui m’a tellement frappé depuis la petite enfance » (l. 8), qui a « contaminé de sa personne tout mon avenir » (l. 10), « une énigme totale » (l. 12). À cela s’ajoute l’ironie cruelle qui fait que son père légitime, porte le nom d’une famille princière ce qui le contraint à répondre sans cesse à la question de son origine en répétant qu’il n’est pas d’origine noble. Tous ces éléments font entrer le lecteur de l’Adolescent dans un roman d’apprentissage qui se donne à lire comme l’autobiographie fictive d’un personnage jeune qui raconte son histoire à partir d’événements marquants qui vont orienter la construction de soi et son devenir. PROLONGEMENT Le début de l’Adolescent est construit sur le même modèle que celui du Grand Meaulnes. Un personnage narrateur raconte son histoire à partir d’un évènement fondateur dans un récit rétrospectif. Toutefois le lycéen narrateur de l’Adolescent est au centre du roman, il en est le sujet tandis que le personnage de François Seurel se présente comme le témoin et le conteur de l’histoire d’un autre pour qui il ressent immédiatement une grande fascination, qui jouera XVIIe siècle à nos jours – Séquence 1 un rôle important dans sa VIe jusqu’à la transformer. Personnage en retrait, aimant sa VIe paisible auprès de ses parents au cœur d’un village de Campagne, près des livres et du savoir, il est certes très éloigné du personnage aventureux et épris d’absolu qu’est le grand Meaulnes ou du lycéen blessé et révolté tel que se présente le jeune Dolgorouki. LECTURE D’IMAGES Ces deux photographies offrent deux portraits de jeune-hommes très séduisants qui pourraient correspondre à la représentation du personnage de l’Adolescent. L’un et l’autre sont représentés dans une tenue qu’on a voulue soignée pour cette occasion encore rare à la fin du XIXe siècle : la séance de photographie. Costume - ou veste - et col blanc pour les deux et pose étudiée. Rimbaud est cadré en buste tandis qu’Alain-Fournier est assis ce qui lui donne une apparence plus rangée, une attitude très calme. Par contraste Rimbaud qui porte pourtant veste et gilet bien boutonné offre une image moins conformiste : le nœud qui orne son col est de travers, ses cheveux sont dérangés et surtout l’expression de son visage aux lèvres serrées au regard résolu et fixé sur sa droite marque une grande détermination une volonté de dépasser son univers proche. La figure de rebelle qui lui est attachée trouve ici pleinement sa justification et pourrait correspondre au personnage du lycéen Dolgorouki, révolté que peint Dostoïevski dans l’Adolescent. Le beau portrait d’Alain-Fournier offre une autre image, celle d’un jeune homme profond et serein dans cette posture ordonnée qui n’est pas dénuée non plus de force et de volonté. Le regard posé sur celui qui regarde la photographie marque un désir d’entrer en relation avec les autres. L’auteur du Grand-Meaulnes nous fait penser à une autre figure, plus discrète mais amicale et fidèle, celle de François Seurel le personnage narrateur du roman. 43 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 43 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Séquence 2 Le portrait dans les romans du XVIIe au XXe siècle p. 65 (ES/S et Techno) p. 67 (L/ES/S) Problématique : Comment s’organise un portrait ? Que nous dit-il des personnages ? Quelles sont les fonctions du portrait ? Éclairages : La séquence permet, par le biais de l’étude des portraits de personnages, de découvrir les modes de vision inhérents à chaque siècle, conformément au programme : « On prête une attention particulière à ce que disent les romans, aux modèles humains qu’ils proposent, aux valeurs qu’ils définissent et aux critiques dont ils sont porteurs. ». La façon dont les portraits s’organisent, dont les personnages font l’objet d’éloge ou de blâme, met en lumière une certaine conception du monde de l’auteur. Texte 1 – Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678) p. 66 (ES/S et Techno) p. 68 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier le portrait d’une héroïne classique. – Montrer l’importance du portrait pour la construction du personnage. LECTURE ANALYTIQUE Un portrait esquissé Le passage constitue la première apparition de l’héroïne éponyme du roman. Il revêt donc une importance capitale pour le lecteur qui attend un certain nombre d’informations sur le personnage principal ; le portrait physique, notamment, est un passage obligé. Pourtant, les attentes du lecteur sont partiellement comblées, puisque le portrait physique concentre seulement quelques lignes, à la fin de l’extrait. Le narrateur semble s’amuser avec son lecteur, puisqu’il retarde ces informations tant attendues. L’extrait débute ainsi par un passage narratif, au passé simple, qui annonce l’arrivée d’un personnage exceptionnel, encore anonyme, désigné par les termes élogieux de « beauté » (l. 1), « beauté parfaite » (l. 2). Son nom n’est pas immédiatement donné : sa mère, Mme de Chartres, est citée la première. Ce n’est qu’à la ligne 27 qu’elle est désignée pour elle-même, dans une expression qui relie sa caractéristique fondamentale, donnée dès le début, et son nom : « la grande beauté de Mlle de Chartres ». Le personnage apparaît donc progressivement, son identité n’est révélée qu’à la fin, comme si les lecteurs étaient amenés à partager le point de vue des autres personnes de la cour qui découvrent Mlle de Chartres. Le portrait physique, à la fin de l’extrait, donne les grandes caractéristiques du personnage, sans former un portrait abouti. Conformément à l’esthétique classique, cette héroïne possède des « cheveux blonds » (l. 28), son « teint » est marqué par la « blancheur » (l. 27), signe de noblesse et de pureté, elle a des « traits réguliers » (l. 29), conformément aux canons de la beauté classique. Aucun trait ne permet de singulariser ce personnage : les portraits dans les romans du XVIIe siècle sont très éloignés de la précision de ceux du XIXe ! En revanche, le narrateur insiste davantage sur l’identité sociale du personnage. De noble extraction, elle peut entrer à la cour. Le narrateur souligne sa parenté avec de nobles personnages (« Elle était de la même maison que le vidame de Chartres », l. 3-4) et l’excellence de sa situation est mise en valeur à l’aide de tournures superlatives présentes aux lignes 4 : « une des plus grandes héritières de France » et 20 « Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ». Le rappel, à deux reprises, du mot « héritière » signale le jeune âge du personnage, sa nubilité, et préfigure son mariage. Le portrait permet donc d’informer le lecteur sur l’intrigue possible. Le personnage apparaît remarquable. Les marques de jugement du narrateur remplacent les informations objectives : le lexique valorisant abonde dans cet extrait pour désigner Mlle de Chartres ou sa famille : outre la « beauté », on signale des qualités morales et intellectuelles : « la vertu et le mérite étaient extraordinaires » (l. 6), « son esprit » (l. 9), « vertu » (l. 10), ce qui est résumé aux lignes 29-30 : ses traits sont « pleins de grâce et de charmes » (l’assonance en [a] amplifie cet éloge). Qualités physiques, noblesse et vertu rendent donc ce personnage exceptionnel. L’importance du portrait moral Le narrateur s’attache davantage à construire le portrait moral du personnage, ce qui fait rentrer cette œuvre dans la catégorie des romans psychologiques. Pour aider à saisir le personnage, le narrateur effectue une analepse, lignes 5 à 20. Le passé de Mlle de Chartres permet de comprendre sa personnalité. Élevée dans un milieu féminin (l. 5 « Son père était mort jeune »), elle se voit également éloignée de la cour et des aventures galantes, puisque sa mère « avait passé plusieurs années sans revenir à la cour » (l. 7) et que « pendant cette absence, elle 44 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 44 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du avait donné ses soins à l’éducation de sa fille » (l. 8). Si cette mention du narrateur permet d’expliquer l’admiration et la surprise des personnes de la cour devant Mlle de Chartres, elle permet également de saisir sa personnalité. Au moment où Mlle de Chartres entre à la cour, elle est ignorante des affaires galantes et ne peut y succomber. La figure de Mme de Chartres domine cet extrait et participe également à la construction du personnage de la Princesse. Personnage exceptionnel par ses qualités énumérées ligne 6, elle porte toute son attention à l’éducation de sa fille, comme le montrent les expressions verbales « elle avait donné ses soins » (l. 8), « elle ne travailla pas seulement à » (l. 8-9). Le verbe « cultiver » (l. 9) connote l’idée de travail long et minutieux. L’éducation portée à Mlle de Chartres est essentiellement morale ; elle est originale, comme le souligne le narrateur dans deux phrases opposées, lignes 10 à 12 : « La plupart des mères s’imaginent […]. Mme de Chartres avait une opinion opposée ». La première phrase, longue, mentionne l’attitude commune des mères qui dissimulent les dangers de la séduction, tandis que la deuxième, qui s’oppose à la précédente (avec une asyndète), composée de segments brefs distingués par des points virgules, montre les paroles sans artifices de Mme de Chartres. Celles-ci occupent l’essentiel du passage, des lignes 12 à 21. Ces paroles rapportées au style narrativisé opposent deux attitudes : celle des hommes (que le pluriel généralise), considérés comme des séducteurs (« peu de sincérité », « tromperies », « infidélité », l. 14-15), et l’attitude des femmes qui se laissent abuser alors qu’elles sont mariées se distinguent du comportement vertueux de l’« honnête femme » (l. 17). Le singulier ici employé montre clairement combien cette façon d’être est peu commune. Aux « malheurs » s’opposent les subordonnées exclamatives « quelle tranquillité » (l. 16-17) et « combien la vertu […] ». Le discours de Mme de Chartres se révèle habile, comme le manifeste l’emploi du mot « persuader » (l. 13) : elle insiste sur les bienfaits que sa fille peut recueillir par une conduite vertueuse, sans déguiser les difficultés. La morale inculquée par Mme de Chartres est austère : si celle-ci invite à se méfier des séducteurs, elle conseille aussi à sa fille de se méfier d’elle-même et de la passion, dans une morale teintée de jansénisme. Les thèmes du roman sont ici annoncés : le mariage de Mlle de Chartres, son abnégation, son amour sacrifié se trouvent expliqués. Synthèse Mlle de Chartres est un personnage exemplaire pour plusieurs raisons : sa noblesse et sa beauté manifestées à plusieurs reprises la signalent comme l’héroïne du roman. Mais sa conduite, guidée par les paroles de sa mère, est vertueuse. Son refus de la passion, singulier dans ce monde da galanterie, en fait un personnage hors du commun. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 VOCABULAIRE « Admiration » vient du latin admiror, ari composé du verbe simple miror, ari, qui signifie regarder avec admiration, mais aussi étonnement. L’arrivée de Mlle de Chartres est remarquée : son portrait, dans le roman, trouve sa justification dans le fait qu’elle paraît à la cour, aux yeux de personnes qui ne la connaissent pas. Mais les deux sentiments sont ici mêlés : sa beauté est admirée, mais crée aussi la surprise. S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION La structure du texte doit être conservée : la première phrase doit indiquer la présence d’autres personnages qui découvrent le héros (ou héroïne) ; son nom doit apparaître tardivement ; un court récit rétrospectif qui permet d’éclairer la personnalité du personnage précède le portrait physique. Le contexte, moderne, doit être inventé : le personnage doit apparaître dans un lieu où il peut être remarqué (salle de spectacles, par exemple). La dimension sociale, importante au XVIIe siècle, doit être oubliée au profit d’autres critères. PISTE COMPLÉMENTAIRE Ce portrait peut être mis en relation avec d’autres textes de la même période, comme celui de Cléomire, dans Artamène ou Le Grand Cyrus (1652) de Mlle de Scudéry, dont voici un extrait : Au reste, les yeux de Cléomire sont si admirablement beaux, qu’on ne les a jamais pu bien représenter : ce sont pourtant des yeux qui en donnant de l’admiration, n’ont pas produit ce que les autres beaux yeux ont accoutumé de produire, dans le cœur de ceux qui les voient : car enfin en donnant de l’amour, ils ont toujours donné en même temps de la crainte et du respect : et par un privilège particulier, ils ont purifié tous les cœurs qu’ils ont embrasés. Il y a même parmi leur éclat et parmi leur douceur, une modestie si grande, qu’elle se communique à ceux qui la voient : et je suis fortement persuadé, qu’il n’y a point d’homme au monde, qui eût l’audace d’avoir une pensée criminelle, en la présence de Cléomire. Au reste, sa physionomie est la plus belle et la plus noble que je ne vis jamais : et il paraît une tranquillité sur son visage, qui fait voir clairement quelle est celle de son âme. On voit même en la voyant seulement, que toutes ses passions sont soumises à sa raison, et ne font point de guerre intestine dans son cœur : en effet je ne pense pas que l’incarnat qu’on voit sur ses joues, ait jamais passé ses limites : et se soit épanché sur tout son visage, si ce n’a été par la chaleur de l’Été, ou par la pudeur : mais jamais par la colère, ni par aucun dérèglement de l’âme : ainsi Cléomire étant toujours également tranquille, est toujours également belle. 45 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 45 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Question de corpus : Quelles qualités des personnages ces portraits mettent-ils en avant ? La beauté des personnages, visible, suscite, dans les deux romans, de l’« admiration ». Mais les deux auteurs soulignent les qualités morales : « vertu » pour Mlle de Chartres, « tranquillité » d’âme pour Cléomire. Mme de La Fayette accentue la noblesse du personnage, tandis que Mlle de Scudéry fait de Cléomire un personnage mesuré. Texte 2 – Paul Scarron, Le Roman comique (1651-1657) p. 68 (ES/S et Techno) p. 70 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier un portrait en actions. – Mettre en évidence le burlesque dans un roman du XVIIe siècle. LECTURE ANALYTIQUE Un portrait caricatural À grands traits, Paul Scarron brosse le portrait de Mme Bouvillon. Celle-ci est caractérisée par l’exagération et sa description doit susciter le rire du lecteur. Elle est dévalorisée par ses dénominations : à plusieurs reprises, elle est appelée « la Bouvillon » (l. 10, 14, 18, 21-22). Le déterminant souligne son origine populaire, mais se teinte également d’une nuance de mépris, qui contraste avec l’appellation « la pauvre dame » (l. 24). Désignée également comme « la grosse sensuelle » (l. 4), elle concentre ces deux caractéristiques : l’embonpoint et la « sensualité », ce qui en fait un personnage typique. Mais Mme Bouvillon, toute entière livrée à ses désirs, est aussi comparée à un animal : le mot « harnais » (l. 12), qui désigne son corset, renvoie au lexique de l’agriculture et doit être mis en relation avec le nom du personnage (voir question vocabulaire). Le portrait ainsi effectué ne correspond pas à celui d’une héroïne de roman classique. Le narrateur se concentre sur le portrait physique. Différents éléments du corps de Mme Bouvillon sont détaillés : le « gros visage fort enflammé » (l. 1), « ses petits yeux fort étincelants » (l. 1-2), « dix livres de tétons pour le moins » (l. 6), « le reste étant distribué à poids égal sous ses deux aisselles » (l. 6), « sa gorge n’avait pas moins de rouge que son visage » (l. 8), le « dos suant » (l. 18), « le nez écaché », « une bosse au front grosse comme le poing » (l. 25). Ces quelques informations sont délivrées progressivement au lecteur et se rapportent à deux thèmes principaux : la corpulence et la rougeur. Contrairement aux héroïnes classiques, Mme Bouvillon n’a pas une blancheur de teint qui laisse présager une âme innocente et pure. Le narrateur a recours à une comparaison, exagérée, pour désigner le rouge qui couvre son visage et sa poi- trine : « l’un et l’autre ensemble auraient été pris de loin pour un tabapor d’écarlate » (l. 8-9). La poitrine de Mme Bouvillon, quant à elle, est longuement décrite, aux lignes 5 et 6, dans une phrase qui prend une dimension considérable, mimant la réalité décrite. Les exagérations sont nombreuses, comme le montrent l’adverbe d’intensité : « fort enflammé » (l. 1), ou encore la précision du poids « dix livres » (l. 6). Si les détails donnés font réalistes (le « dos suant », par exemple, extrêmement concret !), les exagérations contribuent à composer un portrait caricatural. Mais le décalage qui existe entre le physique de Mme Bouvillon et son intention (séduire Le Destin) crée le comique de la scène. Les actions du personnage permettent de faire son portrait moral et de saisir ses intentions : elle est présentée par le narrateur comme une « grosse sensuelle » (l. 4). Dans une phrase d’allure générale, il désigne aussi son personnage comme une dévergondée, ce qui explique le rouge qui couvre son corps : « car elles rougissent aussi, les dévergondées » (l. 7-8). Ses actions, que ce soient ses paroles ou ses mouvements, vont également dans le sens de l’exagération : par exemple, « elle s’écria » (l. 11) et « cria » (l. 25), manifestent son manque de discrétion, Sa technique de séduction se voit plus particulièrement par les gestes : « ôt[er] son mouchoir de col et étal[er] » sa poitrine, « se remu[er] en son harnais », « tât[er] les flancs au défaut du pourpoint », stratégies qui visent à attirer le Destin, réticent. Une scène de séduction humoristique L’intention du narrateur est de faire rire des personnages. Mme Bouvillon échoue totalement dans sa stratégie de séduction. Incapable de séduire le Destin par ses paroles (la scène est quasiment muette), elle a recours à de grands moyens pour faire comprendre ses intentions : montrer sa poitrine, forcer le Destin à un contact qui semble répugnant (avec la mention du « dos suant », l. 18), badiner avec lui en lui « tâtant les flancs au défaut du pourpoint » (l. 14). Mme Bouvillon prend des initiatives, et, en cela, paraît inconvenante. Ses actions tentent un contact de plus en plus rapproché (montrer, être touchée, toucher), et ses différentes tentatives de séduction, qui participent d’une sorte de comique de répétition, ne sont pas suivies de l’effet escompté. Trop audacieuses, elles ne peuvent réussir : elles trahissent une violence du personnage. Le narrateur nous présente cette scène de séduction comme une sorte de combat : le lexique de la guerre apparaît dans le texte, et ce, dès la première phrase : « de quelle façon il se tirerait à son honneur de la bataille que vraisemblablement elle lui allait présenter » (l. 2-3). Nous retrouvons cette métaphore de la guerre à la ligne 15 : « il fallait combattre ou se rendre ». Adoptant ici le point de vue du Destin, le narrateur désigne Mme Bouvillon comme une force agissante. La scène de séduction ici présentée est en réalité une parodie de combat. Paul Scarron détourne ainsi les 46 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 46 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du codes du roman traditionnel. Si cette scène est un passage obligé des romans sentimentaux, il est souvent le fait de personnages masculins. Le roman classique montre également des personnages héroïques, dont le portrait est souvent élogieux. En présentant de cette manière cette scène de séduction, Scarron contrevient aux habitudes du roman. Le décalage entre les intentions de Mme Bouvillon et les réticences du Destin prêtent à rire. L’écriture de Scarron passe d’un personnage à l’autre, à la manière d’une pièce de théâtre ou d’un film qui verrait une alternance de points de vue. Ainsi, après avoir signalé le rouge qui couvre la personne entière de Mme Bouvillon (l. 7 à 9), le narrateur se concentre sur le personnage du Destin, sur le rouge qui lui monte aux joues, de pudeur, contrairement à la Bouvillon (l. 9-11). La Bouvillon demande au jeune homme de l’aider à combattre ses démangeaisons (l. 11-13) et la phrase suivante débute par la mention du geste du Destin, qui obéit (l. 13 à 15). Chaque action de Mme Bouvillon est suivie d’un geste du Destin, dont le narrateur souligne les réticences. La scène ainsi composée fait penser à une pièce de théâtre : la fin constitue un coup de théâtre, un renversement de situation. L’arrivée de Ragotin met fin au « combat » entre les deux personnages. Celui-ci se méprend sur la scène à l’intérieur de la chambre, comme le manifeste son empressement à faire ouvrir la porte (« frappant des pieds et des mains comme s’il l’eût voulu rompre », 16-17), ce qui amplifie le comique du passage. Les précautions du Destin (ne pas toucher Mme Bouvillon), son mouvement, la conséquence de son geste (« se choqua la tête contre un banc ») sont détaillés dans une phrase qui s’allonge, sorte de ralenti surprenant alors que tous les personnages manifestent leur empressement. L’arrivée de Ragotin, brusque, contribue à ridiculiser Mme Bouvillon, qui se cogne contre la porte : elle accède ainsi au statut des personnages de farce, dont les coups reçus prêtent à rire. Synthèse Le personnage de Mme Bouvillon est rendu ridicule par le portrait physique qui en est fait : le narrateur accentue certains traits, comme son embonpoint ou sa rougeur. Par ses multiples tentatives de séduction, sans effet sur Le Destin, elle fait également rire d’elle. VOCABULAIRE Le nom propre « Bouvillon » n’a pas été choisi au hasard par Paul Scarron. Étymologiquement, il vient de la racine latine bos, bovis, qui signifie « bœuf ». Le bouvillon est un jeune bœuf. Sur cette racine sont formés les mots « bouvier » (conducteur de bœuf), « bovin », « bovidé ». Par amuïssement, la bilabiale [w] se transforme pour donner le mot « bœuf ». Le nom du personnage représente sa lourdeur, à la fois dans sa technique de séduction et dans son physique. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION La structure du récit doit être conservée : la scène de séduction doit être racontée en suivant les différentes étapes repérées au préalable. Les éléments constituant le portrait de Mme Bouvillon (qui doit être désormais appelée ainsi, dans le nouvel écrit), doivent être supprimés. On peut accentuer le contraste entre les deux personnages en accentuant par exemple la maigreur du Destin, sa timidité, ses hésitations, sa candeur. Enfin, ce travail peut être accompagné de réflexions sur le lexique, à partir de la fiche Vocabulaire proposée en fin de séquence (page 81 pour le manuel ES/S et Techno et page 83 pour le manuel L/ES/S). PISTE COMPLÉMENTAIRE Histoire des arts L’exposition virtuelle de la BnF consacrée à Daumier peut être exploitée. Quelques pages consacrées à la caricature (histoire, définition, techniques et procédés) peuvent être consultées avec profit. Texte 3 – Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830) p. 70 (ES/S et Techno) p. 72 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier un portrait dont le mode d’insertion est original. – Montrer les liens qui unissent le personnage de roman, l’histoire et les lieux de la fiction. LECTURE ANALYTIQUE Une présentation progressive Le personnage de M. de Rênal, qui n’est pas le protagoniste du roman, est ici présenté pour la première fois au lecteur. Stendhal emploie une technique originale qui permet de faire le portrait du personnage de façon progressive. Il est tout d’abord remarquable que celui-ci soit indissociable du lieu qu’il occupe. Le narrateur, dans le passage qui précède, a décrit la ville de Verrières, théâtre des événements qui vont suivre. La plupart des paragraphes qui constituent l’extrait sont centrés sur un lieu : le premier concerne « cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue » (l. 2), le deuxième : « dans cette grand rue de Verrières » (l. 4 et 5), le troisième concerne le portrait de M. de Rênal proprement dit, le quatrième se consacre à la description de la « maison d’assez belle apparence » (l. 19-20), les deux derniers apportent des informations complémentaires sur M. de Rênal. Le portrait de M. de Rênal semble tenir une place assez ténue dans cet extrait. Le narrateur élabore la fiction d’un 47 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 47 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur voyageur entrant à Verrières et découvrant les lieux et les personnages pour la première fois. Le passage est introduit par une hypothétique (l. 1 : « Si… ») qui introduit le lecteur dans cette fiction. La description des lieux et de M. de Rênal est donc motivée par la présence de ce personnage, qui les découvre, en même temps que le lecteur. Ainsi, les éléments visuels sont privilégiés : M. de Rênal « a l’air affairé et important » (l. 7-8). Le portrait physique suit immédiatement sa découverte : « cheveux […] grisonnants », « vêtu de gris » (l. 8-9), « grand front » (l. 9), « nez aquilin » (l. 10). Le lexique de la vue ou des modalisateurs accompagnent ses caractéristiques : « au premier aspect » (l. 11), « un certain air de contentement de soi » (l. 13-14), « mêlé à je ne sais quoi de borné » (l. 14), « on sent enfin », (l. 14-15). Les autres informations sur M. de Rênal sont délivrées par d’autres personnages rencontrés par le « voyageur » ; ceux-ci détaillent ses biens, en particulier, dans des discours directs, indirects et indirects libres : « on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire. » (l. 2-3) ; « on lui apprend que cette maison appartient à M. de Rênal » (l. 25) (la suite constitue du discours indirect libre). Le portrait de M. de Rênal progresse donc en même temps que le voyageur effectue sa promenade. Le narrateur souligne sa puissance et son autorité. Celui-ci est d’abord caractérisé par son autorité politique : il est présenté d’emblée comme « M. le Maire » (l. 3) et le narrateur souligne la « dignité du maire de village ». Mais il représente aussi une autorité financière : ses nombreuses possessions témoignent de sa réussite sociale (la fabrique de clous, la belle demeure), et la position de sa maison, en haut de la grande rue de Verrières, témoigne de son succès. Cette propriété domine la ville, mais aussi offre une vue sur « une ligne d’horizon formée par les collines de la Bourgogne » (l. 21), symbolisant ainsi l’ambition du personnage. Les autres personnages sont indifférenciés dans cet extrait : le pronom personnel indéfini « on » les représente, ou bien ils ne sont désignés que par leurs vêtements, « leurs chapeaux » (l. 8), dans une synecdoque. Seul personnage à posséder une identité, M. de Rênal acquiert un statut supérieur. La satire du riche provincial L’ensemble de l’extrait mentionne la ville de Verrières et effectue sa description, en même temps que celle du personnage qui occupe la position sociale la plus importante de la ville. En soulignant le fait que le « voyageur » qui arrive dans cette ville soit « parisien » (l. 13), le narrateur amplifie la distance qui sépare celui-ci des provinciaux rencontrés. Ainsi, tout doit surprendre ce voyageur, double du lecteur, jusqu’à l’« accent traînard » (l. 3) des habitants. Le narrateur circonscrit ainsi la puissance de M. de Rênal à Verrières et laisse présager une réussite limitée dans l’espace. Mais cette mention de l’identité du voyageur offre aussi la possibilité au narrateur d’émettre sur le personnage toute une série de jugements qui évoluent au cours de l’extrait. Ainsi, M. de Rênal est tout d’abord vu comme un personnage important, « au premier aspect », sa physionomie « réunit à la dignité du maire de village cette sorte d’agrément qui peut encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans » (l. 11-13). Le lien logique « mais » vient apporter une restriction, et la phrase qui suit juxtapose quatre défauts : « contentement de soi », « suffisance », « borné », « peu inventif » (l. 13-14). Dans une sorte d’élargissement, le voyageur émet aussi ses impressions négatives sur la ville où règne « l’atmosphère empestée des petits intérêts d’argent dont il commence à être asphyxié » (l. 23-24). La puissance financière de M. de Rênal, soulignée notamment à travers l’emploi à deux reprises du mot « payer » (« se faire payer », « payer lui-même », l. 15-16), contribue à mettre le voyageur mal à l’aise. Malgré toutes les possessions de M. de Rênal et son autorité, l’univers présenté semble étriqué, borné, tout comme l’est ce personnage. Le narrateur emploie le mot « borne » et « borné » à deux reprises, lignes 14 et 15. Mais le paysage semble lui aussi porter la marque de cette étroitesse de vue. Après avoir fait la description de Verrières « jusque vers le sommet de la colline » (l. 5-6), le narrateur décrit la maison de M. de Rênal, ses jardins dont la vue est bornée « par les collines de la Bourgogne » (l. 21), et nous fait redescendre jusqu’au Doubs : « ce magnifique jardin qui, d’étage en étage, descend jusqu’au Doubs » (l. 31-32). Le riche provincial est parvenu au faîte de sa réussite qui se limite à la Bourgogne. Synthèse Pour les autres personnages mentionnés dans le passage, M. de Rênal symbolise la réussite sociale : c’est « M. le Maire », propriétaire d’une fabrique de clous. Il est respecté : devant lui, on lève son chapeau. Le voyageur, dans sa première impression, partage leur avis avant de se rétracter : un portrait négatif du personnage est alors constitué. GRAMMAIRE L’expression « pour peu que » indique une hypothèse, et pourrait être remplacée par « si ». S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION Le sujet attend une réponse personnelle, argumentée et suivie d’un exemple, qui peut être suivie d’un débat pour préparer à l’exercice de dissertation. On peut apprécier un personnage de roman dont le portrait est fidèle à la réalité parce qu’il transporte mieux le lecteur dans un univers vraisemblable. Mais lorsque le portrait s’écarte de la réalité, en proposant, notamment, des commentaires du narrateur, des comparaisons, des images, il peut également présenter un intérêt : il donne une autre dimension 48 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 48 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du au personnage : le lecteur entre alors dans un univers onirique ou fantastique. L’émotion est alors privilégiée par rapport à l’illusion. PISTE COMPLÉMENTAIRE Oral On peut inviter les élèves à réfléchir sur le lien entre la phrase de Stendhal, citée dans l’exercice de dissertation, et le texte lui-même : « Comment cet extrait de roman met-il en évidence le principe de Stendhal selon lequel le roman « est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ». La fiction du voyageur, la représentation de la société de son époque, la physionomie du personnage privilégiée par rapport à une étude de détail constituent des éléments de réponse. Texte 4 – Honoré de Balzac, Eugénie Grandet (1833) p. 72 (ES/S et Techno) p. 74 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier un portrait réaliste, fait selon le point de vue d’un personnage. LECTURE ANALYTIQUE La naissance de l’amour L’extrait adopte essentiellement la focalisation interne : le portrait de Charles est fait selon le point de vue d’Eugénie. Le verbe de perception « crut voir » qui ouvre le passage, ligne 2, annonce d’emblée que le portrait qui suit est motivé par le regard d’Eugénie. Aux lignes 14 et 15, le narrateur emploie deux verbes de vision, « en voyant », « Eugénie regarda », qui le rappellent. A ces verbes de vision s’ajoutent d’autres verbes de perception, dont Eugénie est le sujet : le sens olfactif est envisagé avec « elle respirait » (l. 3), et le sens tactile se retrouve avec « elle aurait voulu pouvoir toucher » (l. 4), marque d’un désir de plus en plus fort. Charles est décrit physiquement de manière méliorative, comme le montre la comparaison initiale, qui l’assimile à un ange, à « une créature descendue de quelque région séraphique » (l. 2-3), à cause de sa « perfection », mais aussi de la surprise que crée l’arrivée d’un personnage si différent d’Eugénie. Ce mélange de surprise et d’admiration se retrouve dans la métaphore finale : « ce phénix des cousins » (l. 20-21). La « chevelure si brillante, si gracieusement bouclée » est d’abord évoquée, puis « les petites mains de Charles », « son teint », « la fraîcheur et la délicatesse de ses traits », qui composent un portrait élogieux, notamment par l’utilisation de l’adverbe intensif « si », répété dans des phrases qui s’allongent et miment la XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 montée du désir. Le narrateur emploie une comparaison pour montrer l’émotion causée par Charles sur Eugénie : des lignes 11 à 13, Charles est assimilé à une gravure de femme illustrant les Keepsake anglais. Sa perfection est telle qu’il paraît l’œuvre de dessinateurs qui visent à faire rêver le lecteur. La phrase, qui s’étire, cherche à rendre également compte de cette rêverie. Mais cette image révèle aussi un autre aspect du personnage. Dans l’œuvre de Balzac, il représente le type même du dandy, du « jeune élégant » (l. 7), véritable gravure de mode. Ses « petites mains » trahissent son oisiveté, et le narrateur s’attache à détailler les différents accessoires dont il use : « la peau blanche de ces jolis gants fins » (l. 4-5) est comme le prolongement de sa propre chair ; le « mouchoir brodé » attire la curiosité de la jeune fille : il n’est visiblement pas destiné à un usage traditionnel, mais il est la marque du dernier chic. Le « lorgnon » (l. 17) ancre définitivement ce personnage dans le dandysme du XIXe siècle. Le jugement du narrateur Si l’essentiel du passage est constitué de focalisation interne, le narrateur n’en intervient pas moins ponctuellement. Différentes remarques, en effet, ne peuvent être le fait d’Eugénie : elle ne pourrait se désigner comme une « ignorante fille » ( l. 7) (d’autant plus que le déterminant « une » la fait entrer dans la catégorie des types de personnages) ; elle ne peut savoir que le mouchoir a été « brodé par la grande dame qui voyageait en Écosse » (l. 14) ; enfin, les sentiments de Charles ne peuvent être connus par celleci (« son impertinence affectée, son mépris pour le coffret qui venait de faire tant de plaisir à la riche héritière », l. 17-18). Par ces remarques anodines, le narrateur souligne le décalage entre ce que pense Eugénie de Charles et ce qu’il est réellement. Il met en évidence les différences entre ces deux personnages. Ainsi, par exemple, Charles a connu l’amour (le mouchoir en est un vestige), contrairement à Eugénie. Le narrateur indique donc, en filigrane, que l’amour que lui porte Eugénie est voué à l’échec. Il est tout à fait remarquable, dans un premier temps, qu’il nous fasse partager ses pensées mais pas celles de Charles. Les sentiments de celle-ci sont indiqués clairement. Ce qui plaît à Eugénie, c’est d’abord la nouveauté (elle a passé sa VIe « sans voir dans cette rue silencieuse plus d’un passant par heure », l. 9-10), mais surtout l’apparence de Charles, ses habits, ce qui brille, à l’image de la chevelure. Eugénie est donc amoureuse d’une ombre, d’un rêve, et une telle relation ne peut être heureuse. Charles, quant à lui, semble se composer un rôle, celui du dandy, qui se doit de mépriser tout ce qui est provincial, de marquer son « impertinence » (l’adjectif « affectée » indique clairement qu’il joue le jeu des apparences). Parisien, élégant et ruiné (la suite du roman l’apprendra au lecteur), il s’oppose entièrement à Eugénie, provinciale, sans élégance et « riche héritière » (l. 18). 49 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 49 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Synthèse Les jugements mélioratifs, qui sont le fait d’Eugénie, s’opposent aux remarques effectuées par le narrateur, dans les quelques passages où le point de vue omniscient est adopté. Charles paraît beau, il ressemble aux héros de roman. Mais le portrait moral esquissé laisse percevoir un jeune homme frivole, expérimenté dans la VIe, et tout entier dans les apparences. PISTE COMPLÉMENTAIRE Confrontation de textes L’émerveillement d’Eugénie dans cet extrait peut être mis en relation avec celui d’Emma lors du bal chez le marquis d’Andervilliers (p. 108 du manuel ES/S et Techno et p. 110 du manuel L/ES/S). Questions de corpus 1. Comment se manifeste l’émerveillement des deux héroïnes ? 2. Montrez que les narrateurs prennent de la distance par rapport au jugement de leurs personnages. rides qu’une pomme de reinette flétrie » (l. 4-5), mais aussi sur la VIe de travail menée par le personnage, en se focalisant sur ses mains qui sont « encroûtées, éraillées, durcies » (l. 7). Le narrateur souligne également les vêtements portés par Catherine Leroux, qui complètent le portrait physique. Ainsi, les pieds sont chaussés de « grosses galoches de bois », elle porte « le long des hanches », « un grand tablier bleu », le visage est « entouré d’un béguin sans bordure » ; enfin, ses mains dépassent « de sa camisole rouge ». Cette précision dans les vêtements permet d’insister sur l’importance du travail dans sa VIe (elle conserve son tablier, même pour recevoir une récompense), sur sa simplicité aussi, comme le prouvent les matières employées ou l’absence de recherche dans la coiffe. Le portrait physique est complété par un portrait moral, à la fin de l’extrait : « mutisme », « placidité » la qualifient (l. 12). À partir de la ligne 14 (« intérieurement effarouchée »), le narrateur nous fait connaître ses émotions et ses pensées, comme le prouvent aux lignes 15 et 16 les interrogatives indirectes qui se succèdent (« ne sachant s’il fallait […], ni pourquoi […] et pourquoi […] ») afin de montrer l’affolement du personnage. Un personnage symbolique Texte 5 – Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857) p. 73 (ES/S et Techno) p. 75 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer la fonction symbolique d’un portrait réaliste. LECTURE ANALYTIQUE Un portrait réaliste Le personnage décrit est un personnage secondaire du roman. La description est motivée par le narrateur : la présence des autres personnages aux Comices Agricoles justifie le portrait de Catherine Leroux, au moment où elle est appelée pour recevoir sa récompense. Le verbe de perception « on vit » (l. 1), et le groupe prépositionnel indiquant un lieu visible par tous (« sur l’estrade ») annoncent la description qui suit. Le lecteur est ainsi dans la même position que les autres participants aux Comices : il découvre ce personnage. Le portrait s’organise en deux temps : le narrateur commence par effectuer le portrait physique du personnage avant d’entamer son portrait moral. La description physique suit une certaine progression du regard : le narrateur commence par évoquer ses pieds (les « galoches de bois », l. 3), puis le tablier « le long des hanches » (l. 3), avant d’en arriver au « visage maigre, entouré d’un béguin sans bordure » (l. 3-4). Il insiste sur l’âge du personnage, notamment à travers une comparaison : « son visage […] était plus plissé de Au-delà de la description réaliste, Gustave Flaubert entend dresser le portrait d’un personnage symbolique. Il opère une progression dans la façon dont elle est désignée : d’abord nommée « une petite vieille femme » (l. 1), elle est présentée par une image à la fin du texte : « ce demi-siècle de servitude » (l. 17). Cette expression insiste encore sur l’âge avancé du personnage, mais le mot « servitude » signale au lecteur que le personnage doit être considéré comme emblématique : il marque la souffrance au travail, l’exploitation, l’abnégation. Le narrateur se focalise plus particulièrement sur les mains du personnage, qu’il décrit longuement afin de montrer le travail mené par Catherine Leroux. Des énumérations, au rythme ternaire (« La poussière des granges, la potasse des lessive et le suint des laines », l. 6-7 ; « encroûtées, éraillées, durcies », l. 7), contribuent à amplifier cette idée. Les mains « entrouvertes » (l. 8-9), présentant « l’humble témoignage de tant de souffrances subies » (l. 9-10), ces paumes que l’on imagine tendues, font penser à la figure du Christ : Catherine Leroux est présentée comme une martyre. Ce personnage hors du commun s’oppose à tous les participants : son absence apparente de sentiments (« rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard pâle » l. 11) contraste avec le sourire des « bourgeois épanouis » (l. 17) ; son immobilité s’oppose au mouvement de la foule qui la pousse (l. 16) ; enfin, elle porte des vêtements humbles, contrairement aux « messieurs en habit noir » (l. 14). Placée devant tous, elle est la représentation de la souffrance. En présentant ainsi ce personnage, Gustave Flaubert entend nous faire éprouver de la compassion. 50 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 50 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Synthèse Du portrait physique, on accède aux pensées du personnage : la description change d’objet en même temps que le regard évolue. En effet, dans un premier temps, le lecteur adopte le point de vue des participants aux Comices. Mais en nous faisant entrer dans les pensées du personnage, le narrateur change la focalisation et le personnage accède à une autre dimension, symbolique. VOCABULAIRE L’adjectif « monacal » renvoie au nom « moine », issu du grec monos, qui signifie « un », « seul », et transformé en latin en monachus qui signifie « ermite ». Catherine Leroux représente ici une martyre, dont la VIe est faite de souffrances. Par ses mains ouvertes, elle est dans une position d’offrande, de prière. PISTE COMPLÉMENTAIRE Confrontation de textes Lisez le début de Madame Bovary (l’arrivée de Charles à l’école). Questions de corpus 1. Montrez que ces deux passages présentent des êtres singuliers. 2. Commentez la place des vêtements et des accessoires dans ces deux extraits. 3. Quels sentiments Flaubert cherche-t-il à susciter chez le lecteur en face de ces deux personnages ? Texte 6 – Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919) p. 74 (ES/S et Techno) p. 76 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une caricature. – Mettre en évidence le processus de création du personnage romanesque. LECTURE ANALYTIQUE Le portrait d’un personnage idéalisé Le narrateur personnage de ce roman relate un repas mondain chez Odette Swann. L’arrivée du personnage de Bergotte est ici dramatisée : son nom est d’abord délivré, avant que Marcel (le narrateur personnage de La Recherche) ne le découvre physiquement. L’effet produit est immédiat, comme le signale l’expression adverbiale « tout à coup » (l. 3), ou encore la comparaison, aux lignes 6-7 : « ce nom de Bergotte me fit tressauter comme le bruit d’un revolver qu’on aurait déchargé sur moi ». Le narrateur est surpris, pris d’une émotion intense, que ne semblent pas partager les XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 autres personnages et en particulier Mme Swann, l’instigatrice de cette rencontre entre un écrivain et son admirateur : « à la suite de mon nom, de la même façon qu’elle venait de le dire […] » (l. 3). Le narrateur effectue le portrait de Bergotte, idéalisé, tel qu’il se l’imaginait, à la façon d’un personnage romanesque. Une expression le désigne au début, « doux Chantre aux cheveux blancs » (l. 5), Les cheveux blancs connotent la sagesse, l’expérience. Le narrateur imagine Bergotte comme un aède des anciens temps, un personnage à la dimension sacrée, ce que viennent confirmer d’autres expressions qui désignent ce personnage fantasmé, comme « langoureux vieillard » (l. 12-13) ; « organisme défaillant et sacré que j’avais, comme un temple, construit expressément pour elle » (l. 14) ; « douce et divine sagesse » (l. 45). Si le personnage se trompe, c’est qu’il effectue une confusion entre l’écrivain et la personne, entre ce que montre l’écrivain et son être propre. Il analyse sa méprise dans ce passage : celle-ci est due à l’élaboration du personnage de Bergotte à partir de ses livres. Il sait qu’il a construit un autre être, à partir de ce qu’il lisait de lui : « Tout le Bergotte que j’avais lentement et délicatement élaboré moi-même, goutte à goutte, comme une stalactite, avec la transparente beauté de ses livres […] » (l. 17-22). La comparaison avec la stalactite permet de comprendre ce lent mécanisme. Une réalité décevante Le narrateur relate sa déception, qui n’a qu’une seule cause : l’incarnation de Bergotte, comme le prouve le champ lexical du corps qui apparaît à la ligne 16 : « rempli de vaisseaux, d’os, de ganglions ». L’image du prestidigitateur (qui prolonge celle du coup de feu dans les lignes qui précèdent) et de la colombe qui s’envole (l. 9) rend compte à la fois de sa surprise et de son atterrement. Cette phase, qui commence par la comparaison, s’allonge démesurément et s’attache à montrer, par une énumération de groupes de plus en plus long, tout ce que Bergotte a d’humain : « un homme jeune, rude, petit, râblé et myope, à nez rouge en forme de coquille de colimaçon et à barbiche noire » (l. 10-11). Ces deux derniers éléments concentrent l’attention du narrateur : ils reviennent à plusieurs reprises (l. 17, 27-28, 36-37, 46). Le nez, en particulier, subit un traitement particulier : qualifié de « camus » (l. 17), il prend la forme originale du « colimaçon », image qui ne permet absolument pas de saisir véritablement le portrait de Bergotte. La récurrence de ces expressions tend à exagérer le portrait et à rendre Bergotte ridicule : le narrateur effectue une caricature. La déception est telle qu’il imagine le portrait moral de Bergotte, à partir de ses traits physiques et de ses impressions. Ainsi, il lui prête la « mentalité d’ingénieur pressé » (l. 48-49). Il développe cette idée longuement, pour expliquer en quoi consiste cette « mentalité ». Il met en scène la figure de l’« ingénieur pressé » (à l’aide d’un pluriel qui généralise le propos), avec ses paroles, d’une concision ridicule. Cette nouvelle construction du personnage, produite par son imagination, s’exécute avec 51 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 51 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur davantage de nuances, comme le prouvent les modalisateurs : du conditionnel, « j’aboutirais » (l. 48), et l’emploi du verbe « sembler », à la même ligne. Synthèse Deux portraits de Bergotte sont effectués dans ce passage : il y a tout d’abord le Bergotte réel, fait de chair et pourvu de caractéristiques sur lesquelles le narrateur insiste. Mais il y a aussi le Bergotte imaginaire : celui qu’a construit le narrateur, d’après la lecture de ses ouvrages, mais aussi celui qu’il élabore, après cette première rencontre. Ce passage met ainsi en évidence le pouvoir de l’imagination. VOCABULAIRE « Faire cavalier seul » signifie « agir de façon isolée ». L’expression renvoie à la danse et au quadrille, plus particulièrement, où l’homme qui « fait cavalier seul » danse seul. S’ENTRAÎNER AU COMMEN TAIRE Le plan suivant peut être proposé : 1. Opposition entre le Bergotte imaginaire, éthéré, et le véritable Bergotte, dont on détaille les caractéristiques physiques (énumération). 2. Une caricature : le narrateur se focalise sur quelques éléments physiques, récurrents dans le texte. 3. Le narrateur exagère ses propres impressions en face du véritable Bergotte (par exemple : « j’étais mortellement triste », l. 11-12). PISTES COMPLÉMENTAIRES Recherche Cherchez qui est Anatole France. Quelle relation entretient-il avec Marcel Proust et La Recherche du temps perdu ? LECTURE ANALYTIQUE L’esquisse d’un portrait Le personnage décrit, M. Jo, est un personnage secondaire du roman. La description qui en est faite se limite à quelques traits physiques : « la figure », « les épaules », « les bras », « les mains ». Elle insiste sur la maigreur du personnage, avec par exemple ses épaules « étroites » : M. Jo, dont le nom paraît raccourci, semble chétif. Le narrateur met aussi en évidence le caractère presque féminin de celui-ci, avec la mention des mains « soignées, plutôt maigres, assez belles ». Celles-ci sont évoquées à deux reprises, lignes 4 et 12. L’attention du narrateur se focalise plus particulièrement sur la bague, « un magnifique diamant » (l. 4), qui symbolise la richesse et la réussite sociale. Les objets et les vêtements occupent une place importante dans ce portrait : le narrateur se concentre sur ceux-ci dans le premier paragraphe : le « costume de tussor grège », le « feutre du même grège » (l. 2-3) signalent le statut social de M. Jo, un riche « planteur du Nord » (l. 21). Le choix de la matière, le « tussor », rappelle l’Asie, où se passe l’histoire, mais manifeste un certain souci de l’élégance. La couleur grège, pâle, semble souligner la fadeur du personnage. Par les choix opérés par le narrateur, M. Jo et Joseph s’opposent (l’élégance de l’un contraste avec la vulgarité des paroles de l’autre). L’écriture adoptée par Marguerite Duras se rapproche des techniques cinématographiques comme on peut le voir dans la façon dont le personnage est décrit. Le narrateur commence par montrer le personnage dans sa globalité, en présentant ses vêtements (l. 2-4). Le regard s’attache ensuite sur différentes parties du corps, dans un mouvement descendant, avant d’aboutir à la main, et plus particulièrement au diamant, dans une sorte de gros plan (l. 13). Le portrait semble ainsi se préciser et s’enrichir par la présence d’objets symboliques. Une vision subjective Écriture d’invention Choisissez un des romanciers de la séquence et lisez l’extrait de son roman dans le manuel. Dressez le portrait de cet auteur tel que vous l’imaginez. Comparez votre écrit à la représentation qui en est donnée dans les pages Bibliographies (p. 508 du manuel ES/S et Techno, et p. 628 du manuel L/ES/S). Texte 7 – Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique (1950) p. 76 (ES/S et Techno) p. 78 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Mettre en évidence l’intérêt dramatique du portrait. – Sensibiliser à l’écriture filmique de Marguerite Duras. M. Jo est décrit selon les points de vue particuliers de la mère, Suzanne et Joseph, en focalisation interne. Le passage s’ouvre sur le rappel d’un événement passé (avec le plus-que-parfait « avaient vu », l. 1), mais le verbe de vision employé introduit la description qui suit, avant d’être repris ligne 4 : « ils virent ». Le regard est d’ailleurs un thème important de l’extrait : « la mère se mit à regarder » (l. 4), « il regardait Suzanne » (l. 14), « la mère vit qu’il la regardait » (l. 15), « la mère à son tour regarda sa fille » (l. 15). Le portrait s’accompagne de jugements de la part de la famille. Les paroles de Joseph et son jugement dévalorisant (« pour le reste, c’est un singe », l. 6) amorcent une série d’opinions, qui viennent confirmer la sienne comme à la ligne 11 « c’était vrai, la figure n’était pas belle ». Le personnage est également l’objet d’une fiction élaborée à partir de son costume, de son apparence : « Le chapeau mou sortait d’un film... » (l. 8). La 52 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 52 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du richesse du personnage, visible grâce au costume, à la voiture de luxe et au diamant, fait fantasmer ceux qui le regardent, et M. Jo, désormais, devient une proie. Son isolement, signalé à deux reprises (l. 1 et 14), le rend particulièrement repérable et vulnérable : la phrase brève, au rythme ternaire, « Il était seul, planteur, et jeune » (l. 14), désigne les « qualités » du personnage, selon la mère. La présence du diamant, qui semble métamorphoser le personnage (il « conférait [aux mains] une valeur royale, un peu déliquescente », l. 13-14) attire sa convoitise. Si la scène est quasiment muette, les regards qu’elle jette au diamant, puis au planteur et enfin à sa fille, trahissent ses intentions que les paroles qui suivent précisent : Suzanne doit être « aimable » pour plaire au planteur, visiblement séduit. M. Jo est alors une proie qu’il s’agit de conquérir. À travers le portrait de M. Jo se construit alors celui des autres personnages, en particulier celui de Suzanne. Le regard jeté par la mère à Suzanne est l’occasion d’un portrait de la jeune fille, dont la jeunesse est soulignée avec insistance (« elle était jeune, à la pointe de l’adolescence », l. 18), ainsi que le caractère : « pas timide ». Elle peut ainsi entrer dans les desseins de sa mère : tout doit être mis en œuvre pour séduire le planteur et obtenir les moyens de vivre, encore, dans la concession. Synthèse Le portrait de M. Jo insiste sur le statut social de celui-ci par la focalisation sur ses vêtements et surtout sur le diamant. Les regards des personnages préfigurent la suite de l’histoire : en observant Suzanne, le planteur manifeste son désir, mais celui-ci est perçu par la mère. M. Jo devient alors l’objet de toutes les convoitises : il symbolise la richesse, l’aisance, mais représente aussi la possibilité pour la famille de conserver leur concession. PISTE COMPLÉMENTAIRE Vers la dissertation Consulter sur le site de l’INA l’interview de Marguerite Duras sur les adaptations cinématographiques de romans. Quelle est son opinion ? Pour quelle raison un romancier est-il poussé à adapter ses œuvres ? Partagez-vous le point de vue de l’auteur ? Texte 8 – Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (1957) p. 77 (ES/S et Techno) p. 79 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier une description dans le cadre du Nouveau Roman. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 LECTURE ANALYTIQUE Un portrait fragmentaire L’extrait évoque une femme dont nous ne connaissons pas le prénom, mais seulement l’initiale : A… Le portrait qui en est constitué est tout aussi énigmatique, puisque le narrateur se concentre seulement sur quelques aspects du personnage comme les « cheveux » (l. 8 et 14), ou la « main » (l. 11 et 14). Les adjectifs qui la caractérisent sont minces : seule la chevelure est d’abord désignée comme une « masse noire » (l. 8), puis « lustrée », elle « luit de reflets roux » (l. 16), et, progressivement, la chevelure est désignée comme une « coiffure trop mouvante » (l. 10-11), possédant des « ondulations » (l. 11), composée de « boucles » (l. 16). Le portrait se précise donc, mais le lecteur dispose de peu d’éléments pour saisir l’identité et la singularité du personnage. La position de la femme et ses actions, en revanche, sont largement détaillées : elle « est assise » (l. 1), « elle se penche en avant » (l. 2), « elle redresse le buste » (l. 8), « penchée de nouveau » (l. 15). Le narrateur insiste sur les mouvements de celle-ci : « des vibrations saccadées » (l. 7), « elle rejette en arrière » (l. 9-10), « les doigts effilés se plient et se déplient » (l. 12). Toutes ces expressions, qui renvoient au haut du corps, s’opposent à l’immobilité du reste du corps, à « l’apparente immobilité de la tête et des épaules » (l. 7) ; il n’est pas « possible de voire remuer, de la moindre pulsation, le reste du corps » (l. 17-18). Ce portrait, fait de contrastes, paraît donc énigmatique. Les éléments du corps de la femme semblent fonctionner de manière autonome : le narrateur le souligne à la ligne 14, les doigts étant agités, « comme s’ils étaient entraînés par le même mécanisme ». La comparaison ainsi effectuée ôte au personnage toute volonté : le narrateur refuse de nous laisser entrer dans la conscience de celui-ci. Les verbes de mouvement comportent un sujet renvoyant à une partie du corps, comme à la ligne 12 : « les doigts effilés se plient et se déplient ». A… est souvent placée en position de COD dans la phrase, comme aux lignes 16 et 17 : « de légers tremblements […] la parcourent ». Toute volonté semble ainsi refusée au personnage. Les interprétations du narrateur L’activité du personnage est mystérieuse : elle est vue de dos, et seul le mouvement du haut du corps est perceptible. Les différentes teintes que prend la chevelure, en particulier, montrent que le narrateur est attentif. Celui-ci, qui n’est pas omniscient, émet un certain nombre d’hypothèses sur l’activité de la jeune femme, des lignes 3 à 6, mais chacune est balayée, après le lien logique d’opposition « mais », à la ligne 4. Sans avoir de certitudes sur son interprétation comme le prouvent les conditionnels (« elle se serait placée », l. 5 ; « elle n’aurait pas choisi », l. 6), il se révèle incapable d’être précis. En mettant 53 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 53 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur en relation différents éléments, le lecteur peut imaginer ce que A… est en train de faire : « la petite table à écrire », le « travail minutieux et long » qui requiert de se pencher, mais qui permet aussi quelques instants de répit, les « ondulations » du haut du corps peuvent faire penser à l’acte d’écriture. Le narrateur se révèle attentif aux moindres gestes du personnage féminin, aux moindres détails, comme la présence de « légers tremblements, vite amortis » (l. 15-16). S’il n’intervient pas directement comme un personnage de l’histoire, il manifeste toutefois sa connaissance du personnage, comme il l’indique avec le présent d’habitude : « Mais A… ne dessine jamais » (l. 4). Le narrateur peut être la figure du jaloux, comme le titre du roman nous invite à le penser. L’observation attentive de A… se fait à son insu, comme si elle était épiée. Synthèse Le narrateur, qui ne s’avoue pas personnage de l’histoire, décrit le personnage et raconte la scène vue en proposant différentes interprétations, comme s’il cherchait à savoir, à se rassurer peut-être. La femme décrite reste irrémédiablement mystérieuse, comme si la focalisation choisie était externe. Mais quelques indices montrent que le narrateur est en fait un personnage de l’histoire, même s’il ne dit jamais « je ». L’auteur crée ainsi une énigme, dans son roman, que le lecteur doit déchiffrer. GRAMMAIRE Le présent possède ici plusieurs valeurs : tout d’abord, on peut considérer qu’il a une valeur de présent de narration, puisque le narrateur emploie, à la ligne 15, un passé composé. La scène semble se passer sous les yeux du lecteur, et on a souvent l’impression qu’il s’agit davantage d’un présent d’énonciation. La phrase « Mais A… ne dessine jamais » (l. 4) évoque une habitude, comme le montre la négation « ne… jamais ». PISTES COMPLÉMENTAIRES Recherche Consultez sur le site de l’INA l’interview d’Alain Robbe-Grillet à propos de La Jalousie : l’auteur y explique comment est construit son roman. Comparaison Dans le cadre d’une étude sur le personnage dans le Nouveau Roman, on peut comparer le portrait de A… et l’incipit de La Modification de Michel Butor (p. 56 du manuel ES/S et Techno et p. 58 du manuel L/ES/S). Histoire des arts – Le portrait en peinture p. 78 (ES/S et Techno) p. 80 (L/ES/S) Voici quelques pistes pour traiter ce dossier : Au XVe siècle : la naissance d’un genre Le portrait est un genre protéiforme. Il appartient à divers domaines : littérature, peinture, sculpture, photographie, cinématographe. En arts plastiques il peut être de tête, en buste, en pied, équestre, de face, de profil ou trois-quarts. Il joue avec un fond neutre, un paysage ou un espace intérieur. La figure est parfois accompagnée d’accessoires banals ou symboliques, d’attributs. Le portrait possède une dimension religieuse, allégorique, sociale. Le portrait d’apparat est marque du pouvoir. Après une éclipse au Moyen Age, due à la querelle des images, le portrait réapparaît avec celui des donateurs qui commanditaient les retables. Le quinzième siècle est celui où il devient autonome. Les deux portraits proposés à l’étude : Portrait de jeune femme peint par Antonio del Pollaiolo en 1439 et Marguerite Van Eyck par Jan Van Eyck vers 1465 sont le reflet de leur origine géographique. En Italie la jeune femme est montrée de profil, suivant la tradition antique de l’art du portrait. La nudité du cou et la sobriété du traitement de la coiffure contrastent avec l’opulence vestimentaire qui indique que la dame doit avoir appartenu à l’aristocratie florentine du XVe siècle. Le fond paysagé est idéalisé, lieu improbable non identifiable qui se retrouve dans d’autres portraits de la Renaissance comme celui de la Joconde. Au contraire des Italiens, les Flamands préfèrent les portraits de trois-quarts face lui donnant une dimension très réaliste. Chez Van Eyck, le spectateur est happé par le regard du modèle qui le fixe, il ne peut s’échapper, le fond neutre fermant l’espace. A la douceur de la jeune femme italienne s’oppose l’air peu avenant de Marguerite Van Eyck aux lèvres pincées. L’individualisation l’emporte sur l’idéalisation. Au XVIe et XVIIe siècles : le portrait de cour Le genre du portrait équestre, abandonné depuis l’Antiquité a été remis à l’honneur à la Renaissance italienne avec les statues équestres des condottieres. Au début du XVIIe siècle, Rubens choisit, pour Le portrait équestre du duc de Lerma, un trois-quarts face inhabituel, qui accentue la présence du groupe : le duc et le cheval nous regardent. La ligne d’horizon très basse qui crée un effet de contre-plongée, la lumière qui irise le duc à gauche affirment l’importance du personnage. Le mouvement du cheval prêt à bondir est contrebalancé par l’attitude posée du cavalier. Question Du XIXe au XXe siècle : crise du portrait et renouveau des techniques Comment les romanciers de ce mouvement font-ils participer le lecteur à la construction de leur œuvre ? Le titre même de l’œuvre de Matisse, Portrait de Madame Matisse à la raie verte, fait du procédé 54 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 54 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du créatif le sujet du tableau. La ligne verte sépare la tête en zones d’ombre, non pas grises mais colorées de jaune et de vert, et en zones de lumières plus fidèles à la réalité, exaltation de la couleur chère aux Fauves. Le portrait comme les autres sujets se libèrent du carcan de la mimesis pour questionner les constituants même de la peinture : couleurs pour Matisse, formes pour Picasso. Dans le portrait de David-Henry Kahnweiler, Picasso s’intéresse à la relation forme et fond et refuse une représentation illusionniste. Le cubisme analytique prône une représentation simultanée de plusieurs angles de vue. David-Henry Kahnweiler, riche marchand d’art, auteur d’un essai, Chemin vers le cubisme, achetait et exposait les œuvres cubistes. Cette relation fait de ce portrait le reflet d’un rapport d’égal à égal entre le peintre et son modèle. Andy Warhol, artiste appartenant au mouvement du Pop’art, utilise dans Ten Lizes, la technique de la sérigraphie. Nous sommes dans l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935), pour reprendre le titre de l’essai de Walter Benjamin. La technique permet la reproduction : gravure, photographie, cinéma, et maintenant technologie numérique. En multipliant, par le procédé de la sérigraphie, une photographie de presse il dévoile le procédé, dénonce la commercialisation de l’image. La présentation en bande, la succession des photographies suggèrent la succession des photogrammes sur la pellicule. L’image de l’icône se dissout dans la répétition de la même image mais subissant des effacements ponctuels, interrogation sur le vieillissement des icônes de la beauté ? Au-delà du portrait n’aurait-on pas affaire à une vanité ? Vocabulaire – Décrire le caractère XVIIe siècle à nos jours – Séquence 2 3. SYNONYMES 1. affable ➞ aimable (« affable » vient du latin affari, « parler avec quelqu’un ») – 2. superbe ➞ orgueilleux (sens du latin, qui prend une valeur méliorative au XVIe siècle, et devient d’usage courant au XVIIIe siècle) – 3. Sémillant ➞ enjoué (« sémillant » est le seul mot conservé de la famille de « sémille », qui, en ancien français, désigne « la progéniture » ou « l’action valeureuse ») – 4. Pédant ➞ vaniteux (« pédant » vient de l’italien pedante qui désigne « le professeur »). 4. EXPRESSIONS RENVOYANT À UN ANIMAL a 1. une tête de linotte (le mot « étourdi » viendrait de la composition de ex et turdus et signifierait « agir follement comme une grive »). – 2. une mule, un mulet. – 3. une fine mouche (allusion à la vivacité de l’insecte). – 4. une fouine (le verbe « fouiner » est d’emploi péjoratif courant et a eu la même évolution que « fureter »). 5. EXPRESSIONS RENVOYANT À UN OBJET 1. Un grand guerrier, qui suscite la crainte. L’expression est ironique de nos jours (le mot « foudre », au masculin, est une survivance de la rhétorique classique). – 2. Quelqu’un qui ne cesse de parler (sens du XVIIIe siècle). – 3. Le fait de ne pas pouvoir répondre sur le moment. – 4. Être rigide dans ses principes et prétentieux (le collet monté désigne une sorte de col, à la mode sous Louis XIII). – 5. Personne qui dépense sans compter (au XVIIe siècle, l’expression désigne quelqu’un qui ne retient rien). p. 81 (ES/S et Techno) p. 83 (L/ES/S) 1. ANTONYMES 1-6 – 2-4 – 3-5. 2. DE L’ADJECTIF AU NOM 1. fierté – 2. enjouement – 3. adresse – 4. humilité – 5. présomption – 6. allégresse – 7. obséquiosité – 8. candeur. Cet exercice peut être l’occasion d’un travail sur les suffixes : -ité (fierté < feritatem, avec amuïssement ; humilité ; obséquiosité) ; -ement ; -esse (« adresse » dans ce sens, s’est confondu avec un mot signifiant « chemin droit » ; allégresse) ; -ation (« présomption », avec amuïssement. Le suffixe -atio est une forme savante, qui a donné aussi -aison) ; -eur (candeur). 6. EXPRESSIONS RENVOYANT À UN CORPS 1. Avoir les dents longues (au XIVe siècle, cette expression signifiait « avoir faim »). – 2. Avoir un poil dans la main (apparaît au XIXe siècle) ou avoir les côtes en long. – 3. Avoir le cœur sur la main (apparaît au XVIIIe siècle). – 4. Avoir les yeux plus grands que le ventre (expression que l’on trouve déjà chez Montaigne). 5. Avoir la tête sur les épaules. 7. NIVEAUX DE LANGUE Les mots suivants sont classés, du niveau de langue familier au niveau de langue soutenu : 1. grognon, triste, renfrogné – 2. sympa, agréable, amène – 3. soupe au lait, colérique, irascible – 4. trouillard, craintif, timoré. 55 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 55 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur 8. MOTS DE LA MÊME FAMILLE 1. Doux et doucereux ont été synonymes jusqu’au XVIe siècle. Il désigne ensuite quelqu’un à la douceur affectée. – 2. Le nom droit désigne la justice ; le mot droiture, jusqu’au XVIIe siècle, a été synonyme de celui-ci, puis a désigné la qualité d’une personne loyale. – 3. Loyal et légal ont la même étymologie (lex, legis, la loi), et, à l’origine, le mot « loyal » a le sens juridique, avant l’apparition du mot « légal » au XIVe siècle. Ils fonctionnent comme doublets jusqu’au XVIIe siècle, « loyal » obtenant le sens de « qui a le sens de l’honneur ». – 4. Probe signifie « droit, honnête »; probant se rapproche de probare et évoque ce qui constitue une preuve. BIBLIOGRAPHIE Essais • MARLÈNE GUILLOU et ÉVELYNE THOIZET, Galerie de portraits dans le récit, « Parcours de lecture », Éditions Bertrand-Lacoste, 1998. • GÉRARD GENETTE, Figures II, coll. « Points », Éditions Le Seuil, 1979. • PHILIPPE HAMON, La Description littéraire, de l’Antiquité à Roland Barthes : une anthologie, Éditions Macula, 1991. • ÉMILE ZOLA, Du Roman, « De la description », « Le Regard littéraire », Éditions Complexe, 1989. EXPRESSION ÉCRITE Sujet 1 La comparaison d’un personnage en animal tend à dévaloriser celui-ci : on peut penser en particulier au portrait de Mme Vauquer dans Le Père Goriot de Honoré de Balzac (comparée à un « rat d’église », par exemple), ou à celui de Mme Verdurin dans Du Côté de chez Swann de Marcel Proust (comparée à un oiseau). La juxtaposition des images pour rendre compte des caractéristiques morales tend à faire du personnage créé un être monstrueux. On peut prolonger ce travail d’écriture par l’étude de tableaux de Giuseppe Arcimboldo. Sujet 2 L’exercice permet de montrer que le portrait est rarement objectif : il implique souvent un éloge ou un blâme de la part du narrateur qui oriente la lecture du roman. Mais cet exercice met en évidence une catégorie particulière du portrait : le portrait en actes. Il permet de s’interroger sur les « Frontières du récit » (voir l’article de Gérard Genette, dans Figures II, coll. « Points », © Le Seuil, 1979). 56 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 56 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 Séquence 3 De la rencontre amoureuse à la séparation dans les romans du XVIIe au XXe siècle p. 83 (ES/S et Techno) p. 85 (L/ES/S) Problématique : Comment l’identité des personnages romanesques se construit-elle à partir des scènes de rencontre amoureuse et de séparation ? Comment les actions et les sentiments des personnages révèlent-ils la vision du monde du romancier et les valeurs de la société de son époque ? Éclairages : Il s’agira d’envisager les textes de rencontre et de séparation comme un ensemble en montrant comment les circonstances et le déroulement de la rencontre annoncent déjà sa fin. Il s’agira aussi et surtout de montrer comment la construction du personnage romanesque est étroitement liée aux représentations sociales de l’écrivain, et donc aux circonstances d’écriture. Texte 1 : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678) p. 84 (ES/S et Techno) p. 86 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer l’importance de l’ancrage dans une réalité sociale et historique : la cour d’Henri II. – Introduire un exemple de rencontre appelé à devenir un topos : le coup de foudre. – Découvrir les héros : un couple de héros parfaits. LECTURE ANALYTIQUE La mise en scène d’un coup de foudre amoureux La rencontre se déroule d’une manière bien particulière. La narratrice nous invite à partager les sentiments de l’héroïne et ses préparatifs, dans l’attente impatiente d’une grande soirée à la cour : « elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer » (l. 1). L’arrivée du duc de Nemours au bal se fait en décalé par rapport à celle de la princesse et c’est donc au travers du regard de celle-ci que le lecteur découvre pour la première fois ce personnage : « elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours » (l. 7). La rencontre commence donc par un échange de regards : celui de Mme de Clèves sur M. de Nemours auquel répond le regard du gentilhomme sur l’héroïne. Tous les termes choisis par la narratrice omnisciente insistent sur l’éblouissement que représente cette rencontre pour les deux personnages (« surprise », l. 10, « étonnement », l. 13, « surpris », l. 14) Cette rencontre se déroule cependant dans un cadre public et le regard des membres de la cour, et particulièrement du roi et des reines, pèsent sur eux : « le roi et les reines […] trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître » (l. 17 à 19). C’est d’ailleurs leur intervention qui va permettre de faire progresser la rencontre en leur donnant l’occasion pour la première fois de se par- ler. Le dialogue, rapporté au discours direct, permet en effet au duc de Nemours en particulier de montrer toute sa galanterie et sa modestie à la fois : il révèle clairement au roi et aux reines qu’il a reconnu Mme de Clèves – ce qui est un hommage appuyé à sa beauté et à la réputation qu’elle s’est acquise à la cour. Le lecteur est ainsi éclairé : la rencontre est bien celle de deux héros faits l’un pour l’autre et qui se sont immédiatement reconnus. Amour et jeu social Le cadre de la rencontre est un lieu public, le Louvre, le palais royal, donc, lieu de faste et d’apparat. Les circonstances (des fiançailles royales) imposent à tous élégance et raffinement comme le démontrent l’insistance de la narratrice sur les préparatifs du bal et sur la parure des personnages : « on admira sa beauté et sa parure » (l. 2-3). Mais dans ce milieu où les apparences comptent plus que tout, on voit que les deux héros sont distingués par tous, au centre de tous les regards : « il s’éleva dans la salle un concert de louange » (l. 16-17). Le roi et les reines jouent un rôle bien particulier dans la rencontre des deux héros : il faut d’abord noter que, curieusement, le roi se présente comme l’ordonnateur de la rencontre puisqu’il invite Mme de Clèves à danser avec M. de Nemours, à qui elle n’a pourtant pas encore été présentée : « le roi lui cria de prendre celui qui arrivait » (l. 6-7). Dans le dialogue qui suit, il apparaît de plus que la reine dauphine, en particulier, cherche à semer le trouble dans le cœur des jeunes gens en les mettant face à leurs sentiments. La narratrice lui prête des répliques pleines d’allusions et lourdes d’implicites. Elle donne d’abord à entendre par sa première réplique, prudemment modalisée par le verbe « je crois » (l. 26), que Mme de Clèves a reconnu le duc de Nemours : le trouble de Mme de Clèves se comprend bien : « Mme de Clèves […] paraissait un peu embarrassée » (l. 28-29). Admettre qu’elle a reconnu M. de Nemours, c’est reconnaître en sa présence le charme et la séduction qui sont les siens. D’une certaine manière, la deuxième réplique de la reine dauphine place Mme de Clèves dans une situation encore plus délicate puisqu’elle 57 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 57 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur suppose que celle-ci est troublée au point de vouloir pas admettre ses sentiments. Le roi et les reines sont donc à la fois les ordonnateurs de la rencontre et ceux qui mettent les deux héros face à leurs sentiments naissants, en même temps qu’ils sont les maîtres des cérémonies. Synthèse Le lieu commande le luxe et l’élégance, et encore plus le moment choisi : des fiançailles royales. Toute la rencontre est donc marquée par le culte du paraître. Les personnages présents donnent à la rencontre tout son sens : il s’agit d’une rencontre placée sous le regard des autres, largement organisée et commandée par les personnes royales : le duc de Nemours et la princesse sont donc contraint de masquer leurs sentiments. GRAMMAIRE Une erreur s’est glissée dans la consigne : la phrase à étudier est la suivant : « Ce prince était fait d’une sorte […] un grand étonnement » (l. 9 à 13). Cette erreur sera corrigée lors de la prochaine réimpression. Cette phrase qui s’organise autour de l’adversatif « mais » établit un strict parallèle entre les sentiments de M. de Nemours et de Mme de Clèves. Le parallélisme est d’ailleurs souligné par l’adverbe « aussi ». À la première proposition « il était difficile de n’être pas surprise de le voir » répond ainsi la deuxième partie de la phrase « il était difficile […] de voir Mme de Clèves sans un grand étonnement ». Dans les deux cas, la narratrice omnisciente insiste, grâce à une litote (« il était difficile de n’être pas surprise de le voir […] »), sur la brillante apparence de chacun des deux personnages qui attirent nécessairement sur eux un regard ébloui. Le mot « étonnement » a encore au XVIIe siècle un sens très fort : comme sous le coup d’une commotion. S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION Quelques critères d’évaluation 1. Le point de vue interne doit être strictement observé (aucun aperçu, donc, sur les sentiments de la princesse, sauf ce que le duc de Nemours peut en deviner). 2. Les données principales devront être respectées : les préparatifs du bal (à envisager du point de vue du duc), son arrivée en retard au bal, le regard ébloui qu’il pose sur elle, leurs yeux qui se rencontrent. PROLONGEMENTS La lecture du portrait de Mlle de Chartres (p. 66 du manuel ES/S et Techno et p. 68 du manuel L/ES/S) permet d’éclairer le récit de rencontre ici présenté. La beauté incomparable de l’héroïne et sa vertu sont des données essentielles pour l’action à venir. Le roman de Mme de Clèves a inspiré nombre de réalisateurs : La Belle Personne de Christophe Honoré transpose en 2008 l’action du roman dans le contexte moderne des lycéens d’aujourd’hui. Par ailleurs, le film documentaire de Régis Sauder, Nous, princesses de Clèves, sorti en 2011, montre comment des adolescents vivent et comprennent ce roman de Mme de La Fayette. PISTES COMPLÉMENTAIRES Lecture d’image (p. 85 du manuel ES/S et Techno et p. 87 du manuel L/ES/S) La Princesse de Clèves, film réalisé par Jean Delannoy en 1960. Ce plan de demi-ensemble concentre l’intérêt sur le couple formé ici par J.-F. Poron et Marina Vlady, entouré de toute la cour. Le travail sur ce plan illustre bien ce que le texte donne à comprendre : l’élégance des parures et le raffinement de la salle de bal, brillamment éclairée sont manifestes. Les mouvements des personnages qui dansent en rythme sont commandés par des codes très précis. On entrevoit aussi la place centrale du couple qui vient de se former, placé sous le regard des autres. Leurs costumes assortis, en blanc et discrètes touches de noir, montrent l’harmonie qui règne entre eux, sensible aussi à la perfection de leurs gestes. Texte 2 – Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678) p. 86 (ES/S et Techno) p. 88 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer l’échec de la liaison. – Étudier une scène romanesque. – Découvrir une héroïne sublime par son renoncement. LECTURE ANALYTIQUE Un dialogue argumenté Ce dialogue a un caractère argumentatif fort. Mme de Clèves exprime ici les raisons qui lui font refuser d’épouser le duc de Nemours, même après la mort de son mari. Deux raisons sont successivement évoquées. La première est la peur de la jalousie et de l’infidélité. La princesse rappelle avec précision à son amant son pouvoir de séducteur. La progression des adverbes (« il y en a peu à qui vous ne plaisiez […] il n’y en a point à qui vous ne puissiez plaire », l. 1 à 3) fait ressortir le charme irrésistible de M. de Nemours. La princesse analyse avec lucidité ses faiblesses tout autant que celle de son amant : 58 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 58 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du « je vous croirais toujours amoureux et aimé et je ne me tromperais pas souvent » (l. 3 à 4). Elle dresse ainsi un tableau hypothétique du malheur qui l’attend si elle cède à ses sentiments. Cet argument du malheur possible et même probable vient s’ajouter à un argument plus conventionnel : sa fidélité, pardelà la mort, à un mari du déclin de qui ils sont tous deux quelque peu responsables. La question rhétorique (« pourrais-je m’accoutumer à celui de voir toujours M. de Clèves vous accuser de sa mort […] », l. 8 à 9) témoigne de son désarroi et de la force du sentiment de culpabilité. À cet argumentaire, M. de Nemours oppose la réalité de l’expérience comme le montre sa question : « croyez-vous le pouvoir, madame ? » (l. 13). Pour le duc, la raison est impuissante face à la force des sentiments partagés. Une phrase résume sa pensée, en lui donnant une valeur généralisante grâce à l’emploi du « nous » et du présent de vérité générale : « il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plaît et ce qui nous aime » (l. 15 à 16). Une scène pathétique Ce passage est une scène romanesque : le narrateur raconte comme en temps réel les faits et gestes et les propos des personnages. Le dialogue privilégie des répliques longues, à la manière des tirades au théâtre. Les propos des personnages sont marqués par des exclamations fortes, des questions – toute une ponctuation expressive qui fait ressortir leur émotion. Mais cette émotion apparaît aussi dans les gestes et les attitudes des personnages qui, comme au théâtre, soulignent le discours. Les larmes des deux héros, le geste de M. de Nemours, se jetant aux pieds de Mme de Clèves, tout fait ressortir une émotion forte, marque du registre pathétique. La dernière réplique de la princesse invoque d’ailleurs la cruauté du destin qui les sépare au travers d’une série de questions rhétoriques, suscitant la pitié du lecteur pour ces amants malheureux. De la rencontre à la séparation : la naissance d’une héroïne sublime Cependant, cette scène empreinte d’émotion voit naître une héroïne nouvelle. Madame de Clèves, belle et vertueuse, se dépasse ici, par la difficulté de son choix, comme elle le souligne elle-même, par le recours à l’hyperbole : « Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends » (l. 23 à 25). En cela, elle répond d’ailleurs à la question posée plus haut par Monsieur de Nemours : « croyez-vous le pouvoir, madame ? » (l. 13). À deux reprises, elle emploie la même expression : « je me défie de mes forces » (l. 26), « je me défie de moi-même » (l. 33 à 34) pour montrer la fragilité du cœur humain. Mais elle oppose toute sa volonté à sa passion dans un geste sublime qui fait d’elle une véritable héroïne. Les épreuves qu’elle a traversées, et notamment la mort de son mari, ont fait d’elle une femme déterminée : elle lui rend ici un hommage ému, en parlant de XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 la force de « son attachement » pour elle. Une phrase résume d’ailleurs la position de la princesse et le nœud d’arguments qui fonde son renoncement : son devoir (« ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves », l. 27 à 28) est conforté par « les raisons de son repos » (l. 31) : l’aspiration à la sérénité et au calme des passions. Par sa méfiance des passions et son désir d’une forme d’ataraxie, Mme de Clèves représente l’exemple même de l’héroïne classique. Mais, par la force de sa volonté, qui touche au sublime, elle fait surtout penser aux héros cornéliens. Synthèse La confrontation de ces deux textes permet de mesurer l’évolution de Mme de Clèves et la naissance d’une héroïne. Dans le texte 1, la princesse est une très jeune femme qui vient juste de se marier et qui tombe sous le charme de M. de Nemours, même si elle ne veut pas l’avouer ou se l’avouer. Elle subit donc la séduction d’une soirée brillante et d’un homme. C’est une tout autre femme que nous découvrons dans le texte 2 : elle a connu toute la passion et les affres de la jalousie, elle a vécu la douleur du deuil et de la séparation d’avec un homme qui l’aimait tendrement. Elle est capable maintenant de faire ses choix et de définir les valeurs qui sont pour elle une priorité, son repos et son devoir – et elle est donc prête à renoncer à la passion. S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION Le sujet contient une notion simple, qu’il faut d’abord définir : le personnage positif se caractérise un ensemble de qualités physiques et/ou morales. Dans la première partie de la dissertation, on peut attendre deux ou trois paragraphes argumentatifs montrant pourquoi le lecteur de roman peut préférer un personnage positif : – parce que cela facilite l’identification au héros, on est donc plus impliqué dans le roman ; – parce que le personnage positif incarne des valeurs, peut servir de modèle au lecteur ; – parce que le personnage positif fait rêver, se distinguant par sa simplicité même de la complexité des personnes réelles. PROLONGEMENTS 1. La Princesse de Montpensier est une autre nouvelle historique de Mme de La Fayette qui met en scène un personnage dans une situation assez comparable : Mme de Montpensier a fait un mariage de raison, sans amour, mais elle est éprise du duc de Guise. Il est possible de comparer et d’opposer ces deux princesses, puisque Mme de Montpensier oublie son devoir jusqu’à avouer son amour au duc de Guise, et lui fixer un rendez-vous privé dans ses appartements. La nouvelle finit d’ailleurs de manière tragique. 59 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 59 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur 2. On peut aussi comparer Mme de Clèves aux grands héros cornéliens qui font taire leurs passions et se maîtrisent dans un élan héroïque de générosité. On pense à Cinna (1643) de Pierre Corneille : à l’acte v scène 3, Auguste domine sa colère et pardonne à ceux qui l’ont trahi et qui ont voulu l’assassiner : « Je suis maître de moi comme de l’univers ; Je le suis, je veux l’être. O siècles, ô mémoire ! Conservez à jamais ma dernière victoire ! Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu’à vous. » 3. On pense enfin à Lise, la servante de L’Illusion comique (1635) de Pierre Corneille qui, à l’acte IV scène 3, décide de sacrifier par générosité son amour pour Clindor et de l’aider dans sa conquête d’Isabelle. La mise en scène émouvante d’une passion impossible PISTE COMPLÉMENTAIRE Sujet d’invention Mme de Clèves écrit une lettre à son parent, le vidame de Chartres, pour lui exposer la décision qu’elle a prise à l’égard de M. de Nemours et les raisons qui l’y ont conduite. Vous veillerez à respecter les termes du débat intérieur qui a été le sien. Textes 3 et 4 – L’Abbé Prévost, Manon Lescaut (1731) p. 88 (ES/S et Techno) p. 90 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir le récit rétrospectif à la 1re personne. – Étudier une passion fatale. – Découvrir comment la fatalité détermine le comportement des personnages. LECTURE ANALYTIQUE Une analyse tourmenté rétrospective d’un récit rétrospectif, fait à un interlocuteur compatissant, le récit des scènes de rencontre et de séparation prend une dimension particulière. par son expérience, le narrateur fait ainsi une analyse particulièrement lucide de sa rencontre avec Manon : il donne des informations sur l’histoire familiale et personnelle de Manon qu’il n’a pu découvrir que bien après : « C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent […] » (Texte 3, l. 19). On peut même parler d’une prolepse dans laquelle le narrateur évoque, dès le récit de rencontre, l’avenir malheureux de son amour : « […] son penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré, et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens » (Texte 3, l. 20-21). Le regard qu’il porte sur son passé est désabusé. La joie de la rencontre et son éblouissement se teinte d’emblée de mélancolie. passé Le narrateur s’adresse à son interlocuteur qu’il prend à témoin de son malheur. Les marques personnelles et l’emploi du présent de l’énonciation permettent d’identifier clairement la situation de communication : « pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue » (Texte 4, l. 1). Le narrateur s’excuse et s’explique des difficultés à mener son récit. Le terme « horreur » (Texte 4, l. 3-4) témoigne de la force de ses sentiments. De la même manière, la conclusion du récit ressemble à une promesse, un engagement que Des Grieux vieilli adresse à son interlocuteur : « Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse. » (Texte 4, l. 20). Grâce à ce choix d’un Dans le récit de rencontre, le narrateur s’attache à faire observer toutes les différences entre le jeune homme qu’il était et Manon. L’ingénuité du jeune homme qu’il était (« moi qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes […] », Texte 3, l. 7-8) contraste avec le caractère averti de la jeune femme : « car elle était bien plus expérimentée que moi » (Texte 3, l. 18-19). Le jeune homme s’apprête à entrer au couvent par conviction religieuse, alors que Manon y est envoyée pour freiner sa nature dévoyée : « […] pour arrêter sans doute son penchant au plaisir […] » (Texte 3, l. 19-20). La timidité du jeune homme (« J’avais le défaut d’être excessivement timide […] », Texte 3, l. 10-11) contraste avec l’assurance de la jeune femme : « […] elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. » (Texte 3, l. 13). Toutes ces différences montrent donc combien cet amour sera difficile, voire impossible. On comprend que cette passion ne pourra aboutir qu’à la mort ou la séparation, au moins à la souffrance des deux amants. Et c’est en effet un récit pathétique de la mort de Manon que dresse le narrateur dans le deuxième texte. L’émotion est ici double : celle du narrateur redouble celle du jeune homme qu’il était. Le narrateur utilise des hyperboles pour faire ressortir ses émotions, au moment de raconter ce terrible épisode de sa VIe : « un récit qui me tue » (Texte 4, l. 1), « toute ma VIe est destinée à le pleurer » (Texte 4, l. 2). Une prolepse nous montre l’avenir de chagrin qui l’attend : « toute ma VIe est destinée à le pleurer » (Texte 4, l. 2). Mais l’ampleur du chagrin conduit le narrateur à abréger son récit : « C’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre […] » (Texte 4, l. 16-17). La force de l’émotion conduit donc à une sorte d’ellipse : « Je la perdis » (Texte 4, l. 15). De la rencontre à la séparation : une passion destructrice Le dernier paragraphe du texte s’inscrit clairement dans le registre tragique avec la mort cruelle de 60 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 60 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Manon. Le narrateur nous montre en effet la fatalité en marche, la colère de Dieu qui s’acharne contre les jeunes amants qu’ils étaient : « Le Ciel ne me trouva point […] assez rigoureusement puni. » (Texte 4, l. 18-19). L’expression qui précède « ce fatal et déplorable événement » (Texte 4, l. 17) souligne bien les sentiments de terreur et pitié inspirés par cet évènement. Le personnage de Des Grieux, amant tendre et fidèle, mais qui a mené une existence assez frivole aux côtés d’une courtisane, devient ainsi un héros tragique et gagne une profondeur nouvelle. Si la passion aboutit à la mort, ce dénouement paraît d’autant plus cruel que le narrateur s’attache à montrer la rédemption de Manon. La jeune femme, qui a cruellement fait souffrir son amant par sa légèreté et sa frivolité apparaît ici métamorphosée. La maîtresse de Des Grieux se fait tendre et cette métamorphose finale n’est pas sans rappeler celle de Des Grieux lui-même au moment de sa rencontre avec Manon : le jeune homme découvrait l’amour passion tout comme Manon découvre ici la tendresse. Les derniers moments du jeune couple sont donc des moments de douceur et d’émotion qui s’expriment par des gestes tendres : « […] le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes […] » (Texte 4, l. 12-13). Ce sont des moments où l’amour enfin peut s’exprimer. Le narrateur souligne l’ironie cruel du sort qui fait que l’amour de Manon se manifeste ainsi, trop tard : « je reçus d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait. » (Texte 4, l. 15-16). Synthèse Le choix d’un récit à la première personne présente ici deux avantages manifestes. D’abord, on épouse le point de vue de Des Grieux, on partage donc ses émotions, ses sentiments, et donc on ressent plus douloureusement toute l’horreur de la mort de Manon. Ensuite, le narrateur, qui a vieilli, analyse avec plus de lucidité les évènements qu’il a vécus et donc enrichit son récit de ses réflexions personnelles. VOCABULAIRE Le mot « fortune » vient du latin fortuna, le sort, le hasard. Il désigne donc ici ce que l’on ne maîtrise pas, les forces qui nous échappent et nous accablent parfois, accentuant ainsi l’idée du destin. S’ENTRAÎNER AU COMMEN TAIRE Dès le texte de rencontre, on peut déceler en effet la mise en scène d’un héros victime de la fatalité. Cette fatalité ressort d’abord des circonstances et du déroulement de la rencontre : le hasard funeste qui conduit le jeune homme dans une cour d’auberge au moment de l’arrivée de Manon (« Nous n’avions d’autre motif que la curiosité », Texte 3, l. 3-4) ; la naissance d’une passion aussi brutale qu’improbable. Le XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 narrateur se plaît à souligner le caractère improbable de cette passion en rappelant avec emphase quel jeune homme il était (« moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes […] moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue […] », Texte 3, l. 7 à 9). Mais les réflexions du narrateur contribuent aussi à donner toute son ampleur au motif du destin, puisqu’il insiste sur les différences entre Manon et lui, donc sur l’impossibilité d’une passion qui ne peut avoir qu’un avenir malheureux. PROLONGEMENT On pourra prolonger cette étude en proposant un autre texte de ce même roman, situé entre les Textes 3 et 4. Des Grieux est plongé dans un profond désarroi : Manon, qui l’a quitté pour un vieil amant riche, lui propose de se faire passer pour son frère et venir vivre aux frais de cet amant. Je m’assis en rêvant à cette bizarre disposition de mon sort. Je me trouvai dans un partage de sentiments, et par conséquent dans une incertitude si difficile à terminer, que je demeurai longtemps sans répondre à quantité de questions que Lescaut1 me faisait l’une sur l’autre. Ce fut dans ce moment que l’honneur et la vertu me firent sentir encore les pointes du remords, et que je jetai les yeux, en soupirant, vers Amiens, vers la maison de mon père, vers Saint-Sulpice2 , et vers tous les lieux où j’avais vécu dans l’innocence. Par quel immense espace n’étais-je pas séparé de cet heureux état ! Je ne le voyais plus que de loin, comme une ombre qui s’attirait encore mes regrets et mes désirs, mais trop faible pour exciter mes efforts. Par quelle fatalité, disais-je, suis-je devenu si criminel ? L’amour est une passion innocente ; comment s’est-il changé, pour moi, en une source de misères et de désordres ? Qui m’empêchait de vivre tranquille et vertueux avec Manon ? Pourquoi ne l’épousais-je point, avant que d’obtenir rien de son amour ? 1. le frère de Manon, qui lui sert ici d’intermédiaire. 2. le séminaire où Des Grieux a passé quelques années. Ce court passage permet de retrouver les caractéristiques de l’écriture du roman : l’écriture rétrospective et les réflexions du narrateur qui épouse le drame de la conscience du jeune homme qu’il était ; le héros tragique, en proie ici au remords ; la délibération intérieure. PISTES COMPLÉMENTAIRES 1. Autre synthèse possible Le roman de l’Abbé Prévost a eu un succès immédiat mais teinté d’une aura scandaleuse. Un critique écrit en 1733 : « Ce livre est écrit avec tant d’art et d’une façon si intéressante, que l’on voit les honnêtes gens même s’attendrir en faveur d’un escroc et d’une catin. » (Journal de la cour et de la ville, 21 juin 1733). Pourquoi ce roman a-t-il pu justifier un tel jugement ? 61 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 61 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur 2. Contexte historique XVIIIe Le roman se déroule au début du siècle, dans une ambiance de libertinage et de corruption qui n’est pas sans rappeler le film historique de Bertrand Tavernier, Que la fête commence : on pourra en proposer quelques extraits aux élèves. yeux se rencontrèrent. » (l. 36) Le lecteur peut donc supposer que cette rencontre ne sera pas sans lendemain, même si les circonstances et le déroulement de la rencontre semblent rendre difficile l’établissement d’une relation partagée et harmonieuse entre les personnages. La mise en scène d’un idéal féminin Texte 5 – Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869) p. 90 (ES/S et Techno) p. 92 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Revoir le point de vue interne. – Étudier un portrait de femme. – Découvrir un récit de rencontre moderne. LECTURE ANALYTIQUE Une rencontre : un coup de foudre Pour ce récit de rencontre, le narrateur utilise exclusivement le point de vue interne : le lecteur est plongé dans la conscience de Frédéric et partage ses sensations, ses sentiments, au moment où il découvre Madame Arnoux. Le mot « éblouissement » (l. 3), l’emploi du verbe « regarda » (l. 5) juste avant la description de Madame Arnoux, tout montre ici le point de vue interne, comme le fait d’ailleurs que la belle inconnue ne soit jamais nommée, puisque Frédéric ne la connaît pas encore. On épouse le cheminement sentimental du jeune homme. D’abord ébloui, stupéfait (« il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement », l. 16-17), il est en proie ensuite à une « curiosité douloureuse » (l. 20-21) qui s’exprime par les questions qu’il se pose, rapportées au discours indirect libre. L’imagination de Frédéric s’enflamme, au fil de cette observation, et on découvre les hypothèses qu’il fait : « Il la supposait d’origine andalouse […] » (l. 28). L’emploi du modalisateur « Elle avait dû, bien des fois, […] » (l. 31) témoigne des réflexions de Frédéric : l’impatience de mieux connaître la jeune femme aboutit à la reconstruction imaginaire de son passé. Ce récit de rencontre, parce qu’il est mené au travers de la conscience de Frédéric, nous permet donc de mieux le connaître : on voit la candeur du jeune homme, sa naïveté, son besoin d’aimer et d’être aimé, son imaginaire romanesque. Ces traits de caractère sont d’ailleurs aussi sensibles au travers des tentatives maladroites du jeune homme pour approcher la jeune femme : « il se planta tout près de son ombrelle » (l. 13). Le narrateur n’est pas sans exprimer ici une ponte d’humour à l’égard de ce qu’il appelle d’ailleurs « une manœuvre » (l. 13). Cependant, toute cette rencontre à sens unique, d’une certaine manière, finit par aboutir à cette remarque, mise en valeur par la disposition typographique, le « blanc » qui la sépare et l’isole : « Leurs La première phrase du texte évoque un vers blanc, un octosyllabe pris dans la prose, conférant d’emblée à l’écriture un caractère poétique. Il s’agit de souligner l’importance de ce premier regard, comme le montre aussi l’emploi du mot « apparition » (l. 1) qui s’inscrit dans un lexique religieux. Le mot « éblouissement » (l. 3) confirme l’aura presque religieuse de la jeune femme aux yeux de Frédéric, tout comme son geste réflexe : « il fléchit involontairement les épaules » (l. 4). On peut en déduire que cette rencontre aura une influence déterminante sur le reste de sa VIe. Le portrait de Madame Arnoux témoigne de son côté de l’influence de la peinture sur l’écriture de Flaubert. Il s’agit d’un portrait en pied, qui suit le regard de Frédéric : du « chapeau de paille » (l. 6) jusqu’à la « robe de mousseline claire » (l. 9). L’importance des notations de couleur ou de nuance (« rubans roses », l. 6 ; « bandeaux noirs », l. 7 ; « mousseline claire », l. 9 ; « air bleu », l. 11) témoigne de ce travail presque pictural, tout comme le jeu sur les contrastes entre le personnage et « le fond de l’air bleu » (l. 11). Le portrait ainsi dressé contient de nombreuses indications de mouvement : il s’agit comme d’un instant arrêté, d’une VIe immobilisée et saisie sur le vif par l’écriture du narrateur : « palpitaient » (l. 6), « contournant » (l. 7), « descendaient » (l. 8), « presser » (l. 8), « se répandait » (l. 9). La technique rappelle évidemment ici celle des peintres impressionnistes. Enfin, Madame Arnoux incarne d’emblée, aux yeux de Frédéric, un idéal féminin. De nombreux termes signalent l’admiration du jeune homme : le lexique mélioratif associé à la description dans un groupe ternaire (« splendeur de sa peau brune », l. 15 ; « séduction de cette taille », l. 15 ; « finesse des doigts », l. 16) témoigne de sa fascination. Le mot « amoureusement » (l. 8), curieusement associé aux bandeaux, pourrait être aussi une hypallage et témoigner plutôt du sentiment du jeune homme. Madame Arnoux représente en fait un modèle de beauté exotique, idéal féminin qui s’impose en cette fin de XIXe siècle. La « peau brune » (l. 15) et les « bandeaux noirs » (l. 7) composent cette beauté nouvelle. L’imagination de Frédéric prête d’ailleurs à Madame Arnoux une « origine andalouse, créole peut-être » (l. 28) : hypothèse renforcée par la présence de la nourrice : « elle avait ramené des îles cette négresse avec elle » (l. 28-29). Synthèse Différents facteurs font l’originalité de ce récit de rencontre : le choix d’un récit en point de vue interne d’abord qui ne nous permet pas d’avoir accès au vécu de Mme Arnoux ; le choix du cadre (un lieu 62 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 62 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du public, mais qui autorise en même temps des aperçus sur la VIe privé des gens) ; l’absence de rencontre à proprement parler, puisque l’action se limite aux tourments de la conscience de Frédéric et à un échange de regards. GRAMMAIRE Cette question rapporte les pensées de Frédéric au discours indirect libre. Le narrateur nous plonge dans la conscience de Frédéric et nous fait partager ici sa « curiosité douloureuse » pour Mme Arnoux. Il s’agit donc d’une question que le jeune homme se pose à lui-même. D’autres exemples de ce même discours sont présents dans le texte : aux lignes 28-29 peut-être (« elle avait ramené des îles cette négresse avec elle »), aux lignes 31-32 sûrement (« Elle avait dû bien des fois […] dormir dedans ! ») comme le montre ici la modalité exclamative. S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION Différents arguments permettent d’étayer l’idée que le roman permet de donner un accès privilégié à la connaissance du cœur humain. Le lecteur a d’abord la possibilité de découvrir ces états de conscience de l’intérieur puisque le narrateur peut privilégier le point de vue interne ou omniscient. Il peut expérimenter, au travers de personnages de fiction, des sentiments qu’il n’a pas encore éprouvés : la violence de la jalousie par exemple, ou la douleur d’un amour non réciproque. Le romancier, analyste du cœur humain, peut déployer grâce à son talent des états de conscience subtils et les faire partager au lecteur : dilemmes, sentiments contradictoires. PROLONGEMENTS On peut opposer à cette série de récits de rencontres amoureuses la première page d’Aurélien d’Aragon, nettement plus provocatrice : La première fois qu’Aurélien rencontra Bérénice, il la trouva franchement laide. Un extrait d’Un amour de Swann peut permettre d’initier les élèves aux formes du discours proustien. Mais, tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né de la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants, en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d’autrefois, qui lui avait parlé d’Odette de Crécy comme d’une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu’elle n’était en réalité afi n de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d’un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, qui lui causait XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l’opposé du type que nos sens réclament. Pour lui plaire elle avait un profi l trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux, mais si grands qu’ils fléchissaient sous leur propre masse, fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient l’air d’avoir mauvaise mine ou d’être de mauvaise humeur. PISTES COMPLÉMENTAIRES Sujet d’invention Le texte se prête à réécriture avec changement de point de vue, soit en point de vue omniscient, soit en empruntant le point de vue de Mme Arnoux pour mieux faire ressortir la cruelle disproportion des sentiments entre personnages. Autres sujets possibles pour l’oral Comment le personnage de la belle inconnue est-il mis en valeur ? Pourquoi le travail de l’écrivain ici peut-il être rapproché d’un peintre de la VIe moderne ? Lecture d’image : Claude Monet, La Femme à l’ombrelle (1875) p. 91 (ES/S et Techno) p. 93 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Comprendre les enjeux de la peinture impressionniste. – Être sensible à la nouveauté d’un tableau, à sa modernité. Le confronter à une tradition. – Comparer un style pictural et un style littéraire ; LECTURE ANALYTIQUE Une image printanière La composition de ce tableau joue sur plusieurs plans. Au premier plan, la végétation, ondoyante, qui effleure et masque la robe de mousseline blanche du personnage principal ; au deuxième plan, la jeune femme ellemême ; au troisième plan, à sa gauche le buste d’un petit garçon qui émerge des hautes herbes ; au dernier plan, un ciel nuageux de printemps. Les modèles sont sans doute la compagne de l’artiste et son fils, qu’il se plaît à dessiner à cette époque dans les paysages du Val d’Oise qui lui sont chers. Les personnages occupent une place importante dans la toile et le centre géométrique de celle-ci se trouve entre les deux modèles. Le spectateur se trouve comme situé légèrement en contrebas par rapport à la toile. Cet angle d’observation produit comme une contre-plongée qui contribue à agrandir et affiner la silhouette du 63 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 63 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur personnage féminin principal. Par ailleurs, l’ombre de la jeune femme qui se détache au premier plan montre que la lumière est derrière les personnages, ce qui contribue aussi à les mettre en valeur. Un instant d’éternité L’impression de mouvement est ici donnée par le caractère tourmenté du ciel, déchiré par des nuages : il occupe les deux tiers de la toile. La végétation semble comme balancée au vent. Le mouvement de la jupe de la jeune femme, emportée, le travail sur les tissus légers, tout contribue à créer ici l’illusion du vent. Il s’agit ici d’un instant que le l’artiste a voulu comme arrêter, saisir sur le vif. C’est là une des caractéristiques essentielles de l’impressionnisme, cette tentative de fixer un moment fugitif sur la toile. Le peintre crée une ambiance d’harmonie par un travail sur une palette de couleurs opposées, chaudes (notes jaunes et orangées dans l’herbe) et froides (le ciel, l’herbe). A bien des égards, le travail du peintre rappelle celui de l’écrivain Flaubert, quand il évoque l’« apparition » de Mme Arnoux : la jeune femme d’une beauté aérienne semble ici surgie de nulle part, mais elle capte toute l’attention du spectateur. Synthèse L’artiste peintre cherche comme l’écrivain à capter la magie d’un moment. Comme lui, il est sensible à la beauté d’une jeune femme : l’importance du modèle féminin dans la toile rappelle le développement et la précision de la description de Mme Arnoux. Comme lui, il fait un portrait en pied en privilégiant des nuances claires et des tissus légers, qui donnent le sentiment d’une beauté aérienne. Comme lui enfin, il cherche à susciter l’émotion du spectateur, en créant un mouvement éphémère. PROLONGEMENTS 1. On pourra étudier des toiles phares de l’impressionnisme : Impression soleil levant ou Le Parlement de Londres au soleil couchant. Ces paysages permettront d’aborder sous un autre angle l’œuvre de Monet en en rappelant la modernité. Peintre épris de lumière naturelle, et de travail en plein air, Monet aime ces ambiances dans lesquelles les formes se dissolvent au rythme de la lumière. 2. Les liens entre littérature et peinture peuvent être abordés au travers de l’intrigue de L’Oeuvre de Zola : Claude Lantier est un peintre de génie qui se heurte à l’incompréhension du public et finit par sombrer dans la folie. Texte 6 – Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869) p. 92 (ES/S et Techno) p. 94 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Identifier un récit moderne. – Découvrir un jeu complexe sur les registres. – Apprécier l’importance du temps dans l’évolution des personnages. LECTURE ANALYTIQUE Une communion romantique des personnages Les retrouvailles des personnages se font dans un climat de tendre harmonie. La première phrase du texte (« Ils sortirent »), mise en valeur par la disposition typographique, souligne la complicité des anciens amants, grâce à l’emploi du pronom personnel qui les confond dans un ensemble et dans un même mouvement. Dans le paragraphe qui suit, cette harmonie est marquée par le contraste entre les bruits de la ville qui les entourent durant leur promenade et la concentration qui est la leur : le recours aux oppositions (« sans se distraire », l. 4 ; « sans rien entendre », l. 4) fait ressortir cet extrême resserrement des personnages sur eux-mêmes que seul permet peut-être paradoxalement l’ambiance sonore de la ville, mise en valeur par un groupe ternaire : « au milieu des voitures, de la foule et du bruit » (l. 3). Pour souligner ce paradoxe, le narrateur recourt d’ailleurs à une comparaison décalée qui établit un rapprochement insolite entre cette promenade dans un décor urbain, et une promenade « dans la campagne » (l. 5). La communion des personnages se marque aussi par les propos échangés, résumés dans un sommaire : « ils se racontèrent leurs anciens jours » (l. 6). La conversation est empreinte de nostalgie puisqu’elle porte essentiellement sur les jours passés, comme le marquent les deux énumérations du même paragraphe, qui rassemblent leurs petits souvenirs. L’intimité des anciens amants au sein même de la foule, leur mélancolie dans une ambiance nocturne, tout contribue donc à créer un climat en apparence romantique. Un récit subverti par l’ironie Cependant, il est difficile de ne pas sentir, derrière cette ambiance en demi-teintes, les éléments discrets de l’ironie du narrateur à l’égard de ses personnages. Cette ironie peut se lire déjà au travers de la double énumération qui rassemble les fragments de leur passé. À côté de moments d’émotion forte sont introduits en effet des éléments particulièrement plats et triviaux : « ils se racontèrent […] les manies d’Arnoux […] » (l. 6-7). Curieusement, le narrateur choisit de glisser sur les « [...] choses plus intimes et plus profondes » (l. 8) qu’échangent les personnages. 64 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 64 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du La deuxième énumération conclut sur des souvenirs encore plus extérieurs (« d’anciens domestiques, sa négresse », l. 11-12) comme si les personnages peinaient finalement à établir entre eux un vrai climat de confidence et d’intimité. L’ironie du narrateur apparaît tout aussi clairement au travers du dialogue qu’il prête à ses personnages. La première observation de Madame Arnoux qui compare les paroles passées de Frédéric au « son d’une cloche apportée par le vent » (l. 14-15) n’est pas loin de faire sourire, tant elle est plate et convenue – sans même parler de l’analogie peu heureuse établie entre Frédéric et « une cloche » ! Le dialogue qui suit, particulièrement bref, est un échange tout aussi convenu de platitudes polies qui expriment des regrets de circonstances. Les exclamations qui ponctuent ces déclarations très sèches témoignent aussi d’une émotion fort retenue. L’ensemble fait ressortir un embarras poli d’amants qui n’ont plus grand-chose à se dire (même si cela est sans doute particulièrement vrai du seul Frédéric) que le narrateur se plaît à souligner. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 GRAMMAIRE Le narrateur utilise ici en alternance le passé simple, pour les actions ponctuelles des personnages, et l’imparfait, temps de la description dans le deuxième paragraphe. Le plus-que-parfait est le temps du bilan dans le passé, dressé mélancoliquement par les personnages : « Quel ravissement il avait eu […] » (l. 8-9). S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE La désunion des personnages apparaît de manière manifeste au moment du dénouement : les « cheveux blancs » (l. 34) de Mme Arnoux marquent le temps qui a passé et les sépare de manière maintenant irréversible. Cette désunion se pressent aussi à la banalité de leurs paroles et de leurs souvenirs. Le décor urbain nocturne, empreint de mélancolie, extériorise le mal être des personnages qui ont perdu leur chance d’aimer. De la rencontre à la séparation : l’échec et le renoncement des personnages PROLONGEMENTS L’échec de l’amour est mis en valeur, d’emblée, par l’ambiance crépusculaire du moment choisi : le soir, la ville. On est loin de l’éclatant moment de la rencontre entre les personnages. Une atmosphère de clair-obscur mélancolique baigne la scène avec le contraste entre « la lueur des boutiques » (l. 2) et « l’ombre » (l. 2) qui « enveloppait » (l. 3) les héros. Cet échec est surtout sensible cependant dans la toute fin du texte. La beauté et la jeunesse de Madame Arnoux sont loin : « ses cheveux blancs » (l. 34) s’opposent à « ses bandeaux noirs » (Texte 5, l. 7) qui entouraient si « amoureusement » (Texte 5, l. 8) son visage. La déception de Frédéric est sensible et accentuée par le narrateur grâce à une comparaison « comme un heurt » (l. 34). Le choc des monosyllabes (« ce lui fut comme un heurt », l. 34) fait ressortir la violence de ce moment. Les sentiments sont loin et les personnages s’en sont curieusement détachés comme le montre leur échange presque banal, comme le montre aussi et surtout l’expression étrange « ses souffrances […] étaient payées » (l. 32). La métaphore, saisissante, indique bien une clôture, la fin d’un élan. Les Mémoires d’un fou de Gustave Flaubert est un roman de jeunesse de l’écrivain, en partie autobiographique, inspiré par son amour pour une femme plus âgée que lui, Élisa Schlésinger. Ce roman servira de matrice à L’Éducation sentimentale. Voici le récit de leur rencontre. Synthèse La comparaison des deux textes fait ressortir l’évolution du personnage de Frédéric. Le jeune homme admiratif d’autrefois découvre comme un choc la métamorphose physique de Mme Arnoux. Le jeune homme plein d’espoirs, qui voulait tout connaître de la belle inconnue, évoque maintenant avec elle les petites anecdotes médiocres de leur passé commun, et ce qu’ils ont vécu ensemble est très loin du désir qui l’emplissait. Le jeune homme plein d’illusions romanesques et d’imaginations poétiques tient maintenant des propos banals avec celle qu’il a aimée. J’allais souvent seul me promener sur la grève. Un jour, le hasard me fit aller vers l’endroit où l’on se baignait. C’était une place, non loin des dernières maisons du village, fréquentée plus spécialement pour cet usage ; hommes et femmes nageaient ensemble, on se déshabillait sur le rivage ou dans sa maison et on laissait son manteau sur le sable. Ce jour-là, une charmante pelisse rouge avec des raies noires était laissée sur le rivage. La marée montait, le rivage était festonné d’écume ; déjà un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l’ôtai pour le placer au loin – l’étoffe en était moelleuse et légère, c’était un manteau de femme. Apparemment on m’avait vu, car le jour même, au repas de midi, et comme tout le monde mangeait dans une salle commune, à l’auberge où nous étions logés, j’entendis quelqu’un qui me disait : – Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie. Je me retournai, c’était une jeune femme assise avec son mari à la table voisine. – Quoi donc ? lui demandai-je, préoccupé. – D’avoir ramassé mon manteau ; n’est-ce pas vous ? – Oui, madame, repris-je, embarrassé. Elle me regarda. Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet ! Comme elle était belle, cette femme ! Je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fi xer sur moi comme un soleil. Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux 65 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 65 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l’or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d’azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. […] Elle avait une robe fine, de mousseline blanche, qui laissait voir les contours moelleux de son bras. Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote blanche avec un seul nœud rose ; elle le noua d’une main fine et potelée, une de ces mains dont on rêve longtemps et qu’on brûlerait de baisers. On pourra faire travailler les élèves sur les points communs entre ces textes : la beauté brune, le coup de foudre, le décor maritime ou fluvial, le motif du châle qui relie les personnages. Mais on peut aussi monter comment les matériaux présents dans le texte source sont transformés par l’écriture poétique : la magie de la rencontre opère en silence dans le seul Frédéric subjugué. PISTES COMPLÉMENTAIRES On pourra comparer les trois textes de séparation (textes 2,4 et 6) pour examiner les formes de l’échec de l’amour : la rupture, la mort, le renoncement. La confrontation du héros au monde aboutit à des choix différent : acte sublime de l’héroïne classique, issue fatale pour les héros libertins qui se sont rachetés trop tard, enlisement et médiocrité pour les âmes bourgeoises qui n’ont pas fait de l’amour une priorité. « mon Dieu, qu’il parte. » (l. 4). La peur panique se traduit aussi chez Ariane par des signes quasi physiologiques (« ses lèvres sèches », l. 9) et dans sa réaction incontrôlée quand il s’approche d’elle : « recula avec un cri rauque » (l. 14-15). La comédie montée par Solal est l’élément essentiel qui contribue au renouvellement du topos. Il se présente en vieillard horrible et suppliant aux pieds d’Ariane. Quelques indices cependant sont assez révélateurs de la comédie qu’il joue : l’insistance avec laquelle le vieillard présumé signale sa décrépitude (« deux dents seulement », l. 6), la question absurde : « Deux dents seulement, je te les offre avec mon amour, veux-tu de cet amour ? » (l. 8). On n’est pas loin ici du registre burlesque, à cause du travestissement de Solal bien sûr, mais aussi à cause du contraste plaisant entre l’apparence affichée et le rôle de pseudo séducteur. Cependant, les raisons de cette comédie transparaissent dans la suite de la scène au travers du discours furieux de Solal déçu, qui a jeté son déguisement. Il avait bien avant tout l’espoir de trouver une femme à nulle autre pareille, celle qui l’aurait aimé indépendamment de son apparence physique, celle qui aurait su dépasser les apparences seules : le vieillard évoquait d’ailleurs « celle qui rachetait toutes les femmes » (l. 13-14), « la première lumière » (l. 11). Solal exprime avec fureur ses regrets sur cette rencontre qui ne s’est pas réalisée comme il le voulait : l’emploi du conditionnel passé (« nous aurions chevauché », l. 30-31 ; « je t’aurais emportée », l. 32) signale son amertume. La mise en scène du seigneur Texte 7 – Albert Cohen, Belle du seigneur (1968) p. 94 (ES/S et Techno) p. 96 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier un récit de rencontre décalé. – Découvrir un choc de personnages. – Examiner un style novateur. LECTURE ANALYTIQUE Un récit de rencontre singulier Le narrateur propose ici un récit de rencontre qui renouvelle complètement les lois du genre. Ariane, qui découvre ici Solal sous les traits d’un vieillard grimé, est en effet en proie à un sentiment dominant d’horreur. Cette répulsion est rendue sensible par les fragments de monologue intérieur qui nous permettent de plonger dans ses pensées. L’anaphore « Atroce » (l. 1 et 2) marque ce sentiment dominant, tout comme les fragments de description qui nous montrent Solal tel que le voit Ariane : « ce sourire sans dents » (l. 1-2), « cette bouche vide » (l. 2). La répulsion engendre une peur panique qui s’exprime en une phrase qui a tout d’une prière : L’apparition de Solal derrière les traits du vieux juif grimé a tout du coup de théâtre. Le narrateur insiste d’abord sur la promptitude de la métamorphose grâce à l’accumulation des verbes d’action qui montre Solal en train de se débarrasser de ses accessoires : « il se débarrassa […] ôta […] détacha […] ramassa » (l. 21 à 23). On épouse ensuite le regard de la jeune femme et on découvre avec elle l’apparence réelle de celui qui l’a tant effrayé : « elle reconnut celui que son mari lui avait […] montré de loin » (l. 26). Les éléments de description physique évoqués alors sont bien ceux que perçoit Ariane, et le portrait de Solal est conçu en complète opposition avec le vieillard grimé qu’il jouait. L’expression « haut cavalier » (l. 25) insiste sur sa prestance et sa virilité, renforcée d’ailleurs par l’accessoire de la cravache. Le « visage net et lisse » (l. 25) est celui d’un tout jeune homme dont la beauté est soulignée par la métaphore immédiate : « sombre diamant » (l. 26). L’objectif du narrateur est bien d’insister d’emblée sur la séduction physique exercée par le jeune homme, d’autant plus grande sans doute qu’elle contraste avec l’horreur éprouvée juste avant – le sourire « à belles dents » (l. 28) s’oppose au « noir sourire de vieillesse » (l. 13). Cependant, les derniers propos de Solal sont révélateurs de sa fureur et de 66 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 66 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du son mépris : les insultes pleuvent, termes dégradants qui visent la personne d’Ariane, comme « idiote » (l. 18) et surtout « femelle » (l. 35) qui ravale la jeune femme à un stade animal. Le mépris éclate aussi en paroles humiliantes : « ton nez est soudain trop grand, et de plus, il luit comme un phare. » (l. 34). Solal reproche à Ariane d’être comme toutes celles de son sexe, uniquement attachée au charme extérieur : il parle au nom des « vieux » (l. 39) des « laids » (l. 39) et de « tous les naïfs qui ne savent pas vous séduire » (l. 39-40) – et l’emploi du « vous » montre bien que sa colère ne vise pas ici la seule Ariane. Son arrogance éclate ici aussi dans les menaces qu’il agite, persuadé de son pouvoir de séduction et déterminé à la conquérir à sa guise : « c’est bassement que je te séduirai, […] en deux heures, je te séduirai. » (l. 36-37). L’emploi du futur, la répétition du terme, tout montre ici la fureur de Solal. Mais sa colère donne aussi la mesure de l’intensité de sa déception, lui qui espérait rencontrer la « Belle du seigneur ». Lecture d’image Les deux amoureux de Chagall s’étreignent tendrement ans l’ambiance intime d’un salon fleuri. L’amant enveloppe dans ses bras son amante et leurs deux visages sont tournés l’un vers l’autre. Tout, jusqu’aux couleurs choisies, mélange de couleurs froides et chaudes, évoque une harmonie paisible qui contraste avec la fureur et la violence de la rencontre entre Solal et Ariane. Synthèse Ce récit de rencontre est dérangeant pour de nombreuses raisons. Les sentiments des personnages sont à l’opposé de ce qu’on attend : horreur pour Ariane, déception et mépris pour Solal. Le déroulement de la rencontre est aussi surprenant à cause de la mascarade imaginée par Solal, et des risques pris par son intrusion dans l’intimité. Enfin, et comme on pouvait s’y attendre, la rencontre tourne à la catastrophe et aboutit à une désunion complète entre les deux personnages. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 ception avec Solal, son exigence, sa déraison, son arrogance, sa pureté aussi ; la volonté de surprendre avec la mascarade affreuse imaginée par Solal ; le désir de déstabiliser en jouant des sentiments diamétralement opposés à la rencontre conventionnelle. PROLONGEMENT L’œuvre d’Albert Cohen est profondément marquée par ses origines juives. Il est sans doute nécessaire d’y faire réfléchir ici les élèves. Le narrateur montre comment Solal, par défi, construit une figure affreuse de juif : vieux, édenté, fou. Mais ce personnage construit ainsi cherche à être aimé tel qu’il est, compris, respecté. Le narrateur joue donc sur un étonnant mélange de registres, entre burlesque, et pathétique, pour construire une figure quasi archétypale. PISTES COMPLÉMENTAIRES Autres sujets pour l’oral 1. Comment ce texte narratif propose-t-il une réflexion sur les rapports entre hommes et femme ? 2. Que découvrons-nous des personnages, au travers de ce récit de rencontre ? Pourquoi peut-on dire que ce récit de rencontre est violent ? Texte 8 – Albert Cohen, Belle du seigneur (1968) p. 96 (ES/S et Techno) p. 98 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Étudier un monologue intérieur. – Observer la mise en échec de la passion par la routine et la médiocrité sociale. LECTURE ANALYTIQUE Les sentiments d’Ariane GRAMMAIRE Le caractère impérieux de Solal ressort des phrases exclamatives employées, des verbes à l’impératif présent. Quelques phrases nominales à la ligne 28 montrent son autorité. Les insultes (« femelle », l. 35), les termes répétés (« les sales, les sales moyens », l. 38), les termes péjoratifs montrent son arrogance naturelle qui confine même au machisme. S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION Critères d’évaluation La construction de la situation d’énonciation, une lettre argumentée. Plusieurs arguments sont possibles : le désir de construire un personnage d’ex- Pour nous faire entrer dans la conscience d’Ariane, le narrateur utilise ici le monologue intérieur. L’objectif de ce procédé, particulièrement utilisé au XXe siècle par de grands romanciers anglo-saxons (James Joyce, Virginia Woolf, etc.) est de restituer le flux de la conscience, les pensées telles qu’elles se bousculent, dans un flot continu, sans lien logique nécessaire. Le procédé se repère ici particulièrement bien : chaque paragraphe commence par une phrase narrative liminaire, puis l’apostrophe qui suit montre la plongée d’Ariane dans ses souvenirs : nous entrons dans sa conscience, et nous revivons avec elle le passé, rapporté ici au discours indirect libre : « Toujours, elle lui avait dit. Ensuite, le choral qu’elle avait joué pour lui. » (l. 4-5). Les phrases, parfois nominales, et souvent brisées témoignent du flux continu de la pensée. 67 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 67 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Le registre est ici avant tout lyrique et amoureux, puisqu’Ariane replonge avec émerveillement dans l’émoi des débuts de l’amour. Les apostrophes, les exclamations, les énumérations sont des caractéristiques de ce registre : « ô les débuts, leur temps de Genève, les préparatifs, son bonheur d’être belle pour lui […] » (l. 10-11). De nombreuses répétitions scandent aussi le monologue intérieur, lui donnant presque un caractère musical, la répétition du mot « baisers » (l. 6, 15, 17, 20, 21, 22). Le champ lexical de la religion, très présent dans le texte, montre la ferveur amoureuse d’Ariane pour Solal : « fervent retour » (l. 18), « elle et lui religieux » (l. 20), « roi divin » (l. 31), « Pentecôte » (l. 31). L’être aimé est clairement sacralisé. Le bonheur perdu Les souvenirs surgissent dans la conscience d’Ariane dans un ordre chronologique. C’est d’abord l’émotion de leur premier soir d’amour qui lui revient et qui est longuement évoqué dans le premier paragraphe : « Ô le petit salon du premier soir, son petit salon » (l. 1-2) : Ariane s’attarde sur chaque détail de cette première soirée et se rappelle, même, toutes ses paroles comme autant de promesses : « Toujours, elle lui avait dit […]. Ta femme, elle lui disait […] » (l. 4 à 6). Puis reviennent dans sa mémoire tous « les débuts » : le deuxième paragraphe est une sorte de sommaire qui évoque leurs rituels passés, les joies des rendez-vous amoureux, la difficulté des séparations : une seule et longue phrase, rythmée par quatre apostrophes (« Ô les débuts […] ô l’enthousiasme […] ô splendeur […] ô fervent retour […] », l. 10 à 18) contient et resserre dans un même élan leurs propos, leurs actions, leurs sentiments d’époque. Enfin, le dernier paragraphe évoque les joies des séparations mêmes, puisqu’elles rendent possibles les retrouvailles. De la même manière, une longue phrase (lignes 26 à 31), rythmée par deux apostrophes, évoque tout ce qui habille et embellit l’absence, et d’abord l’attente quand elle est une promesse : « […] elle chantait […] la venue d’un roi divin » (l. 31). La métaphore religieuse, audacieuse, compare l’attente de Solal à celle du Messie, du Sauveur, composante de beaucoup de religions. Ainsi, revit-elle un bonheur passé qu’elle regrette, avec une nostalgie poignante : ce bonheur est celui d’une passion fusionnelle, empreinte de sensualité bien sûr, et dans une atmosphère de luxe et d’élégance : « son petit salon » (l. 2), « sa robe romaine » (l. 13), « ses longs télégrammes » (l. 28), « les commandes chez le couturier » (l. 30). De la rencontre à la séparation : la fin de l’amour La construction du texte fait ressortir cruellement l’échec du sentiment amoureux. Chaque paragraphe commence en effet par une plongée dans la conscience exaltée d’Ariane, mais le flot des souvenirs heureux se brise à chaque fois sur une même évidence cruelle : « Et maintenant.. » (l. 9). La répétition de cette expression en chaque fin de paragraphe oppose la réalité cruelle : l’évidence de la fin de l’amour. De paragraphe en paragraphe se complète progressivement cette évocation de la désillusion amoureuse : « ils s’ennuyaient ensemble, ils ne se désiraient plus » (l. 32). De même, cette lucidité d’Ariane s’affirme de plus en plus clairement : « elle le savait bien, le savait depuis longtemps » (l. 33-34). Au moment même où elle plonge dans le souvenir du bonheur passé, Ariane est donc parfaitement consciente que ce bonheur est révolu. Le lyrisme amoureux est donc aussi élégiaque. La seule issue pour elle est le suicide et cette évidence est nettement inscrite dans le récit grâce à l’évocation de l’éther qu’elle respire. La même phrase, reprise trois fois, fonctionne comme une annonce de l’issue fatale qu’elle va proposer à Solal pour tenter de transcender leur sentiment dans la mort. Lecture d’image Munch est un expressionniste allemand : on sait que ce mouvement se traduit par la projection dans l’œuvre d’une subjectivité. Il s’agit de susciter un impact émotionnel sur le spectateur par la vision d’une réalité souvent déformée et angoissante, qui traduit un état d’âme. Ici, le tableau au titre éloquent montre bien la douleur angoissante d’une séparation amoureuse, par le choix des coloris, la posture des personnages qui se tournent le dos, la déformation de la femme transformée en un spectre. On pourrait mettre cela en relation avec le travail de l’écrivain qui donne aussi à voir la douleur de l’échec de l’amour grâce à la plongée dans la conscience du personnage qui affronte avec douleur le contraste entre aujourd’hui et hier. Synthèse La mise en parallèle des deux textes permet de contenir toute l’évolution du personnage d’Ariane. Dans le texte 7, on découvre son horreur et sa répulsion au moment de sa rencontre avec Solal grimé. Mais les dernières paroles de Solal forment une annonce de la séduction à venir. Et en effet, dans le texte 8, on découvre, grâce au monologue intérieur, comme mise en abyme, toute l’histoire d’amour heureux entre les deux amants. Mais cette histoire d’amour n’apparaît dans la conscience d’Ariane, que pour mieux être mise en opposition avec l’ennui et la désolation présentes. S’ENTRAÎNER À L’ÉPREUVE ORALE Sujets d’oral possibles Sur quels registres différents joue ce texte ? Comment ce texte donne-t-il à voir toute l’évolution d’Ariane ? 68 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 68 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Pour répondre à cette deuxième question, voici un plan rapide possible : I) Un choix esthétique audacieux : le choix d’un monologue intérieur, qui nous fait plonger dans sa conscience et passe en revue tout son passé. II) Un balancement entre passé heureux et présent désespérant. PROLONGEMENT Pour mieux comprendre la fin du roman, on peut proposer à la lecture un texte important qui fait ressortir, du point de vue de Solal, l’échec de la passion sublime : elle s’est enlisée dans la routine et l’ennui. Même l’argent et le luxe qu’il autorise n’ont pu sauver ces exilés sociaux : ils n’ont plus de refuge possible, depuis qu’ils ont quitté lui sa carrière, elle son mari. On peut trouver ce texte dans des annales : il a été donné au baccalauréat 2008 en Polynésie Française, dans un ensemble de trois textes, portant sur l’échec de la relation amoureuse, avec un extrait de La Duchesse de Langeais, d’Honoré de Balzac et de La Prisonnière de Marcel Proust. PISTE COMPLÉMENTAIRE Sujet d’invention Sur l’un des textes de la séquence, proposez une réécriture à la manière d’Albert Cohen : un monologue intérieur qui fasse revivre toute la passion perdue et l’échec présent. Le sujet est notamment possible avec le texte 6 de Gustave Flaubert, dans la mesure où on y trouve des souvenirs du bonheur passé qui peuvent alimenter le balancement nécessaire à l’intérieur du monologue intérieur. Lecture d’images – Francisco Goya, Portraits de la duchesse d’Albe p. 98 (ES/S et Techno) p. 100 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Comparer deux œuvres du même. – Découvrir le lien entre l’œuvre et la biographie de l’artiste. LECTURE ANALYTIQUE XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 même si son corsage rouge orangé apporte une note de couleur assez inusitée. On reconnaît les éléments distinctifs de son costume dans la gravure appartenant à la série des « Caprices » et gravée par Goya en 1799 : même mantille, même jupe ; mais le peigne posé sur les cheveux s’est transformé en étrange papillon. On reconnaît aussi certains traits physiques caractéristiques : sa taille élancée, ses grands yeux noirs, sa visage aux traits fins, un peu allongé. La liaison que l’artiste a entretenue avec la duchesse est alors terminée, pour autant qu’elle ait existé. La première toile contribue à mettre en valeur la duchesse dans toute sa dignité. Dans ce portrait en pied, elle occupe tout l’espace de la toile et sa silhouette sombre se détache sur le fond aux nuances claires (ocre pour le sable et gris bleu pour le ciel). Dans la gravure, cette noble dame devient, grâce à l’imagination du peintre, une créature surnaturelle qui déploie sa mantille pour s’envoler : elle piétine le corps de trois hommes accrochés à des rochers, comme tourmentés par elle, si l’on en juge par leurs visages aux traits déformés jusqu’à la caricature. Le papillon qu’elle porte sur sa mantille, comme un emblème inquiétant, le visage torturé des trois hommes, tout évoque ici une ambiance presque infernale. Deux regards différents sur un même modèle La première toile peut être vue comme un hommage du peintre à la beauté fatale de la veuve. La sensualité de la jeune femme, malgré son deuil, se devine en effet à son geste impérieux : sa main droite désigne ses petits pieds qui dépassent de la jupe et, sous ses pieds, dans le sable, se dessine le nom du peintre : solo Goya. La jeune femme signalerait ainsi la soumission de l’artiste à sa volonté impérieuse, qui se devine dans la posture altière, le bras gauche fièrement posé sur sa hanche. La gravure montre au contraire toute l’amertume de l’artiste : la légende veut que les trois hommes aux pieds de la duchesse soient des toreros avec lesquels elle aurait entretenu une liaison. Vraie ou fausse, cette rumeur scandaleuse, que l’artiste tend à accréditer, montre le regard désabusé qu’il porte sur celle qu’il a beaucoup aimée, ou en tout cas beaucoup représentée : elle n’est plus qu’une créature sans cœur et diabolique qui méprise les hommes qu’elle traite comme des jouets. Synthèse Une même personne, deux œuvres Le tableau de Goya et la gravure mettent bien en scène de manière très manifeste la même personne, Marie Catayena, Duchesse d’Albe, à qui on prête une liaison avec le peintre entre 1796 et 1797. Au moment où il peint la première toile, la duchesse d’Albe est veuve, comme le montre la tenue de deuil qu’elle porte, sa mantille et son ample jupe noires, La connaissance de la biographie de Goya, ici la relation, même platonique, entretenue avec la duchesse d’Albe, permet de comprendre toute la sensualité contenue dans le premier portrait, derrière la dignité de la veuve. Mais il permet surtout de voir que l’ambiance surnaturelle créée dans la gravure n’est que le reflet de la déception de Goya après leur rupture. 69 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 69 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur PROLONGEMENTS Il est possible de renvoyer les élèves à une autre toile (collection d’Alba, Madrid) qui représente la duchesse en robe de mousseline claire. Ses grands cheveux noirs tombent en boucles jusqu’à sa taille, un petit chien est à ses pieds : elle incarne ici la féminité, le raffinement, le charme. Cette toile très connue elle aussi, parfois sous le nom de La Duchesse d’Albe en blanc ne contient pas l’ambivalence étroite entre amour et mort que l’on peut voir dans notre tableau. Enfin, il faut savoir que la duchesse d’Albe a parfois été reconnue comme le modèle d’une des toiles les plus connues de Goya, peinte au même moment de sa carrière : La Maja nue. Ce tableau a fait scandale à l’époque : il représente une femme nue et allongée, les bras croisées sous la tête, et qui semble regarder le spectateur, malicieuse et satisfaite. Il fait pendant à une autre toile, La Maja vêtue. Perspective – Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie (vers 1160) p. 99 (ES/S et Techno) p. 101 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir la modernité d’un texte ancien. – Mettre en perspective les textes du groupement avec un texte source. LECTURE ANALYTIQUE Des héros prédestinés l’un à l’autre On peut parler de prédestination des héros l’un à l’autre. Le narrateur les décrit successivement en insistant sur leur charme exceptionnel. Hélène de Sparte est ainsi définie au moyen d’hyperboles comme « la plus belle dame au monde » (l. 2-3) et le narrateur insiste « personne n’en vit d’aussi aimable » (l. 3) : le mot aimable, dans son sens étymologique, fonctionne d’ailleurs ici comme une annonce. De la même manière, Pâris, que l’on découvre au travers du regard d’Hélène, est présenté avec « son extraordinaire beauté » (l. 13). Le narrateur poursuit le portrait de ce prince troyen exemplaire, grâce à un choix de termes mélioratifs qui fonctionnent en groupe binaire puis ternaire : « sage et habile » (l. 14), « avisé, aimable et plein de savoir » (l. 15) : le prince joint donc des qualités d’esprit aux qualités de cœur, en un idéal accompli. Il s’agit donc de montrer que les jeunes gens sont faits l’un pour l’autre. Le narrateur intervient d’ailleurs dans son récit, pour affirmer cette élection : « je ne peux m’étonner de ce qu’Amour ait voulu les réunir » (l. 20-21). On remarque ici l’allégorie du sentiment amoureux et la question rhétorique qui suit signale l’amour à venir comme une évidence : « Où auraient-ils trouvé deux êtres si bien faits l’un pour l’autre ? » (l. 21-22). Il s’agit bien là d’une mystérieuse élection qui pousse deux êtres l’un vers l’autre parce que tout les y appelait et d’abord leur charme, leur âge, leur distinction. Un récit de coup de foudre Entre les personnages ainsi posés se déroule une rencontre qui a tout d’un coup de foudre. Cette rencontre est préparée par l’impatience qu’ont les deux personnages de se connaître. On remarque l’importance ici de la réputation des héros qui les précède : c’est la « Renommée » (l. 1) ici personnifiée qui fait savoir à Hélène la participation de prince troyen aux cérémonies dans le temple de Vénus, suscitant chez elle une sorte de tension vers cette rencontre : « plus rien d’autre ne compte pour elle que d’aller à la fête » (l. 3-4). De la même manière, Pâris connaît de réputation le charme d’Hélène et éprouve « un profond désir de voir cette femme qu’il ne connaissait pas » (l. 9-10). L’impatience, le désir, la joie même pour ce qui concerne Hélène font partie des composantes qui rendent possible la rencontre. La rencontre, qui se déroule dans un lieu public, et sous les yeux d’une assemblée nombreuse, tient d’abord en un jeu de regard intense : « il la vit […] et elle le vit » (l. 12). La réciprocité du sentiment est bien marquée par la répétition du verbe, comme par la reprise ensuite : « Tous deux longuement se regardèrent. » (l. 12). Il s’agit bien d’un éblouissement réciproque, chacun comblant les attentes de l’autre. La naissance de l’amour est immédiate comme le montre l’allégorie de l’amour et de ses flèches : « cela suffit pour qu’Amour les blessât l’un et l’autre » (l. 18). On remarque la métaphore du brasier amoureux, appelée à une vaste fortune : « Amour […] les a embrasés de ses feux » (l. 19 à 20). Cet amour, aussi brutal qu’intense, est à peine contenu par les bornes sociales, puisque les personnages se le confient aussitôt : « mais fit en sorte de lui dévoiler ses sentiments » (l. 16-17). Pour l’un comme pour l’autre, l’amour est donc une évidence qui conduit à faire fi de toute prudence. On remarque d’ailleurs que le narrateur se plaît à insister sur la profondeur de cet échange : « Les deux jeunes gens eurent le temps de se dire ce qu’ils voulaient » (l. 22-23). L’amour est aussi une promesse : le narrateur insiste dans la dernière phrase sur l’attente confiante d’Hélène : « elle savait alors parfaitement qu’ils reviendraient bientôt la voir… (l. 24-25 PROLONGEMENT Si la guerre occupe dans Le Roman de Troie une place importante, l’amour y est aussi un motif essentiel. Le couple formé par Hélène et Pâris représente comme un modèle de bonheur quasi conjugal et contraste ainsi notamment avec les amours maudites d’Achille et de Polyxème, la fille d’Hécube et de Priam. Le grand guerrier est ici montré dans toute sa faiblesse, hanté et miné par l’amour, réduit à la passivité, victime de cette fatalité amoureuse au 70 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 70 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du point qu’il sombre dans le piège tendu par Hécube, sous prétexte d’un rendez-vous, et se fait tuer dans un guet-apens. On peut lire ou faire lire aux élèves le récit de la rencontre d’Achille et de Polyxème, aux cérémonies anniversaires de la mort d’Hector : vers 17489-18472. PISTES COMPLÉMENTAIRES Autre sujet pour l’oral Comment ce texte met-il en valeur la puissance du sentiment amoureux ? Étude comparée Les parallèles entre ce récit de rencontre médiéval et le roman de Madame de La Fayette sont nombreux. Sans les deux textes, les héros sont comme prédestinés l’un à l’autre par leur beauté et leur perfection ; dans les deux textes, la rencontre a lieu dans un endroit public, sous les regards des autres ; et dans les deux cas, cette rencontre emprunte la forme d’un éblouissement réciproque et d’un coup de foudre immédiat. Ce motif de l’éblouissement est aussi présent, bien sûr, dans le texte de Flaubert. Perspective – Charlotte Brontë, Jane Eyre (1847) p. 100 (ES/S et Techno) p. 102 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir la modernité d’un texte ancien. – Mettre en perspective les textes du groupement avec un texte source. LECTURE ANALYTIQUE Un récit de rencontre singulier Ce récit de rencontre, entre Jane Eyre et M. Rochester, est assez insolite, pour plusieurs raisons. Cette rencontre se fait d’abord à l’occasion d’un accident : M. Rochester est tombé de cheval. La narratrice, puisqu’il s’agit d’un récit à la première personne, insiste non sans un certain humour sur une péripétie qui ne met pas en valeur le héros : les indications de bruit et de mouvement sont nombreuses (« à grands renforts de tractions, de battements de pieds, de claquements de sabots […] », l. 4-5) et montrent le grand embarras dans lequel le cavalier se trouve. De la même manière, le portrait de M. Rochester n’est pas extrêmement valorisant. Il est dressé au travers du regard de la jeune femme qu’elle était, comme le montrent les verbes de perception : « je le vis donc distinctement » (l. 20-21) et « je discernai » (l. 23). Ce portrait n’est pas celui d’un idéal masculin : les termes choisis, comme « le teint brun, le visage sévère et le front lourd » (l. 24-25) sont même plutôt XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 péjoratifs. Il s’agit là du portrait d’un homme mûr comme le montre l’hypothèse de la jeune fille (« il devait avoir dans les trente-cinq ans », l. 27) qui n’a pas un charme irrésistible, mais de qui émane cependant une grande virilité : « une largeur de poitrine considérable » (l. 23-24). Enfin, la rencontre elle-même est plutôt orageuse. La narratrice rapporte leurs paroles échangées et l’on mesure la brutalité un peu cavalière de M. Rochester, qui refuse l’aide que lui propose la jeune fille : « vous n’avez qu’à vous tenir à l’écart » (l. 2). L’offre d’aide réitérée ne donne lieu à guère de plus de considération, comme le montre la réplique du jeune homme : « merci, je vais m’arranger » (l. 17). Paradoxalement, ici, la rencontre est presque un échec : les personnages ne sont pas attirés l’un par l’autre, la conversation entre eux tourne court, et l’amabilité de la narratrice personnage se heurte à la brusquerie d’un homme peu décidé à accepter son aide. La dernière phrase du texte se termine cependant enfin sur un échange de regards qui donne à entendre au lecteur que cette rencontre ne restera pas sans lendemain. Un portrait de jeune femme Le choix d’un récit à la première personne nous permet d’entrer dans la conscience à la fois de la narratrice et de la jeune femme qu’elle était. La narratrice se penche sur son passé, qu’elle éclaire de différentes remarques, dans un exercice de lucidité. Elle dessine par là-même un portrait de son moi d’époque. On la découvre aimable et même courtoise, puisqu’elle s’inquiète pour le voyageur blessé et ne peut se décider à passer son chemin – la narratrice souligne cette amabilité non sans un certain humour quand elle écrit : « je ne pouvais pas me laisser chasser définitivement […] » (l. 6-7). Le verbe « chasser », quoiqu’un peu inattendu, correspond bien à la réalité des faits. On découvre surtout l’extrême timidité, le caractère presque farouche, de Jane Eyre jeune fille. La narratrice utilise ainsi une hypothèse sur le passé pour montrer sa peur des hommes et de l’amour : « s’il s’était agi d’un beau gentilhomme aux airs héroïques, je n’aurais pas osé rester ainsi à le questionner […] » (l. 28-29) L’emploi de l’irréel du passé se retrouve un peu plus loin aux lignes 37 à 41 pour montrer le même trait de caractère. La narratrice n’hésite pas à ironiser à son sujet : il s’agit de montrer combien, par sa VIe solitaire et pleine d’obstacles, la jeune fille qu’elle était n’a pas été préparée à rencontrer « la beauté, l’élégance, la bravoure, le charme » (l. 32-33) – au point d’en avoir peur : « je les eusse évitées comme on évite le feu, la foudre ou tout autre objet lumineux » (l. 35-36). Les comparaisons, ici plutôt décalées, prêtent évidement à sourire. Cependant, cette jeune fille si timide et sauvage, ne manque pas de force de caractère : elle tient bon à l’inconnu qui cherche à la renvoyer. L’expression « je restai à mon poste » (l. 41) a ici des accents militaires assez savoureux, et montre l’énergie et la détermination d’une jeune fille peu sociable, mais animée malgré tout d’un grand esprit de charité. 71 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 71 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur PISTE COMPLÉMENTAIRE Lecture d’image La confrontation du texte de Charlotte Brontë et du tableau de Caspar David Friedrich peut permettre de réfléchir au Romantisme présent dans les deux œuvres et à ses limites. La rencontre nocturne, le cavalier inconnu et mystérieux au puissant ascendant sont des éléments constitutifs du texte de Charlotte Brontë qu’on pourrait analyser comme romantiques. De la même manière, l’atmosphère de clair-obscur la forêt profonde et immense, le couple en contemplation devant l’immensité de la nature créent une ambiance romantique dans le tableau de Friedric. Cependant, le texte de l’écrivain s’enracine aussi profondément dans la réalité sociale de l’époque victorienne : il s’agit d’un « roman de gouvernante », genre littéraire anglais à la mode, qui évoque des femmes à la recherche de l’émancipation financière et d’une reconnaissance sociale. PROLONGEMENTS Charlotte, Emilie et Anne sont les trois sœurs Brontë. Toutes les trois ont écrit très tôt des poèmes et des romans, d’abord sous des pseudonymes masculins, mais seul le roman de Charlotte, Jane Eyre, a eu un succès immédiat. Cependant, Les Hauts de Hurlevent d’Emilie et Agnès Gray d’Anne ont fini par conquérir le public et la notoriété. Le roman gothique est à la mode à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et au début du XIXe, en liaison avec l’essor du Romantisme et d’une sentimentalité macabre. Les femmes, et en particulier Ann Radcliffe, se sont illustrées dans ce genre : roman d’angoisse, mettant en scène des personnages typés (la femme fatale, le bandit, le prêtre, le hors la loi), dans des lieux bien précis (le château, une crypte, une prison…), et dans des situations de mystère et de suspense. Vocabulaire – Exprimer des sentiments p. 102 (ES/S et Techno) p. 104 (L/ES/S) 1. AMOUR… EN ACTION Distinguer les nuances : Familier : draguer, se toquer, craquer, flasher, en pincer. Soutenu : courtiser, badiner, marivauder. Réécriture de La Princesse de Clèves ! Dès que le duc voit la princesse, il flashe sur elle. Elle de son côté se toque de lui immédiatement. Il la drague sous les yeux mêmes des courtisans. 2. EXPRESSION DES SENTIMENTS L’amour parfait comble sous tous ses aspects l’amant. – Le grand amour engage tout l’être par opposition aux amourettes. – L’amour platonique est une affection idéalisée, qui ne s’adresse qu’à l’âme et ne suppose pas d’accomplissement physique. – L’amour illégitime se vit en dehors du mariage. – L’amour matériel s’oppose à l’amour spirituel et se tourne d’abord vers les biens extérieurs. 3. DES REGARDS AUX SENTIMENTS a. lorgner : regarder avec convoitise – contempler : regarder avec admiration – scruter : regarder avec une curiosité inquiète – toiser : regarder avec mépris – dévisager : regarder avec une curiosité indiscrète – aviser : regarder par hasard – mirer : regarder avec avidité. b. Le duc de Nemours contemple la personne de Mme de Clèves. Le chevalier Des Grieux avise la présence de Manon dans une cour d’auberge. Frédéric Moreau dévisage Mme Arnoux, Ariane toise Solal au moment de sa déclaration. 4. AMOUR ET CULTURE Le bovarysme désigne, par référence à l’héroïne de Flaubert, la propension à fuir la réalité dans l’imagination. L’héroïne cherche en effet, dans ses lectures romanesques et ses rêves de grandeur, le moyen de fui la médiocrité qui l’entoure. – Le narcissisme fait référence au mythe antique de Narcisse, ce beau jeune homme qui s’était épris de sa propre image. Il désigne couramment aujourd’hui l’amour de soi. L’histoire la plus détaillée des aventures de Narcisse se trouve dans le livre III des Métamorphoses d’Ovide : Narcisse éconduit avec brutalité tous ses soupirants : la nymphe Écho jette sur lui une malédiction qui fait qu’il s’éprend de sa propre image dans une source. – Le sadisme désigne, par référence au marquis de Sade, une perversion dans laquelle la personne n’éprouve du plaisir qu’au travers de la souffrance qu’elle impose à autrui. Le marquis de Sade (1714-1840) est un homme de lettres français, qui laisse dans son œuvre une large part à l’érotisme et la violence. Il a passé l’essentiel de sa VIe en prison ou interné. – Le masochisme désigne une autre perversion par laquelle une personne se complaît dans la souffrance ou l’humiliation. 5. SYNONYMES DE L’AMOUR La prédilection est l’affection marquée ou particulière que l’on porte à une personne, une forme de préférence. – Le désir est un amour nuancé de sensualité. – La sympathie est un sentiment de simple bienveillance. – Le penchant est un début d’amour qui nous porte vers autrui. – L’adoration est un amour quasi religieux. – L’engouement est un sen- 72 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 72 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du timent impulsif qui nous pousse brutalement vers autrui. – L’idolâtrie est un sentiment religieux qui fait de l’autre une divinité. 6. AMOUR ET SEXISME Les préjugés sexistes sont visibles sous tous ces termes. L’expression garçon manqué suppose qu’on aspire à ressembler aux hommes sans y parvenir. - Le sexe faible s’oppose au sexe fort et souligne la primauté physique et intellectuelle des hommes. – Le beau sexe est une expression méliorative mais qui définit les femmes uniquement à partir de leur physique. – Le deuxième sexe suppose qu’il y en a un premier. – La ménagère suppose que la femme est vouée à l’économie domestique, puisque le mot n’existe pas au masculin. 7. AMOUR ET CLICHÉS Cette déclaration de Rodolphe est pleine de clichés romantiques. « Je suis une force qui va » dit Hernani à Dona Sol dans le drame romantique de Hugo qui porte son nom. De la même manière, Rodolphe reprend ici ce lieu commun de la fatalité en marche, qui convient mieux à un banni malheureux, un pauvre proscrit qu’à un gentilhomme de village : « je ne sais quelle force […] ». Le clair de lune, et la nui étoilée, la fenêtre de la bien-aimée constituent aussi depuis Roméo et Juliette de Shakespeare et la scène du balcon (« lève-toi, clair soleil, et tue cette envieuse lune […] ») des topoï que l’on retrouve ici : « le toit qui brillait sous la lune ». On peut deviner aussi le motif du pèlerinage sentimental, vrai topos romantique : « la nuit, toutes les nuits, j’arrivais jusqu’ici […] » 8. MANIFESTATIONS PHYSIQUES a. soupirer : fatigue, ennui, soulagement – lever les yeux au ciel : agacement – se montrer nonchalant : paresse, oisiveté, fatigue, épuisement. se tenir droit : courage, dignité, détermination, combativité – sautiller : amusement, désœuvrement, joie – siffloter : embarras, gaieté, allégresse. rougir : gêne, embarras, confusion, plaisir, pudeur, timidité – regarder à terre : consternation, honte, désarroi, hypocrisie, duplicité – rentrer la tête dans les épaules : peur, abasourdissement, embarras, honte. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 3 intérêt amoureux se voit aussi dans l’euphorie qui accompagne son arrivée et qui touche les choses plus modestes : « il aimait à se voir arriver dans la cour ». b. Ces jours-là, il avait du mal à se lever, attrapait la première redingote venue. Il traînait pour seller son cheval et empruntait les chemins de traverse. A son arrivée, il hésitait à pousser la barrière, avançait en traînant des pieds, et haïssait jusqu’au coq qui chantait sur le mur. EXPRESSION ÉCRITE Sujet 1 Voici quelques clichés présents dans les exercices : amour comme force irrésistible, amour/adoration, amour et nature sous un ciel étoilé (exercice 7), amour qui embellit chaque instant et les éléments les plus dérisoires (exercice 9). Sujet 2 Pistes possibles : le contraste de sentiments entre les deux personnages. Lui : contempler (admiration désir..). Elle : dévisager puis toiser (indifférence, mépris, ironie…). BIBLIOGRAPHIE Quelques figures d’artistes dans la littérature du XIXe siècle • HONORÉ DE BALZAC, Le Chef-d’œuvre inconnu et La Cousine Bette. • ÉMILE ZOLA, L’Œuvre Autour du thème de la séquence « Leurs yeux se rencontrèrent », les plus belles premières rencontres de la littérature : anthologie de textes • ÉMILIE BRONTË, Les Hauts de Hurlevent • GUSTAVE FLAUBERT, Les Mémoires d’un fou • MADAME DE LA FAYETTE, La Princesse de Montpensier Lecture critique • JEAN ROUSSET, Leurs yeux se rencontrèrent, Éditions José Corti : référence datée, mais obligée ! 9. MANIFESTATIONS PHYSIQUES ET PSYCHOLOGIQUES a. L’intérêt de Charles pour Emma se manifeste au travers de son empressement pour rejoindre la ferme (« il se levait de bonne heure, partait au galop […] »), du soin avec lequel il se prépare pour la voir, de sa coquetterie même (« il descendait pour s’essuyer les pieds […] et passer ses gants noirs »). Cet 73 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 73 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Séquence 4 Les scènes de repas dans les romans du XVIe au XXe siècle : une mise en scène des personnages p. 103 (ES/S et Techno) p. 105 (L/ES/S) Problématique : Pourquoi les auteurs choisissent-ils d’insérer des scènes de repas dans leur roman ? Quel en est l’intérêt pour le lecteur ? Que nous apprennent les scènes de repas sur les personnages et la société ? Éclairages : il s’agit de montrer, à travers ces exemples de repas romanesques, comment l’auteur, sans se livrer à une analyse théorique, nous montre concrètement le caractère de ses personnages et l’idée qu’ils se font de la société qui est la leur. Texte 1 – François Rabelais, Gargantua (1534) p. 104 (ES/S et Techno) p. 106 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Retrouver à travers ce texte quelques grandes lignes de l’Humanisme. – Repérer les procédés comiques mis en œuvre par Rabelais. LECTURE ANALYTIQUE Une présentation comique des personnages Le mode de VIe des personnages est d’abord fondé sur l’excès. On tue trois cent soixante-sept mille quatorze bœufs gras (l. 7) ! Gargamelle mange seize muids, deux baquets et six pots de ces tripes. N’oublions pas que les deux membres de ce couple hôte sont des géants L’exagération des chiffres provoque le rire. Gargamelle n’est pas raisonnable, si bien que « le fondement » lui échappa, ce qui souligne à quel point elle ne se contrôle plus. Cette malédiction, le narrateur en menace directement le lecteur s’il ne croit pas à cette histoire (l. 1-2). Ce rapprochement entre les deux fondements situe délibérément le texte dans le domaine de la fantaisie comique, le premier fondement appelant le second, dans une démarche analogique qui ancre l’histoire dans la seule logique du texte. Ce contraste entre le réalisme le plus trivial et cette fantaisie langagière qui suit son propre chemin, s’apparente à l’écriture du conte. De même, l’explication donnée par le narrateur sur la provenance des tripes prend l’allure d’une comptine enfantine (l. 4 à 6) ; ces phrases courtes qui se terminent par un mot qui devient le premier de la phrase suivante, insufflent un rythme sautillant à cette évocation du « gras ». Le nom des personnages ne manque pas non plus de fantaisie. Par métonymie, Grandgousier est réduit à un grand gosier, ce qui ne laisse aucun doute sur ses grandes qualités de buveur ; Gargamelle signe par son nom, et par métonymie également, son infinie gourmandise. Et Gargantua, qui va naître à la suite de cette ingestion et indigestion de tripes est la transcription de l’admiration de son père au vu de son appétit, dès les premiers instants de la VIe ; que grand tu as (le gosier, évidemment, en bon fils de son père). On sait que les premiers mots prononcés par le nourrisson seront « à boire ! », dès sa sortie du ventre maternel. Cet art de vivre, fondé sur la jouissance des fonctions naturelles est teinté d’un discret anticléricalisme comique. La prière du début du repas, le « bénédicité » (l. 9) est associée aux salaisons qu’on y mange ; on rend grâce à Dieu de l’abondance des mets, ce qui n’est guère orthodoxe. De plus, cette prière a pour fonction de « se mieux mettre à boire » (l. 9), ce qui frise le blasphème. Si on met de l’eau dans son vin, on le « baptise » (l. 48) ; mais c’est préférable sans, comme le dit le convive suivant. L’un des convives jure par « Saint Quenet » (l. 57), un saint imaginaire dont le nom n’est guère sérieux et a une consonance paillarde. De plus il invoque « le ventre » (l. 57) dudit saint, ce qui n’est guère respectueux. Les références à la « mule du pape » (l. 58), au « livre d’Heures » (l. 59) et au « bon père supérieur » (l. 59) sont associées à la boisson (« je ne bois qu’à » répété deux fois aux lignes 58 et 59) à laquelle s’adonnent des moines dévergondés (topos qu’on retrouvera chez La Fontaine dans ses Contes et dans les nouvelles des philosophes des Lumières, ainsi que dans les romans libertins du XVIIIe siècle). Les joyeux convives jouent sur la polysémie du mot « heures ». La mule du pape appelle le livre d’Heures et ce missel, le père supérieur, dans une démarche analogique que nous avons déjà repérée plus avant. Enfin, on retrouve l’ambiance des fêtes flamandes, comme dans un tableau de Breughel, Van Ostade ou David Téniers (l. 43-44). La vue et l’ouïe sont convoquées dans une série de métaphores verbales (« circuler », « trotter », « voler », « tinter ») qui personnifient les bouteilles, les « jambons », les « gobelets » et les « brocs » (l. 43-44). Le toucher et l’odorat ne sont sans doute pas en reste, ce qui met à la fête les cinq sens. Le dernier échange des convives anonymes, sous forme d’impératifs, nous plonge dans le brouhaha des voix, comme si nous-mêmes, lecteurs, étions ivres, puisqu’on y parle que de boire. Ainsi cette page se moque des convenances raisonnables dans une débauche d’excès en tous genres. Elle place l’homme et ses fonctions naturelles au centre de la fête, une fête justifiée puisqu’il s’agit, dans une démarche écologique avant l’heure, de ne rien jeter. 74 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 74 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Montrer l’homme tel qu’il est C’est d’abord et avant tout un corps qui mange ; on relève cinq occurrences du verbe « manger » et les variantes créent un champ lexical du « manger trop » qui ne laisse aucun doute à ce sujet : « avait mangé trop » (l. 4), « on les engloutirait » (l. 13-14), « y aille à pleines écuelles » (l. 26-27). La nourriture ne se conçoit pas sans boisson (l. 9, 22, 43, 44, 57, 58, 59) ; le vin clairet (l. 51) coule à flots. Et même on mange pour boire comme nous le montre l’expression du but ligne 9. Manger des tripes a une cause que Grandgousier signale dans un aphorisme plein de bon sens : « il a une grande envie de manger de la merde celui qui en mange le sac » (l. 32 à 35), et le narrateur lui-même ajoute, en en soulignant la conséquence : « Oh quelle belle matière fécale devait fermenter en elle » (l. 38-39) ; ce détail réaliste, à propos d’une jeune femme enceinte, s’éloigne fort d’une représentation idéale du corps féminin telle que la poésie élégiaque pouvait en proposer. Il s’agit ici de dire la réalité triviale du corps. Que mange-ton ? Des tripes (met peu raffiné !), mais des tripes « copieuses », et « si savoureuses », « que chacun s’en léchait les doigts » (l.10-11), dont le narrateur souligne à plusieurs reprises qu’elles sont « grasses » (l. 4, 5, 6). La quantité n’est donc pas ennemie de la qualité ! Pas de mets raffinés donc mais une nourriture qui tient au corps et qu’on ne peut manger que si on a un solide appétit. Qui mange ? Grandgousier et Gargamelle, enceinte de Gargantua, et ces deux seigneurs convient « tous les villageois » (l. 16) des villages alentour, dans une joyeuse mixité sociale. On partage, à la cour de Grandgousier, et la raison en est qu’on ne veut pas perdre la nourriture, la gâcher (l. 11-12) ; foin des raisons morales ! La bienveillance est utilitaire. Ces convives sont d’abord « bons buveurs », puis « bons compagnons », et enfin « fameux joueurs de quilles » (l. 21 à 23) ; c’est parce qu’ils sont bons buveurs qu’ils sont bons compagnons et qu’ainsi ils jouent bien aux quilles. La boisson est donc à l’origine de la convivialité. GRAMMAIRE Le nom qui termine la phrase devient le premier de la suivante et ainsi de suite. On a là une progression linéaire, procédé propre à la comptine enfantine, de fil en aiguille ; ce qui renforce l’aspect ludique de cette page. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 Texte écho – San Antonio, La Rate au courtbouillon (1965) p. 106 (ES/S et Techno) p. 108 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer la filiation entre Frédéric Dard et Rabelais. – Cerner les rapports qu’entretient un narrateur avec ses personnages. – Voir comment le repas révèle la personnalité de chacun. LECTURE ANALYTIQUE Dans cette page, nous avons un narrateur omniprésent (le commissaire San Antonio lui-même) qui dresse le portrait en action de son subordonné, l’inspecteur Bérurier, lors d’un déjeuner mondain. L’apparition d’un personnage hors du commun Le portrait de Bérurier Nous apprenons d’abord de lui qu’il aime le vin. Son déguisement craque parce qu’il a trop bu et qu’il veut boire encore (l. 5). Dans le roman, cette première apparition caractérise fortement le personnage. Il est « beurré à bloc » (l. 13) dit le narrateur. Le Gravos ne fait pas les choses à moitié. Il n’a pas le sens des convenances, en état d’ébriété ; il hèle le serveur d’un « loufiat » (l. 5) argotique, il le tutoie et emploie une expression très familière : « File-moi encore un gorgeon de Saint-Emilion » (l. 5). De plus il s’adresse aux convives d’une façon inconvenante : « Mande pardon, mes rois, mes reines » (l. 16). De plus sa référence aux « vouatères » (l. 17), comme lieu de détente manque de la plus élémentaire civilité devant les Grands de ce monde (le mot « vouatère » écrit ainsi fait penser à Queneau). Bérurier manie la langue à sa manière, une langue que l’alcool n’arrange pas. On remarquera l’incorrection de la phrase : « mais si qu’on se détendait pas en vacances […] où qu’on pourrait le faire ? » (l. 16-17), avec l’introduction de que intempestifs et l’absence de la première partie de la négation. Les expressions familières, voire vulgaires, comme « c’est ma fête » (l. 5), ponctuent son langage. Le portrait qu’en dresse le narrateur porte sur sa saleté et son laisseraller : « le jaune d’œuf sur la cravate », « les chaussettes trouées », « la barbe mal rasée », et « les imperfections de l’imparfait du subjonctif » cette dernière remarque faussant l’énumération qui précède (l. 24-25) en vue d’un effet comique. Enfin, si nous considérons les surnoms que lui attribue le narrateur (« M. Mahousse », l. 7 ; « le Gravos », l. 9 ; « le Mastar », l. 13 ; « Sa Majesté », l. 29 avec une majuscule) on s’aperçoit qu’il s’agit de connoter l’excessif, le surdimensionné. Bérurier est au-delà des normes habituelles, d’où la tendresse que le narrateur ne peut pas s’empêcher d’exprimer, avec l’emploi du déterminant possessif : « Mon Béru » (l. 11). 75 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 75 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Bérurier et le repas mondain Tout commence parfaitement bien dans la première phrase de notre extrait (narration appliquée, langue correcte). Dès la seconde phrase, le verbe modalisateur « atteignons » (l. 3) connote tout de même l’ennui, inhérent à ce genre de repas. Dans ce contexte, les paroles de Bérurier rapportées au discours direct vont faire contraste ! Ce repas mondain qui commence par cette description réaliste se détraque vite avec le nom des personnages : la voisine du commissaire s’appelle Gloria Victis (gloire aux vaincus), expression latine dont on voit mal une personne la porter en guise de patronyme. Le professeur, logiquement, s’appelle E. Prouvette (le nom connote, par métonymie, la fonction). L’armateur Okapis fait penser au célèbre armateur grec Aristote Onassis (qui fut l’ami de Maria Callas et le mari de Jackie Kennedy), mais aussi au Palais du Sultan à Istanbul : Topkapi. Bref, il s’agit d’évoquer un exotisme luxueux. Dard donne aussi une allure irlandaise au nom du cuisinier O’Liver, lequel cuisinier rappelle une célébrité de l’époque : Raymond Oliver, chef du Grand Véfour à Paris qui donnait des cours de cuisine très populaires à la télévision en compagnie de la speakerine Catherine Langeais. L’inspiration rabelaisienne D’abord la narration est conduite à la première personne du singulier : le commissaire dit « je ». De plus, il s’adresse directement à son lecteur (« vous l’aurez sans doute déjà deviné », l. 6), instaurant ainsi une complicité, mais sans ménagement et avec une forte dose de raillerie (« car vous êtes beaucoup moins bêtes que vous en avez l’air », l. 7), la première partie de la réflexion atténuant à peine la férocité de la seconde. Nous observons également que le style de la narration s’adapte au contexte : avant l’intervention de Bérurier, le niveau de langue est soutenu, non sans une certaine banalité (l. 1 à 2). Le passage du « héler le garçon » (l. 4), au « – Hé, le loufiat ! » (l. 5), est rude. La langue du narrateur s’adapte alors à son modèle : « trogne » (l. 8), « cette fois y a pas d’erreur » (l. 9) ; un niveau de langue familier, voire argotique (« clape de la menteuse », l. 18-19) l’emporte, comme si la présence de l’ami Bérurier décoinçait le côté pincé du déjeuner. C’est un narrateur aussi qui explique à son lecteur ce qu’il n’est pas censé savoir ; ainsi, il précise que M. Mahousse est « l’adjoint du professeur E. Prouvette » (l. 8). Le côté contre-espionnage de l’histoire est tourné en dérision quand, laissant échapper le nom de son subordonné (« Béru », l. 11), il doit inventer un contre-feu à l’usage de Gloria Victis. Il se livre alors à une parodie d’article très sérieux de dictionnaire étymologique ; définition, puis origine du mot et sa postérité. (forcément scatologique ; la soupe sur le pantalon, et le pipi au lit). Ce narrateur est également un inventeur de mots ; ici, nous avons le verbe « virguler » (l. 12) qui évoque, de façon très imagée, les gestes désordonnés du pauvre professeur, dépassé sou- dain par l’intervention de son soi-disant collaborateur. En fait, le narrateur use d’un langage soutenu, voire littéraire (« celer », l. 9) qui est dynamité par un langage familier et oral (« cette fois, y a pas d’erreur ; le Gravos ne peut plus celer son incognito », l. 9-10), dans une finalité comique. Ce procédé qui consiste à rapprocher étroitement les extrêmes est l’un des plus employés par Frédéric Dard. La mécanique s’emballe jusqu’à l’absurde avec la recette du soufflé à la banane (qu’il est déconseillé d’essayer). Tout d’abord, le narrateur joue sur la polysémie du mot régime (le régime de bananes, certes, mais aussi le régime que l’on suit pour maigrir) ; cette recette est fort peu diététique ! Par un procédé d’inversion, la recette utilise ce qu’on jette d’habitude (la peau de bananes). Elle mélange aussi des ingrédients qu’on n’associe pas d’ordinaire ; des fruits avec du poivre, et des aliments avec un livre, fût-il de Claude Farrère ! La recette s’emballe jusqu’à l’absurde avec le filtrage de la préparation « afin d’évacuer les points d’exclamation et les fautes d’impression » (l. 38-39). Frédéric Dard a dû garder un mauvais souvenir des lectures de son enfance, le romancier-navigateur Claude Farrère, ami et émule de Pierre Loti, ayant été célèbre au début du XXe siècle. Enfin la touche finale, l’essence en place de l’alcool, fait du soufflé une véritable bombe (glacée ?) incendiaire. Synthèse L’influence rabelaisienne se repère d’abord dans la formation des noms propres où le nom évoque un trait du caractère ou une caractéristique de la personne. Frédéric Dard, comme Rabelais, pratique l’adresse directe au lecteur, faite pour le bousculer en le prenant à partie. Le narrateur varie les niveaux de langue, du style soutenu au plus populaire. La place de la nourriture est la même et la boisson omniprésente. Tous deux forment des néologismes. Enfin, on retrouve l’énormité des proportions ; Bérurier (surnommé « M. Mahousse », « le Mastar » par le commissaire) a quelque chose d’un ogre géant et un régime de bananes tout entier est nécessaire dans cette recette pour quatre personnes. VOCABULAIRE L’argot est à l’origine une langue secrète (dans les bagnes, chez les truands par exemple) ou de connivence dans certains milieux (marine, etc.). Mais on appelle communément « argot » ou « langue verte » la partie la plus vulgaire du lexique populaire, connue en fait et comprise, sinon parlée, dans toutes les couches sociales (Henri Bonnard). L’insolite y reste le trait commun. Quelques mots d’argot dans le texte : loufiat (l. 5) qui signifie garçon de café (et dans l’argot de la marine, lieutenant de vaisseau). Viendrait peut-être du néerlandais « loffe », qui signifie niais, nigaud, dérivé d’une onomatopée évoquant le souffle du vent (par extension imagée, la niaiserie). 76 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 76 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du Le verbe « filer » (l. 5) a, dans la langue argotique, le sens de « donner », « refiler ». « Gorgeon » (l. 5) est un petit coup à boire, dérivé de « gorge », par où le liquide coule. On peut prendre un gorgeon avec un « godet » (l. 18) (dont l’origine est obscure, peut-être du néerlandais « codde » : morceau de bois en forme de cylindre). Un godet est un petit vase à boire sans pied ni anse. Par extension et populaire ; verre. Pour nommer son héros, le commissaire parle de « Mahousse » (l. 7) et de « Mastard » (l. 13), deux mots qui signifient « grand », « gros », « imposant ». Les autres mots sont formés à partir de métaphores : « virguler » (l. 12), « beurré » (l. 13), « téléphoner » (l. 18), comme l’expression « partir en brioche » (l. 10). LECTURE D’IMAGE Le cadre du tableau est dessiné sur la toile ellemême, mais un cadre transparent qui, certes, marque la frontière entre le spectateur et les personnages représentés, mais en même temps rend cette frontière poreuse. Nous ne participons pas au repas, mais nous occupons donc, soit la position du spectateur hors-champ, soit d’un des serveurs derrière le dos des convives. L’arrière-plan est occulté en grande partie par ce qui paraît être une toile de tente, derrière laquelle apparaissent, en ombre chinoise, les serviteurs. Nous sommes sans doute au dessert car des fruits sont dressés sur la table. Les femmes chapeautées et les hommes en costume-cravate montrent qu’il s’agit d’un déjeuner mondain. Les conversations sont vraisemblablement feutrées, les femmes parlent à leur voisin ou l’écoute. Pas trace de M. Mahousse ici. On notera les nombreuses symétries, symboliques de l’apparence guindée de ce dîner. Ce tableau pourrait illustrer le début de notre extrait, quand le style du narrateur est encore soutenu et que la mécanique mondaine n’a pas encore été détraquée. Le commissaire San Antonio pourrait être l’homme qui nous fait face, dans l’axe médian du tableau ; beau, sportif, il parle à une femme visiblement conquise. Texte 2 – Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857) p. 108 (ES/S et Techno) p. 110 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer comment Flaubert, à partir de la description de la table d’un dîner de gala, parvient à dégager la personnalité de son personnage et ses caractéristiques psychologiques. – Repérer la présence du narrateur dans cet extrait. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 LECTURE ANALYTIQUE Extrait du chapitre VIII de la première partie, cette page nous fait assister au dîner donné avant le bal. Invités par le marquis d’Andervilliers, noble propriétaire terrien, Charles et Emma se rendent à cette soirée qui va fort ennuyer le mari mais émerveiller la jeune femme. Cette scène fait pendant à celle des noces aux Bertaux. Cette soirée mondaine fera figure d’événement extraordinaire dans la VIe monotone de la jeune épouse. Une description qui révèle le personnage principal L’ordre dans lequel Emma éprouve des sensations en pénétrant dans la salle à manger, est particulièrement révélateur et permet d’affiner la perception que nous avons eue, jusqu’à présent, du personnage. D’abord, elle est « enveloppée par un air chaud » (l. 4), cet air chaud qui entre en contact avec sa peau. Le premier sens concerné est donc le toucher qui souligne la sensualité exacerbée de la jeune femme. C’est ensuite l’odorat qui prend immédiatement le relais, grâce au « parfum des fleurs et du beau linge » (l. 4-5), suivi « du fumet des viandes et de l’odeur des truffes » (l. 5) ; dans un subtil dégradé, on passe du parfum (affirmé) à l’odeur (plus neutre) des truffes ; l’impressionne donc, ce qui est d’abord évident. D’autre part les fleurs et les gens (métonymiquement présents grâce à leur « beau linge »), l’intéressent plus que la nourriture qui vient en second. La vue prend le relais ; ce qui est d’abord vu, ce sont « les bougies » (l. 5) et « les cristaux à facettes » (l. 6-7), c’est-à-dire ce qui brille et les reflets obtenus ; les bougies allongent des « flammes sur les cloches d’argent » (l. 6) et les cristaux se renvoient « des rayons pâles » (l. 7). À la simple évocation de la lumière s’ajoute l’idée d’un éblouissement entre soleil (flamme sur l’argent des cloches) et lune (buée mate, rayons pâles). Après l’éblouissement, Emma perçoit l’espace comme immense ; en effet, les bouquets sont en ligne tout le long de la table (elle voit après avoir senti), et les assiettes sont « à large bordure » (l. 8-9). Mais ce qui frappe, c’est la perception quasi géométrique de l’espace qu’elle a ; on repère ce champ lexical de la géométrie (« ligne, longueur, large, deux plis, forme ovale » l. 8 à 10) – ordre et grandeur donc, ce qui connote le luxe, l‘autre monde, celui des aristocrates. En dernier, Emma voit les mets sur la table (table dressée à l’ancienne, comme sous l’Ancien Régime, où tous les plats étaient présents dès le début du repas. Son attention se focalise d’abord sur les « pattes rouges des homards » (l. 10-11) – la couleur qui attire le regard et le luxe du mets. On remarque l’idée d’abondance avec le fait que ces pattes « dépassaient les plats » (l. 11) ; de la même manière les fruits sont « gros » et ils s’étagent sur la mousse (l. 11-12). Le luxe pour Emma passe visiblement par la profusion. Nous ne connaissons pas la couleur de ces 77 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 77 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur fruits, mais nous pouvons l’imaginer avec la référence qui est faite ligne 34-35 aux « grenades » et à « l’ananas ». On retrouve l’étonnement avec les « cailles » qui ont « leurs plumes » (l. 12). Par le biais de la focalisation interne, le narrateur nous fait partager la sensualité d’Emma, son émerveillement à bon compte devant une abondance dont elle n’est pas coutumière et qui l’impressionne, si bien qu’on a l’impression qu’elle en oublie de manger ; en effet, il faut attendre la fin du passage pour voir apparaître le goût avec le « Champagne à la glace » (l. 33) qui met « le froid dans sa bouche » (l. 34). Comme si cette sensation forte la réveillait soudain et dissipait les fumées (« buée mate », l. 7 ; « des fumées montaient », l. 12) qui embuaient son esprit. Visions d’un personnage romanesque D’autres personnages sont décrits à table : remarquons d’abord qu’ils sont majoritairement anonymes ; on nous parle d’hommes (l. 1) et de dames (l. 2, 18, 36). Sont cités également le marquis et la marquise, non pas par leur nom mais leur titre. Plus remarquable encore, le silence de la jeune femme. Pas un mot n’est échangé, elle semble ne rien entendre. Le narrateur nous la montre passant directement de la vision de la table servie à celle du maître d’hôtel, qui suit ironiquement, dans la même phrase la vision des cailles avec leurs plumes. Emma est impressionnée par le décorum, ce que montre bien cette focalisation non pas sur les invités mais sur le service effectué par le maître d’hôtel. Elle est épatée par l’adresse de cet homme qui « faisait […] sauter pour vous le morceau qu’on choisissait » (l. 15). Ce vous implique le lecteur et donne l’impression qu’Emma nous raconte la scène à posteriori, tout encore à son émerveillement. Le visage, le physique de cet homme nous resteront inconnus ; seul son costume retient l’attention (« en bas de soie, en culotte courte, en cravate blanche, en jabot » (l. 13), et sa mine (« grave comme un juge », l. 13-14) où on peut déceler la trace de l’ironie du narrateur qui souligne ainsi le contraste entre l’accoutrement désuet d’un domestique et la mine d’un personnage important et sérieux (le juge – mais le maître d’hôtel ne juge-t-il pas les manières des convives qu’il sert ? Et Emma se sent-elle jugée ?) Ainsi la focalisation interne se trouve-t-elle brouillée par l’ironie discrète du narrateur. De la même manière, qui voit la statue de femme drapée jusqu’au menton qui regarde, immobile la salle pleine de monde ? Est-ce le regard d’Emma qui se pose un moment sur quelque chose de stable, ou bien le narrateur qui figure ainsi une figure du destin à demi masquée qui veille, en attendant son heure, sur cette assemblée ? Même ambiguïté entre point de vue interne et externe d’Emma au 3e paragraphe (l. 18-19). Emma sait-elle ce que signifie cet usage ? ou bien s’étonne-t-elle de ce que certaines dames indiquent ainsi leur désir de boire du vin ? Le narrateur semble percevoir extérieurement, comme un convive assis à la même table et intéressé par la jeune femme, le regard et la réaction d’Emma mais s’abstient d’en donner l’explication. Enfin, le portrait du duc. La description qui en est faite semble d’abord objective et en focalisation externe ; il est « au haut bout de la table », il est « seul parmi toutes ces femmes », il est « courbé sur son assiette » (l. 20-21). On semble s’en approcher comme dans un travelling avant jusqu’à voir sa serviette et les gouttes de sauce qui tombent de sa bouche (l. 22). À mesure qu’on se rapproche, on passe de l’« enfant », au « vieillard » et enfin au vieillard sénile qui ne sait plus manger proprement. Suit une sorte de notice du narrateur ; portrait physique du visage esquissé (les yeux, les cheveux, qui trahissent la décrépitude et l’homme démodé d’un monde passé). Le narrateur dans une courte analepse retrace les faits d’armes du duc ; homme de cour, chasseur et amant remarquable, et surtout personnage romanesque (« débauches, duels, paris, femmes enlevées, fortune dévorée », l. 27-28) ; tous les ingrédients sont réunis pour en faire un personnage fascinant pour Emma ; d’ailleurs, elle le trouve « extraordinaire et auguste » (l. 31-32), ce qui démontre qu’elle connaît l’histoire du duc ou qu’elle l’a demandée à une convive voisine. Le contraste n’en est que plus fort entre cette vision romanesque et une description toujours au plus près du corps du duc que seul le narrateur peut faire ; il ne parle plus, il bégaye en montrant du doigt ce qu’il désire manger. Enfin Emma ne retient que l’homme de cour et l’amant de la reine Marie-Antoinette (l. 32). En mêlant les diverses focalisations, le narrateur montre, en fait, qu’Emma ne voit pas la réalité (« le sucre en poudre même lui parut plus blanc, plus fin qu’ailleurs », l. 35), comme elle ne voit pas les autres convives. Elle rêve une réalité que le narrateur, ironiquement, corrige dans le sens du réalisme. Synthèse Le narrateur nous fait voir la salle à manger par les yeux d’Emma, du moins ce qui frappe le regard d’Emma qui est sélectif : le choix des objets ou plats sélectionnés nous montrent ainsi par quoi Emma est intéressée. La sensualité d’Emma est d’emblée mise en lumière par la sensation de chaleur qu’elle ressent et les parfums qu’elle hume dans la pièce. Son regard est frappé ensuite par ce qui brille comme celui de quelqu’un qui n’est guère habitué à ce monde et qui se laisse facilement attraper. Ce qui est frappant et montre le manque de recul critique d’Emma, c’est la faculté qu’a son regard de s’attarder sur des détails de la table, dans lesquels elle doit s’absorber, sans parvenir à avoir une vision d’ensemble de la pièce. Enfin, en dissociant à la fin de l’extrait le regard du narrateur de celui d’Emma, Flaubert nous montre à quel point elle ne voit pas la réalité mais l’image qu’elle s’en fait. 78 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 78 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du GRAMMAIRE Nous allons du général au particulier, d’une vision d’ensemble au plus petit détail, selon une progression à thème éclaté. La vision d’ensemble de la salle est donnée par les parfums (fleurs, beau linge, viandes, truffes). Puis le regard est attiré par ce qui brille au-dessus de la table (bougies, candélabres, cristaux). Puis près des candélabres, les bouquets en ligne qui forment un chemin de table, les assiettes, les serviettes et les petits pains lovés dans ces serviettes. C’est comme si Emma s’approchait, s’asseyait et regardait ce qu’elle avait devant elle. Puis son regard repart vers la table, au-delà de son assiette ; les homards, les gros fruits, les cailles, le maître d’hôtel qu’elle suit du regard, ce qui l’amène à fixer la statue sur le grand poêle. Ensuite, elle revient à la table (les gants dans les verres) puis son regard se pose sur le duc. On a donc une sorte de va-et-vient ; d’un plan large on passe progressivement à un plan rapproché ; puis de nouveau on s’éloigne, pour revenir en plan rapproché sur le vénérable duc…Flaubert utilise un procédé dont le cinéma se servira en caméra subjective. LECTURE D’IMAGE Au premier plan, à droite, on observe le cercle des femmes, assises avec quelques hommes ; quelques taches colorées sont mises en relief (du rouge, du bleu). Au second plan, vers la gauche et au centre, un second cercle enveloppe le premier et regroupe une majorité d’hommes debout, en costumes sombres et une assiette à la main en train de dîner. Enfin, dans le fond, dans une autre partie de l’immense pièce au plafond très haut, on devine une masse indistincte de visages sous des lustres brillamment éclairés. Les tons sont chauds, dorés. La manière du peintre, avec sa touche large et épaisse, évoque le regard d’Emma ; l’indistinction des silhouettes peut traduire l’émerveillement de la jeune femme. La sensation de profusion noie le spectateur dans une ambiance dorée, chaude, sensuelle, onirique. Texte 3 – Émile Zola, L’Assommoir (1877) p. 110 (ES/S et Techno) p. 112 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer les caractéristiques d’un repas de fête populaire. – Repérer comment Zola décrit tout en faisant parler ses personnages. – Relever dans cette scène les éléments qui annoncent la suite de l’histoire. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 LECTURE ANALYTIQUE Situation du passage Nous proposons ici un extrait du chapitre VII qui trace le passage de la première à la seconde partie du roman. En effet, nous voyons Gervaise au faîte de sa réussite sociale ; le jour de son anniversaire, elle peut inviter quatorze personnes à un repas de fête, dans les traditions. Nous pouvons aussi repérer les éléments qui vont entraîner la perte de Gervaise dans les chapitres suivants. Le thème dominant de ce passage est la nourriture que l’on pourra étudier sous trois angles. Le portrait de Gervaise et de ses invités Manger à s’en rendre malade Rien dans cet extrait n’a rapport avec le plaisir raffiné de manger. Nous sommes dans l’excès, un excès orgiaque, monstrueux. Dès la ligne 2, le narrateur nous parle d’une « indigestion », une « indigestion que l’on « se colle » curieusement « sur la conscience » ! Nous sommes bien dans la transgression ; le repas de fête transgresse l’ordre ordinaire. Repérons les synonymes de « manger » : Goujet « s’emplissait trop » (l. 6). Le père Bru « avalait tout » (l. 11), « abêti de tant bâfrer » (l. 11). Les Lorilleux « en prenaient pour trois jours » (l. 13), « auraient englouti le plat » (l. 13). Copeau « bouffe » (l. 25) et il « s’enfonc(e) un pilon entier dans la bouche » (l. 26). On s’en « fourr(e) jusqu’aux oreilles » (l. 31). Bref, nous sommes dans la démesure et la vulgarité (deux champs lexicaux qui se recoupent). Ces excès appellent le champ lexical de la maladie ; « indigestion » (l. 2), Virginie est restée une fois « quinze jours au lit, le ventre enflé » (l. 21). Les « bedons se glonfl(ent) » (l. 31). Manger, quoi qu’en dise Coupeau sur les vertus de l’oie (l. 23-24) rend malade. Et l’on finit par « crever » (l. 34) de prospérité certes, mais on crève tout de même. Résultat : « les femmes étaient grosses » et « ils pétaient dans leur peau » (l. 32). Les convives autour de la table ne sont plus que des bouches qui avalent, des ventres et des derrières, ils sont réduits à la fonction digestive, comme des organismes primitifs. L’indigestion a envahi leur conscience si bien qu’ils perdent toute expressivité : « la bouche ouverte, le menton barbouillé de graisse » (l. 33) comme des idiots. Enfin, par un raccourci saisissant, leurs visages ressemblent à des derrières (l. 33-34), accentuant encore, s’il était possible, cette réduction à la seule fonction digestive. Le portrait de Gervaise Ce passage insiste sur quelques caractéristiques de Gervaise ; elle est « gloutonne comme une chatte » (l. 5-6). Sa gloutonnerie se traduit par la quantité de nourriture qu’elle absorbe comme les autres ; elle mange (le narrateur dit qu’elle « mange », elle, contrairement aux autres dont on a vu qu’ils « avalaient », « engloutissaient », etc.) de « gros morceaux de blanc » (l. 3-4). Mais c’est surtout la façon dont elle mange qui intéresse le narrateur ; elle est « glou- 79 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 79 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur tonne » (l. 5) comme on vient de le voir, mais elle est aussi gourmande (l. 7) ; deux fois (l. 4 et 7), on nous dit qu’elle ne parle pas, « de peur d’en perdre une bouchée » (l. 4). Toutefois, elle réfrène sa gourmandise au profit d’un plus malheureux qu’elle, le père Bru ; elle se dérange pour « soigner le père Bru » (l. 8), et elle a un comportement maternel et animal en « s’enlev(ant) un bout d’aile de la bouche » (l. 10) pour un malheureux dont l’estomac devient un « gésier » (l. 12) sous la plume de Zola. On parle de gésier à propos de la volaille et c’est comme s’il était fait référence à une sorte de cannibalisme animal, une poule en dévorant une autre. Elle donne « quelque chose de délicat » (l. 9) à quelqu’un qui « ne sembl(e) pas connaisseur » (l. 11), ce qui montre son désintéressement ; elle est « gentille et bonne » (l. 7) et ne cherche pas les remerciements. Enfin elle est gloutonne « comme une chatte » (l. 6) et la silhouette brossée par le narrateur ; « énorme, tassée sur les coudes » (l. 3) peut suggérer l’animal, tous poils dressés, les pattes repliées sous le ventre, en train de manger en défendant sa pitance. Mais la comparaison suggère aussi la sensualité de Gervaise (qu’elle compense dans la nourriture face à la brutalité croissante de Coupeau). De plus, elle se montre « un peu honteuse devant Goujet, ennuyée de se montrer ainsi, gloutonne […] » (l. 5), trace d’une sensibilité et d’une délicatesse toujours présentes chez cette femme. Une description réaliste ? Tous se livrent à une même activité : absorber le plus de nourriture possible. La psychologie des personnages se repère dans le choix du morceau qu’ils dévorent et la manière dont celui-ci est absorbé. On peut les passer en revue dans l’ordre d’apparition. Gervaise mange du blanc, un morceau de choix, réservé aux enfants ; un fond de délicatesse encore. Goujet, l’amoureux chaste de Gervaise, imite son amour ; « il s’emplissait trop lui-même, à la voir […] » (l. 6), il calque son comportement sur celui de Gervaise et par un effet de miroir, celle-ci s’en trouve « honteuse » ; il est décidément un amoureux malchanceux. Le père Bru porte la tête basse, il ingurgite passivement la nourriture comme il a subi tout ce qui lui est arrivé, les événements de son existence, ce qui l’a abêti ; il est imperméable à tout plaisir. Gervaise mange, lui bâfre. Et son estomac a perdu le goût du pain ; c’est dire sa pauvreté ! Les Lorilleux, eux, mangent du rôti ; le verbe « rôtir » connote le brûlé, la flamme, la flamme de la jalousie qui les dévore devant la réussite de Gervaise qu’ils surnomment « Banban » (l. 14). Ils sont caractérisés par la « rage » (l. 12) et ils « engloutissent » (l. 13) ; l’image donnée par la gradation ascendante (« le plat, la table et la boutique », l. 13-14) les assimile à des sortes d’ogres, ce qui fait basculer, à ce point du passage, une description réaliste du côté du fantastique. L’acte de manger est une agression envers Gervaise, puisqu’ils veulent « la ruiner d’un coup » (l. 14). Chez les « dames », le morceau choisi est la carcasse, ce qui traduit une certaine agressivité chez des femmes dont le patronyme rappelle l’animal ; « Lerat », « Putois » (l. 15-16). Comme des animaux, elles « gratt[ent] les os » (l. 16). Cette férocité se retrouve chez Maman Coupeau, dans un contraste saisissant ; elle, qui adore le cou (connotation spirituelle du verbe adorer), « en arrach[e]) la viande avec ses deux dernières dents » (l. 16-17). Contraste également entre Virginie et son mari. À Virginie, la rivale de Gervaise auprès de Lantier, est associé un champ lexical du raffinement ; « aimait », « peau rissolée », « galanterie » (l. 17-18). Elle mange la peau et un « haut de cuisse » (l. 22) ce qui évoque l’érotisme attaché à la jeune femme. La trivialité de son mari est soulignée par son rappel des quinze jours passés au lit et au ventre enflé qui en était la raison (l. 21). Avec Coupeau, le style indirect fait son apparition pour souligner sa véhémence. C’est un peu aussi comme si, à mesure que le repas avance, les bruits enflaient ; d’abord ceux des mandibules avec les synonymes de « manger » que nous avons vus en dans le premier axe de lecture, puis maintenant les voix. Coupeau se fâche, crie, jure (« tonnerre de Dieu », l. 22). Le discours indirect est relayé par le discours indirect libre qui amplifie en quelque sorte le propos de Coupeau dans le brouhaha général (l. 23 et suivantes). Tout chez lui est excès et vulgarité (« il en aurait bouffé toute la nuit » et « il s’enfonçait un pilon entier dans la bouche » (l. 25-26) ; il demande à Virginie de décrotter le haut de cuisse (l. 22). Dans une acmé de vulgarité grivoise, Clémence fait son apparition ; elle suce un croupion « avec un gloussement des lèvres » (l. 27) associant encore une fois le met absorbé et la personne qui le mange ; si l’oie ne glousse pas, la dinde le fait ! Elle se tord de rire sur sa chaise pendant que Boche lui dit des indécences ; érotisme et vulgarité sont associés dans ce portrait de Clémence. Chaque personnage est ainsi caractérisé par un morceau et la façon dont il le mange, en une caricature qui rappelle l’œuvre de Daumier par exemple qui mêle à l’observation attentive des gens, une férocité extrême à les croquer. Enfin les convives se noient dans l’indistinction totale puisque la fin du passage (l. 28 à 31) donne la parole, en discours indirect libre, à des voix anonymes. Et le narrateur reprend la main, en une comparaison finale qui relie le début du repas à la fin attendue de toute nourriture. Il reprend aussi la narration en passant maintenant au vin, d’abord associé à la VIe (l’eau qui coule, qui désaltère la terre). La suite du passage montrera que l’on passe de la VIe à la mort, en évoquant le tas de bouteilles vide, « les négresses mortes » qui sont l’image d’un « cimetière ». En conclusion, nous pouvons dire que cette page annonce le destin de Gervaise. Les convives sont là pour la dévorer. Dans le cas d’une lecture cursive de l’œuvre, on pourrait s’intéresser au thème de la nourriture présente dans le roman (voir par exemple le repas de noces du chapitre III, Virginie et Lantier 80 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 80 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du dans la boutique au chapitre XI et la faim de Gervaise au chapitre XIII). Zola aborde l’aspect sociologique de la nourriture populaire partagée entre banquets orgiaques et disette. Le rapport à la nourriture est aussi lié à l’affectif : le bel appétit de Gervaise révèle ses désirs toujours frustrés et inassouvis. Synthèse Zola donne une image très négative de ses personnages. Les quelques sentiments dont ils peuvent faire preuve sont noyés dans un océan de vulgarité. Le lecteur peut s’interroger sur les raisons d’une telle voracité ; par peur du manque, ils sont dans l’impossibilité de se réguler, de s’imposer d’être raisonnable. Dans cette fête populaire, il y a comme une folie qui va crescendo et que les synonymes du verbe « manger » mettent en lumière (avec l’apparition des allitérations en « r » et en « t »), folie presque surréaliste qui gagne le narrateur lui-même dans sa dernière comparaison des visages avec les derrières, et le vacarme des voix anonymes qu’il rapporte. Ces personnages ne s’amusent guère sauf à proférer des indécences, ils mangent et se livrent méthodiquement jusqu’à en être malade, à cette seule activité. VOCABULAIRE Si l’on suit la classification des niveaux de langue en quatre catégories (Henri Bonnard), nous aurions d’abord la langue littéraire, dont il n’y a pas trace ici. Dans la langue tenue, nous pourrions ranger les verbes « manger » (l. 3, 20), « croquer » (l. 24) et « sucer » (l. 27). Dans la langue familière et par métaphore, nous aurions « s’emplir » (l. 6), « avaler » (l. 11), « engloutir » (l. 13), « décrotter » (l. 22) et « arracher » (l. 16-17). Enfin, au niveau populaire, resteraient « bâfrer » (l. 11), « bouffer » (l. 25) et « s’en fourrer jusqu’aux oreilles » (l. 30-31). S’ENTRAÎNER AU COMMEN TAIRE On pourrait axer ce paragraphe sur l’art du trait, chez Zola, ou comment caricaturer un personnage en quelques mots ; à partir du choix du morceau de nourriture et la façon de le manger. On montrerait les allusions cachées dans ce choix et la richesse du vocabulaire pour suggérer le fait de manger (niveau de langue, allitérations, métaphores). HISTOIRE DES ARTS Le sujet de ce tableau fait penser à l’Impressionnisme et à Guy de Maupassant qui mit en scène des canotiers dans son œuvre. Pensons par exemple à La Partie de campagne (1881) ou Mouche, souvenirs d’un canotier (1890). Auguste Renoir, le peintre impressionniste a peint plusieurs tableaux sur ce sujet dont le plus célèbre est Le Déjeuner des canotiers (1881) conservé à Washington, dans la Collec- XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 tion Philipps. Egalement Les Canotiers ou le déjeuner au bord de la rivière (1879) à l’Art Institute of Chicago. Dans une collection privée, Les Canotiers à Argenteuil (1873). Enfin à la National Gallery of Art à Washington, Les Canotiers à Chatou (1879). Gustave Caillebotte, également impressionniste, a peint des Canotiers (1877), toile conservée dans une collection privée, célèbre pour son cadrage particulier. Ces tableaux privilégient les effets de lumière, rendus par une touche épaisse, au détriment des détails. Au contraire, chez Émile Friant, la façon de peindre se rapproche de l’Hyperréalisme. Les personnages, très réalistement rendus, sont privilégiés. Nous sommes très éloignés du repas chez Gervaise. C’est un repas frugal que le peintre nous montre ; sur la table, du pain et du vin (référence religieuse). Les jeunes gens sont sportifs, musclés et les femmes en chapeau ont l’air très distinguées. La description zolienne connote la maladie ; ici, au contraire, le corps est sain et l’humeur bonne. Quant aux attitudes, elles sont décontractées mais irréprochables. Texte 4 – Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe (1922) p. 112 (ES/S et Techno) p. 114 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer la férocité qui se cache derrière les relations mondaines. – Dégagez quelles figures de l’artiste se révèlent dans les propos des personnages. LECTURE ANALYTIQUE Une galerie de personnages Mme Verdurin et son mari monopolisent la conversation autour de la table, mais le narrateur dessine aussi brièvement la personnalité de convives spectateurs du numéro de leurs hôtes. D’abord Mme Cottard, dont la remarque béotienne montre qu’elle est peu au fait des tendances de l’Art moderne ; « il avait fait au professeur des cheveux mauves » (l. 6). On observera que le narrateur rectifie et commente, comme en passant, un autre propos de Mme Cottard qui qualifie son mari de « professeur » (l. 6), « oubliant qu’alors son mari n’était même pas agrégé ! » (l. 7). Il y a là comme une nuance de condescendance pour M. Cottard, mais surtout une mise en relief discrète de l’orgueil de son épouse. Saniette ensuite. L’adverbe modalisateur « précipitamment » (l. 16) souligne sa maladresse à s’insérer dans la conversation mondaine ; il a visiblement peur de rater l’instant où sa remarque pourrait porter. Son propos semble indiquer l’amateur d’art, mais peu original ; « la grâce du XVIIIe siècle » (l. 16) est un poncif depuis que les frères Goncourt ont remis à la 81 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 81 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur mode la peinture et les arts de ce temps. Sa référence à Helleu montre son goût pour la peinture mondaine. Cela dit, il corrige sa remarque en parlant d’un XVIIIe siècle fébrile, en référence à Helleu, toujours, ce qui montre que s’il développe sa pensée, s’il a le temps de développer sa pensée, il peut se montrer plus incisif. Son jeu de mots (« Watteau » pour « bateau ») est, en revanche, nul, comme s’il se rattrapait d’avoir révélé quelque chose de plus intime. On en déduit donc, par le biais de ce court dialogue avec Mme Verdurin que Saniette est timide, peu sûr de lui (Cf. la remarque du narrateur : « tonifié et remis en selle par mon amabilité », l. 16-17), et modeste puisqu’il ne revendique pas la paternité de son jeu de mots). Enfin, le narrateur qui dit « je » et qui est donc intradiégétique. Son rôle est là aussi discret ; il corrige intérieurement Mme Cottard et met donc, comme nous l’avons vu, son orgueil déplacé en relief. Il est donc partie prenante dans le « débinage » des convives entre eux. Il montre également de la sympathie pour le timide, le plus faible autour de la table. Sa remarque sur la remise en selle de Saniette montre l’observateur psychologique. Il observe en focalisation externe les personnages et interprète leurs gestes ; ainsi ligne 9, Mme Verdurin lève le menton, mouvement qui sera vu comme l’expression à la fois du dédain pour Mme Cottard (décidemment les Cottard n’ont pas de chance !) et d’admiration pour Elstir. Lignes 48-49, il décrypte sous les paroles de la patronne, les effets de sa pingrerie. Le narrateur également éclaire le lecteur grâce à une analepse à propos du jeu de mots de Saniette (l. 21). Mais surtout, ce narrateur tient le rôle du transcripteur de la conversation (c’est une sorte de verbatim, en somme). Une image de l’artiste peintre Mme Verdurin est une artiste dans l’art de passer de l’éloge au blâme. Décortiquons le portrait qu’elle trace d’Elstir, le peintre infidèle. D’abord le talent d’Elstir venait d’elle-même ; « ça ne lui a pas réussi de quitter notre petit noyau » (l. 1). Il y a là comme une menace voilée pour tous ceux qui sont autour de la table ; hors des Verdurin, point de salut ! Mme Verdurin se pose en commanditaire de l’œuvre du peintre ; « les fleurs qu’il a peintes pour moi » (l. 2), « vous verriez quelle différence avec ce qu’il fait aujourd’hui » (l. 3) –sous-entendu, depuis qu’il a quitté le petit noyau. C’est elle qui lui « avai(t) fait faire un portrait de Cottard » (l. 4) « sans compter tout ce qu’il a fait d’après moi » (l. 5), ajoute-t-elle. Autrement dit, l’origine du talent d’Elstir, c’est Mme Verdurin qui se charge elle-même de se caricaturer sans que le narrateur ait besoin d’intervenir. Son geste du menton, qui est d’« admiration » dit le narrateur à la ligne 10 est certainement à l’adresse d’Elstir, mais aussi d’elle-même. « S’il était resté ici, il serait devenu le premier paysagiste de notre temps » (l. 28 à 31), ajoute-t-elle. Deuxième étape du portrait ; elle se livre à une critique de fond de sa peinture ; il peint maintenant de « grandes diablesses de composition », de « grandes machines » (l. 12-13), ce qui est fort différent des fleurs et des portraits qu’elle lui faisait peindre avant, en effet. Les mots « composition » et « machines » ne nous donnent pas le sujet de ces tableaux que tous les convives doivent connaître et qui montrent une évolution d’Elstir vers l’abstraction (comme Monet et ses Nymphéas, évolution que Mme Verdurin ne comprend pas. Elle critique la forme, le style, ce qui est renforcé par l’emploi du mot « barbouillé » (l. 14) qui renvoie la peinture d’Elstir au niveau des gribouillis d’un enfant, et, pointe finale, par celui de « poncif », qu’elle développe par le « manque de relief, de personnalité » (l. 14-15). Sous-entendu, Elstir était original (en peignant des fleurs, des portraits et des paysages ?) quand il fréquentait le petit noyau ; il a perdu toute personnalité (« il y a de tout le monde làdedans », l. 15) depuis qu’il l’a quitté. Une vision des relations mondaines Les relations qu’entretiennent les personnages ne sont pas des plus amicales. La troisième étape du discours de Madame Verdurin, c’est la critique ad hominem. Évidemment, tout cela est une affaire de femme (l. 31-32). Commence alors la dernière salve de critique (qui laisse entendre que les griefs de Mme Verdurin sont peut-être de l’ordre de la jalousie). Deux adjectifs qualificatifs et un nom la résument : « agréable », « vulgaire » et « médiocre » (l. 34 à 36), gradation descendante. Et pour justifier qu’elle ait pu ainsi se tromper, elle n’hésite pas à revisiter le passé ; elle « l’(a) senti tout de suite » (l. 37), « il ne m’a jamais intéressée » (l. 38). Mais comme il faut trouver une raison à cette erreur, Mme Verdurin se replace du côté des seuls sentiments ; « Je l’aimais bien, c’[est] tout » (l. 39). L’estocade finale est le reflet de la mesquinerie de Mme Verdurin ; faute d’autres arguments, elle en finit avec la saleté du peintre (l. 40). Les arguments esthétiques n’ont guère été efficaces et on voit bien que c’est l’infidélité du peintre qui blesse Mme Verdurin qui se retourne contre l’homme qu’est l’artiste, révélant ainsi qu’elle est une bourgeoise conformiste, peu progressiste en matière d’art. Si les absents en prennent pour leur grade, les présents ne sont pas épargnés. Mme Cottard a droit au mépris comme on a pu le voir, ainsi que Saniette, comme on le voit avec la remarque péremptoire et ne tolérant pas la réplique, qu’elle oppose à l’opinion de l’archiviste ; le présentatif sous forme négative « il n’y a » fait de son opinion une évidence. Enfin, elle montre sa pingrerie, qu’elle partage avec son mari quand Ski parle de déboucher de bonnes et chères bouteilles simplement pour apprécier la couleur des breuvages (l. 48-49). Le patron, M. Verdurin, est plus en retrait dans cet extrait, mais on observe sa brutalité envers Saniette ; « ce n’est pas de chance que, pour une fois que vous prononcez intelligiblement quelque chose d’assez drôle, ce ne soit pas de vous » (l. 22-23) ; les 82 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 82 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du modalisateurs montrent sa cruauté et font imaginer que le pauvre Saniette est son souffre-douleur. On a parlé de sa pingrerie qu’il exprime clairement, lui, à la différence de sa femme ; « ça coûtera presque aussi cher, murmura M. Verdurin » (l. 53). Sans parler de son attachement aux nourritures terrestres (la défense « de tous ses forces » de son gruyère, l. 55). Ainsi, les Verdurin sont des gens imbus d’euxmêmes, conventionnels, qui montrent que derrière l’amabilité et l’hospitalité se cachent des relations de domination fondées sur les attaques mesquines proférées avec une certaine vulgarité (Cf. le vocabulaire). Deux conceptions de l’artiste Pour les Verdurin, l’artiste est d’abord et avant tout un familier (voir le jeu entre l’absent qui a délaissé le petit noyau et le présent, Ski, qui se garde bien d’intervenir dans le dénigrement de son confrère). Le talent est lié à la fréquentation du clan. L’artiste rejeté est celui qui fait de « grandes machines » (l. 13), du « barbouillé » (l. 14) ; l’artiste célébré n’est que grâce (Helleu) ou « fantaisie » (l. 60), il peint des fleurs, des portraits, des paysages, ou la nature morte que compose Ski, en imagination, devant les yeux des convives, et il est attaché au passé (« Véronèse », l. 52). Bref on observe une opposition entre une peinture de salon, séduisante d’emblée, et une peinture plus exigeante, plus rébarbative au premier abord. Le véritable artiste, pour Mme Verdurin ne travaille pas (l. 56 à 59) ; Ski est « autrement doué » et il a de la « fantaisie ». Elstir, lui, « c’est le travail », et injure suprême, « c’est le bon élève, la bête à concours ». Le « poncif » (l. 14) est là du côté de la patronne ! Ce jugement ne manque pas de contradiction, puisque si Ski est original à la différence d’Elstir chez qui « il y a de tout le monde là-dedans » (l. 15), il n’en fait pas moins référence au passé avec Véronèse. Enfin le comble de l’originalité n’est pas dans l’œuvre, pour Mme Verdurin, mais dans l’attitude mondaine, l’allure « artiste » qui viole les conventions (et non pas les règles de l’Art) ; Ski allume « sa cigarette au milieu du dîner » (l. 59) ! On voit bien que cette conversation, révélatrice des conventions mondaines, n’a pas pour objet un débat esthétique, mais reflète plutôt des luttes d’influence ; qui quitte le noyau devient un ennemi à abattre ! Synthèse Quel homme est Elstir ? C’est un infidèle en mondanités, mais un amoureux, un jouisseur, un homme qui peut se laisser mener par une femme, qui peut se laisser entraîner « si bas » par une femme ; ses sens le gouvernent donc. Pour Mme Verdurin, donc, c’est un personnage ordinaire à qui ne viendrait pas l’idée d’allumer une cigarette au milieu du dîner ! Il est doué mais c’est un travailleur acharné, ne se laissant pas distraire, c’est un besogneux pour la patronne. C’est un artiste exigeant qui n’hésite pas XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 à changer sa manière (à la différence de l’artiste mondain auquel se réfère Mme Verdurin). Visiblement, c’est un coloriste dont la manière évolue et tend vers l’abstraction (on ne peut que penser à Monet, un des modèles de Proust, de Terrasse à Sainte-Adresse, aux Nymphéas). En résumé, Elstir est un homme ordinaire mais un artiste exigeant qui peut heurter la sensibilité conventionnelle de ses contemporains. On retrouve cette image de l’artiste discret avec Vinteuil, le musicien de La Recherche, homme très ordinaire, effacé, dont le narrateur découvrira le génie, bien après (Cf. la conception proustienne de la séparation de l’homme et de l’artiste dans Contre Sainte-Beuve). GRAMMAIRE C’est Mme Verdurin qui emploie le plus souvent, dans cette page, le pronom démonstratif « ça », qu’on dit traditionnellement neutre puisqu’il garde la même forme au masculin, au féminin et au pluriel. « Ça » est issu historiquement de « cela » (Mme Verdurin emploie les deux formes indifféremment). « Ça » fonctionne comme un représentant qui désigne directement un référent pour lequel le locuteur ne peut pas ou ne veut pas trouver un nom (Cf. la peinture nouvelle d’Elstir que la patronne ne veut pas qualifier, l. 12 à 14). On se souvient de l’emploi nominalisé (le « ça ») que la psychanalyse fait de ce pronom pour désigner une des instances de l’inconscient. Ça est utilisé dans l’usage familier (ce qui est le cas ici) avec des intentions péjoratives pour représenter quelque chose en la privant de sa catégorie de genre et de nombre. Le nombre de « ça », de « cela », de « ce » (présentatif) est impressionnant dans cette page, soulignant la pauvreté du vocabulaire (et le dédain pour autrui) du couple Verdurin et du peintre Ski. Texte 5 – Marguerite Duras, Moderato Cantabile (1958) p. 114 (ES/S et Techno) p. 116 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer comment cette scène de repas met en lumière les caractéristiques d’un amour-passion. – Analyser le rôle des points de vue dans cette page et comment la narration rend compte du va-et-vient des pensées du personnage principal. LECTURE ANALYTIQUE « Madame Bovary réécrite par Bella Bartok », disait Claude Roy dans un article de Libération le 1er mars 1958, à propos de ce roman. Nous sommes à l’avant-dernier chapitre du livre. Gaëtan Pican peut résumer, pour nous, l’œuvre : 83 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 83 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur « Qui peut donner un nom à ce qui s’est passé entre les inconnus, à ce qui se passe maintenant entre Anne Desbaresde et Chauvin ? Qui peut savoir la forme que le destin donnera à cette complicité indéchiffrable ? Peut-être n’ont-ils pas d’autre histoire que celle d’avoir un instant échangé ces paroles, posé leurs mains l’une sur l’autre, mêlé une seule fois leurs bouches. Tout est suspendu à l’attente d’un événement qui ne vient pas, d’un événement inimaginable. Tout fléchit sous le poids d’une passion qui n’accouche pas d’elle-même, qui ne sait pas même son nom. » (Mercure de France, juin 1958) Présence et absence d’Anne Desbaresde L’intrigue se déroule dans deux lieux, simultanément ; la salle à manger chez Anne Desbaresde et la plage. Seul un narrateur omniscient peut se trouver dans ces deux lieux, simultanément, seul un narrateur omniscient a le don d’ubiquité. Ces deux lieux s’interpénètrent tout au long de l’extrait ; le lecteur passe de l’un à l’autre sans transition. Ainsi ligne 5, les deux propositions indépendantes que la parataxe juxtapose, instille un léger flou ; on ne sait pas vraiment si c’est le narrateur qui voit et entend l’homme sur la plage, sifflant une chanson, ou Anne elle-même (en focalisation interne) qui l’imagine ; dans ce cas, le narrateur s’efface devant son personnage, et le personnage seul prend en charge la narration ! Mais cette chanson lui reviendra plus tard, ligne 13, ce qui semble indiquer qu’il s’agit plutôt du narrateur qui a entendu la première fois cette chanson sifflée sur la plage. L’ambiguïté est encore plus nette ligne 8 ; qui pense qu’« il n’est pas impossible que cet homme ait froid » ? Le narrateur en focalisation externe, ou Anne encore en focalisation interne ? La troisième interférence ne manque pas d’être troublante (l. 14 à 18) ; « (la) bouche (de l’homme) est restée entrouverte sur le nom prononcé » – Anne peut bien imaginer que cet homme prononce son nom ; et par un effet de télescopage rendu par l’homonymie, le nom prononcé par l’homme devient un non merci, proféré par Anne, comme si le nom appelait le non, image de l’osmose entre les deux amants et donc les deux instances narratives. Enfin, ligne 35 à 37, les points de vue du narrateur et de son personnage se fondent puisque « les paupières » de cet homme « tremblent de tant de patience consentie », la patience à l’égard d’Anne. Est-ce le narrateur omniscient qui pénètre la conscience de l’homme, ou Anne encore qui l’imagine ? Ainsi le narrateur donne-t-il l’impression, par empathie, de fondre sa vision peu à peu avec celle de son personnage, et vice versa, puisqu’Anne voit, elle aussi ce qu’elle ne peut pas voir. Remarquons que le « nom prononcé » (l. 15), devient « un nom » (l. 37), passant ainsi du défini à un indéfini de l’amour idéal et absolu ; ce nom qui n’a plus besoin d’être précisé est forcément celui d’Anne. Ajoutons que le « non merci » scinde en deux l’évocation de l’homme, comme si Anne, tout à sa pensée, parlait sans réflé- chir et ne réalisait pas tout de suite ce qu’elle avait dit, qu’elle va d’ailleurs devoir justifier plus bas. Enfin, l’odeur de la fleur, métonymiquement, représente ce mode de narration puisque, dans un allerretour, elle quitte la poitrine d’Anne « franchit le parc et va jusqu’à la mer » (l. 25). Les deux scènes sont simultanées (Anne à table et l’homme sur la plage) et pour rendre palpable cette simultanéité, Duras joue du statut flou du narrateur omniscient qui rend l’alternance moins abrupte, et le passage d’un lieu à l’autre moins brutal. Le présent de narration (voir Grammaire) renforce cette impression. La cérémonie du dîner : les convenances sociales Première entorse au cérémonial d’un tel dîner ; Anne a bu et elle boit du vin (« un verre de vin tout entier », l. 1), à table entre les plats (le saumon vient de quitter la table, le canard à l’orange est attendu). La conséquence attendue en est l’ivresse (l. 30). Cette ivresse est bien entendue impossible dans un tel contexte, il faut donc trouver une autre explication ; elle est malade, diront les convives qui pensent que la fleur de magnolia en est cause (l. 26 et 32). Malgré les dénégations d’Anne, on « insiste » (l. 32) ; il faut trouver une explication acceptable à cette étrange conduite qu’Anne ne parvient pas à dissimuler avec « la grimace désespérée et licencieuse de l’aveu » (l. 30). Le personnel de cuisine, plus conformiste encore que les bourgeois à table, ne voient « pas d’autre explication » ; « elle est malade » (l. 38-39). Pour atténuer ce premier scandale de l’ivresse, pour le nier même, « d’autres femmes boivent à leur tour » (l. 4). À ce premier scandale, s’en ajoute un second, celui du refus du plat (l. 16), poliment mais fermement. Ce scandale se manifeste de deux façons ; d’abord par la courte halte du plat devant Anne (l. 20), puis par le « silence » (l. 22) qui se fait à table, silence qui ne doit pas être puisqu’il est l’expression d’un malaise que la maîtresse de maison se devrait de dissiper immédiatement. Ses brèves excuses, accompagnées du geste de la main, vont se révéler un prétexte pour que les convives brisent ce silence malencontreux ; sa main s’arrêtant au niveau de la fleur, le prétexte est trouvé (l. 24 à 26). Qui sont les convives à table ? Dans cet extrait, seules les « femmes » (l. 4, 9, 11), indistinctement sont indiquées (article défini mais nom générique). Les convives dans leur ensemble sont désignés par le pronom indéfini « on » (cinq occurrences dans la seconde moitié du passage) et « quelqu’un » (l. 28). Il y a donc Anne et les autres, masse anonyme, en partie sexuée. Ces femmes sont caractérisées par leur sensualité, elles ont « les bras nus, délectables » mais, ajoute le narrateur, « irréprochables », des bras d’ « épouses » (l. 5). Face à ces femmes convenables, « belles et fortes » (l. 10), en un fort contraste, nous avons Anne, ivre, sans appétit, adultère. Cette sensualité des femmes, qui ne trouve pas à s’exprimer au-dehors, se rabat sur la nourriture. Le mot qui résume leur goût 84 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 84 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du pour la nourriture est « dévoration » (l. 34). La dévoration (« langue littéraire » précise Le Robert) est l’action de dévorer. Dans le Littré, l’exemple donné d’un certain Rouland dit qu’il s’agit d’« une expression vulgaire mais énergique ». La connotation en est évidemment animale (Cf. le texte 3 de Zola). Ces femmes savent « faire front à tant de chère » (l. 10), et chère nous fait penser à chair (paronomase) ! Les « doux murmures (qui) montent de leurs gorges » (l. 10-11) nous font penser au feulement de satisfaction du fauve prêt à dévorer sa proie. « L’une d’elles défaille » (l. 11) à la vue du canard doré. Bref ces femmes compensent visiblement une sensualité frustrée par l’absorption de nourriture, à la différence d’Anne, qui assume, elle, cette sensualité et ne mange pas. Ces épouses sont ainsi discrètement qualifiées de féroces sous des dehors convenables ; il y a là trace de l’ironie du narrateur face à une bourgeoisie bien-pensante, qui cache une réalité moins reluisante. Synthèse Dans son cercle mondain, les manières de table sont essentielles pour montrer son appartenance à la bonne société. D’abord, Anne boit « de nouveau » un verre de vin, entre le service des plats. Si l’on peut aimer la bonne chère à table, il faut néanmoins que la gourmandise soit encadrée. Et, à plus forte raison, une femme ne montre pas qu’elle a le goût du vin ; elle trempe à la rigueur ses lèvres dans le breuvage ! Mais surtout, elle refuse de se servir quand le canard arrive près d’elle. À moins d’être malade (ce que les convives cherchent à démontrer), elle ne peut pas ne pas partager les mets qu’elle offre. Ce refus pourrait sous-entendre que la nourriture n’est pas bonne, qu’Anne sert à ses invités un plat qu’elle ne mange pas, un plat qui ne le lui plaît pas. En repoussant le plat, elle rompt la communion qui s’instaure nécessairement entre les convives. GRAMMAIRE Le présent marque la contemporanéité entre l’acte d’énonciation et le procès (l’action). Ainsi, si je dis : « La casserole déborde. », c’est qu’au moment où je le dis, la casserole est en train de déborder. Dans un texte littéraire, cette coïncidence n’est pas si évidente. Ici, nous avons le présent historique (ou de narration) qui rend le lecteur contemporain de l’action, témoin direct de l’événement qui nous est rapporté par le narrateur. De plus, ce lecteur est témoin direct des deux actions parallèles en cours ; le présent renforce cette sensation d’ubiquité qui est la sienne. S’ENTRAÎNER AU COMMEN TAIRE Pour développer cette partie, on pourra faire porter l’analyse sur la place occupée par le narrateur et l’emploi du présent qui fond les deux lieux, la place où se trouve l’amour d’Anne, et la salle à manger. On prendra en compte le thème de la fleur de magnolia XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 qui unit le dehors (où est l’homme) et le dedans (où est retenue Anne). PISTE COMPLÉMENTAIRE Ce passage use de toutes les conventions du romanphoto, du film d’amour ou du roman sentimental. On pourra faire repérer toutes les conventions dont Duras joue : – procédé cinématographique de la chanson entendue par les deux amants dans le café, puis reprise par l’un et évoquée par l’autre ; – l’homme, solitaire, qui prononce sur une plage, la nuit, le nom de la femme aimée dans une extase amoureuse (« les paupières fermées » sur lesquelles joue le vent l. 17 et 35). L’homme couché sur la plage, la nuit ; – la femme amoureuse qui n’a pas faim et dont l’esprit court ailleurs. Les amoureux, comme on sait se nourrissent d’amour et d’eau fraîche (ici, c’est plutôt le vin !) ; – la fleur de magnolia entre les seins de l’amoureuse, dont le parfum rappelle la rencontre amoureuse. Le parfum forcément entêtant de cette fleur qui symbolise l’amour fou ; – l’opposition entre des épouses sages (mais gourmandes, voire gloutonnes) et une amoureuse loin des contingences terrestres. Perspective – Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard (1958) p. 116 (ES/S et Techno) p. 118 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Observez comment la narration use des points de vue. – Mettre en parallèle ce texte italien avec les autres textes de la séquence. – Montrer que cette scène de repas révèle la personnalité des convives et brosse un tableau des changements sociaux qui interviennent en Sicile à la fin du XIXe siècle. LECTURE ANALYTIQUE La complexité des points de vue narratifs Nous avons un narrateur omniscient qui multiplie les points de vue. D’abord, le point de vue du Prince lui-même qui nous prépare au coup de théâtre ; l’arrivée inespérée des timbales de macaronis (l. 1 à 4). Le lecteur est ensuite invité à partager les craintes des convives de Donnafugata (l. 4 à 7). Ensuite, le narrateur lui-même (qui semble assister au repas, reprend la narration, et nous montre en externe, la réaction des convives à l’arrivée du premier plat (l. 7 à 10). De nouveau, on adopte le point de vue rapide 85 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 85 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur des quatre qui n’ont pas manifesté de surprise (l. 10 et 11). Le narrateur extérieur à l’action reprend la main pour nous décrire les réactions visibles des personnages autour de la table, et n’hésite pas à donner son avis sur Tancredi, dont il regrette ironiquement l’enthousiasme qu’il montre, à l’instar des gens de Donnafugata ; ainsi nous est-il discrètement montré le rôle que tiendra le neveu de Don Fabrizio, le nécessaire rapprochement entre l’aristocratie et le peuple dans la nouvelle société qui se dessine. Le Prince, lui, est montré seigneur et maître puisque son « regard circulaire menaçant » coupe court à « ces manifestations inconvenantes » (l. 14-15). Ces manifestations jugées « inconvenantes », ainsi que l’attitude de Tancredi montrent un narrateur plutôt ironiquement conformiste, dans une sorte de complicité avec le lecteur. « Le début du repas » (l. 16) voit le narrateur observer son monde ; le recueillement des convives et l’attitude de l’archiprêtre dont le comportement traduit une certaine hypocrisie ; il se signe mais se rue sur la nourriture ; la gourmandise des gens d’église n’est pas un comportement particulièrement neuf (l. 16-17). En revanche, le point de vue de l’organiste est interne, dessinant une personnalité à la fois jouisseuse et terre à terre ; il ferme les yeux en mangeant, et pense au prix que cela coûte. (l. 17 à 21). Angelica est vue en focalisation externe, avec pour seul commentaire de la part du narrateur, sous forme de zeugma, qu’elle « a oublié ses crêpes toscanes de mil » et « ses bonnes manières » (l. 21-22). Suit une curieuse incursion dans l’esprit de Tancredi (l. 24 à 28) qui essaie d’« unir la galanterie et la gourmandise », laquelle galanterie déguise maladroitement un désir érotique qui ne trouve pas à s’exprimer dans ce domaine puisqu’il finit par trouver « cette expérience […] dégoûtante » (l. 26-27). On revient au Prince sur qui le charme d’Angelica opère, mais sans anesthésier sa faculté de tout contrôler ; « la demi-glace est trop corsée » (l. 29) ! Et aux autres convives qui ne pensent à rien. Notons que le narrateur passe dans la même phrase, d’un point de vue interne (celui des convives) à un autre (le sien) pour expliquer ce que ses personnages ne comprennent pas (l. 32). La fin de cet extrait nous fait pénétrer dans l’esprit de Concetta sur lequel nous allons revenir. Ainsi le lecteur est-il transporté à Donnafugata, assistant au repas, parfois en simple spectateur externe, parfois pénétrant tour à tour dans l’esprit des convives. Cette ronde des points de vue peut l’étourdir, rendant ainsi l’esprit de la fête qui se déroule dans le palais du Prince. (l. 33). Entre l’évidence de bien accueillir la jeune fille (« bien sûr », l. 33) et la restriction marquée par le « mais » (l. 35), l’enjeu est suggéré ; « son cœur était tenaillé » (l. 36) ; autrement dit, elle aime, en souvenir de l’enfance, et elle déteste ; le sang des Salina qui est en elle se met à bouillir (l. 36-37) ! Le prénom qui suit immédiatement cette remarque indique clairement l’enjeu que Concetta ne formule pas ; elle est jalouse, parce qu’elle sent « le courant de désir qui passait de son cousin vers l’intruse » (l. 40-41). Le lecteur devine qu’elle aime son cousin. Le narrateur, toujours aussi ironiquement conformiste nous éclaire sur l’entreprise intérieure de démolition à laquelle elle se livre ; elle est « femme » (l. 43). Elle scrute Angélica à la recherche des défauts ; le petit doigt, le grain de beauté et le fragment de nourriture sur les dents, bref tout ce qui ramène la déesse Angelica au rang d’une femme très ordinaire. C’est le mystère d’Angelica que Concetta veut annihiler. En effet, Angelica est le seul personnage dont le narrateur ne nous fait pas partager les pensées, la seule qu’il tient à distance, toujours en focalisation externe. D’ailleurs Concetta ne s’en prend qu’à son aspect extérieur. Angelica reste neutre, même par rapport à Tancredi ; en effet Concetta sent « animalement, le courant de désir qui passait de son cousin vers l’intruse » (l. 40-41), mais elle ne parle pas d’un courant réciproque, de l’intruse vers Tancredi. Angelica semble la seule à ne s’apercevoir de rien, à ne pas être sensible à « cette aura sensuelle » (l. 32) dont elle est à l’origine. Quant à Tancredi, qui est l’enjeu de cette jalousie, il est à la fois le parfait homme du monde, déployant « une politesse pointilleuse » (l. 38), mais il penche déjà vers le monde de Donnafugata ; il « se sent en faute » (l. 33) et nous l’avons vu plus haut, il a manifesté son enthousiasme à la vue des macaronis, comme les habitants du village conviés au dîner. Il est visiblement l’homme qui va faire la liaison entre les deux mondes, et une rivalité amoureuse va naître entre les deux amies d’enfance. HISTOIRE DES ARTS Cette différence d’éducation est marquée par l’attitude des deux jeunes gens ; Tancredi est assis droit sur son siège, il a les deux mains posées sur la table, il se tient droit. Son regard est franc, voire sévère. Angelica, elle, a un coude posé sur la table, son autre main est dissimulée sur ses genoux. Elle soutient son menton avec le dos de la main et elle sourit avec un large sourire qui découvre ses dents. Elle ne se tient pas droit mais son buste penche vers l’avant. Le triangle amoureux et les horizons d’attente du lecteur Derrière la dégustation des macaronis (dont le narrateur nous donne une description alléchante dans le passage coupé, entre les lignes 15 et 16), se nouent les fils de la future intrigue dont les prémices sont énoncées par Concetta ; elle n’est pas contente 86 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 86 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 Dossier Histoire des arts – Scènes de repas en peinture Repérer les éléments de « mise en scène » du tableau p. 118 (ES/S et Techno) p. 120 (L/ES/S) L’espace des Noces de Cana est un espace scénique : au premier plan, une scène où se déroule le repas, au deuxième plan un espace surélevé où s’affairent certains serviteurs, enfin le décor architectural avec un fond de ciel. La construction en perspective est accélérée pour donner cette impression de profondeur, technique utilisée au théâtre pour « creuser l’espace ». La distribution des personnages relève d’une scénographie : la table en U partage la scène en deux lieux, celui des convives placés par ordre de préséance, au milieu l’affairement des serviteurs et des musiciens qui se retrouve dans l’arrière plan. Cette scène est présentée de manière frontale, nous sommes spectateurs d’une représentation grandeur nature. A l’origine cette toile était accrochée à 2,50m du sol et devait donner l’illusion que la scène se situait dans le prolongement du réfectoire. Observer la représentation de la VIe quotidienne Pieter Bruegel l’Ancien fut l’un des premiers à s’intéresser à la VIe paysanne. Sans se laisser influencer par la Renaissance italienne qui glorifie les princes, ce peintre flamand mêle une observation fidèle des épisodes de la VIe quotidienne dans leur trivialité à des figures plus symboliques. Dans Noces de paysans, la foule se presse pour participer à ces noces. Assise dos au mur et se détachant sur une toile contrastée, la mariée se tient dans une pose hiératique, les mains croisées, elle ne participe pas aux agapes. Elle devient la figure de l’abstinence, avec, toutefois, la promesse de fécondité symbolisée par les épis de blé placé sur le même mur. Par contraste les convives sont actifs, ils discutent entre eux, passent les plats ou mangent leur soupe, l’un s’apprête à réclamer du vin, les musiciens face aux mariés jouent tout en s’intéressant à la distribution des écuelles. Les costumes sont modestes, le repas également : pain, vin, soupe. Le décor est rustique puisque nous sommes dans une grange. Extérieurs à la scène principal, dans l’angle gauche deux personnages : un enfant se lèche les doigts de façon très réaliste, tandis qu’un homme chargé d’emplir les cruches de vin rappelle étrangement l’échanson des Noces de Cana de Véronèse. Décrire le faste Les vins effervescents baptisés « saute-bouchon » ont connu le succès en Angleterre bien avant leur reconnaissance en France, qui intervient dans les années 1700. Après que Dom Pérignon ait développé la méthode pour le faire mousser, le champagne conquiert définitivement la cour de Louis XV. Le déjeuner d’huîtres montre un groupe d’une douzaine de seigneurs en- train de déguster des huitres et boire du champagne dans une ambiance festive. Les bouteilles en attente sont déposées dans un rafraîchissoir, dont la partie supérieure est remplie de glaçons. La partie inférieure de ce meuble visible au premier plan du tableau accueillait les verres et les assiettes. La table nappée de blanc est jonchée d’assiettes, de coquilles vides, comme le sol, de pain et de bols pour rincer les verres. Ces détails montrent l’abondance des victuailles, pourtant les serviteurs continuent à ouvrir les huîtres et à présenter des plateaux aux convives tandis que ceux-ci se servent eux-mêmes le champagne, preuve qu’ils le considèrent comme un breuvage noble. Ce repas se tient dans un décor fastueux de colonnes et loges en marbre, décorés de statues à l’antique. Les personnages appartiennent à la noblesse, leur costume en témoigne : jabot et manchettes de dentelle, veste brodée, perruque. Repérer les anachronismes Jésus, Marie et ses disciples sont vêtus à l’antique. En revanche les autres convives sont parés somptueusement tels des princes, des aristocrates vénitiens, des orientaux en turban. Ils ne sont pas en cohérence avec l’épisode biblique qui décrit la modestie, voire la pauvreté, des mariés et de leurs invités. La manière de dresser la table est également contemporaine de Véronèse : une vaisselle d’argent et une orfèvrerie luxueuses du XVIe siècle, le mobilier, le dressoir, les aiguières, les coupes et vases de cristal montrent toute la splendeur du festin. Chaque convive assis autour de la table a son propre couvert composé d’une serviette, de fourchettes et d’un tranchoir. Les instruments de musique ne sont pas non plus ceux pratiqués dans l’antiquité, la viole de gambe date du XVe siècle. Quant à l’architecture, elle fait référence à celle de Palladio, célèbre architecte qui réalisa la Basilique San Giorgio Maggiore de Venise, église du couvent auquel était destinée cette toile. Retrouver les symboles Véronèse mêle le profane et le sacré. Les symboles religieux annonçant la Passion du Christ. Un serviteur coupe la viande au centre de la composition, symbole du corps mystique du Christ, l’eau changée en vin par Jésus préfigure l’institution de l’Eucharistie. Les auréoles au dessus de la tête de Jésus et de celle de Marie signalent leur essence sacrée. Le sablier sur la table des musiciens indique, comme la musique, la fuite du temps. Des boîtes de coings, symboles du mariage, sont servies en dessert aux invités. Les nombreux chiens symbolisent la fidélité Synthèse Le repas est un rituel qui permet de produire et d’entretenir du lien social. Dans l’art, sa représentation a une charge symbolique, sociale, religieuse plus ou moins forte, plus ou moins masquée. 87 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 87 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Vocabulaire – Donner VIe au personnage p. 122 (ES/S et Techno) p. 124 (L/ES/S) 1. DE L’ÉTYMOLOGIE AU SENS DES MOTS Protagoniste ; du grec prôtos (premier) et du verbe agônizesthai (combattre/concourir). Dans le théâtre grec, le protagoniste est l’acteur qui joue le personnage principal. Fin XIXe siècle, au sens figuré, c’est celui qui joue le premier rôle dans une affaire. Par extension, le protagoniste, dans un roman, est le personnage principal. Par exemple, dans Les Illusions perdues de Balzac, le protagoniste est Lucien de Rubempré. Personnage ; formé sur le mot « personne », du latin persona ; personnage, personne. Vient d’un mot étrusque qui signifiait « masque de théâtre ». Au XIIIe siècle, en France, on appelait personnage un dignitaire ecclésiastique. Le personnage est une personne qui joue un rôle social en vue (ex ; les grands personnages du passé). On appelle personnage, chacune des personnes qui figurent dans une œuvre théâtrale ou romanesque. Par extension, tout être humain représenté dans une œuvre d’art (principal personnage d’un tableau ; par exemple les personnages dans le tableau de David, Le Sacre de Napoléon Ier). Dans Le Père Goriot, Mme Vauquer, qui tient la pension où séjourne Rastignac, est une des personnages du roman. Héros éponyme ; vient du grec epônumos (de epi (sur) et onoma (nom). Dans l’antiquité grecque, qui donne son nom à quelque chose. On parle aussi de dieux éponymes ; ainsi Athéna est la déesse éponyme de la ville d’Athènes. Par extension, un héros éponyme est celui qui donne son nom à l’œuvre : Thérèse Raquin (Zola), Colomba (Mérimée), Phèdre (Racine). Héros ; vient du grec heros. À l’origine, ce sont les demi-dieux, comme Héraclès. Par extension, le héros est celui qui se distingue par ses exploits ou un courage extraordinaire. Par extension encore, un héros est une personne digne de l’estime publique, de la gloire par la force de son caractère. Par extension, toujours, celui qui excelle dans un domaine particulier. C’est aussi le personnage principal d’une œuvre littéraire, dramatique ou cinématographique. Le héros du Père Goriot est Eugène de Rastignac. devant. On pense à une personne ordinaire. Bovary peut renvoyer aussi à bœuf ou bovin. – Nana ; un diminutif affectueux, mais derrière Nana, il y a nana, une façon familière et légère de nommer les filles. – Madame Verdurin ; nom de la bourgeoisie. Le « Madame » devant le nom force le respect. Pas de prénom, donc pas de familiarité. – Bérurier ; comme pour Vautrin. Le suffixe en -Ier peut faire penser à des métiers artisanaux ; serrurier, bourrelier, etc. 3. DES CHAMPS LEXICAUX POUR CRÉER DES EFFETS Cette description de Mme Grandet n’est guère flatteuse. Nous pouvons repérer le champ lexical de la maladie (sèche/maigre/jaune), celui de la maladresse (gauche/lente). La répétition de l’adjectif « gros » rend monstrueuse la figure de la femme – ce qui est gros est de l’ordre du dur (os/nez/front). Les yeux sont gros, à défaut d’être grands. La comparaison avec le coing, fruit dur, immangeable cru, ajoute encore à cette impression de chose desséchée qu’est Mme Grandet. Bref, elle n’est guère consommable (sans saveur/sans suc). Pour la rendre appétissante, il faudrait changer la comparaison et prendre un fruit plus sensuel comme la pêche par exemple. Mme Grandet était une femme mince, rosée comme une pêche, un peu maladroite mais posée ; une de ces femmes qui semblent faites pour être aimées. Elle était bien charpentée, elle avait un nez généreux, un front large, de grands yeux, et offrait au premier aspect, une discrète ressemblance avec ces fruits veloutés qui ne sont que saveur et suc. 4. DES VERBES POUR CARACTÉRISER L’ATTITUDE DES PERSONNAGES 1. Monsieur de Rênal s’encadrait dans l’embrasure de la porte, devant Julien. 2. Par cette chaleur, Bouvard était affalé (ou écroulé) sur un banc. 3. Fantine se terrait au fond de la pièce. 4. Emma était alanguie sur le banc au fond du jardin. 5. Tant que l’inconnu ne s’éloigna pas de l’arbre, Stéphanie ne lâcha pas la branche. 6. Soucieuse du succès de son repas, Gervaise s’activait devant les fourneaux. 2. DES NOMS PROPRES ÉVOCATEURS 5. DES PROCÉDÉS STYLISTIQUES POUR CRÉER UN EFFET COMIQUE La Princesse de Clèves ; connote un milieu aristo- a. Un néologisme est un mot ou une expression de cratique, une héroïne issue de la haute noblesse. – La Bouvillon ; l’article défini devant le nom évoque un milieu populaire et un niveau de langue familier. – Candide ; le personnage est naïf, innocent. – Vautrin ; une connotation populaire puisque le nom est donné sans prénom et sans qualité. – Charles Bovary ; un nom complet, mais sans la qualité création ou d’emprunt récents. Il peut être aussi le sens nouveau que l’on donne à un mot ou une expression existant déjà dans la langue. Le calembour est un jeu de mots fondé sur la différence de sens des mots qui se prononcent de la même façon. Le petit Larousse donne l’exemple suivant ; une personnalité / une personne alitée. 88 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 88 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du La contrepèterie est une interversion plaisante de lettres ou de syllabes dans un groupe de mots, créant une nouvelle expression généralement grivoise ou obscène. Ainsi glisser dans la piscine devient pisser dans la glycine. Ou à partir du slogan d’une enseigne disparue de supermarchés ; Mamouth écrase les prix / Mamie écrase les prouts. Chez San Antonio, les déformations consistent à traduire en mots français les sonorités des mots de langue étrangère (l’anglais particulièrement). b. 1. Le personnage est chaleureux et montre sa générosité envers son « neveu ». 2. Le personnage est d’extraction populaire (un emploi défectueux de la langue), mais ne manque pas d’humour (les marins de la garde sont-ils salés et vont-ils sur l’eau !) 3. Le personnage appartient à un milieu aristocratique, il est le père de la jeune fille que demande en mariage le comte. Il use d’un niveau de langue soutenu, et il est volontiers romanesque (l’importance de l’amour dans le mariage). EXPRESSION ÉCRITE Sujet 1 Trois points sont à prendre en compte et à ne pas oublier ; – d’abord ce qui caractérise le personnage social ; son identité (nom et prénom), la classe sociale à laquelle il appartient, et son statut social (le métier qu’il exerce par exemple) ; – ensuite la personne elle-même ; ses portraits physique et moral (on attend l’expression des traits saillants d’un côté comme de l’autre, et non une description exhaustive) ; – enfin la faille ou le défaut, c’est-à-dire quelque chose dans la VIe de ce personnage qui puisse être au début d’une histoire (la distraction par exemple, ou l’avarice, etc.). On attendra évidemment que ces trois points ne soient pas successivement traités, mais que la rédaction les mêle étroitement afin de créer chez le lecteur un horizon d’attente. Sujet 2 XVIIe siècle à nos jours – Séquence 4 BIBLIOGRAPHIE Quelques lectures • KAREN BLIXEN, Le Festin de Babette. • MARCEL PROUST, Du côté de chez Swann (« Combray »). • COLETTE, La Maison de Claudine (un repas de noces, à mettre en parallèle avec celui de Madame Bovary). • MARYLINE DESBIOLES, La Scène (la réaction inattendue d’un enfant devant un cochon de lait cuit au four). Représentation et rôle des repas dans la bande-dessinée Astérix de GOSCINNY/UDERZO. • NORBERT ELIAS, La Civilisation des mœurs, pour les exemples de l’évolution des manières de table. Quelques films • GABRIEL AXEL, Le Festin de Babette (1987) • MARCO FERRERI, La Grande bouffe (1973) • ROLAND JOFFÉ, Vatel (1999) • MIKE NEWELL, Quatre mariages et un enterrement (1993) • RENÉ FERRET, La Communion solennelle (1977) • JEAN RENOIR, La Grande Illusion (1937) : la scène des maquereaux à la moutarde. • JEAN RENOIR, La Règle du jeu (1939) : la scène des pommes de terre à l’huile. • CHARLIE CHAPLIN, Les Temps modernes (1936) : la machine à gaver. • CHAN-WOOK PARK, Old Boy (2003) : la scène du poulpe gluant avalé cru. • STEVEN SPIELBERG, Indiana Jones et le temple maudit (1984) : la scène de repas aux mets particulièrement repoussants. • JUZO ITAMI, Tampopo (1985) : une restauratrice japonaise cherche la recette de la soupe aux nouilles, on assiste au dernier repas d’une mère de famille et à un dîner d’affaires. • ERNST LUBITSCH, Angel (1937) : ce film nous fait partager un dîner romantique avec Marlène Dietrich. Le personnage de Charles Bovary, jeune, dans le chapitre de Madame Bovary, pourrait servir de support ; les élèves dégageraient du texte de Flaubert les éléments à garder (détails du portrait physique, comportement et propos) et les introduiraient dans une situation nouvelle ; le jeune Charles Bovary faisant une démarche au guichet d’une administration, ou bien rentrant chez lui après cette scène difficile dans la classe. La formulation du sujet implique que le narrateur reste en focalisation externe. Tout dans la description (champ lexical) suggérera la lourdeur et/ou la timidité. 89 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 89 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Séquence 5 Visages de la folie dans les romans du XVIIIe au XXe siècle p. 123 (ES/S et Techno) p. 125 (L/ES/S) Problématique : Comment la folie est-elle représentée dans les romans ? Pourquoi les romanciers choisissent-ils de l’incarner ? Éclairages : Ces textes –romans, tragédies– permettent de repérer les traits permanents de la représentation de la folie de jeunes femmes ainsi que l’évolution de ces traits dans des œuvres plus récentes. Ils établissent tous un lien entre la passion amoureuse et la folie. Ils donnent à ces visages de la folie des fonctions critiques à l’égard des passions, des hommes qui les ont suscitées et des sociétés dans lesquelles elles sont nées. Texte 1 – Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (1782) p. 124 (ES/S et Techno) p. 126 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer les effets d’une passion coupable. – Réfléchir aux fonctions de cette peinture de la folie. – Montrer une vision très théâtralisée de la folie. – Étudier la construction du personnage dans le roman épistolaire. LECTURE ANALYTIQUE Un portrait contrasté de Valmont Dans cette lettre destinée à Valmont mais qui ne lui sera pas remise, et qui n’influencera pas directement son destin, se dessine le portrait d’un homme dangereux et ignoble mais aussi aimable et aimant selon Madame de Tourvel et ses amies. Le lecteur dégagera de ces regards et jugements des personnages le portrait de Valmont que lui suggère cette lettre. Le portrait est d’abord sans ambiguïté et les premiers mots de Madame de Tourvel brossent explicitement le portrait d’un Valmont séducteur, incarnation du mal et de la cruauté. En recourant aux champs lexicaux de la torture et de la souffrance (l. 1 à 10) à une accumulation au rythme signifiant (l. 2) L’héroïne résume ce qu’il lui a fait subir dans un passé proche, ce qu’elle a perdu en lui accordant sa confiance et ce qu’il lui fait subir encore en lui rappelant sa déchéance au regard de ce passé vertueux. Celle qui se présente comme une victime confirme ce portrait dans les lignes 24 à 28 dans son hallucination où Valmont lui apparaît en « monstre » (l. 37). Ce point de vue est partagé par ses amies qui invitaient Madame de Tourvel « à le fuir » (l. 38). Cependant, dans son délire, et écrasée par sa culpabilité, Madame de Tourvel fait de Valmont un instrument de la vengeance divine : Madame de Tourvel se sent coupable (l. 10) et c’est l’« auteur de [ses] fautes » (l. 10) que « Le ciel » (l. 21) a choisi pour « les punir » (l. 10), métamorphosant celui qu’elle aime en un être « différent de lui-même ! »(l. 26) suggérant ainsi qu’à ses yeux celui qu’elle aime n’est pas « ce monstre » (l. 37) et qu’il n’est pas responsable de cette séparation qui lui fait perdre la raison. Madame de Tourvel, plus implicitement, au milieu de la lettre et dans la même hallucination, offre encore un autre portrait. Valmont est alors un être aimable et aimant, tendre et protecteur : « un aimable ami » (l. 29-30) et le verbe « revoir » (l. 29) sous-entend que Madame de Tourvel rappelle un passé proche et vécu. Les insistances « c’est toi, c’est bien toi », l. 30-31) veulent souligner la vérité de ce portrait opposé à celui qui précède et suit. Les impératifs, les phrases exclamatives, le champ lexical de la relation amoureuse (l. 29 à 35) nous font entrer dans l’intimité de leur passion. Portrait antithétique dominé par la figure négative et condamnée mais qui laisse transparaître un visage aimable que seul peut connaître Madame de Tourvel et qui est révélé au lecteur par cette lettre. Ce visage aimable peut faire comprendre que Madame de Tourvel ait succombé à Valmont, présente aussi un visage nouveau et troublant du personnage ou au contraire confirme et décuple sa perversité et démontre les dangers que représente le libertin. La folie de Madame de Tourvel Quel visage de la folie cette lettre propose-t-elle ? C’est à travers la parole même de l’héroïne que se dessine le visage que veut transmettre le romancier. Cette folie naissante, durable ou encore provisoire se caractérise par des traits assez communs, voire stéréotypés : un accablement physique, une parole confuse et une perte du lien avec la réalité qui font de l’héroïne une figure pathétique et tragique. Que Madame de Tourvel fasse écrire cette lettre par sa femme de chambre révèle une épuisement physique, conséquence des « tourments » (l. 6,18, 43) et des souffrances – dont le champ lexical est omniprésent – qu’elle endure et qui risquent d’excéder « ses forces » (l. 6) parce qu’ils sont « insupportables » (l. 6) : elle a « perdu le repos » (l. 9), elle « meur[t] »(l. 13). Cette grande fatigue et le recours à l’oral –qui rapproche cette lettre d’une tirade rappelant le théâtral – favorisent l’expression d’une parole confuse. Cette confusion se traduit d’abord par la présence de des- 90 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 90 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du tinataires multiples et qui ne sont pas clairement nommés. D’abord le nom du destinataire initial n’est pas indiqué « La présidente de Tourvel A.. ». Si le premier paragraphe est adressé à Valmont comme permettent de le comprendre les dernières lignes, le troisième s’adresse à son mari, deuxième destinataire, quand elle évoque la « femme infidèle » (l. 17-18) et « ta honte » (l. 19), la fin du cinquième est destinée explicitement à ses « amies » (l. 37).Le passage du premier destinataire au deuxième n’est pas non plus marqué par un indice précis et oblige le lecteur à l’identifier en s’appuyant sur les propos tenus. À la ligne 16, le « toi » représente son mari. Le même pronom représente Valmont (l. 30). Dans le cinquième paragraphe deux destinataires sont successivement présents. Le passage du tutoiement au vouvoiement dans le dernier paragraphe confirme et entretient cette confusion. La variété des types de phrases, leur succession, leur alternance (l. 1 à 10, et 29 à 47) donnent à cette lettre un caractère décousu et révèlent l’agitation de Madame de Tourvel. Plus la lettre progresse vers sa fin, plus l’héroïne se sent abandonnée et isolée : « Personne ne pleure sur[elle] » (l. 13). « Où êtes-vous toutes deux ?» s’interroge-t-elle à propose de ses amies et elle prend congé par un définitif « Adieu, Monsieur » (l. 47). Mais c’est par la véritable hallucination des lignes 29 à 37 que Madame de Tourvel révèle cet état délirant dans lequel elle croit véritablement voir Valmont qui, sous ses yeux, se métamorphose en « monstre » (l. 37). Cette hallucination montre évidemment que Madame de Tourvel perd le lien avec sa situation réelle et annonce sa fin tragique marquée par une formule finale conventionnelle mais qui ici prend tout son sens. Cette peinture de la folie vise à susciter la compassion par l’omniprésente évocation des souffrances, par l’acceptation de sa culpabilité, par le rappel de « la douce émotion de l’amour » (l. 35-36), de la solitude de l’héroïne abandonnée de tous qui donnent à cette lettre son registre pathétique mais vise également à susciter la crainte d’un « séjour de ténèbres » (l. 3) où « l’espérance est […] méconnue » (l. 4) qui donne un registre tragique et ainsi une fonction cathartique à cette lettre. VOCABULAIRE « Tourment » vient du latin Tormentum, de torquere « tordre ». 1er sens : supplice, torture. 2e sens : très grande douleur physique ; VIVe souffrance morale. Les trois occurrences du substantif que compte la lettre se rapportent à une VIVe souffrance morale mais subie comme un supplice menaçant l’esprit et le corps. PROLONGEMENT Visionnez les scènes 27 à 30 du DVD du film de Stephen Frears, Les Liaisons dangereuses (1988). Analysez le portrait que le cinéaste et l’acteur John XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 Malkovich proposent du personnage de Valmont et comparez-le à celui vu par Madame de Tourvel dans cette lettre. Texte écho – Jean Racine, Phèdre (1677) p. 126 (ES/S et Techno) p. 128 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Comparer l’expression de deux passions destructrices. – Distinguez les héroïnes romanesque et théâtrale. – Souligner l’intertextualité dans une œuvre littéraire. LECTURE ANALYTIQUE En lisant la lettre de Madame de Tourvel, le lecteur peut entendre des échos de la tirade que Phèdre adresse à Hippolyte et s’intéresser à leur intertextualité. Des passions tyranniques Les deux héroïnes en dépit des différences propres à la situation de chacune d’elles sont esclaves de passions puissantes contre lesquelles elles luttent en vain et dont elles se sentent coupables et innocentes et qui les plongent dans un conflit intérieur qu’elles ne peuvent dépasser sinon par la folie ou la mort. Les deux héroïnes sont soumises à leur passion : Phèdre exprime la puissance de sa passion plus particulièrement dans les vers 6 à 8, mais également dans les vers 11,19 et 25. Madame de Tourvel l’évoque aux lignes 2, 9 et 25-26. Les deux héroïnes luttent vainement contre cette passion : dans les vers 4 et 5 mais aussi 15 à 17 Phèdre rappelle ce qu’elle a entrepris pour résister à cette passion et Madame de Tourvel, dès les premiers mots de sa lettre, rappelle qu’elle s’est battue contre les assauts de Valmont et qu’elle est toujours victime de sa violence aux lignes 37 et 42. La culpabilité des héroïnes : aux vers 5 et 30, Phèdre condamne sa passion et dit combien elle lui répugne. Madame de Tourvel évoque « les remords » (l. 14) qu’elle éprouve, elle demande elle aussi à être punie (l. 15 à 21). Cette culpabilité est néanmoins partagée avec « les dieux » (v. 10) qui « ont allumé le feu fatal » (v. 11) pour Phèdre et « le ciel » (l. 21) qui « [l’] a livrée à celui-là même qui [l’] a perdue » (l. 24) pour Madame de Tourvel Perdre la raison On peut comparer l’expression d’une raison perdue ou en passe de l’être chez les deux héroïnes à travers le langage de chacune d’elles. Comment l’expression des deux héroïnes traduit-elle ce glissement vers la folie ? Si le discours de Phèdre est maîtrisé et cohérent, on remarque le tutoiement – dans la précédente réplique, elle vouvoie Hippolyte –, tutoiement présent 91 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 91 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur aussi chez Madame de Tourvel auquel un vouvoiement se substitue dans les dernières lignes. Toutes les deux usent des différents types de phrases et les font alterner dans la tirade et la lettre. Ces deux caractéristiques de leur langage sont les marques plus ou moins nettes d’une expression influencée par une raison perturbée, trouble. Elles recourent au même lexique antithétique : « cruel » (v. 1,15 ; l. 1, 42) qui s’oppose à « de nouveaux charmes » (v. 20), « Digne fils » (v. 31), « mon aimable ami » (l. 29-30) ; « j’aime » (v. 4), « amour » (v. 6), « j’aimais » (v. 19), « la douce émotion de l’amour » (l. 33-34) qui s’opposent à « fol amour » (v. 6), « poison » (v. 7), « odieux amour » (v. 30), « appareil de mort » (l. 36), « tu me forces de te haïr » (l. 43-44). Ces champs lexicaux traduisent ainsi, une indécision, deux tentations qui se combattent, une confusion des sentiments – cependant plus marquée chez Madame de Tourvel – qui fragilisent leur équilibre mental. C’est avec insistance qu’elles disent leurs douleurs qui mettent en péril leurs forces, leur difficulté à y résister. Phèdre évoque « le feu fatal » (v. 11) qui la brûle toute entière, « les larmes » (v. 21), elle est à ses yeux un « monstre » (v. 32 à 34) et préfère mourir (v. 30 à 42) plutôt que de supporter cette souffrance et de perdre la raison. Tout au long de sa lettre – et plus encore que Phèdre – en recourant au champ lexical de la torture notamment, dit combien ses douleurs son « insupportables » (l. 6) et s’exclame : « que la haine est douloureuse ! » (l. 44). Pour toutes ces raisons, explicitement ou implicitement exprimées, Phèdre refuse la folie et choisit la mort. L’apparence de Dominique Blanc sur la photographie témoigne par le désordre des cheveux, les larmes, les couleurs contrastées (rose, noir, blanc), les bras qui tombent sans force, le déséquilibre du corps que Phèdre sombrera dans la folie pour finalement la mort. Madame de Tourvel craint cette folie mais y a déjà sombré même si les trois dernières lignes sont un sursaut de la raison et si les interrogations nourrissent un espoir. Nous savons qu’elle ne survivra pas à ses souffrances. Une héroïne et un personnage En plaçant Madame de Tourvel dans la situation de dicter ses propos, Choderlos de Laclos fait de cette lettre une tirade ou un monologue que pourrait interpréter une actrice. La teneur du texte, ses registres pathétique et tragique, la variété des types de phrases, les divers destinataires donneraient à l’actrice une matière propre à exploiter son talent autant que le donne le texte de Racine. On pourra toutefois montrer que Madame de Tourvel reste un personnage de roman alors que Phèdre est une héroïne, et plus précisément une héroïne tragique. Tout d’abord le personnage de roman peut échapper à la fatalité et en entretenir l’espoir alors que le destin tragique de l’héroïne de la tragédie est nécessaire : il suffit de comparer les dernières lignes de la lettre aux derniers vers de la tirade. Le personnage de roman, par l’époque et le rang, est plus proche des lecteurs que ne l’est l’héroïne tragique des spectateurs et la situation de Madame de Tourvel est manifestement plus familière au lecteur que ne l’est celle de Phèdre même si l’ambition de Racine est de peindre la passion amoureuse de son temps. Le lecteur moderne peut se sentir davantage touché par la douleur plus humaine de Madame de Tourvel que par une Phèdre monstrueuse. La lettre écrite en prose peut également paraître plus sensible au lecteur que le théâtre versifié au spectateur. Le personnage romanesque proposé par Choderlos de Laclos emprunte des traits, une langue à l’héroïne tragique, il n’est pas esclave de ce modèle et s’en écarte pour lui conserver ceux du personnage romanesque. Synthèse On reprendra les analyses qui précèdent pour souligner les liens entre les deux textes et le destin des deux héroïnes mais on sera attentif à montrer tout ce qui les sépare : par exemple, la naissance et la durée de la passion, la passion sinon partagée du moins assouvie pour un moment par Madame de Tourvel et impossible pour Phèdre. S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE La solitude de Madame de Tourvel Une femme abandonnée On commentera l’abandon et sa progression dans cette lettre : – on rappellera que Valmont l’a abandonnée et qu’elle en souffre : « J’ai souffert dans ton absence ! Ne nous séparons plus » (l. 29-30) ; – elle se sent abandonnée par son mari : « Que fais-tu loin de moi ? » (l. 17) ; – à deux reprises dans cette lettre Madame de Tourvel évoque ses amis. Dans un premier temps, elle évoque « les amis qui [la] chérissaient » pour souligner leur absence et leur éloignement, pour dire combien elle est maintenant seule et « sans secours » (l. 11-13). Dans un second temps, elle s’adresse directement à « [Ses] amies » pour les supplier de ne pas l’abandonner. Elle s’adresse en fait à deux amies : celle qui l’invitait « à le fuir » et celle plus « indulgente » : On notera le passage d’un masculin pluriel (hommes et femmes) à un féminin pluriel et finalement à un féminin singulier ; – cet abandon se généralise si l’on prend en compte le « personne ne pleure sur moi » (l. 13). Une femme soustraite au monde On commentera cette « soustraction » qu’elle choisit et qu’elle subit : – elle-même s’est soustraite au monde : « dans ce séjour […] m’ensevelir » (l. 3) ; – se comparant au « criminel », elle s’est plongée, comme le soulignent les hyperboles, dans « l’abîme » (l. 14) si loin du monde que personne n’entendra « ses cris » (l. 15) ; 92 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 92 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du – elle suscite l’effroi et « Aucun n’ose [l’] approcher » (l. 12) ; – madame de Tourvel rappelle que « Le ciel » (l. 20) l’a privée de sa liberté. Il a empêché que son mari ne lui pardonne : « il m’a soustraite à ton indulgence » (l. 23) et « Il [l’]a livrée à celui-là même qui [l’] perdue » (l. 24) ; – elle accuse Valmont d’avoir rompu le lien qui pouvait encore la relier à lui : « Ne m’avez-vous pas mise dans l’impossibilité […] de vous répondre » (l. 46-47). PROLONGEMENT On pourra comparer les cheminements, choix et destins de Phèdre et de Madame de Tourvel à ceux de Madame de Clèves (voir p. 84 à 87 dans le manuel ES/S et Techno et p.86 à 89 dans le manuel L/ES/S). Texte 2 – Honoré de Balzac, Adieu (1830) p. 128 (ES/S et Techno) p. 130 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer un visage original de la folie : la folie comme retour à l’état sauvage. – S’interroger sur la fonction de la peinture de la folie qui permet de mettre en évidence la responsabilité des hommes et de leurs actions. LECTURE ANALYTIQUE La folie : un retour à l’état sauvage La folie de Stéphanie, « cette pauvre folle » (l. 39), à travers un grand nombre d’analogies, la relation qu’elle entretient avec les animaux et son comportement se caractérise par une régression vers l’animalité, régression atténuée dans la majeure partie du texte par le choix des comparants. Stéphanie est passée d’une figure humaine « quand elle était femme » (l. 54) à une figure animale et plus précisément, dans les premières lignes, à la figure de l’oiseau : sa voix se confond avec un « petit cri d’oiseau » (l. 4-5) et un « oiseau sifflant son air » (l. 11). C’est aussi par son comportement qu’elle s’animalise : « elle grimp[e] » (l. 6) dans un arbre, elle se « nich[e] » (l. 7), elle regarde « avec l’attention du plus curieux de tous les rossignols de la forêt » (l. 7-8) et le mouvement de la tête vers la poitrine (l. 42-43) évoque un mouvement propre à l’oiseau. C’est aussi « en voltigeant » (l. 44) qu’elle descend du sapin. D’autres traits rappellent davantage un animal agile et familier de la VIe dans les arbres : elle se déplace d’un arbre à l’autre par « un seul bond » (l. 23), elle « se balan[ce] de branche en branche ». Enfin, le narrateur la compare quand Philippe lui offre un sucre à « ces malheureux chiens » (l. 60). Le XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 narrateur souligne par ailleurs l’étonnante confiance qui lie Stéphanie à « un jeune chevreau » (l. 1) en notant que cet animal est justement « capricieux » et qu’il est pourtant « son compagnon » (l. 4). Cette relation, par son invraisemblance, souligne combien la frontière entre les espèces s’est effacée et qui, si l’on songe au cadre champêtre, rappelle un âge d’or où les hommes et les animaux vivent dans une parfaite harmonie. Si Stéphanie est devenue un animal au fil des lignes, le narrateur souligne, par l’emploi d’un champ lexical de la grâce, sa légèreté et sa souplesse déjà implicitement présentes à travers le choix du chevreau ou de l’oiseau ou de cet animal que le narrateur ne nomme pas et qui bondit de branche en branche. C’est d’abord « légèrement » (l. 2) qu’elle se met debout ; elle se « balanc[e] avec une légèreté », insiste encore le narrateur par l’emploi de l’adjectif hyperbolique, « inouïe » (l. 28-29) , elle descend « doucement » (l. 43-44) et « voltig[e] comme un feu follet » (l. 44). Le vent peut aussi imprimer des « ondulations » (l. 45) à son corps qui serait alors devenu végétal ! Le lecteur comprend – par la focalisation interne – que c’est Philippe qui remarque « sa jolie main brune » (l. 63). Le narrateur établit ainsi un rapprochement entre l’animalité et la grâce. Notons cependant que Stéphanie peut aussi se transformer en animal agressif qui pousse un « cri sauvage » (l. 57) animé d’une « passion bestiale » (l. 62) « pour saisir sa proie » (l. 63). Le narrateur propose un visage peu conventionnel de la folie. Visage régressif, a priori dégradant, mais qui ne manque cependant pas de grâce et qui rappelle davantage un état heureux, une innocence, un âge d’or. État cependant menacé par la proximité de l’homme ou plus exactement d’un homme qui réveille une sauvagerie animale. Le colonel : un danger pour Stéphanie ? Si le colonel aime Stéphanie –qui l’a aimé– s’il veut « l’apprivoiser » (l. 37-38), Stéphanie ne peut vaincre sa crainte et perçoit le colonel comme un danger ce qui invite à envisager la fonction critique de cette page. Remarquons que si le personnage se caractérise lui-même par son prénom (l. 12-13) le narrateur rappelle ses différentes natures et notamment l’une d’entre elles connotant la violence et la guerre. Il est « le colonel » (l. 5, 41) ou « colonel » (l. 32, 49, 56) « le pauvre militaire » (l. 15) même s’il est aussi « Philippe » (l. 3, 54, 58, 62) et enfin « son amant » (l. 63). Il est pour Stéphanie « l’étranger » (l. 7) repris en « l’étranger » (l. 46) par le narrateur. Ce dernier suggère constamment et alternativement le caractère familier et paisible mais aussi lointain et guerrier du personnage masculin. Alors que Stéphanie et le chevreau sont immédiatement dans une relation confiante et complice, Stéphanie « se sauv[e] » (l. 3) à la vue de Philippe. Il provoque chez elle « une expression craintive » (l. 21) et qui pourrait, selon Fanjat, évoluer vers « une aversion […] insurmontable » (l. 34-35). Stéphanie se laisse approcher par 93 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 93 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur le chevreau alors qu’elle fuit le colonel. Le lecteur doit être sensible à l’évolution du comportement de Stéphanie à l’égard de Philippe tout au long de ces lignes. Protégée par son nid (l. 7), Stéphanie peut « regarder » (l. 7) Philippe. Mais elle s’éloigne (l. 21-29) dès qu’il s’approche, et ce n’est que parce qu’il reste « immobile » (l. 46) qu’elle avance vers lui « d’un pas lent » (l. 47). Quand Stéphanie – attirée par « le morceau de sucre » (l. 56) – finit par se trouver devant Philippe, elle se retrouve dominée par « la peur » (l. 62) et surtout par « la passion bestiale » (l. 62). Ainsi, la proximité de Philippe, non seulement ne l’humanise pas, mais la rend plus animale et même « bestiale » comme si elle éprouvait « instinctive[ment] » (l. 58) que « son amant » l. 63) Philippe représentait pour elle, et paradoxalement, un danger. L’extrait condense le bref roman : Stéphanie est devenue folle à la suite de sa séparation d’avec Philippe soulignée ici par les seules paroles qu’elle prononce (l. 9) qui furent celles qu’elle adressa à Philippe quand ils durent se séparer mais elle est aussi devenue folle parce qu’à la suite de cette séparation, elle a dû subir les violences, pour ne pas dire les assauts, des soldats. Le texte suggère donc que pour Stéphanie, Philippe incarne l’histoire d’amour mais aussi l’Histoire, l’amant mais aussi le soldat, dont Stéphanie fut et est encore la victime. L’homme et ses entreprises sont ainsi accusés de représenter un danger pour les femmes, de les rendre folles et de les obliger à s’échapper d’une société régentée par les hommes pour se réfugier dans le monde animal ou végétal. C’est la fonction critique de ce texte appartenant d’abord aux Scènes de la VIe militaire que Balzac a finalement intégré à ses Études philosophiques, suggérant ainsi une plus large ambition. Synthèse Les élèves devront montrer que le texte porte un regard sensible empreint de sympathie et d’attention sur la folie de Stéphanie. Cette folie s’exprime par une régression animale mais le narrateur met en évidence la douceur, la fragilité et la grâce qui rappellent l’harmonie et l’innocence plus que le désordre ou le délire. Cette peinture de la folie ne vise ni à inquiéter ni à effrayer. Ils devront montrer qu’en dépit d’intentions louables – sauver Stéphanie, lui permettre de retrouver la raison – Philippe représente un danger. À travers l’insistant rappel de son état militaire et l’évolution du comportement de Stéphanie quand elle se rapproche de son ancien amant, le monde et les hommes sont implicitement accusés d’être la cause de la folie de Stéphanie et une menace pour un calme retrouvé. Il faudra enfin nuancer la condamnation en s’appuyant sur le personnage de Fanjat, oncle de Stéphanie et médecin, qui protège Stéphanie en lui permettant de vivre comme un animal dans un monde isolé et clos, ironiquement nommé « Les Bons-Hommes ». GRAMMAIRE Les figures de rapprochement s’inscrivent dans une animalisation généralisée – équivalent de la personnification – de Stéphanie. Le narrateur use de nombreux verbes, substantifs et adjectifs métaphoriques. Les comparaisons s’expriment par l’outil habituel « comme » ou un équivalent « avec l’attention de ». La variété des comparaisons tient aussi à leur concision ou à leur développement et à leur caractère plus ou moins explicite. S’ENTRAÎNER À L’ÉCRITURE D’INVENTION Le sujet invite à réfléchir aux modalités narratives et descriptives (narrateur, focalisation, portrait en mouvement ou non, système des temps, champs lexicaux, registres), à imaginer un cadre spatio-temporel, à donner une identité au personnage (homme, femme, jeune, vieux, etc.) et à choisir un monde où puiser les comparants (humain, animal, etc.). Le personnage devra devenir plus inquiétant au fil des lignes. Lecture d’images p. 130 (ES/S et Techno) p. 132 (L/ES/S) Théodore Géricault, La Folle monomane du jeu (1820) Théodore Géricault est un peintre français né en 1791 ; il mourra en 1824 à la suite d’une chute de cheval. Par son génie et son destin tragique, il incarne l’artiste romantique. Le Radeau de la Méduse (18171819) reste son œuvre la plus célèbre. Le travail que lui a demandé la réalisation de ce tableau aurait plongé le peintre dans un état dépressif. Soigné et guéri par le docteur Georget, aliéniste et médecinchef de l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, celui-ci lui aurait demandé de peindre dix études d’aliénés entre 1819 et 1822 à des fins didactiques dont La Folle monomane du jeu. La « monomane », terme utilisé au XIXe siècle pour classer une forme de folie, est sans doute une malade du docteur Georget qui devient ici une incarnation de la folie. Elle est représentée sur un fond sombre, avec lequel se confond presque son corps, qui met en valeur le visage du personnage au contraire lumineux. La mise en valeur tient encore aux deux taches de couleur blanche représentant une coiffe et un foulard et encadrant ce visage. C’est évidemment le titre et les conditions dans lesquelles cette œuvre a été peinte qui nous renseignent sur l’état mental du personnage représenté mais on se demandera quelles sont, pour le peintre, les représentations de la folie que ce tableau suggère ? Que le peintre s’attache essentiellement à la représentation du visage trahit qu’il est pour lui – point de vue partagé par son époque – le lieu de l’expression de la folie ou qu’il y aurait une physionomie propre à la folie. On 94 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 94 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du notera une curieuse implantation des cheveux ou une mèche qui semble vouloir échapper à la coiffe, indice d’un désordre physique connotant le désordre mental ou défaut physique signe d’une déficience plus générale. C’est cependant par le regard, levé peut-être vers le peintre mais pas tout à fait vers le spectateur du tableau, que Géricault a cherché à traduire la folie du personnage. Vide, ce regard traduit le vide du cerveau, l’absence des facultés mentales, indice de la folie, d’une raison perdue. Ce regard traduit aussi une absence de communication entre la monomane et le peintre. On peut toutefois s’attarder sur le point de vue en légère plongée –le personnage paraît assis– et à la superposition des vêtements qui couvrent « la monomane » et qui contribuent à donner le sentiment que le personnage est accablé et écrasé, comme anéanti, par sa folie. Si le regard paraît vide, il traduit aussi une tristesse et peut-être une souffrance, et une longue souffrance si l’on s’attache à la vieillesse du personnage, représentée par les rides, un certain affaissement du bas du visage, les paupières rougies, le jaune –orangé choisi pour peindre la peau– qui donnent à ce personnage une humanité qui dépasse la représentation réaliste voire scientifique des signes de cette monomanie. L’ambition du peintre paraît aller au-delà de la documentation concernant les monomanes. Géricault représente une figure bouleversante de l’humanité si l’on veut bien percevoir dans ses yeux levés sinon une prière du moins une humble supplique. Odilon Redon, Le Fou ou la Folie (1833) À la fin du XIXe siècle, le courant symboliste – auquel on peut rattacher Odilon Redon – explore les tréfonds de l’âme. Ces artistes voient dans la folie une distanciation de la conscience face au matérialisme désenchanté du monde contemporain dans lequel ils évoluent et dont le réalisme n’a rien à voir avec l’univers idéal qu’ils se sont forgé. Il s’agit pour eux de peindre le secret des choses, l’expérience intime des êtres, le mysticisme transcendant. Les Symbolistes ne représentent que des émotions. Leur onirisme nie la réalité sordide et simplifie les figures à l’extrême pour atteindre une merveilleuse abstraction. Ils annoncent à leur manière l’art du XXe siècle. Odilon Redon (1840-1916) est l’un des maîtres de l’art moderne – les Surréalistes s’en réclamaient – et occupa dans l’art de son temps une place particulièrement originale. Alors que ses contemporains s’intéressent à la conquête de la lumière et à l’alchimie des couleurs, il utilise les seules ressources du noir et du blanc. À partir de 1875, et pendant plus de dix ans, l’artiste va s’adonner à ses « Noirs », réalisés à la mine de plomb ou au fusain, une série de dessins aux tonalités sombres qui tentent d’approcher le clair-obscur de Rembrandt ou le sfumato de Léonard de Vinci. Ce travail sur le clair-obscur renvoie à une période très sombre de la vie du peintre, à un moment d’intense souffrance morale dont la fin coïncidera très précisément avec la redécouverte de la couleur et l’introduction des pastels dans son œuvre XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 à partir de 1890. Ses « Noirs » – dessins, fusains et lithographies – expriment non seulement la réalité vue, mais la réalité sentie, révélant un monde invisible issu de ses rêves. L’allégorie de La Folie appartient à cette série. Il s’agit du portrait d’un personnage asexué dont le visage émacié est coiffé d’un bonnet parsemé de clochettes. Les yeux immenses, inexpressifs, dissimulent un monde intérieur clos, douloureux, où l’étrange le dispute au fantastique. Comme dans ses diverses représentations carcérales, Odilon Redon reprend ici le vieux thème de l’âme prisonnière. (Notice de Alain Galoin, http://www.histoire-image.org) Odilon Redon a choisi de représenter indirectement la folie par le dessin –un fusain sur papier– par une instabilité et une absence au monde du personnage. La présence du monde dans ce dessin – On peut déjà remarquer la présence du monde par la présence d’un décor –la porte, l’esquisse d’un mur– qui sépare deux lieux ou deux mondes et qui suggère l’enfermement. – La démesure des yeux suggère qu’un monde intérieur se confronte au monde extérieur. – Les clochettes, qui sont un attribut traditionnel du fou, avertissent le « monde », de la présence du fou et permettent au « monde » de s’en éloigner. – Le personnage lui-même est une figure humaine qui appartient au monde des hommes par le mouvement de son corps, ses vêtements, son visage et son regard. Instabilité et absence – L’instabilité et l’absence tiennent au trait délicat du dessin, aux jeux entre les noirs et les gris, les foncés et les clairs, la transparence du bonnet derrière lequel se devine le cadre de la porte qui donnent à la fois une impression d’inachèvement et de confusion entre le décor et le personnage. – La tête, le visage, les orbites, la maigreur sont cadavériques. Par une ombre qui part du col du vêtement pour remonter jusqu’au bonnet, le peintre détache la tête du buste. Le mouvement lui-même donne un sentiment d’équilibre fragile et de retrait ou de crainte du monde. La position des clochettes supposent d’ailleurs un mouvement du personnage et probablement un mouvement de recul. – La douceur et l’inquiétude du regard, la délicatesse du col, la finesse des traits du personnage, comme celle du peintre, fragilisent le personnage pouvant susciter le désir de prendre soin, comme celui de s’éloigner, du fou ou de La Folie. – On peut s’interroger sur la fragilité du dessin luimême et de son support, le papier dont on perçoit le grain mais aussi sa couleur jaunissante. Synthèse L’allégorie et l’incarnation expriment toutes les deux la folie dans des intentions plus ou moins explicitement didactiques mais par des moyens différents. 95 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 95 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur 1. L’incarnation – L’incarnation de la folie par une folle réelle vise à créer le personnage-type de la folle qui a donc une portée plus ambitieuse que de portraiturer le seul modèle. – Le caractère réel du modèle impose cependant au peintre sa réalité, son époque et prend donc un caractère réaliste limitant sa portée universelle. – L’intention du peintre suggère que le portrait concentre, cristallise des traits de la folie dans un même personnage mais qui n’appartiennent pas au seul modèle. – Le caractère réaliste de l’incarnation permet au peintre de ne pas limiter la portée de son œuvre à sa visée didactique. – Du caractère réaliste de l’incarnation découle une proximité du spectateur avec la folle qui entraîne une hésitation quant à sa perception de l’œuvre. : reconnaissance, identification ou regard plus intellectualisé. 2. L’allégorie – L’allégorie a une visée plus explicitement didactique et, l’œuvre qui exprime la folie, ne représente pas un modèle de folle mais une image de la folie. – L’image de la folie est définie par des attributs symboliques : les clochettes qui au dix-neuvième siècle ne sont plus utilisées pour distinguer les fous sont néanmoins historiquement un attribut du fou et notamment du fou du roi. – Le décor et son rapport au personnage sont euxmêmes symboliques et clairement didactiques : rapports du fou au monde et du monde au fou qui sont eux toujours vrais au dix-neuvième siècle et qui n’ont pas perdu aujourd’hui leur actualité. – Plus que l’incarnation, mais aussi comme l’incarnation le fou de l’allégorie évoque un personnage-type mais La Folie le dépasse pour atteindre l’idée même de la folie et le titre donné par le peintre souligne cette ambition. – L’image concentre plus que l’incarnation tous les traits de la folie et sont nettement symbolisés dans et par le dessin (voir plus haut la réponse à la question). – L’absence de réalisme de l’image la rend plus intemporelle et lui donne donc une portée plus universelle. – L’image néanmoins suscite aussi l’émotion (voir réponse à la question). PROLONGEMENTS 1. On pourra comparer la représentation de Géricault à celle de Zola dans Le Docteur Pascal (1893), p. 309-310, éditions Le Livre de poche. Et Tante Dide le regardait de son regard vide, où il n’y avait ni plaisir ni peine, le regard de l’éternité ouvert sur les choses. Pourtant, au bout de quelques minutes, un intérêt parut s’éveiller dans ses yeux clairs. Un événement venait de se produire, une goutte rouge s’allongeait, au bord de la narine gauche de l’enfant. Cette goutte tomba, puis une autre se forma et la suivit. C’était le sang, la rosée de sang qui perlait, sans froissement, sans contusion cette fois, qui sortait toute seule, s’en allait, dans l’usure lâche de la dégénérescence. Les gouttes devinrent un fi let mince qui coula sur l’or des images. Une petite mare les noya, se fit un chemin vers un angle de la table ; puis, les gouttes recommencèrent, s’écrasèrent une à une, lourdes, épaisses, sur le carreau de la chambre. Et il dormait toujours, de son air divinement calme de chérubin, sans avoir même conscience de sa vie qui s’échappait ; et la folle continuait à le regarder, l’air de plus en plus intéressé, mais sans effroi, amusée plutôt, l’œil occupé par cela comme par le vol des grosses mouches, qu’elle suivait souvent pendant des heures. Des minutes encore se passèrent, le petit fi let rouge s’était élargi, les gouttes se suivaient plus rapides, avec le léger clapotement monotone et entêté de leur chute. Et Charles, à un moment, s’agita, ouvrit les yeux, s’aperçut qu’il était plein de sang. Mais il ne s’épouvanta pas, il était accoutumé à cette source sanglante qui sortait de lui, au moindre heurt. Il eut une plainte d’ennui. L’instinct pourtant dut l’avertir, il s’effara ensuite, se lamenta plus haut, balbutia un appel confus. – Maman ! maman ! Sa faiblesse, déjà, devait être trop grande, car un engourdissement invincible le reprit, il laissa retomber sa tête. Ses yeux se refermèrent, il parut se rendormir, comme s’il eût continué en rêve sa plainte, le doux gémissement, de plus en plus grêle et perdu. – Maman ! maman ! Les images étaient inondées, le velours noir de la veste et de la culotte, soutachées d’or, se souillait de longues rayures ; et le petit fi let rouge, entêté, s’était remis à couler de la narine gauche, sans arrêt, traversant la mare vermeille de la table, s’écrasant à terre, où finissait par se former une flaque. Un grand cri de la folle, un appel de terreur aurait suffi. Mais elle ne criait pas, elle n’appelait pas, immobile, avec ses yeux fi xes d’ancêtre qui regardait s’accomplir le destin, comme desséchée là, nouée, les membres et la langue liés par ses cent ans, le cerveau ossifié par la démence, dans l’incapacité de vouloir et d’agir. Et, cependant, la vue du petit ruisseau rouge commençait à la remuer d’une émotion. Un tressaillement avait passé sur sa face morte, une chaleur montait à ses joues. Enfin, une dernière plainte la ranima toute. – Maman ! maman ! Alors, il y eut, chez Tante Dide, un visible et affreux combat. Elle porta ses mains de squelette à ses tempes, comme si elle avait senti son crâne éclater. Sa bouche s’était ouverte toute grande, et il n’en sortit aucun son : l’effrayant tumulte qui montait en elle lui paralysait la langue. Elle s’efforça de se lever, de courir ; mais elle n’avait plus de muscles, elle resta clouée. Tout son pauvre corps tremblait, dans l’effort surhumain qu’elle faisait ainsi pour crier à l’aide, sans pouvoir rompre sa prison de sénilité et de démence. La face bouleversée, la mémoire éveillée, elle dut tout voir. 96 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 96 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du 2. On pourra trouver de nombreux exemples de tableaux et sculptures allégoriques sur le site du musée du Louvre. 3. On pourra analyser le tableau La Folle (1919) de Chaïm Soutine. Texte 3 – François Mauriac, Thérèse Desqueyroux (1927) p. 132 (ES/S et Techno) p. 134 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer par quels procédés le romancier fait entrer le lecteur dans l’intimité du personnage. – Montrer un visage moderne plus proche de la dépression que de la folie. – S’interroger sur la fonction de la peinture : analyse des causes du vacillement de la raison, fonction critique nuancée et parti pris du texte. LECTURE ANALYTIQUE Échapper à la réalité Dans ces lignes, Thérèse, enfermée dans sa chambre, échappe au monde et à elle-même par des évasions qui apparaissent comme le fruit d’une volonté de se construire une VIe heureuse et une personnalité attachante et innocente, voire admirable. Les première et dernière phrases de l’extrait en évoquant un monde extérieur à la chambre où Thérèse reste cloîtrée encadrent les évocations de Thérèse et redoublent par l’organisation du texte son enfermement effectif et les frontières qui délimitent son univers. Ce monde extérieur n’invite pas à l’évasion réelle tant il est connoté négativement par « la pluie épaisse » et « le crépuscule » (l. 2-3) et « un soleil froid » (l. 48-49). C’est dans ce monde clos que peut se déployer ce qui permet à Thérèse d’échapper par « la pensée » (l. 19) à la réalité, à ce monde et ces personnages hostiles (l. 8 à 18, 38 à 40) mais aussi à elle-même et à sa propre réalité monstrueuse, de s’en séparer : « elle cherchait dans son passé » (l. 4), « Elle composait un bonheur […] un impossible amour » (l. 6-7), « inventait une autre évasion » (l. 21), « Elle imagine » (l. 32), « Elle voit » (l. 33). Cette volonté est soutenue par un travail méthodique, une abnégation. Thérèse cherche en effet « avec méthode » (l. 3) et elle « suscit[e] » (l. 19), « Elle invent[e] » (l. 24) malgré un entourage pour qui elle est une « faignantasse » (l. 16) qui doit « se lev[er] de gré ou de force » (l. 40) et qui parvient à la ramener à une réalité définie par le regard des autres et par le sien propre : « un vrai parc à cochons ! » (l. 39-40), « Thérèse regarde avec stupeur ses jambes squelettiques et ses pieds lui paraissent énormes » (l. 41 à 43). Ses « évasions » sont donc provisoires et s’échouent dans une réalité douloureuse dans XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 laquelle le réconfort de ses « cigarettes » (l. 47) qu’elle ne parvient pas à saisir : « sa main retombe dans le vide » (l. 47-48) lui est refusé. Rêverie ou délire ? Les évasions de Thérèse peuvent apparaître comme des rêveries nostalgiques d’une VIe heureuse qui eût été possible si les circonstances le lui avaient permis mais par différents procédés le narrateur nous invite à y voir un glissement vers la folie, le délire. Si la présence du narrateur extérieur est présent tout au long du texte par son omniscience et ses commentaires, il laisse aussi entendre d’autres voix, celles des domestiques, et accorde parfois à Thérèse une autonomie qui donne le sentiment qu’elle lui échappe et qu’elle s’échappe. Des lignes 21 à 24 le lecteur se trouve au milieu d’une scène inventée par Thérèse, « une évasion », que le lecteur découvre par le point de vue interne, celui de Thérèse comme on entre plus loin avec les « : » (l. 24) dans « d’autres rêves » desquels s’efface le narrateur. De même l’emploi du présent de narration à partir de la ligne 31 et l’énumération d’objets associés à des sensations (l. 33-34) entraînent le lecteur à voir, entendre, sentir avec Thérèse. Le caractère non systématique de ce procédé, puisque le narrateur y mêle son commentaire (l. 35-36), la variété des valeurs des présents, présent d’énonciation « songe-t-elle » (l. 31), présent de vérité générale « existe » (l. 32), présent de narration « entend-elle » (l. 37) brouillent les repères redoublant ainsi le sentiment d’un temps, de lieux, d’une raison dont les frontières s’effacent et qui suggèrent que Thérèse entretient un lien de plus en plus ténu avec la réalité. Certaines « évasions » s’ancrent d’abord « dans son passé » (l. 4) pour produire des rêveries que le narrateur nomme lui-même des « rêves » (l. 24). Ces rêves soulignent un manque d’amour exprimé hyperboliquement dans la proposition « l’amour dont Thérèse a été plus sevrée qu’aucune créature » (l. 36-37) et qui définissent implicitement ce que serait pour elle le bonheur : « une maison au bord de la mer » (l. 24-25), un homme, « quelqu’un » (l. 30), qui « l’entour[e] des deux bras » (l. 31), « un baiser » (l. 31) dans lequel elle se donne à voir en femme aimée et aimante. Un bonheur somme toute simple et stéréotypé dominé par l’amour et qui ne signifie pas que Thérèse perd la raison mais qui la rend humaine et proche du lecteur à moins que ce bonheur trop simple suggère les limites de Thérèse. Cependant cet amour, souligne le narrateur, « la poss[ède] », la « pén[ètre] » et les présents donnent à cette évocation le caractère d’une vision plus forte qu’une rêverie, d’une véritable évasion hors de la réalité et de la raison. Au milieu de ses « rêves plus humbles » (l. 24), et au milieu du texte, encadrée par les rêves, s’impose une évasion plus délirante : Thérèse se place au centre de personnages indéfinis et en position de prière et d’adoration représentés par « on » (l. 21). Elle rappelle le personnage de l’ermite ou de la sainte vivant misé- 97 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 97 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur rablement sur un « grabat » (l. 21) et qui possède le pouvoir de guérir miraculeusement un enfant mourant en « pos[ant] sur lui sa main toute jaunie de nicotine », ce dernier détail très pictural portant sur la main la reliant encore à sa réalité et confirmant aussi qu’elle est bien à ses yeux ce personnage inventé, c’est-à-dire qu’elle n’est plus elle-même. Ici Thérèse s’est véritablement échappée de la réalité et d’elle-même et offre le visage de la folie. Ces rêveries ou ce délire mettent en évidence la cause de son geste et d’un possible basculement dans la folie : un désir avide d’aimer et d’être aimé, un désir d’amour auquel son mari est étranger, mais qui, par la mise en scène théâtrale suggère la volonté d’annuler à ses yeux son crime par son miracle, de se déculpabiliser. Le texte invite à s’apitoyer sur Thérèse mais le bonheur stéréotypé, une certaine complaisance à se sanctifier insinuent un doute sur les intentions de l’auteur : veut-il condamner un homme et le monde qu’il représente incapables de donner ou de recevoir de l’amour ou suggérer la démesure insatiable de Thérèse mais cependant admirable. loppe », « pousse », « cherche », « retombe », « entre ». D’autres présents : « voit », « grince », « parfument » qui nous transportent dans le rêve de Thérèse peuvent s’analyser comme des présents de narration mais aussi comme des présents prophétiques avec des enjeux semblables à l’emploi de l’imparfait dans les lignes précédentes. Les verbes « doit être», « existe », « dépasse » sont des présents permanents ou de vérité générale. Les présents « est possédée, pénétrée » sont des présents dits étendus. Le passé composé « a été sevrée » exprime aussi un espace de temps très étendu mais antérieur. Par ailleurs, « il faut que Madame se lève » exprime un procès à venir et dépendant de la volonté de Balionte et de celle de Thérèse. Les futurs simples situent les actions dans une époque future plus ou moins déterminée et sont envisagées comme certaines. Texte 4 – Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein (1964) p. 134 (ES/S et Techno) p. 136 (L/ES/S) Synthèse Les élèves devront montrer que si le texte rappelle explicitement la situation de Thérèse, voulue et subie, les procédés de narration –choix d’un narrateur omniscient, commentaires, recours au point de vue interne, exploitation des imparfaits et présents de l’indicatif et de leurs valeurs – permettent à la fois d’entrer dans l’intimité de Thérèse dans son monde et de voir et de ressentir avec elle mais aussi de brouiller les références temporelles et spatiales réelles et imaginaires pour mieux traduire la fragilité mentale de Thérèse. Il faudra montrer que les paroles exprimées au discours direct ou indirect libre soulignent la présence d’un monde hostile et que l’organisation du texte renforce l’idée d’enfermement et met en relief le délire religieux de Thérèse en lui octroyant une place centrale. GRAMMAIRE Si l’identification des temps ne présente pas de difficulté – sinon « a été sevrée » (l. 36-37), passé composé à la voix passive, « est possédée, pénétrée » (l. 37), présent à la voix passive et « se lève » (l. 40), présent du subjonctif – l’analyse de leurs valeurs est plus complexe. Les verbes à l’imparfait des lignes 29 à 31 peuvent s’analyser comme des imparfaits narratifs auxquels on pourrait substituer des présents de narration. Thérèse imaginant une VIe qu’elle aurait pu vivre dans le passé, Ils peuvent être aussi compris comme des imparfaits de perspective équivalant à des futurs proches exprimant l’avenir rêvé de Thérèse. Certains des verbes conjugués au présent de l’indicatif des lignes 31 à 33 et 37 à 49 nous ramènent à la narration et sont des présents de narration : « songe-t-elle », « imagine », « entendelle », « crie », « regarde », « paraissent », « enve- OBJECTIFS ET ENJEUX – Montrer l’originalité des procédés de la construction du personnage et de sa folie. – Découvrir un exemple d’une héroïne luttant contre un état dépressif ou menaçant de l’entraîner dans la folie. – Montrer la perception de la folie par l’entourage. LECTURE ANALYTIQUE La construction du personnage de Lol et de son histoire Lol est au centre du récit mené par un narrateur difficilement définissable, apparemment extérieur mais en fait personnage témoin de l’histoire de Lol. Lol est aussi entourée de nombreux personnages qui sont autant de regards portés sur l’héroïne s’ajoutant à ceux de Lol elle-même et du narrateur construisant ainsi une figure de l’héroïne éponyme et de sa folie. Cet extrait rappelle également la péripétie qui a amené Lol à perdre momentanément la raison. Les modalités de la narration, les informations amènent le lecteur a s’attacher à l’héroïne. La nomination de l’héroïne est omniprésente dans la majeure partie du texte. Le prénom – original en soi et retenant l’attention – apparaît à sept reprises et son nom à deux reprises ; les autres personnages sont représentés par le pronom indéfini « on » repris dix fois. Le narrateur peut lui-même s’inclure dans ce « on » (l. 18). L’amant, celui qui l’a abandonnée est caractérisé par une périphrase et par son nom. Ces procédés de nomination ont pour effet de mettre en relief l’héroïne, de la mettre au centre du texte et de l’attention de tous mais aussi de la distinguer, de 98 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 98 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du l’isoler nettement des autres personnages présents mais indéfinis à la fois proches de Lol mais aussi peu capables de la comprendre et enfin de la relier à l’amant – définitivement absent – par la présence de leur nom propre. L’état de Lol est présenté par le narrateur ou par des propos et des jugements qu’il rapporte. Il est caractérisé à deux reprises (l. 1 et 22) par le substantif « prostration », explicité en « accablement » et « grande peine » (l. 22). Cette prostration est la conséquence d’une souffrance aussitôt interrogée par le narrateur pour souligner la difficulté à la définir, à la comprendre (l. 2) mais rappelée explicitement ou implicitement tout au long du texte par « des signes » (l. 1). Ces signes d’abord spectaculaires et inquiétants (l. 3 à 11) se font plus discrets et plus rassurants (l. 12 à 21) jusqu’à laisser entrevoir une possible guérison (l. 22 à 38). Ces signes sont donnés à connaître sans commentaire quant à leur gravité et sont perçus par l’entourage dont le narrateur se fait l’écho et peut-être le commentateur (l. 18 à 20). Les modalités de la narration laissent le lecteur à distance et ne lui donnent pas d’assurance quant à l’état de Lol. Ces lignes ont pour fonction de poursuivre la construction du personnage et de sa folie sans pour autant leur donner des contours définitifs : le narrateur construit une héroïne par l’intermédiaire de différents points de vue mais laisse aussi au lecteur la possibilité de douter de ces points de vue. Ces lignes rappellent également les événements qui ont amené Lol à « son délire premier » (l. 23). Ce rappel se fait par l’intermédiaire d’un point de vue mal identifiable « on » et d’un discours indirect glissant vers un discours indirect libre (l. 22 à 28). Dans une proposition causale (l. 28-29) se trouve résumée l’histoire de Lol : la péripétie, le lieu, les protagonistes et une cause présentée comme certaine « l’étrange omission de sa douleur ». À cette histoire s’ajoutent la fin de l’intrigue entre son fiancé et Anne-Marie Stretter représentés par le pronom personnel « eux » –qui connote une mise à distance du couple –, et la fin supposée de l’amour que Lol éprouvait pour « Michael Richardson ». Là encore ces informations sont davantage des interprétations, des suppositions de l’entourage que des certitudes sur lesquelles pourrait s’appuyer le lecteur qui en est privé dans toutes ces lignes. Ces insistances sur la souffrance de Lol mais aussi sa bonne volonté, ses efforts pour conserver un lien avec la réalité qui l’entoure, la comparaison avec « l’impatience d’un enfant » (l. 9-10) mais aussi le doute quant à sa guérison dont les signes ne sont rassurants que pour l’entourage –qui se montre cependant attentif–, le rappel de sa situation de femme abandonnée font de Lol une héroïne attachante qui suscite compassion. Une résistance à la folie L’intérêt de cet extrait tient à l’expression d’une crise, d’un délire mais aussi à son évolution vers une guérison envisagée qui semble tenir à l’entourage et XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 à l’héroïne elle-même. À la différence des extraits précédents où les héroïnes paraissent ne pouvoir ni ne vouloir retrouver la raison, Lol paraît au contraire vouloir échapper à la folie. a) On montrera comment le texte progresse explicitement vers la « raison retrouvée » (l. 37) de Lol mais aussi comment il insinue un doute (l. 29-32). b) On étudiera l’attention portée par l’entourage et ses efforts pour sortir Lol de son délire. c) On analysera comment le texte suggère le désir que montre Lol de ne pas s’isoler totalement du monde qui l’entoure. Cette résistance à la folie et même cette victoire promise sur la folie sont toutefois sujettes à caution puisque le narrateur ne confirme pas explicitement les impressions ou espérances de l’entourage. Lol échappe ainsi à toute certitude et le titre apparaît bien polysémique et énigmatique : Lol est-elle ravie, enlevée ou bien sera-t-elle ravie, heureuse ? Légère comme les diminutifs de ses prénoms le suggèrent ou lourde et dure comme la pierre de son nom ? Synthèse L’évolution de la folie de Lol vers une « raison retrouvée » et le regard porté sur Lol et sa folie sont décrits et relatés par des procédés qui contribuent à donner un sentiment de proximité et d’éloignement par rapport au personnage et d’incertitude quant à son destin. L’ordre de la narration est chronologique et fortement marqué par des adverbes temporels et l’emploi du passé simple et des imparfaits itératifs mais aucune indication précise de durée n’est donnée par le narrateur. Certains adjectifs, adverbes et remarques des personnages suggèrent une durée assez longue ce qui donne donc un rythme de narration rapide mêlant résumés, ellipses et scènes répétées pour décrire et relater l’évolution vers la guérison en laissant le lecteur dans une relative ignorance de la durée de l’amélioration de son état mais suggérant la volonté que Lol guérisse rapidement. Si cette évolution est présentée par le narrateur, elle l’est aussi simultanément et successivement, à travers le regard de témoins indéterminés représentés par le pronom indéfini « on » devant lesquels s’efface plus nettement le narrateur à partir des lignes 22 à 28. Si l’entourage, représenté par le pronom, porte un regard bienveillant (l. 10), il évolue vers un agacement ou un renoncement (l. 14-15, 17, 21) et finalement vers l’impuissance à la guérir (l. 22-28) espérant que le temps fera son œuvre. La confiance affichée dans le dernier paragraphe confirme cet espoir de l’entourage sans que le narrateur signale clairement son adhésion à ce point de vue privant le lecteur de certitudes. GRAMMAIRE On compte huit occurrences de « on » dans le texte. Ce pronom indéfini représente une personne ou un ensemble de personnes identifiés ou non. Certaines 99 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 99 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur occurrences comme aux lignes renvoient d’après le contexte aux proches de Lol impliqués dans les événements. Quand il est associé au verbe dire, le « on » est beaucoup plus indéterminé et élargi à d’autres témoins ou à la rumeur dont le narrateur se fait l’écho et ne permet pas de situer dans le temps le moment où les paroles ont été rapportées. Le « on » (l. 18) pourrait aussi représenter le narrateur si l’on oppose l’ambition de l’analyse (l. 18 à 20) aux autres explications ou hypothèses comme par exemple « seul le temps en aurait raison ». S’ENTRAÎNER À LA DISSERTATION Cette partie de la dissertation démontrera que le roman par différents procédés de narration suggère la fonction critique de la peinture de la folie dans le roman Trois arguments peuvent être attendus : 1. Critique du personnage masculin qui par sa trahison provoque la folie du personnage féminin. Exemples : textes 1 et 4 dans une moindre mesure. 2. Critique d’une société dominée par l’homme, ses valeurs et ses actions dont la femme est la victime. Exemples : textes 1 (religion et morale), 2 (guerre) et 3 (hypocrisie et bienséance bourgeoises). 3. Critique plus implicite d’une société qui ne paraît laisser à la femme délaissée que le choix de la folie. Exemples : textes 1 à 4. Des textes qui prennent donc implicitement le parti des femmes contre les hommes et la société. Perspective – William Shakespeare, Hamlet (1603) p. 136 (ES/S et Techno) p. 138 (L/ES/S) OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir un visage incontournable de la folie. – Montrer comment les procédés du théâtre peuvent exprimer la folie. – Rappeler le lien entre texte et représentation. LECTURE ANALYTIQUE Cette scène qui est chronologiquement la première représentation de la folie dans cette séquence offre le portrait, comme dans le texte de Balzac, d’une jeune femme ayant des symptômes spectaculaires de la folie et d’une folie empreinte d’un mystère qui la place en marge de la condition humaine. La folie d’Ophélie est d’abord immédiatement identifiée et nommée par le personnage de Laertes dans sa première réplique lorsqu’il s’adresse à sa sœur au milieu d’exclamations traduisant sa douleur ou sa colère « ta folie » (l. 5) puis, s’adressant au monde divin « Ô cieux » (l. 7), il évoque « la raison […] mortelle » (l. 7-8) de sa sœur. Simultanément cette folie est indiquée par la didascalie décrivant la coiffure d’Ophélie : « bizarrement coiffée de fleurs et de brins de paille » (l. 2-3), dernier détail qui ajoute à l’aspect désordonné de cette coiffure que pourra rendre la coiffure de l’actrice. Cette folie se traduit aussi par toute une série de décalages. Un décalage entre l’attitude d’Ophélia et la situation : elle chante et offre des fleurs alors que son père vient de mourir. Un décalage entre les paroles de la chanson : « Ils l’ont porté tête nue sur la civière » (l. 11), qui rappellent son père, et ses commentaires : « Adieu, mon tourtereau ! » (l. 15), qui rappellent son amant Hamlet, le meurtrier de son père. Décalage dans le système du dialogue puisque les personnages ne répondent pas à Ophélia quand elle leur distribue des fleurs tout en commentant ses choix (l. 23-31) et son propos devient un soliloque. Elle-même ne réagit pas aux réflexions de son frère tout au long de la scène. Décalage aussi entre Ophélie qui juge « ce refrain à propos » (l. 20) ou Laertes qui devine ce que ces propos sousentendent alors qu’ils ont un caractère énigmatique pour le lecteur. Cette folie se caractérise aussi et comme dans tous les textes que nous avons lus par son rapport à la réalité. Si Ophélie est incohérente, sa chanson comme ses répliques entretiennent encore un lien avec les événements connus comme le montrent les derniers couplets (l. 35 à 45) et « quand mon père est mort […] on dit qu’il a eu une bonne fin » (l. 30), ses derniers mots (l. 46-47) mais aussi « Adieu, mon tourtereau ! » qui suggère qu’elle a pleine conscience des enjeux, pour elle tragiques. Ophélie bien qu’elle ait perdu la raison en souligne la cause en oscillant entre le maintien d’un lien avec la réalité et la perte de ce lien. Dans la dernière partie de la scène la folie de sa sœur suscite chez Laertes dans quatre dernières répliques ses commentaires sur la folie. Selon lui, elle semble avoir le pouvoir de dévoiler « ces riens-là en disent plus que bien des choses », d’enseigner « leçon donnée par la folie », de métamorphoser le mal en bien « Mélancolie […] elle donne. charme […] grâce ». On rencontre dans la bouche de Laertes le mystère de la folie et de la folle qui sont certes perte de la raison mais aussi langage énigmatique que seuls peuvent tenir les fous. Le texte offre à l’actrice les moyens de représenter cette folie. C’est d’abord sur l’apparence que Shakespeare invite l’actrice à paraître folle. C’est également par la chanson intempestive qu’elle peut souligner son déséquilibre et peut-être plus encore par le passage soudain de la chanson à la parole. L’alternance de propos aimables, graves ou sibyllins invite à proposer dans un intervalle très court une variété d’interprétations et suggérer l’incohérence et le trouble. La relation aux autres personnages permet à l’actrice de paraître étrangère aux acteurs qui l’entourent tout en les choisissant comme récepteurs muets de ses fleurs et de sa parole et en les impliquant dans une proximité physique. La représentation théâtrale permet d’exploiter un texte qui est le support à l’expression de la folie. 100 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 100 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du LECTURE D’IMAGE Ernest Hébert, Ophélie (1876) Alors que la tragédie de Shakespeare date du début du XVIIe siècle, au XIXe siècle de nombreux peintres (Waterhouse, Millais, Delacroix, Redon) et écrivains (Dumas, Laforgue, Rimbaud), des musiciens (Berlioz, Brahms), se son attachés au personnage d’Ophélie et notamment à sa folie et à sa mort. Ophélie devenant ainsi une figure mythologique presque indépendante du personnage créé par Shakespeare et qui peut influencer sa perception 1. La représentation picturale d’un visage de la folie Hébert (1817-1908), peintre académique français (contemporain du Romantisme, du Réalisme et du Symbolisme), se montre ici fidèle au texte et à la didascalie en coiffant Ophélie d’une guirlande de fleurs. On peut noter que les brins de paille sont oubliés et l’arrière-plan représentant des feuillages situe la représentation à un moment ultérieur à la scène 5 et qui précède évidemment sa mort notamment représentée par le peintre préraphaélite Millais en 1851. C’est d’abord la connaissance que nous avons du personnage qui nous invite à voir dans ce portrait une Ophélie devenue folle, nous pouvons cependant être sensibles à la volonté du peintre de représenter cette folie par certains traits qui suggèrent désordre et étrangeté mais aussi sensualité et innocence. Le portrait met en valeur la sensualité d’Ophélie par l’abondante chevelure dérangée d’un roux flamboyant mais aussi par une bouche nettement dessinée et colorée d’un rouge insistant qui contrastent avec les sourcils noirs, les cernes et enfin le corsage noir. Se mêlent à cette sensualité qui rappelle l’amante passionnée, des attributs plus virginaux comme les fleurs blanches, mais aussi la pâleur du front et les cheveux plus blonds que roux au sommet de son crâne qui rappellent la jeune fille et même la fille – celle de Polonius. Ces oppositions sont soulignées par les contrastes créés par l’ombre et la lumière et symbolisent ce qui fait perdre à Ophélie sa raison : un père tué par celui qu’elle aime et l’impossible conciliation de deux amours. Le désordre mental se traduit donc par un désordre physique perceptible dans sa représentation. Ces oppositions se retrouvent dans la peinture des yeux, eux-mêmes isolés au centre d’un espace lumineux. Le regard d’Ophélie fixe le spectateur avec gravité. L’attitude d’Ophélie, l’encadrement des yeux par les cheveux suggèrent un désir de s’isoler ou une crainte. Ophélie est présente par son regard mais se met aussi en retrait, s’absente déjà. Par cette hésitation entre la présence et l’absence, le peintre traduit la situation d’Ophélie qui fuit la réalité et qui va bientôt mourir. On peut d’ailleurs percevoir dans ce portrait des indices anticipant les conditions de sa mort. La rivière dans laquelle elle se noiera, sa couleur, sont ici annoncées par les ondulations de la longue et abondante chevelure d’Ophélie et le vert de l’arrière-plan. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 On pourra comparer ce tableau à celui de Millais peint vingt-cinq ans plus tôt qui représente lui aussi une Ophélie rousse se noyant dans une rivière dominée par le vert. 2. La lecture La représentation de l’héroïne tragique, sa construction invitent à s’interroger sur son influence quant à la perception du personnage d’Ophélie par le lecteur. Le portrait du peintre, fruit de son imaginaire et du texte, donne un visage à un personnage qui peut se substituer à l’imaginaire du lecteur et donc influencer son appréhension du personnage : Ophélie décrite par la didascalie de Shakespeare prend les traits du portrait d’Hébert. De même le lecteur se verra imposer par l’actrice et le metteur en scène un certain visage d’Ophélie qui sera le fruit d’un choix d’une actrice, d’une construction du personnage s’appuyant sur le texte et pourra s’imposer lors d’une relecture du texte après avoir assisté à une représentation. On peut ici se reporter à la photographie de Dominique Blanc interprétant Phèdre. Ajoutons qu’évidemment l’actrice se déplace, joue des expressions de son visage et de son corps et surtout interprète le texte, exploite sa voix et sa technique pour créer le personnage en s’appuyant essentiellement sur le texte de Shakespeare. Rappelons toutefois que le metteur en scène et l’actrice peuvent exploiter les différentes représentations proposées au fil des siècles par les différents artistes. Tout ceci soulignant combien un texte, un personnage s’enrichissent de leurs diverses représentations au point parfois de devenir un mythe qui échappe à son créateur. HISTOIRE DES ARTS 1. Audition de « l’air de la folie » dans l’opéra Donizetti intitulé Lucia di Lammermoor (1835) OBJECTIFS ET ENJEUX – Approche de l’opéra. – Étudier l’expression de la folie dans l’opéra. – Comparer opéra et genres littéraires. Rappel de l’action L’action se déroule dans l’Écosse de la fin du XVIe siècle. Les familles luttent entre elles, tandis que les guerres entre catholiques et protestants font rage. Les Ashton, depuis longtemps les grands rivaux des Ravenswood, ont pris possession du château de ces derniers, situé près de Lammermoor. Henri Ashton, frère de Lucia, peut sauver sa famille de la ruine si sa sœur Lucia épouse un homme riche et puissant, Lord Artur Bucklaw. Lucie se croyant abandonnée par l’homme dont elle est éprise, Edgard Ravenswood, accepte finalement le mariage arrangé. Après de nombreuses péripéties et apprenant qu’on l’a trompée et qu’Edgard désire toujours l’épouser, Lucia tue Arthur et en perd la raison. La jeune fille hagarde, échevelée et ensanglantée alors qu’ont 101 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 101 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur commencé les festivités du mariage chante devant l’assemblée l’air de la folie. À la fin de cet air, elle s’effondre ; on l’emporte, mourante. Analyse On se limite ici à l’audition de l’extrait de cet opéra et on s’interroge sur sa perception sans nécessairement se préoccuper dans un premier temps des paroles prononcées par Lucia. Cet air traduit-il particulièrement et de façon évidente l’état de délire du personnage ? Montrer que l’air fait alterner des états de calme apparent et de désordre extrême. Quels aspects de cet air peuvent suggérer le délire du personnage ? Quels liens l’orchestre entretient-il avec la cantatrice ? Comment l’accompagne-t-il, l’isole-t-il ? Comparer les moyens de la musique, du théâtre, du roman pour peindre la folie. 2. François Truffaut, Histoire d’Adèle H. (1975) OBJECTIFS ET ENJEUX – Découvrir une héroïne luttant jusqu’à en perdre la raison pour se faire aimer par un homme qui ne l’aime plus. – Étudier l’interprétation de la folie par une actrice au cinéma. – Comprendre les intentions du réalisateur. Rappel de l’action 1863. Sous un faux nom, Adèle H. (Hugo) arrive à Halifax afin de retrouver le lieutenant de hussards, Albert Pinson, qu’elle considère comme son fiancé. Par l’entremise du mari de sa logeuse, elle entre en contact avec le jeune homme qui la repousse définitivement. Adèle, obsédée par l’idée du mariage, supplie son père de lui adresser son consentement écrit. Pendant ce temps elle tente désespérément de reconquérir Albert. Mais alors que Victor Hugo lève enfin son opposition, Albert Pinson reste sur ses positions. Adèle, dont l’identité a été percée à la suite d’une maladie ne renonce pas à son unique projet. Elle s’efforce de revoir Pinson, lui propose de régler ses dettes, lui paie des filles de joie, fait échouer ses fiançailles avec une jeune fille fortunée et proclame la célébration de leurs noces. Désargentée, elle est forcée de quitter sa chambre et se retrouve dans un hospice avec pour seul trésor son journal qu’elle n’a cessé d’écrire. Elle se rend aux îles de la Barbade où le 16e Hussards vient d’être muté. Malade, en butte aux moqueries, elle erre dans les rues où elle ne reconnaît même pas Pinson et sa jeune épouse. Une noire, Mme Baa, la recueille et la ramène chez ses parents. Elle meurt en 1915 à l’asile de Saint-Mandé. Analyse (les scènes renvoient au découpage proposé dans le DVD) 1. Un combat pour une impossible passion La passion qu’éprouve Adèle Hugo pour le lieutenant Pinson la conduit à mener un véritable combat pour épouser celui qu’elle aime. Le cinéaste le suggère en inscrivant dès les premières images du film, l’histoire personnelle d’Adèle Hugo dans l’histoire américaine (scène1), la guerre de sécession, et dans l’histoire française avec l’évocation de l’exil de Victor Hugo à Guernesey à la suite du coup d’état de celui qui deviendra Napoléon III mais aussi avec celle de la Première Guerre mondiale qui est rappelée à la fin du film et dans l’histoire du grand homme (scènes 13 à 16). Un individu dont le destin est en partie lié à L’Histoire mène son propre combat pour gagner le cœur de celui qu’elle aime mais certainement aussi une reconnaissance. À plusieurs reprises, Adèle, par de nombreuses lettres, assiège son père pour obtenir son consentement au mariage et l’argent nécessaire à son combat (scènes régulières qui se situent dans une banque, poste d’Halifax) et qui rythment en partie la narration. Lutte aussi contre l’échec de son entreprise symbolisée par des scènes de cauchemar dans lesquels elle lutte contre la noyade (scène 3). Adèle lutte pour s’affirmer au sein de sa famille dominée par la figure de sa sœur Léopoldine morte par noyade dix ans plus tôt, justement, lutte visible dans le journal qu’elle écrit avec rage (scène 9 par exemple). Deux scènes répétées (scènes 13 et 16), avec cependant des différences de traitement, et qui apparaissent comme des flash-back font d’Adèle Hugo par le décor qui l’entoure, son attitude et son discours une héroïne qui surmonte les obstacles les plus infranchissables et a conscience de la nouveauté et de la grandeur de son entreprise. Le film montre et relate tous les stratagèmes, les ruses, l’imagination que doit employer pour parvenir à ses fins (du début jusqu’à son arrivée à la Barbade). Le film mène progressivement jusqu’à l’internement d’Adèle dans un asile d’aliénés à Saint-Mandé (scène 13) et montre comment cette lutte pour sa passion sans retour lui fait perdre la raison. Il suggère aussi que ce combat est jugé excessif, déraisonnable par la plupart des personnages du film mais aussi qu’Adèle l’assume, le défend et le justifie jusqu’à ce qu’il dépasse ses forces. 2. Folie et perte d’identité Dès le titre du film le nom propre d’Adèle est occulté alors que s’inscrit sur l’écran que les personnages et les événements sont authentiques : Truffaut montre ainsi que pour Adèle Hugo la question de l’identité se pose et paraît fondamentale. Tout au long du film, Adèle use de fausses identités, se fait appeler Léopoldine dans une très brève scène (scène 7), se déguise en homme, annonce son mariage avec le lieutenant et prend donc le nom de son mari (scène 14), qu’elle utilisera à la Barbade mais qui est porté par une autre femme que Pinson a finalement épousé, et finalement perd toute identité à ses yeux et ne répond pas quand, à la Barbade, le lieutenant Pinson l’appelle par son prénom. Du nom, il ne restait que l’initiale dans le titre, dans cette scène, il ne reste ni l’initiale ni le prénom. Truffaut relie la question de l’identité, de la difficulté à trouver son identité, et 102 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 102 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du plus encore de l’impossibilité à se faire reconnaître à celle de la folie. Le voyage qu’elle entreprend à la Barbade pour suivre Pinson ne nous est montré que lorsque nous la découvrons dans le quartier noir de l’île. Ce voyage est la dernière bataille qu’elle a menée et qui lui a fait perdre la raison. Nous le comprenons quand dans ces scènes, Adèle erre sans but, indifférente à ce qui l’entoure et même à Pinson qu’elle ne reconnaît pas quand il la croise et l’appelle. Entre le départ d’Halifax et l’arrivée à la Barbade, la folie a gagné. Adèle a renoncé à être quelqu’un, à sa passion. 3. L’expression de la folie De nombreuses scènes tout au long du film suggèrent la fragilité mentale de l’héroïne ou une attitude marquée par l’excès. On pourra étudier quelques scènes montrant le travail de l’interprète, Isabelle Adjani, et du cinéaste exprimant la folie et ses progrès : – la scène 6, alors qu’elle observe Pinson dans la chambre de sa maîtresse, montre brièvement un visage inquiétant d’Adèle ; – la scène 11 propose un bref moment où Adèle délire. On étudiera le cadrage, le point de vue, la mise en scène, le maquillage, le jeu de l’actrice (corps et voix) pour traduire ce délire ; – les scènes 14 et 15 montrent Adèle ayant définitivement la raison : errance en robe rouge – qu’elle porte dans la plus grande partie du film – devenue une loque, cape noire qui en fait une ombre, chevelure désordonnée. PROLONGEMENTS On peut aussi visionner deux films qui mettent en scène deux jeunes femmes sombrant dans la folie pour des raisons proches de celles qui touchent les héroïnes des romans de la séquence : Claude Goretta, La Dentellière (1977) Bruno Nuytten, Camille Claudel (1988) Pistes de lecture p. 139 (ES/S et Techno) p. 141 (L/ES/S) LECTURES CROISÉES Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678) (GF n°82), Honoré de Balzac, La Femme de trente ans (1842) (Le Livre de poche n° 4487), Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein (1964) (Folio N°810) XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 OBJECTIFS ET ENJEUX – Caractériser les représentations du personnage de la femme mariée dans trois romans. – Cerner les visions que les romanciers donnent de ces héroïnes et du mariage. – S’interroger sur l’évolution du personnage de la femme mariée dans les romans classique, romantique et réaliste, du Nouveau Roman. – Décrire les modalités de narration propres à chaque auteur. Axe d’étude 1 Les conditions et circonstances du mariage des héroïnes • Sous le règne d’Henri II, Madame de Chartres, après l’échec d’alliances envisagées, donne pour mari à sa fille, Mlle de Chartres, jeune fille de 16 ans d’une grande beauté, le prince de Clèves qui est un homme jeune brave et magnifique mais aussi d’une grande prudence. Ce prince s’est épris de Mlle de Chartres dès leur première rencontre. Mlle de Chartres n’éprouve pour lui aucune inclination mais de l’estime et de la reconnaissance selon les catégories de La Carte du Tendre. Elle accepte cependant de devenir sa femme et se satisfait de cette estime. Elle comprend d’ailleurs mal que le prince souffre de cette absence d’inclination. Le mariage est rapidement célébré et le roman ne lui accorde que quelques lignes (p. 51-52). • Sous l’Empire, en 1813, Julie de Chatillonest (p. 41), jeune fille d’une vingtaine d’années, aime Victor d’Aiglemont, jeune colonel de trente ans (p. 42), et c’est sans tenir compte des avertissements et réticences de son père qu’elle choisit de devenir Madame d’Aiglemont. Le roman fait l’ellipse de ce mariage et nous retrouvons l’héroïne un an après cette scène (p. 47). Le roman revient cependant sur la journée du mariage dans une lettre qu’adresse Julie à son amie Louisa (p. 61). Elle rappelle combien elle était fière et heureuse d’épouser Victor et combien elle se trouva gaie pendant la journée solennelle. • Dans les années 1960, Lol V. Stein, jeune fille de 19 ans, et Michael Richardson, jeune homme de 25 ans, sont passionnément amoureux l’un de l’autre. Les familles, appartenant à la bourgeoisie aisée, ont consenti à ce mariage (p. 12). Ce mariage n’aura pas lieu : Michaël Richardson, lors d’un bal au casino de T. Beach, rencontre une femme, Anne-Marie Stretter, et quitte tout pour elle. Lol, abandonnée semble perdre la raison. Elle se rétablit (p. 25). Elle fait la connaissance de Jean Bedford, ingénieur et musicien, qui la demande aussitôt en mariage. La mère de Lol fait part de cette demande à sa fille, qui accepte et qui accepte en même de temps de quitter S. Talha (p. 32). Une clause du mariage est cependant cachée à Lol : c’est à la demande de la mère de Lo que Jean Bedford quitte S. Talha. Le mariage est relaté en quelques lignes et Lol « se trouva mariée », « fut mariée sans l’avoir voulu » (p. 31). 103 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 103 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur L’horizon du mariage des héroïnes • C’est d’abord à travers le regard et les propos de sa mère que Mlle de Chartres a pu se faire une idée du mariage (p. 41). Mme de Chartres a prévenu sa fille du peu de sincérité des hommes, de leurs infidélités et du malheur domestique qui en découle. Elle lui a peint la VIe tranquille d’une épouse vertueuse et honnête et le possible bonheur dans le mariage quand une femme aime et est aimée en retour. En s’engageant avec M. de Clèves, l’héroïne ne paraît pas avoir retenu les leçons de sa mère puisqu’elle se satisfait de n’éprouver qu’estime et reconnaissance pour le prince. Rappelons que La princesse de Clèves se souviendra de cette peinture du mariage et des hommes quand elle refusera d’épouser M. de Nemours (p. 173). On notera qu’elle n’a pu apprendre à connaître le mariage par l’exemple de ses propres parents puisque son père est mort alors qu’elle n’était qu’une enfant (p. 41). • Julie a une image romanesque et idéalisée de l’homme et du mariage comme le lui rappelle son père (p. 45) et comme elle le rappelle elle-même dans une lettre à son amie d’enfance (p. 61). Pour Julie le mariage se confond avec des joies délicieuses et ne paraît avoir aucune inquiétude quant à la nuit de noce. • Le récit ne donne aucune indication de l’idée que Lol se fait du mariage. Nous savons simplement qu’elle se fiance avec l’homme qu’elle aime et qu’elle accepte donc de devenir une femme mariée sans aucune réticence ou crainte. Les héroïnes et leur statut de femme mariée • Madame de Clèves se satisfait de son statut et remplit son rôle et ses devoirs d’épouse. Elle est attentive à la bienséance et se montre vertueuse en dépit des dangers de la cour et de l’admiration qu’elle suscite. Dès qu’elle prendra conscience de son inclination pour M. de Nemours (p. 61), elle luttera contre elle-même et la violence de sa passion pour rester fidèle à son mari et à la haute idée qu’elle se fait de son engagement. Alors que la cour offre de nombreux exemples d’infidélité et de trahison, alors que les obligations de la VIe de cour la conduisent à rencontrer régulièrement le duc de Nemours, elle s’efforcera de s’en tenir éloignée. Lorsqu’elle a conscience de s’abandonner à sa passion sans en souffrir (p. 119), elle cherche refuge loin de la cour et cherche à se retrouver seule avec son mari (p. 122). En avouant à son mari son inclination pour un homme – qu’elle ne nomme pas – elle se veut digne de son mari et craint d’avoir perdu son cœur et son estime (p. 125). Après la mort du prince de Clèves due à la douleur d’avoir été trahi – il ne l’a pas été en réalité –, elle refuse d’épouser M. de Nemours en dépit du bonheur qu’elle en éprouverait. Ce refus se justifie par de nombreuses raisons (p. 167-175), mais il est partiellement lié à son devoir d’épouse. • Pour Julie d’Aiglemont, le mariage est immédiatement malheureux. On comprend que la nuit de noce a été pour elle un calvaire et une cruelle désillusion qui lui ont fait perdre toute gaieté (p. 59, 60-61, 64). Elle subit son devoir d’épouse pour rendre heureux son mari mais ce devoir la tue (p. 63). Elle dit cependant aimer son mari (p. 55). Julie assume son rôle d’épouse, devient mère (p. 73), conseille son mari pour lui permettre de s’élever dans la société même si elle n’en éprouve aucun plaisir. Elle se résigne à vivre malheureuse, ne songe pas à l’adultère et espère mourir jeune (p. 72). Comprenant les infidélités de son mari, elle se réfugie dans son rôle de mère (p. 76). Environ six ans après son mariage, Julie rencontre cependant Lord Grenville. Ils s’éprennent l’un de l’autre mais, parce que Julie est remplie de sa vertu et de ses devoirs, ils vivront une passion chaste et elle affirme qu’elle s’enfermerait dans un cloître si elle devait perdre son mari (p. 91). Elle impose à Lord Grenville de rejoindre l’Angleterre et reste donc fidèle à son mari – qui ne l’est plus – (p. 91-93). Lord Grenville meurt dans des circonstances rocambolesques (p. 103). Accablée, Julie se réfugie dans une propriété loin de Paris. Lors d’une conversation avec le curé du village de Saint-Lange, elle dresse un véritable réquisitoire contre le mariage (p. 117-123). Quand nous retrouvons Julie à Paris, elle est maintenant une femme de trente ans. Elle rencontre alors Charles de Vandenesse, à peine âgé de trente ans. Charles devient un familier du ménage : c’est le commencement d’une faute selon le narrateur (p. 133). Par degrés, Julie s’abandonnera à cette passion et deviendra la maîtresse de Charles (p. 146) et Julie connaît enfin pleinement le bonheur d’aimer et d’être aimée tant sentimentalement que physiquement. Julie aura deux enfants de Charles : Charles et Moïna (voir la couleur des cheveux des enfants qui signale la filiation avec chacun des pères (p. 150-151, 163, 165). Le petit Charles, fils adultérin, mourra dans des circonstances tragiques qui sonnent comme un châtiment (p. 153154). Julie reste cependant l’épouse de Victor et il est le père du dernier enfant, Abel. Charles de Vandenesse se mariera et aura un fils, Alfred. Julie et Victor ne seront séparés que par la mort de ce dernier en 1833 (p. 209). Julie assume son statut de femme mariée tout au long du roman. Elle reste attachée à son engagement durant dix ans et s’autorise l’infidélité sans pour autant mettre son couple en péril. • À peine mariée, Lol suit son mari à U. Bridge. Elle y vit avec son mari pendant dix ans et le narrateur nous apprend qu’elle a eu trois enfants (p. 89), qu’elle fut fidèle à son mari et qu’elle remplit son rôle d’épouse, compréhensive et effacée, mais aussi de parfaite maîtresse de maison (p. 32-35). Elle paraît se satisfaire de cette VIe empreinte de conformisme et elle est jugée heureuse par son entourage (p. 33). De retour à S. Talha, Lol – qui a trente ans – rencontre Jacques Hold, amant de son amie d’enfance, Tatiana Karl. Lol, sans se soucier de morale ou de vertu, recherche cet homme et entretient avec lui une liaison source de bonheur (p. 109), sans cependant 104 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 104 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du désirer qu’il cesse sa relation avec Tatiana. Lol reste cependant une épouse et une mère et ne paraît pas envisager de quitter sa famille. Tatiana y songe pour elle (p. 149). Lol devient pour une nuit la maîtresse de Jacques Hold. Les dernières lignes du roman suggèrent une continuité mais le roman se termine sans se montrer explicite quant à la suite de l’action. Le roman comme reflet de l’évolution des mentalités et de l’institution du mariage dans la société • On pourra mettre en parallèle l’importance qu’accordent les trois romans aux enjeux du mariage et de la femme mariée. On constatera que c’est dans La Femme de trente ans que ces enjeux sont essentiels comme si Balzac avait été particulièrement sensible à la situation d’une femme jeune, malheureuse dans son mariage et condamnée à ne jamais connaître le bonheur d’aimer ou d’être aimée si elle suivait ses devoirs et sa vertu. La princesse de Clèves meurt jeune (p. 180) et le roman montre qu’elle est plus attachée à sa vertu et à ses devoirs qu’à sa passion et surtout à une satisfaction qui serait d’ailleurs peut-être éphémère, et pour cette raison, fatale (p. 173-175, La Princesse de Clèves). Le mariage et la question de la fidélité sont plus secondaires dans le roman de Duras mais restent cependant présents. Le roman néanmoins ne charge pas Lol du poids de la culpabilité. Sa passion n’entre en conflit ni avec ses devoirs et encore moins avec la question de la vertu qui est ignorée dans ce roman du XXe siècle. On notera que les héroïnes de ces trois romans appartiennent toutes les trois ou à l’aristocratie ou à une bourgeoisie aisée et cultivée. • On pourra montrer que l’attitude de Julie dans un premier temps est proche de celle de la princesse de Clèves comme si en dépit des siècles passés, de la Révolution, l’épouse restait soumise aux mêmes devoirs ou les revendiquait (p. 133-134, La Femme de trente ans). Elle s’accorde cependant ce que ne peut s’autoriser la princesse de Clèves : s’abandonner à sa passion et connaître enfin le bonheur. Remarquons que le roman est pour le moins ambigu puisqu’il défend en même temps cette femme de trente ans qui ne pourrait être heureuse et la condamne en soulignant que cet abandon est châtié (« Le doigt de Dieu ») et qu’il pourrait conduire à un inceste entre un demi-frère, Alfred de Vandenesse, et sa demi-sœur, Moïna (« La vieillesse d’une mère coupable »). Ce roman suggère également un parallèle entre la condition de la femme du début du XIXe siècle et celle du XVIIIe siècle (p. 61-66). Une aristocrate d’avant la Révolution de 1789 semblant moins contrainte qu’une femme vivant sous l’Empire. On peut également comparer cette situation à celle d’une femme vivant au XVIe ou au XIIe siècle. Le Ravissement de Lol V. Stein ne soumet pas son héroïne à la vertu mais l’inscrit cependant dans une société conformiste mais qui s’arrange avec la morale au profit des bonheurs individuels : le mari de Tatiana est sensible au bonheur de sa femme même si ce bonheur est lié à l’infidélité (p. 158). XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 • On montrera que d’autres attitudes et conceptions sont exposées ou relatées dans chacun des romans à travers des intrigues concernant des personnages secondaires. Cette diversité met en relief ce qu’il y a de singulier dans chacune des héroïnes et notamment chez la princesse de Clèves et Julie d’Aiglemont. Si le destin de Lol se distingue des deux autres héroïnes, c’est par exemple parce qu’elle a passionnément aimé un homme avant de se marier et c’est aussi parce qu’une fois mariée, si l’on excepte l’ombre de la folie, son comportement et son destin sont assez proches de celui de Tatiana voire de celui d’Anne-Marie Stretter, de celui adopté par les femmes de son milieu alors que la princesse et Julie ont à un moment de l’intrigue laissé « des exemples de vertu assez inimitables » (p. 180, La Princesse de Clèves). • On notera enfin que chacune des héroïnes a rencontré la passion, trait commun et permanent de ces héroïnes. Axe d’étude 2 Des héroïnes victimes des sociétés et de leurs valeurs Des héroïnes malheureuses • La princesse de Clèves ne souffre pas du manque d’inclination pour son mari mais quatre raisons la rendent malheureuse : – elle souffre d’éprouver une passion pour M. de Nemours trahissant ainsi ses devoirs et sa vertu (p. 67). – elle souffre d’une tristesse profonde quand elle décide de s’éloigner de M. de Nemours (p. 85) et ressent une douleur insupportable quand elle pense que le duc aime une autre femme (p. 97). Elle ressent douloureusement l’absence du duc (p. 149-152) à Coulommiers. – elle est plongée dans une grande affliction à la mort de son mari au point de perdre « quasi la raison »(p. 164-165). – sa résolution de s’éloigner définitivement de M. de Nemours (p. 168, 176). – Julie d’Aiglemont se croit condamnée à une douleur et à un malheur définitif dès les premières semaines de son mariage : – remplir son devoir conjugal la tue (p. 63). Son mari lui paraît médiocre et décevant (p. 71,146-147). Elle souffre d’être trompée par son mari (p. 76). Elle souffre d’avoir fait son propre malheur (p. 90) et ne pas aimer sa fille Hélène d’un véritable amour de mère (« Souffrances inconnues ») et espère mourir jeune (p. 72). – elle souffre de s’interdire de succomber à sa passion pour Lord Grenville (p. 90-92) et tombera dans la plus grande affliction après sa mort (« Souffrances inconnues »). – la passion pour Charles est vécue sans souffrance mais elle sera indirectement la cause de grandes douleurs : la mort du petit Charles (« Le doigt de 105 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 105 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur Dieu »), l’inquiétude que Moïna devienne la maîtresse de son demi-frère (« La vieillesse d’une mère coupable »). – même si le texte suggère que ce n’est pas la seule cause de sa folie passagère (p. 12-13), le départ de Michael Richardson a plongé Lol dans un état de grande peine (p. 24) qui ne paraît jamais s’effacer. Elle est inconsolable (p. 97). Son amour pour Jacques Hold et leur relation, qui ne sont pas conventionnels, ne font pas souffrir Lol. peinture de la soirée donnée par Lol (p. 88-110, 141161). Lol a fini en se mariant par se fondre dans le conformisme et devenir « une dormeuse debout » (p. 33) et qui « fait la morte » (p. 37). Quand Lol se réveille elle n’obéit plus qu’à son désir et à sa volonté (p. 112) et s’affirme comme un individu face aux autres et à leurs normes et dont ces pages pourraient être comprises comme leur une satire. Des victimes des conventions et des valeurs de la société • Il est d’abord difficile de considérer la princesse comme une victime. Orpheline de père, sa mère, Madame de Chartres, s’est attachée à lui donner de la vertu et à se méfier des hommes (p. 41). Lorsque la princesse se confie à sa mère, celle-ci, à l’article de la mort, lui rappelle son devoir et sa vertu (p. 68). En mourant son mari lui fait entendre qu’elle lui rend la mort agréable parce qu’il pense qu’elle l’a trahi (p. 162). Ces valeurs transmises et répétées conduisent la princesse à renoncer à sa passion et donc à un possible bonheur. On remarque que le caractère sacré du mariage chrétien n’est pas évoqué dans le roman. On peut envisager que les valeurs transmises par sa mère soient à l’origine de son malheur mais ce n’est pas ce que conclut le roman. La cour offrait à la princesse d’autres modèles et valeurs contraires qu’elle aurait pu suivre. Si le roman instruit du caractère destructeur de la passion, Madame de Clèves est une héroïne d’exception qui offre un exemple extraordinaire d’une passion surmontée et « des exemples de vertu inimitables » ! • Au contraire, Julie d’Aiglemont est une victime. Sa lettre à Louisa montre d’abord qu’elle n’a pas été avertie de ce que représentait réellement le mariage. Si elle est victime d’elle-même (p. 90), elle est aussi victime d’une époque qui n’a pas pris soin de donner aux femmes les moyens de s’émanciper comme le suggère Mme de Listomère (p. 62-64) et le narrateur (p. 107-111,133). Julie dresse enfin un véritable réquisitoire contre la société et l’institution du mariage qu’elle compare à « une prostitution légale » (p. 116-120). Le roman se montre plus nuancé et plus ambigu en présentant notamment une femme heureuse dans son mariage, Louisa (p. 95). • Si un « on » parsème le roman, figure du regard de la société (p. 28), de l’entourage (p. 142-143), ce roman paraît ne pas s’interroger sur la responsabilité d’un système de valeurs ou d’une société et d’une éducation dans le malheur de Lol. La présence de la mère est cependant associée aux amours de Lol et elle meurt très tôt dans le roman sans que sa fille en soit touchée (p. 32) ni qu’on s’interroge sur cette indifférence (p. 32). On rappelle que la mère de Lol a, sans en avertir sa fille, organisé son départ de S Talha (p. 34-35) et que ce départ a manifestement infléchi le destin de Lol. Le roman suggère donc une responsabilité de la mère mais sans l’expliciter. Ce roman peut aussi critiquer la société à travers la Des choix narratifs originaux La Princesse de Clèves • Choix d’un narrateur-extérieur et quasi absent même si un « je » apparaît page 36 ainsi que quelques commentaires. • Narrateur omniscient. • Système des temps du récit : le passé simple et les temps qui s’y rattachent. • Récits enchâssés menés par les personnages du roman (ex. : l’histoire de Sancerre et de Mme de Tournon prise ne charge par M. de Clèves, p. 73-80). • Abondance des discours rapportés. • Nombreux examens de conscience (p. 118-119) qui font entrer le lecteur dans la conscience des personnages et qui rappelle le monologue intérieur. • Nombreuses scènes. • Registres sérieux : épidictique, délibératif, tragique, lyrique et pathétique. • Rythme du récit : un an pour environ 140 pages. Rythme relativement rapide en dépit des portraits et des analyses qui modulent cette rapidité. • Ordre du récit chronologique et qui suit l’évolution du personnage et la progression vers le dénouement. • Un style classique qui refuse l’effet pour l’effet. Une langue maîtrisée et claire en dépit d’un goût pour de longues phrases complexes. Axe d’étude 3 La Femme de trente ans • Choix d’un narrateur-extérieur qui multiplie les focalisations. • Narrateur omniscient qui commente abondamment mais laisse aussi la parole à ses personnages. « Le doigt de Dieu » fait cependant apparaître un narrateur-personnage qui décrit et raconte la mort tragique du petit Charles. Ce narrateur disparaît du roman à la fin du chapitre. On l’interprète en général comme une mise en scène de Balzac lui-même qui, comme Hélène a souffert de la préférence de sa mère pour son demi-frère. • Système des temps du récit : le passé simple et les temps qui s’y rattachent. • Abondance des dialogues et notamment dans « Souffrances inconnues ». • Goût manifeste pour les portraits et les descriptions. • Intérêt pour les scènes dans tout le roman et pour quelques scènes d’action (« Les deux rencontres »). • Registres sérieux : délibératif, polémique, didactique, tragique, lyrique et pathétique. 106 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 106 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du • Rythme du récit rapide grâce à de nombreuses ellipses temporelles : 30 ans pour 180 pages. De nombreuses pauses descriptives, analyses et commentaires modulent la rapidité de ce rythme. • Ordre du récit chronologique. • Un style d’une certaine simplicité et d’une grande maîtrise mais aussi très littéraire et virtuose dans les descriptions et portraits. Le Ravissement de Lol V. Stein • Un narrateur-personnage : ce narrateur se caractérise d’abord par l’aveu de son ignorance et par un discours lacunaire et déstabilisant (« j’invente ») ou donnant des informations que le roman n’exploitera pas et paraissant témoin de l’histoire qu’il raconte. Le lecteur découvre presque au milieu du roman l’identité de ce narrateur et en même temps le rôle qu’il joue dans l’histoire de l’héroïne. Le narrateur se nomme Jacques Hold, il a reconstitué l’histoire de Lol, il devient son amant, il est « le ravisseur ». • Focalisations internes mais qui sont parfois ambiguës et se confondent avec une focalisation externe. • Système des temps très original du présent et du passé. Le présent est celui de l’acte de la narration. C’est à travers ce narrateur racontant l’histoire que le lecteur découvre la réalité évoquée. Ce présent donne l’impression que la narration des péripéties est simultanée aux péripéties elles-mêmes. Le récit se fait aussi au passé simple pour relater l’événement principal – le bal – et ses conséquences. Les deux systèmes des temps alternent dans le roman mais de façon déséquilibrée pour être dominée par le système du présent. • Présence des dialogues. • Quelques portraits et descriptions. • Quelques scènes : celle du bal, de la réception chez Lol, le voyage en train. • Registres sérieux : tragique et pathétique. On peut être sensible à un registre satirique lors de la réception chez Lol. • Rythme du récit : de la naissance de Lol jusqu’à ce qu’elle dépasse l’âge de trente ans pour environ 180 pages. Si les résumés donnent un rythme rapide à l’ensemble du récit, la scène du bal. Les variations sont nombreuses et la scène du bal assez brève – quelques heures – est racontée en huit pages. • Ordre du récit : le roman suit chronologiquement la VIe de Lol mais le narrateur a déjà rencontré Lol lorsqu’il commence le récit de la VIe de Lol. • Style très particulier où se mêlent le récit, la parole des personnages, les commentaires du narrateur. Des phrases qui semblent échapper mais qui sont aussi précises et soucieuses d’informer clairement, sans rechercher l’effet, et dont le rythme est particulièrement travaillé. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 Corpus BAC (séries générales) p. 140 (ES/S) p. 142 (L/ES/S) Émile Zola, Thérèse Raquin (1867), André Malraux, La Condition humaine (1933), Albert Camus, L’Étranger (1942) LA QUESTION SUR LE CORPUS Vous montrerez comment la description de la nature intervient dans les trois extraits. Les trois textes, empruntés à des romans du XIXe et XXe siècle, mettent en scène des héros masculins, figures de meurtriers : Laurent, Tchen et Meursault commettent un assassinat. Zola, Malraux et Camus inscrivent ces actes dans des lieux qui soulignent leur gravité. a. Dans les trois textes, la nature est présente à des moments différents. Il s’agit d’une scène nocturne : – chez Zola : paysage crépusculaire d’automne avec une lumière qui décroît au fur et à mesure que le meurtre se prépare ; le décor « rougeâtre » devient « blanchâtre » (faire un relevé des nombreux adjectifs de couleur qui font référence à l’apparition progressive de la nuit) ; – chez Malraux : présence de la nuit « minuit et demi » et récurrence du terme « nuit » ; une lumière extérieure : « La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle » ; – chez Camus, la scène se déroule en plein soleil : nombreuses occurrences du terme. La lumière vive et la chaleur ardente sont associées : image du feu et de la « brûlure ». b. Le silence est installé dans les trois textes mais avec des variantes : – chez Zola, le déclin de la lumière correspond à la montée du silence ; – chez Malraux, le bruit de la ville (« quatre ou cinq klaxons grincèrent ») fait place peu à peu au silence ; – chez Camus, le silence installé est rompu par la détonation : « j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte ». c. La scène du meurtre se situe à l’extérieur, au cœur de la nature chez deux auteurs : – paysage aquatique et végétal chez Zola ; la nature est décrite avec précision dans un jeu de clair-obscur ; – paysage maritime gorgé de lumière chez Camus: « le bruit des vagues », « une plage vibrante de soleil » ; – paysage extérieur chez Malraux : la ville moderne avec ses buildings » et ses « klaxons » qui s’oppose au lieu intimiste du crime : la chambre. d. La nature participe du meurtre : – chez Zola, la nature constitue le cadre et le témoin du forfait. Place importante de la description de la nature. D’un point de vue symbolique, le meurtre est inscrit dans le décor naturel et dans le changement de saison: « la campagne … sent la mort venir » ; relever les nombreux indices qui invitent à une lecture plurielle ; 107 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 107 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur – chez Malraux, la nuit cristallise les sentiments du personnage, notamment l’angoisse ; – chez Camus, la nature fusionne avec le personnage : « La brûlure du soleil gagnait mes joues », « Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel ». e. La voix narrative qui prend en charge la description entretient un lien particulier avec le décor : – chez Zola, un narrateur omniscient ; le meurtre est inscrit dans le décor. Effroi et malaise de Thérèse, témoin muet. Inquiétude de Laurent : « il regardait les deux rives… » ; – chez Malraux, variation des points de vue à la mesure de la complexité du héros. Approche du personnage de l’extérieur et de l’intérieur à l’instar du décor (la ville et la chambre) ; – chez Camus, le narrateur, confondu avec la personnage, livre ses sensations/sentiments exacerbés dans une nature ardente. Une nature, cadre du meurtre avec une variante chez Malraux (la scène se déroule à l’intérieur mais de nuit). Un décor, symbole de la tragédie qui se joue et reflet des sentiments des personnages. COMMENTAIRE Vous commenterez le texte d’André Malraux (Texte B). INTRODUCTION La Condition humaine (1933) constitue le troisième roman dans la trilogie asiatique après Les Conquérants (1927) et La Voie royale (1930). Cette œuvre est la première à mettre en scène une action collective et non plus seulement individuelle ; elle préfigure le travail plus radical que l’écrivain accomplira dans L’Espoir (1937). Dans ce roman historique, philosophique, comme le suggère son titre, et profondément romanesque, l’auteur participe au renouvellement du genre dans l’entre-deux-guerres, en s’inspirant du découpage en séquences qui s’apparente à la fois au roman américain et aux techniques de montage cinématographique. Il a obtenu le prix Goncourt en 1933. L’action se situe en Chine, en 1927, dans un contexte révolutionnaire : insurrection communiste réprimée par le général Chang-KaïChek rallié à l’aile droite du Kuomintang. Il s’agit de la première page du roman qui met en scène un personnage en pleine action. Tchen, jeune Chinois, engagé dans l’action terroriste, converti au marxisme par le professeur français Gisors, doit assassiner un trafiquant d’armes afin d’approvisionner le groupe révolutionnaire auquel il appartient. Un meurtre prémédité ; préparatifs de l’acte, concentration du héros, mais hésitation et malaise ou angoisse du meurtrier, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de luimême. Introspection d’un terroriste dans une scène d’une grande intensité émotionnelle. On pourra s’interroger sur le traitement spécifique de cet incipit romanesque où le lecteur est plongé in medias res. PLAN I. Les informations de l’incipit II. L’habileté de l’incipit DÉVELOPPEMENT I. Les informations de l’incipit Les catégories spatio-temporelles, généralement associées, semblent dissociées dès l’ouverture du roman. A. Le temps • Les premiers éléments du texte : des dates en exergue et aucune information sur le lieu. • Fonctions des repères temporels en ouverture : – une fiction enracinée dans le temps historique, une chronologie aux effets de réel ; – une allusion historique qui mobilise la culture du lecteur : 21 mars 1927, début de l’insurrection de Shangaï, d’où l’hypothèse du lecteur : lien entre l’insurrection (mot « révolution » dans le texte) et le meurtre. – un temps symbolique et mythique : 21 mars, printemps ; – temps du sacrifice aux Dionysies, rituel de mort et de renouveau : Cf Images « sacrificateur » et « sacrifice à la révolution » ; « Minuit et demi » : minuit = heure habituelle du crime mais refus du stéréotype, expression détournée « et demi ». • Toute l’action semble saisie dans un seul instant dilaté, en suspens : – rôle des nombreux verbes à l’imparfait ; – rôle du participe présent « vivant » ; – reprises dans le texte : « la moustiquaire » ou le couple « ce pied / cet homme » ; – impression d’un temps éternisé : « le temps n’existait plus » (fin du §2) ; « non, il ne se passait rien ». B. L’espace • Aucune référence à l’espace dans l’exergue : dans quel pays l’action se situe-t-elle? • À l’inverse, dans le corps du texte, c’est le temps qui s’efface au profit de l’espace. • Quelques indications spatiales : – la ville : grande agglomération animée et très bruyante. Enfer sonore suggéré : « vacarme, quatre ou cinq klaxons, embarras de voitures » = « là-bas dans le monde des hommes » ; – la pièce/une chambre ? Deux lieux séparés par une frontière symbolique « les barreaux de la fenêtre » et une rupture très nette entre l’ici et l’ailleurs : – un resserrement de l’espace : extérieur/intérieur ; – du vacarme au « silence » ; – de la vie à la négation de la vie (sommeil et mort imminente). • Une proximité relative à travers les objets : « le lit », « la moustiquaire » (effet de séparation entre les deux personnages), « ce tas de mousseline blanche » = un cadre oriental suggéré = un décor minimaliste. • Un espace fragmenté à travers les éléments géométriques qui évoquent le cubisme dans les années 30. – Des formes géométriques : « grand rectangle » // « rectangle de lumière », « coupé par les barreaux de la fenêtre », « l’un rayait le lit » // Impression de verticalité : « tombait », « moustiquaire » = enfermement. 108 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 108 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du C. L’atmosphère • Un lieu clos qui rappelle l’univers fermé de la tragédie. • Mise en scène de l’espace où se prépare un meurtre à travers les formes géométriques (Cf. 2). • Un jeu de clair-obscur • Des éclairages contrastés, source d’angoisse : « mousseline blanche », « seule lumière », « électricité pâle », « rayait », « rectangle de lumière ». • Références à « la nuit » : antithèse : « cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté ». • Une atmosphère pesante. D. Des personnages en situation a. Tchen • Identité révélée dès le premier mot ; écho d’une tradition romanesque mais silence sur le passé du personnage, les causes de l’action. Un personnage troublé. Sensations • Manifestations de l’angoisse, au sens étymologique : « angustus » = étroit, resserré et plusieurs occurrences dans le texte. • Malaise physique du héros : « L’angoisse lui tordait l’estomac », « nausée », « cette nuit écrasée d’angoisse » ; « les paupières battantes » ; « les mains hésitantes ». Sentiments et pensées du personnage • Préméditation de l’acte et concentration sur le geste à accomplir. • Résolution et hésitations : « sa propre fermeté… mais avec hébétude » + jeu de questions en ouverture et à la fin du §1 dans une composition circulaire : « Découvert ? » = accès à la conscience du personnage. Interrogations sur le choix de l’arme : « rasoir/poignard ». • Angoisse double face à l’acte à accomplir et devant la révélation soudaine de la profondeur de l’inconscient (pulsions obscures). • Idée d’une souffrance intérieure à travers une durée subjective. = Complexité du personnage confronté à lui-même à travers le meurtre. b. La victime • Reste anonyme. • Une présence physique saisie à travers des éléments : – §1 « un corps … ce pied… de la chair d’homme » ; – §3 « cet homme… ce pied… cet homme » ; • Jeu d’échos : reprises, rôle des déictiques, synecdoque du « pied ». E. L’action • Un début in medias res. • Le lecteur est introduit brutalement dans une action violente : « cet homme devait mourir », « il le tuerait » « frapper ». • Atmosphère pesante. • Il ignore qui sont les protagonistes, leurs motivations et les enjeux de la scène. • Longue réflexion sur l’arme du crime. • Un roman qui s’ouvre par deux questions concises. XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 • Ambiguïté de l’énoncé : – focalisation externe : un narrateur qui refuse d’aller au-delà de la perception immédiate de la scène – ou focalisation interne avec style indirect libre qui permet d’accéder à la conscience du personnage et à ses doutes ? Technique de l’introspection. Un incipit romanesque entre tradition et écart qui joue sur les codes et qui invite le lecteur à percevoir événements comme personnages différemment. II. L’habileté de l’incipit. A. Une attaque romanesque in medias res • Attaque percutante différente d’un incipit balzacien : deux phrases très brèves jettent le lecteur au milieu de l’action comme le suggèrent les verbes « lever » et « frapper ». B. L’effet d’attente • La première phrase nous plonge d’emblée dans le « suspense » d’une mise à mort. • Les questions qui encadrent le paragraphe liminaire rappellent l’ambiance des romans policiers. – Hésitations et doutes au moment de perpétrer un meurtre. • Une découverte progressive et incomplète : – aucun renseignement sur le protagoniste, si ce n’est son nom. On est très éloigné de la technique du portrait balzacien ; – aucune explication sur les motivations de l’acte. La réponse est différée. • Une approche partielle de la victime à travers son corps ; l’anonymat subsiste. Cela participe d’une vision existentialiste du monde où l’événement et sa perception précèdent sa compréhension. C. L’identification au personnage • Accès à la conscience de Tchen : ses pensées et ses sentiments (Cf. I, 4). • Les techniques narratives: pluralité et croisement des points de vue. • L’omniscience narrative, forme assez traditionnelle. • Le narrateur omniscient sait ce qui se passe à l’intérieur de son personnage : – §1 : « l’angoisse lui tordait l’estomac » ; – §2 : « dans cette nuit où le temps n’existait plus » : commentaire du narrateur. • La focalisation externe. • Ouverture du texte au statut problématique : on peut y voir un narrateur externe ignorant des événements à venir. • La focalisation interne qui place le lecteur dans la conscience du personnage. • Questions initiales que peut se poser un Tchen hésitant : – §2 : étonnement du héros face au monde « il y avait encore des embarras de voitures, là-bas » – début du §3 et l’acte prémédité: « Il se répétait… il savait ». = Approche de l’extérieur et de l’intérieur ; épaisseur et profondeur du personnage qui découvre en lui « un sacrificateur ». 109 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 109 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur D. L’écriture de la rupture ou l’esthétique de la discontinuité a. Variation des types de phrases • Modalité assertive très présente, souvent associée aux passages de description et de commentaire. • Modalité interrogative en ouverture avec ambivalence du point de vue : focalisation externe ou interne. • Modalité exclamative : résolution du meurtrier et hésitation : désir de combattre de face et à égalité (fin du §1 focalisation interne). • Modalité impérative présente indirectement à travers le lexique de l’obligation et le passage au discours indirect : « Il se répétait que cet homme devait mourir ». = État complexe du personnage sujet à des émotions contradictoires. b. Variation des structures syntaxiques • Des phrases nominales : « Découvert ? » correspondant à l’agitation de Tchen. • Des phrases minimales : « L’angoisse lui tordait l’estomac » traduisant les sensations immédiates. • Des phrases brisées fonctionnant par à-coups : « Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis ». • Des phrases complexes mimant la complexité des sentiments de Tchen : « il connaissait…chair d’homme ». • Une parataxe dominante : vision successive et morcelée des éléments constitutifs de la scène. E. Une écriture cinématographique ou « une littérature de montage » • Liens entre André Malraux et le cinéma : intérêt pour cet art. • Projet de scénario avec Eisentein pour La Condition humaine. Esquisse d’une psychologie du cinéma en 1946. a. Des éléments visuels Champ : Tchen et la victime. Hors champ : la rue présente à travers le bruit. = Rupture entre l’ici et l’ailleurs, entre le microcosme et la macrocosme Échelle des plans • Jeu sur les plans : gros plan sur le « pied » et plan de demi-ensemble (corps). • Une composition plastique de l’image avec les formes géométriques. Les éclairages • Un corps dans la pénombre que fait ressortir « la mousseline » (deux occurrences). • Un éclairage vif coupé par les barreaux : « rectangle d’électricité ». = Un contraste noir/blanc qui a une valeur métaphorique : angoisse de Tchen et qui rappelle l’influence du cinéma expressionniste. b. Des éléments sonores • L’affrontement de deux univers : vacarme de la rue/silence de la chambre. c. La caméra subjective • La vision de Tchen annoncée par le participe passé « fasciné » et la précision du regard (§1), par les verbes de parole : « se répétait » et de perception : « Tchen découvrait ». = Plongée dans l’univers intérieur d’un terroriste et introspection. CONCLUSION • Grande richesse d’un incipit particulièrement original : – dans le traitement du cadre spatio-temporel : un espace dilaté et un temps ralenti, voire suspendu ; – la construction du personnage : découverte immédiate de la complexité du personnage à travers l’expression de la solitude, d’une souffrance intérieure et d’une angoisse double : acte à accomplir et pulsions de l’inconscient. La représentation tragique de l’homme en situation est donnée à voir au lecteur. • L’écriture romanesque : – variété des points de vue, personnage vu de l’extérieur et de l’intérieur ; – le jeu croisé des focalisations permet de faire émerger l’épaisseur et la profondeur de l’être ; – une écriture qui emprunte à d’autres arts contemporains comme la peinture cubiste et le cinéma expressionniste. • Un meurtre initiatique : – premier acte terroriste à rapprocher de l’attentatsuicide dirigé contre Chang-Kaï-Chek et figure tragique du héros (personnage en souffrance, résolutions/hésitations, destin en marche…). • Une page qui préfigure les thèmes fondamentaux de l’œuvre : – l’angoisse existentielle, l’absurde, le corps torturé et le « bourreau de soi-même », le face à face de l’homme et de l’univers. DISSERTATION Pour apprécier un roman, un lecteur a-t-il besoin de s’identifier au personnage principal et de partager ses sentiments ? Amorce : Le personnage principal est celui qui retient l’attention du lecteur. Personnage dont on relate les aventures, il est souvent proche du lecteur. Analyse du sujet : Le lecteur apprécie souvent le roman quand il s’identifie au personnage principal et qu’il partage ses sentiments. Mais l’identification au personnage principal n’est pas toujours possible : un personnage est une image de l’homme, un « masque », étymologiquement : à ce titre, il peut représenter une réalité qui ne plaît pas au lecteur, ou qu’il est difficile de comprendre. Le roman ne se limite pas non plus au personnage principal : outre l’identification au lecteur, quels éléments constitutifs du genre romanesque le lecteur peut-il apprécier ? I. Le processus d’identification à l’œuvre dans le roman A. Le cas des romans à la première personne : il permet une meilleure identification du lecteur au personnage principal. En racontant son histoire, le personnage livre ses sentiments, et prend le lecteur 110 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 110 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du comme confident. Ce dernier éprouve alors un sentiment d’empathie. Ex. : L’Abbé Prévost, Manon Lescaut (p. 88 ES/S / p. 90 L/ES/S) : Des Grieux raconte sa propre histoire. B. Le choix de la focalisation interne : le narrateur nous fait vivre les événements à la place du personnage. Les sentiments de celui-ci sont livrés. La distance entre le personnage et le lecteur semble abolie. Ex. : André Malraux, La Condition humaine (texte B du corpus bac). C. Un personnage terriblement humain : les romanciers choisissent de mettre en scène des personnages vraisemblables, aux sentiments humains. On suit leur progression et on s’attache à eux, comme à de véritables personnes. Ex. : Gustave Flaubert, Madame Bovary (p. 108 ES/S / p. 110 L/ES/S). II. Mais l’identification au personnage principal n’est pas toujours possible A. Le problème du mal : le personnage qui incarne le mal n’est pas toujours celui à qui l’on s’identifie, même s’il est le personnage principal du roman. Ainsi en est-il des figures de meurtriers. Le personnage fascine, et c’est davantage ce qui plaît. Ex. : Albert Camus, L’Étranger (p. 60 ES/S / p. 62 L/ ES/S et texte C du corpus bac). B. L’incompréhension : le personnage principal peut être énigmatique. Les mobiles qui le font agir ne sont pas toujours éclairants. Son étrangeté peut être un frein au processus d’identification. Ex. : Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal (p. 70 ES/S / p. 72 L/ES/S). XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 Ex. : le monde des géants dans Gargantua de François Rabelais (p. 104 ES/S / p. 106 L/ES/S). C. La multiplicité des personnages : certains romans choisissent de ne pas mettre en scène un unique personnage (le personnage principal), mais de montrer différents personnages, aux personnalités différentes, dont l’évolution est racontée. Ex. : les romans d’André Malraux, comme L’Espoir ou La Condition humaine (texte B du corpus). ÉCRITURE D’INVENTION Lors de son procès, Thérèse doit raconter au juge la scène que vous venez de lire (Texte A) mais elle veut le convaincre, lui et les jurés, de l’entière responsabilité de Laurent dans le crime commis. Les contraintes d’écriture : un texte argumentatif. L’énonciation : Thérèse s’adresse aux juges lors de son procès. La visée du discours : convaincre (appel à la raison) et persuader (appel aux sentiments) les juges de la responsabilité de Laurent dans le crime. Les registres : jeu sur les registres didactique et pathétique (procédés d’écriture à mobiliser). La vision de Thérèse : description des lieux et de sentiments en opposition avec le texte A. On veillera enfin à la qualité de la langue. Corpus BAC (séries technologiques) p. 140 C. Les faits, rien que les faits : les actions du personnage principal peuvent être relatées, mais ses sentiments ne sont pas livrés. C’est une des caractéristiques des romans du xxe siècle. Ex. : Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein (p. 134 ES/S / p. 136 L/ES/S). Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830), Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), André Malraux, La Condition humaine (1933) III. Le roman ne se limite pas au personnage principal : d’autres éléments constitutifs du genre peuvent plaire au lecteur A. L’intrigue, l’histoire : le récit peut être énigmatique. Il suscite la curiosité du lecteur, indépendamment de la présence du personnage principal. Le Nouveau Roman, en particulier, récuse la notion de personnage : le lecteur n’a pas besoin de tout savoir sur lui pour apprécier le roman. Ex. : Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (p. 77 ES/S / p. 79 L/ES/S) où l’intrigue se construit petit à petit, sans qu’il y ait un personnage principal facilement identifiable. 1. Comment l’évocation du lieu souligne-t-elle la gravité du geste? 2. Comment le narrateur instaure-t-il une proximité avec le personnage du meurtrier (Julien, Milady, Techen)? Les trois textes mettent en scène des figures de meurtriers : Julien et Tchen commettent un assassinat, tandis que la meurtrière, Milady, est tuée. Stendhal, Dumas et Malraux inscrivent ces actes dans des lieux qui soulignent leur gravité. Toutes ces actions sont accomplies dans des lieux écartés : les tentures de l’église chez Stendhal (« toutes les fenêtres hautes de l’édifice étaient voilées avec des rideaux cramoisis »), la traversée de Milady et du bourreau dans Les Trois mousquetaires, la présence de Tchen dans une chambre calme qui s’oppose à la vie de l’extérieur (« il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes… »), tous ces éléments tendent à isoler les meurtriers et à donner une certaine gravité à leurs actions. Alexandre Dumas et B. L’ambiance du roman : le personnage principal ne contribue pas seulement à faire apprécier un roman. En choisissant d’insérer celui-ci dans une ambiance qui fait rêver ou qui inquiète, le romancier cherche à provoquer une émotion chez le lecteur. Il lui délivre une vision du monde particulière, qui doit plaire. LES QUESTIONS SUR LE CORPUS 111 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 111 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur André Malraux cherchent à créer également une atmosphère lugubre, par le jeu de clair-obscur. La lumière souligne des objets symboliques (« un rayon de la lune se refléta sur la lame de sa large épée », écrit Dumas) ou le corps de celui qui doit être tué dans La Condition humaine : « la seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie ». Les couleurs choisies aussi annoncent l’acte à venir : les tentures de l’église sont des « rideaux cramoisis », le ciel est rouge dans le texte de Dumas (« les personnages se dessinaient en noir sur l’horizon rougeâtre », et le noir et blanc qui caractérise l’incipit de La Condition humaine rappelle les films policiers. L’acte est alors dramatisé par le décor. Enfin, les lieux choisis sont symboliques : l’acte que commet Julien se produit dans une église, au moment de l’élévation, et symbolise le sacrifice de Mme de Rênal. La traversée de Milady accompagnée de son bourreau s’apparente à la traversée de l’Achéron : Milady, la meurtrière, s’apprête à entrer dans la mort et dans les Enfers. Tchen, quant à lui, se trouve dans un endroit isolé où il s’apprête à commettre un « sacrifice à la révolution ». Comment le narrateur instaure-t-il une proximité avec le personnage du meurtrier (Julien, Milady, Tchen) ? Les lecteurs n’éprouvent pas de dégoût pour les meurtriers mis en scène, mais ceux-ci suscitent leur compassion. Ainsi, le narrateur insiste sur l’isolement de Julien : alors que tous fuient, lui seul avance lentement et sa progression est ralentie par des obstacles, un peu comme s’il vivait un cauchemar (« il tomba », « ses pieds étaient embarrassés dans une chaise renversée par la foule »). L’inconscience du personnage s’oppose à l’affolement de la foule et à la brutalité de son arrestation. Milady, en revanche, attire la compassion du lecteur par ses efforts désespérés pour fuir : « En arrivant au haut du talus, elle glissa et tomba sur ses genoux ». Par son impuissance à fuir, à échapper à son destin funeste, Milady est un personnage tragique. Le lecteur a également pitié du personnage de Tchen, dont les peurs et les hésitations sont abondamment transcrites (« l’angoisse lui tordait l’estomac »). Le personnage doit commettre un acte qui lui répugne (« il se répétait que cet homme devait mourir »). Mais le choix de la focalisation permet également d’instaurer une proximité entre le personnage du meurtrier et le lecteur. Stendhal et Malraux ont choisi de nous faire participer aux pensées des personnages. La focalisation interne rapproche le lecteur du personnage. Les perceptions de Julien sont transcrites (« La vue de cette femme qui l’avait tant aimé fit trembler le bras de Julien ») tout comme celles de Tchen (il entend « quatre ou cinq klaxons », il voit le « tas de mousseline blanche »). Leurs pensées sont aussi livrées, au discours direct dans Le Rouge et le Noir (« Je ne le puis, se disait-il à lui-même ; physiquement, je ne le puis ») ou au discours indirect libre dans La Condition humaine (« Frapperait-il au travers ? »). COMMENTAIRE Vous commenterez le texte d’André Malraux (Texte c), en vous aidant du parcours de lecture suivant : 1. Vous montrerez l’habileté de ce début de roman qui intrigue le lecteur. 2. Comment la narration parvient-elle à rendre compte de la complexité de Tchen ? Situation du passage : L’extrait proposé est le début de La Condition humaine, roman écrit par Malraux. Enjeu et spécificité du texte : Comme tout incipit, il a pour fonction de délivrer des informations essentielles à la compréhension du récit, mais aussi d’intriguer le lecteur, afin qu’il poursuive sa lecture. Problématique : Comment, au-delà d’une scène de crime fascinante, la narration provoque-t-elle une réflexion sur la condition humaine ? Annonce du plan : Nous verrons d’abord que cet incipit est mené avec art, de façon à intriguer le lecteur. Puis nous examinerons comment la narration met en évidence la complexité de Tchen. I. Un début de roman habile qui intrigue le lecteur A. Une attaque romanesque in medias res Le début est surprenant car nous sommes immédiatement transportés dans le récit d’une scène de meurtre. Si l’identité d’un des deux personnages est connue (Tchen), l’autre ne l’est pas : seul le corps de la victime est décrit (« un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil »). Le cadre spatio-temporel est également brouillé. Le texte commence par une date et une heure : « 21 mars 1927, Minuit et demi », et la scène se passe dans un pays inconnu, exotique comme l’indique la présence de la « moustiquaire », en Asie (si l’on prend en considération le nom du personnage, Tchen), en pleine ville (« la seule lumière venait du building voisin »), mais les informations sont encore très vagues. Le lecteur ignore comment Tchen est entré, pourquoi il désire tuer cet homme. Il est immédiatement transporté au cœur de cet assassinat. B. L’effet d’attente Le narrateur choisit d’intriguer le lecteur en allongeant le temps du récit. Pour cela, il nous fait rentrer dans les pensées du personnage, qui suspendent l’action, et constituent une scène : les questions traduisent ses hésitations (« Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? »). Cellesci se retrouvent dans la suite du texte : comment Tchen commettrait-il son geste ? Avec quelle arme ? Ces interrogations du personnage ralentissent l’action dont la narration imite la durée et dramatisent le récit. De même, la description du décor rend ce début angoissant : la scène se passe dans un clairobscur qui fait penser à l’atmosphère des films policiers (« la seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les bar- 112 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 112 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du reaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied »). Les sons entendus par le personnage, qui le terrifient (« quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois »), contribuent également à ralentir l’action. C. L’identification au personnage Le lecteur est invité à explorer la conscience de Tchen. Ainsi le champ lexical de la pensée donne accès à la profondeur du personnage : des verbes comme « il connaissait », « il se répétait », « Tchen découvrait » dévoilent les plus secrets mouvements de l’esprit du personnage. De plus, les interrogations qui ouvrent le passage révèlent une hésitation sur la meilleure façon d’accomplir le meurtre : « Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? ». Par ailleurs, les temps verbaux employés sont ceux du discours indirect libre : ils expriment les pensées du personnage, qui sont fondues dans la narration : les verbes « tenterait » et « frapperait » sont en effet au conditionnel qui exprime ici le futur par rapport au moment de l’action. II. La complexité du personnage A. Les hésitations du personnage Tchen se révèle déterminé à accomplir son geste : « il connaissait sa propre fermeté » et il tente de se persuader, avec le verbe « se répétait », qu’il s’agit d’un devoir (le verbe est utilisé à deux reprises). Mais de nombreux signes trahissent ses hésitations. Les questions qu’il se pose sur les moyens qu’il doit employer pour accomplir son geste prouvent qu’il est novice dans ce domaine. Le fait d’avoir pris deux armes différentes montre bien que le personnage est confronté à un choix. Des signes physiques trahissent sa peur : « l’angoisse lui tordait l’estomac », « les paupières battantes », « ses mains hésitantes », « ses doigts crispés ». Si le personnage paraît déterminé à accomplir ce meurtre, il n’en attend pas moins un signe qui lui permettrait de ne pas le faire de cette façon, comme les sons entendus, « quatre ou cinq klaxons » qui lui offriraient l’occasion de combattre « des ennemis éveillés ». B. Le tragique du personnage : un sacrificateur Poussé à commettre ce meurtre, le personnage s’assimile à un « sacrificateur ». Son geste acquiert une autre dimension, à cause notamment du contexte : le personnage à tuer est endormi, victime déjà recouverte d’un linceul (le « tas de mousseline blanche »), toute entière livrée à lui. L’image du sacrificateur employée par le narrateur est explicitée par la suite : Tchen s’apprête à commettre un sacrifice au nom de dieux « qu’il avait choisis », un « sacrifice à la révolution ». La dimension politique apparaît alors et doit être mise en relation avec le contexte de l’époque. Le personnage est un révolutionnaire, qui se trouve confronté à un dilemme tragique : doit-il ou non tuer un homme ? C. Une descente aux Enfers Le personnage prend conscience de la gravité de XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 l’acte qu’il s’apprête à commettre : son attention se focalise sur le pied, symbole de la vie qu’il est sur le point de ravir. Tout le reste du corps est noyé dans l’obscurité, la personne qu’il doit tuer est anonyme. Tchen prend petit à petit conscience de la vie : les précisions apportées successivement, dans un rythme ternaire, le montrent (« ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même – de la chair d’homme »). Tchen se trouve à la croisée de deux chemins et il s’apprête à s’enfoncer dans l’inhumain. Il se place dans un autre monde : « il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes », dans un autre temps (« dans cette nuit où le temps n’existait plus »). L’image employée « sous son sacrifice à la révolution grouillait tout un monde de profondeurs » montre que le personnage a pris conscience que son geste est symbolique : il le fait rentrer dans l’inhumain. Tchen entame une descente aux Enfers. DISSERTATION Pour apprécier un roman, un lecteur a-t-il besoin de s’identifier au personnage principal et de partager ses sentiments ? Amorce : Le personnage principal est celui qui retient l’attention du lecteur. Personnage dont on relate les aventures, il est souvent proche du lecteur. Qu’est-ce qui contribue au succès du genre romanesque ? Analyse du sujet : Le lecteur apprécie souvent le roman quand il s’identifie au personnage principal et qu’il partage ses sentiments. Mais l’identification au personnage principal n’est pas toujours possible : un personnage est une image de l’homme, un « masque », étymologiquement : à ce titre, il peut représenter une réalité qui ne plaît pas au lecteur, ou qu’il est difficile de comprendre. Le roman ne se limite pas non plus au personnage principal : le lecteur peut apprécier d’autres éléments constitutifs du genre. I. Le processus d’identification à l’œuvre dans le roman A. Le cas des romans à la première personne Ce cas permet une meilleure identification du lecteur au personnage principal. En racontant son histoire, le personnage livre ses sentiments, et prend le lecteur comme confident. Ce dernier éprouve alors un sentiment d’empathie. Ex. : L’Abbé Prévost, Manon Lescaut (p. 88) : Des Grieux raconte sa propre histoire. B. Le choix de la focalisation interne Le narrateur nous fait vivre les événements à la place du personnage. Les sentiments de celui-ci sont livrés. La distance entre le personnage et le lecteur semble abolie. Ex. : André Malraux, La Condition humaine (incipit du corpus bac p. 142). 113 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 113 08/07/11 11:28 Français 1re – Livre du professeur C. Un personnage terriblement humain Les romanciers choisissent de mettre en scène des personnages vraisemblables, aux sentiments humains. On suit leur progression et on s’attache à eux, comme à de véritables personnes. Ex. : Gustave Flaubert, Madame Bovary (p. 108). II. Mais l’identification au personnage principal n’est pas toujours possible. A. Le problème du mal Le personnage qui incarne le mal n’est pas toujours celui à qui l’on s’identifie, même s’il est le personnage principal du roman. Ainsi en est-il des figures de meurtriers. Le personnage fascine, et c’est davantage ce qui plaît. Ex. : Albert Camus, L’Étranger (p. 60). B. L’incompréhension Le personnage principal peut être énigmatique. Les mobiles qui le font agir ne sont pas toujours éclairants. Son étrangeté peut être un frein au processus d’identification. Ex. : Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal (texte du corpus bac, page 141). C. Les faits, rien que les faits Les actions du personnage principal peuvent être relatées, mais ses sentiments ne sont pas livrés. C’est une des caractéristiques des romans du xxe siècle. Ex. : Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein (p. 134). III. Le roman ne se limite pas au personnage principal : d’autres éléments constitutifs du genre peuvent plaire au lecteur. A. L’intrigue, l’histoire Le récit peut être énigmatique. Il suscite la curiosité du lecteur, indépendamment de la présence du personnage principal. Le Nouveau Roman, en particulier, récuse la notion de personnage : le lecteur n’a pas besoin de tout savoir sur lui pour apprécier le roman. Ex. : Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (p. 77 ; l’intrigue se construit petit à petit, sans qu’il y ait un personnage principal facilement identifiable). C. La multiplicité des personnages Certains romans choisissent de ne pas mettre en scène un unique personnage (le personnage principal), mais de montrer différents personnages, aux personnalités différentes, dont l’évolution est racontée. Ex. : Les romans d’André Malraux, comme L’Espoir ou La Condition humaine. ECRITURE D’INVENTION Rédigez la lettre que D’Artagnan écrit à un ami vingt ans après les faits. Il raconte la mort de Milady, l’attitude de ce personnage diabolique devant le bourreau. Il évoque ses sentiments d’alors et ses sentiments présents face à ce châtiment ; il se reproche la mort de Milady, tout en essayant de se justifier. Consignes explicites du sujet Il faut adopter le genre de la lettre, en tenant compte de la situation d’énonciation. La familiarité excessive doit être bannie : il faut en effet respecter le style d’Alexandre Dumas. Mais la lettre doit s’apparenter à une confession. Le récit de la mort de Milady doit s’appuyer sur le texte d’Alexandre Dumas, mais il ne s’agit pas de le recopier. Pour éviter cet écueil, il convient de rendre compte des différents sentiments de l’expéditeur : compassion, haine pour Milady, peur qu’elle ne s’échappe, etc. Les sentiments présents de D’Artagnan doivent être trouvés : remords, regrets, tristesse, etc. Consignes implicites du sujet Il faut inventer les circonstances d’écriture de la lettre : pourquoi D’Artagnan se souvient-il de cet épisode vingt ans après ? Pourquoi écrit-il plus particulièrement à cet ami ? La relation d’amitié doit être vraisemblable. Pour cela, l’expéditeur de la lettre doit aussi « mettre en scène » leur relation : depuis quand ne se sont-ils pas vus ? Qu’ont-ils vécu en commun ? La délibération du personnage doit se manifester dans le style : questions, phrases suspensives, appels au destinataire, etc. B. L’ambiance du roman Le personnage principal ne contribue pas seulement à faire apprécier un roman. En choisissant d’insérer celui-ci dans une ambiance qui fait rêver ou qui inquiète, le romancier cherche à provoquer une émotion chez le lecteur. Il lui délivre une vision du monde particulière, qui doit plaire. Ex. : Le monde des géants dans Gargantua de François Rabelais (p. 104). 114 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 114 08/07/11 11:28 1 – Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours – Séquence 5 LISTE DES RESSOURCES NUMÉRIQUES DU CHAPITRE 1 p. 46 (ES/S et Techno) / p. 48 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Paul Scarron, Le Roman Comique p. 50 (ES/S et Techno) / p. 52 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses p. 50 (ES/S et Techno) / p. 52 (L/ES/S) ➨ Vidéo ➨ Le style de Choderlos de Laclos, dans Les Liaisons dangereuses, 1963 p. 50 (ES/S et Techno) / p. 52 (L/ES/S) ➨ Fiche vidéo ➨ Le style de Choderlos de Laclos, dans Les Liaisons dangereuses, 1963 p. 66 (ES/S et Techno) / p. 68 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves p. 72 (ES/S et Techno) / p. 74 (L/ES/S) ➨ Vidéo ➨ Adaptation d’Eugénie Grandet pour la télévision, 1968 p. 72 (ES/S et Techno) / p. 74 (L/ES/S) ➨ Fiche vidéo ➨ Adaptation d’Eugénie Grandet pour la télévision, 1968 p. 74 (ES/S et Techno) / p. 76 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs p. 77 (ES/S et Techno) / p. 79 (L/ES/S) ➨ Vidéo ➨ Interview d’Alain Robbe-Grillet à propos de La Jalousie p. 77 (ES/S et Techno) / p. 79 (L/ES/S) ➨ Fiche vidéo ➨ Interview d’Alain Robbe-Grillet à propos de La Jalousie p. 79 (ES/S et Techno) / p. 81 (L/ES/S) ➨ Étude d’œuvre ➨ Henri Matisse, Portrait de Madame Matisse à la raie verte p. 81 (ES/S et Techno) / p. 83 (L/ES/S) ➨ Exercices à copier-coller ➨ Vocabulaire « Décrire le caractère » p. 88 (ES/S et Techno) / p. 90 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Abbé Prévost, Manon Lescaut p. 92 (ES/S et Techno) / p. 94 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale p. 94 (ES/S et Techno) / p. 96 (L/ES/S) ➨ Vidéo ➨ Albert Cohen et la rencontre amoureuse dans Belle du seigneur p. 94 (ES/S et Techno) / p. 96 (L/ES/S) ➨ Fiche vidéo ➨ Albert Cohen et la rencontre amoureuse dans Belle du seigneur p. 102 (ES/S et Techno) / p. 104 (L/ES/S) ➨ Exercices à copier-coller ➨ Vocabulaire « Exprimer des sentiments » p. 108 (ES/S et Techno) / p. 110 (L/ES/S) ➨ Lecture de texte ➨ Gustave Flaubert, Madame Bovary p. 120 (ES/S et Techno) / p. 122 (L/ES/S) ➨ Étude d’œuvre ➨ Paul Véronèse, Les Noces de Cana p. 122 (ES/S et Techno) / p. 124 (L/ES/S) ➨ Exercices à copier-coller ➨ Vocabulaire « Donner vie au personnage » p. 130 (ES/S et Techno) / p. 132 (L/ES/S) ➨ Étude d’œuvre ➨ Théodore Géricault, La Folle monomane du jeu 115 2210441163_027-115_Ch1_LDP_Fr1.indd 115 08/07/11 11:28