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Tonton Maurice est toujours mort
De Manu Causse
Note d’intention du metteur en scène
J’ai eu le texte de Tonton Maurice dans les mains par l’intermédiaire de Nathalie Dewoitine qui l’avait reçu pour
les lectures organisées par Didier Albert dans le cadre du Gueuloir de Poche, au théâtre de Poche à Toulouse. Je
ne connaissais pas son auteur, Manu Causse. Dès la première lecture, l’idée de mettre en scène ce texte s’est
imposée comme une évidence : le style, le thème, la forme, tout coïncidait et concourrait à ce désir. Il est rare de
faire une telle rencontre, rare de rencontrer un texte aussi dialogué, qui ne tombe pas pour autant dans l’excès
littéraire mais ne présente ni monologues pesants, ni plaintes de souffrance insoutenable, ni phrases hermétiques
que l’on qualifie de poétiques car il faut bien en dire quelque chose. Rare de pouvoir lire un texte d’une traite
l’on ne ressent aucun besoin d’aucune didascalie quasiment absentes d’ailleurs, dont la dramaturgie évite les
grosses ficelles habituelles : quiproquos, suspens, mais multiplie les ressorts intelligents, reposant avant tout sur
la confrontation des personnages l’essence du théâtre. Rare enfin de tomber sur une pièce bannissant la
caricature, respectant ses personnages et son lecteur dans son exposé sensible mais brut des relations amour-
haine lentement tissées entre frères et sœurs, parents et enfants, compagnon et compagne, et bien sûr, de
l’homosexualité.
C’est cependant dans cette facilité de lecture que j’ai identifié ce qui m’a paru être un premier piège à éviter dans
mon travail de mise en scène : il ne fallait pas céder au brillant des dialogues incisifs –, il fallait résister à la
tentation d’aller chercher les spectateurs œillades appuyées en bord de scène ou de s’appuyer sur les rires
probables mais travailler dans la retenue et dans la respect du personnage et de l’histoire. Ceci ne pouvait être
possible que par un travail très détaillé à la table, une lecture très analytique de la pièce, réplique après réplique,
afin d’identifier les tenants et les aboutissants de chaque situation et reconstituer, patiemment, comme un
écheveau dont on démêle chaque fil l’un après l’autre, l’histoire du personnage, voire l’origine du conflit, où tout
au moins des hypothèses probables, nourrissant le travail des comédien(ne)s.
Ceci n’était cependant que la première étape car il était aussi clair pour moi que les personnages devaient
immédiatement apparaître porteurs de tout cela : le poids de leur vie et de leurs relations ou leur espace de
liberté, que le public devait deviner bien que rien n’en soit réellement dit dans le texte. Indépendamment de
leurs répliques quelque chose de leur vécu devait transparaître avant que le premier mot ne soit prononcé : le
corps devait s’exprimer le premier : regards, gestes, attitudes… L’intention devait être décryptée par le public
avant d’être révélée par la phrase. C’est la combinaison de ces deux approches, analytique et physique, qui nous
a amené à reponctuer le texte, à retravailler le rythme des dialogues, pour laisser s’insérer des espaces de silence
dans lesquels le rapport entre personnages s’installe ou se développe ou se modifie au-delà et en deçà du texte
dit, pour que le corps des personnages prenne la place qui lui était due sur la scène.
La première partie de la pièce, bien que très classiquement dédiée à l’exposition des personnages et de la
situation, posait une difficulté : la scène s’ouvre immédiatement sur l’opposition entre Ariane et Mo avec un
renversement progressif dans le rapport de force entre les deux protagonistes : Mo mène les débats sur le ton de
l’humour mais se fait rapidement déborder par une Ariane sûre de son fait, encore à ce moment là. L’arrivée de
Camille pose moins de difficulté en apparence, avec une scène de comédie pure, jouée par les personnages eux-
mêmes, à laquelle succède rapidement une première scène de tension, portée par Ariane. La difficulté était de
faire ressortir la complexité des personnages : Ariane n’est pas aussi forte qu’elle en a l’air ; Mo au regard
distancié peut être blessé par sa sœur ; la petite sœur est sans doute moins simplette qu’il n’y paraît.
La seconde partie de la pièce débute sur une scène révélant l’ancien secret de famille mais qui doit permettre
aussi de comprendre qu’une distance s’est installée entre Ariane et Stéphane, son mari. Elle se prolonge par la
scène de dispute entre frère et sœurs sur les outils du père, dont la tension doit monter jusqu’à son paroxysme,
qui coïncide avec la sortie de Mo ; cette scène est une de celles le drame se noue, malgré sa drôlerie, derrière
ce qui n’est pas dit : les personnages ne se contrôlent plus, leurs répliques sortent parce qu’elles doivent sortir ;
dans cette scène, c’est Camille qui joue la mouche du coche mais elle ne sait pas (pas plus que son frère et sa
sœur ne le savent pour eux-mêmes) pourquoi elle agit ainsi. La sortie de Mo semble diminuer un peu la tension,
mais c’est le calme qui précède la tempête : son retour sur scène permet enfin de mettre les mots sur ce qui aurait
pu rester aussi secret : la part de l’homosexualité de Mo dans la mésentente des parents, si mal vécue(s) par
les sœurs…
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La dernière partie de la pièce débute par une très belle scène de réconciliation entre Mo et Camille qui ne
pourra se comprendre que parce que les comédiens auront su donner lors de la première partie un réel contenu à
leurs retrouvailles. Mo a à peine le temps d’esquisser une analyse nétrante des rapports entre la vie de leur
oncle et leurs propres problèmes que la comédie reprend ses droits avec la déclaration fracassante de Camille au
sujet de son beau-frère. La difficulté est alors de ne pas sombrer dans le vaudeville : c’est à Camille qu’il revient
de garder un ton mesuré lors d’une séance d’aveux difficile face à un Mo éberlué mais bienveillant malgré tout.
Le retour d’Ariane permet à Mo de montrer toute sa sollicitude et sa compassion – bien loin de l’image convenue
d’une homosexualité égoïste et tournée sur elle-même. Pour la scène finale, une fois Ariane partie, après son
coup de fil à Franck, Mo restera seul sur scène un moment, rangeant un peu les affaires de celui qui est devenu
Papy Maurice, prenant son temps comme chez lui, finalement –, avant de partir à son tour sans dire un mot
mais un immense sourire illuminant petit à petit son visage.
Il n’y a pas de personnage principal dans cette pièce : Moet son homosexualité – semble au centre des débats :
il est celui par qui le scandale est arrivé dans l’histoire de la fratrie, mais rien ne se passerait de la même manière
si Ariane ne se voulait pas la colonne vertébrale de sa famille, celle qui croit savoir les choses, ou si Camille,
consciemment ou inconsciemment, ne mettait pas le feu aux poudres par ses remarques ou ses interrogations
faussement simples. Rien de cette histoire ne serait possible si l’un d’entre eux manquait : ils écrivent la pièce
devant nous comme ils écrivent leur vie : ensemble.
Dans cette pièce l’homosexualité de Mo paraît donc être au cœur des débats et des rancoeurs accumulées entre
frère et sœurs ; la réalité est plus subtile : c’est Mo qui révèle l’enjeu véritable au cours de la scène qui suit sa
réconciliation avec Camille, lorsqu’il pointe du doigt la communauté de destin qui le lie à Tonton Maurice : tous
deux ont vivre cachés, tous deux ont été forcés à renier une part essentielle de leur être : sa paternité pour
l’un, son homosexualité pour l’autre. Voilà l’élément clé : en cela l’homosexualité de Mo n’a aucune importance
et, dans le même temps, elle est l’élément explicatif pour ce qui le concerne : Mo souffre de ce qu’on lui fit,
comme Maurice souffrit avant lui – en même temps que lui. La ressemblance s’arrête là, cependant : son
homosexualité, Mo a fini par la revendiquer : il souhaite et s’amuse que son neveu l’appelle Tonton pédé ; il joue
avec le malaise de sa ur à dire les mots ([…] « Une toune ? Tu as du mal avec les mots, en ce moment… » ; il
n’hésite pas à se moquer de lui-même dans des répliques mêlant humour vachard et auto-dérision. Sa
psychanalyse n’y en sans doute pas pour rien : elle lui permet à la fois de se comprendre et de mieux comprendre
la nature des rapports qui les lient les uns aux autres.
Cette pièce est en quelque sorte une pièce de l’après « coming out » : Mo est celui qui est revenu après son
coming out. Son homosexualité est connue de sa famille et on devine que les choses n’ont pas être simples,
que les blessures ont être longues à cicatriser (« […] vingt ans que vous ne vous adressiez plus la parole
[…] ») ; Mo est parti parce que la vie est ainsi faite, mais Mo est revenu. Cela fait de ce texte une pièce très
contemporaine : l’homosexualité n’y est pas découverte, pas de cris de désespoir ; elle n’y est pas caricaturée,
pas de cris de folle, non plus. Mais elle n’est pas (pas encore) mieux vécue pour autant : il reste encore la
barrière des mots, de ce que l’on ne nomme pas, de ce que l’on ne dit pas, qui finit par faire prendre aux choses
plus d’importance qu’elles n’en ont réellement. Il reste encore à accepter les choses, à comprendre qu’on ne vit
pas les uns contre les autres, mais les uns avec les autres.
L’émotion est donc présente, dans ce texte – malgré l’humour des dialogues et les rires faciles pourrait-on écrire.
Mon souhait était que les spectateurs passent du rire aux larmes (peut-être) comme dans la vie. Ce ne sont pas
les personnages ni les situations qui sont drôles ou dramatiques mais la vie comme elle l’est, si elle l’est. Autour
des personnages, le décor devait être réaliste sans écraser les personnages : il s’agissait avant tout de suggérer
une atmosphère la cuisine d’une personnage âgée, l’on vient très rarement, l’on ne sait pas vraiment où
se trouvent les choses, que l’on regarde presque comme la première fois. Le jeu de la lumière et de la bande son
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contribuent à souligner les moments intimistes de la pièce : au début, après le retour de l’enterrement, au
moment du départ de Mo.
Passer du rire à l’émotion, de l’émotion à la prise de distance, pas de caricature ni de jeu appuyé, ne pas se
regarder jouer mais donner à entendre le texte, respecter les personnages dans leur trajet et jusque dans leurs
contradictions, maintenir une cohérence de situations et d’histoire, telle était l’ambition de mon travail de mise
en scène et de direction d’acteur.
Pascal Lebret – Cie de théâtre A la fin de l’envoi
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La bande son a été construite autour d’un seul morceau, une valse lente entièrement jouée par des clarinettes, tirée du CD
Café Rembrandt du Doumka Clarinet Ensemble
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