Cristina Vinuesa Muñoz
QVR 41/2013 17
En effet, utiliser volontairement l’écrit, c’est revendiquer un autre moyen de
langage au théâtre ; c’est renoncer aux formes traditionnelles de la mimésis
aristotélicienne. L’acte même de la lecture au cours d’un spectacle conduit le
lecteur à un décalage entre le temps scénique et le temps réel. Le lecteur est en
quelque sorte éjecté de la scène et renvoyé à sa capacité réelle de lecture. Ce
cours laps de temps qui empêche l’identification, montre chez l’artiste qui
utilise cet outil, un rejet du réalisme psychologique prôné au dix-neuvième
siècle. Brecht en sera le plus vif exemple. La littérarisation du théâtre, qui fait
de la scène un texte à élucider, constitue un des piliers du théâtre épique.
L’objectif principal de ce type de théâtre est d’ « indiquer combien il est
nécessaire de penser » (Brecht 1972 : 442). La scène épique empêche ainsi
l’abandon aux émotions, évite le sensationnel et oblige le spectateur-lecteur,
en lisant la voix d’un narrateur et d’un auteur, à se positionner, à prendre
parti, en définitive, à s’engager politiquement.
Cette nouvelle attitude que revendiquent certains auteurs du début du
vingtième siècle, sera réappropriée et actualisée un siècle plus tard par des
auteurs qui exigeront du spectateur, quels que soient les thèmes abordés, un
examen critique et réaliste de la scène et de son contenu d’une manière plus
vaste, de la machine théâtrale. Cette volonté de réfléchir et de se placer
autrement vis-à-vis de la scène renforce cette idée de faire du spectateur un
élément actif du spectacle, un créateur individuel de désir, un corps tout entier
traversé d’émotions et de pensées conscientes. Tel est le propos d’Angélica
Liddell, de Rodrigo Garcia et de la jeune compagnie Conde de Torrefiel.
II Un exemple précis : La scène espagnole et l’écrit sur scène
2.1 Angélica Liddell
Après avoir parcouru rapidement l’histoire de l’écrit sur scène et survolé
ses quelques finalités (informatives, esthétiques, ludiques, didactiques et poli-
tiques) nous verrons dans les propos qui suivent, comment trois artistes
ibères incorporent l’écrit à leurs spectacles, ainsi que les effets et les consé-
quences qui en résultent. Commençons tout d’abord par l’artiste Angélica
Liddell, baptisée l’enfant terrible de la scène espagnole : Angélica González, plus
connue d’abord sous le nom de Liddell Z00 en référence au film de Peter
Greenaway Z00 réalisé en 1986, puis devenue Angélica Liddell, actuel pseu-
donyme et patronyme emprunté à Alice Liddell, muse de Lewis Carol. Le
choix du nom de sa compagnie fondée en 1993 est révélateur d’un parti pris
dans ses créations et d’une fonction bien définie de l’art dramatique en
général. Elle appelle sa compagnie Atra Bilis, l’altrabile ou bile noire, connue