Les soldats russes sur le front

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LES SOLDATS RUSSES EN FRANCE EN 1916-1918
Cette année en France, on fête le centenaire de la guerre de 14, et à l'occasion de la
visite d'une des nombreuses expositions organisées sur ce thème, j'ai appris que des
Russes étaient venus en France pour combattre les Allemands aux côtés des Français.
L'arrivée du corps expéditionnaire Russe en Champagne, en 1916 , est un épisode peu
connu dans l'histoire de la Première Guerre mondiale. Pourtant , plusieurs dizaines de
milliers de soldats de la lointaine Russie ont combattu aux côtés des Alliés dans la
boue des tranchées en France, mais aussi en Orient.
Les premiers mois de la guerre ont décimé les armées françaises qui connaissent une
pénurie d’hommes. À la demande du général Joffre, le sénateur Paul Doumer se rend
en Russie en décembre 1915, auprès de l'allié russe. Paul Doumer vient demander à
Nicolas II l'envoi d'un corps expéditionnaire, afin de renforcer les armées françaises
en difficulté.
Après les accords de décembre 1915 , le gouvernement impérial Russe met sur pied
quatre brigades d'infanterie, fortes de 44 000 hommes, réparties en huit régiments.
Les 2éme et 4éme brigades débarquent à Salonique pour se battre sur le front d'Orient
aux côtés des Alliés commandés par le Général Sarrail . elles serviront jusqu'à leur
dissolution en janvier 1918 .
La 1ère brigade Russe du Général Lochwitsky débarque à Marseille au printemps
1916 et la 3ème du Général Maruchevski, arrive à Brest fin août . Ces soldats au
nombre de 20 000 sont rassemblés au camp de Mailly où ils reçoivent une instruction
militaire et un armement moderne , portant le casque Français frappé d'un aigle
bicéphale.
Les soldats russes sont reçus comme des sauveurs par la population française : leur
participation au défilé du 14 juillet 1916 soulève l'enthousiasme des Parisiens.
Les soldats russes sur le front
Les soldats russes participent activement aux opérations de combat. La 1ère brigade,
formée de deux régiments, l'un constitué d'ouvriers Moscovites , l'autre de paysans de
la région de Samara sur la Volga , après avoir occupé le fort de la Pompelle , est
montée en ligne en Champagne à Auberive en juin ; la 3éme la relève en octobre
jusqu'au début de 1917 . En avril , les deux brigades sont réunies et rattachées à la
5ème armée du Général Mazel afin de participer à l'offensive de Nivelle.
Le 16 avril les Russes attaquent au nord-ouest de Reims ; en deux jours ils prennent
les ruines de Courcy, le mont Spin , Sapigneul . Ils font un millier de prisonniers ,
mais subissent de lourdes pertes . Le 20 avril , ils sont relevés par des unités
Françaises après avoir perdu 70 officiers et 4472 hommes , tués , blessés où disparus.
Pour ces faits d'armes , les 1ère et 3ème brigades sont décorées.
La mutinerie
Les lourdes tensions qui ébranlent les troupes Françaises en 1917 n'épargnent pas le
corps Russe après les bouleversements que connait la Russie avec la Révolution de
février et le traité de Brest-Litovsk mettant fin aux combats à l'est . Le 15 mars , le
Tsar Nicolas II a abdiqué et le 13 avril les militaires ont prêté serment à un
gouvernement provisoire.
En France les soldats russes, comme les français, sont las de cette guerre, d'autant
qu'aucune relève n'est prévue pour la troupe russe. Des soldats russes s'organisent en
comités selon le modèle révolutionnaire et réclament leur retour en Russie.
Craignant une mutinerie, le commandement regroupe les brigades au camp de
Neufchateau, où s'opposent partisans de la révolution communiste qui veulent rentrer
en Russie et cesser de se battre, et loyalistes, partisans du gouvernement Kerensky,
d'accord pour continuer à combattre aux côtés de la France.
Mais le feu couve. La propagande révolutionnaire s'intensifie et les brochures et tracts
sont distribués, employant le terme de «chair à canon», affirmant que «les soldats
russes ont été vendus contre des fournitures de munitions», etc.
Devant la dégradation de la situation, le commandement militaire français s’inquiète
de la possible contagion des idées révolutionnaires sur les soldats des armées
françaises, dont bon nombre sont en rébellion larvée. Il décide de les isoler : les 16
000 soldats, 300 officiers et leurs 1700 chevaux sont alors déplacés loin du front au
camp de La Courtine dans la Creuse, en juillet 1917. L'état-major leur laisse leurs
armements et munitions, y compris les mitrailleuses.
La 1re brigade, composée majoritairement de soldats communistes, arrive le 26 juin à
La Courtine, suivie de la troisième, plutôt loyaliste envers le gouvernement
provisoire. Des heurts éclatent entre soldats des deux brigades. Rapidement, le refus
d'obéir aux officiers est définitif, ceux-ci n'ont plus de contact avec leurs hommes et
logent en dehors du camp. Les officiers français attachés à la division russe sont
également repoussés et 6000 hommes de la 3e brigade et 400 de la 1re quittent le
camp en compagnie d'officiers. Le retour immédiat en Russie est à présent réclamé.
Les autorités françaises considèrent ces troupes comme une charge et une menace
potentielle et sont décidées à les rapatrier.
Le camp de La Courtine devient alors un camp autogéré par les hommes de troupe et
des sous-officiers, près de 10 000 soldats qui exigent du gouvernement provisoire de
rentrer en Russie. Ils désignent eux-mêmes leurs chefs. L'un d'eux,Baltaïs, négocie
sans résultat avec les émissaires de Kerensky leur retour en Russie, puis est arrêté le
25 juillet. C’est un Ukrainien, Afanassy Globa qui prend ensuite la tête des rebelles.
Les autorités Françaises observent une stricte neutralité jusqu'à l'intervention d'un
ultimatum sommant les mutins de la 1ère brigade de se rendre. Après des semaines de
négociations , le ministre de la Guerre , Paul Painlevé , décide le blocus de La
Courtine par l'armée Française et fait rétablir l'ordre par les Russes loyalistes . Les 16
et 17 septembre , l'artillerie tire sur le camp , les mutins se rendent . La mutinerie a
causé une centaine de morts.
Pendant longtemps, les autorités françaises ont tenu secrète cette rébellion.
Conscients que cet épisode ne pouvait, par son exemple, que susciter d'autres
troubles, le haut commandement militaire décide la dissolution des deux brigades.
Que sont-ils devenus ?
Après la révolution bolchévique, le gouvernement Français offre aux soldats Russes
l'alternative suivante : s'engager dans l'armée Française ou être volontaires comme
travailleurs militaires, sinon être transférés dans un camp en Afrique du Nord . Alors
qu'environ 10 000 Russes sont volontaires pour le travail , 4300 sont envoyés dans
des camps en Algérie. Tous seront rapatriés par Odessa en 1919. Près de 400 hommes
équipés et armés par la France, vont former une légion de volontaires , bataillon qui
sera intégré à la 1ère division Marocaine du Général Daugan . Les Russes s'illustrent
en 1918 dans les batailles de la Somme , du Soissonnais et du Chemin des Dames.
Cité deux fois à l'ordre de l'armée , le bataillon gagne la Croix de guerre. Après
l'armistice , il occupe le secteur de Mannheim en Rhénanie. Cette petite unité au
drapeau décoré par la Maréchal Foch a mérité son nom de << Légion d'honneur
Russe >>
Sur le front d'Orient , les 2ème et 4ème brigade se sont vaillamment battues, la 2ème
brigade a été citée à l'ordre de l'armée par le Général Sarrail pour sa conduite lors des
attaques en 1916 à Monastir.
N'oublions pas non plus le sort de nombreux prisonniers russes des Allemands. Ceuxci sont revenus en France en 1918. A ce moment, alors que les Allemands
subissaient leurs premiers sérieux revers, ils ont amené dans le nord et l'est de la
France de nombreux prisonniers russes, en vue de les faire travailler à leurs
fortifications. Lors des dernières offensives françaises en Champagne, les Allemands,
en se repliant, les ont abandonnés. Livrés à eux-mêmes, ils ont été récupérés par les
Français en janvier 1919, nourris et organisés en camps afin de prévoir leur
rapatriement en Russie.
Ceux-ci, n'ayant pas été en contact avec les idées révolutionnaires, ont préféré, pour
la plupart, rester en France.
Après la guerre, la plupart des Russes ayant survécu sont restés en France et y ont
fondé une famille, la révolution russe n'ayant pas reconnu leurs faits d'armes, les
accusant d'avoir combattu pour les capitalistes.
Ceux qui sont morts sont enterrés dans les cimetières de Cerny, Pontavert et surtout à
Saint-Hilaire-Le-Grand en Champagne. Le site de St Hilaire le Grand a été choisi
pour honorer la mémoire des soldats Russes tués sur les champs de batailles de
Champagne. 915 corps ont été inhumés dans le cimetière devenu nécropole nationale
et entretenu par le secrétariat à la Défense chargé des Anciens Combattants . En 1936
-37 , à côté du cimetière ont été édifiés la Chapelle et le monastère orthodoxes à
l'initiative de l'association des officiers Russes Anciens Combattants sur le front
Français , relayé en 1990 par l'Association du corps expéditionnaire Russe en France
présidée par le Prince Serge Obolenski . Elle organise chaque année un pélérinage.
En Lorraine, une centaine de Russes sont inhumés dans les cimetières de Thiaucourt,
Flirey et Noviant-aux-Prés.
Bibliographie
• Guy Pedroncini, Les Mutineries de 1917, 1967
• Rémi Adam, Histoire des soldats russes en France, 1915-1920 : les damnés de la guerre,
Paris, L'Harmattan, 1996, 384 p.
• Rémi Adam, 1917, la révolte des soldats russes en France, 2007 Éditions lbc, collection
Histoire
• Héros et mutins : les soldats russes sur le front français 1916-1918, Gallimard-DMPA, 2010
Merci à Claude Adam pour les documents intéressants q'il m'a donnés.
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