Rachid FOUDI Cours d’histoire de la pensée économique – PARTIE 2 : La « révolution marginaliste » de
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activités ont toujours été considérées à la fois comme un résultat de l’action humaine,
individuelle, et comme résultat de forces sociales saisissables soit de manière comptable, soit
de manière mathématique, selon l’état de développement de la connaissance mathématique.
Nous pouvons appeler ceci le dualisme de la symbolique économique, tel qu’il s’exprime
dans la science économique.
Jamais par exemple, Lucas Pacioli (voir la courte biographie dans le dossier N° 6.2),
l’inventeur de la comptabilité en partie double en 1494 à Venise, n’aurait pensé que la
balance comptable qu’il élaborait pouvait devenir le schème des représentations économiques
modernes des Etats dans leurs relations avec autrui (la dite « balance du commerce ») ! Nous
pourrions dire la même chose de la conception du « juste prix » de Thomas d’Aquin, qui
resurgit sous la forme de la parité des taux de change.
Car, la balance de Pacioli était celle du marchand isolé, confronté à des échanges dont les uns
accroissaient sa richesse tandis que d’autres la diminuaient. Il élabore, dans sa « Somme » (
De
las cuentas y las escrituras : Titulo Noveno, tratado XI de su Summa de arithmetica, geometria, proportionalita)
la méthode qui permet au marchand de maîtriser le jeu des forces qui déterminent le résultat
de sa propre activité
"Vous devez savoir que pour tous les postes du Journal, vous devez en faire deux dans
le Grand Livre, notamment un au débit et un autre au crédit. C'est de ceci que naît la
Balance qui se dresse lors de la clôture du Grand Livre entre les débits et les
crédits. »
( (http://www.ipcf.be/page.aspx?pageid=1486&menuid=1214) -
PACIOLI Luca, De las cuentas y las
escrituras : Titulo Noveno, tratado XI de su Summa de arithmetica, geometria, proportionalita,
Venecia, 1494).
Il considérait dans le même temps, la réalisation de l’équilibre de cette balance, comme la la
perfection divine (voir le dossier de cours N° 6.2).[C1]
L’œuvre de Pacioli anticipe donc les grandes œuvres économiques, dont celle de Quesnay, et
surtout celle de Vanderlint et Keynes. Le temps qui sépare ces deux derniers auteurs ne doit
plus nous surprendre, ni être perçu comme temps de rupture dans la pensée libérale.
Nous avons vu en effet comment la perfection du monde a été grâce aux mathématiques et à
l’approche marginaliste, transfigurée en perfection comportementale du sujet individuel et
universel (l’homo oeconomicus ou le « marchand de Pacioli) confronté à des choix
économiques. La généralisation (ou le retour au monde) de cette méthode n’a jamais disparu,
comme en témoignent l’équilibre général walrasso-paretien, puis l’Economie du Bien Etre
(Pareto, Pigou). Tandis que dans le même temps l’approche macroéconomique des classiques
perdurait, pour ressurgir avec Sraffa et les néo-ricardiens, comme un nouveau fondement de
l’analyse des choix rationnels, si l’on songe aux théories de la concurrence imparfaite.
Quant aux développements ultérieurs, ceux de l’après Keynes, ils ne font que confirmer ce
point de vue, à l’image par exemple de cet autre triomphe représenté par l’approche moderne
dite des « fondements microéconomiques de la macroéconomie », née avec Clower et
Leijonhufvud, puis répandue avec la théorie du déséquilibre (Benassy par exemple).
Si l’on acceptait la thèse de la distinction radicale, ou de la séparation micro-macro, donc le
triomphe des uns au détriment des autres, on ne comprendrait pas les impasses du libéralisme.
L’impasse principale étant celle de la perfection affichée par le discours dualiste : cette
perfection qui est habituellement présentée sous la forme de la « main invisible du marché »,
mais qui peut, quelque soit l’époque, être tout aussi bien perçue comme celle de la « visible
main de l’Etat ».
Nous pensons que Keynes l’a compris et mis en évidence par une critique décisive de la loi
de Say, afin de promouvoir, à un moment particulier du développement capitaliste, la solution
vanderlintienne de l’intervention publique. Nous aurons l’occasion de constater que tout
comme chez Vanderlint, cette solution n’est nullement synonyme d’une fin de la