Ethique et maladies infectieuses

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Ethique et maladies infectieuses
Stuart Rennie, PhD
Department of Social Medicine, UNC Chapel Hill
Laurent Ravez, PhD
Centre Interdisciplinaire Droit, Ethique et Sciences de la
santé (CIDES), Université de Namur (FUNDP)
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Présentation générale
• Introduction
• Quelles sont les caractéristiques particulières des maladies
infectieuses qui soulèvent des questions éthiques ?
• Les obstacles à la prévention et au traitement des maladies
infectieuses
• Les maladies infectieuses, la panoplie d’outils de santé publique et
l’éthique
• L’évaluation éthique des interventions de santé publique visant à
maîtriser les maladies infectieuses
• Les responsabilités éthiques découlant des infections
• Les limites potentielles des obligations de ne pas infecter les autres
Introduction
• Dans le passé, les maladies infectieuses ont tué
davantage que toutes les guerres. Chaque année, elles
entraînent la mort de 15 millions de personnes dans le
monde. Elles sont les principales causes de mortalité
chez les enfants et les jeunes adultes.
• Les activités de lutte contre les maladies infectieuses –
recherche, politiques, pratique clinique et interventions
de santé publique – peuvent être menées de manière
plus ou moins «éthique».
Introduction
• Nous devons répondre de manière responsable, c’est-à-dire d’une
manière qui ne porte pas atteinte à d’autres valeurs auxquelles nous
sommes attachés, telles que la vie privée, l’autonomie, les coutumes,
etc.
• Au cours des années 1970, les Centers for Disease Control and
Prevention s’intéressaient à l’éradication de la variole en Inde. Un
responsable des CDC a décrit la situation sur le terrain à l’époque
comme suit :
Les villages où des cas d’infections s’étaient déclarés ont été visités – souvent à
plusieurs reprises – pour essayer de trouver [les cas qui] n’avaient pas été
détectés. Presque invariablement dans de telles circonstances, une poursuite
ou une vaccination forcée s’ensuivait... Nous considérions que la crainte des
villageois en ce qui concernait la vaccination était normale mais irrationnelle...
Nous ne pouvions pas laisser les gens se faire inutilement infecter par la variole
et mourir. Nous allions de porte en porte et quand ils s’échappaient, nous les
pourchassions. Quand ils fermaient leurs portes, nous les enfoncions et nous
les vaccinions. (Greenough P., 1995)
Introduction
• Dans l’ensemble, la bioéthique a ignoré les maladies
infectieuses.
– La bioéthique, en tant que domaine d’études, est apparue en Amérique
du Nord et en Europe à une époque où l’on pensait que les maladies
infectieuses allaient bientôt disparaître, étant donné les progrès dans
le développement de vaccins et d’antibiotiques.
– Les maladies infectieuses sont très répandues non seulement parmi les
pauvres et/ou les personnes marginalisées du point de vue social, mais
aussi dans les pays à faibles revenus.
Introduction
• L’indifférence de la bioéthique envers les maladies infectieuses a
été remise en question par les épidémies de VIH/SIDA (au cours des
années 1980 et 1990) et de SRAS (syndrome respiratoire aigu
sévère), ainsi que par la menace du virus H1N1, qui ont fortement
touché les pays riches.
• Si les maladies infectieuses ne constituent pas de graves menaces
pour les pays les plus riches, elles n’attirent pas beaucoup
l’attention des bioéthiciens.
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
• Les maladies infectieuses à la base de grandes peurs et
de mouvements de panique dans la société.
• Des taux élevés de morbidité et de mortalité.
• Sévérité.
• Transmissibilité.
• Possibilité de traitement et de prévention.
• Stigmatisation sociale.
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
•
a) Les maladies infectieuses à la base de grandes peurs et de
mouvements de panique sociaux
(
– Les réponses à la lèpre, y compris la création de léproseries
– L’utilisation de multiples antibiotiques par les médecins, malgré les conséquences
potentielles sur la santé publique (c.-à-d. le développement de souches résistantes)
– Les fermetures d’école alors que le risque d’infection est très faible
– Les restrictions de voyage strictes pendant les flambées d’Ebola en Afrique centrale
– L’exclusion des enfants séropositifs des écoles
– Les dépenses peut-être excessives de dépistage du SRAS en Amérique du Nord et de
quarantaine en Chine (130.000 personnes mises en quarantaine pendant plus de 10 jours
pour un taux d’infection au SRAS probable/suspecté de 0,3 %)
– L’abattage de centaines de milliers de têtes de bétail et les embargos sur les importations
de viande bovine pendant l’épidémie de la maladie de la « vache folle », malgré le faible
nombre de décès humains causés par la maladie de Creutzfeldt-Jakob
– Quid des droits humains et d’une juste distribution des ressources publiques?
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
• (b) Des taux élevés de morbidité et de mortalité
• (c) Sévérité
– Les maladies infectieuses peuvent évoluer rapidement. La méningite, la
pneumonie, la septicémie bactérienne et les infections virales
hémorragiques peuvent (selon la sensibilité) mener rapidement à une
issue fatale.
– La progression rapide incite les médecins et les autorités de santé
publique (et autres) à prendre des décisions rapides. Par exemple, quand
des épidémies de maladies infectieuses aiguës, comme la méningite à
méningocoque, se déclarent chez des enfants, les écoles et les parents
s’entendent parfois pour fermer les établissements scolaires. Mais la
fermeture d’écoles peut entraver la maîtrise de l’épidémie, étant donné
que les écoles sont de bons endroits pour appliquer les programmes de
prophylaxie et de vaccination.
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
• (d) Transmissibilité
Les maladies infectieuses sont souvent transmises d’une personne à l’autre par
diverses voies. Cela soulève des questions éthiques au niveau individuel et au
niveau de la population.
 Au niveau individuel, c’est l’absence de maîtrise qui explique les craintes
soulevées par la transmissibilité. Il s’agit d’une sorte «d’invasion» par des
micro-organismes étrangers qui nous rendent malades, même si nous
disposons de caractéristiques génétiques favorables, que nos modes de
vie sont sains et que nous vivons dans un bon environnement.
Quelques-unes des questions qui se posent ici sur le plan éthique sont :
 Quels sont les droits des individus et des collectivités à se défendre
contre les menaces des maladies infectieuses transmissibles ?
 Quelles sont les responsabilités d’une personne infectée à l’égard de
ceux qui ne sont pas infectés, en particulier quand une personne peut
réduire le risque d’infecter d’autres personnes en modifiant son
comportement ?
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
 Au niveau de la population, c’est le risque que la maladie
touche une proportion importante de la population qui
suscite des craintes. Les questions d’éthique dans cette
situation s’intéressent à l’acceptabilité des moyens pour
freiner la propagation des maladies transmissibles.
La façon dont une maladie infectieuse est transmise et les
risques (réels) de transmission sont des éléments très
importants, à la fois du point de vue des décisions de santé
publique et du point de vue éthique. Une infection avec
un risque relativement faible de transmission (HIV, par
exemple) sera envisagée différemment d’une autre qui
peut être transmise très facilement (TB, par exemple).
Quelles sont les caractéristiques des maladies
infectieuses source de questionnements éthiques?
• (e) Possibilité de traitement et de prévention
La perspective d’une maladie infectieuse qui provoque
des niveaux élevés de morbidité et de mortalité, qui
évolue rapidement en menant à une détérioration grave
de l’état de santé, et qui se propage facilement de
personne à personne, est terrifiante. Mais la situation
est plus terrifiante encore si la maladie ne peut être
prévenue (par le biais de vaccins ou d’autres moyens) et
s’il n’y a pas de traitement ou de guérison possible.
Quelles sont les caractéristiques particulières des
maladies infectieuses qui soulèvent des questions
éthiques ?
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(f) Stigmatisation. Les sociétés confèrent souvent aux maladies infectieuses
certaines significations qui peuvent être liées aux voies par lesquelles ces
maladies se transmettent. Ainsi, les maladies sexuellement transmissibles ont
tendance à être associées à des comportements jugés immoraux, comme
l’homosexualité masculine, la promiscuité et la prostitution. La tuberculose, quant
à elle, est généralement associée à la pauvreté et à la marginalité. En gros, ce
phénomène se traduit par : si vous avez telle maladie, c’est que vous ne vivez pas
correctement. On attribue à la maladie, qui n’a aucune signification intrinsèque,
une signification morale.
Même si la stigmatisation n’est pas rationnelle, les autorités de santé publique
doivent accepter les problèmes de stigmatisation comme une réalité sociale, et les
problèmes éthiques qui en découlent. Par exemple, des interventions ciblées
visant certaines populations (comme les homosexuels masculins, les utilisateurs de
drogues injectables, les travailleurs du sexe) peuvent augmenter la stigmatisation
et mettre ces populations à risque de préjudices sociaux tels que la discrimination.
Les obstacles à la prévention et au
traitement des maladies infectieuses
• Des croyances culturelles, telles que les croyances selon lesquelles
les vaccinations constituent des tentatives de stériliser les
populations ou selon lesquelles les programmes d’échange de
seringues sanctionnent ou encouragent l’utilisation de drogues
injectables.
• Les croyances religieuses, telles que les objections religieuses à
l’utilisation de préservatifs ou à l’éducation sexuelle dans les écoles.
• La médiocrité des infrastructures de soins de santé qui entrave la
mise en œuvre de mesures de prévention et de méthodes de
traitement dont l’efficacité est reconnue.
• Le manque d’accès aux moyens de traitement et de prévention,
pour diverses raisons (accessibilité, problèmes de transport, etc.).
Les obstacles à la prévention et au
traitement des maladies infectieuses
• Au niveau de la population, de nombreuses maladies pourraient être
prévenues par des interventions ciblant les conditions environnementales
et les déterminants sociaux de la santé, tels que l’assainissement, l’eau
potable, la pauvreté, la surpopulation, l’alimentation, etc. Ceci éliminerait
les besoins de traitements pour ces maladies.
• Le fait de ne pas prévenir les maladies évitables chez certaines catégories
de personnes ou certains sous-groupes, ou dans les nations pauvres en
ressources, soulève des questions éthiques sur le plan de la justice sociale.
Les maladies infectieuses, la panoplie d’outils de
santé publique et l’éthique
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Des campagnes de sensibilisation
Des services de dépistage volontaire
La surveillance des maladies et les rapports (nominatifs) aux autorités
publiques
Le traçage des contacts
La notification des partenaires
Les tests de routine (avec option de refus)
Les tests obligatoires (p. ex. pour entrer dans l’armée)
Le traitement, la vaccination obligatoire
Les restrictions de voyage
L’isolement
La mise en quarantaine
La mise en détention
Les maladies infectieuses, la panoplie
d’outils de santé publique et l’éthique
• Dans quelles circonstances est-il acceptable pour les autorités de santé
publique d’imposer des interventions (parfois avec l’appui de la loi) qui
limitent la liberté des individus afin de promouvoir la santé de la
population ?
• Il est interdit de fumer dans les espaces publics dans beaucoup de pays
d’Europe et aux Etats-Unis. New York a également promulgué
l’interdiction d’inclure des acides gras trans dans les aliments en vente
dans les restaurants. Ce qui fait que ces interventions sont controversées,
c’est que, dans une certaine mesure, elles limitent la liberté des individus
de fumer là où ils veulent et de manger ce qu’ils aiment.
Les maladies infectieuses, la panoplie d’outils de
santé publique et l’éthique
• Le principe de non-nuisance (développé de manière explicite par le
philosophe John Stuart Mill) stipule grosso-modo qu’une intervention qui
restreint la liberté des individus ne peut être justifiée que si elle empêche
que d’autres personnes ne subissent un préjudice.
• Effets du tabagisme passif sur la santé des non-fumeurs dans des lieux
fermés
• Paternalisme : les interventions de santé sont justifiées quand elles
empêchent les personnes de se causer du tort.
L’évaluation éthique des interventions de santé
publique visant à maîtriser les maladies
infectieuses (Kass, 2001)
Ex. : dépistage obligatoire du VIH avant le mariage
•Quels sont les objectifs de santé publique de l’intervention proposée ?
•Quelle est l’efficacité de l’intervention par rapport à la réalisation de ses
objectifs déclarés ?
•Quelles sont les conséquences négatives potentielles de l’intervention ?
•Ces conséquences négatives peuvent-elles être minimisées ou d’autres
approches sont-elles possibles ?
•L’intervention est-elle mise en œuvre de façon équitable ?
•Comment les conséquences négatives de l’intervention peuvent-elles être
réparties de manière équitable ?
Les responsabilités éthiques
découlant des infections
• Les gens ont-ils l’obligation éthique d’éviter d’infecter d’autres
personnes ?
– quand le risque d’infection est très faible ?
– quand l’infection ne présente pas de grands dangers ?
• Y a-t-il une obligation éthique de se faire tester chaque fois que l’on a été
exposé à un agent infectieux ?
• Si un partenaire sexuel accepte un faible risque potentiel d’infection
sexuellement transmissible (tel que la transmission du VIH par le biais de
rapports sexuels non protégés par exemple), y a-t-il toujours une
obligation d’éviter d’infecter ce partenaire ?
• Un patient atteint par une maladie infectieuse est-il dans l’obligation de ne
pas infecter un travailleur de la santé ?
Les limites potentielles des obligations de
ne pas infecter les autres
• Nous sommes tous des vecteurs potentiels de maladies infectieuses
et il nous est tout aussi impossible d’éviter d’infecter d’autres
personnes que d’éviter d’être infectés nous-mêmes.
• Nous nous rendons au travail sachant que nous sommes peut-être
atteints par un rhume ou par la grippe. Nous envoyons nos enfants
à l’école sachant que ce sont des lieux d’infection potentielle. Il
semble que nous acceptions, dans certains cas, des limites et des
exceptions à cette obligation.
• L’éthique des maladies infectieuses implique en partie l’exploration
de ces limites et exceptions, ainsi que leurs raisons (bonnes et
mauvaises).
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