La métaphore du deuil

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Article paru Votre Santé n°68 - Mai 2005
“Faire son deuil”
“Faire son deuil” n’est que la vulgarisation - la diffusion comme farce,
comme pseudo sagesse exécrable - d’un processus freudien, comme on
dit, avec satisfaction, qu’un bébé “fait ses nuits” : faire, verbe vicaire,
prostitué. L’expression sert d’alibi idéal (fièrement revendiqué) aux
trahisons lâches. La métaphore du deuil est scandaleuse, non parce
qu’elle assimile tout trauma (toute séparation) à la mort, mais parce
qu’elle sous-estime la vérité de la catastrophe.
Article paru Votre Santé n°68 - Mai 2005
Tâcher d’“oublier”, ce n’est pas “survivre” tant bien que mal à un(e) mort(e),
c’est assassiner celui (celle) qui a disparu, c’est “suicider” son amour, son
“ancien
moi”
(Proust).
Stendhal
le
dit
mieux
(plus
justement
et
plus
désespérément) que Freud :
« Il faut que l’amour meure ». Le désamour ne consiste pas en un “deuil”, mais,
en amont, dans un meurtre.
Ainsi, la métaphore du deuil : « il (elle) est mort(e) cache : “Je l’ai tué(e)”
(glissement que la rhétorique nommerait “métalepse”) ou “je suis mort(e) (ce
qu’elle nommerait “énallage”). »
Et pourtant (apparente contradiction), l’oubli du chagrin est nécessaire, parce
que cet oubli, justement, permet au chagrin de resurgir, de “revenir”, comme un
fantôme.
Terrible scène de la Recherche : le narrateur, penché sur ses bottines, pour
nouer un lacet, est d’un seul coup, et bien longtemps après, frappé par la mort
de sa grand-mère.
Cette hystérie du malheur, Proust l’appelle les “intermittences du cœur”.
Georges Kliebenstein
Georges Kliebenstein, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, est maître de
conférences à l’université de Poitiers (stylistique du XIXème siècle). Il a écrit
notamment des articles sur Stendhal, Nerval, Balzac, Baudelaire, Flaubert,
Mallarmé, Roland Barthes.
Georges Kliebenstein a écrit les “Figures du destin stendhalien”, Presse Sorbonne
Nouvelle, Préface de Philippe Berthier, 2004, 390 pages.
Article paru Votre Santé n°68 - Mai 2005
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