RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 89 - JUIN 2007
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l’évolution des comportements dysfonctionnels déjà
difficiles à vivre, une perte essentielle : celle de la
reconnaissance des visages et des personnes qui
peut se produire à tout moment.
Mélange de connaissances, de concepts et d’intuition, ce
constat nous a amenées à nous pencher sur «cette
affaire de famille»2et sur les problématiques de deuil
qui peuvent en découler, orientant cette recherche sur
les aspects spécifiques du deuil tels que racontés par
des aidants naturels accompagnant leur proche souf-
frant de DTA.
Définition des termes et concepts
Aidant : désigne le proche qui a ou a eu un lien fami-
lial ou amical avec la personne malade (au sens d’ai-
dant naturel ou de soignant naturel).
Aidé : désigne la personne âgée souffrant de démence
de type Alzheimer.
Soignant : désigne le professionnel de santé (aide-soi-
gnante, infirmière).
Démence de type Alzheimer ou DTA : désigne un
tableau clinique qui implique une détérioration des
fonctions cognitives survenant dans un état de
conscience normal, d’une gravité suffisante pour avoir
des répercussions sur le comportement social, pro-
fessionnel et sur la personnalité. Le diagnostic de
DTA s’effectue en éliminant les autres affections qui
entraînent des symptômes semblables. La DTA est
un type de démence dont l’issue est irrémédiable
actuellement.
Déficits cognitifs : ensemble de symptômes d’ordre
mental pouvant se traduire, à différents degrés d’inten-
sité et de présence, par des pertes de mémoire, des
perturbations de la pensée, des difficultés de jugement,
d’attention, de concentration, de la désorientation tem-
poro-spaciale, de la labilité émotionnelle et des troubles
du langage.
Comportements dysfonctionnels : la personne âgée
atteinte de démence présente des troubles fonction-
nels entraînant des comportements qualifiés de dys-
fonctionnels parce qu’ils l’empêchent d’accomplir ses
activités quotidiennes, sociales et/ou professionnelles
de la même façon qu’avant sa maladie. Ce sont, en par-
ticulier, la fugue et l’errance, les cris, les mouvements
répétitifs, l’écholalie, l’apathie, l’agitation…
Attachement : «L’attachement peut être défini comme une
relation discriminative, établie avec un objet ou une personne
privilégiée. Le comportement observable consiste en une suite
d’interactions qui visent à maintenir et consolider la relation,
à provoquer un rapprochement physique. L’attachement appa-
raît comme un phénomène primaire nécessaire à l’établisse-
ment de relations sociales ultérieures satisfaisantes»3.
Perte : «La perte peut être définie comme la séparation
avec quelque chose qui constitue une partie de l’individu ou
qui lui appartient. Ce quelque chose peut être une personne
qui vient à lui manquer par décès, ou de toute autre
manière, qui met fin à la relation»4 (séparation, divorce,
maladie…). Toute perte significative entraîne la néces-
sité d’un travail de deuil. S’il s’agit d’une personne, la
perte n’en est pas forcément liée à la mort qui demeure
pourtant le paradigme du travail de deuil même s’il la
déborde largement. La mort imprime au deuil un carac-
tère particulier en raison de sa radicalité, son irréver-
sibilité, son universalité, son implacabilité. Elle oblige au
deuil alors qu’une séparation non mortelle laisse tou-
jours au début l’espoir de retrouvailles5.
Deuil : du bas latin dolus de dolere : souffrir - Larousse
(1995) «état de perte d’un être cher» ; Freud S. (1917)
«réaction à la perte d’un objet d’attachement» ; Hanus
M. (1976) «le deuil exprime toutes les relations et atti-
tudes consécutives à une perte ou à une séparation».
Travail de deuil : «Processus intra psychique, consécutif
à la perte d’un objet d’attachement et par lequel le sujet
réussit progressivement à se détacher de celui-ci»6.Le tra-
vail de deuil est consécutif à la perte - et pas unique-
ment lorsqu’elle est provoquée par la mort - à toute
perte, en particulier d’une valeur, dès lors que ce qui
est perdu avait grande importance pour celui qui en
est frappé7. Le travail de deuil est terminé quand l’en-
deuillé peut «remplacer l’absence effective par une pré-
sence intérieure». Ce travail mobilise une grande éner-
gie qui démobilise pour le reste8.
Pré-deuil : désigne ici le temps d’élaboration psychique
de désinvestissement progressif portant sur certaines
pertes précédant la mort physique. Le véritable travail
de deuil ne se vit qu’après la perte effective de la per-
sonne. L’évolution spécifique par pallier de dégrada-
tion de la démence d’Alzheimer amène l’entourage à
vivre un certain nombre de pertes progressives et suc-
cessives qui sont autant de pré-deuils : renoncement à
un destin ou projets communs, à l’image physique anté-
rieure de l’autre, à la communication et aux échanges
avec lui… Le proche est obligé de vivre au jour le jour,
d’investir le présent comme si l’avenir n’existait pas
tout en maintenant une capacité d’espérance,
d’échange, de présence et d’énergie, pour lui-même
et la personne malade.
2LEVESQUE L., ROUX C., LAUZON S. «Alzheimer : comprendre pour mieux aider». Coll. ERPI -1990, p. 262
3BOLWBY J. «Attachement et perte». PUF Paris, 1984
4HANUS M. «les deuils dans la vie», Maloine, 1994, p 89.
5HANUS M. «Les deuils dans la vie». Maloine, 1994 - p. 93
6LAPLANCHE J., PONTALIS J.B. «Vocabulaire de la psychanalyse», PUF
7HANUS M. «Les deuils dans la vie». Maloine, 1994, p. 93
8PILLOT J. «Deuil et pré-deuil». Bulletin JALMAV n° 4, mars 1986 p. 12