Terre, certaines étendues d’eau pouvaient contenir en solution des
concentrations élevées des constituants essentiels des deux classes de
macromolécules biologiques ».
Cet événement « improbable » fait pourtant l’objet de nombreuses expé-
riences de laboratoire. On tente de reconstruire la première cellule vivan-
te, du moins de découvrir les événements structuraux qui ont jalonné son
émergence.
L’océan primitif
Le premier énoncé moderne, étayé et argumenté à l’aide de
données scientifiques, est dû à Oparin (1924)
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et Haldane (1929)
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: les
monomères biologiques formés dans l’atmosphère se sont déposés dans
l’océan pour former « la soupe primitive ». Les données expérimentales
correspondantes furent acquises quelques années plus tard par Stanley
Miller
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qui obtint, en 1953, les acides aminés du vivant en simulant les
conditions de l’atmosphère primitive. Juan Orò
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, dans les années 1960,
synthétisera les bases puriques des acides nucléiques, adénine et guani-
ne dans des conditions simples.
Ce premier point mérite que l’on souligne l’apport historique
du naturaliste Buffon qui en 1778, avec la publication des Epoques de la
nature, inscrivit la question des origines dans l'histoire de la vie. Il cal-
cula l'âge de la Terre sans tenir compte des données bibliques admises
par tous à l’époque, utilisa les fossiles « médailles de la nature », et fit
intervenir différents domaines du savoir, la paléontologie, la géologie, la
chimie, l'anthropologie, etc. L'existence de « molécules organiques »,
produites par des combinaisons chimiques, est à l’origine des orga-
nismes vivants qui peuvent apparaître ainsi sans transition. Oparin
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citera un extrait de l’œuvre de Buffon dans l’ouvrage de 1936 consacré
aux origines de la vie : « Comme la température de la Terre s'était suffi-
samment refroidie pour permettre la formation de gouttelettes d'eau
liquide, des torrents d'eau bouillante doivent s'être abattus sur la surfa-
ce de la Terre et l'avoir inondée, formant ainsi les océans primitifs en
ébullition. L'oxygène et l'azote dérivés des hydrocarbures déjà présents
dans l'atmosphère furent entraînés par ces pluies torrentielles et les
océans et les mers, au moment de leur première formation contenaient
donc déjà, en solution, les plus simples composés organiques ». Selon
Roselyne Rey, Buffon, a « créé les conditions pour proposer une défini-
tion du vivant désacralisée, détachée d'un cadre religieux, et pareille-
fonde une méthodologie qui vise à tout réduire à une explication ultime,
le réductionnisme qui s’adresse aux parties, morcelle le tout, et en parti-
culier l’objet de sa recherche. Grâce à lui, on sait de plus en plus de
choses sur le simple, mais peu sur le complexe, peu sur l’origine de la
complexité et l’origine elle-même.
La recherche des origines de la vie vue par des chimistes, des
physiciens, des modélisateurs se heurtent la plupart du temps à une
méconnaissance du vivant. On cherchera des automates, des auto-repli-
cateurs, auto-reproducteurs, sans prendre en compte les exigences méta-
boliques, génétiques, cellulaires et historiques du vivant. L’originalité du
vivant nécessite en effet, si l’on veut en découvrir l’origine, la compré-
hension de toutes les étapes biologiques et physico-chimiques jusqu’aux
origines ce qui exige la prise en compte du processus historique de l’évo-
lution biologique. Et c’est bien là que réside l’une des principales diffi-
cultés.
Les conditions d’émergence du vivant
Dès 1970, Jacques Monod
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pensait impossible une analyse
scientifique de l’émergence de la vie sur Terre en raison du caractère
improbable de son apparition. Après avoir énoncé ce qu’il considère
comme les trois énigmes posées par la création de la vie — la formation
des molécules du vivant, l’apparition des premières molécules et struc-
tures réplicatives et l’assemblage de ces structures pour former les cel-
lules primitives —, Monod montre comment la méthode scientifique
appréhende la première énigme, la plus « simple » selon lui.
«La première, souvent appelée la phase « prébiotique », est assez lar-
gement accessible, non seulement à la théorie, mais à l’expérience. Si
l’incertitude demeure, et demeurera sans doute, sur les voies qu’a sui-
vies l’évolution, le tableau d’ensemble paraît assez clair. Les conditions
de l’atmosphère et de la croûte terrestre, il y a quatre milliards d’années,
étaient favorables à l’accumulation de certains composés simples du
carbone tels que le méthane. Il y avait aussi de l’eau et de l’ammoniac.
Or, de ces composés simples et en présence de catalyseurs non biolo-
giques, on obtient assez facilement de nombreux corps plus complexes,
parmi lesquels figurent des acides aminés et des précurseurs des nucléo-
tides (....).
On peut donc considérer comme prouvé qu’à un moment donné sur la
12 MARIE-CHRISTINE MAUREL ORIGINES DE LA VIE, ORIGINALITÉ DU VIVANT 13