Guide pédagogique N IO ELLE É DI UV T O N Benoit FALAIZE Professeur à l’IUFM de Versailles Nouchka CAUWET IMF Avec la collaboration de Jean-Pierre COSTET Conseiller pédagogique Collection dirigée par Jean HÉBRARD Les droits d’auteur afférents à la direction de collection sont intégralement versés à l’association « Vaincre la Mucoviscidose », 181, rue de Tolbiac, 75013 Paris. La mucoviscidose est une affection génétique grave qui fait souffrir un nombre important de jeunes enfants d’âge scolaire (250 nouveaux cas apparaissent chaque année en France). L’association est un partenaire actif des dispositifs d’accueil des élèves atteints de maladies chroniques graves. On peut la contacter au 01 40 78 91 91. Maquette intérieure : Atelier Gérard Finel Maquette de couverture : Laurent Carré et Atelier Gérard Finel Mise en pages : Typo-Virgule Crédits photographiques de la couverture : gauche : Henri Testelin (1616-1695), Portrait de Louis XIV roi de France, enfant en costume de sacre, 1648, musée du château de Versailles, © Josse ; droite : détail d’un papyrus égyptien, le dieu Seth, London British Museum, © Josse ; arrière-plan : François-Auguste Biard, détail de la Proclamation de l’abolition de l’esclavage des Noirs aux colonies françaises, 1848, musée du château de Versailles, © Josse. ISBN : 2.01.11.6486.9 © Hachette Livre 2003, 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L. 122-4 et L. 122-5, d’une part, que les « copies de reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ». Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. SOMMAIRE Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PREMIÈRE PARTIE Il était une fois… les femmes et les hommes dans l’histoire . . . . . . . . . . . . . . La préhistoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’invention de l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les civilisations de l’Antiquité . . . . . . . . . . . DEUXIÈME PARTIE L’héritage antique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Gaulois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La conquête romaine (57-51 avant notre ère) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Gallo-Romains (Ier-Ve siècle) . . . . . . . . . Le déplacement des peuples barbares . . . . Clovis et Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La fin de l’Empire de Charlemagne . . . . . . TROISIÈME PARTIE Le temps des seigneurs et des cathédrales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Seigneurs et paysans au Moyen Âge (XIe-XIVe siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les chevaliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Église au Moyen Âge (XIe-XVe siècle) . . La Méditerranée au Moyen Âge (VIIIe-XIIIe siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le pouvoir des rois de France au Moyen Âge (XIe-XVe siècle) . . . . . . . . . . . . Les crises de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . QUATRIÈME PARTIE Le temps des découvertes . . . . . . . . . . . . . . . La découverte d’un nouveau monde . . . . . Christophe Colomb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Renaissance en Europe (XVIe siècle) . . L’imprimerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Renaissance et la royauté française . . . Les guerres de Religion et Henri IV (1559-1610) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Louis XIII et Richelieu (1610-1643) . . . . . 4 9 10 14 18 22 23 26 30 34 37 42 44 45 48 50 CINQUIÈME PARTIE La Royauté ou la République ? . . . . . . . . Louis XIV, roi absolu (1643-1715) . . . . . . . Le roi est un enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La traite des Noirs au XVIIIe siècle . . . . . . . . La société d’Ancien Régime au XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Révolution française (1789-1795) . . . . Condorcet : un homme dans la Révolution . . . . . . . . . . . . De la Révolution à l’Empire de Napoléon Bonaparte (1795-1815) . . . . . À propos du mot « Liberté » (1815-1848) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1848 : l’esprit de liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . Napoléon III (1851-1870) . . . . . . . . . . . . . . . . La Commune de Paris et la guerre (1870-1871) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . SIXIÈME PARTIE L’époque de l’industrie . . . . . . . . . . . . . . . . . La naissance de l’industrie au XIXe siècle . Les progrès de la démocratie (1871-1914) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Europe et la France à la conquête du monde (1830-1914) . . . . 82 83 86 88 92 96 101 103 106 108 111 114 117 118 124 127 129 53 57 61 64 65 66 68 71 73 76 79 SEPTIÈME PARTIE Le XXe siècle et le monde actuel . . . . . . . . . La Grande Guerre (1914-1918) . . . . . . . . . . Des peintres en guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La France entre les deux guerres mondiales (1919-1939) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) . . . . . . . . . . . . Les enfants d’Izieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un nouveau monde (1945-1975) . . . . . . . . . La vie politique et économique de la France (1945-1975) . . . . . . . . . . . . . . . . . La France dans le monde d’aujourd’hui . . 133 134 138 140 145 152 154 160 164 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 3 INTRODUCTION GÉNÉRALE On pourrait dire, à la manière de Magritte, que ceci n’est pas un manuel d’histoire, alors même que la collection dans laquelle il s’inscrit relève de cette catégorie. C’est bien évidemment un manuel scolaire dans la mesure où il est destiné aux élèves des classes de cycle 3, mais nous sommes convaincus qu’il s’agit peut-être plus d’un livre de lecture d’histoire que d’un manuel tels qu’ils existent à l’heure actuelle sur le marché éditorial. Les instructions officielles indiquent bien qu’il faut faire lire les élèves dans toutes les disciplines. C’est ce parti pris que nous avons retenu et assumé, en faisant découvrir aux élèves un récit à la fois accessible et problématisé de l’histoire. L’importance scolaire du récit Nous avons voulu faire de ce manuel à l’usage des élèves un livre à lire, inspiré des derniers travaux scientifiques, des dernières thèses et avancées de la recherche historique, traduits en « langage d’enfant » pour reprendre l’expression d’Ernest Lavisse. Par notre pratique, corroborée par des recherches sur la lecture comme en sociologie de l’échec scolaire, il nous a semblé que plus nous étions dans une démarche de récit, plus les élèves en difficulté scolairement et démunis socialement et culturellement pouvaient s’y retrouver et y construire du sens. Le récit aide à comprendre. À l’inverse, ne procéder que par les documents, par une méthodologie savante (que bien souvent, les historiens professionnels n’ont découverte qu’après trois ou quatre années de cours magistraux à l’université), peut renvoyer les élèves à un implicite scolaire, fondé sur un entre soi, entre des enseignants sûrs de leurs exigences et des enfants déjà cultivés et certains du rôle de l’école. Le risque peut être, là, fatal pour des enfants de milieux sociaux défavorisés dont l’école n’a rien de l’évidence. Le récit est beaucoup moins sélectif socialement que la mise en activité (parfois artificielle) visant à « l’autonomie » des élèves. 4 Le récit permet également de concilier le plaisir de la lecture et celui de l’histoire. De ce fait, donner à lire de l’histoire, c’est mettre les élèves en situation de devenir des lecteurs experts, en leur permettant d’organiser des liens logiques, des liens entre causes et conséquences, mais aussi en découvrant des notions. Le récit permet ainsi tant d’aller vers une maîtrise fine de la lecture que de travailler sur un raisonnement intellectuel à partir d’un savoir. Et c’est dans l’organisation du savoir que la compréhension a plus sa place que le jugement. Le récit permet à tous de construire du sens et permet, en parallèle, de construire le temps historique avec les élèves. Chaque chapitre du livre de l’élève est relié au précédent ou au suivant, ou à d’autres plus lointains. Les continuités historiques sont valorisées : de l’héritage antique – qui est, de cette façon, un moyen de montrer comment Charlemagne innove tout en se pensant le continuateur de César – aux Lumières du XVIIIe siècle – qui reviennent dans presque tous les chapitres sur le XIXe siècle –, en passant par la présence du penseur médiéval arabe Averroès dans la Renaissance européenne. Le récit permet de construire du sens, à condition bien sûr que le récit ne soit pas une fin en soi, seul garant de la vérité, seul instrument d’une pensée qui a pu être, sous la Troisième République, patriotique voire chauvine. Ici, au contraire, le récit est construit pour ouvrir sur des débats, d’autres possibles et, au final, sur la prise en compte de la pluralité. Le récit proposé ne se veut pas une nouvelle bible, ni la vérité incarnée. Il offre une vision, parmi d’autres, de l’histoire et qui n’est pas exclusive. La place des documents Pour autant, ce manuel ne se réduit pas à la seule et nécessaire – fondamentale – pratique de la lecture. Conformément aux instructions officielles, et aux exigences de la discipline, ce livre se veut également une première ouverture à l’originalité méthodologique de l’histoire. C’est pourquoi nous avons voulu maintenir une place centrale, ou au moins égale, aux documents. C’est cet équilibre entre récit et documents qui guide le livre. Les documents n’ayant aucun sens sans un récit, et le récit ne pouvant être rédigé sans les documents authentiques. Nous les avons voulus variés, permettant l’ancrage des apprentissages dans d’autres disciplines (art, littérature…). Prétendre faire de ses élèves des historiens en leur laissant, de façon autonome, des documents (du reste choisis par l’enseignant), en ignorant que cette histoire-là est complexe et obéit à des règles méthodologiques et épistémologiques savantes, c’est sans aucun doute se méprendre sur les objectifs du cycle 3. En revanche, montrer comment travaillent les historiens et quels problèmes se posent à eux, dans l’exercice de leur métier, voilà qui peut intéresser les élèves. C’est pourquoi, surtout dans les premiers chapitres où des sources suffisantes et fiables peuvent manquer, le récit indique aux élèves que, là, sur ce point précis, les historiens hésitent (comme c’est le cas pour le baptême de Clovis : 496, 498, ou 499 ?) ; ce qui est une autre manière de montrer, dans l’action de la leçon, que l’essentiel de l’histoire ne réside pas dans une chronologie chosifiée mais dans le sens que l’on veut bien lui donner. Fils rouges et thématique d’ensemble Le livre s’organise, dans le récit comme dans les documents, par une série de fils rouges, qui guide la réflexion d’ensemble. Les femmes dans l’histoire L’histoire des femmes figure en bonne place : non pas dans la construction d’une histoire à part, mais insérée dans les logiques de l’histoire globale. De Lucy à la place des femmes dans nos sociétés, la question du genre est abordée constamment, chaque fois que cela est nécessaire pour mieux comprendre la période. Car nous croyons fermement que l’on ne construit pas la citoyenneté des élèves sans les faire réfléchir dès que possible sur leur inscription sexuelle dans la société. L’histoire est un bon moyen d’évoquer la place de chacun. La question de l’autre D’une manière plus générale encore, le rapport à l’autre guide l’ensemble du récit destiné aux élèves et se retrouve massivement dans les cahiers d’exercices. Comment se construit le regard porté sur les autres, à la fois semblables et dissemblables ? En creux, la question du racisme ou de l’exclusion affleure souvent. Les Romains regardent les Gaulois, qui eux-mêmes regardent les Barbares, qui eux-mêmes regardent les Vikings… une longue chaîne de mépris et de regards péjoratifs. Déconstruire ces regards, ou comprendre comment ils fonctionnent, c’est peut-être une façon d’éviter de les reproduire un jour. Mémoire coloniale et européenne Ce n’est donc pas par hasard si le récit de l’élève aborde sans crainte la question de notre mémoire nationale et européenne, fondée entre autres sur la colonisation, l’esclavage et notre rapport au monde. Dès le XVIe siècle, cette histoire coloniale est présentée afin que tous les élèves puissent comprendre, dans le contexte de l’époque, les finalités de la colonisation, ses occasions manquées, ses ambiguïtés et ses crimes. Ceci n’est pas fait pour accentuer un peu plus une mémoire coupable de la France, mais simplement, au plus près des élèves, pour comprendre comment la France et l’Europe se sont construites, et expliquer également la diversité culturelle présente sur le sol de France et dans l’intimité des classes mêmes. Comprendre l’immigration en France, c’est savoir replacer les différents moments où la part étrangère de la nation s’est battue pour la République (la Révolution française, les deux guerres mondiales, les Trente Glorieuses…). Le récit sonne moins ici comme une condamnation éventuelle – l’histoire n’est pas là pour juger – que comme le rétablissement de la dignité de chacune des familles vivant en France. C’est sans doute plus dans la construction nationale et européenne d’une mémoire collective, scolairement partagée, politiquement et historiquement assumée, que l’ensemble des familles vivant sur le 5 Introduction générale territoire national et leurs enfants, issus ou non d’immigrations du XXe siècle, sentiront, par-delà la spécificité de chacune des histoires et des mémoires, l’histoire partagée, ainsi que l’universalité de la condition humaine. L’écrit et l’école Dès le chapitre sur l’Antiquité, la question du rapport à l’écrit et à l’école est affirmée. Ce fil rouge n’est évidemment pas gratuit et témoigne d’une volonté délibérée de faire en sorte qu’à chaque moment de leur apprentissage, les élèves, et surtout ceux qui ne comprennent pas le sens de l’école, puissent réfléchir grâce à la distance apparente que propose l’histoire, à ce qu’a représenté l’école, la possibilité ou non d’y accéder, la chance de savoir lire et écrire et la revendication de son apprentissage. Car derrière la question de l’école se situe une autre question autrement plus redoutable, celle de la domination sociale et de la conquête politique par les plus humbles du droit à la connaissance. La place faite au XXe siècle Le XXe siècle est le temps historique le plus accessible et le plus proche pour l’enfant. C’est malheureusement le siècle le moins abordé en classe, soit involontairement parce qu’il est difficile de clore le programme faute de temps, soit volontairement par souci de ne pas aborder les « sujets délicats ». Par le récit, et l’évitement de documents iconographiques trop forts pour la sensibilité des enfants, nous avons choisi d’insister sur ce siècle important. Car, quand bien même les enseignants se refuseraient à le traiter en classe, l’actualité, les médias et les souvenirs parentaux et familiaux ancrent les élèves dans ce siècle. Mieux vaut aborder ces questions dans la classe, avec la rigueur scolaire, plutôt que de laisser les élèves à la merci d’informations pas toujours vérifiables et parfois fausses. De même que pour les événements de l’actualité, aborder toutes les questions en classe permet de dédramatiser considérablement auprès des enfants ce qui apparaît à l’adulte comme quelque chose de trop difficile. Depuis le début du siècle, les mêmes débats sur l’apprentissage de l’histoire sont à l’œuvre : documents ou récits ? comprendre ou émou6 voir ? histoire ou mémoire ? Il nous a semblé que, là encore, et sans mésestimer la qualité des échanges autour de ces questions, les apprentissages permettaient d’échapper à ces débats. L’urgence du passé L’histoire n’a de sens, surtout à l’âge des élèves, qu’à la condition qu’elle réponde à des problématiques actuelles. Ce n’est pas l’accumulation des dates, ni l’assujettissement à des procédures méthodologiques complexes, qui peuvent aider les élèves à se construire une représentation du monde « pour agir sur lui en personne libre et responsable », comme le disait, avec justesse, le programme de 1995. Les fondateurs de l’école historique française, Marc Bloch, Fernand Braudel et Georges Duby, ne pensaient pas autrement. Si l’historien doit communiquer avec ses pairs dans les formes consacrées de la discipline et faire œuvre d’histoire savante, il a une mission de mémoire, en vulgarisant ses savoirs à destination du public : c’est l’histoire que l’on transmet. C’est bien à partir d’aujourd’hui que nous interrogeons le passé, avec nos grilles d’analyse actuelles et nos préoccupations du présent. En ce sens, il y a une urgence à comprendre le passé pour comprendre le présent ou, du moins, le mettre à distance quand ses enjeux se font pressants. De la même manière, pour reprendre l’expression de Philippe Joutard, « dans un État de droit et une nation démocratique, c’est le devoir d’histoire et non le devoir de mémoire qui forme le citoyen ». La mémoire doit être portée par l’histoire savante. Apprendre l’histoire en classe, ce n’est pas apprendre une juxtaposition de mémoires particulières, c’est comprendre l’histoire commune. Faire œuvre de mémoire, comme l’entend Marc Bloch, c’est précisément être dans le récit historique le plus proche de la réalité, mais le plus accessible également. Apprendre à vivre ensemble, en histoire, c’est accepter que la discipline ne soit intéressée qu’en tant qu’elle est un combat civique et démocratique pour l’avenir des enfants présents au quotidien en classe. On l’aura compris, ce livre pour les élèves fait appel au sérieux. Il donne à lire, à penser, mais aussi à utiliser des outils de réflexion qui permettent de grandir dans l’intelligence de l’histoire et du temps présent. Car l’histoire est grave souvent, trop souvent disent ceux qui refusent de l’enseigner à de si jeunes enfants ou qui préfèrent l’aborder sous le seul angle de l’anecdote. Pourtant, si le langage est adapté aux élèves, il nous semble qu’il n’y a aucune raison à ne pas apprendre que la démocratie est le fruit d’un combat, autrement dit que le conflit est même nécessaire et fait partie de l’espace démocratique. La justice, l’injustice, le pouvoir de celui qui domine, l’humiliation de celui sans pouvoir, sont des notions que les enfants comprennent volontiers d’autant mieux qu’ils peuvent les vivre au quotidien, par eux-mêmes ou par délégation (parents, amis, frères et sœurs…). C’est une somme de vie dans l’histoire que nous proposons ici, respectueuse du passé, de l’histoire et de ses canons académiques, mais dite simplement, sans jamais perdre de vue les souffrances et les espoirs des femmes et des hommes qui l’ont faite. Progression Comme les directives des instructions officielles nous invitent à le faire, nous avons divisé le programme suivant une progression chronologique entre les trois classes du cycle 3. Le programme du CE2 se termine avec la fin de l’empire de Charlemagne et l’accession au pouvoir d’Hugues Capet. Celui du CM1 se termine à la Révolution française. Celui du CM2 s’achève par une évocation de la France dans le monde d’aujourd’hui. 7 Leçons du livre de l’élève Il était une fois… les femmes et les hommes dans l’histoire La préhistoire L’invention de l’écriture Les civilisations de l’Antiquité L’héritage antique Les Gaulois La conquête romaine (57-51 avant notre ère) Les Gallo-Romains (Ier-Ve siècle) Le déplacement des peuples barbares Clovis et Charlemagne La fin de l’Empire de Charlemagne Le temps des seigneurs et des cathédrales Seigneurs et paysans au Moyen Âge (XIe-XIVe siècle) Les chevaliers L’Église au Moyen Âge (XIe-XVe siècle) La Méditerranée au Moyen Âge (VIIIe-XIIIe siècle) Le pouvoir des rois de France au Moyen Âge (XIe-XVe siècle) Les crises de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle) Le temps des découvertes La découverte d’un nouveau monde Christophe Colomb La Renaissance en Europe (XVIe siècle) L’imprimerie La Renaissance et la royauté française Les guerres de Religion et Henri IV (1559-1610) Louis XIII et Richelieu (1610-1643) La Royauté ou la République ? Louis XIV, roi absolu (1643-1715) Le roi est un enfant La traite des Noirs au XVIIIe siècle La société d’Ancien Régime au XVIIIe siècle La Révolution française (1789-1795) Condorcet : un homme dans la Révolution De la Révolution à l’Empire de Napoléon Bonaparte (1795-1815) À propos du mot « Liberté » (1815-1848) 1848 : l’esprit de liberté Napoléon III (1851-1870) La Commune de Paris et la guerre (1870-1871) L’époque de l’industrie La naissance de l’industrie au XIXe siècle Les progrès de la démocratie (1871-1914) L’école L’Europe et la France à la conquête du monde (1830-1914) Le XXe siècle et le monde actuel La Grande Guerre (1914-1918) Des peintres en guerre La France entre les deux guerres mondiales (1919-1939) Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) Les enfants d’Izieu Un nouveau monde (1945-1975) La vie politique et économique de la France (1945-1975) La France dans le monde d’aujourd’hui 8 CE2 CM1 CM2 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • P R E M I È R E PA RT I E I L É TA I T U N E F O I S … L E S F E M M E S E T L E S H O M M E S D A N S L’ H I S T O I R E Cette partie est conçue comme une ouverture générale à l’histoire, elle a pour but de faire découvrir aux élèves ce qui fonde notre héritage mondial commun. C’est-à-dire, d’une part, l’histoire de l’origine de l’homme – question sans fin, riche d’interrogations pluridisciplinaires pour l’élève –, de la sédentarisation – le début de l’histoire des hommes en tant qu’elle est l’amorce d’un mode de vie spécifique : l’exploitation sur un même lieu d’une terre, d’un espace et de ses ressources diverses –, de l’écriture – le moyen de communication privilégié dans nos sociétés à école – et, d’autre part, l’histoire des grandes expériences de société qui prennent racine, y compris pour nos sociétés occidentales, dans le croissant fertile, c’est-à-dire au Proche et au Moyen-Orient. Sur le document présenté en ouverture de chapitre, qui concerne des fouilles en Irak, on peut voir un archéologue exhumer avec une grande minutie une tablette mésopotamienne. C’est dans ces conditions que l’on découvre encore des traces d’un passé très lointain. C’est l’occasion d’évoquer avec les élèves ce qui fait la particularité du travail archéologique et, surtout, de montrer combien ce travail diffère de celui, plus classique, des historiens confrontés souvent à plus de sources ou, du moins, à des sources plus explicites. Ici, les archéologues énoncent des hypothèses et confrontent les éléments dont ils disposent. Quel type de traces découvre-t-on (poteries, fossiles, os, cendres...) ? Avec quels instruments se font les fouilles (de la brosse à dents à la grue pour l’excavation, de la petite cuillère à la pelle) ? Qu’est-ce qu’un archéologue ?... Dans le corps du récit destiné à l’élève, nous avons pris le parti d’utiliser comme datation l’expression : « avant notre ère », en lieu de : « avant Jésus-Christ ». Cette modalité d’écriture, que l’on retrouve chez beaucoup d’historiens de l’Antiquité, a le mérite, à notre sens, de préciser aux élèves comme aux adultes que le comptage n’est que relatif, qu’il inscrit dans l’histoire et qu’il est lié à la civilisation qui l’a pensé. Certes, toutes les organisations intergouvernementales (ONU, UNICEF, UNESCO…) ou non gouvernementales ont adopté la datation chrétienne : cette universalisation est incontestable. Pour autant, et peut-être parce que nous sommes en histoire, il n’est pas inutile de dire ou de rappeler que l’on compte à partir de « notre ère » et, qu’effectivement, il s’agit précisément de la nôtre, étendue aux autres, mais qu’il existe par conséquent d’autres ères dans le monde. Faire ce travail avec les élèves sur les différents calendriers (musulman, juif…) peut être une excellente introduction à l’histoire, sachant que l’essentiel n’est pas dans les dates, mais dans ce que font les femmes et les hommes inscrits dans le temps historique. 9 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE La préhistoire LIVRE PP. 8-15 Notions Traces du passé, archéologue, nomade, sédentaire, outil, feu, cueillette, pierre taillée, agriculture, chasse, élevage. Compétences • Savoir repérer les grandes ruptures dans la préhistoire (feu, sépultures, arts, sédentarisation…). • Savoir situer et ordonner ces grandes ruptures. • Savoir identifier les traces laissées par les femmes et les hommes de la préhistoire. • Savoir citer les grandes nouveautés du néolithique (agriculture, poterie, domestication d’animaux…). Exercices Cahier CE2 : La préhistoire, pp. 6-7 ; notre ancêtre venue d’Afrique, p. 8 ; la grotte de Cosquer, pp. 9-10. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Dans la pratique, la préhistoire est un des thèmes les plus enseignés du cycle 3. Il permet d’aborder la question de la naissance de l’homme et, en l’occurrence, de la femme si l’on accepte l’idée que Lucy est notre ancêtre. Toute la difficulté de la préhistoire est de savoir si les Australopithèques et Lucy peuvent être considérés comme nos ancêtres les plus lointains. Lucy appartenait-elle plutôt au genre animal ou plutôt au genre humain ? Sur ce sujet, les spécialistes ne sont pas tous d’accord. En étudiant la préhistoire, on en vient ainsi à se poser des questions très importantes comme : « Qu’est-ce qu’un homme ? » ou « Comment est née l’humanité ? » Ces aspects de la question peuvent être traités également dans le cadre des sciences de la vie et de la terre. En histoire, d’un point de vue pédagogique, l’intérêt de ce sujet réside dans la mise en place des grandes notions qui marquent le passage de la préhistoire à l’histoire. On s’attachera donc à distinguer les grandes ruptures, ainsi que les périodes qui organisent nos représentations d’une temporalité presque impensable pour les enfants – et même pour les adultes – puisqu’il s’agit ici de millions d’années. Nous avons fait le choix de ne pas faire apparaître dans le récit à destination des élèves les mots 10 « paléolithique » et « néolithique ». Le paléolithique correspond à l’ensemble des groupes humains et des époques préhistoriques où la pierre taillée, puis la pierre polie sont utilisées (depuis 7 millions d’années jusqu’à 6 000 ans avant notre ère). Le néolithique correspond à la période postérieure aux chasseurs nomades. C’est l’âge de la sédentarisation : c’est le début de l’histoire. Ces mots ne sont pas inutiles ou faux, mais nous n’avons pas souhaité surcharger par un vocabulaire technique des apprentissages historiques déjà importants au CE2. L’objectif central de ce chapitre est bien de mettre en lumière les principales ruptures de l’époque préhistorique, plutôt que de marquer des durées, souvent très complexes à acquérir au cycle 3, y compris même, parfois, à l’âge adulte. Que peut signifier pour un enfant de huit ans l’immensité que représente l’expression : « pendant 900 000 ans » ? Notre choix est clair : il repose sur des grandes étapes, sur des moments qui, chacun à leur manière, ont façonné l’espèce humaine vivant en société. Lucy, notre ancêtre bipède La station debout, également appelée la bipédie, est la première rupture, la première étape repérée par Yves Coppens au début des années 1970. La préhistoire Elle a certainement eu une incidence sur le mode de vie des Australopithèques qui ont alors rejoint les arbres pour y dormir ou y cueillir des fruits et des plantes. Leur régime alimentaire s’en est trouvé modifié. Les hommes de Tautavel et la maîtrise du feu La seconde rupture concerne les outils qui sont utilisés de façon systématique et cohérente, ce qui n’est pas forcément le cas à l’époque de Lucy et des Australopithèques. Mais aussi, et surtout, cette seconde étape est liée à la maîtrise du feu. On sait aujourd’hui que le feu – notamment la foudre – est connu des hommes préhistoriques avant la période dite « des hommes de Tautavel » (site des Pyrénées orientales) ; mais on a la certitude de son utilisation permanente et donc de sa « création » il y a 450 000 années. Les bifaces, d’abord rudimentaires mais produits d’une fabrication pensée et aboutie, témoignent d’une évolution majeure. De plus, bien que fondamentalement nomades, ces hommes ne vivent pas dans des grottes – comme se plaisait à le dire l’école il y a 50 ans – mais très certainement sous des tentes plantées à proximité de grottes. Les Néandertaliens et l’apparition de rites funéraires L’évolution des outils chez les Néandertaliens et l’attestation de rites funéraires il y a 120 000 ans constituent une troisième rupture. L’homme de Néandertal enterre ses morts dans un lieu adapté, accompagnés d’outils et d’offrandes diverses : cette attention nouvelle témoigne, à n’en pas douter, d’une conscience de la mort ou d’un au-delà. Le premier site attesté se trouve en Israël, dans la grotte d’El-Taboun. En France, c’est en Dordogne, à La Ferrassie, que l’on a découvert trois enfants, un homme et une femme. Les hommes de Cro-Magnon et la naissance de l’art Quatrième rupture : la modernité des hommes de Cro-Magnon se situe d’abord d’un point de vue morphologique. Leur taille les distingue des hommes préhistoriques qui les précèdent. Ils sont grands (1 mètre 80) et ils utilisent des outils diversifiés (racloirs, harpons...) de différentes matières (en pierre, en os, en ivoire, très certainement en bois). On retiendra surtout de cette période (40 000 ans à 15 000 ans avant notre ère), la naissance de l’art, en général, et de la peinture, en particulier, sans que l’on puisse dire aujourd’hui leurs fonctions exactes. Les grottes de Cosquer, de Lascaux et de Rouffignac en France, d’Altamira en Espagne témoignent d’une activité sans précédent. Les hommes de Cro-Magnon utilisent des techniques élaborées (pochoir, gravure, mélange de coloris, sculpture, modelage) et pratiquent très certainement la musique et la danse (voir les documents du livre de l’élève). Du paléolithique au néolithique : début de l’agriculture et premiers villages Le passage du paléolithique au néolithique, vers 6 000 avant notre ère, est une cinquième rupture. À dessein, les deux mots ne sont pas utilisés dans le livre de l’élève, mais ils peuvent l’être en classe. Le néolithique marque le passage d’un mode de vie reposant sur la chasse, le nomadisme et la cueillette, à une première ébauche de société sédentarisée autour d’un village où l’agriculture et l’élevage dominent. Ici, la création et l’utilisation de poteries, puis d’outils en fer et en bronze marquent l’élaboration d’une organisation sociétale où s’enracineront les hiérarchies politiques, les distinctions sociales et la spécialisation du religieux. C’est au Proche et au Moyen-Orient que débute cette révolution néolithique pour s’étendre progressivement vers l’ouest. C’est assurément ici que se termine la préhistoire : avec la naissance des villages et l’apparition de l’écriture. 11 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S La Vénus de Brassempouy ou La Dame à la capuche, pp. 7 et 10 Cette tête de Vénus en ivoire à la chevelure emprisonnée dans un quadrillage a été découverte à Brassempouy dans les Landes ; c’est une des premières représentations du visage humain (entre 29 000 et 22 000 ans avant notre ère). Pendant près de 10 000 ans les statuettes féminines sont la forme d’art dominante. On en a retrouvé dans des sites éloignés parfois de 2 000 km en Autriche (Willendorf), en France (Lespugne), en Russie ou bien encore en République tchèque. On rencontre des variations de style importantes : certaines silhouettes sont allongées, d’autres ont des formes rebondies, les statuettes peuvent être en ivoire, en calcaire ou en stéatite ; mais elles ont toutes un visage à peine esquissé, marqué par l’absence de bouche. Principaux sites préhistoriques d’Europe, p. 8 Jean Chaline nous dit que : « les premiers hommes ont rapidement colonisé une part beaucoup plus grande de l’Afrique que leurs ancêtres australopithèques, et ils ont surtout quitté le continent africain. » Ces grandes migrations les ont d’abord dirigés vers l’est et l’Asie, certainement pour rejoindre l’endroit où le soleil se levait. Puis les hommes préhistoriques, toujours à la recherche de nourriture (végétale et animale), ont colonisé l’Eurasie – certainement en passant par le Sinaï et Tibériade et en suivant les côtes de la mer Morte. Puis ils ont progressivement migré vers l’Europe, riche en faune. Sur la carte, on remarque qu’une grande partie des sites préhistoriques majeurs se trouvent près de la mer Méditerranée ou dans le sud de l’Europe. Ceci peut peut-être s’expliquer par le fait que les hommes préhistoriques ont connu plusieurs périodes glaciaires qui ne leur permettaient pas de remonter trop au nord. Sur les sites européens situés au sud, on sait que les campements utilisaient le feu il y a près de 350 000 ans. C’est le cas sur le site de Terra Amata, près de Nice. Le site hongrois de Vertesszöllös peut être 12 ajouté à la carte, qui peut aussi servir à situer la Géorgie. Qu’est-ce qu’un homme ?, p. 9 Claudine Cohen nous aide à mieux comprendre les enjeux de cette question : « Aujourd’hui, la rupture unique et radicale qu’on a longtemps posée entre l’homme et l’animal pour satisfaire l’esprit, ou l’orgueil humain, est mise en cause. Comment définir un “Rubicon cérébral” qui marquerait l’avènement de la pensée humaine ? » Opérer avec les élèves tout un travail d’hypothèses est un excellent moyen de réfléchir sur des notions apparemment simples. On est, ici, dans l’éveil de l’esprit critique. Les premiers silex, p. 9 Les premiers outils sont des pierres à peine dégrossies. Une longue et lente évolution des techniques permet à l’homme de tailler un bloc de pierre sur ses deux faces de façon parfaitement symétrique, d’obtenir des tranchants effilés et de donner à l’objet la forme et la taille désirées. Ces outils que l’on nomme « bifaces » ou « coups de poing » ont la forme d’une amande équilibrée et harmonieuse. Au-delà de l’utile, on peut se demander si nous ne sommes pas en présence d’œuvres d’art : choix du matériau (fin silex d’eau douce, obsidienne, jaspe diapré…), retouches minutieuses avec des percuteurs en pierre, puis en bois ou en os. Les mains peintes au pochoir de la grotte de Cosquer, p. 11 Cette grotte a été découverte en 1991, entre Marseille et Cassis, au Cap Margiou. Son entrée est à 37 mètres au-dessous du niveau de la mer. À côté de nombreuses gravures d’animaux (bisons, chevaux, chamois, phoques…), on a relevé 19 mains négatives cernées de rouge et 7 mains cernées de noir. On distingue parfois une partie de l’avant-bras. Certains doigts sont plus courts, comme repliés : est-ce pour transmettre des messages dans un langage par signes ? Ces mains sont plus anciennes que les gravures d’animaux de quelques milliers d’années. La préhistoire Flûte, p. 12 Il s’agit d’une reconstitution d’une flûte à partir de fragments qui ont été recollés. Ces flûtes sont taillées dans des os d’oiseaux cylindriques et creux. On a également retrouvé des traces de percussion sur des omoplates de mammouths et des appeaux qui témoignent de pratiques musicales. On a pu, à partir de répliques de ces instruments, retrouver les sons entendus par nos très lointains ancêtres. Les premières villes du monde : Jéricho et Ur, p. 13 Ces deux villes sont nées vraisemblablement il y a plus de 5 000 ans avant notre ère. Les premières traces de Jéricho datent même de 8 000 avant notre ère. Mais Jéricho surprend par le développement important de l’architecture de pierre. Les fouilles archéologiques ont permis de faire émerger une muraille de 8 mètres de long, de 3 mètres de large et haute de 4 mètres, ainsi qu’une tour, elle aussi très imposante (10 mètres à la base, 9 mètres de haut), disposant d’un escalier intérieur. Mais la structure doit nous inciter à la prudence quant à son caractère de « ville ». La taille de la localité d’Ur (plusieurs milliers d’habitants), vers 3750 avant notre ère, permet de la considérer comme une véritable ville. Des activités économiques, religieuses et administratives y étaient concentrées. Meule à grains, p. 14 Avec la sédentarisation et le développement de l’agriculture, l’homme s’alimente différemment. Il s’affranchit des contraintes de son environnement, ce qui lui permet d’innover sans cesse. La bouillie et les galettes de céréales constituent la base de l’alimentation au néolithique. De nouveaux ustensiles de cuisine font leur apparition comme la meule à grains. Une pierre mobile de granit (la molette) roule et écrase le grain sous la pression de la main sur une meule dormante (pavé de grès taillé à cet effet). Mégalithes (Stonehenge), p. 15 Ce cercle de pierres a probablement été érigé vers 3 000 avant notre ère. N’ayant pas d’informations précises sur le sens de ces édifices, le mystère reste complet. Mais leur importance a conduit au fil du temps à émettre un certain nombre d’hypothèses : sanctuaire ? lieu pour observer le mouvement de la Lune et du Soleil ? Les dolmens et les menhirs, qu’ils soient isolés ou alignés, gardent également leur mystère. Même si, en Angleterre comme en Bretagne, les alignements semblent être organisés en vue d’observations astronomiques – comme ceux de Carnac, par exemple. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les archéologues nous ont permis de connaître Lucy, notre ancêtre la plus lointaine née en Afrique. Il y a 450 000 ans, les hommes maîtrisaient le feu et se servaient de bifaces. Il y a 30 000 ans sur le sol occupé aujourd’hui par la France, vivaient des nomades qui se nourris- saient de chasse, de pêche et de cueillette. C’étaient des artistes. Il y a 7 000 ans, les hommes cessèrent d’être nomades et ils vécurent dans des villages. Ils devinrent sédentaires. Puis ils découvrirent les métaux et apprirent à fabriquer de nouveaux outils comme l’araire. 13 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE L’ i n v e n t i o n d e l ’ é c r i t u r e LIVRE PP. 16-25 Notions Alphabet, pictogramme, communication, mémoire. Compétences • Savoir relier une écriture à une aire géographique. • Percevoir la diversité des écritures, la performance de chacune et leur concomitance d’apparition dans le temps. • Comprendre l’histoire de l’écriture. Exercices Cahier CE2 : L’invention de l’écriture, pp. 11-13 ; une géographie des civilisations et des écritures, pp. 20-21. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T À l’échelle de l’histoire de l’humanité, l’écriture est une invention récente. Si l’homme semble utiliser un langage articulé depuis 100 000 ans, s’il dessine, sculpte ou joue de la musique depuis 20 000 ans, ce n’est que depuis 5 000 ans qu’il écrit. L’écriture est indissociable de la sédentarisation. La rupture néolithique entraîne toute une série de conséquences en cascade, notamment la création d’un système complexe de communication permettant de sauvegarder la parole. Car, si les hommes du néolithique se sédentarisent, ils stockent également les fruits d’une nature qu’ils maîtrisent de mieux en mieux. Ils stockent, ils transportent aussi, et ils troquent. Pour ces premiers échanges, il faut une mémoire écrite et vérifiable à tout moment. C’est pour cette raison que les premières écritures apparaissent presque au même moment dans deux régions du monde où l’agriculture, le commerce et les premiers signes d’urbanisation émergent : la Mésopotamie et l’Égypte. Pour comprendre, mais aussi organiser, planifier, anticiper des activités de plus en plus complexes, ces sociétés ont besoin de fixer des repères de propriété, d’établir des listes, de tenir des comptes, de faire des recensements… Il s’agit bien, à l’origine, d’une écriture mathématique, comptable. En gardant en mémoire toutes 14 ces données, les sociétés s’organisent. L’accès à ces données est réservé à un petit nombre de personnes dont le pouvoir est ainsi garanti. Cette origine néolithique est très importante : nous devons éviter de dire devant les élèves que la naissance de l’histoire, c’est lorsque l’écriture naît. En fait, la naissance de l’histoire a eu lieu avant, lorsque les hommes se regroupent en villages et s’organisent en sociétés de plus en plus complexes. L’écriture n’est qu’une conséquence de cet événement majeur qu’est la sédentarisation. Parallèlement les mythologies accordent une origine divine à l’écriture. Nabù en Mésopotamie et Thot en Égypte ont fait don de l’écriture aux hommes. C’est par l’écrit que les hommes et les dieux communiquent. On peut repérer deux familles dans le monde des signes. La première regroupe les écritures à dominante idéographique qui cherchent à représenter le monde (l’écriture cunéiforme, égyptienne, chinoise, précolombienne…). La seconde regroupe les écritures alphabétiques ou syllabiques qui cherchent à noter de la façon la plus fidèle possible les sons de la langue (l’écriture hébraïque, arabe, cyrillique, indienne, grecque, latine…). Les exemples présentés dans le livre de l’élève permettent de découvrir des systèmes d’écriture différents atteignant les mêmes buts : communiquer et garder en mémoire. L’ i n v e n t i o n d e l ’ é c r i t u r e E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Nous présentons tout d’abord les documents appartenant à la famille des écritures idéographiques, puis ceux appartenant à la famille des écritures alphabétiques. Texte d’Hérodote, p. 17 Hérodote est un auteur grec (484-vers 420 avant notre ère), issu d’une famille très riche. Dans les Histoires, il décrit avec minutie les rapports entre Orient et Occident, et principalement entre la Grèce et la Perse. Son style est sobre et très attaché à l’authenticité des faits observés ou récoltés après enquête. Son texte a un grand écho dans le monde savant de l’époque (le grand historien grec Thucydide s’en inspirera dans L’Histoire de la guerre du Péloponnèse, au Ve siècle avant notre ère). Il est perçu aujourd’hui comme le « Père de l’histoire ». blance avec le dessin figuratif de départ. Certains pictogrammes ou idéogrammes ont été utilisés pour représenter des sons. L’écriture est devenue en partie syllabique et a offert la possibilité de produire des phrases, ce qui a permis d’enregistrer des documents de plus en plus complexes, ainsi que des textes littéraires (comme la fameuse épopée de Gilgamesh). Mais, d’une certaine manière, la première forme d’écriture, présentée dans ces tablettes, était une opération de calcul. Son récit décrit le choc culturel entre un peuple de l’écrit, les Perses, et un peuple sans écrit, les Scythes. Ce texte peut être utilisé en ouverture de la leçon sur la naissance de l’écriture, afin de montrer aux élèves pourquoi les hommes ont jugé utile, à un moment du développement des sociétés, de consigner par écrit ce qui était dit. Les questions de compréhension, d’interprétation s’en trouvent pour partie levées. L’écrit permet la négociation et l’échange. Si l’un des conseillers de Darius, roi des Perses, n’avait pas eu l’intuition du piège des Scythes, l’absence d’informations écrites aurait été ici funeste aux armées perses. Mais, il faut souligner avec les élèves que le fait de ne pas maîtriser l’écrit n’est pas le signe d’un manque d’intelligence, ce que nous montre le texte d’Hérodote. L’évolution de l’écriture du mot « oiseau », p. 18 Les signes imprimés avec un calame (roseau à bout triangulaire) dans de l’argile molle sont décomposés en segments qui ont la forme de coins. Peu de temps après les Sumériens, les Égyptiens inventent un système d’écriture complètement différent, très élaboré dès sa conception regroupant trois types de signes différents : les logogrammes (signes qui évoquent le sens du mot), les phonogrammes (un signe correspond à un son, à une consonne) et les déterminatifs (signes qui précisent le sens des autres signes). L’écriture est une manifestation artistique : la disposition des hiéroglyphes répond à des préoccupations esthétiques. Le sens de la lecture est donc variable. Elle est aussi une manifestation religieuse. Les Égyptiens accordaient un véritable pouvoir magique à l’écriture, celui de redonner vie à ce qu’elle représentait. L’écriture est l’œuvre des scribes. Dans une société où les individus sont majoritairement analphabètes, ils occupent un rang élevé. Tablettes sumériennes, p. 17 Les plus anciens signes d’écriture (3 300 avant notre ère) ont été retrouvés à Ur, l’ancienne capitale de la Mésopotamie. Les premiers pictogrammes représentent les objets échangés. L’association de pictogrammes permet d’exprimer des idées ou des actions : ce sont les idéogrammes (par exemple, eau + bouche = boire). De l’image-mot, l’écriture a évolué vers le cunéiforme. Les signes ont perdu toute ressem- Un scribe de Pharaon écrit sous la protection du dieu-singe Thot, p. 19 Un singe babouin est assis sur un socle. Il domine un scribe humblement assis à ses pieds, la tête courbée en signe de respect. Ce singe est un dieu : le dieu Thot qui est parfois représenté avec une tête d’ibis. Les inscriptions que l’on voit au pied du groupe sont des prières adressées à Thot et des formules divines en faveur du 15 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE scribe. Le scribe, que l’on voit ici déroulant un papyrus, est un personnage important appelé Nebmertouf. Il cumule les fonctions de prêtre, d’archiviste et de scribe royal. Il eut le très grand honneur d’être représenté au côté du pharaon Aménophis III sur les murs d’un temple. Les caractères chinois, p. 20 Les premières inscriptions pictographiques découvertes en Chine sur des os ou des écailles de tortue datent du XIVe siècle avant notre ère. C’étaient des oracles gravés par les devins. L’écriture chinoise ne va cesser de s’enrichir. Au Ier siècle de notre ère, elle compte déjà 8 000 signes. On repère, parmi tous ces signes, des figures simples (comme « Soleil », « Arbre » et « Lune ») et des figures dérivées qui sont un regroupement logique de deux caractères connus pour en composer un nouveau (comme « disparaître » et « vie »). D’autres figures dérivées sont obtenues par la répétition d’un même caractère pour dégager une notion nouvelle. En Chine, il existe des dialectes différents : on ne se comprend pas toujours en parlant, mais on se comprend toujours en écrivant car tous les Chinois utilisent les mêmes caractères. Évolution du caractère chinois signifiant « cheval », p. 20 Le pictogramme initial donne une représentation simplifiée de la réalité. Puis, au cours des siècles, il prend différentes formes sous la pression de facteurs esthétiques et pratiques. Destruction des codex par les Espagnols, p. 21 Des civilisations brillantes se succèdent en Amérique centrale : les Olmèques, les Mayas et les Aztèques. Chaque civilisation a son propre système d’écriture qui ne correspond à rien de connu. Les Incas, eux, ne connaissent pas l’écriture. Toutes ces écritures n’ont pas encore été déchiffrées d’autant que beaucoup de manuscrits en caractères idéographiques ont été détruits au moment de la colonisation. Pour déchiffrer l’écriture maya, les chercheurs étudient les monuments, les stèles et les céra16 miques. Les stèles et les monuments racontent l’histoire des rois. Ce sont les textes que nous sommes le plus en mesure de lire. Le Livre des Morts transmis par les céramiques reste aujourd’hui encore très énigmatique. Ce document présente la destruction par le feu de recueils de textes idéographiques des civilisations lettrées amérindiennes. Après la conquête espagnole, les peuples aztèques et mayas ont rapidement assimilé l’alphabet latin et beaucoup d’auteurs ont rédigé dans un espagnol parfaitement lisible. Ils ont été les témoins écrits des massacres et des destructions. Cette scène décrit des religieux espagnols qui accompagnaient la conquête armée et qui voyaient dans les écrits idéographiques consignés dans les codex des signes d’idolâtrie. De tels autodafés de livres étaient encore une pratique courante vingt ans après la conquête du Mexique par les Espagnols. Différentes façons d’écrire le mot « soleil », p. 19 L’arabe et l’hébreu s’écrivent de droite à gauche et seules figurent les consonnes. Le grec s’écrit de gauche à droite. Outre les consonnes, il utilise des signes distincts pour figurer les voyelles. Évolution des signes de notre alphabet, p. 23 Avec la famille des écritures alphabétiques, c’est l’apparition de notre alphabet. Nous avons vu que les écritures non alphabétiques sont nées à des époques et dans des lieux différents sous la forme de systèmes distincts. Au contraire, l’état actuel des recherches privilégie l’idée que l’alphabet a une source unique : le ProcheOrient. Les plus anciennes traces d’écritures alphabétiques connues à ce jour ont été découvertes dans le Sinaï. Les travaux faits à partir de ces inscriptions ont montré que les lettres ont été créées selon le principe de l’acrophonie : on a donné au signe le nom de l’objet représenté et la valeur phonique du premier phonème du nom de cet objet. Chaque peuple a adopté le principe alphabétique en créant son propre système d’écriture. L’ i n v e n t i o n d e l ’ é c r i t u r e Ce tableau analyse les différentes formes que prennent les signes alphabétiques : des graphies protosinaïtiques au latin classique. S’il y a filiation entre les divers alphabets présentés, il n’y a pas pour autant d’évolution linéaire et continue. Les transformations renvoient à des ruptures et à une utilisation des alphabets adaptée à chaque langue. L’écriture alphabétique est un système simple – avec un petit nombre de signes, on peut écrire tous les mots d’une langue – et abstrait – on utilise des signes conventionnels. Les civilisations de l’Antiquité et de la diffusion de l’écriture, p. 24 Cette carte peut également être utilisée lors des chapitres consacrés à la préhistoire (pour la sédentarisation et les premiers signes de l’urbanisation) et aux civilisations de l’Antiquité. Elle présente sous une forme simplifiée, mais adaptée aux élèves, le lieu central d’émergence de l’écriture il y a 5 000 ans environ : le croissant fertile. On appelle « croissant fertile » cette vaste région qui s’étend des fleuves du Tigre et de l’Euphrate à l’Égypte. C’est là que les premières sédentarisations sont attestées il y 8 000 ans. Les villes de Babylone (ziggourats), Ur ou Jéricho y sont nées. Dans la fertilité des terres baignées de fleuves irriguant les premières cultures, les hommes ont également, un peu plus tard, pensé l’écriture. C’est le cœur de notre civilisation européenne. Voilà un héritage intéressant à montrer aux élèves : le cœur de notre monde se situe bien entre Bagdad, la Syrie et le Caire. Les flèches, approximatives mais exactes dans l’idée directrice, servent à indiquer que l’écriture se diffuse toujours plus vers l’ouest. Devinette, p. 25 Il ne s’agit pas de poser cette devinette aux élèves, puisque la réponse est donnée, mais plutôt de reconstruire l’énigme. Qu’est-ce qui fait que l’école permet d’avoir les yeux ouverts ? Pourquoi a-t-elle une « base solide » ? des « fondations comme le ciel » ?… Dialogue d’un scribe avec son fils, p. 25 Anecdotique – le texte est relié au thème du chapitre par le fait que l’élève grave sa tablette –, le dialogue renvoie à l’importance sociale que confère le titre de scribe. Tout un travail de compréhension du texte peut être fait avec les élèves sur les conseils que donne ce père à son fils. En quoi l’école est si importante ? Y a-t-il des indices dans le texte qui permettent de le dire ? Ce dialogue peut également être une récapitulation des enjeux liés à la naissance de l’écriture. Dans les sociétés complexes qui se développent sous le néolithique, l’écrit devient une valeur, non seulement économique, organisationnelle et sociale, mais aussi une valeur morale essentielle : autant de débats possibles avec les élèves sur la place de l’école et de l’écrit aujourd’hui. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE En Mésopotamie, en Égypte et en Chine, les hommes ont inventé des écritures qui représentent le monde. Dans le Sinaï, les hommes inventent une écriture qui représente les sons de la parole : c’est l’alphabet. Les Phéniciens ont adapté cet alphabet à leur langue. Ils n’écrivent que les consonnes. Les Grecs ont ajouté les voyelles. Les Étrusques, puis les Latins ont repris cet alphabet utilisé aujourd’hui pour écrire plusieurs langues dont le français. 17 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE Les civilisations de l’Antiquité LIVRE PP. 26-31 Notions Civilisation, croyances, polythéisme, monothéisme, religion, légende. Compétences • Savoir relier une civilisation à un mode d’écriture. • Savoir repérer les premiers symboles patrimoniaux des grandes civilisations. • Savoir situer géographiquement la naissance de la révolution néolithique (le « croissant fertile »). • Savoir repérer la première religion monothéiste (les Hébreux). Exercices Cahier CE2 : Les civilisations de l’Antiquité, pp. 14-16 ; la Grèce, ses héros et ses dieux, pp. 17-18 ; Rome, sa légende et ses dieux, p. 19 ; Massalia, carrefour des civilisations, pp. 22-23. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Il serait souhaitable, dans l’idéal, de faire découvrir aux élèves les richesses des civilisations antiques dans leurs diversités et leurs différentes aires géographiques. Cela correspondrait à la volonté du programme de faire de l’histoire de France une histoire largement insérée dans l’histoire européenne et mondiale. Pour autant, la pédagogie est l’art des choix, surtout lorsqu’un programme est aussi complet que celui du cycle 3. Nous avons néanmoins souhaité faire découvrir des aspects essentiels des civilisations antiques. La Chine et les civilisations asiatiques, l’Afrique sont absentes du livre de l’élève, par nécessité – scolaire, programmatique et éditoriale –, mais pas dans l’idée. Les pratiques de classes plurielles y remédieront. Dans le pays de Canaan Avant leur installation en Canaan, les Hébreux ont connu l’esclavage en Égypte et la traversée du désert sous la conduite de Moïse – avec l’épisode du mont Sinaï. Canaan est le pays de montagnes et de vallées, de collines sillonnées de ruisseaux promis par Dieu, mais il n’est plus le territoire faiblement peuplé du temps des Patriarches. Canaan abrite des places fortes entourées de puissantes murailles, comme Jéricho, qui s’opposent à l’entrée des Hébreux. Ces derniers conquièrent une bonne partie du pays. Josué est chargé du partage de la terre entre les tribus. Pour se défendre, ils habitent dans des villes. À la belle saison ils partent dans la campagne avec leurs troupeaux. La Mésopotamie La Mésopotamie, « pays entre les fleuves », est un haut lieu de civilisation dès le IVe millénaire. C’est le lieu par excellence de la naissance de la sédentarisation, de l’agriculture et de l’écriture. Les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, apportent de l’eau et des alluvions fertilisantes. Au IIIe millénaire, la Mésopotamie a vécu sous le régime politique de la cité-État. La nécropole d’Ur nous renseigne sur l’organisation sociale de la ville. On a retrouvé, au milieu de tombes banales, des sépultures d’une très grande richesse. Pendant trois siècles, ce fut le temps des Juges, marqué aussi par une période de guerres endémiques. Puis vint le temps des Rois (1020-586). Le roi David s’empare de Jérusalem dont il fait sa capitale et installe un véritable gouvernement. Il développe l’élevage, l’agriculture et la métallurgie du fer. Salomon succède à David et fait construire le temple à Jérusalem. En 586, Jérusalem tombe aux mains des Babyloniens, le temple est détruit et on déporte les populations. Les juifs sont contraints de cultiver la terre pour le roi de Babylone et de faire des corvées ; ils sont considérés comme des étrangers aux droits limités. Il faudra attendre l’arrivée des Perses à 18 Les civilisations de l’Antiquité Babylone pour que les juifs soient autorisés à regagner leur pays. En Égypte Il est intéressant de voir avec les élèves que peu de civilisations ont été autant le fruit de leur environnement que l’Égypte ancienne, appelée par Hérodote « don du Nil ». Les fouilles archéologiques montrent que la plupart des Égyptiens vivaient dans des oasis riveraines, arrosées par les crues, ou dans les plaines du delta du Nil. Les déserts environnants fournissaient des minerais et des pierres. Le IIIe millénaire, c’est le temps des pyramides. Elles représentent le gouvernement égyptien, dans sa structure, avec le roi au sommet, puis ses ministres aux niveaux supérieurs et le peuple à la base de la hiérarchie. L’Égypte ancienne ne connut pas d’autres formes de gouvernement que l’institution monarchique. Le roi devait protéger son peuple. À l’origine le roi est lié au divin mais cette relation évolua. Incarnation du dieu du Soleil, Osiris, il devint ensuite son fils. Le roi a pour tâche de continuer l’œuvre de Dieu sur la terre en mettant de l’ordre dans le chaos. Pendant plus de 3 000 ans, les Égyptiens ont adoré les mêmes dieux. Certains étaient mis en scène dans des mythes, dans des légendes. D’autres ne jouaient qu’un rôle secondaire dans ces récits tels Anubis, le dieu-chacal, patron des embaumeurs ou Aton, le disque solaire. Bès, plutôt génie que dieu, représenté sous l’apparence d’un nain grimaçant devait protéger les hommes du mal en le faisant fuir. On notera, pour terminer, le culte des animaux qui remonte à la plus haute Antiquité. Diodore notait avec étonnement qu’au cours d’une famine les Égyptiens préféraient se manger entre eux plutôt que de manger des animaux sacrés. Les Phéniciens Peuple sémitique, ils se caractérisent par une intense activité maritime et commerciale et un goût profond pour les grandes découvertes. Le pays n’est qu’une bande côtière serrée entre mer et montagnes. Ils doivent leurs richesses à leurs ports naturellement bien protégés. Les Phéniciens, en grec « le peuple des palmiers », viennent d’Arabie. Des villes actives, comme Ougarit, Byblos ou Tyr, avaient des relations privilégiées avec l’Égypte et fondèrent de nombreux comptoirs coloniaux. Avant d’être des marins, les Phéniciens furent d’abord des paysans, qui se préoccupaient d’irriguer leurs plaines pour faire pousser des céréales, et des artisans renommés pour leurs teintures et leurs céramiques. Ils excellaient dans l’art du bois, de l’ivoire et du métal et exportaient surtout de petits objets destinés au commerce. Pirates sans scrupules ou commerçants habiles, ils sillonnèrent la Méditerranée, rapportant des métaux précieux et des esclaves. La religion romaine Elle se forme au VIIIe siècle avant notre ère, au temps de la fondation de Rome. Rites et fêtes comptent plus que la connaissance des dieux : ils ont pour fonction d’agir sur les dieux. Les divinités romaines sont très nombreuses. On peut citer quelques personnalités fortes comme Jupiter, « maître du jour lumineux », maître de la foudre et de l’orage, Minerve, protectrice des artisans, Cérès, divinité du blé, Mars, Diane, Volcanus… Ces divinités appartiennent au monde au même titre que les animaux ou les hommes mais s’en distinguent par leur très grande puissance. Les Romains ont également un panthéon privé : les pénates qui protègent et assurent la stabilité de la maison, les lares, deux génies tournoyants qui assurent l’abondance dans la maison, et les mânes qui représentent les ancêtres. Mais ils croient surtout aux présages : tout passe pour un signe. Ils sont particulièrement attentifs au vol des oiseaux. Cette religion a évolué dans un monde complexe, ouvert aux influences nombreuses. On y retrouve des éléments indoeuropéens, illyriens, étrusques. Les valeurs religieuses ayant perdu beaucoup de leur efficacité au fil du temps, le peuple s’en détourne et croit dans le caractère divin de certains personnages. César avait compris cette évolution et capta cette nouvelle tendance à son profit. Il se fit élire grand pontife et se forgea une image légendaire de divinité. La religion quotidienne est abandonnée par les élites qui lui préfèrent la philosophie. Dans les villes se développent des 19 IL ÉTAIT UNE FOIS… LES FEMMES ET LES HOMMES DANS L’HISTOIRE idées nouvelles et, parmi elles, ce qui devait devenir le christianisme. La colonisation grecque La colonisation est un phénomène récurrent de l’histoire grecque. On sait très peu de chose sur la première vague de migrations dans les îles de la côte ouest de l’Asie Mineure qui eut lieu pendant les « siècles obscurs » (1100-900 avant notre ère). Par contre les fouilles archéologiques menées depuis la Seconde Guerre mondiale ont permis d’avoir une idée plus précise des buts et des modalités de la colonisation historique la plus importante (750-550 avant notre ère). Ce grand mouvement s’explique probablement par une poussée démographique et un manque de terre – les terres arables étant occupées par les grandes familles. La colonisation est faite par des petits groupes d’émigrants. La réussite de l’entreprise est liée à la bonne entente partagée avec les indigènes. La civilisation grecque a pu non seulement s’installer sur les bords de la Méditerranée, mais aussi, les fouilles le montrent, s’enfoncer dans les arrière-pays. Les Grecs choisissent pour s’établir un lieu où ils pourront disposer d’un port protégé par un élément naturel. Les implantations ne se font pas au hasard : elles sont dictées par des besoins spécifiques, le plus souvent la recherche de métaux. Ainsi les Grecs partis de Phocée (grand port d’Asie Mineure, dans le golfe de Smyrne) étaient sans doute motivés par la quête de métaux. La colonie de Marseille jouera un rôle essentiel dans la rencontre des Gaulois et des civilisations méditerranéennes. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S L’Étendard d’Ur, p. 26 Les artisans se montrent très habiles dans l’art figuratif. Ils décrivent dans cette mosaïque en lapis-lazuli, incrustée de coquillages et de grès rouge, l’ordre social. De bas en haut, on repère tout d’abord l’acheminement des marchandises vers la ville, puis au milieu des personnages qui guident des animaux chargés de récipients remplis, probablement, de denrées alimentaires destinées à l’élite de la société. Quelques personnages de l’élite, à qui l’on sert des boissons, et des musiciens apparaissent dans la partie supérieure. Bas-reliefs de l’Arc de Titus, p. 27 Titus, fils aîné de l’empereur Vespasien, prit part à ses côtés aux campagnes en Germanie et en Bretagne, ainsi qu’à la guerre de Judée. Il s’empara de Jérusalem qu’il ruina (en 70 après notre ère). L’Arc de Titus commémore cette victoire. Si les bas-reliefs représentent le cortège victorieux qui rapporte les dépouilles du temple de Salomon, la voûte évoque la gloire de Titus dont l’âme est emportée vers les cieux par un aigle. La pesée de l’âme, p. 28 En lisant le document de gauche à droite, on découvre tout d’abord Anubis, le dieu-chacal, 20 qui conduit le mort vêtu de blanc devant ses juges. Il tient dans sa main gauche un signe qui signifie « vie ». Ensuite Anubis pèse l’âme du défunt sur la balance de la vérité. Sur l’autre plateau, il y a une plume d’autruche, symbole de la déesse de la justice. Thot, à la tête d’ibis (dieu de l’écriture), inscrit le résultat de la pesée. Le dieu Seth à tête de crocodile dévorera le mort si la pesée le condamne. Dans ce document le mort n’est pas dévoré par Seth. Il est conduit au royaume des morts où il va être présenté à Osiris et à sa femme Isis. Pyramides de Khéops, Khephren et Mykérinos, p. 28 L’ancienne Égypte est surtout célèbre pour son architecture majestueuse qui reflète un amour de la vie et un désir d’éternité. Les pyramides sont de gigantesques tombeaux que se faisaient construire les privilégiés et les pharaons. La plus ancienne pyramide, celle de Djéser, conjugue deux symboles : la colline primordiale surgie des eaux et la forme pyramidale, emblème du plus grand des dieux, Ré, le dieu du Soleil. La pyramide s’impose dans l’architecture funéraire royale mais toutes ne seront pas aussi solidement construites en pierre que celles de Khéops, Khephren et Mykérinos. Les civilisations de l’Antiquité Sculptures phéniciennes, p. 29 L’art des sculpteurs s’est surtout développé dans le domaine du relief, en particulier des stèles et des panneaux décoratifs. Les bas-reliefs nous ont permis de connaître les différents navires utilisés par les Phéniciens : galères de guerre à la poupe arrondie, avec un éperon effilé, bateaux de transport aux extrémités relevées, à rames ou à voile, barques de charge plus lourdes et plus simples. Les statues sont rares. On a retrouvé quelques effigies de dieux, d’hommes ou d’animaux, ici d’enfants jouant de la musique ou dansant. On a également découvert des sphinx ailés sculptés où l’on reconnaît l’influence égyptienne. Ulysse et le cyclope Polyphème, p. 30 L’étude de ce document est l’occasion d’aborder en classe la légende d’Ulysse et du cyclope Polyphème. Il permet également de montrer aux élèves l’importance des amphores comme véhicule et support de la tradition orale et des légendes. La louve romaine, p. 31 Cette statue rappelle la naissance légendaire de Rome. Dans L’Énéide de Virgile, on apprend de la bouche de Jupiter que Remus et Romulus sont de lointains descendants d’Énée et que Romulus a fondé la ville de Rome qui dominera le monde. Tite-Live, dans son Histoire de Rome, raconte comment Romulus s’est débarrassé de son frère. Après avoir conçu le projet de fonder une ville là où ils avaient été abandonnés, les deux garçons se demandent qui des deux va donner son nom à la ville et prendre le pouvoir. Ils s’adressent aux dieux et attendent d’être désignés par les augures. C’est à Remus que parvient le premier présage sous la forme de six vautours. Romulus ensuite en aperçoit douze. Qu’est-ce qui est le plus important ? le premier désigné par le présage ou celui qui a vu le plus d’oiseaux ? La dispute éclate. Pour narguer son frère, Remus franchit d’un bond la nouvelle muraille. Romulus, dans un mouvement de rage, le tue. Resté seul, il prend le pouvoir et donne son nom à la ville. Des fouilles archéologiques ont mis au jour des traces d’habitations datant du VIIIe siècle avant notre ère sur la colline du Palatin, confirmant la présence de populations dans ces lieux. On a également découvert une enceinte sacrée qui réunissait les villages. Rome a donc bien été fondée au VIIIe siècle avant notre ère comme le dit la légende. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les Mésopotamiens et les Égyptiens sont des agriculteurs. Ils adorent plusieurs dieux. Les Hébreux, installés au pays de Canaan, croient en un dieu unique. Les Phéniciens et les Grecs sont des marins. Ils fondent des colonies sur les bords de la Méditerranée. 21 D E U X I È M E PA RT I E L’ H É R I TA G E A N T I Q U E Cette partie est consacrée à l’histoire de la partie occidentale de l’Europe, de César à Charlemagne. À travers les deux portraits présentés en ouverture de chapitre, l’un en bas-relief sculpté, l’autre sur une monnaie, nous voulons insister avec les élèves sur la continuité de l’idéal qu’a représenté Rome. Cette partie pourrait s’intituler : « De l’Empire (de Rome) à l’Empire (de Charlemagne), à ceci près que César n’était pas empereur mais qu’il incarne précisément la fin de la République, aux prises avec un territoire qu’elle ne peut plus contrôler. La crise de la République romaine s’incarne dans César qui fait de son pouvoir personnel l’objet le plus attentif de ses soins. Après son assassinat, l’idée d’Empire et du pouvoir d’un seul peut s’imposer à Rome. Son fils adoptif Auguste est le premier empereur de l’Empire romain (27 avant notre ère-14 après notre ère). De César à Charlemagne, malgré les vicissitudes du temps, la déliquescence du pouvoir politique impérial romain et les bouleversements dus aux grandes migrations de populations barbares, les idées d’Empire, de romanité et le modèle antique de gouvernement et de civilisation n’ont cessé d’exister. Ces derniers ont été maintenus dans un brouillard de nostalgie politique par, désormais, la seule tenante et représentante de cette culture romaine : l’Église. C’est à Rome, et pas ailleurs, que Charlemagne se fait sacrer empereur auguste en 800. Cette continuité-là méritait une partie en soi. 22 Les Gaulois LIVRE PP. 34-37 Notions Artisanat, outils en fer, diversité des peuples celtes, civilisation de l’échange, diversité des origines, cités gauloises (oppidum). Compétences • Repérer et situer l’inscription du territoire des peuples gaulois dans l’Europe des échanges. • Savoir l’importance des échanges de l’économie et du commerce. Exercices Cahier CE2 : Comment connaît-on les Gaulois ?, pp. 24-26. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Jusqu’à une date assez récente, l’histoire des Celtes et des Gaulois se faisait essentiellement à partir des sources écrites grecques ou latines. Les Gaulois ne nous étaient connus que grâce, ou par le biais de ce que le monde romain disait d’eux. Du reste, le mot « Gaulois » n’était pas utilisé par les Celtes. Ce sont les Romains qui les désignent ainsi, du mot « gallus » qui signifie coq. C’était l’écriture de l’histoire par l’écrit des vainqueurs. Car le monde celte est un monde dont on a gardé très peu de traces écrites – alors qu’au même moment, le Proche et le Moyen-Orient sont en pleine révolution de l’écrit. Cependant, depuis une vingtaine d’années, les recherches archéologiques sont venues enrichir des connaissances parcellaires et ont jeté un regard neuf sur ceux que les manuels d’histoire présentaient comme « nos ancêtres ». L’objectif de ce chapitre est de montrer aux élèves que les Gaulois ne sont pas des Barbares, isolés face au monde « civilisé » romain, non pas pour surévaluer nos origines nationales, mais plutôt pour faire comprendre aux enfants que les notions de « civilisés » et de « barbares » sont très relatives. Étrangers eux-mêmes au sol de la France actuelle, les Celtes ne sont « nos ancêtres » que parmi beaucoup d’autres. De plus, il est préférable de parler des Gaules celtiques ; le pluriel permet ici d’insister sur l’extrême diversité des royautés celtes, par tribu et par territoire. Des Celtes aux Gaulois Arrivés au IXe siècle avant notre ère, les Celtes fondent des sociétés complexes qui prennent part aux échanges internationaux. C’est la civilisation du Halstatt, du nom d’un site archéologique autrichien. Placés au centre de ce commerce, ils prélèvent des taxes et des droits de passage sur les marchandises qui circulent. Puis au IVe siècle avant notre ère, pour des raisons difficiles à connaître, les tribus celtes vont occuper des territoires de plus en plus étendus. Installés en Gaule, les Celtes sont désormais appelés les Gaulois. Du Ve siècle avant notre ère à la conquête romaine, la civilisation de la Tène (du nom d’un site archéologique suisse) succède, sans changement brutal, à celle du Halstatt. Durant cette période, les royautés celtes sont en déclin du fait de l’importance des magistrats (la noblesse), élus au pouvoir pour un an, qui concurrencent largement le pouvoir royal. Reposant sur des clientèles familiales, cette noblesse forme une assemblée, avec le roi, audessus d’une société répartie en trois groupes principaux : noblesse, plèbe et esclaves. Les druides : facteur d’unité des peuples gaulois Cette société dispose d’une armée qui forme, comme à Rome, une classe à part. De même, dans le monde celte, on n’entre pas en guerre sans l’accord des dieux. Les druides sont les grands prêtres gaulois. Ils constituent le seul 23 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E facteur d’unité des peuples gaulois, sans pour autant former une classe sacerdotale distincte de la société. Leurs rencontres dans des temples, des sanctuaires, près des sources, des étangs et des grottes renvoient à une liturgie dont les rituels rappellent ce qui se passe au même moment dans la religion grecque, où seule la noblesse participe. Les druides appartiennent tous en effet à la noblesse d’État, sans coupure réelle entre leur fonction religieuse et leurs activités politiques. Ils exercent ces charges à tour de rôle ou à différents moments de leur vie. C’est par les druides, autorisés et compétents pour lire, de cette civilisation de la Tène que l’écrit se met à circuler largement à partir de l’alphabet grec. Une société prospère La richesse gauloise vient de son artisanat, très riche et très développé dans divers domaines : la métallurgie (fer, bronze, argent, or…), le travail du bois (charpente, charrons pour les transports…) et le travail de la terre (amphores pour le transport de la cervoise, du lait et du vin d’Italie principalement…). On a retrouvé des amphores fabriquées en Gaule au Ier siècle sur tout le pourtour méditerranéen, signe de leur circulation intense. Lorsque naît Vercingétorix (vers 80 avant notre ère), le commerce méditerranéen est intense. Mais il faut rappeler aux élèves que la société gauloise repose essentiellement sur l’agriculture. L’archéologie aérienne a permis de mettre au jour de grandes fermes. L’araire est largement utilisé. L’apparition et la diffusion massive des oppida, ces centres urbains et politiques autant qu’économiques souvent placés sur des hauteurs, sont pour la Gaule un grand changement social et politique. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Le monde celte au Ve siècle avant notre ère, p. 34 Cette carte présente les trois grands sites historiques et archéologiques du monde gaulois. D’abord celui de Halstatt en Autriche qui correspond à la première civilisation celte installée (XIe-VIe siècle avant notre ère) ; celui de La Tène, ensuite, qui s’étend du Ve siècle avant notre ère jusqu’à la conquête romaine à la fin du Ier siècle avant notre ère ; et enfin Vix, principal site archéologique, longtemps étudié par les historiens, siège d’une royauté princière très riche, aujourd’hui concurrencé par Bibracte en Bourgogne, où beaucoup de travaux scientifiques et de fouilles ont encore lieu. On peut noter sur la carte la situation centrale de la civilisation celte en Europe, au cœur des échanges commerciaux, intellectuels et politiques. Dès le IIIe siècle avant notre ère, sans doute, Massalia (Marseille) doit être considérée comme une des grandes puissances méditerranéennes : de la Baltique à Rome, de la Bretagne à la Grèce, les Marseillais sont sur toutes les routes commerciales du monde connu. Sa vitalité économique se retrouve dans l’archéologie, comme en témoignent les amphores retrouvées 24 sur tous les lieux commerciaux importants à l’époque : en Italie, au nord de l’Europe, en Grèce… Vase de Vix, p. 35 Ce vase, énorme par sa taille et par son poids, fut découvert en 1953 au pied de l’oppidum de Vix dans une tombe princière. Il est exposé au musée de Châtillon. Dans la chambre mortuaire a été retrouvé un char démonté. La défunte reposait dans la caisse du véhicule. Son crâne était enserré par un diadème d’or de 490 grammes. À côté de la caisse était posé le cratère, le plus imposant cratère de l’Antiquité connu à ce jour. Le col du cratère est décoré d’une frise représentant des guerriers et des chars tirés par des chevaux guidés par des auriges. Cette fabuleuse découverte archéologique laisse bien des questions en suspens. D’où vient ce cratère ? Comment a-t-il été transporté ? Quel chemin a-t-il suivi ?… Certains historiens pensent aux ateliers métallurgiques de Sicile. Quoi qu’il en soit, la présence de ces richesses montre qu’il y avait en Bourgogne des familles puissantes possédant richesses économiques et autorité politique. De plus, elles permettent de Les Gaulois faire réfléchir les élèves sur la grande compétence, les connaissances et le savoir-faire des artisans de l’époque, mais aussi sur les échanges économiques entre l’Europe du Nord et les pays méditerranéens. Pour marquer les esprits, il n’est pas inutile de mesurer sur un mur, ou au tableau, la taille du vase et de mesurer les élèves à l’aune de cette toise d’un patrimoine princier. Faire passer chacun des élèves sous cette toise princière permet de prendre conscience de l’importance de l’objet. Texte de Strabon, p. 35 Strabon est un contemporain de la fin de la République et de l’avènement d’Auguste comme empereur (27 avant notre ère). Il entreprend la rédaction d’un volume sur l’histoire – qui ne nous est pas parvenu – puis d’un autre sur la géographie qui est conservé. Il s’agit d’une description du monde connu : de l’Orient – d’où il est natif – à l’Occident. Dans l’extrait présenté ici, Strabon témoigne de l’immense richesse agricole de la Gaule, contrastant avec d’autres régions du pourtour méditerranéen qu’il connaît bien. Il note les exportations de produits gaulois vers l’ensemble des régions de la Méditerranée, ce qui accrédite l’idée que la Gaule était insérée dans les échanges internationaux du temps. Vase et céramique, p. 36 La céramique gauloise est retrouvée partout. Cette présence et cet essaimage de la céramique gauloise dans le monde connu de l’époque témoignent de la diffusion, non seulement, de celle-ci – et donc de sa qualité et de sa fiabilité à transporter toutes sortes d’aliments – mais aussi de la circulation et du commerce des produits agricoles gaulois. Texte de Jules César, p. 37 Dans le livre VI de La Guerre des Gaules, César accorde une petite place à la religion. Il insiste ici sur l’immense savoir des druides, leurs compétences diverses, astronomiques, scientifiques ou littéraires. Mais ce passage pourrait laisser entendre que les druides sont dissociés de la caste des nobles. Ils en font bel et bien partie. En somme, la fonction qu’occupe Panoramix dans les albums d’Astérix et Obélix pourrait être alternativement occupée par lui et par Abraracourcix, le chef du village, autre noble. Armes et masque gaulois, p. 37 Les Gaulois étaient d’habiles forgerons. Ils pratiquaient la soudure, le trempage et le rivetage qui permettaient d’obtenir des armes de grande qualité : des casques de forme conique dominés par une crête avec, à la base, une couronne réalisée grâce à un système de rivetage ; des épées assez longues (65 cm) de deux sortes, les unes avec un renflement au-dessus de la lame, les autres s’achevant par une sorte de crochet ; des pointes de lance, mais aussi des cuirasses, faites parfois avec une seule feuille de tôle, qui protégeaient la poitrine, des jambières et des boucliers. De plus en plus, le fer, plus léger et plus résistant, est réservé à la fabrication d’objets utilitaires tandis que le bronze est travaillé pour la confection d’objets de parure (bagues, agrafes, fibules…). ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les Gaulois sont des Celtes. Ils sont de bons agriculteurs et d’habiles artisans. Les guerriers sont protégés par des armures de qualité. Les Gaulois croient que les dieux vivent dans la nature. Les prêtres sont appelés druides. La Gaule est riche et bien organisée. 25 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E La conquête romaine (57-51 avant notre ère) LIVRE PP. 38-43 Notions Conquête, siège, diversité du monde gaulois, unité romaine, guerre. Compétences • Savoir lire une carte politique. • Savoir situer Rome dans son empire. • Savoir confronter différents documents de nature historique diverse. • Savoir réorganiser l’enchaînement des événements à l’oral ou à l’écrit. Exercices Cahier CE2 : Alésia, pp. 27-28 ; Vercingétorix se rend à César, pp. 29-30. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Massalia : un ancien comptoir grec romanisé La conquête romaine débute vers 122-118 avant notre ère par la création de la province de la Narbonnaise, appelée Transalpine par les Romains parce qu’elle est située au-delà des Alpes. Les sources, beaucoup trop lacunaires, ne permettent pas de connaître avec précision les conditions de cette conquête ni le statut précis de cette nouvelle province. Nous avons cependant la certitude que les territoires et le pouvoir de Massalia s’accroissent. De plus, c’est autour d’Aix, Narbonne et Toulouse, cités créées par les Romains, que s’organisent les échanges commerciaux et les lieux de pouvoir. Le rayonnement de Massalia s’explique par l’antériorité de son site portuaire, par l’investissement considérable des Romains sur cet ancien comptoir grec. L’influence romaine a été très importante à Massalia, certains historiens parlent même d’une première romanisation : mode de vie et d’exercice du pouvoir, intégration des élites locales aux charges romaines, diffusion des cultes religieux et civiques des Romains… Origines et déroulement de la conquête de la Gaule par Jules César En classe, on recherchera avec les élèves les raisons qui ont poussé les Romains à entreprendre la conquête de la Gaule. En fait, César souhaite 26 conquérir « la Gaule chevelue ». En effet, l’attrait principal de la Gaule réside dans son intérêt économique majeur et sa position centrale dans les échanges : l’Armorique pour ses débouchés vers la Bretagne (l’Angleterre), l’Aquitaine pour son passage vers l’océan, etc. Les historiens ont pu parler d’un « eldorado convoité ». Une autre raison peut être avancée : les Gaulois font peur. Le sac de Rome en 390 avant notre ère par les troupes gauloises de Brennus a laissé des traces importantes. Pour la société romaine, le Gaulois est l’archétype du rustre, incapable d’accéder à la distinction et au raffinement romains, et surtout le modèle même du peuple dangereux. La conquête proprement dite, celle menée par Caius Julius Caesar, débute en 58 avant notre ère par la poursuite des Helvètes. De 58 à 53, les Romains soumettent la Gaule jusqu’en Armorique et en Belgique. Mais en 52, alors que César et ses troupes sont en Italie, des chefs gaulois se révoltent sous l’autorité de Vercingétorix. César reprend l’offensive, poursuit les troupes coalisées menées par Vercingétorix jusqu’à Gergovie où les Romains sont vaincus. Une assemblée réunie à Bibracte confirme Vercingétorix à la tête de la rébellion. L’offensive romaine reprend et Vercingétorix La conquête romaine (57-51 avant notre ère) conduit ses troupes sur l’oppidum d’Alésia. C’est la défaite gauloise qui s’achève par la reddition des principaux chefs. En 51, et même encore en 50 avant notre ère, César termine la soumission du territoire par des expéditions punitives très violentes. La défaite gauloise Deux raisons principales sont avancées pour expliquer la défaite des Gaulois. La première relève de la discipline des armées romaines, plus professionnelles et surtout moins divisées par des luttes entre chefs militaires. La seconde renvoie à la division de la Gaule, des Gaules, où près de la moitié des peuples se tiennent à l’écart du conflit qui est en train de se dérouler. Il faut bien comprendre, et cela va à l’encontre du mythe national forgé au XIXe siècle, que les tribus gauloises sont composées d’aristocraties qui jouent tantôt l’alliance, tantôt la rupture avec Rome. Vercingétorix en est un exemple éclatant. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S La Gaule au début de la conquête, p. 38 Sur la carte, on distingue les trois Gaules, dont la capitale est Lugdunum (Lyon). La Narbonnaise (ou Transalpine), conquise et romanisée depuis plus longtemps (122-118 avant notre ère), occupe une place à part. À noter que la Bretagne – et donc les Bretons de l’époque – désigne l’Angleterre d’aujourd’hui. Lorsqu’au Ve siècle, lors des migrations barbares, les Angles et les Saxons envahissent les deux anciennes provinces romaines appelées Britannia inferior et Britannia superior, les Bretons traversent la Manche vers le sud pour se protéger et s’installent en Armorique : ils lui donnent le nom de Bretagne. Statue de Jules César, p. 39 La victoire sur les Gaulois donne à César le prestige qui lui manquait pour prendre le pouvoir à Rome. Avoir vaincu les « barbares gaulois » lui permet d’inspirer crainte et respect à la classe politique romaine. Une propagande autour de sa personne s’organise très tôt. Monnaie gauloise, p. 40 Les pièces de monnaies représentant Vercingétorix actuellement retrouvées sont au nombre de 27 : 25 en or et 2 en bronze. La pièce présentée ici est en or. Le nom « Vercingétorix » est scindé en deux, coupé par le cou. Son nom signifie « roi suprême des guerriers » : ouer signifie « sur » ou « super » ; kuinguès ou kuin- guet, « guerrier » ou « héros » et riks « roi » – soit : Ouer-kuinguet-riks. Brigitte Fischer, spécialiste de la monnaie gauloise, estime que l’aspect « bâclé » de la réalisation de cette pièce s’explique par « la pression des événements. Il a fallu émettre en toute hâte un monnayage d’or ». Par ailleurs, la pièce permet de voir que Vercingétorix ne porte pas la moustache et que ses cheveux ne sont pas longs. Autrement dit, cela rompt avec l’image traditionnelle des Gaulois ornés d’une superbe moustache et portant le cheveu long créée au XIXe siècle. Au contraire, il semblerait que Vercingétorix, comme la plupart des membres de l’aristocratie gauloise, se lisse les cheveux, les frise et porte en fait « une coiffure élaborée, savante, avec des mèches », loin du cliché et du stéréotype tant romain, le Gaulois hirsute et poilu, qu’historiographique dans sa version la plus traditionnelle depuis le XIXe siècle. Texte de Jules César, p. 40 Il est important d’avoir à l’esprit que les 7 livres, rédigés par César et intitulés La Guerre des Gaules, ont été écrits après Alésia, sur la base des notes et des rapports que César avait envoyés à Rome pendant toute la campagne militaire. Même s’il convient d’être prudent sur les procédés d’écriture de César qui tourne volontiers à son avantage les situations décrites – dans un but de propagande bien comprise à l’égard de Rome –, il est à peu près certain que son récit est vrai. Nous devons également avoir présent à l’esprit que plus il dira que Vercingétorix était cet ennemi vigoureux et 27 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E courageux et plus sa victoire à Alésia paraîtra méritoire. Dans les sévices qu’inflige Vercingétorix et que décrit César, il faut certainement voir la mise en scène stéréotypée du Gaulois brute et barbare – image que l’on partage largement à Rome. Cependant, il est important d’expliquer aux élèves qu’il est difficile de dire aujourd’hui si César a raison ou s’il est, à l’inverse, dans l’exagération stéréotypée. Pour autant, César ne dit pas que Vercingétorix fut son allié. Ce dont les historiens sont convaincus aujourd’hui. Les Arvernes étaient liés par contrat de fidélité avec les Romains. Vercingétorix se retourne contre un peuple auprès duquel il a sans doute combattu – l’organisation de l’armée gauloise et la mise en place de fortifications à Alésia doivent beaucoup aux méthodes et aux stratégies militaires romaines. Pour César, Vercingétorix est avant tout un traître. Des auteurs parlent même de liens d’amitié et de fidélité entre les deux hommes. Maquette des travaux de César devant Alésia, p. 41 Fin août 52 avant notre ère, Vercingétorix et son armée de 80 000 hommes rejoignent Alésia (que l’on situe aujourd’hui près d’Alise-SainteReine) et s’y enferment. César organise le siège en érigeant de nombreuses fortifications tournées à la fois vers Alésia et vers l’extérieur (ce sont les contrevallations et circumvallations). La faim fait de nombreuses victimes : Vercingétorix doit sacrifier les civils, femmes et enfants. Le tournant décisif a lieu au début du mois d’octobre ; l’armée de secours venue de Bibracte pour délivrer le siège échoue tout comme les tentatives de percées des armées de Vercingétorix prises au piège du siège. À la mioctobre, César a gagné. Vercingétorix se rend. Lionel N. Royer, Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, p. 42 Ce tableau est caractéristique de la IIIe République et des thèmes historiques abordés dans son école. La Patrie est née en Gaule. Malgré la défaite de Sedan, la revanche pourra venir grâce à l’exaltation du sentiment national : Vercingétorix et Jeanne d’Arc s’affirment comme les 28 hérauts et les héros de l’indépendance nationale. De 1870 à 1914 une multitude d’œuvres artistiques représentent la grandeur du chef gaulois. Les manuels scolaires véhiculent cette image. En ce sens, et c’est la raison pour laquelle nous avons retenu ce tableau, il s’agit d’un véritable document du patrimoine français… ce qui ne veut pas dire qu’il ne doit pas être historiquement critiqué, en précisant que la France de la IIIe République « redécouvre » des héros nationaux qu’il convient de faire aimer au peuple nouvellement scolarisé. Vercingétorix porte la moustache et les cheveux longs, comme les documents disponibles à la fin du XIXe siècle dépeignaient les Gaulois à partir des sources latines. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’une reconstruction picturale sans rapport avec la silhouette réelle de Vercingétorix que, du reste, nous aurions du mal à décrire précisément. Textes de César et de Plutarque, p. 43 César décrit la scène de la reddition de Vercingétorix à la troisième personne du singulier. À ce titre, il convient de faire attention à la bonne compréhension du texte par les élèves. En effet, à la lecture du texte, il se produit un changement de sujet sans changement de pronom personnel. Au début, pendant deux paragraphes, César parle de Vercingétorix et ensuite de lui-même. On peut demander aux élèves les raisons de ce choix : orgueil ou stratégie, mise en scène ou volonté d’effacement de soi ? Il est difficile de contester l’authenticité des événements décrits. César n’est pas seul en campagne : écrire des mensonges l’eût discrédité dès la parution du livre à Rome. Pourtant, ce n’est pas exactement le même récit que celui de Plutarque, écrivain grec de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère. Dans l’apprentissage scolaire, on a longtemps isolé cet extrait qui permettait de penser qu’il s’agissait d’une valorisation du chef gaulois. Il a beaucoup servi à l’école de la IIIe République. Or, si l’on examine le texte dans son intégralité, on se rend compte que, dans l’esprit de l’auteur, il n’y a aucun doute : le vainqueur est bien César. La scène décrite par Plutarque relève de la mise en scène littéraire. Cependant, faire réfléchir les élèves La conquête romaine (57-51 avant notre ère) aux différentes façons de présenter un même événement est assurément une manière d’exercer leur esprit critique. Vignette de Astérix et le Bouclier averne, p. 43 L’intérêt de ce document (en dehors de son objectif pédagogique contenu dans les cahiers d’exercices) est de montrer aux élèves la persis- tance des faits historiques dans la mémoire nationale. Uderzo et Goscinny sont nos contemporains et leurs thèmes concernent notre histoire. Il convient de dire aux élèves que l’histoire peut s’écrire de toutes les manières : les bandes dessinées et les romans en sont la preuve vivante et actuelle. Là encore, la réflexion autour des différents types de récits est fondamentale. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Jules César attaque la Gaule. Vercingétorix, le chef des Gaulois, remporte la victoire de Gergovie, puis il est assiégé par les Romains avec ses soldats à Alésia. Il est obligé de se rendre. À la fin de la conquête, la Gaule est appauvrie. Jules César est riche et glorieux. 29 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E Les Gallo-Romains ( I er - V e siècle) LIVRE PP. 44-49 Notions Romanisation, acculturation, langue officielle, urbanisme, mode de vie, persistance du monde rural, christianisme, ville gallo-romaine, villa, école. Compétences • Savoir reconnaître un patrimoine monumental. • Savoir repérer l’espace des Gaules dans l’Empire romain. • Savoir situer les grandes étapes de l’histoire de la Gaule romaine, de la conquête à l’officialisation du christianisme. Exercices Cahier CE2 : La vie dans la ville gallo-romaine, pp. 31-33 ; la vie dans l’Empire gallo-romain, pp. 34-35. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Aborder la romanisation, c’est avoir l’objectif de faire repérer aux élèves la place de l’influence romaine dans l’histoire européenne et méditerranéenne, ainsi que ses principales traces dans le paysage. C’est aussi mettre en lumière les principales caractéristiques de l’organisation du monde romain qui, tout autour du bassin méditerranéen, a fondé une civilisation commune. Pour autant, surtout pour les trois Gaules et moins pour la Narbonnaise, il convient de ne pas prendre les traces patrimoniales existantes pour les signes d’un changement radical. La romanisation n’a pas été un bouleversement des cadres du quotidien. La civilisation gallo-romaine ne se substitue pas intégralement à la société celte. C’est plus dans les continuités que peuvent se comprendre les changements. Si Auguste (27 avant notre ère14 après notre ère) organise l’Empire et la domination en Gaule, on peut dire que c’est l’empereur Claude (41-54) qui achève l’Empire à l’ouest en intégrant les élites gauloises et en les faisant entrer au Sénat. C’est également lui qui fait de Boulogne le premier camp militaire destiné à envahir la Bretagne (l’Angleterre). Romanisation et intégration L’armée a un rôle central dans la romanisation. D’abord par la Pax Romana qu’elle impose. Il s’agit bien d’une paix armée qui garantit l’ordre sur le territoire et la soumission des peuples 30 vaincus. Un soulèvement est réprimé en 21. Surtout, cette armée protège les frontières. Mais son rôle est plus large que cela. Elle permet aussi la création et le développement de l’infrastructure routière par la multiplication des voies romaines. Le développement du réseau routier est un puissant facteur d’unification du territoire de l’Empire. Par sa présence, l’armée permet également le développement et la création de villes autour des camps militaires. Enfin, les engagés dans la légion peuvent acquérir la citoyenneté romaine. L’organisation administrative qui se met en place est également un facteur d’intégration des provinces gauloises à l’Empire. Un gouverneur et des légats romains sont nommés afin de surveiller l’organisation des collectes d’impôts ou des taxes via les procurateurs. Deux éléments forts sont assurés par la nouvelle administration : le culte impérial (qui est un culte à la fois public et religieux) et le Conseil des Gaules régulièrement réuni à Lugdunum, capitale des trois Gaules. Il faut attendre 212 pour que l’empereur Caracalla décide que, comme tous les habitants de l’Empire, les Gaulois deviennent des citoyens romains. Même s’il s’agit d’un phénomène surtout méridional – où une tradition d’urbanisation déjà ancienne existait à Marseille, Arles, Aix, L e s G a l l o - R o m a i n s ( I er- V e s i è c l e ) Narbonne, Nîmes, Fréjus… –, le rôle des cités romaines est important. Toutes, ou presque, sont bâties sur le même plan : cardo (voie nordsud) et decumanus (voie ouest-est), au parcellaire orthogonal. Les mêmes bâtiments (thermes, amphithéâtres, forum, bains, arènes) s’y retrouvent au sein d’un tissu urbain rationnel, hiérarchisé et intégré aux grands axes de communication. Au total, même si la Gaule fait partie à part entière de l’Empire, il est important d’avoir à l’esprit que l’intégration de la Gaule à Rome est à nuancer. D’abord parce que les Gaulois restent perçus par les Romains comme les descendants des Gaulois de Brennus : le terror gallicus persiste et incite encore à les désigner comme barbares. Enfin, au nord de la Narbonnaise, le réseau urbain est resté moins dense et moins unifié que dans d’autres régions du pourtour méditerranéen. La vie économique, sociale et religieuse Les campagnes sont le secteur d’activité le plus important. La ferme isolée est la structure principale : la villa, composée de la maison du maître, des bâtiments d’exploitation, de petits théâtres et de petits sanctuaires. L’archéologie aérienne a permis ces dernières années de mettre au jour un nombre très important de villae inconnues. Le modèle de la villa semble ainsi s’être très progressivement généralisé, en continuité avec les exploitations de l’époque celtique. Les villes et les petites agglomérations restent très liées à la terre. Elles sont souvent organisées autour du marché local. De plus, une grande majorité d’urbains travaillent à la campagne. La religion est un des points importants de cette période, réaffirmé par les instructions officielles. Les Romains et les Gaulois sont deux peuples polythéistes. Une fusion entre les dieux romains et les dieux gaulois a lieu très rapidement sans que cela ait semblé poser de réelles difficultés, ni pour les Gaulois dont les cultes semblent subsister, ni pour les Romains habitués à voir leur panthéon s’élargir à mesure des conquêtes. Mais, bien entendu, la grande affaire de la Gaule et de l’Empire aux IIe et IIIe siècles, c’est l’apparition de toute une série de cultes orientaux (dès le Ier siècle en fait) et surtout l’affirmation du christianisme. Le christianisme Le christianisme est né en Palestine, région occupée par les Romains et divisée en deux provinces : la Judée et la Galilée. Les juifs qui y vivent attendent le Messie (annoncé par les Prophètes) qui viendra les délivrer des Romains. C’est dans ce climat politique de contestation et de répression que naît et grandit Jésus de Nazareth. Il se dit roi des Juifs, ce qui heurte les Romains qui y voient une atteinte au pouvoir impérial. Il est crucifié à trente-trois ans. Les fidèles du Christ (« messie » en hébreu) le disent ressuscité. C’est le début de son culte. On compte des chrétiens à Rome et dans l’Empire dès le Ier siècle. D’abord inscrit dans le monde juif, le christianisme touche en effet des non-juifs et commence à se diffuser au-delà de la Judée, vers la Turquie actuelle, la Grèce et l’Asie (à Antioche, par exemple). Ces propos de Paul, un citoyen juif romain, y ont certainement contribué : « Il n’y a ni Juif ni Grec ; il n’y a ni esclave ni homme libre ; il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » Dès lors, des nonjuifs peuvent rejoindre les communautés qui se réclament du christianisme. L’empereur Néron rend les chrétiens responsables de l’incendie de Rome en 64. Ils sont régulièrement persécutés et haïs. Pourtant, il n’y a pas de loi contre eux dans l’Empire. Mais les colères populaires s’abattent sur leurs communautés. Les périodes de tolérance succèdent aux persécutions. Deux grandes répressions ont lieu en 249, sous le règne de Dèce, et en 303-304, sous celui de Dioclétien. Constantin proclame la liberté du culte en 309 ; deux ans auparavant, le culte avait été autorisé et reconnu dans la partie orientale de l’Empire. Les élites sont rapidement gagnées par la religion chrétienne. C’est le temps de l’expansion du christianisme, au point que Théodose, en 380, légalise la religion chrétienne et la met au rang de religion d’État. 31 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Les trois Gaules dans l’Empire romain, p. 44 Cette carte situe les trois Gaules dans l’ensemble de l’Empire. Cette réalité géographique doit nous amener à bien comprendre que, de l’occident à l’orient, un seul monde existe avec en son centre la mer Méditerranée. Par l’administration, par les monuments, par le système impérial et son culte, par la langue écrite et parlée par les élites (le latin), une culture commune s’est installée durablement, moins peut-être pour les peuples que pour leurs représentants. Le souhait de Clovis, de Charlemagne et de beaucoup d’autres après les dirigeants de l’Empire sera de retrouver cet espace politique et culturel d’origine. On peut, avec l’aide de l’échelle, faire calculer l’ampleur géographique et kilométrique de l’Empire romain : soit approximativement 500 km d’est en ouest et 400 km du nord-ouest de l’Écosse à l’Égypte. Une voie romaine pavée : Via Ostiense, p. 45 Dans la ville gallo-romaine, la rue remplit un rôle matériel. La chaussée soigneusement couverte de dalles de pierres est bordée de caniveaux qui drainent les eaux de ruissellement. Le trafic s’effectue aisément. Des déversoirs en pierre, régulièrement disposés, permettent l’évacuation des ordures. Des puits et des fontaines fournissent l’eau potable. Mais, plus important encore, la rue, lieu de passage et de transition, assure le tissage des liens sociaux et architecturaux. Les rues sont larges (7 à 15 mètres en moyenne). Elles sont bordées de portiques qui protègent du soleil et des intempéries et rendent la vie citadine plus facile. Ces portiques sont également une transition architecturale avec les bâtiments voisins qui souvent prolongent cet espace en abritant des boutiques. La « Maison carrée » de Nîmes, p. 45 La Maison carrée de Nîmes est l’un des plus beaux exemples de l’art sous le règne de l’empereur Auguste (27 avant notre ère-14 après notre ère). Terminée en 12 avant notre ère, elle 32 est située sur une vaste place. Ce bâtiment est un témoignage de la religion de l’empereur et du culte impérial. Il a été construit pour honorer ses deux petits-fils. L’amphithéâtre d’Arles, p. 46 Construit en pierre de taille, son mur extérieur s’élevait à l’origine sur trois niveaux comportant chacun 60 arcades. Les gradins pouvaient accueillir 20 000 spectateurs. Ceux du bas étaient réservés aux notables, ceux du milieu aux autres citoyens et ceux du haut à la plèbe qui assistait aux jeux en restant debout. Dans les arènes se déroulaient les jeux : chasses, combats d’animaux, joutes de gladiateurs. Mais ces jeux avaient un double sens : ils étaient à la fois une cérémonie religieuse, le peuple participant au culte civique, et un exutoire social. Scène de gladiateurs, p. 46 Parmi les jeux offerts à l’amphithéâtre, les plus prisés par les Gallo-Romains sont les combats de gladiateurs. Beaucoup de ces gladiateurs sont des esclaves ou des condamnés, mais il y a également des hommes libres liés par contrat, originaires de Gaule mais aussi de Grèce, d’Égypte ou d’Espagne. Ces combats très cruels opposaient souvent un gladiateur légèrement armé (d’un trident, d’un poignard, d’un filet…) à un combattant lourdement équipé. Le goût pour le combat de gladiateurs s’accompagne d’un goût pour sa représentation. C’est un sujet qui est souvent traité sur les mosaïques. L’art de la mosaïque a été importé par Rome en Narbonnaise dans un premier temps. D’abord bicolore (noir et blanc), les décors se sont peu à peu enrichis de couleurs et de motifs variés, repris et développés par des écoles régionales (l’école rhodanienne et l’école aquitaine). Texte d’Ausone, p. 47 Avec les élèves, on peut chercher dans ce texte du poète Ausone (IVe siècle) les mots qui rappellent les éléments de la cité romaine. L’intérêt de ce texte réside dans la façon dont un notable bordelais envisage sa géographie affective : sa vie à Bordeaux et ses activités sénatoriales à L e s G a l l o - R o m a i n s ( I er- V e s i è c l e ) Rome. Peut-être n’est-il pas inutile de montrer aux élèves sur une carte la distance qui existe entre Rome et Bordeaux et donc le temps pour la parcourir. Scène d’école à Trèves, p. 47 Détail d’un monument funéraire, cette scène montre l’importance accordée à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture indispensables à qui voulait participer à la vie civique. Sur ce basrelief, on distingue le maître assis (à gauche) et deux élèves. L’un d’eux est assis, il se prépare à lire un texte sur un volumen qu’il déroule devant lui ; l’autre, debout, tenant à la main des tablettes dans un étui, visiblement en retard, s’apprête à affronter la colère du maître. Dans les villes, la langue latine s’impose comme la langue des élites municipales. Pour autant, même si l’on ne connaît pas précisément le nombre de lecteurs dans le monde romain et particulièrement en Gaule, on sait cependant qu’à l’époque impériale la lecture se développe grâce à l’alphabétisation. Si faire des études et envoyer ses enfants à l’école à la fin de la République (à l’époque de César) est l’expression d’un privilège social incontestable, ce n’est certainement pas autant le cas au Ie et au IIe siècle. La Gaule ne devait pas faire exception à la règle. On rencontre même dans le monde gréco-romain un certain nombre d’esclaves ou d’affranchis lettrés écrivant pour des notables. Vase en céramique, p. 48 Les principaux ateliers de la Gaule romaine sont situés à Montans, à La Graufesenque ou à Lezoux. Cette céramique de couleur rouge est recouverte d’une fine pellicule lustrée. Le façonnage de cette poterie s’est effectué à l’aide d’un moule et d’un tour. Le moule d’argile épaisse a reçu à l’intérieur, en creux, l’empreinte d’un décor. Ce motif s’imprime à son tour en relief sur l’argile tendre travaillée par l’intérieur. Une fois cuit, le vase est ensuite poli avec un morceau de bois ou de peau, puis il est recouvert d’un enduit qui lui donne cet aspect lustré. Ces céramiques sont produites en très grande quantité. Dans certains fours on pouvait empiler jusqu’à 30 000 vases. Le four découvert à la Graufesenque en 1979 est le plus important mis au jour jusqu’ici. On pense que pendant une quarantaine d’années plus d’une centaine de potiers l’ont utilisé pour faire cuire leur production. Lettre des chrétiens de Lyon et de Vienne, p. 49 L’épisode des martyrs chrétiens de Lyon, massacrés en 177, semble être un acte spontané de la population locale contre des croyants honorant une religion étrangère. Ils ont – depuis Néron et l’incendie de Rome en 64 – toujours servi de bouc émissaire dans des périodes troublées politiquement ou économiquement. Mosaïque du IIe siècle, p. 49 Cette mosaïque représente une scène de cirque au cours de laquelle un martyr est livré aux lions. C’est le sort qui est réservé aux chrétiens jusqu’en 309 dans les périodes de persécutions. D’autres sont brûlés vifs ou crucifiés. Après 309, l’empereur Constantin décide la tolérance à l’égard des chrétiens. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les Romains organisent la Gaule, construisent des routes et des monuments, imposent le latin. Les Gallo-Romains s’enrichissent grâce au commerce. Le christianisme se développe et devient la religion officielle de l’Empire. 33 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E Le déplacement des peuples barbares LIVRE PP. 50-53 Notions Barbares, étrangers, déplacement de population, immigration, invasion, chute de l’Empire romain, apports culturels. Compétences • Repérer les parcours de migrations des peuples barbares. • Savoir identifier la diversité des origines de la France. • Exercer un esprit critique sur des documents présentant des points de vue différents. Exercices Cahier CE2 : Comment connaît-on les peuples barbares ?, pp. 36-37. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Le Haut Moyen Âge : une période longtemps méconnue La période du Haut Moyen Âge s’adresse principalement aux élèves de CE2 et de CM1, alors même qu’il s’agit d’une des périodes les plus complexes de l’histoire et, bien souvent, la moins bien maîtrisée par les enseignants du primaire comme du secondaire. Cela s’explique par le fait que cette période, pourtant centrale – chute de l’Empire romain, installation des royaumes barbares… –, a souvent été très mal connue, donc mal aimée. Les invasions barbares ont tout dévasté ; la guerre a fait rage sans discontinuité ou presque ; la forêt a envahi les vallées et les plaines défrichées du temps des Romains ; les terres incultes ont gagné sur les terres labourables et cultivables ; la culture intellectuelle romaine s’est effondrée aux dépens de l’inculture générale, vaguement combattue par quelques hommes d’Église, témoins isolés de la civilisation romaine, etc. Les manuels scolaires étaient à l’unisson : « les invasions barbares ont été un cataclysme ». Or, cette histoire est réévaluée depuis une vingtaine d’années. Car, même si l’histoire traditionnelle des invasions a ses lettres de noblesse, son problème principal est un problème de sources. Les derniers travaux scienti34 fiques (fouilles archéologiques et nouvelles interprétations des documents) sont venus combler les lacunes et permettent de nuancer ce constat définitif. Invasions ou migrations barbares ? Nous avons décidé de ne pas employer le terme « d’invasion » dans le titre du chapitre car les acquis de la recherche mettent en avant ce que les contemporains de l’époque savaient parfaitement : les peuples germains qui migrent massivement à l’intérieur de l’Empire ne sont pas un corps résolument étranger à la civilisation romaine. La plupart d’entre eux sont des peuples alliés, voire intégrés à la défense des frontières impériales. Du reste, comme le dit l’historien Michel Rouche : « Les vaincus minimisèrent la portée des événements et considérèrent les nouveaux venus comme d’anciens soldats romains. » Ces peuples – c’est le cas des Francs – sont souvent déjà largement romanisés ou, du moins, connaissent la civilisation romaine pour l’avoir défendue sur ses frontières. C’est pour cette raison, de plus en plus confirmée par les recherches actuelles, qu’il paraît difficile de faire des migrations barbares des invasions au sens strict. Le déplacement des peuples barbares E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S L’Empire romain et les déplacements des peuples barbares, p. 50 En 375, les Huns traversent les steppes d’Asie centrale vers l’ouest et se retrouvent, par raids successifs, au milieu de l’Europe centrale. Cette offensive brutale s’explique certainement par le fait que, devenus trop nombreux, ils ont eu besoin de conquérir d’autres territoires. Mais les hypothèses (nombreuses) divergent. Quoi qu’il en soit, les Alains, les Ostrogoths et les Wisigoths fuient avec femmes et enfants vers l’ouest. Ils demandent l’assistance de l’Empire et sa protection, ce qu’ils n’obtiennent pas, malgré l’alliance qui les unit. Alaric, leur roi, persuadé que l’entente passée est caduque, entraîne ses troupes vers Rome qui tombe en 410. Quelque temps avant, en 406, les Germains (Suèves, Alamans et Vandales) envahissent, pour les mêmes raisons, la Gaule dégarnie de troupes. L’Empire est disloqué, l’empereur ne contrôle plus rien. Quelques années plus tard, les Huns fixés dans la grande plaine hongroise (l’Alföld) reprennent les raids vers l’ouest. La désorganisation est totale, ce dont profitent les Vandales, alors que les autres peuples restent dans le cadre d’un système fédéral au sein de l’Empire ébranlé. Mais en 476, l’armée romaine d’Odoacre se révolte et dépouille l’empereur de ses insignes. C’est la fin de l’Empire romain d’Occident. Pour autant, faire de l’arrivée et des lentes migrations barbares (plus d’un siècle en tout), la seule cause de l’effondrement de l’Empire romain, ce serait laisser planer l’idée, pour soi, comme pour les élèves, que l’étranger est source unique du mal ou de catastrophe – sans compter l’immigration permanente et régulière qui, depuis toujours, existe au sein de l’Empire : on connaît des invasions plus courtes ! Le mot « migrations » est décidément plus adapté, sans nier les bouleversements extraordinaires de l’époque : ce serait également nier l’histoire telle qu’elle s’est déroulée. Aux causes externes doivent être confrontées les causes internes. Lorsque Théodose – l’empereur qui a officialisé le christianisme comme religion d’État – meurt en 395, l’Empire romain est immédiatement partagé entre l’Empire romain d’Orient avec comme capitale Constantinople et l’Empire romain d’Occident avec comme capitale Rome. Au sein d’une société très hiérarchisée, bloquée, souvent injuste et toujours inégale, les contemporains vivent les années 350-450 comme une période désespérante et sans avenir. L’administration souffre de ses cadres dévoyés et omnipotents mais au fond impuissants à résoudre les difficultés économiques et sociales. On a parlé aussi d’une grave crise morale. Le pouvoir impérial est de plus en plus isolé, concurrencé de facto, au moins moralement, par l’Église chrétienne qui, depuis 392, ne cesse de s’affranchir du pouvoir politique. Comme le dit le médiéviste Robert Fossier : « Les civilisations ne meurent pas ; elles vieillissent puis se transforment en une autre. » Orfèvreries, pp. 51-52 Ces peuples semi-nomades sont de remarquables orfèvres. Ces bijoux montrent leur habileté technique. On peut observer l’insertion de pierres et de pâtes de verre colorées dans un métal luimême travaillé et repoussé. Sur le reliquaire (une boîte ou un coffret contenant des reliques), les pierres dessinent des figures géométriques (courbes, segments de droites en étoile…). Ils fabriquent également des objets en or ou en argent pour décorer les huttes et les tentes ; les sujets sont inspirés par la nature ou, comme dans le livre, puisés dans le monde animalier. Textes de Priscos, de Constance Chlore et de Marcellin, p. 53 Ces trois textes sont à faire lire aux élèves et à comparer. Leur confrontation doit pouvoir montrer que le regard porté sur les Barbares a changé et n’est pas le même en fonction de l’angle d’analyse. Ils permettent aussi de réfléchir sur la notion historique et actuelle du mot « Barbare » (barbaros, en grec, signifie un 35 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E peuple « extérieur » à la citoyenneté romaine). Cet exercice est essentiel au développement de l’esprit critique. Il évite le regard unilatéral sur l’autre, sur l’étranger, pensé et décrit de façon péjorative lorsqu’il n’est pas explicitement désigné comme ennemi. Le premier texte, celui de l’empereur Constance Chlore, est rédigé à une date intéressante : vers 305-306, c’est-à-dire loin des premières « invasions ». Il témoigne des bienfaits de l’apport d’une main-d’œuvre étrangère à l’économie des champs et à l’artisanat. Les propos sont élogieux et laissent penser qu’il y a du soulagement à avoir des Barbares dans l’Empire. Ici, le mot « barbare » est pris dans sa forme originelle – tout peuple extérieur à la civilisation romaine –, c’est-à-dire dénué de tout préjugé péjoratif. Le texte témoigne également de l’obligation économique de recourir aux travailleurs immigrés. Le second texte est l’œuvre d’Ammien Marcellin, auteur latin de la seconde moitié du IVe siècle. Il concerne explicitement les Huns. On peut penser qu’il a été rédigé après la première poussée des Huns, soit après 375. En effet, il est l’expression d’un sentiment très répandu à Rome et dans l’Empire d’Occident à cette époque qui veut que les citoyens se sentent trop entourés d’étrangers. Le texte est un stéréotype parfait où se devinent le dégoût, la curiosité, l’effarement et le rejet. Le dernier texte est écrit par Priscos (ou Priscus), un historien grec, ambassadeur de l’empereur romain Théodose II auprès d’Attila, chef des Huns. Il a été rédigé vers 440, c’est-àdire au moment où Attila a infligé une défaite aux deux empires romains et que sa supériorité militaire n’est pas encore remise en cause. Là encore, le regard porté diverge de celui d’Ammien Marcellin : les Huns ne sont ni injustes ni brutaux et les plus cultivés des citoyens de l’Empire peuvent vivre avec eux paisiblement et, semble-t-il, dans la liberté. L’analyse de ces trois textes nous permet de comprendre que les migrations barbares, qui ont pu prendre à certaines époques la forme d’invasions armées, ne sont pas le fait de personnes parfaitement étrangères à la romanité. Et surtout, le terme « barbare » a pris un sens aujourd’hui qu’il n’avait pas à l’époque. Sans doute à partir du moment où l’Église, nostalgique de la romanité, écrivit l’histoire. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les Huns, peuple nomade, se déplacent de l’est vers l’ouest. L’Empire romain s’écroule en 476. Les Barbares (les étrangers) ont apporté des 36 techniques mais aussi des langues nouvelles qui deviendront l’anglais et l’allemand. Clovis et Charlemagne LIVRE PP. 54-59 Notions Mérovingiens, Carolingiens, empire, baptême, alliance politique avec l’Église, succession du royaume, héritage romain. Compétences • Confronter des documents de nature différente. • Analyser l’organisation de l’Empire par rapport à une carte et à d’autres documents. • Savoir associer deux personnages centraux de l’histoire à leur période respective. Exercices Cahier CE2 : Clovis, pp. 38-39 ; Charlemagne, pp. 40-41. Cahier CM1 : Le baptême de Clovis, pp. 6-7 ; Charlemagne, pp. 8-9. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Avec Clovis et Charlemagne, nous abordons la question de l’héritage romain. Clovis s’y situe en se confiant stratégiquement aux évêques et Charlemagne en recherchant l’appui de la papauté à Rome pour rétablir un empire aussi proche que possible, territorialement, de l’Empire romain, disparu plus de trois siècles auparavant mais qui reste le modèle politique. Cette période est très importante car elle donne son nom à la France ; elle donne également deux grands personnages à l’histoire, certes nationale mais aussi européenne. Cette période permet de montrer aux élèves que la France n’existe pas de toute éternité, en elle-même, mais qu’elle est le fruit d’une lente construction. Clovis et les Francs Les Francs s’installent dans les environs de Cambrai et de Tournai vers les années 440. Ces Francs Saliens (originaires de Salland, petite région située dans les Pays-Bas actuels) sont depuis le IVe siècle en alliance avec Rome. Leur roi Childéric meurt en 481. Il est remplacé par son fils Chlodweg (Clovis) qui, comme le note justement l’historien Michel Rouche, se considérait « comme un général romain maître d’un territoire abandonné ». Ceci est très important pédagogiquement, car cela va à l’encontre des façons de traiter l’histoire de France, qui veut que les Francs, peuple barbare, envahissent la Gaule. La réalité est, comme pour les « invasions » barbares, beaucoup plus complexe. Clovis pense son pouvoir dans et au service de la romanité ou de l’Empire. En 486 à Soissons, il bat Syagrius, un ancien général romain allié des Wisigoths (qui défendent un christianisme hérétique, hétérodoxe : l’arianisme), ce qui fit dire aux historiens qu’un général barbare romanisé l’avait emporté sur un général romain barbarisé. Ainsi, Soissons ne constitue pas, contrairement aux stéréotypes scolaires traditionnels, un choc de civilisations entre une horde barbare et des légions romaines. C’est tout simplement un conflit pour la domination d’un territoire laissé sans pouvoir depuis la chute de l’Empire romain. Mais Clovis sait que, pour tenir son pouvoir, il doit avoir le soutien des élites et des populations gallo-romaines. C’est à ce moment que se situe la bataille (et la victoire) contre les Alamans à Tolbiac dont, aujourd’hui encore, on doute de la date. Quoi qu’il en soit, entre 496 et 499, Clovis comprend qu’il doit se faire baptiser pour obtenir l’accord politique, essentiel, avec les seuls garants restants de la légitimité romaine : l’Église et ses évêques. Une promesse et des vœux sont faits à Clotilde, l’épouse burgonde de Clovis, de devenir chrétien en cas de victoire sur les Alamans. Après Tolbiac (ou avant : 496 ou 498 ?), Clovis scelle son alliance avec l’Église en se faisant baptiser par l’évêque Remi de Reims : « Dépose tes colliers Sicambre. Adore ce que tu as brûlé ; brûle ce que tu as adoré. » 37 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E En 507, fort du soutien de l’Église, Clovis soumet les Wisigoths à Vouillé (507) « avec l’aide de Dieu ». Paris devient capitale. Il est difficile de savoir comment évolue la société sous Clovis. Mais ce qui semble acquis par la recherche historique, c’est que la domination franque se coule dans l’organisation de l’Empire romain, sans rupture majeure constatée. Clovis est un successeur plus qu’un conquérant. Il n’y a pas de substitution d’élites locales ; pas d’encadrement franc. En revanche, les coutumes franques s’affirment au moment de la mort de Clovis. En 511, le royaume est partagé suivant la coutume entre ses quatre fils héritiers. Le moment carolingien Au début du VIIIe siècle, après Clovis, la Gaule (que l’on appelle la Francie depuis le VIIe siècle) est très morcelée et divisée, en proie aux luttes intestines. Elle connaît une grave crise royale. Les sources du pouvoir passent progressivement des mains du roi à celles de la grande aristocratie, tant laïque qu’ecclésiastique, qui capte les impôts royaux et s’arroge tout ou partie des pouvoirs régaliens (ceux du roi). Dans cette Gaule où domine désormais la lingua rustica romana (le roman), le maire du Palais (chargé de l’administration du royaume) Charles Martel soumet progressivement les provinces. De plus, profitant de son pouvoir militaire et politique nouveau, auréolé du prestige d’avoir repoussé les Sarrasins en 732 (à Moussais, près de Tours, et non à Poitiers), Charles Martel tente également de soumettre l’Aquitaine et la Provence. Ses conquêtes se font sous le règne de la terreur et de la christianisation forcée, notamment à l’est du Rhin. Par un coup d’État, le fils de Charles Martel, Pépin le Bref, devient roi des Francs en 751. Comme David et Saül, rois de l’Ancien Testament, il est le premier à recevoir l’onction du saint chrême (huile sacrée servant aux onctions pendant des cérémonies religieuses et, notamment, lors du sacre du roi). Sous son règne, une conquête systématique de la Gaule du sud est entreprise, notamment de l’Aquitaine 38 et de la Septimanie. Quand il meurt en 768, il laisse un royaume agrandi et soutenu par la papauté. Charlemagne qui lui succède poursuit les conquêtes qui lui attirent autorité, prestige et grandeur (Carlo Magnus signifie Charles le Grand ou Charlemagne). La puissance que procurent les conquêtes territoriales et le poids de son autorité permettent le sacre à Rome par le pape le 25 décembre 800 (comme Clovis le 25 décembre 496 ou 498). En effet, pour le pape, c’est la garantie d’un soutien politique unique et sûr, déjà éprouvé. Pour Charlemagne, il s’agit de capter l’héritage et le prestige de l’Empire romain, preuve que son souvenir hante les élites politiques de l’Occident chrétien de l’époque. Avec Pépin (le saint chrême) et plus encore avec Charlemagne, on assiste aux prémices de la création d’une monarchie de droit divin. En croyant retrouver ou refonder l’empire d’Auguste – Charlemagne ne se fait-il pas appeler Auguste sur les monnaies qu’il frappe ? –, les Carolingiens innovent pourtant en devenant les représentants de Dieu sur terre ; ils sont les bienfaiteurs pour bâtir icibas la cité de Dieu. L’État carolingien est organisé en tant qu’il est source unique du pouvoir public. La chancellerie à Aix-la-Chapelle contrôle ou souhaite tout contrôler. Les comtes dans l’empire sont réunis trois fois par an. Et les missi dominici (les envoyés du Seigneur) tentent d’éviter l’arbitraire des comtes trop éloignés d’Aix-la-Chapelle et maintiennent le lien direct avec l’empereur. La paix relative qui s’instaure sous Charlemagne permet l’organisation des échanges et des campagnes, au travers, notamment, de l’administration des grandes terres de l’empereur (des fiscs royaux et des grands domaines). La paix permet également ce que l’on a appelé la « renaissance carolingienne » : c’est-à-dire une rénovation cultuelle (enluminures, amélioration des manuscrits, redécouverte du latin, architecture avec, bien sûr, Aix comme capitale). Dans ce monde carolingien, l’Église garde le monopole de la culture lettrée savante. Les origines franques de l’histoire de France sont importantes car c’est le temps de la mise en Clovis et Charlemagne place d’une synthèse très subtile entre civilisations barbare, romaine et chrétienne, sans que ces trois termes s’opposent absolument. Cette monarchie deviendra monarchie de droit divin, en faisant de la Gaule et de ses habitants un peuple élu. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Le royaume de Clovis en 482, p. 54 La carte présente le royaume franc à la mort de Childéric (482). L’Empire romain est très morcelé. On repère le royaume du général Syagrius allié à l’immense territoire wisigothique. Cette carte est à travailler en la comparant avec la carte du royaume en 511, page 55. Le royaume de Clovis en 511, p. 55 À la mort de Clovis (511), le territoire franc s’est considérablement agrandi aux dépens des Wisigoths. Ce territoire sera disloqué entre ses quatre fils, conformément à la tradition du partage barbare. Baptême de Clovis, p. 55 Pour bien saisir l’alliance politique qui se joue dans ce texte, entre l’Église et Clovis, il convient de prendre, de préférence, le texte plus long contenu dans le cahier d’exercices CM1, page 16. Par son baptême, Clovis s’attire le soutien des évêques des territoires dominés par les Wisigoths dont le christianisme est hérétique (arien). Il s’attire également le soutien de Constantinople, capitale de l’Empire romain d’Orient. Le document est tardif (début XVe siècle), ce qui doit être indiqué aux élèves. Car tout le travail des Capétiens et des dynasties suivantes au travers des nombreuses histoires rédigées – c’est le cas ici des Grandes Chroniques de France –, c’est de montrer le lien monarchique entre eux, Clovis et Charlemagne, même s’il leur faut déformer ou inventer des filiations. Ce document permet de comprendre ce que signifie la monarchie de droit divin, visuellement. Si l’on regarde les personnages, on repère Clotilde à gauche avec une couronne, Remi la main levée pour récupérer l’huile sacrée (le saint chrême) apportée de Jérusalem par la colombe et, bien sûr, Clovis au centre, légère- ment surélevé (donc en position de roi, de supérieur). Au-dessus de lui, la voûte céleste fait évidemment référence à Dieu. Mais, si l’on regarde bien, il n’y a rien entre lui et le Ciel (c’est-à-dire Dieu). C’est la définition même de la monarchie de droit divin : nulle personne en position intermédiaire, le roi étant en lien direct avec Dieu. Texte de Grégoire de Tours, p. 55 La vie de Clovis nous est connue grâce à l’évêque Grégoire de Tours, qui écrit près de 70 ans après les événements. Cette source presque unique a longtemps été un frein à la compréhension de l’époque, car Grégoire de Tours n’est pas contemporain de Clovis. Mais il représente cette aristocratie ecclésiastique sensible au pouvoir du roi franc. Lu tel quel, le texte peut laisser penser que Clovis n’est qu’un guerrier impitoyable et cruel. De plus, le partage du butin fut longtemps perçu comme une pratique typique des Barbares. Or, c’est oublier que les légions romaines opéraient de même. Ensuite, il faut lire le texte comme la reconnaissance de Clovis par l’Église d’un homme providentiel, dans des temps troublés par l’absence d’un pouvoir temporel solide. Grégoire met en scène un homme de caractère, dans la droite ligne des récits panégyriques des empereurs romains, disposant de la force, du caractère et du courage. Sacre de Charlemagne, p. 56 On assiste à une scène de couronnement conventionnel peinte plusieurs siècles après l’événement. Le roi agenouillé s’apprête à recevoir du pape Léon III la couronne qui fera de lui un empereur. Cette représentation gomme les relations complexes qu’il y avait entre le futur empereur et Rome. La veille du couronnement, la date de celui-ci n’était pas encore fixée. C’est le pape qui a pris la décision de brusquer le cours des événements. 39 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E Texte d’Éginhard, p. 56 Jeune aristocrate franc, Éginhard (780-840) entre en 791 à l’école du palais à Aix-laChapelle. Il est éduqué au contact des lettrés et des savants qui forment une académie internationale autour de Charlemagne. À l’avènement de Louis le Pieux, Éginhard devient son homme de confiance et joue un rôle politique important avant de se retirer en 828 pour mener une vie éloignée du monde. C’est sans doute pendant cette période qu’il écrivit la biographie de Charlemagne, une vie exemplaire et magnifiée, qui connut un grand succès. Lettrine, p. 57 Charlemagne encouragea l’ouverture d’ateliers près des monastères et des églises. Dans ces ateliers les moines recopient des manuscrits. L’importance accordée à la lecture et l’écriture fait du livre un objet précieux. Bien écrit, il est mis en valeur par l’illustration. Le scribe est aussi un peintre. Les pages commencent fréquemment par une lettre décorée (la lettrine) à l’intérieur de laquelle figure un petit tableau. Somptueusement reliés, les manuscrits sont conservés dans des bibliothèques. Huit mille manuscrits carolingiens sont parvenus jusqu’à nous. Chapelle du palais d’Aix-la-Chapelle, p. 57 En 790, Charlemagne entreprend de grands travaux dans le palais d’Aix-la-Chapelle. Il fait construire différents bâtiments réservés à la résidence royale, à l’administration et au logement de la cour qu’il souhaite avoir près de lui pour pouvoir la contrôler. Une galerie couverte en pierre relie les différents espaces entre eux. À l’une des extrémités de cette galerie se trouve la chapelle, lieu de culte et salle du trône. C’est un vaste monument couvert d’une coupole s’élevant à 31 mètres. L’intérieur dessine un octogone. Sur les côtés courent deux galeries, ouvertes sur le centre par de larges baies et soutenues par deux niveaux de colonnes. Le roi et la cour occupaient la galerie supérieure. Le trône, fait de quatre plaques de marbre de Carrare, était sous un grand porche. Le roi a fait 40 venir de Rome des colonnes, des mosaïques et des marbres, ainsi que quelques mosaïstes pour décorer l’intérieur de la coupole. On remarquera dans les décors la présence abondante d’or et d’argent, du bronze pour les portes et les balustrades de la galerie haute et une alternance de marbre blanc, gris et polychrome. Les missi dominici de Charlemagne et le Brevet de nomination d’un comte, pp. 58-59 Les distances dans l’Empire sont telles, qu’il est presque impossible à Charlemagne de parcourir l’ensemble de ses territoires. Il le fait à certaines occasions, mais le plus souvent, c’est depuis Aix-la-Chapelle qu’il adresse ses ordres ou ses lois. Cela pose tout le problème du contrôle du territoire. Absent des comtés, l’empereur est obligé de faire confiance aux comtes, liés par un contrat public, administratif, pourrait-on dire, de fidélité à l’empereur. Ce contrat est composé d’un brevet, où sont déclinées toutes les obligations du comte, représentant du seigneur dans l’Empire. Les trous laissés dans le texte étaient destinés à être remplis par le nom et la région du comte à qui Charlemagne remettait le comté. Les comtes et les ducs représentent le roi dans chaque partie de ce royaume et les évêques envoient des missionnaires dans les campagnes pour diffuser la religion chrétienne. Mais bien sûr, du fait de la distance, les comtes disposaient d’une autonomie telle qu’ils pouvaient se croire autorisés à prendre des libertés parfois trop importantes. C’est pourquoi Charlemagne et ses conseillers inventent les missi dominici. Ceux-ci sont des agents de l’empereur, directement rattachés à lui et chargés de vérifier auprès des comtes la bonne application des directives de l’empereur. C’est pour Charlemagne autant une nécessité qu’une garantie. La position des missi dominici sur le document iconographique page 58 indique clairement leur lien de subordination et de soumission à l’autorité de l’empereur. L’Empire de Charlemagne en 814, p. 59 Le territoire de Charlemagne à sa mort est, du fait des conquêtes militaires, très étendu ; il l’est beaucoup plus que celui de Clovis. Il est borné Clovis et Charlemagne au sud par l’émirat de Cordoue. Le monde musulman est en pleine construction, après la mort du prophète en 632. Les Omeyyades (dynastie régnante de 661 à 1031) glissent vers l’ouest du Maghreb pour remonter vers la péninsule Ibérique. Freinés à Moussais en 732 par Charles Martel, ils fondent l’émirat de Cordoue, visible sur la carte. À partir du IXe siècle, l’Espagne musulmane connaît un épa- nouissement politique, économique, intellectuel et culturel considérable. Mis à part la péninsule Ibérique, l’Empire de Charlemagne (avec les territoires qu’il domine) a presque retrouvé les limites de l’ancien Empire romain d’Occident. En faisant un travail en classe entre la carte et les directives données aux comtes, on comprend mieux la difficulté qu’avait Charlemagne à contrôler l’ensemble de cet empire. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Clovis, roi des Francs, appartient à la lignée des Mérovingiens, alliés des Romains. Pour augmenter son pouvoir, il devient chrétien. Pépin le Bref fonde la dynastie des Carolingiens dont le plus célèbre, Charlemagne, est sacré empereur. Son palais est à Aix-la-Chapelle. Les comtes, installés dans les régions, l’aide à gouverner son empire. 41 L’ H É R I TA G E A N T I Q U E La fin de l’Empire de Charlemagne LIVRE PP. 60-61 Notions Partage de Verdun, naissance des châteaux, raids, naissance du pouvoir capétien. Compétences • Analyser le bouleversement d’une époque. • Savoir associer une œuvre patrimoniale (tapisserie de Bayeux) à une période historique. Exercices Cahier CE2 : La tapisserie de Bayeux, pp. 46-48. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La fin de l’équilibre carolingien Pour expliquer la fin de l’Empire, il faut envisager les deux limites principales de l’équilibre carolingien. Le péril extérieur ne faiblit pas. Dès 799, avant même le sacre à Rome, les incursions normandes (les Vikings) commencent. Si l’on ajoute, plus tardivement, les raids des Hongrois (depuis l’est) et des Sarrasins (par le sud), on comprend que le territoire carolingien subit des secousses très importantes, sur tous ses flancs. Le contrôle et le mode de transmission héréditaire du royaume – la patrimonialité dans sa version barbare, c’est-à-dire le partage entre enfants – sont des périls qui menacent l’Empire de l’intérieur. « Diviser, morceler, voilà la règle. La royauté franque, depuis l’origine, en a toujours usé ainsi : répartir ce que l’on tient entre héritiers mâles. Chacun a droit à quelque chose. […] Juste est le père qui partage équitablement », nous dit Laurent Theis. Le partage de 840 sera fatal. Si Charlemagne n’a plus qu’un fils à sa mort en 814, Louis le Pieux, ce n’est pas le cas lorsque celui-ci meurt en 840. Ses trois fils se disputent alors l’héritage et, malgré une première répartition, se font la guerre. Le partage définitif a lieu à Verdun en 843 : l’Empire carolingien s’est éteint. Une autre histoire démarre, celle d’un domaine royal inscrit dans la féodalité naissante. L’affaiblissement de l’autorité royale Le chapitre aborde également la question du développement des châteaux et de la parcellisation de l’autorité royale. 42 Émergence de la société féodale Après 843, le pouvoir des rois des Francs de l’ouest n’est plus ce qu’il était. L’aristocratie a mis la monarchie « sous tutelle » : elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Cette période est le temps de la dislocation de l’autorité royale et du pouvoir public. Nombreux sont les comtes et leurs seigneurs qui accaparent une parcelle de l’autorité publique à des fins privées. Le temps des invasions qui reprend n’est bien souvent qu’un prétexte pour construire des mottes castrales, premiers embryons des châteaux féodaux qui, sous couvert de protection de la population, deviennent le centre économique d’une nouvelle organisation sociale. Il convient de rappeler que c’est au roi que revient le droit absolu d’élever des fortifications et des tours. En 862, au plus fort des incursions normandes, le roi Charles le Chauve s’alarme : « Tous ceux qui, ces derniers temps, ont élevé sans notre autorisation des châteaux, des fortifications ou des palissades, détruisent toute fortification de ce genre avant le 1er août. » Malgré ses craintes et ses protestations, les remparts ne disparaissent pas ou, une fois détruits, sont reconstruits. Le seigneur domine et fait exploiter la terre par les paysans rassemblés autour de la butte, témoin de son nouveau pouvoir, au moment où la terre (grâce à des conditions climatiques favorables) donne des produits en abondance. Les profits liés à l’utilisation et à la possession de la terre se doublent d’une conjoncture La fin de l’Empire de Charlemagne favorable (fin Xe siècle), lorsque le commerce de l’or et les échanges, dynamisés par la péninsule Ibérique en plein « boom » économique (surtout en Catalogne), se développent. Hugues Capet : un roi élu par ses pairs La fiction du lien avec le roi ne parvient pas à cacher la prise d’indépendance décisive des principautés et des comtés de 850 à 950. Lorsque Louis V meurt le 22 mai 987, il n’a pas de successeur. Hugues Capet, le duc des Francs, d’un lignage royal différent (les Robertiens), devient roi des Francs, après avoir été élu par les Grands du royaume, dont beaucoup de ses fidèles et de ses alliés. Comme l’écrit Laurent Theis : « Le duc des Francs, fort d’une légitimité propre déjà ancienne, a pris acte, à son profit, d’une vacance de la royauté. Rien de plus. Osons le mot, cet incident dynastique n’est pas un événement, c’est comme on dit, un épiphénomène. Rien de plus neutre que cette péripétie, rien de plus terne que cet antihéros. » En classe, face aux élèves, on notera que ce faible roi que fut Hugues Capet est resté dans l’histoire comme le premier des rois de la dynastie capétienne. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Le partage de Verdun en 843, p. 60 Le partage de Verdun est vu par beaucoup d’historiens comme le début de notre histoire nationale, sans doute du fait de la proximité avec la France moderne des découpes du territoire à l’ouest. Après presque deux années de guerre, le temps de la discussion est venu. On se range à l’idée d’un partage le plus équilibré possible. Le traité de Verdun est signé en août 843. C’est la fin de l’unité impériale telle que l’entendaient Charlemagne et son fils. Texte d’Ermentaire, p. 61 Le texte est rédigé par Ermentaire, moine de l’abbaye de Noirmoutier en Normandie. Il s’agit d’un des rares textes conservés sur les invasions et les raids des Vikings. À partir de 830-840, les Normands interviennent régulièrement sur les côtes. Ce qui les intéresse, ce sont les richesses et principalement celles contenues dans les églises et les monastères, soigneusement et régulièrement pillés. Les premiers raids impressionnent, mais aussi, et surtout, ceux de 856 où beaucoup de villes sont touchées dans l’intérieur des terres jusqu’à Amiens, Paris, Meaux, mais aussi Orléans, Périgueux ou Limoges. Des révoltes s’organisent, des alliances se nouent. Le ton du texte est dramatique. Chez les gens d’Église, on y voit le châtiment de Dieu face aux péchés du monde. Car les hommes d’Église sont tués, passés par les armes, ce qui est rare dans l’histoire et qui est réellement impensable à l’époque. Mais on ne croit plus aujourd’hui au fait que les invasions normandes et sarrasines soient responsables de la chute de la royauté franque. Car ce sont essentiellement les biens d’Église qui furent visés. On comprend mieux les lamentations d’Ermentaire, mais aussi des historiens, privés par les raids et les destructions des Vikings de la mémoire écrite accumulée dans les monastères pendant de longues années et à jamais disparue. L’armée normande attaque Rennes, p. 61 Le document du livre de l’élève montre l’attaque d’une place forte édifiée sur une motte castrale. La motte castrale est une sorte de colline naturelle ou artificielle. Un fossé creusé au pied de la butte et une palissade installée dans la partie haute protègent le donjon. Comme le soulignent les historiens, les Normands ne sont pas équipés pour attaquer et détruire des fortifications élevées. Ce fut souvent suffisant pour contenir provisoirement l’avancée des Vikings. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les rois carolingiens sont trop faibles pour protéger le territoire. Les comtes confient leurs terres à des hommes importants et choisissent un roi parmi eux, Hugues Capet. 43 T R O I S I È M E PA RT I E LE TEMPS DES SEIGNEURS E T D E S C AT H É D R A L E S Le document iconographique présenté en ouverture de partie illustre magnifiquement le modèle de l’amour courtois qui apparaît dans la France du XIIe siècle. Georges Duby l’évoque dans un de ses articles du beau volume de l’Histoire des Femmes consacré au Moyen Âge1. Le dessin rend compte de ce jeu qui se noue entre une femme et un homme célibataire désigné à l’époque par le mot « jeune ». Le « jeune » est en bas du bâtiment, il tient un arc ou une arbalète, dont la métaphore est une flèche. Car tout amour courtois part d’un regard jeté. La flèche « pénètre par les yeux, s’enfonce jusqu’au cœur, l’embrase et y porte le désir ». C’est d’un siège dont il s’agit, comme on assiège une forteresse. La dame est présente en position haute, à sa fenêtre, ce qui la place socialement au-dessus de lui. Il doit s’agenouiller pour accomplir des gestes d’allégeance, comme le vassal face à son suzerain. Le cheval à côté de lui signale qu’il doit être noble. Car, au moins dans la construction du modèle, il n’y a pas d’amour courtois hors de la noblesse. Mais la femme est une femme mariée et, comme telle, elle est soumise à la surveillance des autres. Voler un regard est souvent un exploit qui peut devenir un danger s’il est aperçu par quelqu’un d’autre. C’est le sens de la présence de la femme à sa droite dont on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit de sa propre mère. En effet, « il n’est pas étonnant qu’un personnage féminin soit placé au cœur d’un dispositif pédagogique visant à discipliner l’activité sexuelle masculine, à juguler les débordements de la brutalité virile, à pacifier, à civiliser, dans le progrès général et fulgurant du XIIe siècle, la part la plus violente de la société, le milieu des gens de guerre », c’est-à-dire les chevaliers, nous explique Duby. Dans un siècle où la violence a été la caractéristique de la mutation féodale (XIe-XIIe siècle), l’amour courtois s’inscrit dans la pacification généralisée des habitudes guerrières et meurtrières. Véhiculé par les chansons de geste, les poèmes et les divertissements, ce modèle se diffuse largement et impose un mode de relation aux femmes qui, d’une certaine manière, les protège largement de l’agressivité masculine non contrôlée en leur donnant un rôle central dans ce jeu à deux. 1. « Le modèle courtois », in DUBY G. et PERROT M., Histoire des femmes, (tome 2), Plon, 1991. 44 Seigneurs et paysans au Moyen Âge ( X I e - X I V e siècle) LIVRE PP. 64-71 Notions Nouveaux rapports sociaux, féodalité, fief, seigneurie, suzerain, vassal, évolutions (techniques, agraires, sociales…), foires, commerce, développement des villes. Compétences • Savoir lire de façon critique des documents. • Savoir lire un document iconographique. • Pouvoir citer les moyens de la dépendance des paysans à l’égard des seigneurs (corvées, taille, impositions…). • Savoir utiliser un vocabulaire spécifique et précis. Exercices Cahier CM1 : Seigneurs et paysans au Moyen Âge, pp. 10-13 ; Marco-Polo, l’aventurier marchand, p. 22. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Après la dislocation de l’Empire carolingien, on assiste à un véritable morcellement du pouvoir. Le château devient le signe le plus visible du pouvoir des seigneurs sur les campagnes qu’ils contrôlent. La disparition d’un pouvoir public fort et reconnu, garant de l’unité du royaume, et l’amélioration des productions agricoles sont deux facteurs qui aiguisent les appétits… Une société féodale La parcellisation et le large morcellement du territoire royal rendent possible l’installation de la société féodale. Elle s’organise autour de l’indépendance prise par les grands du royaume et, à chaque niveau, par ceux qui ont des ambitions. Ainsi, à chaque échelon de l’exercice du pouvoir, l’autorité publique (la justice, le pouvoir militaire, l’ost, la récolte des impôts…) est « captée » par des personnes privées. Le symbole de cette captation des prérogatives royales et de la militarisation de la société, c’est le développement des mottes castrales, c’est-à-dire des mottes de terre où sont dressées des palissades et progressivement une tour. Au fil du temps ces tours deviennent des donjons et enfin de véritables forteresses. Le château a un double rôle : protéger et dominer. Car la société des Xe et XIe siècles est une société d’insécurité. Les hommes libres (alleux) cherchent ou sont contraints de se confier à des hommes plus forts. C’est la disparition de la société d’hommes libres (sauf peut-être dans le sud de la France) et la très large diffusion des petites seigneuries indépendantes. Ce vaste mouvement de regroupement des hommes dans des villages autour d’un symbole fort du pouvoir local (le château) a été appelé par les historiens « l’encellulement des hommes ». Car ce regroupement, s’il a pu être volontaire à certains moments, s’apparente très souvent également à une obligation et à une véritable « terreur seigneuriale » – le terme est de Bonnassie. Le lien vassalique Avec la présence nouvelle du château, le lien vassalique organise aussi la société féodale. La vassalité est un contrat par lequel un homme devient le dépendant d’un autre : le suzerain. Il s’agit bien d’une relation réciproque, « Je te protège, tu me sers », mais toujours d’une relation de dépendance. La cérémonie de l’hommage et le serment de fidélité prononcé au moment de cette cérémonie indiquent que le vassal s’engage non seulement à ne pas nuire au suzerain, mais à le défendre ou, le cas échéant, à se battre pour lui. En échange, le suzerain lui concède un 45 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S fief, matériel (une terre) ou immatériel (un droit de douane au passage d’un pont) et l’assure de sa protection. Dans la pratique, on peut être vassal de plusieurs seigneurs mais avec le privilège uniquement pour un : c’est l’hommage lige. Ce modèle hiérarchique s’étend à toute la société noble : c’est le féodalisme, c’est-à-dire un mode de pouvoir, de domination et de contrainte. Au sommet de la hiérarchie féodale se trouve le roi, même si, au XIe siècle, cette supériorité est très théorique. Le roi, pendant toute la période féodale (XIe-XVe siècle), tente de redonner du sens au lien féodal, purement formel dans la pratique au début du XIe siècle. L’essor du monde rural Au cœur du féodalisme, les campagnes sont en plein essor jusqu’au XIIIe siècle. Cette croissance s’observe dans l’accroissement des défrichements. De plus, les paysans rassemblés en village développent une organisation cohérente de l’exploitation des sols avec l’assolement. Des techniques agraires nouvelles apparaissent. La charrue, qui creuse plus profondément le sol, remplace l’araire. Ces progrès se font contre les paysans qui sont obligés de payer des taxes pour utiliser le moulin ou le pressoir du seigneur. Non seulement le seigneur bénéficie de l’amélioration des récoltes, mais en plus, par son pouvoir de domination (le ban), il exige des paysans des taxes, des impôts et des corvées importantes. C’est le grand développement de la seigneurie dite « banale ». Plus tard, au XIIIe siècle, des seigneurs plus libéraux organisent très souvent des villages nouveaux : des bastides, des villes neuves qui ont laissé dans la toponymie des noms comme Villeneuve, Villefranche… – notamment dans l’Aquitaine anglaise des Plantagenêts. Pour attirer à leur service le plus grand nombre de paysans, ces seigneurs leur proposent l’exonération de certaines taxes ou corvées. En retour, ils espèrent retirer des bénéfices de la vente de leurs produits sur les marchés. Les villes s’animent Les villes médiévales, si importantes soientelles dans le dynamisme de cette société féodale, ne sont que des « kystes » dans le paysage, d’après l’heureuse expression de Robert Fossier. Leur taille reste petite. Avec l’expansion des campagnes, les villes constituent pourtant une autre expression du dynamisme économique de cette période. Deux facteurs principaux l’expliquent : d’une part la croissance démographique et d’autre part l’expansion agricole qui offre des surplus à commercialiser. C’est l’époque du grand développement du commerce terrestre et maritime où la Méditerranée s’affirme grâce aux villes florissantes de l’Italie du Nord. Deux facteurs expliquent cette prospérité urbaine. D’une part la ville domine par le fait qu’elle dispose de fonctions spécifiques par rapport à l’ensemble de la société profondément rurale – des fonctions urbaines économiques : artisanat, commerces, foires… où les corporations de métiers occupent une place très importante, des fonctions religieuses avec les évêchés et des fonctions intellectuelles avec les universités naissantes qui sont très liées. D’autre part, la ville est un espace privilégié. Les villes obtiennent en effet très tôt (1080) des franchises et des chartes des seigneurs qui leur accordent exemption d’impôts et de taxes ainsi que des libertés. Les bourgeois (habitants des villes) profitent ainsi du fait que les seigneurs ont tout intérêt à voir se développer ces centres économiques et commerciaux. Ce qu’ils perdent en exonérant certaines taxes, ils le récupèrent par l’enrichissement global de la ville et le développement de ces échanges. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Naissance et évolution d’un château fort, p. 64 Le dessin est la reconstruction type d’une évolution, parmi d’autres, du passage de l’érection 46 d’une motte à la construction d’un château. Tout d’abord les villageois libres (les alleux), isolés ou regroupés, cultivent la terre sans contrainte autre que les conditions et les calamités naturelles S e i g n e u r s e t p a y s a n s a u M o y e n  g e ( X I e- X I V e s i è c l e ) et les dévastations épisodiques des raids barbares (1.). Au moment de l’affaiblissement du pouvoir public de l’État carolingien, des seigneurs profitent de l’insécurité du temps – lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes facteurs de cette insécurité à l’égard des paysans – pour élever des mottes de terre protégées de palissades et de fossés où se dresse une tour, symbole du nouveau pouvoir récemment acquis (2.). L’ensemble est en bois et devient le point de départ du rassemblement des paysans autour de la motte castrale. Puis la forteresse se pérennise pour devenir un ensemble fortifié toujours en bois, sauf dans sa partie centrale où le donjon en pierre se dresse (3.). Le château fort peut naître. Le château fort de Bonaguil, p. 65 Le château de Bonaguil dans le Lot-et-Garonne est à la fois absolument typique, dans sa construction, du château médiéval traditionnel et atypique du fait qu’il est assez tardif. Sa construction débute au XIIIe siècle et se termine au XIVe siècle. Détruit en partie pendant la guerre de Cent Ans, il fut reconstruit en tenant compte des dernières avancées techniques. De ce fait, il réunit l’ensemble des caractéristiques architecturales du château : douves, donjon, mâchicoulis, barbacane, murs d’enceinte, pontlevis, tours d’enceinte… Le seigneur y habitait avec sa cour. Il y rendait la justice et recevait ses vassaux, entouré de sa famille et de ses gardes. Cérémonie de l’hommage, p. 66 Ce document montre, et il est intéressant de le voir avec les élèves, que le modèle féodal de l’hommage est un modèle européen. Dotée de grandes cours princières, l’Espagne médiévale n’échappe pas à la règle. La cérémonie qui met en scène Alphonse II d’Aragon (1164-1196) s’inscrit sur le modèle de toutes les cérémonies de ce type au Moyen Âge. Trois moments importants constituent la cérémonie entre le suzerain et le vassal : d’abord le vassal (ici les vassaux) se met à genoux et donne ses mains jointes au seigneur, puis il se relève et les deux personnages se donnent le baiser ; ensuite le vassal prête serment sur un objet sacré en jurant fidélité au suzerain ; enfin, dernière étape, le suzerain donne au vassal un morceau de terre, ou un objet qui symbolise le fief qu’il lui remet. Il s’agit d’une terre et parfois d’argent, par l’intermédiaire d’un droit de péage, de douane ou d’une taxe à prélever sur les paysans dont le vassal pourra garder un pourcentage. Car, dans les devoirs de réciprocité du suzerain, il y a l’obligation d’entretenir le vassal et de le protéger en cas d’agression d’un autre seigneur. Texte de l’hommage d’après Galbert de Bruges, p. 66 Ce document doit être étudié en comparaison avec le document iconographique représentant le roi Alphonse II. Il reprend sous une forme écrite la plupart des informations données visuellement par l’enluminure du manuscrit médiéval aragonais, mais en plus, il précise que le vassal doit observer cet hommage « de bonne foi et sans fraude », ce qui, à cette époque, n’est pas une figure de style. Dans la redéfinition des pouvoirs de force, les félons (c’est-à-dire ceux qui ne respectaient pas leurs devoirs) étaient légion, les conflits incessants et les guerres entre seigneurs nombreuses. Ce texte fait parler le document iconographique du dessus : en ce sens, ils sont indissociables dans leur analyse. Organisation de la seigneurie, p. 67 Ce dessin n’est que la construction théorique d’une seigneurie banale traditionnelle. De manière générale, le finage d’une seigneurie s’organise de la façon suivante : il est composé de deux parties distinctes, la réserve et les tenures paysannes. La réserve appartient au seigneur. C’est la partie occupée par ses habitations, son château, les terres cultivées par les corvées paysannes ou par des serfs, les forêts où le seigneur est le seul à avoir le droit de chasser. Cette réserve permet au seigneur de consommer tout ce qu’il croit nécessaire pour affirmer son appartenance à la noblesse, elle lui permet aussi d’entretenir des troupes et une cour. Les tenures, quant à elles, sont composées de terres, cultivées par les paysans, et du village. Le moulin et le pressoir, comme le four à pain, appartiennent au seigneur : les paysans doivent payer pour pouvoir les utiliser. 47 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S Miniature sur les défrichements, p. 69 Cette enluminure est une magnifique expression de la dualité de la société féodale entre le monde des seigneurs (à gauche) et le monde paysan (à droite). Deux personnages (un suzerain et son vassal ? un seigneur et son conseiller ou son intendant ? un seigneur et un abbé ?) grands par la taille – la symbolique médiévale est importante et renvoie à la position sociale de chacun – assistent aux travaux des champs (moisson et défrichements) réalisés par des paysans plus petits et plus nombreux. Ces derniers travaillent pour les premiers, près de la demeure seigneuriale. Peut-être même s’agit-il de corvées. L’analyse de ce document peut se faire en isolant chacune des deux parties et en les dévoilant l’une après l’autre. La ville de Saint-Pourçain, p. 70 Le développement des villes se fait souvent de façon anarchique. Le bâti est dense, avec l’église en son centre. La ville de Saint-Pourçain est délimitée par des remparts qui attestent de leur rôle militaire et défensif. Au pied des remparts, le faubourg s’étend, composé de vignes, de potagers, de champs et de petites fermes. Dans Dossier L E S C H E VA L I E R S À l’origine les chevaliers sont des cavaliers, c’est-à-dire des hommes à cheval, qui sont désignés par le seigneur à la protection des donjons érigés en bois ici et là. Progressivement, dès la fin du XIe siècle et plus sûrement au XIIe siècle, les cavaliers vont être intégrés à la noblesse. Un rite initiatique est créé et prend la forme de l’adoubement. Cette double page vise à présenter les principaux éléments de la chevalerie médiévale (adoubement et aspects religieux, notamment par les croisades) tout en permettant aux élèves de comprendre qu’il y a un fossé entre le mythe de la chevalerie vertueuse et courtoise et la réalité d’un monde d’hommes rustres le plus souvent, violents toujours. Le récit 48 ce type de gravure, on perçoit les prémices de l’expansion urbaine, d’abord circonscrite dans les limites des remparts, puis dépassant les murailles pour gagner les faubourgs. Le commerce en Europe au XIIIe siècle, p. 71 Sur cette carte sont situées les principales aires géographiques dominantes du commerce européen. On peut, à partir de cette carte, réfléchir avec les élèves sur la place centrale des foires de Champagne (Lagny, Bar-sur-Aube, Provins et Troyes), mais également sur leur ancrage européen, à l’heure où le programme incite fermement à sortir de l’histoire hexagonale. Cette carte permet également de montrer les flux commerciaux de l’époque vers la Baltique et la Méditerranée et surtout vers la Chine – la route de la soie ayant été ouverte par des commerçants italiens tels que Marco Polo. On insistera sur les produits échangés et la place des foires les plus centrales (l’espace rhénan et les foires de Champagne), centres dynamiques et florissants de l’Occident médiéval, concurrents et compléments directs de l’Italie du Nord et de Venise. PP. 72-73 vient donner d’autres informations à mettre en relation avec les documents, mais aussi permet aux élèves de percevoir combien l’image que nous avons de la chevalerie médiévale est largement issue d’un mythe que les romans de chevalerie ont construit et imposé avec succès dans l’Europe occidentale tout entière. C’est la poésie de cour qui impose cette image mythifiée d’une chevalerie portée au secours de la veuve et de l’orphelin. Dans cette littérature, les chevaliers sont l’exact opposé des « vilains », c’est-à-dire des hommes du peuple, paysans, mendiants, qui y sont décrits comme sales et laids. Il s’agit d’une véritable idéalisation des chevaliers, qui va à l’encontre de la réalité historique. Or, comme l’écrit l’historien D. Barthélemy : « Consécration des S e i g n e u r s e t p a y s a n s a u M o y e n  g e ( X I e- X I V e s i è c l e ) uns, disgrâce des autres. Tout éloge de la chevalerie comporte une grande complaisance à l’égard des puissants et, à l’égard des faibles, un injuste dédain. » Adoubement d’un chevalier, p. 72 Le rite de l’adoubement s’est très tôt imposé à l’ensemble des cavaliers destinés à entrer dans la noblesse féodale. À l’origine, il devait s’agir d’une épreuve de sélection pour départager ceux des paysans riches qui pourraient défendre le seigneur et son donjon. Très vite ne subsiste que le rite lui-même, qui consiste en une cérémonie pendant laquelle le seigneur, ou le parrain du chevalier, frappe le futur chevalier de la paume ou de l’épée sur la nuque ou l’épaule. Sur cette miniature du XIVe siècle (petite scène décorant les manuscrits anciens), les différents temps de l’adoubement sont représentés, comme en contraction ; car l’adoubement pouvait prendre deux jours, entre la veillée de prières qui précédait la cérémonie proprement dite. Au centre, dans une position de prière, se tient le futur chevalier. L’Église sacralise cet acte en intervenant de plusieurs manières : d’abord par la veillée de prières, avant le jour dit, ensuite en bénissant les armes et en demandant aux impétrants de prêter serment sur les Évangiles. Pendant qu’il effectue sa prière et son serment tourné vers Dieu (port de tête relevé), le nouveau chevalier se voit remettre son épée, mais aussi ses éperons, signe certain d’une évolution notable (éperons et étriers apparaissent au siècle). Derrière lui, des camarades d’armes s’apprêtent à lui remettre le heaume destiné à protéger la tête pendant les combats ainsi qu’un écu (un bouclier frappé à ses armes) lui permettant de se protéger des coups. Sur la gauche du document, on peut voir les troubadours (des chanteurs-jongleurspoètes qui vont de château en château) accompagnant l’ensemble de la cérémonie. Car ce jour sera chanté partout en fonction de la renommée du nouveau chevalier. Ces troubadours témoignent également du fait que, au fur et à mesure que l’adoubement se codifie, la cérémonie est suivie d’un banquet et de festivités. XIe Un chevalier et sa monture, p. 73 Archétype du chevalier au service de Dieu, ce chevalier, un genou à terre, un étendard sur l’épaule, le cheval lui-même en position de prière, s’adresse à Dieu. La croisade décidée par Urbain II en 1095 (voir livre de l’élève, pp. 78-79) rassemble tous les cadets de famille sans terre et sans biens, tous les chevaliers aventuriers en mal de terrains de combat. Au nom de dieu, les croisades provoquent des dégâts considérables. Urbain II a promis aux chevaliers partant en croisade la rémission de leur péchés et l’absolution pour tous leurs forfaits, occasion unique pour une classe militaire très indisciplinée, y compris à l’égard des biens de l’Église dont ils convoitaient sans relâche les richesses. Éléments pour une synthèse Les chevaliers choisis par le seigneur pour protéger son domaine sont souvent violents. Dans les chansons de geste, ils deviennent des héros courageux ayant de bonnes manières. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La société féodale se met en place avec des suzerains et des vassaux. Un nouvel espace s’organise autour du château, la seigneurie. Grâce au commerce, on vit mieux dans les campagnes et les villes se développent. 49 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S L’ É g l i s e a u M o y e n  g e ( X I e- X V e s i è c l e ) LIVRE PP. 74-79 Notions Art roman, art gothique, église, cathédrale, monastère, papauté, croisade, intolérance, pèlerinage, les trois ordres, affirmation de l’Église. Compétences • Analyser et identifier l’organisation de la société en trois ordres. • Savoir identifier des styles architecturaux. • Pouvoir isoler des éléments, des indices confirmant la place de l’Église dans la société. Exercices Cahier CM1 : L’Église au Moyen Âge, pp. 14-15. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Il faut replacer l’histoire de l’Église dans le contexte troublé de la mutation féodale des XIe et XIIe siècles. Face aux exactions seigneuriales et au brigandage, l’Église est la seule puissance à pouvoir proposer des règles de vie commune suite à la disparition de l’autorité publique. Car l’Église est, par tradition, attachée au pouvoir public. En effet, ses règles sont édictées par les grands évêques issus de la plus grande aristocratie du temps. Les liens familiaux entre les grands princes, les rois et ces évêques sont nombreux. Il s’agit bien du même monde social. Vers la paix de Dieu Pour imposer son autorité sur le monde et pacifier les excès de la période, surtout du fait des seigneurs en armes et des chevaliers sans scrupule, l’Église tente d’imposer, et y parvient, des « paix de Dieu », des « trêves de Dieu » afin de canaliser l’ardeur guerrière des seigneurs. Car elle est elle-même une puissance terrienne, un gros propriétaire de terres très riches et, de ce fait, constitue une très forte puissance économique, notamment par ses principaux monastères (Cluny, Cîteaux, Moissac…). N’ayant pas d’armes, les ecclésiastiques disposent du regard de Dieu et peuvent prononcer des excommunications ou des interdits contre des seigneurs accapareurs de terres, ce qui, à l’époque, est très grave. Beaucoup de communautés ecclésiastiques créent des sacrariae, c’est-à-dire des 50 terres protégées symboliquement par des croix délimitant le territoire qui doit rester inviolé par les incursions des « brigands ». La toponymie des campagnes d’aujourd’hui garde des traces de ce mouvement de rassemblement de paysans dans un territoire protégé par l’Église : sauveterre, sauvetés… La réforme monastique Cluny, fondé en 909 par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, représente la richesse de l’Église, avec ses terres, ses bâtiments, l’immensité de son abbatiale et son influence européenne, jusqu’à Rome. Par opposition au luxe de l’Église, un mouvement de retour aux valeurs et aux sources du christianisme et de JésusChrist se développe au XIIe siècle. De nouveaux ordres monastiques naissent dans le respect de l’idéal de pauvreté et de chasteté, preuve que ces deux idéaux pouvaient ne pas être si fréquents. Bernard de Clairvaux fonde l’abbaye de Cîteaux, en Champagne, et celle de Fontenay, en Bourgogne, qui essaiment à leur tour des abbayes partout en Europe. L’idéal cistercien repose sur la pureté et la simplicité des formes architecturales, répondant ainsi aux vœux très stricts prononcés par les moines de cet ordre. Retirés dans l’austérité, la rigueur et la solitude d’une forêt, d’une clairière ou d’un champ loin des villages, les moines prient pour les malheurs et les péchés du monde mais retrouvent aussi le L’ É g l i s e a u M o y e n  g e ( X I e - X V e s i è c l e ) goût du travail, oublié par les frères clunisiens enfoncés dans le vice du luxe. À ce titre, pour un seigneur, disposer d’une abbaye à proximité, fonder une succursale d’ordre monastique, pouvait lui assurer le salut. En effet, les moines ont le monopole de la prière légitime, c’est-à-dire qu’ils sont au XIIe siècle les mieux placés pour assurer le salut. L’appel à la croisade C’est de l’évêque Adalbéron, de famille proche du pouvoir royal, que nous est venu le premier document (fin XIe siècle) concernant la répartition de la population en trois ordres. Par son intermédiaire, l’Église a figé l’explication du monde terrestre dans la plus pure tradition indo- européenne d’une trifonctionnalité : ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. C’est par rapport à ces deux éléments – exactions des cadets de famille sans terre désireux de se tailler une part des terres de l’héritage de l’aîné par les armes et imposition d’une doxa explicative du monde – qu’il faut comprendre l’appel à la croisade d’Urbain II (cité dans le récit de l’élève, p. 79). Par cet appel prononcé à Clermont, une chance est offerte à l’aristocratie laïque d’assurer son salut sans renoncer à sa vocation militaire. Car la récompense de la croisade, c’est « l’indulgence plénière » – l’expression est d’André Vauchez –, c’est-à-dire le pardon des fautes commises. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S L’abbaye de Sénanque, p. 75 Le monastère de Sénanque, dans le Vaucluse, est fondé en 1148 au moment du grand renouveau spirituel incarné par Cîteaux et Bernard de Clairvaux. Le cloître permettait les déambulations méditatives, les discussions théologiques ou sur la vie quotidienne du monastère entre moines. (Voir le site Internet de l’abbaye de Sénanque à l’adresse suivante : http://senanque.fr) L’église de Vézelay, p. 76 À l’origine, un monastère fondé en 857 fut déplacé sur les hauteurs pour échapper aux incursions normandes. Mais la construction de la basilique romane et de son chœur caractéristique, avec son alternance de pierres blanches et rouges, date de 1104. L’église est une véritable bible de pierre : des décors sculptés sur les chapiteaux racontent la vie de Jésus, la création du monde et la fin des temps. Ainsi, de très nombreux croyants apprennent le christianisme. C’est à Vézelay que Bernard de Clairvaux prêcha la deuxième croisade, le 31 mars 1146. Cette basilique fut à la fois, et est encore, une église de moines et une église destinée aux pèlerins. Elle fut longtemps le point de rassemblement et de départ d’un des chemins du pèlerinage de Compostelle. (Voir le site Internet de l’église de Vézelay à l’adresse suivante : http://vezelay.cef.fr) Dessins d’architecture, p. 76 Dans l’espace symbolique que représente une église, se déploie un double mouvement : une progression d’ouest en est, des ténèbres vers la lumière, et une élévation du parvis vers l’autel, de la terre vers le Ciel. Le parvis est une petite place d’où l’on entre dans l’église, son nom vient du mot « paradis ». L’entrée de l’église franchie, on arrive dans la nef, du mot latin navis, « vaisseau », réservée aux fidèles. Les transepts forment une croix avec la nef et marquent la limite entre l’espace laïc et le chœur réservé au clergé. L’abside, partie en demi-cercle qui termine le chœur, abrite le sanctuaire où s’élève l’autel. Les laïcs ne pouvaient y pénétrer. Le sanctuaire richement meublé et très éclairé contraste avec la nef. Allégorie de la religion juive, p. 77 La cathédrale de Strasbourg, dont la construction s’étend sur plus de deux cents ans (1176-1449), illustre richement l’histoire de la sculpture gothique. De part et d’autre du portail sud se trouvent les statues allégoriques les plus célèbres de la cathédrale : L’Église et La Synagogue. Ces statues ont été réalisées au début du XIIIe siècle par des artistes venus de Chartres. Ces deux jeunes femmes symbolisent la vérité (l’Église) et l’erreur (la Synagogue). Tout au long du Moyen Âge, les chrétiens ont avec les 51 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S juifs un dialogue qu’ils interrompent par des périodes de persécutions et de massacres. Cet antijudaïsme rampant se transforme en antisémitisme au XIIIe siècle. Cela explique cette représentation de L’Église triomphante et de La Synagogue aux yeux bandés. Dans un travail avec les élèves, on peut leur demander, à l’inverse, d’imaginer, de dessiner ou de représenter sous une forme ou sous une autre, comment les artistes ont pu sculpter l’Église triomphante. Portail roman et portail gothique, p. 78 Ces deux photos ont l’intérêt de permettre aux élèves de retrouver sur de vrais portails les dessins théoriques de la page 76 avec l’arc roman de plein cintre et l’arc brisé en ogive. On peut faire décrire aux élèves la simplicité dépouillée du portail roman, comparé au portail gothique d’architecture plus complexe et orné de sculptures et de détails dans le travail de la pierre. L’art gothique s’est imposé au milieu du XIIe siècle, car il permet l’élévation des églises. Les croisées d’ogives permettent de répartir le poids non plus sur les murs (ce qui permet l’apparition des vitraux), mais sur les piliers eux-mêmes aidés par les contreforts disposés à l’extérieur. La première croisade, p. 78 Plutôt que d’entrer dans les détails inutiles des différentes croisades, il est utile avec les élèves de considérer attentivement la carte de la première croisade prêchée par Urbain II à Clermont. On distingue trois chemins, trois trajets différents, selon d’où l’on part et selon le seigneur que l’on suit. Les trois personnages importants sont indiqués. Cette première croisade est un succès du fait, selon Barthélémy, de trois raisons objectives : d’une part la division des forces musulmanes et l’entraînement intensif des armées chrétiennes, après un siècle ou presque de combats permanents et, d’autre part, la terreur que suscite leur présence après le massacre de Jérusalem en 1099. Histoire anonyme de la première croisade, p. 79 Le massacre des habitants de Jérusalem a été raconté par des chroniqueurs chrétiens qui accompagnaient les troupes de croisés. De cet extrait, on n’a retrouvé que le texte et rien sur l’auteur. Le document de l’époque, sans doute écrit par un témoin, décrit la défaite des Sarrasins (musulmans) dans toute sa cruauté. Mais, par l’écriture et l’utilisation des pronoms personnels (« notre », « nos »…) et le fait qu’ils pleurèrent de joie, le texte indique clairement sa dimension prochrétienne. On est dans le récit d’un « miracle » : on passe par des épreuves, mais celles-ci sont inévitables et justes car la récompense est au bout du voyage. Texte d’Ibn Al-Athir, p. 79 Dans ce texte au contraire, on connaît l’auteur. Chroniqueur musulman, il décrit le même événement, mais pas tout à fait de la même manière. On peut, avec les élèves, envisager un tableau comparatif. Au préalable, un travail sur le vocabulaire devra être fait pour les mots comme « ascète » (personne qui vie une existence austère, tout entière tournée vers la méditation et le dépouillement), « dévot » (qui respecte avec un zèle important les règles religieuses), « imam » (responsable religieux dans l’islam) et « candélabre » (chandelier de grande taille à plusieurs branches). Le tableau met en évidence le fait que les mêmes protagonistes sont concernés, dans les même lieux (mosquée d’Al-Aqsa), même si le texte d’AlAthir est plus précis sur le nombre de victimes et la richesse volée par les croisés. Là où le sang qui ruisselle est évoqué avec complaisance face à ce nécessaire sacrifice dans le texte chrétien, au contraire une grande pudeur s’observe dans le texte musulman. Deux civilisations s’affrontent dont l’une, l’islam, est infiniment plus raffinée que l’autre, la chrétienté, à la même époque. Ce massacre fut un grand choc dans le monde arabe. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Au Moyen Âge, l’Église est puissante et riche. Elle fait construire de grands monastères et des cathédrales. Elle est présente dans chaque moment important de la vie de l’homme 52 (naissance, éducation, souffrance, mort). Elle demande aux seigneurs et aux chevaliers de se battre contre ceux qui ne sont pas chrétiens. La Méditerranée au Moyen Âge LIVRE PP. ( V I I I e - X I I I e siècle) 80-85 Notions Civilisation, la Méditerranée comme espace de civilisation, les sciences, les arts, tolérance, monde arabo-musulman, Islam. Compétences • Savoir repérer dans un document les éléments de richesse d’une civilisation. • Savoir confronter des documents les uns aux autres. Exercices Cahier CE2 : La naissance de l’islam, pp. 42-45. Cahier CM1 : La Méditerranée au Moyen Âge, pp. 16-17. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La Méditerranée : une zone de libre échange commercial et intellectuel Voilà un sujet qui n’était pas abordé à l’école élémentaire, si ce n’est sous une forme biaisée : les croisades ou les invasions arabes. Il ne restait dans l’esprit des élèves que deux choses stigmatisantes, au fond. La première était que Charles Martel avait arrêté les Arabes à Poitiers vers 732, sans que l’on explique précisément ce que les armées arabes faisaient là ; la seconde était que les chrétiens, pris de passion pour le tombeau du Christ, étaient allés « libérer » Jérusalem de l’occupation des Turcs Seldjoukides. Or, cette vision très scolaire était d’autant plus étonnante que, comme l’ont montré tous les grands historiens depuis Fernand Braudel et Georges Duby, la Méditerranée de cette époque était une vaste zone de libreéchange commercial et intellectuel, où le monde arabo-musulman dominait de sa culture brillante et réputée. Il est important de faire comprendre aux élèves que, bien que de religions différentes, les trois espaces de la Méditerranée (Occident chrétien, Byzance, monde arabo-musulman) font partie à part entière de notre héritage culturel. C’est tout l’objet de ce chapitre. Ce que nous devons aux Arabes se situe, entre autres, à cette époque charnière pour le monde politique, religieux, intellectuel et culturel au sens large. Cette vision des choses n’aurait pas été démentie par Albert Camus qui voyait dans la Méditerranée, « de Florence à Barcelone, de Marseille à Alger, tout un peuple grouillant et fraternel, être nourri de ciel et de mer » (Noces). Il est important d’avoir à l’esprit également que ce chapitre se prête aisément à des extensions pluridisciplinaires (en musique, mathématiques, poésie, sciences…). Dans la construction d’une mémoire nationale dont participent les manuels scolaires et le programme d’histoire en particulier, il était impensable que cette culture arabo-méditerranéenne d’échanges et de contacts divers, tolérante et infiniment riche, échappe aux apprentissages. Définir la France et l’Europe d’aujourd’hui, c’est aussi, et de plus en plus, l’urgence de rappeler l’histoire des enrichissements successifs. Comme le dit Philippe Joutard, il s’agit moins d’un devoir de mémoire que d’un devoir d’histoire. L’enracinement des enfants (de tous les enfants présents sur le sol français) dans une mémoire scolaire et sociale partagée et acceptée, passe absolument par là. La Méditerranée arabo-musulmane La Méditerranée, au Moyen Âge, est un des espaces dominants du monde. L’héritage romain a été enrichi par les dynasties arabes et byzantines du pourtour méditerranéen. Au début du 53 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S XIe siècle, l’Empire byzantin est, avec sa capitale Constantinople, un empire gardien de la romanité, directement héritier de l’Empire romain d’Orient. Véritable conservatoire de la culture gréco-latine, il est néanmoins en déclin. Venise le concurrence d’un point de vue commercial et ses frontières sont attaquées à l’ouest, par les Normands qui s’installent à Bari en 1071, comme à l’est, par les Turcs seldjoukides qui prennent Mantzikert la même année. En revanche, l’espace arabo-musulman méditerranéen est en plein âge d’or. Son essor date de la naissance de l’islam et de la mort du prophète Mohammad (Mahomet) en 632. En moins d’un siècle, l’islam, troisième religion monothéiste après le judaïsme et le christianisme, se répand très rapidement. Au XIIe siècle, cet espace arabomusulman est composé de trois espaces régionaux rassemblés autour d’une capitale (califat). Le califat de Bagdad, cœur de l’Islam et de la culture écrite, est rapidement au XIe siècle miné par les Turcs seldjoukides. Le califat du Caire, plus à l’ouest, est à l’interface des échanges entre les chrétiens byzantins de Constantinople, les Arabes du califat de Bagdad et les chrétiens commerçants de Venise et d’ailleurs. Le Caire règne sur les échanges des IXe-XIIe siècles. Enfin, plus à l’ouest, installés en Espagne, après avoir franchi en 711 le détroit de Gibraltar, les Omeyyades ont fondé la très brillante société d’Al-Andalus autour du califat de Cordoue, dans la tolérance des trois religions monothéistes du temps. Le califat de Cordoue, c’est ce que l’on a appelé « l’Espagne des trois religions ». Une société riche et tolérante Cette société de Dar-al-Islam (la « Maison de l’Islam »), éclatée en trois califats distincts, se distingue par un pluralisme important du fait des multiples interprétations qui sont faites des paroles du prophète Mohammad (Mahomet). Entre libéraux et doctrinaires, les débats sont intenses. L’absence de clergé organisé et de hiérarchie religieuse permet ces controverses à la fois théologiques et érudites. De la même manière, juifs et chrétiens sont tolérés, même s’ils doivent payer un impôt spécifique de 54 reconnaissance de la supériorité de la foi musulmane. Mieux, juifs et chrétiens participent très souvent aux échanges théologiques et intellectuels de l’époque, dans le respect de l’hospitalité musulmane présente dans le Coran (dhimma). Cette tolérance, jusque dans les années 1100-1130, a été à la source d’une « osmose culturelle », pour reprendre George Jehel, ou d’une synthèse culturelle tout à fait remarquable. La culture antique est traduite par les intellectuels juifs, arabes ou byzantins, dans des interprétations qui portent toujours à la confrontation d’idées ; les arts et les sciences bénéficient de cette émulation intellectuelle permanente. Cet espace est le règne de la philosophie, du droit et de la poésie. C’est tout cela qu’il faut mettre en regard de la société gallo-romaine ou franque en pleine dislocation depuis le Ve siècle. Les « Barbares » n’étaient pas au sud du VIIIe au XIIe siècle, mais bien au nord. On sait aujourd’hui avec précision comment l’élite ecclésiastique chrétienne de Cluny se rend systématiquement en formation intellectuelle dans les capitales (Tolède principalement) possédant les librairies indispensables à la construction d’une solide éducation. Et cette culture, c’est par les Arabes de Sicile ou d’Espagne Al-Andalus qu’elle passe. La fin de « l’âge d’or » méditerranéen Les temps changent au XIIe siècle, lorsque les recompositions politiques et dynastiques perturbent cet « âge d’or » méditerranéen. Déjà les pouvoirs des califats avaient été remis en cause au XIe siècle – même dislocation du pouvoir public qu’en Occident chrétien. Mais avec la dynastie des Turcs seldjoukides à l’est (prise de Bagdad en 1055, puis de Jérusalem), celle des Almoravides au Maghreb (1039-1147) et des Almohades (1130-1267) au Maghreb comme en Espagne musulmane, le raidissement politique et idéologique de ces nouveaux pouvoirs est manifeste et se traduit par la suppression des libertés et des tolérances traditionnelles du monde arabe médiéval. De plus, confrontées aux offensives chrétiennes (Reconquista en Espagne, croisades), ces dynasties sombrent dans la guerre et le reflux. En 1130 déjà, la L a M é d i t e r r a n é e a u M o y e n  g e ( V I I I e- X I I I e s i è c l e ) Sicile musulmane est dominée par un comte normand ; en 1204, Constantinople est prise par les croisés. La bataille de Las Navas de Tolosa (1212) et la prise de Cordoue (1236) annoncent la presque entière reconquête de l’Espagne où il ne reste, en 1257, que le royaume des Nasrides (1230-1492) de Grenade pour témoigner de la splendeur de l’art musulman. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Le bassin méditerranéen au XIIe siècle, p. 80 On distingue sur cette carte les trois grands espaces politiques et religieux de la Méditerranée et de l’Europe au XIIe siècle qui sont en lieu et place de l’ancien grand Empire romain du temps de son unité : l’Occident chrétien, l’Empire byzantin (les chrétiens d’Orient) et les États musulmans. On peut remarquer l’immensité de ce dernier territoire et son emprise sur la façade sud de la Méditerranée. À l’ouest, la frontière passe à Tolède, prise aux musulmans en 1085 par les troupes chrétiennes de la Reconquista sous la direction d’Alphonse VII de Castille. La ville a connu et connaîtra encore un essor très important, sous l’influence des trois religions. Ville intellectuelle, elle recèle des trésors de bibliothèques dont aucun membre cultivé de l’Église chrétienne d’Occident ne mésestime le poids. Devenir pape, c’est d’abord aller à Tolède se confronter à cette richesse livresque, scientifique et théologique. Ce fut le cas notamment du pape de l’an mil, Sylvestre II. De plus, on peut noter que la Sicile est déjà redevenue chrétienne (1130). Il s’agit donc d’une carte inscrite dans une dynamique déjà bien amorcée de reflux de la terre d’Islam, face au renouveau chrétien médiéval. L’Alhambra de Grenade, p. 81 Le grand moment de la reconquête espagnole s’arrête provisoirement en 1257 ; le royaume des Nasrides possède encore, en terre d’Espagne, le royaume de Grenade avec les deux cités de Malaga et de Grenade. C’est à cette époque que débute, au XIIIe siècle, la construction d’un des joyaux de l’architecture musulmane. Le royaume de Grenade va rester, jusqu’à sa disparition en 1492, un conservatoire des mœurs, des arts et des échanges culturels de ce que fut la civilisation brillante d’Al-Andalus, faite de syncrétisme entre arabes, chrétiens arabisés et juifs. Manuscrit d’un prince syrien, p. 82 Ce texte livre une vision très intéressante de la façon dont les musulmans ont vu arriver les croisés. Il peut servir à montrer aux élèves à quel point les musulmans, qui n’appartenaient pas au rigorisme religieux des Turcs seldjoukides, ont été surpris de l’attitude des chrétiens croisés. Ousama Ibn Mounkiak, gentilhomme et guerrier syrien mort en 1188, un des membres les plus importants de l’aristocratie, proche de Saladin, a écrit son autobiographie. Dans cette Vie d’Ousama, le récit met en lumière les difficiles rapports entre musulmans et croisés. Ni les croisades, ni l’établissement des croisés en Orient n’ont favorisé la connaissance réciproque des deux civilisations. L’intérêt des Francs de Palestine pour le monde arabe reste le fait de quelques individus connaissant l’arabe, mais ils sont rares. Dessin de pompe à eau, p. 82 Ce document est extrait du célèbre traité d’automates d’al Djazari. Cet auteur connaissait très bien les mécaniciens grecs d’Alexandrie. Il cherche à les dépasser en apportant des perfectionnements à ces mécaniques. Ce document témoigne également de la volonté des Arabes de conserver les techniques présentes dans les régions qu’ils occupaient ou de réactiver celles qui avaient progressivement disparu au fil des siècles, en particulier dans le domaine de l’hydraulique. Ainsi ils ont relancé des systèmes pour l’irrigation (pompe à eau et roue à jante creuse animées par des buffles, irrigation par noria…). 55 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S L’observatoire de la tour de Galata, p. 83 Dans le monde arabe, l’astronomie se développe comme une science exacte avec la connaissance des textes grecs de Ptolémée (ils seront traduits en arabe autour des années 820). Deux observatoires sont construits en 826-827 à Bagdad et à Damas pour vérifier les résultats obtenus par Ptolémée. Les Arabes restent dans la tradition géocentrique de Ptolémée mais, de plus en plus, ils cherchent à réaliser une œuvre originale. Des observatoires sont créés à Maragha (à la frontière entre l’Iran et la Turquie actuelle) au XIIe siècle, à Samarkand au XVe siècle, à Istanbul au début du XVIe siècle avec l’élaboration de mappemondes et de portulans. Ces observatoires ont la charge de mettre au point de nouveaux modèles pour expliquer le mouvement des planètes. Mais, pour aller plus loin, il faut attendre une autre révolution qui aura lieu non pas dans le monde arabe, mais en Pologne avec Copernic. La scène présentée dans le document renvoie également à l’intense pratique de l’enseignement. Il n’y a pas de science arabe sans enseignement systématique. Avicenne et Al-Khawarizmi (qui fonde l’algèbre moderne) peuvent être considérés comme des symboles de cette période historique majeure. La mosquée de Cordoue, p. 84 Cette mosquée a été construite dès le début de l’implantation des Omeyyades, à partir de 785. Elle ne va pas cesser d’être agrandie, améliorée, reconstruite et réaménagée, jusqu’en 966, par les différents émirs de la ville. Construite sur le modèle « arabe » inauguré à Damas dès le VIIIe siècle, elle comportait à l’origine 11 nefs orientées vers la Mecque et ouvrant sur le jardin des Orangers. À la fin du Xe siècle, elle compte 19 nefs. La capitale de l’Occident musulman médiéval est donc Cordoue, cité de près de 500 000 habitants. Musulmans, juifs et chrétiens arabisés (mozarabes) contribuent à faire de cette ville, dès le VIIIe siècle, un espace de tolérance et de développement des arts et des sciences. Portrait d’Averroès et statue de Maïmonide, p. 85 Averroès (1126-1198) est né à Cordoue, lieu d’une activité intellectuelle brillante. Ce philosophe fut aussi médecin et juriste. Il servit comme juge à Séville et à Cordoue. Plus tard il devint médecin en chef du calife Abn Yaquib Yusuf. Il s’est également intéressé à l’astronomie et à la grammaire. Mais c’est surtout comme commentateur d’Aristote qu’Averroès fut connu des Latins. L’un des points clés de ses écrits est que la philosophie et la religion sont en accord. Philosophique ou symbolique, ainsi sont les deux modes d’expression d’une même vérité. Il fut banni de la cour pour hérésie et connut l’exil. Rappelé au bout de trois ans, il mourut peu après. Traduite en latin au XIIIe siècle, son œuvre est au cœur du débat philosophique jusqu’audelà de la Renaissance. On étudie Aristote en utilisant les commentaires d’Averroès. Maïmonide (1135 ou 1138 ?-1204) est né lui aussi à Cordoue. Il étudie la Bible et le Talmud (ensemble de textes interprétant la bible et fixant les règles de la vie civile et religieuse dans la religion juive) et s’adonne aux études scientifiques. Quand les Almohades prennent le pouvoir à Cordoue (1165), Maïmonide et sa famille quittent la ville, fuyant les persécutions religieuses. Il s’installe à Alexandrie puis au Caire. C’est là que Maïmonide écrivit, en arabe, Le Guide des égarés. C’est par ses écrits qu’il se fit connaître dans le monde juif et reconnaître comme un maître spirituel. Il fut aussi médecin à la cour de Saladin. Mort en Égypte, il fut inhumé à Tibériade en terre d’Israël. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE À partir du VIIIe siècle, se développent en Orient deux civilisations brillantes : Byzance et l’Islam. Dans l’Espagne musulmane, les sciences, les arts et la poésie sont très dévelop- 56 pés. Cordoue est une ville très tolérante. Deux savants célèbres, l’un musulman, Averroès, et l’autre juif, Maïmonide, sont les derniers représentants de ce moment de civilisation très riche. Le pouvoir des rois de France au Moyen Âge ( X I e - X V e siècle) LIVRE PP. 86-89 Notions Extension du domaine royal, affermissement du pouvoir royal, dynastie capétienne, exclusion des femmes du trône. Compétences • Savoir caractériser l’évolution du royaume à l’aide de cartes. • Situer les grands moments et les grands repères de la construction du royaume en y associant le nom des principaux personnages et rois. Exercices Cahier CM1 : Des héritiers mais pas d’héritières, pp. 18-20 ; le pouvoir des rois de France au Moyen Âge, p. 21. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Un pouvoir royal fragile L’histoire de la monarchie française de l’avènement d’Hugues Capet (987) à Louis XI (1483), c’est l’histoire d’une lente construction de l’État monarchique et d’une lente reconquête du pouvoir public. Lorsque Hugues Capet prend le pouvoir après avoir été élu par son clan, il ne cesse d’être contesté par un membre de la famille carolingienne revendiquant l’hérédité sur l’élection (Charles), mais aussi par les grands du royaume non présents à l’élection. Si Hugues Capet devient roi, c’est qu’il a la réalité du pouvoir entre ses mains. Mais, à cette époque, le pouvoir du roi est peu de chose, concurrencé qu’il est par les prétentions des grands, les rivalités aristocratiques et l’immense parcellisation du pouvoir seigneurial. De plus, son cadre territorial, le domaine royal, est très restreint (voir les différentes cartes proposées dans le livre de l’élève). En effet, le domaine que domine le roi capétien au tournant de l’an mil est limité à l’Île-de-France, non sans difficulté du reste car les seigneurs voisins sont prompts à demander une taxe d’entrée en seigneurie à chacun de ses passages. Le duc de Bourgogne, par exemple, est à cette époque beaucoup plus puissant territorialement. La reconquête du pouvoir public par les premiers Capétiens La priorité des premiers Capétiens au XIe siècle va donc être de consolider leur position très fragile – les fils du roi n’hésitent pas eux-mêmes à fragiliser encore un peu plus, si cela est possible, le pouvoir royal en réclamant, avant la mort de leur père, une part ou l’intégralité du titre royal. Cela signifie rétablir l’ordre, lutter contre le brigandage et les exactions seigneuriales, mais aussi, et surtout, affirmer un pouvoir royal supérieur à tous les autres pouvoirs seigneuriaux. À la question de savoir si les premiers rois capétiens sont, ou non, des seigneurs comme les autres, luttant pour la souveraineté de leur domaine et les prétentions de seigneurs plus puissants, on pourrait répondre à la fois oui et non. Oui, car la réalité de leur pouvoir est telle qu’ils sont placés dans l’obligation de défendre pied à pied leur pouvoir, comme n’importe quel seigneur du temps. Non, car les Capétiens inventent, avec l’aide de l’Église, un moyen idéologique destiné à asseoir durablement leur pouvoir : la consécration religieuse. Le sacre Être roi, c’est presque une fonction sacerdotale en des temps où les symboles religieux sont des armes. Le sacre confère un prestige inégalé, avec la cérémonie de l’onction (avec l’huile de 57 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S la sainte Colombe), le costume du sacre, la remise des emblèmes royaux et l’acclamation. En souvenir de Clovis, avec qui on crée une lignée acrobatique au travers de l’étude des généalogies, on est sacré à Reims et inhumé à Saint-Denis. Se développe également ce que Marc Bloch a magnifiquement étudié, à savoir le pouvoir thaumaturgique des rois : le roi est marqué par Dieu de son empreinte et peut, de ce fait et par délégation, disposer d’un pouvoir guérisseur. Le roi au sommet de la hiérarchie vassalique Placés du même coup au sommet de la hiérarchie féodale, les rois vont reconquérir un pouvoir au-dessus des autres seigneurs en recevant les hommages des plus grands seigneurs. Ils font jouer le système féodal à leur profit et limitent du même coup l’indépendance des grands vassaux par l’hommage lige, c’est-à-dire l’hommage préférentiel accordé au roi. Ce fut un des moyens de contraindre les grands du royaume à l’obéissance. Hérédité de la royauté et continuité dynastique Un autre moyen pour consolider leur pouvoir va être d’établir l’hérédité de la royauté avec la succession du fils aîné. Les Capétiens rompent ici avec la patrimonialité des Barbares, source de dilapidation irrémédiable du patrimoine. Mais, bien entendu, pour que cette opération politique réussisse, il a fallu des circonstances généalogiques étonnantes et imprévisibles : que chaque roi ait un fils aîné, ce qui fut le cas jusqu’au début du XIVe siècle ! Cette donnée particulière a favorisé l’éclosion d’un pouvoir royal prêt à entreprendre l’extension du domaine royal. Le royaume s’agrandit Les rois capétiens étendent le royaume par leur rôle de suzerain : confiscation des terres (en cas de désobéissance), récupération de fiefs (en cas de succession impossible), stratégies matrimoniales (si les femmes ne servent pas à être reines, elles servent à faire revenir, par mariage, des terres dans l’escarcelle familiale). Mais c’est surtout au XIIIe siècle et au début du XIVe siècle que les souverains agrandissent le royaume. D’abord grâce au règne de Philippe 58 Auguste (1180-1223) qui remporte la célèbre bataille de Bouvines contre son vassal le comte de Flandres, allié des Anglais. Le roi utilise la guerre et fixe la capitale à Paris qui se retrouve entourée de remparts imposants (enceinte Philippe Auguste). Émergence de l’État monarchique moderne Enfin, les rois capétiens jettent les bases d’un État moderne. Louis IX – que la papauté canonisera immédiatement après sa mort en croisade sous le nom de Saint Louis – a une grande importance dans cette histoire d’affermissement du pouvoir royal. On connaît l’image que l’école de la IIIe République et celle plus récente ont perpétuée : celle d’un roi sage et humble assis sous son chêne pour rendre la justice. Mais la justice royale est une justice seigneuriale qui affirme là encore un pouvoir contre les autres justices seigneuriales. Ce sera pour Louis IX un de ses moyens d’action politique majeur. Car, au fur et à mesure de l’agrandissement du royaume, apparaît la nécessité de faire respecter le roi dans ses provinces. L’exercice de la justice (attribut du pouvoir royal) se double de la mise en place d’une administration où sénéchaux et baillis représentent le roi. En 1314, les premiers états généraux du royaume réunissent des représentants des trois ordres. L’État monarchique moderne se met en place. Louis IX rattache à la couronne le Languedoc et Toulouse. Lorsque Philippe le Bel meurt en 1314, il ne reste plus que quatre grands fiefs indépendants du domaine royal : la Bretagne, la Bourgogne, les Flandres ainsi que la Guyenne (Aquitaine) que possèdent les Anglais. Le chapitre destiné aux élèves évite les détails superflus et s’attache aux grandes figures de cette problématique de l’affermissement du pouvoir royal en en donnant les grandes lignes. Bien sûr, le choix d’étude peut se porter sur un autre roi, plus conforme à l’histoire locale. Louis XI, par exemple, est un roi qui mériterait un sort meilleur que celui que l’historiographie et l’école lui ont trop longtemps réservé. En L e p o u v o i r d e s r o i s d e F r a n c e a u M o y e n  g e ( X I e- X V e s i è c l e ) effet, et sans occulter la part sombre de son règne, dans les temps troublés qui sont les siens (contre les grands du royaume et principalement Charles le Téméraire), le roi a mis toute son énergie à faire son « métier de roi », proté- geant la fonction et assurant par une politique fiscale et commerciale originale une situation de quasi-prospérité dans le royaume, après les malheurs de la guerre, de la peste et des famines. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Évolution du royaume de France, cartes, pp. 86, 87 et 89 • Carte du royaume en 987 : le domaine royal est un ensemble confus d’éléments disparates dont il est difficile de faire l’inventaire. Il est groupé autour d’Orléans, d’Étampes, de Paris, sur le cours moyen de la Seine et dans la vallée de l’Oise. • Carte du royaume en 1224 : pendant son règne, Philippe Auguste sort victorieux du conflit avec la maison d’Anjou. À la bataille de Bouvines, il triomphe de ses adversaires. Toutes les possessions anglaises au nord de la Loire deviennent possessions du roi. Le domaine royal couvre un tiers de la France actuelle. • Carte du royaume en 1270 : en 1229 prend fin la croisade des Albigeois. Toulouse est rattachée à la couronne. Louis IX négocie la paix avec Henri III, roi d’Angleterre. Ce dernier renonce à la Normandie. Il traite également avec le roi d’Aragon et assure une mainmise sur le Languedoc. • Carte du royaume en 1314 : Philippe le Bel continue d’agrandir le domaine royal en annexant Lyon et en incorporant la Champagne. • Carte du royaume en 1429 : alors que l’entrevue de Jeanne d’Arc et de Charles VII se prépare, le territoire français est divisé en trois : – la France occupée par les Anglais : la Normandie, le Nord et Paris (la frontière n’est pas facile à définir : elle évolue au gré d’une guerre confuse) ; – la France restée fidèle à Charles VII réfugié à Bourges : le Midi et l’Anjou ; – la France dominée par la Bourgogne (liée au pouvoir anglais). Aliénor d’Aquitaine, p. 87 Aliénor d’Aquitaine est née vers 1122. C’est la fille d’un des plus grands personnages du royaume de France, le dernier duc d’Aquitaine (la Guyenne), Guillaume X, qui régnait de façon indépendante du roi sur le sud-ouest du royaume. À l’âge de quinze ans, elle est mariée au futur Louis VII, roi de France, avec en dot les immenses fiefs de la Guyenne, la Saintonge, la Gascogne et le Poitou qui, de ce fait, réintègrent la couronne royale. Femme de caractère, participant activement aux affaires politiques, elle est répudiée par Louis VII en 1152. C’est alors qu’elle se remarie avec Henri de Plantagenêt, futur roi d’Angleterre (1154). Du même coup, l’intégralité, ou presque, du duché d’Aquitaine passe sous la domination seigneuriale des Plantagenêts, princes anglais. Son troisième fils, connu sous le nom de Richard Cœur de Lion, fit construire, contre Philippe Auguste, le château fort de Château-Gaillard. Sur le document, on voit Aliénor sur un cheval, signe de sa position de chevalier ou de seigneur. Dans les conflits qui l’opposent à son premier mari, Louis VII, comme avec son second mari, Henri II, elle fut une femme politique de première importance. Texte de Guillaume le Breton, p. 88 Ce texte, qui est un plaidoyer pour le roi Philippe Auguste par un de ses chroniqueurs royaux, est à déclamer. Il est important de passer un peu de temps sur ce document pour faire comprendre un procédé d’écriture hagiographique. Comment témoigner d’une action d’éclat exceptionnelle ou comment faire qu’une bataille devienne une référence de légitimation du pouvoir royal ? C’est tout l’enjeu du texte de Guillaume le Breton après la victoire de Philippe Auguste à Bouvines, qui se trouve dans le Nord. 59 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S La bataille de Bouvines en 1214, p. 88 Au XIIIe siècle, on diffuse et on traduit en français des récits historiques jusqu’ici écrits en latin. C’est ainsi que l’on traduit une histoire des croisades, une histoire de Charlemagne et de l’histoire ancienne. Ces textes sont accessibles à un public laïc. De ce mouvement naît l’idée de mettre en français une histoire de France quasi officielle que l’on nomme les Grandes chroniques de France. Cette œuvre a un tel succès qu’elle est poursuivie jusqu’au début du XVIe siècle. C’est dans le prolongement de ces chroniques que prend place le récit de Guillaume Le Breton consacré à la bataille de Bouvines. D’origine modeste, Guillaume a quitté la Bretagne à douze ans, après avoir appris à parler, lire et écrire. Parvenu à s’introduire dans l’entourage du roi, il s’y rend indispensable. Bouvines fut sa chance. Il perçut le premier l’importance de cet événement et en fit aussitôt un compte rendu aussi brillant que démesuré. Dès que le duc de Normandie devient roi d’Angleterre, les relations entre le roi Philippe Auguste et son riche vassal se tendent. À la première occasion, Philippe Auguste s’empare de la Normandie et de l’Anjou. Déshérité, le roi d’Angleterre forme une coalition conduite par l’empereur Otton IV. Les deux armées composées de chevaliers et de sergents à pied vont s’affronter un dimanche, le 27 juillet 1214. Dans un premier temps, l’aile droite française s’engage. Trois heures plus tard les Flamands sont vaincus et leur chef, le comte Ferrand, gravement blessé est fait prisonnier. Le document iconographique évoque cet épisode de la bataille. Ensuite les rois eux-mêmes sont, chacun à leur tour, mis en péril. Les sergents impériaux parviennent à désarçonner Philippe. Il doit la vie sauve à ses chevaliers. Une contre-attaque atteint à son tour Otton IV qui parvient à s’enfuir. L’aile gauche des coalisés s’incline bien plus tard. La nuit approche, la victoire est alors complète. Philippe Auguste se fait acclamer par le peuple le long de la route qui le ramène à Paris. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les rois parviennent à agrandir leur domaine par des mariages, des négociations ou en faisant des guerres. La guerre contre le roi d’Angleterre, qui voulait prendre la place du roi 60 de France, dura plus de cent ans. Quand Louis XI meurt, le pouvoir du roi est plus fort, le royaume de France est très étendu. Les crises de la fin du Moyen Âge ( X I V e - X V e siècle) LIVRE PP. 90-93 Notions Guerre de Cent Ans, famine, peste, guerre. Compétences • Savoir lire un document iconographique synthétisant les notions centrales de la période. • Savoir associer un grand personnage historique (Jeanne d’Arc) à une période historique. Exercices Cahier CM1 : Les crises de la fin du Moyen Âge, pp. 23-24 ; Jeanne d’Arc, pp. 25-26. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Le retournement de la conjoncture Après trois siècles d’expansion démographique et de développement économique, l’Occident chrétien médiéval connaît au début du XIVe siècle des signes de crises. Ralentissement des échanges, baisse du prix des grains et du revenu des seigneurs, montée du prix des grains en ville, premières formes de chômage artisanal et révoltes sporadiques sont des signes, depuis la fin du XIIIe siècle même, qui indiquent un retournement de tendance économique. Les premières grandes famines, qui avaient disparu depuis longtemps, réapparaissent au tournant du siècle, notamment dans le Languedoc et vers 1306-1310 en Europe. Certaines famines reviennent régulièrement tous les dix ou quinze ans. À cette crise, qui révèle par ailleurs les carences dans l’administration encore hésitante du royaume (ravitaillement défectueux, transports peu pratiques…), s’ajoute la peste noire (1348-1349). Venue par les rats transportés par les bateaux, la peste atteint très rapidement l’ensemble du continent européen. Toutes les villes commerçantes d’Europe sont touchées la première année, puis très rapidement, en moins de trois ans, l’intérieur des terres. On estime qu’un tiers de la population de l’Europe disparaît en cinq ans. La guerre de Cent Ans Les origines du conflit Dans cette conjoncture économique et sociale bouleversée, se surajoute un problème dynas- tique français très particulier, symbole du fragile équilibre du pouvoir royal et témoin du fonctionnement de la féodalité, qui va avoir une influence désastreuse : la guerre de Cent Ans (1337-1453). Lorsque le roi de France Philippe le Bel meurt en 1314, le pouvoir est confié à son fils, Louis X, pratique qui remonte à 987 dans la dynastie capétienne. Mais il meurt deux ans plus tard (1316) et n’a, fait exceptionnel depuis Hugues Capet, aucun garçon en descendance. Le pouvoir est transmis d’abord à l’un de ses frères Philippe V, puis à la mort de celui-ci, en 1322, à son autre frère, Charles IV qui meurt à son tour en 1328 sans descendance. Dès lors, la seule à pouvoir prétendre à la couronne de France, c’est le quatrième enfant de Philippe le Bel : Isabelle. Mais elle est mariée à Édouard II, roi d’Angleterre avec qui elle a un fils : Édouard III. Pour éviter le départ de la couronne dans les mains anglaises, les juristes du temps et de l’entourage royal mettent en place et codifient en 1328 la loi salique qui interdit désormais aux femmes d’hériter du trône. Isabelle est donc écartée et le pouvoir remis au neveu de Philippe IV : Philippe VI, comte de Valois. Une nouvelle branche de la dynastie capétienne émerge alors : les Valois. Tout d’abord, la guerre dite de Cent Ans a duré plus de cent ans (de 1337 à 1453). Cependant, il est important de comprendre que 61 L E T E M P S D E S S E I G N E U R S E T D E S C AT H É D R A L E S la guerre ne s’est pas déroulée en continu. Les opérations militaires, qui ne se déroulaient pas tous les ans, n’avaient lieu qu’au printemps, quand la saison le permettait, pour finir en octobre. Cette guerre est donc une longue suite de batailles plus ou moins coûteuses en hommes et en argent. Déroulement du conflit La guerre commence lorsque Édouard III, au nom de sa mère Isabelle, réclame la couronne de France au moment de son avènement au trône d’Angleterre en 1337. Pour montrer son indépendance au roi de France, il rompt l’hommage qu’il lui devait pour la Guyenne. Une première série de défaites affectent les armées du roi (Crécy en1346 et Poitiers en 1356), mais s’ensuit une lente reconquête des territoires perdus (1356-1380) grâce au commandant en chef des armées royales, le connétable Du Guesclin. La troisième phase de la guerre est à l’initiative des Anglais qui profitent de la guerre civile en France qui oppose Bourguignons et Armagnacs, au moment où le « roi fou », Charles VI, gouverne. La bataille d’Azincourt livre la France aux Anglais. Sa femme, la reine Isabeau de Bavière, reconnaît le roi d’Angleterre comme héritier du trône de France par le traité de Troyes. Après ce traité, la France est coupée en trois parties : au sud règne le futur Charles VII, dauphin répudié par Isabeau, au nord les Anglais et, au centre-est, le duc de Bourgogne allié des Anglais. L’épisode de Jeanne d’Arc C’est à ce moment précis de l’histoire de France qu’intervient Jeanne d’Arc. En trois ans (1429-1431) son ascension et sa chute sont fulgurantes. Elle délivre la ville d’Orléans et fait sacrer Charles VII à Reims en 1429. Elle meurt au bûcher de Rouen, brûlée par les Anglais, en 1331, après un procès en sorcellerie monté de toutes pièces, qui cache mal un authentique procès politique. Son influence est très forte dans l’entourage royal, en permettant l’affirmation d’un courant « français » (jusque-là très flou) dans la définition de la couronne. C’est cette raison qui fit de Jeanne d’Arc, au XIXe siècle, l’outil et le symbole (avec Vercingétorix) de la construction du sentiment national. La guerre de Cent Ans se termine en 1453, lorsque les troupes royales reprennent le fief de Guyenne aux Anglais. Incontestablement, cette guerre a servi à consolider le pouvoir royal, en permettant, pour financer la guerre, de lever des impôts permanents : aides (sur les denrées) et tailles (impôts directs sur les bourgeois et les paysans, la noblesse en est exemptée). Famines, peste noire, guerre, la trilogie dramatique des XIVe-XVe siècles marquera à jamais l’image du Moyen Âge, dont les historiens nous rappellent sans cesse que, derrière cette image, se cache une réalité plus complexe et moins noire qu’il importe de faire découvrir aux élèves. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Progression de la peste noire en Europe, p. 91 Cette carte rend compte de la propagation de la peste noire. Au début d’octobre 1347 des vaisseaux génois venus de Crimée débarquent à Messine leur cargaison, leurs malades et des rats noirs porteurs de bacilles. Toute l’Italie est contaminée dans les semaines qui suivent. En décembre, c’est à Marseille qu’un autre bateau apporte la maladie. La contagion est favorisée par l’arrivée de la chaleur. En juin 1348, la maladie est à Paris. En décembre, elle atteint 62 la Manche et les Pays-Bas sont contaminés. En 1349, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Autriche sont touchées à leur tour. En décembre 1349, elle ravage l’Écosse et la Scandinavie, et se répand en Europe atlantique, dans les Pyrénées et en Espagne. Elle réapparaît avec brutalité en 1360, puis de 1368 à 1370, en 1378, de 1380 à 1383, puis de façon récurrente jusqu’en 1441. Cent ans de peste ! Après une relative rémission pendant la Renaissance, la peste resurgit en force au XVIe siècle. Les dernières grandes pestes en Occident sont celles de Londres en 1665 et de Marseille en 1720. La L e s c r i s e s d e l a f i n d u M o y e n  g e ( X I V e- X V e s i è c l e ) disparition de la peste en Europe au XVIIIe siècle reste mal expliquée. Texte sur la peste, p. 91 La contagion est imparable : l’haleine à quelques mètres suffit pour contracter la maladie, à plus forte raison le toucher. Les habits des malades, les cadavres gisant dans les rues propagent le fléau. La maladie frappe surtout ceux qui demeurent dans les villes et ne peuvent les quitter. Les pauvres moins nourris mais aussi plus entassés dans de petits logements sont les plus atteints. Face à ces épidémies, la médecine est totalement impuissante. Les méthodes les plus efficaces restent la mise en quarantaine, voire l’exclusion. Le seul moyen d’échapper à la maladie, c’est de la fuir en quittant la ville ou de s’emmurer dans sa maison. De nouvelles études minimisent aujourd’hui le rôle des rats. On fait également l’hypothèse qu’un virus aurait pu être à l’origine de la peste en Occident, sans que l’on puisse réellement le décrire encore. Trois portraits de Jeanne d’Arc, p. 92 Trois portraits de Jeanne d’Arc illustrent la leçon consacrée à la guerre de Cent Ans. Le premier est presque contemporain de Jeanne d’Arc. Le second est réalisé au XIXe siècle, dans l’exaltation nationale du siècle. Le troisième est tiré d’un des nombreux films consacrés à l’héroïne d’Orléans au XXe siècle ; ici, il s’agit du film de Jacques Rivette dans lequel Sandrine Bonnaire incarne la Pucelle. L’intérêt pédagogique de ces trois documents est de faire prendre conscience aux élèves de la postérité du personnage. Personne réelle au XIVe siècle (alors que beaucoup de zones d’ombre ne sont pas encore levées historiquement sur qui elle était avec précision), elle est mythifiée au XIXe siècle et devient un personnage de cinéma au XXe siècle. Personnage central de l’histoire de France, les élèves savent souvent beaucoup de choses sur elle, y compris ce qui relève de la légende (les voix, la simple bergère…). C’est ce sur quoi il est important de travailler. Au lieu de faire une leçon qui ne ferait que redire la légende (invérifiable), il est central de montrer aux élèves et de les faire réfléchir sur ce que l’on peut savoir historiquement, scientifiquement (voir le récit pour l’élève, p. 92) et ce qui relève du mythe. Un autre intérêt de ces trois documents est de montrer, qu’exceptionnellement, une femme est habillée et se comporte en chevalier, fonction masculine s’il en est. Le triomphe de la mort, p. 93 La mort triomphe dans l’imaginaire social de la fin du XVe siècle, alors que la période des malheurs est terminée. L’impact dans les consciences est tel que des générations après, on se souvient, par la tradition orale, des « malheurs du temps ». Ici, la mort, qui roule inexorablement sur son chariot, n’épargne personne, ni le soldat (la guerre), ni le pauvre (la famine), ni même le seigneur (la peste) dont on devine la demeure qui surplombe le paysage de désolation. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Une série de malheurs s’abat sur le royaume : la famine due aux mauvaises récoltes, la peste transmise par les rats et la guerre de Cent Ans qui, à chaque bataille, saccage les campagnes. La peste fait très peur car on ne sait pas comment elle se propage. 63 Q U AT R I È M E PA RT I E L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S Le document présenté en ouverture de partie représente une carte datant du XVIe siècle. Nous avons choisi de ne retenir que la partie américaine de cette carte, symbole d’un des événements majeurs de la fin du XVe siècle : la découverte des Amériques, qui ne sont jamais mentionnées, bien évidemment, sur les cartes du XVe siècle. C’est une véritable rupture dans les représentations du monde. Désormais, comme le dit Paul Valéry, le monde fini commence. C’est-à-dire que, comme du reste les nouveaux programmes le précisent explicitement, l’idée que les hommes maîtrisent la connaissance d’un monde désormais connu dans sa globalité fait son apparition. Pour les historiens, l’année 1492 marque en effet la fin du Moyen Âge et le début de l’ère moderne (jusqu’en 1789). Pour autant, si la découverte de l’Amérique est une rupture fondamentale, cette année est aussi importante en raison du fait que plusieurs événements majeurs ont lieu dans le même temps. En 1492, les armées espagnoles prennent Grenade et mettent fin à la Reconquista et au dernier royaume musulman sur la terre d’Espagne. Signe que l’époque n’est plus à la tolérance prônée par l’Espagne médiévale des trois religions, la reine Isabelle la Catholique expulse de son royaume de Castille les Juifs d’Espagne et, avec eux, toute la culture médiévale tolérante arabe et juive. 64 La découverte d’un nouveau monde LIVRE PP. 96-99 Notions Civilisation, rencontre entre deux mondes, génocide, massacre, conquistadores, colonie, conquête, conséquences des grandes découvertes. Compétences • Analyser une période historique à travers le regard de l’autre. • Savoir analyser des documents iconographiques. • Repérer les principaux voyages de découverte (Magellan, Vasco de Gama, Colomb…). Exercices Cahier CM1 : À l’époque des grandes découvertes, pp. 27-28 ; la découverte d’un nouveau monde, pp. 29-30. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Une rencontre entre deux mondes D’abord, il s’agit d’un événement sans précédent et unique. Deux systèmes de civilisations coexistaient sur le globe sans que jamais aucun des deux ait eu connaissance de l’autre, même si aujourd’hui il faudrait nuancer cette affirmation – de nombreux signes montrent que les Vikings du IXe siècle ont poussé suffisamment loin leurs expéditions pour atteindre les côtes américaines. Pour autant, ce que l’on appelle la découverte des Amériques, c’est bien le moment où, à la fois, l’on découvre et l’on prend conscience de l’importance de l’événement. En ce sens il s’agit bel et bien d’une rencontre. Christophe Colomb découvre les Caraïbes et les Antilles ; Cabral le Brésil (1500) ; Cortés se lance à la conquête de l’Empire aztèque en 1519 et Pizarro dans celle de l’Empire inca (1530). La surprise des Espagnols n’a d’égale que celle des Amérindiens. Il s’agit d’un moment exceptionnel de l’humanité. Dans le découpage traditionnel de l’histoire, cette date de 1492 correspond à l’avènement de l’époque moderne. La même année, la Reconquista (action de reconquête entreprise par les chrétiens aux dépens des terres musulmanes d’Espagne) est accomplie, alors que la reine Isabelle la catholique expulse les juifs de son royaume. Les Européens circulent de mieux en mieux sur les mers grâce aux portulans (cartes maritimes) qui leur permettent de s’éloigner davantage des côtes, au gouvernail d’étambot qui permet une navigation plus souple et plus précise, mais aussi grâce à la construction de la caravelle aux voiles adaptées à la haute mer. Les récits de Marco Polo (commerçant vénitien) inspirent ceux qui veulent rallier l’Asie par voie maritime. Les marins cherchent de l’or, denrée rare en Europe, pour dynamiser les échanges. La vente des esclaves finance les voyages. Les Indes sont un objectif pour ces voyageurs navigateurs, avides de trouver la voie maritime des épices, plus rapide que la voie terrestre. C’est dans cette quête qu’interviennent le voyage de Christophe Colomb et sa rencontre avec les Amérindiens. Une tragédie pour le Nouveau Monde Mais cette rencontre constitue une authentique tragédie. Comme le dit Le Clézio, il s’agit de la rencontre entre un rêve ancien (le retour des dieux, nostalgie des origines) et un rêve moderne (désir de puissance et de conquête). Pour beaucoup d’historiens, la découverte se solde par l’un des plus grands génocides de l’histoire de l’humanité. En à peine quarante ans, des millions d’hommes et de femmes des civilisations mayas, incas, aztèques ou quichuas disparaissent. Massacres, mises en esclavage et rupture de l’équilibre épidémiologique sont les trois éléments de cette 65 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S tragédie. Lorsque Christophe Colomb arrive sur les côtes des Caraïbes et des Antilles, il découvre une population de près d’un million d’Indiens. Lorsque Las Casas, principal pourfendeur de la domination catholique dans les nouveaux mondes, évoque la population amérindienne des Antilles et des Caraïbes, il parle de 8 000 habitants tout au plus… La puissance européenne (coloniale, économique et politique) s’est faite sur la ruine de riches et savantes civilisations. Et c’est pour cela que la date de 1492 est importante : le monde le plus puissant militairement et le plus riche a détruit des civilisations qui n’étaient pas du tout prêtes à faire face aux armes des conquistadores. Pour longtemps, l’Europe se construit ainsi un empire colonial et un système reposant sur l’esclavage outre-Atlantique. La découverte des Amériques va relancer un mode de fonctionnement presque totalement abandonné dans l’Occident chrétien : l’esclavage. Dans un premier temps, on envisage l’arrivée en Espagne d’Amérindiens. Mais le projet échoue après une expérience malheureuse en 1495. De plus, du fait du choc microbien, les Indiens disparaissent très vite. Une maind’œuvre de remplacement est trouvée avec les peuples africains. Le premier « voyage » de déportation d’esclaves vers les terres colonisées par les Espagnols a lieu en 1502. D’abord limité en raison des faibles capacités de transports, le nombre d’esclaves déportés ne cesse d’augmenter. Les chiffres avancés par les historiens font état de plus d’un million d’Africains transportés entre 1502 et 1650. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Massacre des Amérindiens et d’Atahualpa, pp. 97 et 98 Avant la conquête, l’histoire aztèque s’écrit par des dessins stylisés et des pictogrammes joints à un texte, sans être une illustration. Ils ont leur logique propre. Après la conquête, ce système de notation se perpétue, pour mieux témoigner de son temps. La plupart des témoignages aztèques de la conquête nous sont parvenus par l’intermédiaire des Espagnols et notamment des religieux. C’est l’histoire de la conquête vue par les vaincus. Sur tous, on y lit la cruauté du massacre, les profanations de lieux religieux et l’incompréhension des Amérindiens ayant cru accueillir leurs dieux (voir les extraits de textes contenus dans le récit de l’élève). Sur le dessin de la page 97, on repère très bien les larmes jaillissant des yeux de la population civile amérindienne et le regard presque amusé ou impassible du conquistador qui met le feu à la maison devenue piège. Sur celui de la page 98, on peut noter égaDossier CHRISTOPHE COLOMB Dans cette double page, il s’agit de percevoir ce qui, dans l’aventure de Christophe Colomb, appartient au passé et au présent. Christophe 66 lement que le supplice qu’infligent les conquistadores aux Indiens d’Amérique se double d’une volonté de christianisation. Atahualpa doit mourir, mais avec un crucifix entre les mains. Combats entre conquistadores et Aztèques, p. 99 La guerre est omniprésente sur les codex. Ces documents révèlent également que la réalité historique ne fonctionne pas en noir et blanc : les bons et les mauvais, comme les élèves y sont naturellement portés. Ce document vient nuancer le texte mis à disposition des élèves et doit lui être confronté. Des Amérindiens ont pu être utilisés comme supplétifs des armées catholiques contre d’autres peuples. Cette réalité ne doit pas être occultée, ce qui ne justifie aucunement, en retour, la conquête et ses atrocités. Il s’agit simplement de construire chez l’enfant une compréhension à la fois simple et nuancée d’une situation historique. PP. 100-101 Colomb est encore un homme du Moyen Âge. Superstition, imaginaire féodal sont présents dans son récit. Mais c’est aussi un homme La découverte d’un nouveau monde de son temps, un humaniste prêt aux découvertes les plus extraordinaires. Un autre aspect transparaît dans le récit : celui de la tolérance a priori de Christophe Colomb pour les hommes et le peuple qu’il découvre. Effectivement, Colomb, arrivé aux Antilles, ne porte pas de regard dégradant sur les Amérindiens qu’il continue à voir comme des Indiens. Quand il écrit qu’ils sont beaux et que leurs cheveux sont lisses, c’est certainement comme s’il faisait le récit de la découverte du Paradis. Ce n’est qu’à son retour en Europe et lors de ces trois autres voyages que le navigateur a pris conscience des richesses et des profits que ces nouvelles terres allaient apporter. La mise en esclavage des premiers Amérindiens dès 1497-1498 s’inscrit dans cette prise de conscience européenne des richesses promises. Christophe Colomb aborde le Nouveau Monde, p. 100 Pour comprendre ce document, il convient de se souvenir des récits indigènes de la rencontre que l’on trouve aux pages 97 et 98 du livre de l’élève. Le malentendu est total. La gravure de Théodore de Bry raconte cent ans plus tard (1594) l’arrivée de Christophe Colomb dans une île des Antilles (Haïti). Dans ce tableau, l’artiste a fait un condensé du journal de bord de Christophe Colomb. Les mêmes émotions y sont décrites. On mènera une réflexion avec les élèves sur les attitudes de chacun des personnages. Les Indiens offrent un objet en or à Christophe Colomb. L’artiste a accordé de l’importance aux personnages qu’il présente de façon conventionnelle et aux caravelles qu’il place dans un décor imaginaire. Les grandes découvertes maritimes, p. 101 On retrouve sur la carte le premier voyage de Christophe Colomb en 1492-1493 : parti de Palos au Portugal, il est arrivé à Cuba puis à Haïti. Amerigo Vespucci entreprend des expéditions pour explorer le Nouveau Monde découvert par Christophe Colomb à sa suite pour le compte du Portugal. En 1502-1503, il cartographie la côte du Brésil et démontre que Christophe Colomb n’a pas atteint les Indes mais un nouveau continent. Vasco de Gama quitte le Portugal le 8 juillet 1497, contourne l’Afrique, franchit le cap de Bonne-Espérance et se dirige à l’est, vers l’Inde. Il aborde près de Calicut en 1499. En 1519, Magellan décide de faire le tour du monde. Il quitte l’Espagne et se dirige vers l’ouest, longe l’Amérique du Sud, la contourne par un détroit qui, depuis, porte son nom et débarque aux Philippines après avoir navigué dans le Pacifique. Il est tué aux Philippines, mais son équipage traverse l’océan Indien, contourne l’Afrique et revient en Espagne en 1522. Éléments pour une synthèse À la recherche d’un chemin plus rapide pour atteindre l’Inde, Christophe Colomb part vers l’ouest et découvre l’Amérique. Il ne trouve pas d’or mais des plantes inconnues en Europe : des avocats, du cacao, des tomates et du maïs. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE En 1492, Christophe Colomb arrive en Amérique et découvre des peuples inconnus des Européens. Les Amérindiens comprennent que les Espagnols sont venus pour les conquérir et piller leurs richesses. Ils sont considérés comme des esclaves. De grandes civilisations disparaissent. Les premières colonies se développent. 67 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S L a R e n a i s s a n c e e n E u r o p e LIVRE PP. (XVIe siècle) 102-107 Notions Renaissance, catholiques, protestants, rayonnement culturel (Italie), artistes, perspective, livre imprimé. Compétences • Savoir repérer les grandes ruptures entre le Moyen Âge et la Renaissance (humanisme, perspective, diffusion des connaissances par le livre, lecture individuelle de la Bible…). • Avoir une lecture fine de documents iconographiques. • Savoir confronter des documents. Exercices Cahier CM1 : La Renaissance, pp. 31-32 ; la Renaissance en Europe, p. 33. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Le XVIe siècle s’affirme comme le siècle des « novelletés ». Les bornes chronologiques que l’on peut avoir en tête vont de 1453 (fin de la guerre de Cent Ans) à 1572 (massacre de la Saint-Barthélemy). Durant cette vaste période, on assiste à des changements culturels rapides et radicaux. La période qui s’étend de 1450 à 1570 est une période d’expansion économique. Les excédents financiers sont captés et utilisés par le roi et la noblesse, y compris par l’Église, mais aussi par une bourgeoisie en plein essor. De 1450 à 1570, on assiste également au renforcement des États partout en Europe. Ce renforcement de l’autorité royale s’explique par le rôle nouveau de l’idéologie royale et de la propagande ; par le poids de plus en plus important de l’administration et de la centralisation ; et aussi, en France comme en Europe (voir le dossier sur l’imprimerie, pp. 108-109), par la diffusion du français – ou des langues dites vulgaires – comme langue officielle. D’autre part, de 1450 à 1570, c’est aussi l’époque de la diffusion accélérée des idées et des arts, grâce à l’imprimerie, aux universités et aux échanges intellectuels. C’est en Italie, centre principal de la Renaissance, qu’est développée l’idée d’une « Rinascità », vécue comme un retour à l’âge d’or de l’Antiquité. 68 L’humanisme L’humanisme émerge au XVe siècle en Italie, grâce à la reprise d’anciens débats médiévaux déjà connus sous Averroès, dans l’Espagne musulmane et dans toutes les capitales arabes, concernant les rapports entre la foi et la raison, la croyance et la science. Maïmonnide, Averroès et Thomas d’Aquin, voilà l’héritage médiéval. Parallèlement, on redécouvre l’Antiquité grâce à de nouveaux travaux de traduction. On lit Plaute, Cicéron et surtout Platon. Dans ce renouveau intellectuel européen, des personnalités émergent. Pietro Pomponazzi (1462-1525), par exemple, fait l’hypothèse d’une humanité sans Révélation, sans au-delà, indépendante du Mystère chrétien, sans Vérité suprême : une humanité posée là. Pour lui, on ne peut connaître Dieu, donc soyons humains en reconnaissant nos faiblesses et nos doutes – la même démarche avait valu à Averroès de sérieux ennuis avec la censure du nouveau pouvoir. L’humanisme est une esthétique, c’est-à-dire que les humanistes considèrent que la contemplation du beau est un moyen de connaissance à part entière, sachant que la « plus parfaite créature de Dieu », c’est la beauté humaine. L’humanisme est aussi une foi dans la science comme moyen de connaissance. Cette science La Renaissance en Europe (XVIe siècle) nouvelle s’exprime pleinement à travers l’architecture (proportions équilibrées des masses, harmonies…), les mathématiques, la géométrie, l’astronomie – Copernic publie la thèse de la rotondité de la terre et de l’héliocentrisme à Nuremberg en 1543 : la Terre tourne autour du Soleil –, la physique et la chimie mais aussi à travers les sciences de la vie. De ce fait, l’humanisme offre au XVIIe siècle et à des personnalités comme Galilée et Descartes des intuitions audacieuses et décisives. Mais, plus sûrement encore, l’humanisme est une éthique. L’homme est au centre des réflexions. Il peut tout connaître et, partant, approcher la perfection. Car l’humanisme favorise l’esprit de liberté, indispensable à la découverte de la vérité. Par l’usage de la réflexion, les humanistes consacrent l’esprit critique, notamment par la lecture individuelle, à commencer par celle de la Bible. On comprend ainsi que l’humanisme est une vaste entreprise de remise en cause des hiérarchies terrestres instituées et, principalement, de celle de l’Église. Car si les humanistes sont chrétiens, très fermement, de leurs positions intellectuelles découlent pourtant deux conséquences majeures. D’une part, il faut que la Parole de Dieu soit enseignée, lue et comprise dans sa forme exacte ; c’est ce à quoi s’attachent les nouvelles traductions : retrouver la Parole vraie, qui n’est pas nécessairement celle de l’Église. D’autre part, la religion est affaire d’amour et une affaire personnelle. L’Église doit être une « mère » qui conseille, non une institution qui ordonne et punit. Les humanistes prêchent la sincérité de la foi contre la quotidienneté froide de la pratique : chez les clercs, c’est un séisme. L’imprimerie : moyen de diffusion de cette nouvelle culture laïque La diffusion de l’humanisme se fait par l’imprimerie née dans le second centre important de la Renaissance européenne : l’Allemagne (en 1500, 236 villes européennes possèdent au moins un atelier). Ces textes imprimés sont réservés à une élite intellectuelle sachant lire dans le texte le latin et le grec. Du même coup, l’imprimerie va développer ce que l’on pourrait appeler une authentique « internationale humaniste » avec Pomponazzi, Budé, Érasme et d’autres, autour de lieux très courus comme Florence, Venise, Paris, Cracovie ou Nuremberg. On se lit, on s’écrit, on traduit et on échange. Le parcours intellectuel d’Érasme est également un parcours géographique : né à Rotterdam, il change de ville au gré des rencontres et des propositions d’échanges et d’études (il séjourne successivement à Cambrai, Paris, Oxford, Cambridge, Rome, Florence, Padoue, Venise et Bâle). La révolution est là : avec la naissance du livre que l’on peut avoir chez soi. Ceux qui peuvent lire vont pouvoir apprendre par eux-mêmes, loin de toute tutelle. Véritable affranchissement par rapport à l’Église qui jusque-là avait le monopole de l’écrit, de sa lecture légitime, de son interprétation et de son écriture (moines copistes, exégètes, prêtres...). Pour autant, savoir lire reste le privilège d’une élite sociale. La grande majorité des Européens est analphabète. La renaissance artistique Mais la Renaissance, c’est aussi, bien sûr, les arts. La péninsule italienne fut le « grand atelier » autour du quattrocento. La renaissance artistique est liée à l’humanisme car, si l’art médiéval avait pour objectif de proclamer les vérités de l’Église, l’art de la Renaissance a pour mission de proclamer les vérités de l’homme. On recherche la réalité, on dessine et on peint en fonction de son œil : c’est la naissance et l’affirmation de la perspective et de la proportion. Deux artistes qui font figure de précurseurs doivent être cités : Brunelleschi (1377-1446), fondateur de l’architecture nouvelle (dôme de la cathédrale de Florence), et Donatello (1386-1466), sculpteur à Florence et ami de Brunelleschi. Mais aussi Giotto, Piero della Francesca, Mantegna… Mis à part en France, d’autres foyers européens existent aux Pays-Bas, où vivent Jérôme Bosch et Pierre Bruegel l’Ancien, ou dans l’Allemagne du Saint Empire avec Albert Dürer et Hans Holbein. Le protestantisme Dans ce grand bouleversement intellectuel du début du XVIe siècle, un autre séisme devait 69 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S atteindre l’Église. Issu de cette renaissance spirituelle, le protestantisme qui éclate en Allemagne en 1517 avec Luther, doit être vu comme le fruit de cette remise en cause humaniste. En effet, si le premier texte de Luther (les 95 thèses parues en 1517) est une violente charge contre les Indulgences, c’est-à-dire un système de corruption au plus haut niveau de la papauté, la Confession d’Augsbourg de 1530 signe les débuts théoriques du protestantisme. Luther met en valeur la Foi contre la confession (c’est devant Dieu que l’on se confesse, pas devant un homme, de toute façon imparfait), l’Évangile contre la doctrine de l’Église, Dieu contre le Pape. De plus, Luther prône l’égalité de tous devant Dieu, quel que soit le grade dans l’Église ou le statut dans la société. Enfin, nul besoin du prêtre pour comprendre ce que Dieu dit et veut : par la lecture en langue vulgaire (pas en latin) de la Bible, je peux accéder, et tous avec moi, à la vraie Parole. Dès lors, on comprend pourquoi le livre est au centre de ce séisme : il joue un rôle essentiel dans la diffusion du protestantisme. La Bible est traduite d’abord en allemand (1522), puis dans toutes les langues européennes et, du même coup, accessible à un plus grand nombre. C’est Calvin qui assure le succès de la Réforme protestante en France et aux Pays-Bas. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S nombreux plis, porte le Christ mort. Elle a le visage penché vers le Christ nu et une main ouverte en offrande. Le corps du Christ est dans la position d’abandon du cadavre. On remarque une étrange jeunesse de Marie : le temps ne peut la marquer. Elle accueille toute la souffrance humaine. Deux peintures de Venise, pp. 102 et 103 « L’œil du quattrocento », l’expression est de Michael Baxandall, c’est cette rupture qui est présentée dans la comparaison, à faire avec les élèves, entre deux tableaux de Venise : l’un du XIIIe siècle et l’autre, de Carpaccio, en pleine Renaissance artistique. Dans le premier tableau, les proportions des personnages répondent à l’ordre symbolique de leur poids dans la Cité voulue par Dieu : les magnats (à droite) sont plus grands que d’autres personnages pourtant plus proches. L’image se lit de haut en bas, sans perspective. L’espace ainsi représenté est un espace symbolique des rapports sociaux où le désir de vérité est remplacé par le souci de correspondre à l’organisation du monde voulu par Dieu. En revanche, dans le second tableau, le peintre Carpaccio s’autonomise par rapport à la représentation du monde voulue par Dieu. Il dessine ce que lui voit, en accord avec les lois de la perspective. Texte de Léonard de Vinci, p. 104 À la Renaissance apparaît la perspective géométrique linéaire qui s’organise à partir de l’œil du spectateur. La représentation de la profondeur est donnée par la diminution de la taille des objets et la convergence de lignes, en un point de fuite situé sur la ligne d’horizon. Léonard de Vinci va franchir un pas décisif en élargissant la définition de la perspective à la notion de couleur et à celle de ligne. Déjà perceptible dans ses premiers paysages, c’est dans le tableau de la Cène qu’il explore les trois dimensions de la perspective : la taille, les nuances de couleur, la précision. La Pietà par Michel-Ange, p. 104 Qu’est-ce qu’une pietà ? C’est un tableau ou une sculpture représentant la Vierge tenant sur ses genoux le corps du Christ descendu de la croix. Cette pietà se trouve à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre de Rome. C’est une sculpture faite à partir d’un seul bloc de marbre. Marie, jeune femme assise vêtue d’une robe à Le système de Copernic, p. 105 Astronome polonais, Copernic est le premier à décrire un univers héliocentrique dans lequel la Terre tourne autour du Soleil et autour de son axe. Il commence ses études à Cracovie où il s’intéresse à l’astronomie. Replongeant dans les manuscrits des philosophes de l’Antiquité, il découvre qu’une tradition héliocentrique 70 La Renaissance en Europe (XVIe siècle) existait déjà à cette époque. De plus, il a certainement pris connaissance des travaux des astronomes arabes. Ses observations personnelles et ses calculs finissent de le convaincre de la justesse de son point de vue. Il consigne ses idées en 1514 dans un traité qui va profondément modifier la pensée philosophique et scientifique. Sur la gravure du XVIIe siècle, on perçoit très nettement le Soleil au centre autour duquel tourne la Terre. À chaque rotation, la Terre est représentée quatre fois, présentant chaque fois une face différente. Couverture d’un roman de chevalerie, p. 106 Le mot « roman », avant d’évoquer un genre littéraire, est d’abord utilisé pour désigner une langue : la langue vulgaire par opposition à la langue savante, le latin. Le genre et la langue sont donc liés. Les premiers romans sont inspirés par des sujets antiques (Le Roman de Troie, Le Roman de Thèbes…). Parallèlement, se développe une littérature romanesque dont les héros appartiennent au monde de la chevalerie. Certains romans de chevalerie, comme Amadis de Gaule qui servira de modèle à Don Quichotte, connaîtront un grand succès au XVIe et au XVIIe siècle. Protestants et catholiques face à face, p. 107 Il s’agit d’une gravure protestante. En analysant chaque élément de la gravure, on peut faire deviner le camp auquel appartient l’auteur. Un autre moyen pédagogique peut être de dire aux élèves que cette gravure a été réalisée par des protestants et que l’objet de l’étude du document Dossier L’ I M P R I M E R I E La double page consacrée à l’imprimerie a pour objectif principal de mettre en avant la nouveauté considérable et la rupture essentielle que constitue l’apparition du livre dans l’Europe occidentale de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Nous entendons faire est de trouver pourquoi on le sait. Deux parties fixent la scène. À gauche, on peut voir l’Église, faite de hiérarchies terrestres, des gens à genoux devant celui qui semble être le pape, des couronnes, des bijoux, de la richesse. À droite au contraire, la sobriété des vêtements tranche avec le blanc et les ornements du groupe de gauche, nulle hiérarchie apparente, la simplicité des positions et la tranquillité affichée par des discussions discrètes. Au centre enfin, se tient une balance – que les élèves repèrent vite comme étant celle de la justice ou de la Justice divine, ce qui est la même chose pour les protestants. Les personnages de gauche tentent à tout prix – y compris par la triche et par la présence d’un diable – de faire pencher la balance de leur côté alors que le groupe de droite, sûr de sa victoire, contemple les vains efforts catholiques. Car qu’y a-t-il sur la balance côté protestant ? La bible, la simple bible posée sur un des plateaux qui, contre toute évidence physique, devrait être moins lourde que l’acharnement catholique, la triche, le diable, la papauté et sa hiérarchie, ainsi qu’un volume d’écrits (sans doute des bulles papales : des décisions du pape consignées par écrit). La Parole de Dieu vaut infiniment plus que tout le reste. Apprendre à lire, c’est donc bien se moquer des hiérarchies prétentieuses. C’est aussi à peu près dans les mêmes termes que s’exprimaient les rédacteurs des programmes de l’école publique sous le ministère de Jules Ferry, dans les années 1874-1875 (voir le dossier consacré à l’école, pp. 184-185)… Ou comment une gravure du XVIe siècle peut devenir un sujet de discussion d’éducation civique sur le rôle de la lecture. PP. 108-109 distinguer aux élèves un « avant » et un « après ». Les deux documents sont là pour insister sur cette évolution majeure. Vers 1450, un peu partout en Europe, on voit circuler des livres qui, dans leurs aspects immédiats, 71 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S semblent identiques aux autres. Mais l’on dit d’eux qu’ils sont « imprimés » avec l’aide d’une presse et des caractères mobiles. S’ouvre alors une époque nouvelle pour la production et la diffusion des livres. Des ouvrages patiemment rédigés à la main, le plus souvent dans des monastères, détenteurs du monopole légitime de la parole divine, on passe à une véritable industrie du livre qui bouleverse non seulement le mode de fabrication mais aussi la diffusion du livre, les usages de la lecture et la place du latin dans les sociétés européennes au bénéfice des langues dites « vulgaires », c’est-à-dire des langues nationales. Mais, plus que tout, c’est le rôle social de la lecture qui est privilégié dans le récit : qu’estce que lire ? À quoi cela sert-il ? Pourquoi estil important d’apprendre à lire ? Tous ces enjeux propres à cette époque où l’on s’affranchit de la tutelle de l’Église peuvent être compris aujourd’hui par les élèves de CE2 ou de CM confrontés à la construction de cet acte. Moine copiste, p. 108 Dans l’isolement et la retraite de sa cellule monastique, le moine recopie à la main les ouvrages. Dans le chapitre consacré à la naissance de l’écriture, on a pu constater que les scribes de Mésopotamie ou de l’Égypte ancienne avaient un grand pouvoir ou étaient des artistes reconnus. Ce n’est pas le cas des moines copistes du Moyen Âge. Cependant, ils vont développer l’art de la calligraphie. Progressivement, ils vont abandonner le papy- rus, cher et fragile, et lui préférer le parchemin en peau de veau ou de mouton. Le vélin est un parchemin de très grande qualité obtenu à partir de peau de veaux très jeunes, il restitue admirablement l’éclat des couleurs utilisées dans les éléments décoratifs. Les feuilles de parchemin sont reliées. C’est ainsi que sont nés les premiers livres. Autre avantage non négligeable du parchemin, les moines copistes ont pu troquer le roseau qui offrait peu de possibilité contre la plume d’oie. Ils disposent d’un pupitre incliné et ils mènent souvent deux manuscrits de front. La décoration (lettrines, enluminures, miniatures) est généralement confiée à des spécialistes. Un atelier d’imprimeur, p. 109 Dans cet atelier, un travail d’équipe s’organise. Un ouvrier prépare la page à imprimer en plaçant les caractères dans l’ordre dans une forme (l’ouvrier du milieu, à droite, sur le document). Il a sous les yeux un manuscrit qui lui sert de modèle. À gauche, deux ouvriers s’occupent de l’impression : encrer les caractères, placer la feuille, actionner le chariot pour qu’il se place sous la presse et serrer la presse au moyen d’une barre de fer. La pression de la platine produit une impression sur la feuille. On remonte la platine et on retire la feuille imprimée, puis on recommence l’opération. L’ouvrier, au fond à droite, vérifie la qualité de l’impression de chaque feuille tandis que celui qui est au premier plan range les feuilles pour organiser le livre en cours de fabrication. Éléments pour une synthèse L’imprimerie est inventée par Gutenberg en 1455 en Allemagne. De nombreux ateliers s’ouvrent à Lyon et à Paris. Les livres sont fabriqués plus vite et sont moins chers. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La Renaissance est une période marquée par le développement des arts surtout en Italie, des sciences avec Copernic, des lettres avec Rabelais. Avec l’imprimerie, la Bible est diffu- 72 sée traduite dans différentes langues. Une nouvelle religion, le protestantisme, apparaît. Elle est expliquée par Luther en Allemagne et Calvin en France. La Renaissance et la royauté française LIVRE PP. 110-113 Notions Architecture, évolution des styles architecturaux, mécénat, cour, le français, langue officielle, affirmation du pouvoir royal. Compétences • Savoir comparer un château du Moyen Âge avec un château de la Renaissance. • Savoir associer des personnages historiques en lien avec une époque historique (Léonard de Vinci, François Ier…). Exercices fichier CM1 : La Renaissance française, pp. 34-36. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Vers une monarchie absolue Avec les règnes de Louis XII (1498-1515) et de son gendre François Ier (1515-1547), la monarchie française connaît une mutation majeure et s’achemine vers une monarchie absolue. Par son mariage avec Claude de France (la reine Claude qui donna son nom, dans les jardins d’Amboise, à une variété de prune), fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, François Ier agrandit le royaume par l’acquisition définitive de la Bretagne. Reprenant la tradition inaugurée par Louis XI en matière d’unification du royaume et de centralisation des pouvoirs, il poursuit le développement des postes royales, là où, sous Louis XI, elles n’étaient qu’à leur état embryonnaire et quasi privées. Tout le souci de François Ier est la consolidation de la royauté. L’extension du français dans tous les actes officiels par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) va dans ce sens. La langue d’oïl parlée au nord de la Loire, celle de la Cour, devient la langue officielle contre le latin de Rome. Mais il convient d’être prudent : cette langue officielle n’est pas la réalité linguistique de la France du début du XVIe siècle. Les Français parlent la langue de leur région, voire de leur microespace (vallée, terroir…). La royauté bénéficie en ce début du XVIe siècle d’une conjoncture économique tout à fait remarquable, condition sine qua non de l’union du peuple au souverain. L’économie est prospère et l’on ne note pas de famine. Plus que jamais, l’agriculture est la première richesse de la France. De plus, le développement du commerce s’affirme avec vigueur. L’afflux des métaux précieux comme l’or et l’argent dynamise les échanges ainsi que l’industrie et l’artisanat. Les villes citées dans le récit destiné à l’élève sont tournées vers le commerce atlantique. Il peut être utile en classe de faire le lien avec les grandes découvertes. L’établissement des colonies, et les conséquences humaines qui en découlent (exploitation, asservissement...), a fait notre richesse européenne. François Ier et la Renaissance en France Au cours du XVIe siècle, la France est le lieu d’enracinement d’une Renaissance singulière. C’est en France que la Renaissance italienne et allemande va avoir l’influence la plus profonde. La tradition scolaire a voulu faire de Marignan (1515) l’incarnation de la splendeur militaire de ce jeune roi empreint de l’esprit chevaleresque persistant. Certes, Marignan est la réappropriation d’un long héritage royal de guerres menées en Italie – préparées et conduites dès 1492-1494 par Charles VIII et Louis XII, les deux prédécesseurs de François Ier – afin de conquérir le royaume de Naples et le duché de Milan. Mais, si Marignan est une victoire – provisoire, car la défaite à Pavie, en 1525, suit de près –, c’est 73 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S aussi l’événement qui permet aux Français de découvrir les splendeurs de la Renaissance italienne. Dès cette date, des œuvres sont achetées ou volées, copiées ou moulées (pour les sculptures) ; mais surtout, François Ier entame une politique de mécénat sans pareil à l’époque pour un prince royal, préfigurant ce que sera l’âge d’or du mécénat au XVIIe siècle dans les monarchies européennes en pleine affirmation. Véritable carrefour entre l’action politique et la création littéraire, le mécénat est utilisé par François Ier comme un outil à part entière de la gloire royale. Il invite en France, à la cour, l’élite artistique de l’Italie. Léonard de Vinci en est l’exemple le plus illustre. L’influence sur l’art français est telle que, de toutes parts en Europe, on rejoint « l’école de Fontainebleau » où se côtoient artistes et mécènes privés. Mais cette politique conjointe de mécénat et de consolidation de la puissance royale française est indissociable des conditions géopolitiques du temps. De 1519 à 1559, la France est confrontée à l’empire Habsbourg de Charles Quint, dont les possessions (royaume d’Espagne, toute l’Europe centrale à l’est des frontières françaises, y compris les Pays-Bas espagnols, la Franche-Comté et l’Italie du Nord) encerclent le royaume. Le retrait politique de Charles Quint pour un monastère en 1556 et le traité de Cateau-Cambrésis de 1559 mettent fin provisoirement au conflit francoespagnol. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S (pour de faux) une forteresse : voilà les jeux des jeunes seigneurs. Le prince, devenu roi, perpétuera cette tradition chevaleresque au cours des guerres d’Italie. L’ordonnance de Villers-Cotterêts, p. 110 Il s’agit de la première francisation des actes officiels. L’article 111 est très célèbre mais il a néanmoins besoin d’être resitué en classe dans le contexte de l’époque. Il est rédigé principalement pour éviter tout doute et toute ambiguïté lors des procès et des actes de justice. C’est donc un souci d’efficacité juridique et administrative qui préside à sa rédaction, mais aussi une volonté de rendre plus évidente l’autorité royale, moins soumise à discussion, du fait d’une unification des procédures au moment où l’écrit, grâce à l’imprimerie, supplante l’oral. Cette francisation s’inscrit également dans le mouvement humaniste de ce début du XVIe siècle, où la langue maternelle s’affirme aux dépens du latin et du grec. Chambord, pavillon de chasse de François Ier, p. 112 Ce château constitue une rupture avec les modes de construction des règnes précédents. Même s’il garde un donjon, des douves et quatre tours seigneuriales ornées de coursières en encorbellement – ce qui le rattache aux forteresses médiévales –, le château de Chambord est une sorte de manifeste artistique de la Renaissance. Il a été construit sur l’ordre de François Ier. Orné de salamandres et des initiales du roi, il est l’expression de la gloire du roi et de sa puissance. Portrait de François Ier, p. 111 François Ier incarne l’idéal chevaleresque de l’aristocratie du XVIe siècle, à l’heure où, précisément, cet esprit chevaleresque est en déclin, où la pacification progressive des seigneurs (loin de l’agitation féodale des XIe-XIVe siècles) et la discipline des corps et des mœurs (quoique relative…) s’enracinent. Né en 1494, François est élevé à Amboise, son éducation est à la fois intellectuelle, physique et sportive. Jouer à la guerre, savoir monter à cheval, savoir prendre Ce château est percé d’innombrables ouvertures. Son harmonie, ses fenêtres à carreaux, ses galeries à larges ouvertures, la profusion de cheminées, les tourelles chargées de sculptures et les symétries révèlent les influences des architectes italiens. On doit sans doute à Léonard de Vinci la conception de l’escalier à double révolution, pièce maîtresse du château. Commencée en 1519, la construction se prolonge jusqu’en 1533. On est très loin du « simple » pavillon de chasse qu’il devait être à l’origine et dont 74 La Renaissance et la royauté française témoignent les tentures du château. La démesure de cet édifice (440 pièces, 84 escaliers, 365 cheminées…) explique également qu’il ne sera jamais un château d’habitation. On y venait pour les chasses ou les grandes réceptions. François Ier lui-même y a vécu moins de six semaines (42 jours) en trente-deux ans de règne… occupations : peindre l’âme et atteindre la perfection. Cette double tension, liée à une technique parfaitement maîtrisée, le conduit à réaliser le visage et le paysage complètement idéalisés de La Joconde. Léonard de Vinci meurt au Clos-Lucé le 2 mai 1519 dans les bras de François Ier, selon la légende. Croquis de Léonard de Vinci, p. 112 Léonard, peintre, sculpteur, savant, ingénieur, architecte est né à Vinci en 1482, d’où son nom : Leonardo da Vinci. Dès l’âge de quatorze ans, il apprend la peinture, la sculpture, l’orfèvrerie mais aussi les mathématiques, la perspective et la géométrie à Florence dans l’atelier d’un maître célèbre : Verrocchio. Durant cette période, il réalise avec la participation de divers artistes, et peut-être de Verrocchio lui-même, ses deux premiers chefs-d’œuvre : L’Annonciation et Le Baptême du Christ. Déjà célèbre en 1483, il est appelé à Milan par le duc Sforza. François Ier recevant un tableau, p. 113 François Ier montre tout au long de son règne de l’intérêt pour les artistes et leurs œuvres. Il cherche à enrichir les collections d’œuvres d’art laissées par ses prédécesseurs. Il entend par ailleurs embellir les différentes demeures qu’il occupe avec la Cour en s’entourant d’artistes principalement italiens. Il invite Léonard de Vinci qui sera l’un des architectes de Chambord. Dès 1527, un groupe d’artistes entreprend l’aménagement du château de Fontainebleau. Dans cette équipe, architectes, maçons, peintres, sculpteurs et décorateurs travaillent ensemble. Ce groupe prendra le nom d’ « école de Fontainebleau ». Son insatiable curiosité le pousse à traiter tous les sujets dans ses dessins : études de la nature, dessins du corps humain, esquisses scientifiques (l’homme volant), études d’architecture (escalier à double circulation), études de monstres fantastiques et de machines de guerre… Sa connaissance de l’anatomie, de la lumière et de diverses réactions chimiques le conduisent à mettre au point une nouvelle technique de peinture : le « sfumato ». Il superpose des couches de peinture de couleurs transparentes (des glacis) qui lui permettent de rendre très subtilement le modelé des visages. Il est hanté par deux pré- La scène représentée dans ce tableau nous montre le roi au moment où il reçoit La Sainte famille de François Ier réalisé par Raphaël (1518). Avec Michel-Ange et Léonard de Vinci, Raphaël est l’un des trois « Titans » de la Renaissance – selon le mot de Vasari. Cette même année 1518, le pape Léon X offre à François Ier Saint Michel terrassant le dragon peint également par Raphaël. L’archange Michel, protecteur des rois de France, symbolise l’entente de François Ier et du pape. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Pendant les guerres d’Italie, François Ier découvre les artistes italiens. Le roi devient un mécène. Il achète des œuvres d’art et s’entoure d’artistes venus de toute l’Europe. Léonard de Vinci a vécu les dernières années de sa vie au bord de la Loire qu’il a cherché à rendre navigable. 75 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S Les guerres de Religion et Henri IV (1559-1610) LIVRE PP. 114-117 Notions Protestantisme, guerre civile, tolérance/intolérance, absolutisme, abjuration. Compétences • Savoir commenter une image en la confrontant à un autre document. Exercices Cahier CM1 : Les guerres de Religion et Henri IV (1559-1610), p. 37. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Après la mort accidentelle d’Henri II, le fils de François Ier, dans un tournoi en 1559, la France, qui pouvait croire à une période de paix après la signature, la même année, du traité de paix franco-espagnol de Cateau-Cambrésis, plonge dans une grave guerre civile. Elle ne trouve sa résolution qu’à la toute fin du siècle avec le roi Henri IV. D’un point de vue pédagogique, il n’est pas utile d’étudier les guerres de Religion en détail : c’est un moment très complexe d’alliances politiques et de retournements de situations. Pour autant, il est important d’insister sur cette période centrale de l’histoire de France où l’intolérance religieuse s’impose. Face à cette intolérance, nous avons choisi d’évoquer Michel de L’Hospital dans le récit de l’élève. En effet, Michel de L’Hospital (1507-1573) fut l’une des plus hautes personnalités de l’époque. Chancelier de France de 1560 à 1573, il fut un des artisans du rapprochement entre catholiques et protestants. Il ne ménagea aucun effort pour parvenir à une solution négociée et équitable. Il est à l’origine d’un certain nombre de « pacifications » pendant les guerres de Religion, ce qui lui vaut la haine des Guises. Ceux-ci parviennent à l’écarter de la cour dès 1568, sans que son influence ne diminue pour autant. Auteur de plusieurs ordonnances de pacification (1563, 1566), son influence sera grande également au moment de la rédaction de l’édit de Nantes qui s’inspire de son travail inscrit dans la tolérance, la liberté et le respect. 76 Origines des guerres de Religion Les origines des guerres de Religion sont de trois ordres. Tout d’abord on observe la montée en puissance de la religion protestante, principalement calviniste en France, parmi une frange influente de l’aristocratie. Ensuite, le corps guerrier des nobles n’est plus en guerre et ne trouve plus à s’employer depuis la fin des conflits avec la maison Habsbourg. En effet, CateauCambrésis a démobilisé des milliers de soldats et de seigneurs rompus depuis des années à la vie de garnison et aux exactions de la guerre. Retourner à la vie civile est pour eux impossible. Ils chercheront et parviendront pleinement à s’engager dans de nouveaux conflits. Un événement vient cristalliser les tensions existantes : le massacre de protestants à Vassy, en Champagne, en 1562, par les troupes de François de Guise. Enfin, dernière cause, la situation économique et sociale du pays va favoriser l’exacerbation des passions politiques – famines à répétition ; disettes fréquentes ; appauvrissement du monde paysan qui se tourne vers les villes, lesquelles connaissent une détérioration de leurs rapports sociaux ; chômage dans l’artisanat et nombreuses révoltes… Un parti huguenot se forme alors et, d’un conflit religieux, va déboucher un conflit authentiquement politique entre deux factions, représentant deux manières de considérer le pouvoir et l’État royal. Le massacre de la Saint-Barthélemy Parmi les grands seigneurs protestants, on trouve l’amiral de Coligny qui, avec une partie Les guerres de Religion et Henri IV (1559-1610) de l’entourage royal dominé par Catherine de Médicis, tente une réconciliation entre les deux partis. Ces tentatives de réconciliation débouchent sur le projet de mariage entre Henri de Navarre, duc de Bourbon (prince cousin des fils de Catherine de Médicis, protestant), avec Marguerite de Valois (fille de Catherine et de Henri II, catholique). Les festivités sont prévues à Paris pour la consécration religieuse. Mais l’assassinat de Coligny par le parti catholique marque le début du massacre de la SaintBarthélemy (24 février 1572). C’est l’entourage du jeune roi Charles IX et de sa mère Catherine qui, pris de court par les événements, décide de céder au parti catholique. Tous réunis à Paris, les grands nobles protestants subissent l’assaut des hommes des troupes royales et du peuple. Ce massacre constitue un séisme majeur, une fracture que doit affronter Henri III, de 1574 à 1589. La France, divisée en deux, connaît des guerres sporadiques. D’un côté, le parti protestant sous la responsabilité de Henri de Navarre, et de l’autre, le parti catholique (la « SainteLigue ») sous la direction de la famille de Guise et notamment du duc de Guise, Henri le Balafré. C’est au moment de l’assassinat d’Henri III que le conflit est au plus fort. Le seul héritier de la couronne est Henri de Navarre, plus proche cousin d’Henri III mort sans enfant. Henri de Navarre décide alors de se faire baptiser dans la confession catholique après avoir abjuré la foi protestante. Cet événement doit être moins vu comme une capitulation devant le parti catholique que comme l’affirmation du souci de sauvegarder l’unité de l’État royal. La guerre se termine sur la victoire des armées d’Henri de Navarre qui devient roi en 1594 sous le nom d’Henri IV. L’édit de Nantes Mais le moment central de la leçon sur Henri IV est bien l’explication de l’édit de tolérance rédigé et ratifié à Nantes, acte royal essentiel, qui proclame une tolérance à l’égard des protestants sur le royaume de France (1598). De plus, cet édit offre aux protestants la possibilité d’avoir des places fortes, c’est-à-dire des villes qui assurent leur sécurité, comme La Rochelle, Cognac, Montpellier, Nîmes, Montauban… Aujourd’hui, les historiens considèrent que l’édit de Nantes est inséparable d’une reconstruction de l’État royal, conçu à la fois comme absolu et arbitral, au-dessus des factions, garant de l’intérêt commun. L’édit d’Henri IV procède d’un double mouvement : d’une part il reconnaît une sphère privée aux personnes vivant sur le sol de France, et d’autre part, l’État affirme sa pleine autorité sur les affaires publiques. Autrement dit, la reconnaissance, même limitée, de la liberté de conscience n’a pas été opposée à la construction absolutiste du pouvoir : elle en fut même une des conditions nécessaires. La paix retrouvée dans le royaume a été un outil de consolidation du pouvoir d’Henri IV en présentant celui-ci comme un roi miraculeux, au sens chrétien et au sens fort du terme, à une époque où la crainte du jugement de Dieu est très forte. L’accueil de l’édit de Nantes est hostile dans les milieux catholiques encore proches de la « Sainte-Ligue » défaite. Le parlement de Paris, par exemple, ne veut pas enregistrer l’édit. Henri IV va le défendre le 7 janvier 1599 et finalement l’impose. L’enregistrement de l’édit fut long à travers les différents parlements de province : Grenoble en septembre 1599, Toulouse et Dijon en janvier 1600, Bordeaux en février 1600, Aix au mois d’août 1600 et Rouen… en 1609. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, p. 114 Cette gravure anonyme s’inscrit dans la volonté de réconciliation du parti catholique et du parti protestant. Involontairement, par naïveté du trait, le document présente une scène de mariage où aucune joie et aucun plaisir ne se lisent, et renseigne par là même sur la véritable nature de la transaction matrimoniale. Le mariage est un mariage politique. Il s’agit de se réconcilier 77 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S avec une partie de la famille royale, les Bourbons, acquis à la religion protestante. Marguerite est « sacrifiée » sur l’autel de la raison d’État. premières victimes désignées du massacre. C’est Besme, un mendiant à la solde du duc de Guise, qui se charge de le tuer. Besme sera luimême tué en 1575 par les protestants. Massacre de la Saint-Barthélemy, p. 115 L’atmosphère est très lourde en ce mois d’août 1572. Le 22, quelqu’un que l’on repère comme un proche du clan des Guises tente de tuer Coligny d’un coup de feu manqué. Le roi Charles IX et la reine mère Catherine de Médicis sont assaillis par le parti huguenot qui menace de se venger durement si le roi ne punit pas les coupables. C’est là que se produit l’étincelle : la royauté épouse, dans la panique et la tension la plus extrême, les positions ultracatholiques. Ordre est donné d’exterminer les protestants réunis pour le mariage. Dans la soirée du 23 août, les exécutions commanditées par le roi commencent. Elles sont le signal pour la milice de Paris et la population de l’autorisation par le roi de massacrer les huguenots : « Les témoins, même catholiques, même extrémistes dans leurs convictions, en sont horrifiés, leurs récits se recoupent et permettent d’imaginer les gestes d’une foule chauffée à blanc par le fanatisme religieux et les rancœurs matérielles. » (Janine Garrisson) Arbre généalogique, p. 116 Cet arbre aide à mieux comprendre le rapport dynastique qui unit la maison des Bourbons à celle des Valois. Il est intéressant de constater que les guerres dites de Religion sont tout autant des guerres de famille. C’est entre soi, entre clans aristocratiques, tous liés les uns aux autres, que l’on se combat. La question est la maîtrise du pouvoir et l’idée que l’on se fait du pouvoir royal. On peut noter que, lorsque la lignée royale n’a plus de descendant direct, la crise dynastique débouche sur une crise de régime. Ce fut le cas lorsque Louis X, en 1316, n’eut pas de fils pour lui succéder. Après les Valois, ce sont les Bourbons qui dirigent la France jusqu’à la fin de la monarchie absolue (1792). L’assassinat de Coligny, p. 115 Point de départ de la Saint-Barthélemy, Coligny n’est pas tué le 22 août – la tentative d’assassinat n’ayant pas abouti – mais le 24 au matin, pendant le massacre. Il s’agit d’un des personnages politiques très importants du règne de Henri II. Il ne se convertit au protestantisme qu’en 1558. Après être devenu un des chefs militaires huguenots, il retrouve la cour et son influence entre 1570 et 1572, en vue d’une réconciliation des deux partis. Il est l’une des Entrée de Henri IV à Paris, p. 117 Le 16 mai 1593, Henri IV annonce sa décision de renoncer à la religion réformée. Le 25 juillet, il abjure solennellement le protestantisme à l’abbaye de Saint-Denis. Les ralliements au roi converti se multiplient. Parmi ceux-ci, le gouverneur de Paris et le prévôt des marchands. Le 22 mars 1594, Henri IV fait son entrée sans combat dans la capitale tandis que les troupes du roi d’Espagne évacueront Paris quelques mois. Cette scène inaugure une période d’un demi-siècle de calme pour la ville. L’œuvre reproduite dans le livre de l’élève a été réalisée deux cents ans plus tard. Le peintre François Gérard, qui en est l’auteur, a connu une certaine renommée de son vivant. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La France est divisée entre catholiques et protestants qui se font la guerre. En une nuit 5 000 nobles protestants sont tués. C’est le massacre de la Saint-Barthélemy. Henri IV, prince 78 protestant et futur roi, renonce à sa religion et devient catholique. Par l’édit de Nantes, il autorise les protestants à pratiquer leur religion. Louis XIII et Richelieu (1610-1643) LIVRE PP. 118-119 Notions Raison d’État, régence, ministre du roi, fiscalité, absolutisme. Compétences • Associer deux personnages importants à une période historique. • Confronter deux documents de nature différente. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La raison d’État Oubliés aujourd’hui des manuels scolaires, Richelieu et Louis XIII occupaient une place importante dans l’histoire faite à l’école. Flanqués, dans nos mémoires scolaires, de la traditionnelle iconographie de Richelieu regardant les flots démontés sur des pieux de bois, pendant le siège de La Rochelle, nous avons oublié de garder pour les élèves ce qui fait l’importance de ce règne : la montée en puissance et l’affirmation de la monarchie absolue au XVIIe siècle. Sans ces deux personnages importants, Louis XIV n’aurait pu imposer avec autant d’assurance sa puissance et, au-delà de lui, la puissance de l’État monarchique. La raison d’État, celle qui ne souffre aucune contestation, est au centre de la leçon. Marqué par la guerre de Trente Ans (1618-1648), le règne de Louis XIII est le moment par excellence de l’affirmation de l’autorité royale dans des temps très difficiles. L’augmentation des impôts, la recherche de ressources financières et la mise au pas des grands du royaume récalcitrants et toujours prêts à contester l’autorité royale – la guerre civile, dite de Religion, n’est pas si éloignée, quelques années à peine – amènent l’État et son principal ministre, Richelieu, à subordonner toute décision à l’autorité du roi. Les débuts du règne de Louis XIII Louis XIII s’affranchit une première fois de la tutelle de sa mère, Marie de Médicis, et de son « fidèle » Concini, en 1617. Jusque-là, le royaume sous la régence est dominé par une politique pro-espagnole ce qui, en langage du temps, signifie pro-catholique. Les protestants s’inquiètent ouvertement de cette rupture avec la politique du défunt Henri IV. Lorsque Louis XIII, à seize ans, affirme sa volonté de diriger le pays avec son fidèle Luynes, les protestants ne sont pas plus rassurés. Plusieurs opérations militaires de représailles sont menées contre eux par le roi. Richelieu De 1624 à 1630, un autre personnage s’affirme dans les couloirs du pouvoir après s’être fait remarquer aux derniers états généraux du royaume (les derniers réunis avant 1789) : Richelieu, devenu cardinal en 1622. Il devient petit à petit le principal allié et conseiller du roi. C’est sur lui que s’appuie le roi. Principal ministre, il assure la consolidation du pouvoir royal à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est Richelieu qui permet à Louis XIII de s’affranchir une nouvelle fois, et définitivement, de la tutelle maternelle lors de la « journée des dupes ». Marie de Médicis est de plus en plus inquiète de la politique extérieure de Richelieu, prêt à combattre les puissances catholiques. Louis XIII, contre l’avis de sa mère, garde Richelieu contre le parti dévot, très catholique. Le renforcement de la monarchie À l’intérieur, Richelieu oriente l’ensemble de la politique royale. C’est le sens de cette phrase extraite du récit des élèves (p. 118) : « Il exige l’obéissance de tous : grands nobles mécontents, femmes accusées de sorcellerie, protestants de La Rochelle, paysans révoltés ou 79 L E T E M P S D E S D É C O U V E RT E S voleurs de grand chemin […]. » La politique royale à l’égard des grands nobles s’explique par le fait que Richelieu souhaite réduire la noblesse prête à l’action politique et à la conspiration, souvent réunie autour du propre frère du roi, Gaston d’Orléans. Les femmes accusées de sorcellerie et les brigands font partie de ces personnes que la société du XVIIe siècle a eu tendance à criminaliser de plus en plus, comme personnes déviantes et perturbantes pour l’ordre social. Les protestants, quant à eux, disposent, avec les places fortes obtenues à l’occasion de l’édit de Nantes de 1598, de bases de soulèvement jugées dangereuses, surtout avec la montée de l’inquiétude qui suit, rappelons-le, l’assassinat du roi Henri IV. La Rochelle a noué des relations importantes avec les Anglais, ennemis de la royauté française. En 1628, après un siège terrestre et maritime mené par Richelieu, la cité doit se rendre. Il mate ainsi nombre de révoltes protestantes, et dans le même temps fait signer par le roi l’édit d’Alès, en 1629, qui supprime toutes les places fortes, mais maintient la tolérance exprimée par l’édit de Nantes. L’absolutisme de guerre : la guerre de Trente Ans À l’extérieur, depuis 1618, la grande affaire, c’est la guerre de Trente Ans. En Europe, la division religieuse a débouché sur un conflit généralisé entre États protestants et États catho- liques. Jusqu’en 1635, la France tente de se maintenir à l’écart tout en participant aux activités diplomatiques incessantes dans lesquelles s’affirme déjà un jeune Italien, émissaire du pape, Jules Mazarin. Mais, en 1635, la France est entraînée dans la guerre européenne. La guerre contre la maison des Habsbourg (catholique) oblige l’État à trouver les moyens de son ambition européenne autant qu’internationale. L’État utilise un recours classique : le développement des impôts. Les charges ne cessent de s’alourdir, d’année en année, sur les populations qui s’en prennent aux collecteurs d’impôts (et notamment de la gabelle). Des révoltes importantes éclatent (les Croquants, les Va-nupieds…), toutes sévèrement réprimées. Dans sa volonté « absolue » de faire plier les grands du royaume ainsi que la population tant à l’obéissance au roi qu’aux impératifs de guerre, l’État monarchique conduit par Richelieu et Louis XIII a engagé une révolution des modalités de son action politique. L’autorité de la monarchie absolue ne supporte plus aucune remise en cause. Entre 1610 et 1643, date de la mort du roi, quelque chose a définitivement changé dans la culture politique française. La toute-puissance du roi s’est affirmée. L’instauration d’un régime de guerre et de la répression, au nom de la raison d’État, y a contribué. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Louis XIII en armure, anonyme d’après Philippe de Champaigne, et Richelieu, de Philippe de Champaigne, pp. 118-119 Il s’agit de deux toiles monumentales peintes pour l’Hôtel de la Vrillière. Dans le livre, comme dans le salon de l’Hôtel de la Vrillière, les deux personnages se font écho. Le roi et son ministre, Richelieu, regardent le spectateur en une posture presque identique. Le roi se tient debout de trois quarts vers la droite ; le ministre de même, mais tourné vers la gauche. Ils s’imposent par le regard qui tient sous sa domination le reste de l’univers. 80 La tradition veut que le roi soit représenté en militaire ou avec les instruments du pouvoir. Ici, il est en armure. Il porte l’écharpe et le collier de l’ordre du Saint-Esprit, l’épée au côté, le bâton de commandement en velours bleu piqué de fleurs de lys dans la main droite. La main gauche est posée sur un casque empanaché. Casque, épée, armure : autant de symboles qui affirment le pouvoir sur la vie et la mort. La composition de l’ensemble s’organise autour de verticales qui accentuent l’impression de carcan. Le roi sort d’une période troublée qui l’a contraint à parcourir son royaume d’une frontière à l’autre pour maintenir l’ordre. Le voilà maintenant retiré à Fontainebleau. Louis XIII et Richelieu (1610-1643) Contrairement à la tradition qui voulait que les gens d’Église soient représentés assis, Richelieu se fait peindre debout en homme d’action, en homme d’État plutôt qu’en prince de l’Église. Le tableau représente le ministre drapé dans un immense manteau écarlate, au sommet de sa puissance. La main gauche ordonne. La tête apparaît au sommet d’un échafaudage de plis qui dessinent une pyramide. Le visage condense toutes les lignes de force. Comme la main, le visage exprime une volonté d’agir. Cette représentation en miroir du roi et de son ministre est troublante au point qu’on ne sait plus qui détient réellement le pouvoir. C’est l’image même du pouvoir bicéphale. Gravure de Jacques Calot, p. 119 Le peintre et graveur français Jacques Callot est connu pour ses petites scènes détaillées. En 1633, deux ans avant sa mort, il publie Les Misères et les malheurs de la guerre qui regroupe une série de planches de dessins sur les conséquences de la guerre dans les campagnes et les villes françaises. Ces dessins représentent les conséquences d’une politique à peine amorcée. La précision du trait donne un témoignage irremplaçable sur cette époque. Sous chaque dessin, il composait un texte. Voici celui qui correspond à l’image que nous présentons dans le livre de l’élève : « Ceux que Mars entretient de ses actes meschans Accommodent ainsi les pauvres gens des champs Ils les font prisonniers ils bruslent leurs villages, Et sur le bestail mesme exercent des ravages Sans que la peur des Loix non plus que le devoir Ny les pleurs et les cris les puissent esmouvoir. » Le texte qui peut, bien entendu, être travaillé avec les élèves, indique les ravages que les gens de guerre font subir aux populations pendant leur passage sur leurs terres, car les armées doivent se nourrir et se loger. Au poids des impôts en augmentation, la présence de plus en plus fréquente des armées françaises ou étrangères (ici il n’y a aucune différence) pèse de plus en plus sur les conditions d’existence des populations rurales. Cette gravure peut être étudiée en détail accompagnée du texte de l’Intendant (c’est-à-dire du représentant du roi) de Provence, cité en légende. Cet ensemble de témoignages illustre les raisons du développement des révoltes paysannes toujours plus nombreuses de 1630 à 1643. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Louis XIII gouverne avec son ministre Richelieu. Le roi fait des guerres coûteuses. Richelieu augmente les impôts. Les paysans se révoltent. Les révoltés sont punis sévèrement. 81 C I N Q U I È M E PA RT I E L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? Brisant quelque peu les cadres chronologiques consacrés, il nous a semblé préférable de réunir sous une même problématique la période s’étalant du règne de Louis XIV à l’avènement de la IIIe République. En effet, il nous semble qu’il y a là une cohérence que les élèves comprennent fort bien. Certes, la monarchie absolue de Louis XIV est l’apogée d’une construction étatique à l’œuvre depuis plusieurs siècles. Certes encore, de François Ier à Louis XVI, il y a ce que les historiens appellent « une histoire moderne de l’État et du pouvoir ». Ce qui se tisse dans les allées de Fontainebleau et dans la construction de Chambord se développe dans la splendeur versaillaise d’un Louis XIV, plus discrètement d’un Louis XV, et ouvertement d’un Louis XVI. Pourtant, s’il s’agit d’un apogée, le siècle de Louis XIV est aussi le modèle politique à partir duquel toute la vie politique, économique, sociale et culturelle s’organise. Dès la mort de Louis XIV, lorsque le jeune Louis XV prend le pouvoir hérité de son arrière-grand-père, son règne s’inscrit dans une redéfinition intellectuelle du politique, au travers du siècle des Lumières, dans une alternative sans cesse repensée entre critique et défense du régime. En divisant les appartements de Versailles en petits cabinets, loin de la pompe louis-quatorzienne, Louis XV construit lui-même un rapport au pouvoir différent. C’est pour cette raison également que nous avons retenu le tableau de Delacroix intitulé La Liberté guidant le peuple, tant il nous semble qu’à partir des dernières années du règne de Louis XIV, avec Vauban et d’autres encore, la question du peuple, de son respect, de sa pauvreté et de sa liberté, vient au cœur des débats politiques. De plus, à la fin de l’Ancien Régime, sous la Révolution, sous Napoléon, au moment de la Restauration, en 1848 comme en 1871, c’est cette tension-là, entre idéal monarchique et idéal républicain, qui organise l’ensemble des enjeux révolutionnaires ou conservateurs. Delacroix réalise ce tableau en 1831, suite aux journées révolutionnaires qui chassent un roi (Charles X) pour en placer un autre (Louis-Philippe). Ce dernier achète le tableau pour l’exposer, puis le retire très rapidement des regards afin de ne pas susciter le retour de tels événements. Expression d’une peinture romantique où dominent les couleurs et le mouvement, l’extrait choisi ici insiste sur le caractère allégorique de l’œuvre : une femme-liberté, un bonnet phrygien sur la tête et brandissant le drapeau tricolore. À son côté se tient un enfant, expression de l’innocence et du bien selon Rousseau, immortalisant du même coup les enfants de Paris, partie prenante de tous les mouvements révolutionnaires ou de toutes les révoltes pour la liberté. Hugo en fera un Gavroche et un martyr contre l’idéal et le pouvoir monarchiques. 82 L o u i s X I V, r o i a b s o l u (1643-1715) LIVRE PP. 122-127 Notions Royauté absolue, intolérance religieuse, démographie, la Cour, l’étiquette, les finances, guerre, inégalités sociales. Compétences • Savoir analyser des documents iconographiques de différentes natures. • Associer plusieurs personnages à une période précise (Molière, Colbert, Louis XIV…). • Confronter des documents différents sur un même thème. Exercices Cahier CM1 : Louis XIV et les protestants, pp. 38-39. Cahier CM2 : Louis XIV, roi absolu (1643-1715), p. 6. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T L’idéologie absolutiste Ce chapitre sur Louis XIV, Roi-Soleil, doit être, plus qu’un autre, celui consacré à la question de l’absolutisme. La leçon doit donc être à la fois une leçon concrète, pleine de détails comme le récit de l’élève le propose, et en même temps, une leçon qui ne perd pas de vue sa problématique essentielle : qu’est-ce qu’un roi absolu ? L’idéologie de l’absolutisme se construit progressivement, mais ne se théorise réellement dans les textes qu’à partir de Henri IV, reconnu comme roi traditionnel (roi protecteur et garant de la paix) et roi très chrétien. Le roi de la monarchie moderne est aussi roi justicier, roi thaumaturge (celui qui guérit) et bien sûr, lieutenant de Dieu sur terre, son représentant direct en quelque sorte, et son seul juge in fine. Comme le dit le théoricien de la monarchie absolue, Bossuet : « Aussi Dieu a-t-il mis dans les princes quelque chose de divin. » La symbolique du pouvoir s’exprime à l’occasion de toute une série de gestes rituels et d’actes cérémoniels : le sacre à Reims (le roi est élu de Dieu), son enterrement à Saint-Denis (« Le roi est mort. Vive le roi ! »), sa présence physique (par les « entrées du roi » dans les villes, les cortèges et le Te Deum chanté à l’église) et sa juridiction (le roi en majesté pendant les lits de justice). Mais, depuis le XVIe siècle, la Cour devient un instrument et un symbole de son pouvoir absolu. À partir de cette époque, la noblesse ne peut éviter les séjours à la Cour, des séjours d’autant plus longs que s’affirme le pouvoir royal. C’est le lieu où il faut être. La Cour : instrument du pouvoir de Louis XIV Louis XIV fera de la Cour le moyen de contrôle par excellence de toute la noblesse. 8 000 à 10 000 personnes y vivent. C’est une cour toujours en mouvement, qui suit le roi, jusqu’à ce que Louis XIV se fixe à Versailles en 1682. À partir de cette date, Versailles – et en particulier la chambre du roi où s’organise une cérémonie quotidienne et prisée du lever et du coucher – devient le lieu vers lequel on va. Louis XIV ne se déplace plus qu’exceptionnellement. Les seuls déplacements qu’effectue le Roi-Soleil concernent surtout la guerre. La Cour constitue une représentation publique et quotidienne de son pouvoir ; dans ce cadre formel, il s’agit de mesurer la faveur du roi pour tel(le) ou tel(le). L’objectif désormais pour les nobles et tous les courtisans, c’est de passer du statut d’observateur à celui d’acteur du cérémonial. Car la participation au cérémonial sert assurément 83 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? d’indicateur de position dans une hiérarchie très subtile et très instable que seul le roi domine. La Cour sert de contrôle d’une noblesse que l’on sait toujours prête à la sédition. Aussi, sous Louis XIII et Louis XIV, le cérémonial s’alourdit, pour ne plus laisser place qu’aux courtisans. Les compagnons du roi dont aimaient s’entourer François Ier et ses successeurs jusqu’à Henri IV disparaissent. À leur compagnie masculine, bruyante et virile succède un entourage qui fait de l’apparence (perruques, poudres et fards) son objectif principal. Ceci s’explique par l’alourdissement parallèle du travail administratif royal. Dans cette mise en scène du pouvoir subtil et ostentatoire, la noblesse doit en effet vivre chaque jour la distance qui la sépare du roi, tout en s’offrant le sentiment de sa propre distinction, « d’en être », face à ceux qui ne côtoient pas ce faste et ses intrigues : la noblesse sans fortune de province, la bourgeoisie et le peuple. Louis XIV est né en 1638 et devient roi avant l’âge de six ans en 1643 à la mort de son père. Il attend la mort de Mazarin (1661), ministre de sa mère, successeur de Richelieu aux affaires (de 1643 à 1661), pour prendre les rênes du pouvoir. Il s’entoure de ministres sans titre de noblesse particulier, qui lui doivent tout. Colbert représente bien ces ministres dévoués dont le roi ne peut socialement rien craindre. Ils ne sont pas des grands du royaume et ne peuvent lui faire d’ombre. Les difficultés de la fin du règne Le texte destiné aux élèves insiste sur trois dimensions centrales du règne de Louis XIV : sa politique religieuse, son goût de la guerre et la situation préoccupante des campagnes. Les affaires religieuses La politique religieuse est l’histoire d’un raidissement doctrinal sur la question de la tolérance à laisser aux protestants. Le roi entend renouer avec l’unité religieuse du pays. Il fait révoquer l’édit de Nantes (par l’édit de Fontainebleau de 1685). Cette décision est catastrophique non seulement pour les protestants, obligés de fuir 84 vers les Pays-Bas principalement, de se cacher, ou de se convertir de force ; mais elle est aussi dramatique pour toute la France qui voit une partie de l’économie disparaître, par la fuite des savoir-faire protestants et d’une partie de l’élite intellectuelle. Des révoltes causent des soucis à la royauté au moment où celle-ci cherche à sortir victorieuse de ses guerres à l’extérieur (la révolte des Camisards dans les Cévennes en 1702-1705). Affirmation de la puissance du roi de France en Europe « J’ai trop aimé la guerre », dit Louis XIV sur son lit de mort à son arrière-petit-fils, le futur Louis XV. Pour sa gloire (Nec Pluribus Impar : rien de mieux à part moi), et le prestige de la France, « fille aînée de l’Église », Louis XIV ne ménage pas ses efforts – et Colbert non plus pour réunir les fonds. Gloire personnelle, affirmation de la France comme puissance européenne, fortification et agrandissement du territoire furent les mobiles profonds de ces guerres. Il en a mené quatre principales contre l’Empire des Habsbourg, bien affaibli, et l’Angleterre, sans compter un nombre important de coups de force et d’opérations militaires limitées : la guerre de Dévolution (1667-1668), la guerre de Hollande (1672-1678), la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697) et la guerre de la Succession d’Espagne (1702-1713). Trente années de guerres pour quarante-quatre années de règne : le bilan est lourd. Les difficultés financières et économiques D’un point de vue économique, la situation de la France s’est considérablement dégradée à partir des années 1680. En effet, deux facteurs se conjuguent étroitement. D’abord la guerre qui, comme sous Louis XIII, grève le budget royal, impose des choix draconiens et oblige à alourdir sans cesse et le poids de la fiscalité et la puissance de l’administration royale garante de la paix civile. Ensuite le refroidissement du climat : les récoltes qui gèlent en terre, les fleuves qui se transforment en glace plusieurs mois de l’année, les villes affamées (1693), la misère des campagnes partout visible. L’année terrible est L o u i s X I V, r o i a b s o l u ( 1 6 4 3 - 1 7 1 5 ) bien 1709 : terrible par son hiver, par le niveau déplorable du ravitaillement, par l’incapacité apparente du roi à résoudre la crise, tout occupé qu’il est à faire la guerre. Pour les historiens, il y a bien Louis XIV et sa Cour, coupés de 20 millions de Français (Goubert). Bien que forte et caricaturale, cette image insiste pourtant justement sur le gouffre qui oppose le faste et le luxe versaillais, les sommes d’argent prises à faire la guerre et la souffrance quotidienne du peuple aux prises avec la famine et la misère. La crise de 1709 et la guerre persistante ont certainement contribué à faire naître les premières contestations contre le pouvoir de Louis XIV (Vauban, Fénelon) et à structurer une forme d’opposition intellectuelle, tout en finissant par lézarder le pacte paternel qui unissait le souverain à ses sujets. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Représentation du Malade Imaginaire à Versailles, p. 123 Le Malade imaginaire est une comédie ballet. Dans cette scène (scène 5, acte II), Molière traite le thème amoureux sous forme d’une parodie, moyen pour lui de se moquer de Lully avec qui il était fâché. Lully était, à cette époque, considéré comme un grand maître dans l’art de l’opéra. Conformément aux nouveaux programmes, cette scène peut être étudiée en classe. Louis XIV et sa cour dans sa chambre à Versailles, p. 124 Ce tableau, conservé au Musée de Versailles, est le seul tableau historique réalisé par François Marot (1666-1719). Il représente Louis XIV dans sa chambre à Versailles, créant les premiers chevaliers de l’ordre de Saint-Louis. Les premiers rois ont eu très tôt le souci de créer des distinctions pour honorer leurs sujets. Louis XIV a créé cet ordre en 1693 pour récompenser les services rendus à l’armée. Ceux qui étaient décorés percevaient ensuite une pension. Dans une pièce d’un style classique et pompeux, on distingue le roi, le plus grand de tous par convention, le seul avec un chapeau sur la tête, portant le grand collier bleu de l’ordre du SaintEsprit. Parmi les courtisans, il y a à droite ceux qui regardent, à gauche ceux qui assistent le roi pendant la cérémonie et au centre ceux qui sont faits chevaliers. Ils sont tous à genoux, l’un admire son cordon tandis qu’un autre est touché du plat de l’épée sur l’épaule. Cette cérémonie, comme tous les actes qui rythment la vie du roi, est minutieusement mise en scène par le maître des cérémonies (personnage au premier plan à droite). Chaque geste est pensé pour affirmer la supériorité du roi sur tous ses sujets. Le roi accorde des marques de faveur aux courtisans les plus soumis. Cette vie de cour, le roi l’a voulue ainsi pour amener la grande noblesse à vivre à Versailles afin de mieux pouvoir contrôler ses agissements. Pour mieux faire comprendre aux élèves cette relation maître/courtisan et les obligations qu’elle implique de part et d’autre, on pourra prolonger la réflexion sur ce thème par la lecture de la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien. La conversion forcée des protestants, p. 125 La gravure met en scène « les moyens sûrs et honnêtes » pour convertir les hérétiques à la foi catholique. Sur l’injonction d’un représentant de l’État royal, un protestant s’agenouille en signe de soumission, face aux « moyens sûrs et honnêtes » : la prison, le fouet, les galères, le feu, la pendaison et la roue. À ces six moyens il manque les « dragonnades » infligées par les dragons des forces royales dans les provinces. Cette gravure est ironique et on sait combien l’ironie peut être difficile à saisir à l’âge des élèves de cycle 3. Pourtant, en menant une description minutieuse du document, on arrive au contraire de ce qui est dit dans le titre. La question de savoir qui est l’auteur du document peut suivre : un protestant ou un opposant à la révocation de l’édit de Nantes ? Car, si on veut convertir ou convaincre quelqu’un de quelque chose, on peut penser que les moyens mis en œuvre ne peuvent que l’en dissuader. 85 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? Portrait équestre de Louis XIV couronné par la Victoire, p. 126 Louis XIV est couronné par la Victoire, allégorie louis-quatorzienne de la guerre. Souvent, et en particulier dans le décor de Versailles, les représentations des dieux de la mythologie romaine (Apollon, Hercule, Mars) et leurs attributs (lauriers, lyre…) se mêlent aux portraits et aux emblèmes royaux. Les portraits royaux montrent souvent Louis XIV dans une scène militaire. Car le prestige du roi passe encore au XVIIe siècle par la gloire militaire. Louis XIV en fait le but de son règne : régner sur une France dominante en Europe. Texte de D’Aguesseau et Lefèvre d’Ormesson, p. 127 D’Aguesseau et Lefèvre d’Ormesson sont deux magistrats dont les familles ne cessent de se préoccuper du « bien public ». Ils témoignent ici de ce que rapportent tous les intendants du roi dans les provinces, à savoir des conditions réelles d’existence de la population. Ne venant plus qu’exceptionnellement dans les provinces, le roi s’y fait représenter par des intendants aux pouvoirs accrus sous son règne. Ils sont les exécutants de la politique royale, chargés d’exécuter les ordres de Versailles. Mais ils renseignent également la Cour de la situation dans les provinces, des relations qu’ils entretiennent avec la noblesse et les notables bourgeois locaux, comme de ce que pense ou ressent la population Dossier Les Mendiants, p. 127 Des mendiants rassemblés dans un décor de ruines romaines demandent l’aumône aux passants, une femme et son enfant, un conducteur de charrette… Sébastien Bourdon (1616-1671), peintre et graveur, après avoir vécu quelques années à Rome, s’est mis à peindre à son retour des scènes de la vie populaire et quotidienne. Ici la présence des ruines ajoute à l’accablement des plus démunis. Mais surtout, dans ce contexte, elles prennent une valeur symbolique. On peut les ressentir comme dessinant la frontière entre puissants et démunis, entre la ville culturellement privilégiée et la campagne. L’arrivée de pauvres de plus en plus nombreux dans les villes inquiète les notables. Des systèmes d’assistance et des institutions nouvelles (Chambre des pauvres, Bureau des pauvres…) vont être mis en place pour s’occuper de la charité publique. L E R O I E S T U N E N FA N T Dans ce dossier où le roi enfant est présenté en costume de sacre, l’accent est mis sur l’hérédité du « métier de roi ». Le pouvoir est héréditaire en ligne masculine depuis le Moyen Âge, quel que soit l’âge. En cas d’incapacité liée à l’âge, comme c’est le cas de Louis XIV à cinq ans, une régence est assurée par sa mère, Anne d’Autriche qui confie à son ministre Mazarin la charge des affaires du royaume et l’éducation de son fils. 86 au sens large. Leur rôle est considérable à ce titre : ils sont l’expression de Versailles et son œil. Bien souvent, loin de la cour, les Intendants dans les provinces n‘hésitent pas, malgré leur charge royale, à prendre de la distance par rapport à la politique royale, confrontés qu’ils sont à la distance considérable qui existe entre la réalité de la Cour et la réalité sociale. En 1687, la situation sociale et économique se dégrade considérablement. Ce texte en est le témoignage. PP. 128-129 Car être roi est un métier qui s’apprend. À travers l’éducation de Louis XIV, c’est toute l’éducation des rois de France depuis François Ier qui peut être évoquée avec les élèves. Rien n’est négligé : primus inter pares (« premier seigneur entre tous »), le roi doit être le meilleur dans tous les domaines – arts, sports (équitation, car il est le premier chevalier de tous), armes, sciences et techniques… Le roi doit pouvoir tenir son rang en toute occasion. Car la personne du roi est sacrée. Quand L o u i s X I V, r o i a b s o l u ( 1 6 4 3 - 1 7 1 5 ) Louis XIII meurt, on crie, comme toujours à chaque décès de souverain : « Le roi est mort, vive le roi ! », signe de la perpétuation de la monarchie. La sacralité de sa personne est manifestée à tous par le sacre et par la pompe royale qui l’entoure. Les élèves savent déjà cela de Louis XIV. C’est le moment, par le récit, de leur expliquer précisément comment l’ostentation royale se développe sous Louis XIV. Car, sous le RoiSoleil, l’ostentation royale est portée à son zénith. Portrait du roi enfant en costume de sacre, p. 129 Sur ce portrait, Louis XIV est âgé de cinq ans et il est roi. À quoi le voit-on? Il faut observer l’attitude, le costume et rechercher les symboles, ce qu’il tient dans la main gauche (le sceptre, le bâton de commandement), dans la main droite (une couronne). La cape est parsemée de fleurs de lys, plus exactement de bouquets de lys, troisième emblème de la royauté. Roi de 1643 à 1715, ce sera le plus long règne de l’histoire de France. Éléments pour une synthèse Louis XIV devint roi à cinq ans. Il est un élève médiocre. Il aime surtout jouer à faire la guerre. Il apprend le métier de roi avec Mazarin. Pendant les premières années de son règne, il partage son temps entre les fêtes somptueuses et le travail. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Louis XIV gouverne seul depuis la cour de Versailles. Il décide de supprimer l’édit de Nantes. Il fait des guerres qui coûtent cher. Le pays s’appauvrit. Les paysans sont accablés par la guerre, la famine et les impôts. 87 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? La traite des Noirs au XVIIIe siècle LIVRE PP. 130-135 Notions Traite, esclavage, commerce triangulaire, colonie, importance des colonies dans l’économie européenne. Compétences • Analyser des documents iconographiques. • Savoir confronter des documents. Exercices Cahier CM1 : La traite des Noirs au XVIIIe siècle, pp. 40-42. Cahier CM2 : La traite des Noirs au XVIIIe siècle, pp. 7-8. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T L’esclavage est une donnée universelle et historique qui a touché tous les continents et les touche encore. Né dans l’Antiquité, il existe aujourd’hui sous des formes multiples, dans les pays riches comme dans les pays en voie de développement*. Pourtant, au tout début du XVIe siècle, à l’occasion de la découverte et des projets d’exploitation des terres américaines, une forme particulière d’esclavage prend naissance : la traite négrière, indissociable de l’emprise coloniale des puissances européennes sur les nouvelles contrées récemment découvertes par eux. Car ici, les esclaves vont servir de marchandises transportables dans le cadre d’un commerce triangulaire organisé. Le commerce triangulaire Partis d’Europe (Portugal, Espagne, France, Angleterre, Hollande), les navires négriers transportent des marchandises (barils de poudre, laine, fusils, alcool, objets en fer…) qu’ils échangent et vendent contre des esclaves aux chefs de tribus. Puis les captifs, enchaînés et entassés dans des conditions invraisemblables dans les cales des bateaux, filent vers le Brésil et les Antilles, et plus tard, au XVIIIe siècle, vers les treize colonies américaines du nord. Les survivants et les plus en forme sont vendus à des propriétaires qui les achètent par lots. Une fois les affaires faites, les négriers peuvent retourner en Europe, avec beaucoup d’argent et des pro- duits tropicaux (sucre, cacao, café…). Le trajet moyen de cette traite négrière, d’Europe à Europe, prenait près de 16 à 18 mois. Le chapitre proposé aux élèves suit le chemin des esclaves : de la capture à la mort ou au travail dans les plantations. Le texte débute par le récit d’Olaudah Equiano, né au Biafra en 1745. Il est enlevé par des négriers pour le Bénin, d’où il part pour la Barbade, puis la Virginie, et enfin l’Angleterre où, une fois affranchi, il rédige son autobiographie qui devient un texte de référence pour les abolitionnistes anglais. Ce texte est un patrimoine indispensable à la compréhension de cet événement historique. Il est très important de faire remarquer aux élèves que nous ne disposons qu’à de très rares occasions (comme pour Equiano) de témoignages directs et écrits des principaux intéressés : les esclaves. Le souvenir de l’esclavage ne perdure que grâce à la transmission orale de génération en génération comme c’est le cas aux Antilles, par exemple. Il nous a semblé qu’avec ce récit, les élèves pouvaient mieux percevoir l’horreur qu’a constitué ce commerce. Mais, pour dire l’horreur, il est essentiel de décrire le détail des conditions de cette traite avec les élèves. La capture d’abord, souvent en alliance avec les chefs de tribus ou les rois africains. Des fortunes noires s’organisent du fait de la traite négrière ; • La loi du 10 mai 2001 reconnaît la traite des Noirs et l’esclavage comme crime contre l’humanité. 88 La traite des Noirs au mais cette traite n’existe que, parce que, à l’origine, l’Europe a besoin de cette « marchandise ». Christophe Colomb avait tenté de ramener des Indiens vers l’Europe, mais ceux-ci furent trop faibles ; les Portugais durent envisager autre chose. De plus, au même moment, les Indiens d’Amérique commençaient à mourir en masse du fait des répressions et du choc microbien. L’histoire de cette traite est une histoire de la déshumanisation au bénéfice du profit commercial : la capture, les conditions de transport, les morts inévitables, prévues dans les calculs d’investissement et de perte, et la vente sur les marchés d’esclaves une fois à destination. C’est aussi une histoire de la violence. L’homme n’est plus un homme, il devient un objet que l’on vend, que l’on achète : blessé, malade, « inutilisable », il est sacrifié ou vendu dans un lot d’esclaves valides afin d’amortir les frais engagés pour le transport par les négriers. Ce commerce est très lucratif. La vie dans les plantations Une fois dans les plantations (de canne à sucre essentiellement), les esclaves effectuent des travaux exténuants et dégradants, des heures durant sous un soleil de plomb, sous le fouet du maître ou de son commandeur. Les dangers sont nombreux, les risques physiques également. Le travail dure de l’aube à la nuit. Pour les historiens, les taux de mortalité de la population noire approchent les 5 à 6 % par an et par plantation. Dans ces conditions, les révoltes éclatent aussi souvent que les forces physiques des esclaves et l’audace d’affronter la peur permanente le permettent. Exécutions, supplices (fouet, tortures multiples…) sont monnaie courante. Pour éviter les évasions, les esclaves portent des crochets et des fers. Car la fuite est la seule solution, précaire, pour quitter cet enfer esclavagiste : c’est le marronage, et les esclaves qui fuient dans les mornes (petites collines) sont appelés « nègres marrons ». Ampleur de la traite Véritable aubaine pour les villes portuaires d’Europe, pour les négriers et les multiples XVIIIe siècle intermédiaires locaux et indigènes de la traite négrière, ce trafic humain a concerné plusieurs millions d’hommes sur les trois siècles de son existence (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle). Si les départs vers les Amériques représentent un nombre peu élevé – 6 000 esclaves par an ! – au XVIe siècle du fait de la taille des bateaux, l’amélioration des techniques maritimes est une catastrophe humaine supplémentaire – près de 40 000 hommes par an au début du XVIIe siècle et des centaines de mille à la fin du XVIIIe siècle –, d’autant que l’augmentation toujours croissante des surfaces cultivées et de la taille moyenne des exploitations nécessitent un nombre supplémentaire de travailleurs. En France, le véritable début de la traite peut être daté du règne de Louis XIV (1673), lorsque Colbert veut bâtir une politique maritime pour la France. Peu après, le Code noir (1685) régit l’esclavage en proclamant la religion catholique unique religion des colonies françaises. Il prévoit toute la panoplie répressive à l’égard des esclaves en cas de sédition, de fuite et de vol. L’article 44 entérine son statut de « bien meuble ». En ce sens, la loi le porte à être vendu comme tout autre « objet » et le laisse démuni de tout moyen d’action contre son maître, par exemple. Protestations contre la traite des Noirs Pourtant, même si le sujet est douloureux, la traite porte en elle les conditions de sa contestation. Alors même que la traite s’organise, la protestation contre le commerce des hommes se développe en parallèle. De Bartolomé de Las Casas à Victor Schœlcher, en passant par la Société des amis des Noirs, les conditions esclavagistes ont toujours fait l’objet d’une protestation importante. Les abolitions de la traite et de l’esclavage sont réclamées. La traite négrière est abolie en 1808 en Angleterre, en 1812 aux États-Unis et en 1827 en France. Devant les corruptions et la poursuite clandestine de la traite, il faut attendre 1833 en Angleterre, 1848 en France et 1865 aux États-Unis pour que l’esclavage lui-même soit aboli. 89 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Marchand d’esclaves de Gorée, p. 130 Gorée est située dans la baie de Dakar. Il s’agit d’une île au large des côtes africaines, véritable centre de traite français au Sénégal. Sur la gravure, on peut faire remarquer aux élèves les exploiteurs, marchands blancs et marchands noirs, réunis dans un dialogue marchand, habillés richement. Le marchand noir porte une pique et fume du tabac, marchandises échangées à l’occasion de la transaction contre des esclaves livrés aux Blancs. Au second plan, on perçoit de jeunes esclaves noirs (sans doute des adolescents), très peu vêtus, attachés par les pieds l’un l’autre et chargés de fers. Le commerce triangulaire, p. 131 Le commerce triangulaire permet d’amener la main-d’œuvre nécessaire pour exploiter les colonies tout en ne voyageant jamais les cales vides. Démarrée tardivement, la traite française se développe au XVIIIe siècle. La France, après l’Angleterre, a le triste privilège d’être la deuxième nation de traite (voir les conditions de son développement à la page précédente). Coupe d’un navire négrier, p. 132 Les navires sont composés de cales à esclaves. L’espace en hauteur est très bas : jamais plus d’1,50 mètre. La construction des navires négriers répond à des impératifs stricts : faire entrer le plus d’esclaves possible. Sur cette coupe, on peut voir la rationalisation savante opérée dans le « rangement » des esclaves et dans l’exploitation maximum de l’espace. C’est au XVIIe siècle, et plus encore au XVIIIe siècle, que les navires, plus larges, plus grands, plus rapides, réalisent leurs plus forts taux de déportation. Au total, on estime à au moins 11 millions le nombre de personnes déportées pendant toute l’histoire de la traite. Une plantation de sucre aux Antilles, p. 133 Cette gravure est issue de l’ouvrage du père Jean-Baptiste du Tertre, botaniste et voyageur français du XVIIe siècle. Le dessin représente la 90 réalité de la plantation sucrière et de son organisation. On peut y voir deux niveaux principaux. D’une part, en arrière-plan, un moulin destiné à broyer les tiges de canne à sucre fraîchement coupées. D’autre part, au premier plan, les fours qui servent à cuire le jus de canne obtenu par le broyage. On a là une partie du processus de fabrication du sucre de canne. Élément central du dessin, le commandeur veille sur l’ensemble de la production et semble menacer un esclave de son bâton. Châtiment des esclaves fugitifs, p. 134 Sur ce dessin, on peut voir un collier de cou à longues tiges recourbées. Les fers utilisés dans les plantations visent à empêcher les esclaves de fuir hors de la plantation en se cachant dans les fourrés. Ainsi appareillés, les esclaves n’ont aucune chance de gravir les mornes : soit ils meurent étranglés, soit ils sont rattrapés alors qu’ils tentent de se détacher des branches qui les rendent prisonniers. De plus, on peut faire remarquer aux élèves que les maîtres n’hésitaient pas à mettre des clochettes aux bras et au cou des esclaves pour les entendre se déplacer, et contrôler ainsi leur évasion éventuelle. Sur cette gravure, on dit qu’il s’agit de récidivistes, ce qui est loin d’être sûr. La sanction en cas de fuite est juridiquement organisée par le Code noir : le nègre marron a les oreilles coupées et une fleur de lys marquée sur l’épaule gauche ; s’il récidive, il est mutilé au mollet. Aussi, cette gravure indique plus le sort réservé aux esclaves avant évasion que le sort réservé à ceux qui se sont évadés. Bien à vendre, p. 133, et texte de Diderot, p. 135 Le texte de Diderot est très important car il reconnaît l’humanité des Noirs en mettant en question le rapport de propriété qu’un homme peut avoir sur un autre (ce qu’illustre l’inventaire de la plantation, p. 133). Il souligne par son interrogation le fait que tout homme est l’égal d’un autre et qu’il ne peut en être la propriété. En étendant sa réflexion aux femmes, aux enfants comme aux sujets, aux domestiques, il La traite des Noirs au s’inscrit dans la philosophie qui inspire la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. À travers la critique de la propriété de l’homme sur l’homme, Diderot parle de la liberté inaliénable de l’individu quel qu’il soit. Texte de Voltaire, p. 135 Voltaire (1694-1778) dénonce l’esclavage dans Candide. Il montre à quel prix humain se paye le fait de manger du sucre en Europe. Candide est un roman de formation qui mêle, avec la biographie du héros, l’histoire d’un voyage. Le XVIIIe siècle héros, Candide, est sensible et pleure souvent sur les malheurs de l’humanité. Il confronte sans cesse les réalités du monde aux enseignements de son maître Pangloss qui s’obstine à penser que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». L’épisode de la rencontre avec l’esclave s’inscrit dans cette leçon de lucidité et de courage dont il faut faire preuve pour appréhender le réel tel qu’il est, sans idées préconçues. C’est l’occasion pour Voltaire de critiquer l’esclavage sur le plan humain, économique et philosophique. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Pour travailler dans les colonies, les Européens vont chercher des esclaves en Afrique. Ils les vendent en Amérique et reviennent en Europe avec leurs bateaux chargés de produits colo- niaux : du café, du tabac, du sucre ou du coton. La vie des esclaves dans les plantations est très cruelle. En France, des écrivains condamnent l’esclavage. 91 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? L a s o c i é t é d ’ A n c i e n R é g i m e LIVRE PP. au XVIIIe siècle 136-141 Notions Ancien Régime, inégalités, privilèges, crise de la monarchie, Lumières, L’Encyclopédie, philosophes. Compétences • Analyser une caricature. • Comprendre une époque à partir du point de vue d’un étranger. • Analyser et confronter des documents. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La notion d’Ancien Régime est née dans les brochures qui accompagnent la Révolution française. Elle a des limites car il s’agit d’abord d’une définition politique privilégiant le seul aspect politique avec comme rupture 1789. De ce fait, elle ne tient pas compte des persistances économiques et sociales qui existent jusqu’au milieu du XIXe siècle. Certains historiens insistent plus sur la notion d’Ancien Régime économique et social en privilégiant la période 1750-1840 : développement des transports, unification linguistique, unification et centralisation de l’administration d’État, unification juridique, recul de la piété, déchristianisation et surtout révolution démographique. Pourtant, cette notion d’Ancien Régime a un mérite pratique et pédagogique, car elle décrit une société tout entière, ses pouvoirs, ses traditions, ses mœurs, ses institutions et ses mentalités. Quelle est donc cette société définie par le fait qu’elle constitue un ordre ancien par rapport à l’ordre nouveau mis en place par la Révolution ? L’accroissement démographique de la fin du XVIIIe siècle C’est d’abord une société où la vie, pour l’immense majorité des personnes, se déroule dans le cadre de la paroisse. Du XVIe siècle au début du XVIIIe siècle, ces femmes et ces hommes représentent à peu près 20 millions d’habitants 92 du royaume, ce qui fait de la France un des pays d’Europe les plus peuplés. C’est une époque où le royaume connaît des catastrophes démographiques, c’est-à-dire des épisodes très courts, mais très réguliers (tous les 15 ou 20 ans), de pics de mortalité. Les mauvaises récoltes en sont souvent la cause. La vie est fragile et la mort permanente à l’échelle d’un village où tout le monde se connaît. Cependant, en 1789, la population passe à 26 millions d’habitants, soit un saut très important. Cela s’explique par la disparition progressive des grandes catastrophes démographiques en partie liée au réchauffement climatique. Une société d’ordre Cette société française est une société d’ordre qui repose sur la trifonctionnalité médiévale : le clergé, la noblesse et le peuple de ceux qui travaillent, le tiers état. C’est une société de privilèges, de droits seigneuriaux et d’inégalités fondés sur le sang. Clergé et noblesse sont exemptés de la plupart des charges, sauf celle de la capitation (impôt par tête créé en 1695 pour financer les guerres de Louis XIV). La naissance prime sur le mérite. Ce système se justifie notamment par le fait que la noblesse est réputée verser l’impôt du sang, c’est-à-dire qu’elle a le « privilège » (vestige médiéval et féodal) de faire la guerre. En réalité, au XVIIIe siècle, seuls 10 % environ de la noblesse font encore la guerre. La société d’Ancien Régime au Dynamisme économique Contrairement à une idée souvent répandue, la société de la fin du XVIIIe siècle est une société en plein dynamisme, reposant sur le développement des manufactures, des transports et de la réflexion économique grâce aux physiocrates. On y vit certainement mieux qu’au début du siècle. Cependant, le contraste ville/campagne est très fort. De plus, à la campagne, les situations sociales sont très hétérogènes entre les laboureurs, les manœuvriers et les errants. Par leur travail et les charges qu’ils payent, les paysans supportent le poids de la société. En ville, des écarts de fortune encore plus grands s’observent. Pour toutes ces raisons, à la fin du XVIIIe siècle, cette société d’ordre éclate sous le poids des réalités sociales. Au sein du tiers état se retrouvent des personnes avec des fortunes colossales comme des miséreux sans espoir, n’ayant rien à voir entre eux. La bourgeoisie, de son côté, vit de plus en plus mal le fait de « n’être rien dans l’ordre politique » par rapport à la noblesse. Elle n’a pourtant rien à lui envier en termes de train de vie, de consommation ou de richesse, si ce n’est son statut. Les paysans, quant à eux, supportent de plus en plus mal la précarité des conditions de vie et on accuse de plus en plus volontiers le roi d’incompréhension à l’égard des problèmes réels alors qu’à Versailles, les paysans sont perçus comme de plus en plus ingrats à l’égard du souverain. Pour des problèmes de subsistance, une subversion est en marche : la désacralisation de la royauté et la suspension de l’obéissance absolue au monarque. De nouveaux lieux de sociabilité C’est sans conteste dans le domaine des mentalités que les choses évoluent le plus vite. Les villes sont le lieu de l’émergence des idées nouvelles, mais surtout le lieu de leur diffusion. On assiste à un progressif déplacement des instances de consécration artistiques et littéraires. Auparavant, les gloires se faisaient à la cour, à XVIIIe siècle Versailles. De plus en plus, vers le milieu du siècle, elles se font en ville, et principalement à Paris. Les nouveaux lieux sont les salons, les clubs et les cafés où les élites se retrouvent autour des produits coloniaux (tabac, café, chocolat…). Les discussions y sont libres et critiques, on y lit des libelles et des pamphlets sur la royauté. XVIIIe Ces idées nouvelles vont progressivement désacraliser la monarchie. Il s’agit bien d’une « érosion de l’autorité » (Roger Chartier) à laquelle chacun assiste à partir des années 1750. Parmi les publications qui comptent, on peut citer L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : ils réunissent les contributions des penseurs du temps dans un grand dictionnaire de plusieurs volumes – 17 volumes de texte et 11 volumes de planches. Les pamphlets connaissent eux aussi un succès clandestin très important, mais aussi des textes très surprenants comme la publication en 1781 du budget de l’État par le ministre Necker, qui connaîtra 17 rééditions. Les intellectuels de l’époque y lisent le poids considérable de la guerre, de la Cour et de son faste, et le coût de la famille royale dans le déficit chronique du budget. Dans cette société en pleine ébullition, deux catégories de personnes se distinguent : les avocats et les écrivains. Il s’agit de deux figures radicales, politiquement, qui associent la déception d’une large fraction des intellectuels, l’érosion de l’autorité monarchique et l’imputation des malheurs sociaux au pouvoir souverain. Ces deux catégories rêvent d’une ère nouvelle reposant sur le bien public. L’idéal monarchique est supplanté par l’idéal public. Parallèlement, les élites politiques et aristocratiques se montrent incapables de comprendre les bouleversements en cours. Les réformes sont impossibles, avec la noblesse et le clergé figés sur leurs privilèges. La situation de banqueroute de l’État en 1788 amène Loménie de Brienne, ministre de Louis XVI, à annoncer la réunion des États Généraux. 93 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S La Veillée paysanne, p. 136 Cet intérieur paysan, immuable pendant plusieurs siècles, montre la pièce unique qui est une pièce à vivre. On y mange, on y reçoit, on s’y réchauffe, on y dort aussi. La cheminée est le lieu de la sociabilité des soirées, espace de chaleur unique pour la pièce et l’étage (s’il y en a un), autour duquel s’organise la veillée. Cette gravure a l’intérêt de montrer la densité de personnes dans le monde rural de la société d’Ancien Régime. Les campagnes sont un monde plein, comme disent les géographes, c’est-à-dire un espace très densément peuplé. Et, dans cette société rurale très majoritaire, une différenciation des espaces s’observe par sexe. Les sociabilités paysannes sont sexuées. On observe à gauche sur la gravure les femmes faisant des travaux de veillée (laine, vannerie, tri des noix, couture…), entourées des enfants. La rumeur se colporte dans ces veillées et la tradition orale s’y transmet. À droite, l’espace masculin où les hommes discutent des affaires du village, de la contrée, et de plus en plus souvent au XVIIe et au XVIIIe siècle, des affaires politiques et du roi. Ces espaces ne sont pas hermétiques, mais ils sont néanmoins inscrits dans l’espace de la pièce, témoins de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Textes d’Arthur Young, p. 137 Arthur Young est un agronome anglais qui se rend en France à trois reprises de 1787 à 1789. Il parcourt la France avec l’œil d’un étranger cultivé, mais extérieur aux enjeux politiques français. Ce recul lui permet de décrire un pays qu’il découvre. Agronome, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’ordre économique. Comparée à ce qu’il connaît en Angleterre, la vie rurale lui semble très pauvre, peu développée du point de vue des techniques agraires qui sont au contraire très avancées dans son pays. C’est une description très parlante pour les élèves et très importante car elle est rédigée dans le cadre d’un journal de route tenu au jour le jour, quelques mois avant la Révolution française. 94 Le tiers état portant le clergé et la noblesse, p. 138 De nombreuses caricatures datant de la fin du XVIIIe siècle dénoncent la société inégalitaire dont le poids pèse sur les épaules du tiers état. Elles expriment la lassitude de cette situation. Sous l’une d’entre elles, on peut lire : « A faut espérer q’eu se jeu là finira bientôt ». Plusieurs gravures de ce type évoquent le tiers état écrasé sous la charge des deux ordres privilégiés. Soit il s’agit d’une pierre énorme, soit de sacs d’impôts pesants. Mais, toujours, le tiers état porte littéralement le clergé et la noblesse. Il faut noter qu’il est souvent, voire toujours, représenté sous les traits d’un paysan. Il convient de ne pas perdre de vue que la contestation de la monarchie absolue reposant sur les privilèges vient également pour une grande part des bourgeois sans naissance. Texte d’Arthur Young, p. 140 Ce texte, rédigé pendant son deuxième voyage en France, laisse entendre que, entre 1787 et 1788, quelque chose a changé. La crise est désormais palpable, l’annonce des états généraux a transformé les conditions d’expression du politique. Il n’est pas inintéressant de montrer aux élèves que c’est dans une ville que Young se rend compte du changement dans les esprits, et surtout, qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle ville. Nantes a connu son succès grâce au commerce outre-Atlantique et notamment grâce à la traite négrière. De plus, ce fut la ville portuaire la plus concernée par la révolution américaine. C’est de là que sont parties les armées royales de soutien aux révoltés américains et c’est par ce port que transitèrent les informations concernant la toute nouvelle république. Le salon de Madame Geoffrin, p. 140 En 1755, philosophes et artistes sont réunis dans le salon de Madame Geoffrin (troisième personne à droite, au premier rang) pour la première lecture d’une tragédie de Voltaire, L’Orphelin de la Chine. Le tableau a été réalisé par le même artiste que le tableau représentant La société d’Ancien Régime au XVIIIe siècle François Ier (p. 113 du livre de l’élève). Il s’agit de Lemonnier (1743-1824). principes de liberté et d’égalité qui sont indissociables. Les invités sont répartis de part et d’autre du buste de Voltaire placé au centre du tableau. Debout, dans l’angle de droite, de face, encadré par deux autres participants, on reconnaît Denis Diderot, philosophe, écrivain et critique d’art, le principal animateur de L’Encyclopédie dont il a assuré la publication. Devant, la main posée sur le pupitre recouvert de velours, le personnage, dont on ne voit que le buste, est Jean d’Alembert, mathématicien, astronome et physicien, auteur de nombreux articles dans L’Encyclopédie célébrant le progrès scientifique. Au fond, à la droite du buste de Voltaire, en conversation avec un autre convive, on distingue Jean-Jacques Rousseau. Écrivain, il collabore lui aussi à L’Encyclopédie. Il défend les Signature et texte de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, p. 141 La Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique est signée le 4 juillet 1776. Le texte, fruit du travail de Thomas Jefferson, est amendé et voté par les représentants des treize colonies réunis en Congrès. Dans cet extrait du préambule, deux filiations intellectuelles sont présentes : d’une part la tradition de la philosophie des Lumières, reposant sur les droits naturels, la liberté et l’égalité et d’autre part la religion qui a une place importante dans le texte. Dès l’origine, Dieu protège la constitution américaine. La déchristianisation n’a pas concerné les pionniers américains. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Au XVIIIe siècle, il y a beaucoup d’inégalités entre les villes et les campagnes, entre ceux qui sont privilégiés et ceux qui ne le sont pas. Des idées nouvelles apparaissent exprimées par des philosophes comme Voltaire. Dans les salons on les discute et on critique de plus en plus le gouvernement. 95 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? La Révolution française (1789-1795) LIVRE PP. 142-149 Notions Citoyenneté, Droits de l’homme, États Généraux, cahiers de doléances, révolution, abolition des privilèges, esclavage, Terreur, République, Assemblée nationale, égalité, fraternité, liberté. Compétences • Savoir comprendre et restituer la logique de l’enchaînement des événements révolutionnaires à partir d’un récit. • Savoir analyser de façon critique des documents. • Savoir associer des personnages et des situations historiques (Toussaint Louverture, Robespierre…). • Savoir repérer les symboles (cocarde, drapeau tricolore…). Exercices Cahier CM1 : 1789 : une année capitale, pp. 43-44 ; Condorcet : un homme dans la Révolution, pp. 45-46. Cahier CM2 : La Révolution française (1789-1795), pp. 9-10 ; les femmes dans la Révolution, pp. 11-12 ; une galerie de portraits, p. 43. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Enseigner la Révolution française au cycle 3, c’est obligatoirement faire des choix et, bien sûr, des choix douloureux. On hésite souvent entre les événements (trop nombreux !) à sélectionner. Lesquels retenir, lesquels mettre en valeur ou au contraire ignorer ? Bien entendu, on pourra privilégier tel ou tel aspect, retenir tel autre personnage non cité dans le récit de l’élève et développer tel autre point central régionalement ou localement, voire même au niveau national si l’actualité s’y prête ou si l’enseignant le désire. Le récit est, là encore, non un enfermement pour la classe, mais la garantie d’avoir une vision large des événements de 1789 à 1795. Cela est acquis, tout le reste peut être fait. Nous avons fait le pari que le récit destiné aux élèves suffise presque en lui-même, suivant deux impératifs principaux. Le premier vise à donner aux enfants une histoire générale de cette période infiniment complexe, loin des détails superflus et, au contraire, au plus près de la compréhension du déroulement des événements, afin de rendre intelligible la logique 96 d’ensemble de la période révolutionnaire. Le deuxième impératif était celui de rester conforme à l’esprit des nouveaux programmes, à savoir d’envisager la Révolution dans la continuité du siècle des Lumières, et dans une problématique large laissant toute sa place aux notions centrales de liberté et d’égalité. Nous n’avons pas tout dit ? C’est évident. Quel professeur de collège, de lycée et même d’université peut tout dire de la Révolution française ? Clé de voûte de l’idéal républicain, la Révolution donne des symboles civiques essentiels à la France (Bastille, hymne, drapeau, fête nationale…). Elle offre également un modèle historique vécu sur la question générale de l’émancipation politique. En cela elle est irremplaçable scolairement. Les causes de la Révolution Il faut toujours débuter par la question des causes de la Révolution. Trois causes principales peuvent être retenues : une cause financière, immédiate (la banqueroute), qui oblige le roi à convoquer les États Généraux ; une cause La Révolution française (1789-1795) économique, car depuis deux à trois ans, en dehors des inégalités sociales criantes, se profile une récession qui rend la vie chère, le prix du grain élevé, la disette présente et le chômage urbain important ; et enfin une cause liée à l’image de la royauté dont nous avons déjà expliqué les ressorts dans le chapitre sur l’Ancien Régime (érosion de l’autorité royale). De l’ouverture des États Généraux à la proclamation de la monarchie constitutionnelle Puis, on passe avec les élèves du temps long de l’Ancien Régime au temps très court du politique : l’événement a toute sa place. L’ouverture des États Généraux a lieu le 5 mai. Le 17 juin, le Tiers État, qui n’obtient pas le vote par tête, se proclame Assemblée nationale. Le 20 juin, devant les portes closes de leur salle de réunion, les députés du tiers accompagnés de députés d’ordres différents rejoignent la salle d’un jeu de paume pour y proclamer leur serment. Le 23 juin, le roi casse la décision du 17 juin et engage le rapport de force – c’est le jour où Mirabeau se distingue en expliquant que l’Assemblée ne sortira que sous la pression des baïonnettes. Le 27 juin, le roi capitule ; le 9 juillet, l’Assemblée devient Assemblée constituante. Le 11 juillet, le roi renvoie Necker, ce qui provoque le soulèvement de Paris ; le 14 juillet, la Bastille, symbole de l’arbitraire royal, est prise. Le roi cède à nouveau et rappelle Necker. Dans la nuit du 4 août est décidée l’abolition des privilèges ; le 26 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est proclamée. La fête de la fédération le 14 juillet 1790 semble réconcilier tous les Français. Crise de la monarchie constitutionnelle et proclamation de la République Mais cette monarchie constitutionnelle entre en crise en 1791. Le 20 juin de cette année, le roi et sa suite quittent Paris et sont arrêtés à Varennes. La confiance avec le peuple est rompue. La guerre avec les puissances aristocratiques coalisées contre la Révolution démarre en avril 1792. La mobilisation commence. Le manifeste de Brunswick, du nom du chef des armées autri- chiennes, sonne le début des hostilités. Il s’agit d’un ultimatum au gouvernement révolutionnaire visant à le faire revenir sur les acquis de la Révolution. La réaction est immédiate. On soupçonne l’entourage royal et MarieAntoinette d’avoir demandé de l’aide. Le 10 août 1792, la monarchie est abolie ; la République proclamée le 22 septembre 1792, deux jours après la retentissante victoire des Français à Valmy. Dans ce climat de guerre, la suspicion est généralisée. Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793. Dès lors, l’engrenage de la Terreur s’installe. Le Comité de salut public multiplie les censures, les arrestations et les décisions – toutes sont prises dans un climat martial – au nom de la patrie en danger. Les Blancs de Vendée font les frais de leur opposition à la politique révolutionnaire. Mais, devant la violence de la période, Robespierre et avec lui le gouvernement de salut public tombent en juillet 1794, le 9 Thermidor. Le péril aux frontières persiste, ainsi que le péril intérieur. Devant un coup de force royaliste prévu contre le Directoire tout juste installé, la République demande à Bonaparte de s’y opposer le 13 Vendémiaire (le 5 octobre 1795). Voilà pour l’événementiel. Trois thèmes sont développés dans le livre, parallèlement au récit. Le premier touche à la guerre, omniprésente dès 1792. Faire de l’histoire avec les élèves, ce n’est pas les amener à juger mais à comprendre. La menace extérieure permet de comprendre l’état d’esprit de ceux qui gouvernent et de ceux qui souhaitent sauvegarder, à tout prix, la République. Le second concerne les esclaves comme nous y incitent explicitement les nouveaux programmes. La place des colonies dans la Révolution permet de comprendre, en miroir, la logique générale d’émancipation, comme ses limites. L’étude des articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est essentielle même si elle n’est pas présentée dans le livre (par choix, en fonction des contraintes de place, nous avons privilégié des documents moins souvent présents dans les manuels et moins disponibles que la Déclaration du 26 août que l’on peut trouver sans difficulté). À travers le débat sur l’esclavage, se pose toute la question 97 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? de l’égalité. Cette problématique générale est renforcée par l’autre axe du programme, à savoir la place des femmes dans la Révolution française. Peut-on être femme et citoyenne ? Oubliées de l’émancipation politique de cette période, réprimées et censurées, elles sont reléguées de plus en plus dans l’espace du privé. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Un cahier de doléances, p. 142 Après la convocation des États Généraux prévus dès 1788 par le ministre Loménie de Brienne, le roi fait savoir à ses sujets, en janvier 1789, qu’il désire recevoir leurs doléances. Chaque ordre, par bailliage (c’est-à-dire par circonscription administrative d’encadrement du territoire ; voir les bailliages et les sénéchaussées dans le chapitre sur le pouvoir des rois de France au Moyen Âge, pp. 86-89), entreprend donc la rédaction de cahiers de doléances, destinés directement à la personne royale. Très souvent, le clergé comme la noblesse adressent directement leur cahier au roi, sans filtre. Leur maîtrise de l’écrit et des procédures administratives les met à l’abri de toute réécriture. En revanche, du fait de l’analphabétisme d’une partie importante de la population française et principalement du tiers état, des synthèses régionales sont faites très souvent. Quoi qu’il en soit, alors que les états généraux n’avaient pas été réunis depuis 1614, les Français prennent la parole. Partout, chacun veut dire ce qu’il pense de la situation du royaume. On a gardé dans les archives, tant nationales que locales, la trace de près de 50 000 cahiers. À lire les cahiers, on est frappé par l’amour pour le roi qui s’en dégage. Le divorce avec l’autorité monarchique n’est pas encore consommé. Beaucoup pensent également que le roi risque d’être bien surpris d’apprendre des informations qu’on (les intendants, les nobles, les ministres) lui cache. Comme on peut s’en douter, les cahiers se répartissent entre ceux rédigés par le tiers état et ceux de la noblesse et du clergé réunis. Ils sont contradictoires, car seuls ceux du tiers état réclament des réformes importantes : une constitution, une justice garantie et sans arbitraire, la suppression des droits seigneuriaux, la baisse des impôts et leur répartition équitable en 98 fonction des revenus, et non en fonction de l’ordre. Les cahiers de la noblesse, quant à eux, font valoir leurs « droits honorifiques », leur « distinction naturelle » pour réclamer la poursuite de leur exemption de charges. Quand, en mai 1789, les États Généraux ouvrent leurs portes, le divorce entre le Tiers État qui « est tout » mais « rien dans l’ordre politique » (Siéyès) et la noblesse est total. Il s’exprime dès la première séance, dans l’étiquette et l’ostentation de la cérémonie et dans la mise en scène humiliante pour le Tiers : le roi est au centre, sur son trône, la noblesse à sa gauche et le clergé à sa droite. Les députés du Tiers État sont devant lui, au fond de la salle, loin de lui, ce qui vise à montrer aux députés du Tiers qu’ils ne sont décidément « rien dans l’ordre politique ». Le Serment du Jeu de paume, p. 143 Cette scène a lieu le 20 juin 1789. Le Tiers État a dû se réunir dans la salle du Jeu de paume car la salle des Menus Plaisirs qui leur était accordée est fermée sur ordre royal. Le roi et son entourage n’ont pas accepté l’idée que le Tiers se déclare Assemblée nationale le 17 juin. Empêchés d’entrer, les députés, auxquels se sont joints des députés des deux autres ordres hostiles aux décisions royales, se réunissent dans la salle du Jeu de paume. Un député du Dauphinois (Mounier) propose de faire prêter serment aux 577 députés présents. Dès l’événement, de nombreux dessins et gravures circulèrent, immortalisant la scène qui entérinait le conflit ouvert avec le roi. En 1791, David peignit la scène après avoir confronté plusieurs témoignages. Une raquette et des balles laissées à gauche dans le tableau permettent de reconnaître le lieu. On peut voir sur le tableau le député Bailly, monté sur une table, lisant le serment, la main droite levée. Devant lui se tiennent trois personnages : l’abbé Grégoire en noir, Dom La Révolution française (1789-1795) Gerle en blanc et le Pasteur Rabaud de SaintÉtienne. Cette scène centrale symbolise la fraternisation de tous les clergés, réformé, monastique et régulier. Le peuple présent en haut, balayé par le vent de l’orage (révolutionnaire) et de l’histoire, salue ce moment d’unité nationale. Toutes les lignes de construction du tableau mènent vers la main blanche de Bailly. Le doute est encore possible, les hésitations certaines – on le voit à certains personnages refusant de prêter serment. Par ailleurs, il faut noter avec les élèves l’invraisemblance de la scène, Bailly tournant le dos à la salle. Il s’agit d’un souci quasi pédagogique : montrer l’enthousiasme d’une diversité de personnages réunis là, sans plus de références au passé monarchique. David témoigne d’un sentiment nouveau qui émerge : on peut faire sans le roi. La fuite de la famille royale, p. 144 Cette carte a pour intérêt d’expliquer pourquoi Louis XVI et son entourage (sa femme, ses enfants et la Cour) se rendent incognito vers la frontière est de la France. Le roi souhaite quitter la France afin de retrouver les armées aristocratiques autrichiennes dont Marie-Antoinette est proche par sa famille. Arrêté à Varennes, reconnu par un aubergiste, le couple royal échoue. Mais cet épisode a l’avantage pour les révolutionnaires de leur faire prendre conscience que la frontière représente dès lors un danger imminent. L’Europe aristocratique coalisée tente, dès le manifeste de Brunswick (25 juillet 1792), de renverser la Révolution. C’est donc dans la guerre qu’est proclamée la République. Ce contexte influence toutes les décisions politiques de l’époque révolutionnaire à partir de 1792. Comprendre ce fait, ce n’est pas chercher une justification quelconque à la Terreur ; c’est simplement comprendre que la Ire République a dû, dès l’origine, se défendre contre une volonté de renversement et de rétablissement de la monarchie. Un sans-culotte, p. 145 Les sans-culottes sont appelés ainsi parce qu’ils ne portent pas de culottes utilisées par les hommes des élites, mais un simple pantalon. Ils sont la plupart du temps boutiquiers ou artisans, compagnons, ouvriers ou apprentis. Ils représentent le peuple de Paris, réuni en section, dans la période où la monarchie s’effondre (10 août 1792). De 1792 à 1794, les sans-culottes dominent le monde politique parisien en faisant pression sur les députés. Portrait de Robespierre, p. 145 Robespierre est né à Arras. Il fait partie de ces jeunes avocats dont on a vu le rôle dans la désacralisation de la monarchie et de l’Ancien Régime à la fin du règne de Louis XVI. En tant que député du Tiers État, il combat pour l’avènement d’une société nouvelle, harmonieuse, fondée sur des principes d’égalité de droits, sur la quasi-infaillibilité du peuple. Orateur inlassable, il réclame le suffrage universel, s’oppose à la répression brutale des manifestations populaires et défend des positions contre la peine de mort. Il gagne l’admiration de Saint-Just. Il est jacobin et membre de la Commune de Paris. Il contribue à la chute du roi et combat les girondins qu’il juge trop bourgeois et de ce fait hostiles au peuple. Membre du Comité de salut public, il parvient à mettre en place un gouvernement d’exception : la Terreur. Il jouit d’un grand prestige auprès des jacobins, des démocrates et des sansculottes de Paris, ce qui lui permet d’imposer ses vues. Convaincu d’avoir raison, les opposants ne peuvent être que des traîtres à la cause du peuple. Ainsi furent éliminés les hébertistes et les dantonistes. Dans le contexte du temps, il devient partisan de la peine de mort et vote, notamment, la mort de Louis XVI. Mais l’inquiétude grandit et Robespierre et ses amis sont de plus en plus isolés. Le blocage des prix des denrées alimentaires et des salaires les rend impopulaires. Les victoires à l’extérieur rendent moins justifiables la terreur. Intervenant à la Convention le 26 juillet 1794, Robespierre n’est pas suivi. Arrêté avec Saint-Just et Couthon, ils sont guillotinés tous les trois sans jugement. Le calendrier révolutionnaire, p. 146 Le 24 octobre 1793, la décision est prise d’adopter un calendrier républicain. Il est le fruit d’un mouvement de déchristianisation lancé par 99 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? la Révolution. Des astronomes ont proposé un nouveau découpage de l’année composée désormais de 12 mois de 30 jours divisés chacun en 3 décades auxquels on ajoute des jours complémentaires (5 ou 6) pour que l’année ait une durée moyenne de 365 jours. C’est un poète, Fabre d’Églantine, qui imagine les noms des mois (vendémiaire, brumaire, frimaire, nivôse…). Les noms des jours de la semaine ont disparu avec la semaine. À l’intérieur de chaque décade, les jours ont le nom de leur position : primidi, duodi, tridi, quartidi, etc. Disparaissent également les noms des saints remplacés par le nom d’une plante, d’un outil agricole ou d’un animal. Ce calendrier fut utilisé jusqu’en décembre 1805 et supprimé par Napoléon alors qu’il était tombé en désuétude. Portrait d’Olympes de Gouges, p. 147 Olympe de Gouges est née en 1748 à Montauban. Elle a quarante et un ans lorsque débute la Révolution. Malgré son nom qui laisse supposer une origine noble, Olympe était en fait la fille d’un boucher, et s’appelait Marie Gouze. Elle arrive à Paris et se crée un personnage plus romanesque que ce que son origine sociale lui imposait. Elle se lance dans la vie littéraire et compose d’abord pour le théâtre, mais elle se brouille avec Beaumarchais. Parallèlement, elle rédige des brochures patriotiques très enthousiastes, pleines de générosité. Pourtant, elle est attachée à la royauté et demeure modérée. Féministe, elle rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, prenant modèle sur celle de 1789, très masculine. Les femmes sont oubliées, dit Olympe. Elle se fait beaucoup d’ennemis dans le camp révolutionnaire. Si la fuite du roi à Varennes finit par lui donner des sentiments républicains affirmés, elle s’oppose pourtant à son exécution. Après un pamphlet publié en juillet 1793, elle est arrêtée et guillotinée le 3 novembre 1793. Son délit était d’avoir pris position politiquement plusieurs fois contre le gouvernement révolutionnaire. Le Club patriotique des femmes, p. 147 Ce document iconographique, représentant des femmes en réunion, fait partie d’un ensemble de 81 gouaches des frères Lesueur réunies au musée 100 Carnavalet à Paris. Il s’agit d’une œuvre singulière, où la Révolution est envisagée depuis le peuple. On y voit des scènes de la vie quotidienne : « là où d’autres s’expriment au fil des pages d’un journal, ceux-ci [les Lesueur] l’ont fait par l’image. » (Michel Vovelle) Ces femmes sont assemblées pour une discussion politique. La clochette tombée au sol, et brisée, laisse entendre que les débats, comme dans les clubs masculins, sont parfois très animés. Cette gouache a l’intérêt de montrer, d’une façon neutre, la participation des femmes aux débats politiques et aux débats d’idées. Au moment des événements républicains de 1792, de plus en plus de femmes s’inscrivent dans des clubs patriotiques. Quand la guerre éclate, elles désirent partager les risques du combat, au même titre que les hommes. Mais, jusqu’en 1793, les clubs sont mixtes, et notamment ceux des sans-culottes. Ce n’est qu’en 1793 que des femmes (notamment Pauline Léon dont il est question dans le récit de l’élève) décident de créer un club exclusivement féminin : la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires – la gouache en porte témoignage. Les clubs de femmes sont interdits en novembre 1793 sous le prétexte que : « Les femmes sont peu capables de conceptions hautes, de méditations sérieuses. […] Les femmes sont disposées par leur organisation, à une exaltation qui serait funeste dans les affaires publiques, les intérêts de l’État seraient bientôt sacrifiés à tout ce que la vivacité des passions peut produire d’égarement et de désordre. » (Extrait des débats à la Convention, novembre 1793) Autre personnage cité dans le corps du récit, Théroigne de Méricourt est une des adeptes de la participation violente à la Révolution. Elle comprend l’importance des clubs dans le débat révolutionnaire et défend le droit des femmes à porter les armes, à l’égal des hommes. Portrait de Toussaint Louverture, p. 148 Toussaint Bréda, dit Toussaint Louverture, a quarante-huit ans environ lorsque débute la Révolution. Il est créole et ancien esclave de la plantation Bréda dans la colonie française de Saint-Domingue (Haïti). Il est affranchi par son propriétaire et entre ainsi dans la classe des La Révolution française (1789-1795) « libres ». Sachant lire et écrire, il prend la tête de la révolte des esclaves en 1791. Ceux-ci réclament la fin du régime de servitude. Lorsqu’en 1794 l’abolition de l’esclavage intervient, il devient général des armées républicaines et combat les Espagnols et les Anglais désireux de s’installer sur l’île. Lorsque Napoléon rétablit l’esclavage en 1802, il mène la lutte pour la souveraineté de l’île avec Dessalines qui proclamera l’indépendance en 1804. Toussaint meurt le 23 août 1803 en captivité. Texte de Condorcet, p. 148 Dans le débat qui agite les révolutionnaires autour de la question de savoir si les Noirs sont des hommes à part entière et s’il faut leur appliquer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et donc les libérer de l’esclavage, les arguments qui justifient le maintien du régime de servitude sont les suivants. Tout d’abord, les Noirs doivent être maintenus en esclavage en raison de leur « nature », comme le disent Mirabeau et Malquet dans le document du livre de l’élève. Ensuite des arguments économiques sont développés, notamment par le club Massiac qui réunit les grands propriétaires coloniaux. Pour eux, les frais ruineraient les plantations si les esclaves devenaient des salariés libres. Face à ce courant antiabolitionniste, se trouve la Société des amis des Noirs dont font partie l’Abbé Grégoire, Sieyès et Condorcet. Ce dernier, dans le texte, renverse les arguments sur la nature pour montrer que c’est là la responsabilité de l’esclavage. Mais attention, au sein même de la Société, des désaccords existent, notamment avec Mirabeau, plus modéré. Très peu sont radicaux, à l’image de Diderot mort en 1784. Condorcet fait de l’abolition de l’escla- vage un de ses objectifs politiques principaux. Quand il écrit : « ils vaudront beaucoup mieux que nous », cela signifie que les esclaves devenus libres, dans l’esprit de Condorcet, seront les premiers à se battre pour la France. Allégorie de l’abolition de l’esclavage, p. 149 Cette allégorie vante les bienfaits de l’abolition de l’esclavage, adoptée le 4 février 1794. Deux affranchis se prosternent devant le soldat de la République apportant la nouvelle et devant la République elle-même. Le texte est illisible, mais on peut penser qu’il suggère que c’est grâce à la Convention que ce texte a été adopté. Il faut faire remarquer aux élèves la position des corps des trois personnages : la soumission des deux affranchis malgré la décision, et la mise en scène de la remise du « cadeau », de l’offrande, par une France généreuse qui leur octroie cette liberté. Le geste du soldat le montre : ils lui doivent leur liberté. Ce document est d’autant plus intéressant qu’il tait les nombreux débats et hésitations des révolutionnaires français. L’Assemblée constituante refuse l’abolition de l’esclavage en 1790. Il faut attendre le 4 février 1794 pour qu’elle soit acceptée. Mais là encore, avec des sous-entendus lourds : la France est menacée dans ses îles et ses colonies par les prétentions coloniales anglaises, espagnoles et hollandaises regroupées dans la coalition contre-révolutionnaire. Rendre les esclaves libres peut permettre, c’est du moins ce que l’on espère à Paris, d’en faire d’excellents défenseurs de la République, ce qu’ils seront d’ailleurs. C’est ce à quoi renvoie sans aucun doute la présence du soldat de la République, prêt à les enrôler, en échange de l’abolition. PP. 150-151 Dossier CONDORCET : UN HOMME DANS LA RÉVOLUTION L’intérêt principal de ce dossier est d’incarner les idées révolutionnaires et des principes fondamentaux de notre société d’aujourd’hui dans un personnage réel. Trop souvent, les élèves sont confrontés à des abstractions (République, libertés fondamentales, l’égalité…) sans qu’ils en perçoivent les enjeux réels. Par la personne de Condorcet, que les programmes réinstallent comme un des personnages fondamentaux de l’histoire de la 101 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? pensée européenne, les élèves sont amenés à réfléchir sur les débats de l’époque, qui sont aussi souvent les grandes questions d’aujourd’hui : place des femmes, place de l’école, l’esclavage, les inégalités politiques, la peine de mort, les inégalités sociales… Cette leçon est l’occasion de faire de l’éducation civique dans le cadre de l’heure d’histoire en abordant avec les élèves à la fois les raisons et les continuités des combats de Condorcet (Lumières, 1789, 1792 et l’avènement de la République) pris dans leur contexte historique, ainsi que dans leur résonance d’aujourd’hui. Portrait de Condorcet, p. 150 Né en 1743, ce philosophe et mathématicien se sent concerné par l’injustice dès 1765. Il dénonce les privilèges des nobles qui les autorisent à exiger des paysans des journées de travail sur leurs terres, une partie des récoltes et des taxes qui les conduisent souvent au bord de la misère : « Qu’y a-t-il de noble dans le droit de forcer des paysans à nous donner leur travail quand ce travail est la vie de leurs enfants? » À ces usages coutumiers, « cela s’est toujours fait ainsi », Condorcet oppose les bienfaits de l’égalité entre les hommes. Il poursuit son combat contre toutes les injustices avec encore plus d’intensité pendant la Révolution française. En 1789, porte-parole de la Société des amis des Noirs, il demande l’abolition de l’esclavage. Il rédige une déclaration des droits de l’homme. Les hommes de la Révolution s’inspireront de ses écrits sur la République, les lois et l’instruction publique. Le 13 mars 1794, Condorcet est considéré comme hors-la-loi par la Convention. Il tente de fuir mais est finalement arrêté et placé en détention. Alors que la guillotine lui est promise, il meurt dans sa cellule le 29 mars. La Prise de la Bastille, p.151 La forteresse de la Bastille est un donjon féodal flanqué de huit tours. Construite entre 1369 et 1383, Louis XIII en avait fait une prison d’État. Sur simple lettre de cachet, on pouvait être emprisonné. Voltaire y fit plusieurs séjours. Même si en 1789 elle n’abritait plus qu’une poignée de prisonniers, elle continuait cependant à représenter l’arbitraire royal. Il y avait dans les tours des canons braqués sur la ville et, à l’intérieur de la forteresse, des armes et des munitions en grande quantité. Des manifestations commencèrent. Il fallait des armes. La foule se rendit à la Bastille pour en obtenir. De Launay, le gouverneur de la Bastille, fit feu sur la foule faisant une centaine de morts et des dizaines de blessés. La lutte s’engagea. De Launay capitula rapidement. Parmi les assaillants, on distingue des bourgeois (en habit à culotte), des soldats en uniforme et le peuple des faubourgs parisiens. Au centre du tableau, on repère un groupe de trois personnes. On assiste sans doute à l’arrestation du gouverneur De Launay. Conduit à l’Hôtel de Ville, il sera décapité. Éléments pour une synthèse Condorcet combat toutes les injustices. Il dénonce l’esclavage. Il est contre la peine de mort. Il veut une école gratuite qui accueille tous les enfants. Pour lui l’instruction donnée à tous est le meilleur moyen de lutter contre l’inégalité. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les députés se proclament Assemblée nationale avec la tâche de donner une constitution à la France. Puis l’Assemblée rédige la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le roi ne veut pas partager le pouvoir. Il appelle 102 à l’aide les princes étrangers. Le peuple se sent trahi. Le roi est emprisonné, la République proclamée. Les esclaves obtiennent la liberté mais les femmes n’ont toujours pas le droit de vote. De la Révolution à l’Empire de Napoléon Bonaparte (1795-1815) LIVRE PP. 152-155 Notions Coup d’État, plébiscite, impérialisme, répression, censure, organisation administrative, empereur, conquête, liberté. Compétences • Comprendre la complexité d’un personnage historique. • Savoir argumenter. • Savoir lire une carte historique. • Confronter des documents de natures différentes. Exercices Cahier CM1 : Napoléon Ier et l’Allemagne, pp. 47-48. Cahier CM2 : Napoléon : tyran ou libérateur ? (1795-1815), p. 13. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Pour bien comprendre comment Bonaparte a pu apparaître comme le sauveur et l’homme providentiel en 1799, au moment où il prend le pouvoir par un coup d’État, il faut avoir à l’esprit la situation du Directoire (1795-1799). Le pouvoir de la République bourgeoise est faible et de plus en plus soumis aux pressions, tant des royalistes que des révolutionnaires radicaux. De plus, la Révolution française a laissé la société très lasse et fatiguée de tant de bouleversements parfois douloureux. Du Consulat à l’Empire Le Consulat se veut d’abord et avant tout une entreprise de restauration de l’autorité de l’État. Pour y arriver, Bonaparte utilise la voie de la constitution, qui lui donne la réalité du pouvoir. En nommant des préfets dans les départements, il s’assure que chacune des décisions du gouvernement trouvera son application directe et immédiate. De plus, il s’emploie à faire la paix avec les puissances ennemies traditionnelles de la Révolution. Il signe des traités avec l’Autriche après Marengo (1800) et l’Angleterre à Amiens (1802), ou encore avec le pape par le Concordat, en 1801, qui met fin aux conflits religieux nés de la Révolution. De ce fait, il pose les bases d’une reconstruction de l’économie, condition sine qua non de la paix civile. L’organisation de la France doit reposer sur des « masses de granit », aime-t-il à dire. C’est pourquoi Bonaparte amorce les travaux, dirigés par Portalis, en vue de la rédaction du Code civil qui sera promulgué en mars 1804. Ce travail juridique unique en son genre entérine l’égalité civile en proposant une même loi pour tous. C’est un texte majeur, car il marque une rupture avec l’Ancien Régime en faisant disparaître les distinctions et privilèges de toutes sortes. L’Empire fondé en 1804, après le sacre, relève des mêmes lois et des mêmes juridictions que n’importe quelle ville ou région française. La France de 1811 compte 130 départements. Partout en Europe, les idées de la Révolution française se diffusent, ce qui révolutionne le vieux continent qui connaît encore le servage (progressivement aboli) et l’absence de liberté de culte. Partout pourtant, le pouvoir de Napoléon s’affirme de manière dictatoriale. Grâce à son fidèle ministre de la police, Fouché, Napoléon fait surveiller les courriers, la presse (par une censure draconienne), les spectacles et les réunions publiques. Une politique de glorification de 103 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? l’empereur est même explicitement réclamée par Napoléon lui-même. L’adoption d’un « catéchisme impérial » renforce l’aspect de plus en plus monarchique du régime. Un Empire européen Organisation du blocus continental À l’extérieur, la politique internationale de Napoléon est dominée par l’antagonisme franco-anglais. Si Napoléon étend sa domination en Europe par des conquêtes et des victoires militaires décisives, l’Angleterre s’inquiète de plus en plus de l’emprise continentale de l’empereur français. C’est sur les mers que les Anglais affirment leur primauté. Pour éviter la commercialisation des produits anglais sur le sol continental, Napoléon organise le blocus européen, c’est-à-dire l’interdiction aux bateaux anglais d’accoster sur les côtes continentales. La concurrence commerciale avec l’Angleterre détermine à la fois les implications diplomatiques et militaires de l’évolution du régime sur le continent et, partant, de toute l’histoire européenne de 1800 à 1815, mais elle conditionne aussi d’autres enjeux situés outre-mer. En 1802, Napoléon rétablit l’esclavage supprimé en 1794, prenant pour prétexte la révolte qui menace la colonie française de SaintDomingue (Haïti). Napoléon restaure la traite négrière et l’esclavage, fort du succès de la paix d’Amiens qui lui permet de retrouver un contact maritime avec les colonies. Napoléon supprime aux gens libres de couleur leurs droits politiques et civils qui leur avaient été accordés en 1792. La campagne de Russie et la fin de l’Empire Mais l’Angleterre n’est pas le seul pays à avoir affaibli, à terme, la domination continentale de Napoléon. Les peuples soumis à l’autorité française se révoltent comme en Prusse ou en Espagne (1808). Le mécontentement fermente alors que Napoléon décide d’aller attaquer la grande puissance européenne non encore soumise : l’Empire russe. En 1812, la défaite 104 devant Moscou et la retraite des grognards dans l’hiver russe annoncent la fin de l’Empire français. La Bérézina, c’est-à-dire le franchissement du cours d’eau russe, est devenu en français le synonyme d’un fiasco retentissant. Et ce fut le cas. Après la retraite, ce fut la défaite de Leipzig (1813). Le 6 avril 1814, Napoléon abdique une première fois. C’est la restauration du pouvoir monarchique avec Louis XVIII. Exilé sur l’île d’Elbe, Napoléon tente un retour qui coalise l’Europe entière contre lui. C’est la période dite des Cent-Jours (mars-juin 1815). Après les Cent-Jours, Napoléon doit de nouveau capituler, cette fois-ci définitivement. Napoléon : un personnage controversé Les débats autour de Napoléon sont à la mesure de l’intérêt qu’il suscita de son vivant et après sa mort. Fut-il le sauveur de la Révolution ou un dictateur fossoyeur des principes révolutionnaires ? A-t-il mis fin à la Révolution comme il le proclamait au moment du coup d’État de Brumaire en 1799 ? ou fut-il celui qui a permis aux principes révolutionnaires de s’enraciner dans la société française et européenne, grâce notamment au Code civil ? Fut-il sans scrupule à l’extérieur des frontières et un tyran à l’intérieur ? ou fut-il celui qui voulait et qui, seul, pouvait garantir les acquis révolutionnaires en France et promouvoir la diffusion des idéaux de liberté et d’égalité à travers toute l’Europe ? Fut-il celui dont la gloire personnelle importait à tel point qu’il lui fallait agrandir l’empire sans cesse ? ou fut-il celui qui fut guidé par les événements, pris par le contexte international du temps, obligé de défendre la France contre l’Angleterre et plus globalement contre toute l’Europe aristocratique ? Jusqu’à quel point Napoléon savait-il ce qu’il faisait ? Et pouvaitil faire autrement ? L’analyse de sa légende – ogre ou génie ? – témoigne de la même ambivalence. Construire l’histoire avec les élèves, c’est aussi construire un esprit d’analyse capable d’apercevoir le complexe, à défaut de toujours pouvoir le résoudre. De la Révolution à l’Empire de Napoléon Bonaparte (1795-1815) E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Portrait de Napoléon Bonaparte, p. 152 Ce tableau montre Bonaparte en 1799, dans toute sa jeunesse – il a à peine trente ans –, au moment où il s’impose au Directoire affaibli. Les raisons de son succès sont liées au fait que la France est en proie à une crise très grave, sans issue politique apparente. Bonaparte apparaît comme le véritable sauveur, l’homme providentiel, courageux, intègre, loin de la corruption du temps et surtout apte à remettre de l’ordre grâce à l’armée. Car, avant le 18 Brumaire, Bonaparte avait l’avantage d’être loin des enjeux politiques quotidiens et souvent corrupteurs. En Égypte, il continuait de bénéficier de ses anciens soutiens issus de la Révolution, mais aussi de son prestige de jeune général vainqueur des Anglais à Toulon. Son pouvoir est militaire. Dans le marasme politique et économique de la fin du Directoire, Bonaparte, aidé de son frère Lucien et de Sieyès, parvient à prendre le pouvoir par un opportunisme très martial. Aux yeux de ses contemporains, il s’impose comme le seul capable de mettre fin à la crise de régime. Sa gloire aux frontières, sa jeunesse – qui intrigue, comme son caractère – et sa détermination implacable font la décision. Le Sacre de Napoléon Ier, p. 153 Le tableau de David présente le sacre de Napoléon Ier et de son épouse l’impératrice Joséphine de Beauharnais. Mais le sacre du 2 décembre 1804 n’a pas la même signification que sous les Capétiens. Pour Napoléon, il doit même lui être exactement opposé. Il demande, dans le courant de l’année, l’avis du peuple par un plébiscite : la légitimité populaire précède le sacre. C’est pourquoi il se couronne lui-même, malgré la présence du pape, afin de montrer à tous qu’il ne doit son pouvoir que de lui-même et de la Nation qu’il représente. David entame la réalisation de la scène du couronnement en décembre 1805. Dans un premier temps, le tableau doit représenter Napoléon se couronnant tout seul. Mais ce projet est abandonné car le geste pouvait être mal perçu une fois fixé sur la toile. Le couronnement de Joséphine est finale- ment retenu. Plusieurs esquisses du tableau sont maintes fois corrigées en raison des susceptibilités des uns ou des autres. Le tableau est terminé en décembre 1807 et est très apprécié du couple impérial. Par l’utilisation franche de l’effet lumineux, le jeu subtil des regards, les postures des personnages à peine décalées les unes par rapport aux autres dans chaque groupe, le peintre a donné à l’ensemble une calme grandeur. L’Europe de Napoléon, p. 154 La France est très étendue en 1812 : de Hambourg, au nord, à Rome, au sud, sans compter les provinces illyriennes à l’est de la mer Adriatique. Les villes de Hambourg, Rome, Bruxelles, Amsterdam, Nice… sont des villes françaises au même titre que Limoges ou Brest. C’est un immense empire : l’Europe unie (ou presque) par anticipation. Presque, car cette carte politique ne dit rien des résistances locales et nationales. De Hambourg à l’ouest de l’Espagne, de Trafalgar au royaume de Naples, la France a organisé le blocus continental : il s’agit d’étendre à l’ensemble de l’Europe continentale un régime douanier draconien à l’égard des produits manufacturés et commerciaux anglais. L’idée est de bloquer l’accès des navires de commerce anglais aux ports européens par des taxes prohibitives et parfois par la force. Par un jeu de confrontation de cartes actuelles de Londres et de Paris, on peut faire avec les élèves le jeu de la mémoire napoléonienne qui consiste à voir qu’à Paris, les principaux axes de communication (avenues, gares, boulevards…) gardent la mémoire des victoires de l’empereur (Austerlitz, Wagram, Iéna…) là où les Anglais ne se souviennent que de Trafalgar (square) ou de Waterloo (station). Inscrits sur une carte actuelle, ce « jeu » mémoriel permet, au-delà de l’aspect géographique, de réfléchir avec les élèves sur une des nombreuses traces de l’histoire. Le Trois Mai, p. 155 Fransisco de Goya y Lucientes (1746-1828) est un peintre espagnol qui vit la guerre avec la France de façon particulière. La guerre 105 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? d’Espagne se déroule de 1807 à 1814. Il fait partie de ces Espagnols qui accueillent avec bienveillance la France des Lumières à travers les troupes impériales françaises qui envahissent l’Espagne en 1807. Goya noue de nombreux liens avec l’administration d’occupation et notamment avec le nouveau roi d’Espagne (1808-1813), Joseph Bonaparte, frère aîné de Napoléon. L’empereur installe effectivement sa famille à la tête de toute l’Europe. Ce népotisme fut une des raisons de sa chute et de son impopularité dans plusieurs pays d’Europe. Cette collaboration artistique de Goya lui vaudra le titre de chevalier de l’Ordre royal d’Espagne institué en 1811 par les forces françaises. Cette position pour le moins ambiguë amène les autorités espagnoles à entreprendre une enquête sur le peintre, en 1814, pour collaboration avec les forces françaises d’occupation. C’est dans ce contexte très personnel que Goya propose au roi Ferdinand VII de réaliser deux tableaux sur les méfaits du « tyran de l’Europe ». Ferdinand VII vient juste de revenir d’exil après le retrait des troupes napoléoniennes en février 1814. Ces deux tableaux – El Dossier À PROPOS DU MOT « LIBERTÉ » (1815-1848) Plutôt que d’entrer dans les détails historiques de la restauration de la monarchie française, de 1815 à 1848, le choix a été fait de montrer l’importance en Europe de la Révolution française et de ses principes. Louis XVIII devient roi de France en 1814. Charles X lui succède en 1815, après les Cent-Jours de Napoléon, et tente de réintroduire une monarchie absolue et autoritaire. La révolte dite des « Trois Glorieuses », en 1830, chasse Charles X du pouvoir qui est pris par Louis-Philippe. Mais en 1848, la République est de nouveau proclamée. Les historiens parlent d’une monarchie impossible, celle qui court de 1815 à 1848, tant l’entourage des monarques ne peut installer un régime stable, et débarrasser les esprits de l’héritage omniprésent de la Révolution. Plus que pour toute autre période, le choix à 106 Dos de Mayo (affrontement des Espagnols et des Français) et El Tres de Mayo (2 et 3 mai 1808) – témoignent d’une occupation qui ne fut jamais acceptée par une partie des élites espagnoles comme par la population. Soulèvements, combats et répressions rythment en effet la présence française en Espagne, ce dont témoigne la terrible nouvelle de Balzac, El Verdugo. Les deux tableaux sont des œuvres patriotiques qui mettent en évidence la brutalité des combats et de la répression qui s’ensuivit. Dans Le Trois Mai, l’innocence espagnole est un martyr. Bras levé comme un Christ issu du peuple révolté, l’homme au centre est éclairé par une tache blanche. Il meurt sous le feu des forces françaises dont on ne voit pas le visage. Elles sont alignées en ordre, face au désordre du désespoir, dans une nuit sans étoiles. Le contraste entre la nuit noire et la lumière blanche impose une scène où la rectitude du peloton d’exécution fait face à chacun des hommes renvoyés, grâce au sombre de leurs vêtements, à leur solitude désespérée. Ce tableau reste le témoignage patrimonial majeur de la souffrance espagnole face à la répression française. PP. 156-157 cette époque se situe bien entre deux possibilités : la Royauté ou la République. Il faut mettre en évidence ici les continuités historiques : des humanistes épris de liberté de pensée et de conscience jusqu’aux révolutionnaires de 1848, en passant par les Lumières et la Révolution française – continuité des idéaux, mais dans des formes différentes. Au XIXe siècle, s’affirme un romantisme politique perceptible dans l’art et la littérature, dont Hugo et Delacroix sont des témoins de choix. Au-delà du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo célébré en 2002, la double page est l’occasion de confronter une même aspiration (la liberté), une même révolte pour la liberté, une même exaltation à deux langages artistiques, la peinture et la poésie. De la Révolution à l’Empire de Napoléon Bonaparte (1795-1815) Scènes des massacres de Scio, p. 156 Ce tableau représente un épisode dramatique de la guerre d’indépendance grecque : le massacre des habitants de l’île de Scio par les Turcs en avril 1822. Ce massacre a fait des milliers de morts ; les rescapés, peu nombreux, devinrent des esclaves. Delacroix a recueilli des témoignages pour réaliser cette œuvre. Il a aussi puisé son inspiration dans les poèmes de Byron. Ému par le destin de ces hommes et de ces femmes, Delacroix s’éloigne de la peinture classique pour exprimer de façon très libre ses impressions personnelles. Pour faire découvrir la composition de l’œuvre aux élèves, il serait intéressant de confronter le tableau de Delacroix au Radeau de la méduse et au Chasseur de la garde de Géricault. Les échos entre ces différents tableaux permettront le repérage, au premier plan, de la position des corps, de l’expression des visages, de la détresse et de leur immobilité en contraste avec le groupe de droite qui s’organise autour du cavalier, saisi dans le mouvement. L’ensemble de la scène se découpe sur un paysage désolé. Le ciel dont l’opacité ferme l’horizon symbolise la situation de cette île coupée du monde, repliée sur son malheur. « L’enfant » de Victor Hugo, p. 157 Là-bas, au fond, au milieu des ruines, il y a un enfant aux yeux bleus, que le poète interroge. Le poète, c’est Victor Hugo. Il va lui aussi évoquer le même événement que Delacroix. Comme le peintre, il utilise des effets de contraste entre un univers paradisiaque et un univers de violence pour mettre en évidence les méfaits de la guerre, en particulier pour les enfants. Les paroles symboliques de l’enfant montrent que le poète est du côté des opprimés. Les Misérables de Victor Hugo, p. 157 Ce texte est à confronter avec le tableau de la page 120 du livre de l’élève, La Liberté guidant le peuple. Gavroche a été abandonné par ses parents et vit dans la rue. Victor Hugo a imaginé ce personnage dans son roman Les Misérables en regardant le tableau de Delacroix et en souvenir des enfants qui étaient souvent des héros pendant les insurrections. Les gamins des rues apparaissaient pieds nus le plus souvent ; ils aidaient les insurgés, portaient les pavés sur les barricades, participaient à la fabrication des cartouches ou se faufilaient pour récupérer celles des soldats morts. Victor Hugo a choisi de faire mourir Gavroche sur une barricade en héros. Éléments pour une synthèse Des artistes partagent le combat des hommes pour la liberté en leur dédiant des œuvres. Delacroix peint les malheurs des Grecs qui luttent pour se libérer des Turcs dans un tableau Les massacres de Scio. Dans un poème L’Enfant et dans un roman Les Misérables, Victor Hugo présente des héros qui sont des enfants. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Bonaparte devient l’empereur Napoléon Ier en 1804. Il conquiert une grande partie de l’Europe. Libérateur pour les uns, tyran pour d’autres, il veut conquérir la Russie. Il échoue. Il doit s’exiler sur l’île d’Elbe puis à SainteHélène. Il reste un personnage de légende. 107 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? 1848 : l’esprit de liberté LIVRE PP. 158-161 Notions Héritage révolutionnaire, esclavage, citoyenneté, coup d’État, arbre de la Liberté, suffrage universel masculin. Compétences • Analyser des documents iconographiques. • Situer l’enchaînement des événements sur une frise chronologique. • Savoir préciser le rôle de Victor Schœlcher. Exercices Cahier CM2 : 1848 : l’esprit de liberté, pp. 14-16 ; une galerie de portraits, p. 43 ; l’art et l’histoire, pp. 46-48. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T L’intérêt pédagogique de ce chapitre est de faire comprendre aux élèves la construction politique de notre modèle démocratique dans le cadre de luttes politiques et sociales parfois très violentes. Il faut amener les élèves à percevoir également que le débat entre Monarchie et République n’est toujours pas réglé. De 1814 (date de la première restauration de Louis XVIII) à 1852 (date de l’abolition de la République par Louis Napoléon Bonaparte devenu Napoléon III), la question qui se pose à chaque gouvernement, c’est celle de la nature du régime : monarchie absolue ? monarchie constitutionnelle ? république modérée ? république sociale ? Tout semble à construire et à inventer. En effet, toute cette période subit le poids d’une monarchie qui ne parvient plus à s’imposer tant l’héritage révolutionnaire est vivant, renforcé par l’héritage politique bonapartiste. Pour autant, le retour à une république jacobine semble lui aussi écarté comme en témoignent les débats au sein même des républicains de 1830 à 1851. Le souvenir de la Terreur persiste. La révolution de 1848 Le rêve de la démocratie directe fut expérimenté par les insurgés de 1848, parisiens ou provinciaux. La révolution de 1848 pose, sous une forme inédite, la question de la politique et de la place à laisser à l’action du peuple, du citoyen, de la citoyenne éventuelle… C’est pourquoi 108 cette période est si importante : 1848 est l’année par excellence de ces débats politiques et sociaux. Cette révolution a été vue par Karl Marx comme une période lumineuse de trois mois, brisée par trois ans d’une remise en ordre et au pas toute libérale et bourgeoise. Pour d’autres au contraire, comme Tocqueville, elle fut un temps où le réalisme politique imposait aux gouvernements successifs de rappeler le peuple à la raison et de faire en sorte que le respect minimal de l’ordre social soit respecté. À côté de ces deux thèses classiques, une troisième, de l’historien Maurice Agulhon, insiste plus sur le laboratoire d’idées politiques, la fantastique construction théorique et pratique qui a pris place en quelques années, définissant un véritable réservoir d’idées pour la fin du XIXe et du XXe siècle (travail fourni à partir des ateliers nationaux, indemnisation du chômage, définition du rôle de l’école publique, suffrage universel…). L’instauration du suffrage universel Le bouleversement politique réside dans la déclaration du suffrage universel. C’est un des grands acquis du combat démocratique du XIXe siècle, et une date de référence pour les élèves. À travers la conquête du suffrage universel, les révolutionnaires font en sorte de faire accepter au peuple que le conflit doit désormais avoir sa place dans l’espace démocratique mais sans le fusil. Car depuis 1789, le fusil fait le 1848 : l’esprit de liberté citoyen. Le suffrage universel (masculin) s’impose à la faveur d’une révolution en un temps où le droit de vote est capacitaire, c’est-à-dire qu’il est réservé à ceux dotés de capitaux économiques et/ou intellectuels reconnus. Beaucoup de républicains restent méfiants à l’égard du peuple. Pourtant, Ledru-Rollin, Arago ou encore Schœlcher parviennent à convaincre le gouvernement provisoire de l’égalité civique et de l’équité politique que le suffrage universel masculin représente. Victor Schœlcher ou l’incarnation de l’esprit de liberté D’un point de vue pédagogique, rien de mieux sans doute que d’incarner les idées dans le parcours d’une personne. C’est pourquoi il n’est pas inutile d’accorder une place importante à Victor Schœlcher, qui traverse toute la période 1830-1890. Ardent défenseur des esclaves, du suffrage universel, de la République et de la démocratie, il lutte à la fin de sa vie pour le vote des femmes et l’abolition de la peine de mort. Ses textes rédigés dès les années 1830 sur les colonies lui donnent un rôle central dans le processus très long d’abolition de l’esclavage. Dans le reste de son travail, il s’inscrit dans un contexte où la France demeure la seule grande nation européenne, après l’Angleterre, à mainte- nir l’esclavage. Nier aux Noirs leur humanité relève du scandale pour Schœlcher : la liberté est inaliénable, l’humanité indivisible. De deux choses l’une, pose Schœlcher, si les Noirs font partie de l’humanité, ils sont nos égaux ; s’ils n’en font pas partie, il faut en tirer toutes les conséquences. L’auteur pointe ici indirectement un des débats de cette période sur l’anthropophagie, régulièrement imputée aux « sauvages ». Combien même les colonies seraient pourvoyeuses de la totalité de la richesse nationale, si cette richesse provient d’une action injuste, il faut accepter l’idée de se débarrasser des colonies. C’est toute l’histoire coloniale qui est ici en jeu : apprendre aux élèves l’abolition de l’esclavage, rendre compte des conditions qui ont permis son décret, c’est parler de l’aspect lumineux et terminal des choses. C’est pourquoi ce chapitre est inséparable de l’étude de la traite des Noirs en tant que telle. En 1851, la République est agonisante. Les républicains modérés freinent toute réforme sociale et tolèrent les atteintes aux libertés fondamentales définies en 1848 (liberté de la presse, liberté de réunion). Le pouvoir est prêt à tomber dans les bras du parti bonapartiste et de son représentant le plus illustre : Louis Napoléon Bonaparte. La République disparaît en 1852. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Le suffrage universel, p. 159 Sur cette lithographie de Sorrieu réalisée en 1850, à une époque où le camp républicain comprend déjà sa défaite à venir, Ledru-Rollin, le « père » du suffrage universel (il a été en tant que ministre de l’Intérieur chargé d’organiser les premières élections au suffrage universel) alors en exil, est adossé au pied d’un arbre de la Liberté pour observer le fruit de son combat politique. Au centre de la lithographie se trouvent une urne, les Droits de l’homme et la presse tenue par la déesse de la Liberté qui éclaire la scène de son flambeau, ainsi qu’un révolutionnaire de 1848 en blouse de travail. À gauche, les citoyens, très nombreux, toutes classes confondues, viennent déposer le bulletin de vote. À droite, le parti de l’ordre est représenté par Montalembert (député en 1848, il glisse à la droite de l’échiquier politique après les Journées de juillet, soutient le prince-président et approuve le coup d’État du 2 décembre) et Thiers, auxquels se sont joints des militaires et des membres de l’Église. L’abolition de l’esclavage, p. 160 Réunissant une sous-commission dans laquelle siègent Schœlcher, des planteurs et des membres du gouvernement sous la responsabilité d’Arago, le gouvernement provisoire s’est donné les moyens de régler une des questions 109 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? les plus graves du colonialisme français. Le gouvernement républicain issu de la révolution de février 1848, celui de Lamartine et Arago, décide l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. Les arguments sont ceux de Schœlcher, et principalement ceux qui ont trait à l’égalité, à la liberté et à la dignité humaine, autrement dit à la fraternité. esclaves se révoltent beaucoup, surtout après la réintroduction de l’esclavage par Napoléon (1802) et grâce au modèle d’indépendance de Saint-Domingue (Haïti), première colonie française à s’être affranchie de la tutelle de la métropole. L’abolition de l’esclavage est aussi leur propre victoire, avant d’être celle des républicains métropolitains. Le tableau de François-Auguste Biard montre des hommes noirs qui se redressent, comme des hommes à part entière, après l’annonce fraternelle d’un représentant de la République. L’abolition de l’esclavage s’est imposée grâce à l’action des esclaves eux-mêmes et à leurs révoltes contre les injustices et les mauvais traitements, relayés par des esprits éclairés comme Schœlcher, au fait du contexte local, national et international. On est face à une radicalité politique qui ne souffre aucune nuance et aucune attente. Schœlcher, à l’inverse de Tocqueville sur la même question, explique que, si le principe est mauvais, alors il faut le supprimer sans attendre. C’est une question de principe, or on ne peut pas transiger avec les principes. Aux citoyens français, p. 161 Le texte de Jeanne Deroin, ouvrière devenue institutrice, s’inscrit dans une tradition politique républicaine et saint-simonienne de lutte pour les aspirations du peuple. Son texte est aussi une prise de distance vis-à-vis des républicains qui refusent d’envisager le suffrage comme pouvant être réellement universel. Jeanne Deroin critique la discrimination politique et civique dont souffrent les femmes, exclues du champ politique depuis la Révolution française. La critique centrale du suffrage universel réside dans le fait qu’il ne se dit pas masculin. Pour Jeanne Deroin, comment un gouvernement qui libère des privilèges, ne libérerait-il pas du dernier : celui de l’homme sur la femme en la rendant citoyenne à part entière ? L’auteur pointe une contradiction majeure dans l’absence de volonté politique pour reconnaître les femmes comme partie prenante de la nation. Les hommes (« ils ») sont au banc des accusés. C’est la question de l’égalité qui est posée. Comment peut-on être pour l’égalité politique en excluant la moitié de la nation ? Écrit en 1848, ce texte s’adresse au gouvernement républicain qui, depuis le 5 mars, a déclaré le suffrage universel (masculin). Avec ces deux documents, il manque la parole des victimes. Du fait de la condition des esclaves, il existe très peu de documents permettant d’entendre leur voix. Les récits des révoltes sont souvent (toujours, ou presque) rédigés par des personnes partageant le préjugé de couleur ou des personnes parlant pour les révoltés. C’est un des sujets à aborder avec les élèves : le silence des sources. Pourtant, les ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La révolution de 1848 chasse le roi LouisPhilippe. La IIe République est proclamée. Grâce aux révoltes et à Schœlcher, l’esclavage est aboli. Le droit de vote est accordé à tous les hommes 110 mais pas aux femmes. Louis Napoléon, neveu de Napoléon Ier, est élu président de la République. Par un coup d’État, il prend le pouvoir seul et se débarrasse de l’Assemblée nationale. Napoléon III (1851-1870) LIVRE PP. 162-163 Notions Plébiscite, urbanisation, droit de grève, exil. Compétences • Lire une caricature. • Associer un personnage historique à la transformation des grands centres urbains. Exercices Cahier CM2 : Napoléon III (1851-1870), pp. 19-20. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Le chapitre consacré à Napoléon III n’est pas destiné à creuser les logiques d’un régime impérial qui intéresse encore largement les débats des historiens, tant il surprend par son aspect à la fois libéral et autoritaire. Il s’agit avant tout, avec les élèves, de repérer à quel point l’expérience napoléonienne du début de siècle a laissé un modèle politique singulier ainsi que des traces dans les mémoires des Français. En effet, celui que Zola appelait le « sphinx » était héritier de la légende napoléonienne et s’en proclamait ouvertement. Napoléon III rétablit le plébiscite (pure tradition bonapartiste : faire appel directement à l’assentiment du peuple) dès l’avènement de l’Empire, le 2 décembre 1852. Non pour rappeler le coup d’État du même jour l’année passée, mais bien pour inscrire son nouveau pouvoir dans la gloire obsédante du sacre et d’Austerlitz. conséquences désastreuses de l’industrialisation pour le peuple des ouvriers. C’est ce qui explique qu’il prend des mesures sociales comme la loi du 25 mai 1864 sur les coalitions, qui accorde un droit de grève aux ouvriers, à condition « qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail ». Les préfets reçoivent dans les années 1864-1866 des recommandations à la tolérance pour les associations d’ouvriers et les grèves éventuelles qu’ils pourraient mener. Un régime autoritaire Napoléon III souhaite « fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple » (proclamation du 2 décembre 1852). Ce qui anime tout son gouvernement, c’est à la fois des prises de position très libérales en matière économique et un retour à l’ordre politique. Victor Hugo, Victor Schœlcher ou Eugène Sue sont contraints à l’exil. La plupart des libertés sont suspendues, la presse est étroitement surveillée. Mais s’il n’hésite pas à réprimer parfois durement les contestations au début de son règne, Napoléon III veut, à partir des années 1860, favoriser le progrès et le développement des entreprises tout en souhaitant éviter certaines Difficile donc de caractériser un régime dont la politique alterne entre libéralisme et autoritarisme, entre bienveillance à l’égard du peuple et répression de toute opposition. Il s’agit d’une forme de césarisme paternaliste. Comme Louis Napoléon le dit en 1851, avant le coup d’État : « La France ne veut ni le retour à l’Ancien Régime, ni l’essai d’utopies funestes et impraticables. » La définition de cette politique, qui se veut un juste milieu, se fait au mépris des libertés fondamentales. Par ailleurs, le pouvoir reste tout entier concentré dans les mains de l’empereur, face au seul jugement du peuple, consulté régulièrement par plébiscite. Le suffrage universel existe, mais pour un « corps de députés » (et non pas une « assemblé nationale ») réduit à moins de 300 personnes, sans pouvoir réel et dans l’impossibilité de rendre publics ses travaux. L’antagonisme franco-prussien Napoléon III engage la France dans la guerre en 1870 alors que l’Allemagne, sous l’autorité de 111 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? Bismarck, affirme son unité et sa puissance naissantes. Les raisons de la déclaration de guerre française aux autorités allemandes sont difficiles à bien comprendre, d’autant que le dernier plébiscite (1870) avait consolidé le pou- voir de l’empereur. Il semble qu’il s’agisse d’une provocation diplomatique réussie de Bismarck prêt, lui, à la guerre et la souhaitant pour consolider l’unité allemande. La guerre sonne le glas du régime. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Sénatus-consulte du 7 novembre 1852, p. 162 Il s’agit de l’article 1 du texte de loi rédigé par l’entourage du prince-président Louis Napoléon, et proposé aux Français pour le plébiscite des 21 et 22 novembre 1852. Le « oui » est massif : « Le peuple est allé aux élections comme le bétail aux abattoirs », dit Hugo, de son exil. Le 2 décembre, le sénatus-consulte est promulgué par décret : l’Empire est proclamé officiellement. Le recours au plébiscite fait partie de la tradition napoléonienne. C’est l’occasion de passer par-dessus tous les corps constitués de la nation, en s’adressant à tous les Français. Caricature anglaise, p. 162 Ce document est issu de la grande tradition de la caricature anglaise du XIXe siècle. De nombreux journaux exploitent cet art subtil de dérision politique. Depuis la Révolution française, mais surtout sous Napoléon Ier, les caricaturistes anglais exercent souvent leur talent sur la vie politique française. Napoléon Ier avait été une cible de choix, et fut très fréquemment visé par la presse anglaise. Mais le conflit militaire était présent en permanence tout le long du règne de l’empereur. Sur Napoléon III, alors que le conflit est inexistant, la caricature est plus ironique, ridiculisant sans cesse le restaurateur de l’Empire en France. Le titre de la caricature n’est pas indiqué dans le livre et peut être trouvé par les élèves. Il renvoie à la fable de Jean de La Fontaine, La Grenouille et le Bœuf. C’est l’occasion de lire et de travailler en classe sur cette fable, en la reliant au règne de Napoléon III, tel que les Anglais le voyaient : un empereur sans cesse dans l’imitation de son oncle prestigieux. On peut pousser l’analogie avec la fable jusqu’à la chute de 112 Sedan, au moment où la grenouille éclate de tant de prétention. C’est en tout cas le sens de cette caricature, hommage posthume et paradoxal à l’empereur français du début de siècle. Les caricaturistes anglais ne furent pas les seuls à considérer Napoléon III comme un plagiaire, ce fut le cas également de Karl Marx. Victor Hugo va lui aussi utiliser le contrepoint qu’offre le mythe de Napoléon Ier pour fustiger, railler, rabaisser Napoléon III tout au long du recueil des Châtiments. Dans ce recueil satirique de 6 000 vers, l’empereur est tantôt un nain méprisable, tantôt un effroyable tyran, toujours un usurpateur. Les travaux d’Haussmann, p. 163 Conformément aux conceptions hygiénistes de l’époque, il faut que tout circule pour l’assainissement de Paris : les échanges, les personnes, les eaux usées et l’air. « Il faut satisfaire aux exigences d’une circulation toujours plus active », dit Haussmann, préfet de Paris depuis 1853. En 1861, lorsque l’empereur inaugure un arc de triomphe boulevard Malesherbes, il est écrit sur le fronton : « Paris assaini, agrandi, embelli ». En 1852, une loi plus souple facilite les expropriations dans Paris, en vue de la transformation rapide de la capitale. De larges avenues sont percées à travers des quartiers populaires anciens aux rues enchevêtrées, dangereux du point de vue tant des épidémies que des révoltes possibles – avec barricades, le souvenir de 1848 n’est pas loin. De grandes voies sont aménagées pour recevoir des appartements de standing et des locaux commerciaux d’un nouveau type. C’est le début des grands magasins et des grandes banques. Secondé par un ingénieur, Eugène Belgrand, Haussmann va également se préoccuper de la Napoléon III (1851-1870) distribution de l’eau potable. L’eau de la Seine s’étant révélée impropre à la consommation et un vecteur redoutable d’épidémies de choléra ou de typhoïde, Haussmann fit adopter par le conseil municipal son projet de dérivation des sources de bonne qualité de la Champagne crayeuse. Les travaux de capture des eaux étant réalisés, l’eau est acheminée par deux aqueducs et stockée dans les réservoirs de Ménilmontant et de Montsouris. Ce modèle de transformation urbaine s’étend à la province. Le même souci hygiéniste domine afin, comme à Lyon, d’y « porter le mouvement, l’air, la lumière ». La dimension stratégique n’est pas absente non plus des préoccupations urbanistiques. Car dans les quartiers populaires vivent ceux que l’on nomme désormais les « classes dangereuses », à savoir les ouvriers, toujours prêts à la sédition. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Napoléon se montre très autoritaire. Schœlcher et Victor Hugo sont obligés de s’exiler. Puis le régime s’assouplit. Les ouvriers obtiennent le droit de se réunir et de faire grève. Avec les travaux d’Haussmann (percement d’avenues, constructions d’immeubles), Paris devient une ville moderne. 113 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? La Commune de Paris et la guerre (1870-1871) LIVRE PP. 164-167 Notions Siège, Commune, école gratuite, répression, barricades. Compétences • Savoir caractériser une période singulière. • Savoir repérer dans le récit les continuités historiques (de 1789 à la Commune). • Analyser des documents historiques. Exercices Cahier CM2 : La Commune de Paris et la guerre (1870-1871), pp. 17-18. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La guerre engagée par Napoléon III est un échec pour la France. Elle sonne le glas du régime impérial. L’armée française est moins importante en hommes que celle de Bismarck et dispose d’un encadrement peu compétent et peu préparé. Débutée le 19 juillet 1870, la guerre conduit la France impériale très rapidement à la défaite. En août, les défaites s’accumulent. Les armées françaises et l’état-major sont encerclés dans la cuvette de Sedan. C’est la capitulation inévitable le 1er septembre. Napoléon III est fait prisonnier. Le régime tombe quelques jours plus tard, remplacé par un gouvernement républicain de défense nationale. Les armées allemandes vont s’installer autour de Paris et l’encercler. Gambetta tente de rejoindre Tours en ballon pour organiser la défense mais la guerre semble perdue. Un armistice est signé le 28 janvier 1871. L’élection du 8 février 1871 apporte la victoire aux monarchistes. L’opposition à Thiers C’est de cette humiliation de la défaite que naît le mouvement parisien de la Commune, dont nous proposons un récit pour les élèves. Elle s’explique aussi par le fossé qui existe entre cette assemblée élue au suffrage universel masculin où les monarchistes ont été majoritairement élus par les ruraux, soucieux d’éviter le désordre et de sauvegarder la paix, et le peuple de Paris. À cela s’ajoute, pour les Parisiens majoritairement désireux de poursuivre la guerre, les souffrances 114 du siège de Paris dues aux privations qui rendent la situation très tendue. Installé à Versailles (lieu symbolique pour le peuple parisien), Thiers tente de récupérer les armes présentes dans Paris. Le 18 mars 1871, c’est la révolte. La Commune s’installe. Un gouvernement révolutionnaire dirige le conseil municipal alors que les modérés quittent la ville. La guerre civile entre Versaillais et Communards va durer deux mois (avril-mai) pour se terminer par la « semaine sanglante » (21-28 mai). Les armées versaillaises, plus puissantes notamment grâce à Bismarck (voir le récit pour l’élève), exécutent et répriment pendant que les Communards désignent des otages à exécuter. Cette semaine fait au moins 20 000 morts. Les derniers combats ont lieu au cimetière du Père-Lachaise, où les derniers Communards insurgés sont exécutés. L’esprit de la Commune Pendant la Commune, les Parisiens ont à la fois revécu l’année 1793, la démocratie directe et le radicalisme politique républicain, et innové en définissant des pistes nouvelles d’actions politiques (émancipation des travailleurs, secours aux indigents, une école laïque, gratuite et obligatoire, l’égalité homme/femme…) tout en se référant aux révolutions et aux barricades de 1848. L’ancien et le nouveau se mêlent dans une ambiance de liberté populaire qui laissera des traces dans l’histoire du mouvement ouvrier français. En très peu de jours (54 au total), la La Commune de Paris et la guerre (1870-1871) Commune a accompli un travail municipal conséquent : annulation des quittances de loyers et réquisitions des logements vacants pour les plus démunis, réforme de l’enseignement, abrogation de la conscription pour la remplacer par des milices populaires, organisation de bourses de travail… En voulant faire vivre une république idéale, démocratique et sociale, les communards ont sans doute aussi ouvert la voie à la IIIe République. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Menu de Noël d’un restaurant parisien, p. 165 Paris est assiégé par les armées prussiennes le 19 septembre 1870. Le siège va durer 138 jours, en plein hiver, dans des conditions parfois atroces. À deux reprises, le Paris patriote qui ne se résout pas à la défaite tente une percée : fin octobre 1870 sous le commandement de Le Bourget et en janvier 1871 avec Buzenval. Pour survivre dans une ville assiégée, les expédients sont légion. Lors du repas de Noël et du réveillon du nouvel an, les grands restaurants offrent aux clients les animaux du jardin zoologique de Vincennes. Au-delà de l’anecdote, il est important de montrer aux élèves que, malgré le siège, les Parisiens font en sorte que la vie continue. De plus, cela permet d’expliquer aux enfants ce que représente exactement un siège : l’absence de ravitaillement, les entrées de la ville bloquées, le sentiment terrible d’enfermement et la pénurie. Texte de Delescluze, p. 166 Delescluze a soixante et un ans au moment de la Commune. Il fait partie des 79 membres élus qui siègent à la Commune de Paris. Il s’agit d’un républicain, ancien de 1848. « Il procédait des grands révolutionnaires de 93, évoquait le souvenir de Robespierre », disait-on alors de lui. Delescluze signe un certain nombre d’articles où il explique la position de la Commune. Il prononce le discours présenté aux élèves le jour même de son accession au poste de délégué à la guerre. C’est un appel au peuple de Paris, où on reconnaît des accents révolutionnaires du temps où la patrie était en danger. L’offensive versaillaise avait réellement débuté le 11 avril. Depuis un mois, les communards subissaient revers sur revers, malgré une résistance acharnée. Le fort d’Issy tombe aux mains des Versaillais dans la nuit du 8 au 9 mai. La situation est critique pour la Commune. Devant l’offensive finale des Versaillais durant la « semaine sanglante », Delescluze se fait tuer volontairement, signe de la fin des espoirs. L’Incendie de l’Hôtel de Ville, p. 167 Paris brûle de toutes parts pendant la « semaine sanglante ». Deux raisons à cela : d’une part les bombardements incessants des Versaillais depuis le mont Valérien, auxquels répondaient les batteries de canons des communards situées sur les Buttes-Chaumont. D’autre part, parce que les communards estiment, comme Delescluze : « plutôt Moscou que Sedan », c’est-à-dire qu’il vaut mieux brûler la ville (comme les Russes devant l’avancée des troupes napoléoniennes) que de capituler. Les Tuileries sont brûlées le 23 mai et l’Hôtel de Ville le 24 mai. L’événement fit sensation. L’historien Michelet dira : « Quand on s’est appelé la Commune de Paris, on n’en détruit pas le vivant symbole. » Car l’Hôtel de Ville représente le lieu d’où était proclamée chaque annonce de république. C’est de là que Bailly proclama l’alliance du roi Louis XVI et du peuple de Paris pendant la Révolution française. La photographie est signée d’Alphonse Justin Liébert, photographe depuis 1853 qui a commencé sa carrière aux États-Unis. Elle est réalisée avec les techniques de l’époque : plaques de verre au collodion pour le négatif et développement de l’image au bain d’argent sur papier albuminé. Cette technique permettait de mettre en valeur les détails et augmentait la précision de l’image. Cette photographie fait partie de tout un ensemble de clichés pris juste après l’écrasement de la Commune. Les ruines de Paris forment alors un ensemble esthétique particulier 115 L A R O YA U T É O U L A R É P U B L I Q U E ? puisque plusieurs personnes n’hésitèrent pas à faire le déplacement pour Paris, afin de contempler ces ruines de guerre. La photographie se fait ici témoin de la brutalité des combats, des flammes destructrices et de l’idéal de la Commune parti en fumée. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE 1870 : c’est la guerre, l’empereur est fait prisonnier. La IIIe République est proclamée ; les soldats prussiens encerclent Paris. Les Parisiens souffrent de la faim et du froid. Le gouvernement abandonne la lutte et renonce à l’Alsace et 116 à la Lorraine. Les Parisiens organisent la Commune, réquisitionnent des logements pour ceux qui sont dans la misère et promettent une école gratuite, obligatoire et laïque. La Commune fait peur. Elle est écrasée. S I X I È M E PA RT I E L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E L’époque de l’industrie qui, à bien des égards, fonde notre modernité rassemble trois chapitres importants. L’industrialisation modifie considérablement le rapport au travail, initie une des modifications majeures du XXe siècle, à savoir l’urbanisation de la société européenne, et fait entrer le monde dans une ère technologique et industrielle inédite, riche en bouleversements économiques et sociaux. C’est dans cette période de bouleversements que s’inscrit le développement de la démocratie en France, à la fois portée par les élites éclairées, pleines encore de références à 1789, mais aussi par le bas de la société, aux prises avec les modifications issues de l’industrialisation. Les progrès de la démocratie sont inséparables des combats sociaux pour l’amélioration des conditions de travail et d’existence. Parallèlement, sûre de sa puissance et de sa supériorité, l’Europe est engagée dans la conquête coloniale. Le chemin de fer et la locomotive sont les symboles de cette période où se conjuguent progrès techniques, essor des villes, mutations des formes du travail, développement des transports de marchandises et développement des échanges entre des femmes et des hommes ainsi que des idées. Les artistes sont attirés par ce monde en mouvement. Leur imaginaire, modelé par les mutations de l’environnement, les incite à quitter les ateliers pour aller planter leur chevalet en plein air, pour voir comment les heures, le temps, les saisons modifient la lumière, les objets, la matière, sa texture et son volume. Monet fut l’un des premiers peintres à s’intéresser à ces changements du monde et à vouloir saisir avec son pinceau ces impressions fugitives. Fasciné par les gares, il décide dans l’année 1877 de peindre ces nouveaux édifices. Quand on regarde ses tableaux, on a le sentiment qu’ils traduisent des impressions immédiates, des instantanés. Pourtant, ils sont le résultat d’une composition soigneusement étudiée, parfois d’une véritable mise en scène. Monet a restitué l’atmosphère mouvante de la gare Saint-Lazare à travers des touches de couleur fondues les unes dans les autres. Placé dans l’axe d’arrivée du train, notre œil est attiré par un réseau de lignes (obliques de la verrière, obliques fuyantes des rails, verticales des poteaux et des bâtiments à droite et à gauche du tableau) qui définissent la structure de surface de l’œuvre. Les fausses lignes de fuite des rails nous guident vers la lumière du fond. La profondeur est accentuée par le contraste ombre et lumière, entre le dehors et le dedans. Les volutes de fumée, les gouttelettes de vapeurs irisées, les reflets sur les immeubles animent et magnifient l’espace. L’artiste, par des moyens picturaux, donne à voir à travers cet édifice une cathédrale moderne. 117 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E L a n a i s s a n c e d e l ’ i n d u s t r i e LIVRE PP. au XIXe siècle 170-179 Notions Usine, industrialisation, hauts fourneaux, exode rural, chemin de fer, urbanisation, ouvriers, patrons, travail des enfants, mines, droits sociaux, syndicats, développement technique et scientifique. Compétences • Analyser et confronter des documents. • Savoir percevoir les changements propres à une époque. • Savoir repérer les inégalités sociales. • Mettre en relation, à travers le récit et les documents, des personnages et des découvertes scientifiques (Pierre et Marie Curie). Exercices Cahier CM2 : Une nouvelle société : villes et chemin de fer au XIXe siècle, pp. 21-23 ; le monde ouvrier au XIXe siècle, p. 24 ; l’art et l’histoire ; pp. 46-48. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Révolution industrielle ou industrialisation ? La « révolution industrielle », ou l’industrialisation, désigne le phénomène de développement de l’industrie autour des années 1760-1880 en Europe. C’est le passage d’une économie reposant presque exclusivement sur la terre et son travail, à une société organisée autour d’une utilisation de plus en plus intensive des machines. Les débats historiques sont très nombreux concernant cette période clé de l’histoire européenne. Nous préférerons le terme « industrialisation » à celui de « révolution industrielle » tant ce processus s’est déroulé sur plusieurs décennies et sous des modalités parfois très irrégulières. Pour les élèves, le terme « révolution » intervient juste après l’étude de la Révolution française et détient une connotation axée sur le temps court. Ici, c’est le temps long qui est à mettre en valeur. Derrière les événements politiques de la fin du XVIIIe siècle, se profile une transformation importante et irréversible des structures économiques et sociales. Débuté en Angleterre, le phénomène s’étend sur le continent européen jusqu’à la fin du XIXe siècle. Lorsque la France 118 entre en révolution en 1789, l’Angleterre est la première puissance manufacturière au monde. L’industrialisation provoque une mutation de la société tout entière. Les causes du processus d’industrialisation Les explications concernant ce processus d’industrialisation sont nombreuses et plusieurs théories ont été présentées et défendues. Aujourd’hui, tous les historiens s’accordent pour dire que l’industrialisation ne relève pas d’une cause unique, mais d’un ensemble de facteurs concourant au développement de l’industrie en Europe. Parmi ces facteurs, on note l’expansion globale des marchés. C’est la demande qui crée l’offre. L’augmentation progressive de la population européenne à la fin du XVIIIe siècle entraîne des modifications de l’état du marché qui amènent le développement de tout un ensemble de nouveaux produits, notamment en ville. L’évolution des techniques a bien sûr sa place dans l’explication du phénomène. Héritée du siècle des Lumières, la réflexion intellectuelle et scientifique pour l’amélioration des rendements dans l’agriculture, pour une rationalisation des objets et des moyens de La naissance de l’industrie au produire, constitue une des causes de l’industrialisation. Bien entendu, la révolution des transports est très importante. Elle est à la fois la conséquence de l’industrialisation et une des causes, chaque élément se combinant dans le cadre d’un large processus cumulatif. Enfin, la révolution agricole est considérée aujourd’hui comme une des causes majeures. En dégageant des surplus de produits et en libérant de la terre des hommes et des femmes désormais sans emplois, la révolution agricole a sans aucun doute permis l’apparition d’une main-d’œuvre dont les villes manufacturières et industrielles allaient se servir abondamment. On le comprend, il n’y a pas une cause mais une série de facteurs qui s’emboîtent les uns dans les autres. L’industrialisation, c’est tout ceci à la fois : une révolution agricole qui permet de meilleurs rendements et une productivité plus importante ; ce qui libère une main-d’œuvre nouvelle disponible sur les nouveaux lieux de production manufacturière ; le développement des usines qui permet d’améliorer l’outillage agricole et qui renforce encore un peu plus la révolution agricole et la mécanisation des campagnes, avec les conséquences sociales que l’on sait (premier exode rural). En parallèle, il faut ajouter que les crises dites « d’ancien régime », c’est-à-dire les crises de subsistances (disette, famine) régressent jusqu’à disparaître tout à fait au milieu du XIXe siècle. Du coup, la demande globale est orientée à la hausse, entraînant la production vers une accélération décisive. L’Angleterre est le premier pays à connaître ce processus d’industrialisation et devient la première puissance industrielle en Europe (1760-1830). Une deuxième phase permet l’extension du processus à l’Europe continentale (1830-1870) et notamment en Belgique, en France et en Allemagne. Émergence d’une nouvelle société Une nouvelle société émerge sous le triple effet de la transformation du monde agricole, de l’essor urbain et de l’apparition d’une classe ouvrière. Car la caractéristique de cette société réside dans son caractère capitaliste et urbain. XIXe siècle Le capitalisme est un système économique et social dans lequel les moyens de production, les outils, n’appartiennent pas à ceux qui travaillent contrairement au système économique d’ancien régime où le paysan et l’artisan détenaient leurs outils propres. Dans l’espace nouveau et embelli que constitue la ville, le bourgeois devient la figure centrale, ce qui s’accompagne d’un développement très rapide des banques, de la bourse et du négoce. La famille et le foyer sont glorifiés. Les loisirs s’inscrivent de façon très codifiée entre les bains de mer (développement des stations balnéaires), le théâtre et les concerts. Une vie brillante se développe alors que l’espace urbain consacre les ségrégations sociales. Aux quartiers riches s’opposent les quartiers populaires miséreux. Le monde ouvrier Les ouvriers, quant à eux, représentent un monde très divers. Impossible d’avoir une image unifiée de leurs conditions de vie. Certains sont proches de la misère et d’autres bénéficient d’un plus gros salaire, car ils sont rattachés aux grosses entreprises sidérurgiques, par exemple. Mais, dans l’ensemble, leurs conditions de travail comme de vie restent très précaires et très difficiles. D’une manière générale, le monde ouvrier connaît une légère et lente amélioration de sa condition au fil du XIXe siècle. D’une part en participant aux revendications sociales et syndicales qui se structurent tout le long de l’industrialisation, et d’autre part sous l’effet d’une législation sociale qui évolue tout le long du siècle. Citons parmi les avancées sociales les dates suivantes : 1840, publication du rapport du docteur Villermé ; 1841, première loi sur le travail des enfants ; 1848, publication du Manifeste du parti communiste par Marx et Engels ; 1864, reconnaissance du droit de grève et de coalition ; 1884, loi sur les syndicats ; 1895, fondation de la CGT ; 1898, institution du repos dominical ; 1910, loi sur les retraites ouvrières. De cette mutation industrielle, l’Europe tout entière tirera sa puissance pour s’imposer au monde via la colonisation. 119 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Une forge des ateliers Derosne et Cail, p. 171 L’atelier représenté ici est celui de l’établissement Derosne et Cail, du nom de leurs entrepreneurs, situé à Grenelle, un ancien village de la proche banlieue de Paris rattaché à Paris sous Napoléon III. Dans un vaste atelier construit en bois, beaucoup d’hommes travaillent en équipes de 3 ou 5. Les produits fabriqués sont des roues métalliques visibles au centre (sans doute pour du matériel roulant tel que des locomotives ou des wagons), mais aussi des axes forgés par des machines à vapeur (à droite). Ce dessin nous renseigne sur les conditions de travail épuisantes, la faible aération (voir au fond les fenêtres entrouvertes), le danger permanent par le feu, le désordre ainsi que la violence du travail (marteau, marteau-pilon…). Si la machine tend à se substituer aux hommes, la force des ouvriers est encore largement nécessaire. L’homme est désormais au service de la machine et non l’inverse. C’est cela la mutation essentielle des relations du travail au XIXe siècle. Les écrits sociaux de l’époque décrivent les « corps broyés » par le travail harassant. Le Creusot, p. 171 Dans Le Tour de France par deux enfants destiné à la lecture des élèves de cours moyen de la IIIe République, trois idées fortes se dégagent. D’abord, on évoque la nouveauté des équipements industriels et la monstruosité qui lui est liée. Ensuite, le fait que la machine remplace l’homme. On passe au XIXe siècle d’une énergie humaine (force du bras) à une énergie mécanique – même si elle ne se passe pas de la force pendant encore longtemps. Et enfin, une nouvelle organisation du travail où les hommes semblent être au service de ce monstre industriel. Le Creusot est la plus grande entreprise sidérurgique d’Europe au milieu du XIXe siècle. Elle constitue à elle seule une ville. 120 La France industrielle dans la deuxième moitié du XIXe siècle, p. 172 Le charbon et le textile sont les deux symboles de la production industrielle en plein essor. En effet, les premiers foyers de l’industrialisation s’établissent autour des premiers centres de l’industrie textile, historiquement situés au nord-est de la France. Lorsque se développent les industries métallurgiques et sidérurgiques, les implantations industrielles épousent les lieux d’extraction du fer et du charbon. Les usines s’installent à proximité immédiate des gisements de matières premières. En regardant la carte avec les élèves, on peut leur faire remarquer la localisation fortement orientée au nord, nord-est, selon une ligne Le Havre/Marseille qui oriente toute la géographie française (voir le programme de géographie). Texte de Victor Hugo, p. 173 Même si les routes se développent, suivant le procédé de l’Écossais Mac Adam visant à stabiliser les routes, le symbole par excellence de la révolution des transports, c’est le chemin de fer. C’est l’alliance des machines à vapeur perfectionnées et de la sidérurgie triomphante. La première locomotive date de 1829, elle a été construite par un Anglais (Stephenson et la locomotive Rocket). À partir du milieu du XIXe siècle, l’Europe va se couvrir d’un réseau ferré de plus en plus dense, organisé autour des principales villes et des lieux de production industriels et financé par des entreprises privées. C’est surtout au début de la seconde moitié du XIXe siècle que le chemin de fer connaît une véritable extension. Il devient possible de relier des villes éloignées sans changement : BayonneParis-Lille-Dunkerque, par exemple. On assiste aux premières liaisons internationales : entre la France et la Belgique, entre l’Allemagne et les autres États voisins… De grands travaux sont entrepris pour franchir les obstacles naturels : le pont de Kehl sur le Rhin en 1861, le tunnel du mont Cenis entre la France et l’Italie en 1871. Victor Hugo est particulièrement sensible à la La naissance de l’industrie au vitesse qui modifie sa perception des formes et des couleurs des paysages. (En 1839, une diligence mettait 14 heures pour parcourir les 130 km séparant Paris de Rouen tandis que le train, cinq ans plus tard, ne mettait plus que 4 heures.) Le Train du dimanche, p. 173 Cette scène, réalisée par un peintre réaliste de la fin du XIXe siècle, témoigne de l’usage désormais courant du chemin de fer. Au premier plan, une foule se presse pour prendre le train. Le colporteur vêtu d’une blouse vend des journaux, le chef de gare et la fillette embrassant une parente resteront seuls sur le quai après le départ du train. La locomotive crache une fumée chargée de poussières et d’escarbilles. Les wagons sont courts et n’offrent pas tous le même confort. On peut repérer trois classes différentes. Le wagon de première classe (à droite) est spacieux et a un seul étage. Le wagon à impériale compte deux classes : la deuxième classe en bas dans des compartiments moins hauts mais fermés, la troisième classe en haut dans l’impériale ouverte à tous vents à laquelle on accède par un escalier très raide situé au bout du wagon. C’est la sortie du dimanche, les costumes sont élégants. À la fin du XIXe siècle, les compagnies cherchent à attirer les clients en créant « les trains de plaisir » qui proposent des tarifs réduits en fin de semaine et les jours de congé. Pour un tarif réduit de moitié, les voyageurs peuvent passer une journée à la campagne ou à la mer et revenir le soir. Texte de Georges Navel, p. 174 La littérature du XIXe siècle regorge de témoignages de trajectoires sociales ascendantes. Les auteurs y expliquent leur propre ascension sociale, en remontant aux origines de leur famille et à l’histoire de leurs parents. C’est le cas, avec beaucoup d’autres, de Georges Navel qui, dans ce texte, présente aux lecteurs ses origines paysannes. L’intérêt de ce court extrait pour les élèves est de montrer comment, en une génération, des paysans sans terre rejoignent un site de production industrielle (Pont-àMousson). Ici, il n’y a pas d’exode rural à proprement parler. C’est plutôt une usine implantée dans le monde rural, dont une large partie de la population va perdre sa vocation exclusivement agri- XIXe siècle cole pour travailler en usine. Dans le récit pour l’élève, on retrouve l’histoire des parents de Georges Navel (page 176) décrivant leurs conditions de travail et le temps de travail. Ce monde de l’usine est encore très proche de la terre. Le travail de la terre, comme ouvrier agricole, constitue souvent un revenu d’appoint pour les hommes recevant un salaire faible dans l’entreprise. Affiche publicitaire « La Française », p. 174 L’essor du machinisme dans les campagnes passe par les moissonneuses. L’affiche est destinée à faire acheter la machine présentée en plein centre de l’image. On notera la présence encore des chevaux, force motrice indispensable. De même, les anciens outils sont placés par terre, à gauche et à droite du bas de l’affiche, comme on aurait jeté négligemment des outils dépassés. C’est le sens même de ce document iconographique que l’on peut faire analyser aux élèves très simplement. La modernité des campagnes passe par l’abandon de formes de travail agricole traditionnelles. Désormais, avec le machinisme, on a besoin de moins de personnes pour cultiver la terre. Ce document est une bonne introduction à l’idée d’exode rural. Développement des villes en France en 1830 et 1900, p. 175 Le développement urbain et la transformation des villes sont un phénomène européen. Au XIXe siècle, la population urbaine européenne est multipliée par huit. Ce n’est pas tant la croissance naturelle des urbains qui est en cause que l’exode rural intense qui s’y déploie. La ville attire des migrants, soit saisonniers, soit définitifs. L’exode rural fait augmenter le nombre d’urbains et fait grossir la superficie des villes et des banlieues. Car c’est souvent dans les banlieues que se créent les principales industries ou ateliers de construction. Une population ouvrière disparate s’y retrouve, vivant souvent dans des conditions très difficiles. Toutes les villes françaises, et principalement les plus importantes déjà au XVIIIe siècle, sont concernées. Seul Paris dépasse le million d’habitants et semble écraser l’armature urbaine française. On retrouve sur les 121 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E cartes le développement de la ligne Le HavreMarseille, qui se structure également à partir de l’axe Paris-Lyon-Marseille à qui la ligne de chemin de fer « PLM » donne son nom et son éclat. On notera aussi avec les élèves que la carte de 1900 est « amputée » (pour reprendre les termes de l’époque) de l’Alsace et de la Lorraine, territoires perdus pendant la guerre de 1870-1871. Rapport du docteur Villermé, p. 175 Ce texte est extrait du Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, publié par le docteur Villermé en 1840. C’est l’Académie des sciences morales et politiques du règne de Louis-Philippe qui avait chargé Villermé de se pencher sur le cas d’une population ouvrière dont on perçoit les conditions d’existence désastreuses. En dehors du travail, Villermé s’intéresse également dans son enquête aux conditions de logement et d’existence globale des ouvriers qu’il a l’occasion de rencontrer. La publication de ce rapport est un choc considérable. On estime alors que l’industrie ne peut pas tout faire, sans contrôle. Le libéralisme doit être contrôlé par une législation sociale. Concrètement, le rapport Villermé débouche sur la loi sociale du 22 mars 1841 sur le travail des enfants. Travail des enfants dans les mines, p. 176 L’industrie au XIXe siècle utilise le charbon comme source essentielle d’énergie. Il est extrait à la main. Le ramassage du charbon abattu se fait lui aussi à la main. Le transport est assuré à l’aide de bennes poussées sur des rails par des manœuvres. Les galeries étant basses et étroites, on fait appel à des adolescents, voire à des enfants, pour tirer et pousser les wagonnets. Obligés de ramper, en permanence courbés, ces enfants ont des malformations de la colonne vertébrale. Respirant la poussière de charbon, ils attrapent de graves maladies pulmonaires. D’autres enfants sont employés dans l’industrie. Femmes et enfants constituent une main-d’œuvre à bon marché. Loi de 1841 sur le travail des enfants, p. 176 Issue du débat qui entoura la publication du rapport du docteur Villermé, cette loi du 22 mars 1841 122 interdit le travail des enfants de moins de huit ans, ce qui signifie implicitement que ce travail existait. Elle interdit également le travail de nuit pour les enfants de moins de treize ans et limite la durée de travail journalier. Obligation est par ailleurs faite aux entreprises de créer des écoles pour apprendre aux enfants à lire et à écrire. Le travail avec les élèves consiste, en dehors de lire les principales mesures, à deviner les implicites. Si la loi est si précise, c’est que les conditions de travail des enfants sont celles que la loi interdit. Autrement dit, les enfants de moins de huit ans travaillent souvent plus de huit heures par jour. Ceux entre huit et treize ans travaillent, y compris la nuit, de huit à douze heures. En réalité, cette loi sera très peu respectée. D’une part, et surtout, par le fait des patrons qui ne veulent – et parfois ne peuvent, à cause de la concurrence acharnée que se livrent les différentes entreprises – se priver d’une main-d’œuvre à si bon marché, si flexible et docile, et pouvant faire des travaux que des adultes ne peuvent faire étant donné leur taille ou leur agilité. D’autre part, parce que les familles ouvrières dépendent dans leur existence même du faible travail des uns et des autres. Chaque salaire compte, même le plus petit. Un budget ouvrier, p. 177 Pour illustrer la précarité et les conditions d’existence des familles ouvrières au XIXe siècle, on peut faire calculer aux élèves ce petit budget ouvrier. La somme des dépenses correspond aux salaires de la famille. Mais ce budget met en lumière deux aspects majeurs : d’une part l’obligation à tous les membres de la famille (enfants compris) de travailler, sous peine d’une impossibilité à vivre et à se nourrir. On imagine aisément le drame personnel et familial que représentait l’accident du père ou de la mère dans l’usine. C’était un manque à gagner considérable, et souvent fatal à l’équilibre financier précaire de l’ensemble de la famille. D’autre part, il faut faire réfléchir les élèves sur la partie dépense de la famille, et arriver à la conclusion que les dépenses ne servent qu’au strict nécessaire : aucun superflu, une nourriture minimale et le pain comme denrée essentielle. Ce budget est aussi l’occasion de faire réfléchir les élèves sur le fait que les conditions de vie sont, au La naissance de l’industrie au siècle, une des raisons pour lesquelles les ouvriers se battent et revendiquent. La contestation sociale s’ancre dans le quotidien le plus tyrannique : vivre, travailler et manger dans la dignité. XIXe La grève au Creusot en 1870, p. 178 Le Creusot est une ville industrielle du XIXe siècle qui regroupe différentes activités (mines de charbon, exploitation du minerai de fer, hauts fourneaux, forge, atelier mécanique…). Le document représente une grève de mineurs en 1870. Les conditions de travail dans les mines sont dangereuses et comportent de nombreux risques : risque d’explosion, danger d’inondation, risque d’aspirer de l’air vicié dû à une mauvaise ventilation, danger de silicose… Les mineurs ont mené des luttes revendicatives très déterminées pour demander des augmentations de salaire mais surtout de meilleures conditions de travail et de sécurité. Dans les mines, le sentiment d’appartenir à une même classe sociale s’est affirmé très tôt. Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire, p. 178 Les noms de Pierre et Marie Curie sont attachés à l’histoire de la radioactivité. Ils partagèrent le prix Nobel de physique avec Henri Becquerel en 1903. Marie Curie eut le prix Nobel de chimie en 1911. Certains éléments possèdent la propriété de se transformer spontanément en produisant de l’énergie. Cette radioactivité avait été découverte avec l’uranium. Les Curie parviennent à isoler deux éléments encore plus actifs, le polonium et le radium. C’est avec du matériel de mesure de précision, mis au point par son mari, que Marie Curie entreprend ses recherches. Il lui faudra une année de travail acharné pour isoler le premier élément radioac- XIXe siècle tif, le polonium en juillet 1898, suivi quelques mois plus tard du radium. La découverte de la radioactivité a ouvert des voies nouvelles dans la connaissance de la constitution de l’atome et du noyau atomique. Elle a trouvé des applications en chimie, en biologie et dans de nouveaux traitements du cancer. La Galerie des machines de l’Exposition Universelle, p. 179 À travers l’Exposition Universelle de 1889, la IIIe République célèbre le centenaire de la Révolution. Elle espère que cet événement sera capable de rassembler les Français. Les têtes couronnées d’Europe se montrent réticentes quant à leur participation. Les journaux français et étrangers vont se faire l’écho de deux réalisations qui rencontrent un vif succès auprès des visiteurs : la Galerie des machines et surtout la tour Eiffel ; deux événements qui symbolisent l’ère de l’industrie, l’âge du fer. La Galerie des machines est une immense nef métallique effleurant à peine le sol de la pointe de ses supports. Deux ponts roulants mus par l’électricité sont à la disposition des visiteurs pour admirer les machines disposées dans la partie centrale de la nef. Cette Galerie, malgré la prouesse technique qu’elle représentait, est détruite dans la plus grande indifférence en 1909. Le destin de la tour Eiffel est très différent. « L’ombre de l’odieuse colonne de tôle boulonnée » alimente une polémique. Cette intruse métallique est ressentie par certains comme une agression de l’industrie dont les constructions en pierre et la volonté haussmannienne les avaient protégés. Cependant sa gloire ne cessa de s’accroître. Pour donner à cette exposition un air de fête, il y eut une autre nouveauté : l’électricité. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Des usines financées par des banques se développent. Elles utilisent de nouvelles sources d’énergie : le charbon et la vapeur. Les marchandises sont transportées par le réseau de chemin de fer qui relie Paris à toute la France et à l’Europe. Les ouvriers ont une vie très pénible. En luttant, ils obtiennent le droit de grève. À la fin du XIXe siècle, on découvre le pétrole et l’électricité. De nouveaux métiers apparaissent occupés par les femmes des ouvriers. 123 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E Les progrès de la démocratie LIVRE PP. (1871-1914) 180-183 Notions Démocratie, liberté de la presse, justice/injustice, Belle Époque, progrès scientifique, école, patrie, égalité. Compétences • Savoir associer des œuvres artistiques à une période historique. • Retrouver dans un récit la logique d’une erreur judiciaire. • Faire une lecture critique de documents iconographiques. Exercices Cahier CM2 : La IIIe République, pp. 25-27 ; une galerie de portraits, p. 43. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Apprendre aux élèves l’avènement de la démocratie, c’est leur apprendre qu’elle est le fruit d’un combat. Le conflit d’idées est au cœur de l’idéal démocratique. La naissance de la IIIe République permet d’illustrer cette constante de l’histoire nationale, européenne et mondiale. En abordant dans le récit de l’élève la place des libertés et de l’école dans la construction du modèle français, il était important également de montrer comment l’affaire Dreyfus avait pu cristalliser tous les débats de l’époque sur la question de la justice et de l’injustice, du droit de l’homme contre l’antisémitisme, de la démocratie enfin contre la censure. En 1879, l’ensemble des deux chambres (Assemblée et Sénat) est aux mains des républicains. Leurs premiers gestes s’orientent immédiatement vers la consolidation de la République. Les libertés et les principes de 1789 sont confirmés et valorisés ; mais en plus, les droits sociaux que les ouvriers et les syndicats ont commencé, tout le long du XIXe siècle, à obtenir sont adoptés par la loi. Les syndicats et les associations professionnelles sont désormais reconnus. Pourtant, une crise politique majeure éclate de 1886 à 1889, après l’élection du général Boulanger à Paris et sa fuite hors de France. Là encore, le conflit était au cœur de la construction démocratique ; Boulanger dénon124 çait les impuissances du gouvernement républicain face au chômage et à l’instabilité ministérielle. L’Exposition Universelle de 1889 qui se déroule à l’occasion du centenaire de la Révolution française permet de détourner les Français de cette crise en célébrant unanimement la République, la science, la Révolution et l’école. L’école de la République Car, pour assurer l’avenir républicain et démocratique de la France, le gouvernement a souhaité étendre l’instruction à l’ensemble de la nation par l’intermédiaire d’une école publique gratuite (loi Ferry de 1881), obligatoire et laïque (1882). Le souci de Ferry est de soustraire les enfants à l’autorité de l’Église. En ce sens il s’agit bien d’une mesure anticléricale, mais ces lois vont bien au-delà – en consacrant un enseignement à l’exact opposé de celui que propose l’Église à l’époque. Le débat est bien entre une école de la foi et de la tradition, face à une instruction de la science et du libre examen critique pour l’ensemble des Français. De 1880 à 1900, l’école gagne l’ensemble, ou presque, de la population scolarisable. Pendant ce temps, sa fréquentation et l’assiduité s’améliorent lentement mais sûrement. Car on peut être inscrit à l’école sans pour autant la fréquenter assidûment. En majorité rurale, l’école de la République doit tenir Les progrès de la démocratie (1871-1914) compte des résistances locales comme des travaux des champs. Pourtant, contrairement à une idée encore largement répandue, l’école de la IIIe République n’a pas été une entreprise d’éradication des particularismes régionaux et des langues locales. Bien mieux, comme le montrent les derniers travaux, l’école de la République a valorisé les « petites patries » que constituaient les différentes régions de France afin qu’elles prennent place dans un ensemble plus vaste : la grande patrie, celle de tous. « Servir la patrie, c’est d’abord connaître, faire connaître et cultiver la merveilleuse diversité du territoire national. » (A.-M. Thiesse) Si l’école de la République réussit, c’est aussi parce qu’elle assure ou promet l’assurance d’une élévation sociale. La « communale » permet la promesse d’un affranchissement de son milieu et constitue pour beaucoup de Français le lieu d’expression d’une dignité et d’une fierté. Pourtant, des limites peuvent être citées au bilan de l’œuvre de scolarisation française. D’abord, il existe des disparités encore très fortes entre les villes et les campagnes. Ensuite le fait que cette école a formé des élèves dans le culte de la patrie, ce qui les aurait entraînés au « sacrifice patriotique » de la Grande Guerre. Enfin, les distinctions sociales qui s’établissent entre les enfants des élites et les enfants du peuple, inscrits dans un dualisme scolaire marqué. Le primaire supérieur pour les élèves du peuple qui ne peuvent poursuivre leurs études qu’en très petit nombre, grâce notamment aux écoles normales et aux bourses, et le secondaire supérieur pour les élèves des milieux sociaux privilégiés qui connaissent et le lycée et l’accès à l’université. L’affaire Dreyfus L’affaire Dreyfus constitue un autre moment de crise, où la démocratie se construit. Le capitaine Dreyfus est condamné à tort en 1894 pour espionnage au profit de l’Allemagne, sur la base d’un bordereau portant son écriture (ou une écriture similaire). Le contexte est alors à l’espionnage tous azimuts avec l’Allemagne, la France et l’Italie. Dreyfus est déporté au bagne de Cayenne en Guyane. Le récit de l’élève en dresse l’histoire. Picquart, le responsable des renseignements généraux des armées, est convaincu que le coupable est Esterhazy qui aurait construit un faux pour compromettre Dreyfus. Picquart est alors destitué. C’est pourquoi Zola, le 13 janvier 1898, intervient dans la presse avec son J’accuse retentissant. La société politique et civile française est partagée : les dreyfusards d’un côté (avec la création de la Ligue des droits de l’homme) et les antidreyfusards de l’autre (avec la Ligue de la Patrie française). Après un second procès à Rennes où la justice et l’armée se ridiculisent en tentant de sauver la face, le président de la République Émile Loubet accorde la grâce à Dreyfus qui la refuse. Les propos contenus dans le récit de l’élève éclairent le sentiment d’honneur et de dignité que ce geste de refus peut avoir. C’est en 1906 que l’innocence de Dreyfus est définitivement reconnue. Ce moment de la vie républicaine a sans aucun doute permis aux républicains de définir autrement, et plus précisément, les exigences d’une vie démocratique, fondée sur la vérité (la presse est en plein développement, sans censure), la justice et la libre expression. Parmi les dreyfusards, il faut citer Anatole France et Bernard Lazare, ce journaliste ami de la famille Dreyfus et qui consacra toutes ses forces à défendre le capitaine. Charles Péguy, dans Notre jeunesse, véritable manifeste dreyfusard et républicain, en fait un portrait magnifique. Zola jusqu’en 1898 avait une attitude beaucoup plus ambivalente. La force du journaliste aura attaché son nom à la défense de la justice alors que le nom de Bernard Lazare ne figure presque jamais dans les manuels scolaires. Cette crise politique et judiciaire, mais aussi sociale, met en lumière un antisémitisme largement partagé dans la société française de la fin du siècle. La Belle Époque L’expression de « Belle Époque » désigne la France de 1880 à 1914. Cette expression doit être nuancée. Certes, la France rayonne dans le monde, affiche ses principes républicains et sa réussite scolaire, devient le phare artistique du monde et profite des progrès technologiques et 125 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E scientifiques tels que l’électricité (la « fée » électricité de l’Exposition Universelle de 1889), les débuts de l’automobile ou du cinématographe. Cependant, cette embellie ne profite pas à tout le monde. La classe ouvrière reste très en dehors de cette société brillante. La misère n’est jamais loin, et la CGT affirme au congrès d’Amiens que la « grève générale » est un des moyens de sortir de « l’esclavage » industriel qu’impose le patronat. Les droits sociaux sont moins développés que ceux des Allemands par exemple, dont le pays menace les intérêts commerciaux, industriels et coloniaux de la France. Poincaré, lorrain et patriote, président de la République en 1913, obtient une loi sur le service militaire porté à trois ans (juillet 1913). La guerre est proche. C’est aussi cela le climat de la Belle Époque. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S La conquête de Metz et Strasbourg : les enfants soldats face à la carte de la « vraie » France, p. 181 Au moment où sont votées les lois portant gratuité, laïcité et obligation scolaire (1881-1882), sont créés également les bataillons scolaires. Ces bataillons sont facultatifs et concernent les jeunes garçons de plus de 12 ans à qui l’on remet un fusil de bois. Instaurée par les républicains, cette mesure qui fut de courte durée (pas plus d’une dizaine d’années, jusqu’en 1891-1892) témoigne de deux choses. D’une part de la continuité du sentiment républicain de défense nationale tel qu’il s’était exprimé en 1870-1871 pendant la guerre contre les Prussiens et la Commune ; d’autre part du sentiment très intense de perte des territoires d’Alsace et de Lorraine. Ce sentiment irrigue chacun des enseignements de la communale, des cours d’histoire et de géographie (avec l’apprentissage des frontières naturelles, dont le Rhin…) aux dictées et aux exercices de calcul, et bien sûr de morale. C’est le sens de la phrase de l’inspecteur général d’histoire Ernest Lavisse contenue dans la même page au sein du récit de l’élève. Être citoyen, c’est défendre la République et la patrie en danger. Valmy est la référence. Pourtant, les bataillons furent abandonnés rapidement en raison des contestations qu’ils soulevaient au sein même des républicains, inquiets du sentiment martial que l’on voulait donner trop tôt aux enfants. La une du Petit Journal, p. 182 Ce journal populaire vendu un sou connaît un grand succès – un million d’exemplaires en 126 1886. Choisissant délibérément de favoriser le sensationnel, il donne à tout événement une allure de fait divers. La une du 13 janvier 1895 est intitulée « Le Traître » et représente le moment de la dégradation de Dreyfus qui a eu lieu dans la grande cour de l’École militaire le 5 janvier à 8 h 45. Au général Darras qui prononce la dégradation, Dreyfus répond en hurlant : « Soldats, on dégrade un innocent, soldats, on déshonore un innocent. Vive la France ! Vive l’Armée ! » Puis un soldat de la Garde républicaine arrache les galons et brise le sabre. De retour dans sa cellule, Dreyfus écrit à sa femme : « Je te raconterai plus tard, quand nous serons de nouveau heureux, ce que j’ai souffert aujourd’hui. […] Je me demandais ce que je faisais là, pourquoi j’étais là, il me semblait que j’étais le jouet d’une hallucination ; mais hélas mes vêtements déchirés, souillés, me rappelaient brutalement à la réalité. » Les articles publiés dans Le Petit Journal, pétris de stéréotypes et de préjugés, contribuent à diffuser les thèmes antidreyfusards. Plus globalement, la presse qui est en plein essor et en plein renouvellement, tant de ses cadres que de ses moyens d’investigation, va jouer un rôle important dans le déroulement de l’affaire Dreyfus. Et ce d’autant plus qu’elle s’affranchit par ailleurs progressivement des censures diverses, de l’État comme de l’Église. La Libre Parole, quotidien antisémite d’Édouard Drumont, se déchaîne. L’Aurore, dont l’éditorialiste est Georges Clemenceau, entre dans la bataille le 13 janvier 1898 en publiant la lettre de Zola au président de la République : J’accuse. 300 000 exemplaires sont vendus en quelques heures. Les progrès de la démocratie (1871-1914) Autoportrait aux sept doigts, par Marc Chagall, p. 183 Le peintre Chagall arrive de Russie à Paris en 1910. Il est témoin du poids culturel de Paris et du fait que, pendant la Belle Époque, Paris est un des centres du monde artistique avec Vienne en Autriche. L’Autoportrait aux sept doigts (1913) est un tableau qui apparaît comme la représentation d’un rêve éveillé. Chagall se voit en dandy, en peintre ayant du succès. Il termine une toile posée sur un chevalet avec « ses sept doigts », c’est-à-dire très vite (réminiscence yiddish). Le Dossier L’ É C O L E Cette double page s’inscrit une fois encore dans la continuité des principes et des idéaux de la Révolution française et de ses antécédents humanistes et des Lumières. Bâti sur l’idée d’un avant et d’un après, ce chapitre doit montrer aux élèves la nouveauté que représentent les lois de Jules Ferry sur l’école de 1881 et 1882. On retrouve Condorcet et l’idéal révolutionnaire des Lumières, l’idée de faire de l’école un lieu pour tous, un espace d’émancipation intellectuelle. L’école devient, à la fin du XIXe siècle, le plus sûr vecteur d’unification linguistique du pays. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’école est parfois perçue comme une entreprise d’aliénation notamment aux dépens des cultures et langues régionales et des patois. Aujourd’hui, grâce aux recherches effectuées par Anne-Marie Thiesse ou Jean-François Chanet, entre autres, on s’aperçoit que parler français était au contraire vécu par les familles comme le plus sûr moyen de l’ascension sociale. Les mêmes chercheurs mettent également en évidence que les cultures régionales n’ont pas été niées, bien au contraire. Elles ont même été valorisées dans le cadre des apprentissages. La liberté est au cœur du projet de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson. Ferdinand Buisson défend la liberté d’esprit : « L’école doit tableau dans le tableau, le rêve dans le rêve n’est autre que La Russie aux ânes et aux autres, collage d’images évoquant le shtelt (un village juif). Au-dessus apparaît l’image d’une église orthodoxe émergeant de nuées, vision symétrique de la tour Eiffel se découpant dans une fenêtre. Le tableau est couronné de deux mots écrits en lettres hébraïques : Paris à gauche, Russie à droite. Dans son langage onirique, Chagall saisit au passage, intègre avec une infinie liberté et légèreté la géométrisation du cubisme, les architectures futuristes et les rencontres surréalistes. PP. 184-185 apprendre à être libre. » Cette idée doit être travaillée avec les enfants, non dans le sens d’un relativisme à l’égard de toute autorité, mais bien dans l’idée que nous sommes tous responsables de nos connaissances et de nos ignorances ; et que l’autorité ne se décrète pas : elle se vérifie chaque jour davantage. Une classe au milieu du XIXe siècle, p. 184 La chaire de l’enseignant, directement sous le crucifix, la plume d’oie et le matériel scolaire indique un très léger progrès des conditions scolaires et d’étude. La présence du crucifix montre l’influence de l’Église sur l’école. Le maître est aidé dans sa tâche par un moniteur choisi parmi les élèves les plus avancés. On ne voit qu’un groupe d’élèves. Du haut de sa chaire, le maître surveille le travail des différents groupes. Une classe de garçons en 1910, p. 185 Dans ce document, on observera l’organisation de la classe : position relative du maître et des élèves (ici que des garçons), deux tableaux qui symbolisent le double souci de l’école : la morale et les savoirs. La leçon de morale du jour – l’alcoolisme et le danger qu’il représente pour la santé – invite à prendre conscience des devoirs envers soi-même ; on apprendra aussi à reconnaître les devoirs à 127 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E l’égard des autres, de la famille et de la patrie. La liberté est à ce prix. Du côté des savoirs, on repérera dans la classe la présence d’un globe terrestre, d’un compas, de livres, d’affichages techniques et scientifiques très nombreux – l’image devient l’élément central de la pédagogie. La pédagogie fait des progrès. De plus, la présence de ce matériel, de cette organisation pédagogique palpable, donne au maître un statut de professionnel respecté. Éléments pour une synthèse Tous les enfants vont à l’école apprendre à lire et à écrire le français. Ils vont apprendre à réfléchir par eux-mêmes pour devenir des citoyens libres. Mais tous les enfants n’auront pas la chance de faire des études longues trop coûteuses. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La IIIe République reprend les idées de 1789 et crée l’école obligatoire, gratuite et laïque. La France est secouée par une crise. Le capitaine Dreyfus est accusé en 1894 de trahison pour le seul fait d’être juif. Deux camps se 128 font face et utilisent la presse pour exprimer leur point de vue. En 1906, l’innocence de Dreyfus est reconnue. Mais c’est aussi la Belle Époque où l’on découvre le cinéma, la photo et l’automobile. L’ E u r o p e e t l a F r a n c e à la conquête du monde (1830-1914) LIVRE PP. 186-191 Notions Colonies, colonisation, conquêtes coloniales, injustices, métropole, spoliation, débat, mépris, racisme. Compétences • Savoir lire une carte. • Savoir lire une caricature. • Savoir associer un document à un récit. Exercices Cahier CM2 : L’Europe et la France à la conquête du monde (1830-1914), pp. 28-29. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Dans la longue définition d’une histoire et d’une mémoire commune et partagée, la colonisation nous semble un axe de travail essentiel à traiter en classe. Non seulement parce que beaucoup d’histoires familiales des enfants confiés à l’école relèvent de cette histoire-là, mais aussi parce que les colonies, et la société qui lui est liée, font partie intégrante de notre histoire commune. S’il ne fallait citer que la présence actuelle des territoires et des départements d’outre-mer au sein de la République, cela serait une raison suffisante à cet enseignement. Prétendre vouloir comprendre la France et l’Europe, en faire une histoire scolaire sans prendre en compte leur part coloniale, c’est passer à côté d’une de leurs caractéristiques historiques centrales. C’est aussi négliger l’histoire des régions soumises. Colonialisme et impérialisme Il faut d’abord définir ce qu’est une colonie : il s’agit d’un espace soumis et organisé au bénéfice d’un pays plus puissant économiquement et militairement. De ce fait colonial préalable découle une situation d’inégalité politique. Les personnes de cet espace n’ont pas les mêmes droits que les colons. À cette inégalité première, s’ajoute l’inégalité économique. L’objectif de la colonisation, c’est l’exploitation des terres et des sous-sols. De ce fait, les indigènes sont exclus de l’exploitation, sauf en tant que main- d’œuvre. Dans les terres conquises, le mode de vie traditionnel est bouleversé ; un régime de l’arbitraire et du non-droit s’installe alors. Un autre mot est associé au colonialisme : c’est « l’impérialisme », une forme de domination d’un État sur un autre ou sur un territoire habité. Cette domination peut être militaire, politique, économique ou culturelle. L’impérialisme colonial réunit l’ensemble des formes de dominations. Les origines de la colonisation datent du XVIe siècle et de la conquête espagnole en Amérique. 1492 marque le début de la conquête du monde par l’Europe. Le commerce triangulaire organise un espace commercial entre trois continents, fondé principalement sur l’exploitation des terres et des hommes. Au cœur de ce dispositif, l’esclavage a toute sa place. Les facteurs de la colonisation au XIXe siècle La pression démographique Les facteurs de la colonisation au XIXe siècle sont multiples. La pression démographique, d’abord, pousse les Européens à s’embarquer vers des contrées lointaines. Le XIXe siècle est une période de très forte émigration européenne, ce qui contraste avec le XXe siècle où l’Europe 129 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E devient terre d’immigration. L’émigration du XIXe siècle est facilitée par le fait que les Européens maîtrisent, depuis trois siècles, les moyens de communication intercontinentaux. Le facteur économique L’explication économique peut également être retenue. Pour les entreprises, les colonies constituent des marchés captifs où écouler leurs produits. De plus, les matières premières exploitées dans les colonies permettent également la poursuite de l’essor économique. Par exemple, la moitié des échanges et des investissements anglais se font dans l’empire. La puissance économique européenne, qui est en plein bouleversement du fait de la révolution industrielle, débouche sur la croyance en la supériorité des races et notamment de la race blanche. La toutepuissance de l’Europe au XIXe siècle est alimentée par un renouveau missionnaire : des missions catholiques ou protestantes s’installent partout dans les colonies pour évangéliser et propager le christianisme. Ce double aspect, science et religion, assure la légitimité et l’argumentaire des expéditions très nombreuses. La supériorité de « l’homme blanc » ne fait aucun doute dans beaucoup de milieux politiques, économiques et intellectuels. Le facteur politique Le facteur politique a bien sûr une importance considérable en ce qu’il fait de la conquête et de l’exploitation coloniale un argument de puissance nationale. C’est ce qui explique pourquoi les rivalités coloniales européennes sont très aiguës. Elles seront du reste une des causes de la Première Guerre mondiale. L’avance et la supériorité technique européennes permettent des conquêtes militaires faciles, malgré les nombreuses résistances indigènes. L’empire français La France occupe une place spécifique dans la colonisation. En 1848, elle est un petit pays colonial ; au début du XXe siècle, elle est la deuxième puissance mondiale. À partir de la conquête de l’Algérie (1830), la colonisation devient un des grands secteurs de l’activité nationale qui engage des intérêts essentiels et l’honneur même du pays. Deux impulsions 130 majeures sont à mettre en lumière : la politique impériale de Napoléon III (1851-1870), mais surtout la politique coloniale de la IIIe République après le traumatisme de 1870. Il s’agit de retrouver la gloire et le prestige perdus après la défaite de Sedan. Gambetta (conquête de la Tunisie en 1881) et Jules Ferry (conquête de Madagascar et du Tonkin en 1883) incarnent la politique coloniale française de la République. Dans leur esprit et leurs propos, l’éducation des Français et l’exportation de la civilisation française aux peuples indigènes relèvent d’une même ambition généreuse et bienfaitrice. L’empire français a une superficie de 10 millions de km2 en 1914 avec le Maghreb, l’AfriqueOccidentale et l’Afrique-Équatoriale françaises. Cet empire ne constitue que 10 % environ des échanges et des investissements nationaux. Le rôle de l’empire est d’abord et avant tout politique, idéologique et stratégique. La France invente une forme coloniale fondée sur le rayonnement des valeurs et de la culture françaises. Elle se pose en modèle de civilisation. Pourtant, de nombreux débats agitent la classe politique partagée en deux camps : les tenants du parti colonial et les anticolonialistes. Après la guerre de 1870-1871, les anticolonialistes réclament plus d’attention à la « ligne bleue des Vosges », vers l’Allemagne de Bismarck, c’està-dire qu’ils souhaitent que la France s’intéresse plus à la récupération des territoires « perdus » (Alsace et nord de la Lorraine). Puis, progressivement, vers les années 1890-1910, lorsque les conflits avec l’Angleterre d’abord (conflit autour de Fachoda, colonie anglaise convoitée par la France en 1898) et l’Allemagne ensuite (crise de 1905 au sujet du Maroc, colonie française convoitée par l’Allemagne) sont très prégnants, le parti colonial s’affirme face aux protestations de plus en plus vigoureuses tant d’hommes politiques (Clemenceau) que d’intellectuels (Anatole France) qui refusent de voir une quelconque supériorité de l’homme blanc à l’échelle de la planète. Ce débat important est contenu dans le récit pour l’élève. Il peut faire l’objet d’un travail, par la recherche d’arguments (pour et contre la colonisation) contenus dans le récit. L’ E u r o p e e t l a F r a n c e à l a c o n q u ê t e d u m o n d e ( 1 8 3 0 - 1 9 1 4 ) E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Les possessions coloniales européennes en 1914, p. 187 Du fait de son avancée technologique, financière et militaire, l’Europe du XIXe siècle connaît une « course aux colonies ». En 1914, l’Europe se partage le monde, même si les premières possessions coloniales européennes ont acquis leur indépendance. C’est le cas des républiques d’Amérique latine notamment. Mais l’Europe coloniale n’est pas unie. Deux empires importants s’opposent : celui de l’Angleterre (Canada, Égypte, Indes, Australie…) et de la France (AOF, AÉF, Algérie, Maroc, Madagascar, Indochine…). Ces deux puissances connaissent également la concurrence d’autres pays comme l’Italie (Libye…), la Belgique (Congo…) et surtout l’Allemagne (sud-ouest africain et Tanzanie) avec qui les conflits, à propos du Maroc notamment, provoquent une crise internationale considérable en 1905. Sur la carte n’apparaît pas le fait que la Chine est elle-même partagée en zones d’influence entre Allemands, Français ou Britanniques. Condamnation de la colonisation, p. 188 La caricature publiée dans L’Assiette au beurre illustre le débat engagé entre colonialistes et anticolonialistes. Elle dénonce les contradictions entre les volontés affichées dans le discours d’une République française qui se présente comme « une mère » et les injustices qu’elle engendre. On fera avec les élèves l’inventaire des méfaits de la colonisation. Il n’y a plus d’esclavage, mais les colonisateurs, qui bien souvent ont pris les meilleures terres, exigent des populations colonisées des corvées de portage ainsi que des impôts. Le Noir qui vient de se faire rosser s’insurge contre ces modes de vie nouveaux qu’on lui impose au nom de la civilisation. Ses habitudes de vie dans le village, au sein d’une grande famille bien structurée, sont bouleversées. Des produits nouveaux apparaissent créant des besoins nouveaux. La vie est de plus en plus chère. Il est obligé d’accepter de travailler dans les plantations ou sur les chantiers de construction dirigés par les Blancs. Dans la ville, il connaît la solitude et l’humiliation. Il doit apprendre à être « individualiste ». Voilà donc la civilisation promise ! C’est l’occasion d’un débat avec les élèves. Publicité pour la Compagnie des Antilles, p. 190 De nombreuses représentations des colonies existent sous forme de croquis de voyages, de tableaux ou encore de publicités. Pour vendre des produits, les entreprises définissent, comme les autres représentations, une vision du monde. Ici, l’homme blanc est au centre, crayon à la main (car il est lettré et détenteur de la civilisation), habillé en blanc, portant le chapeau du chef. Il observe le travail de quatre hommes noirs courbés, dont un semble dans une attitude de soumission et de crainte, et d’un cinquième un panier sur les épaules. La supériorité de l’homme blanc de la République n’a plus besoin de fouet pour être reconnue. Elle est naturelle comme l’est la différence entre les peuples. La Compagnie des Antilles organise et commercialise les distilleries de rhum antillais. Les habitations qui se sont transformées en usines, sont entièrement tenues par des Blancs descendants des colons. La publicité concerne les Antilles, c’est-à-dire la Martinique et la Guadeloupe, deux « vieilles colonies » avec La Réunion et la Guyane. À cette époque, la canne (avec laquelle sont faits le sucre et le rhum) représente plus de 60 % des terres, 60 % de la main-d’œuvre et fournit plus de 75 % des exportations coloniales. Carte postale d’une exploitation de cannes à sucre, p. 191 La carte postale est un art photographique qui se développe à la fin du XIXe siècle. Elle a une vertu essentielle : promouvoir les régions de France, les « petites patries » au sein de la grande patrie française. Il témoigne de l’exaltation des régions dans le discours patriotique français. De la même manière que la géographie des écoles de la République vante les diversités régionales, conçues comme de véritables richesses, l’art de 131 L’ É P O Q U E D E L’ I N D U S T R I E la carte postale s’inscrit dans un mouvement de revalorisation de la diversité des paysages français. Cette politique de reconnaissance des « petites patries » a aussi pour objectif de désarmer les conflits possibles. Il s’agit de donner une image harmonieuse de la synthèse française, capable de faire adhérer au drapeau tricolore tant de diversités de climats, de reliefs, d’hommes et de femmes aux aspects si différents. Sur la carte postale présentée dans le livre, le personnage habillé de blanc et au chapeau est un contremaître blanc. Il est sur un cheval en position surélevée, signe de supériorité. Les hommes noirs posent pour le cliché, comme le contremaître. La scène se situe sur une plantation de cannes à sucre à La Réunion, ancienne « vieille colonie ». La canne à sucre représente à cette époque la principale ressource agricole de l’île, comme aux Antilles. Elle n’est plus viable économiquement, concurrencée par la betterave à sucre cultivée en métropole, mais son exploitation est maintenue car elle emploie plus de la moitié de la population réunionnaise de l’époque. Les conditions de travail demeurent difficiles, même si l’esclavage est aboli depuis 1848. Ainsi, les lois sociales ne s’appliquent pas aux colonies de la même manière qu’en métropole. L’usine a remplacé l’habitation comme unité de production agricole. Ce nouveau cadre de travail élève la productivité mais nécessite une main-d’œuvre importante. Les propriétaires d’usines à sucre font venir de la main-d’œuvre supplémentaire des Indes britanniques. Cela a pour effet principal de maintenir les salaires au plus bas. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Les pays d’Europe et la France en particulier s’enrichissent en constituant un empire colonial. Ces conquêtes sont faites par la force. Les colonisateurs s’emparent des meilleures terres et 132 méprisent les indigènes. Des révoltes éclatent. En France, des députés dénoncent les méfaits de la colonisation. S E P T I È M E PA RT I E LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL L’esquisse de Picasso, Femme à l’enfant mort sur une échelle, de 1937, inaugure la septième partie du livre, jalonnée de récits de guerres et de souffrances humaines (« l’enfer » de la Première Guerre mondiale, le génocide arménien, la répression sanglante des républicains espagnols…). Mais surtout, cette pietà moderne annonce, dans un cri de douleur, la tragédie de la Seconde Guerre mondiale qui marque une rupture fondamentale dans l’histoire du XXe siècle. Mélange de sacré (disposition des corps qui rappelle la Pietà de Michel-Ange, présence de l’échelle qui fait songer à l’échelle de Jacob…) et de profane (visage de la femme déformé par la souffrance qu’elle tente de fuir), cette pietà, cette mater dolorosa, en appelle au Ciel destructeur. Malgré de relatives accalmies, la télévision fait résonner dans chaque foyer, depuis plus de cinquante ans, des cris de souffrance venant de différents points du globe. Désormais, nous ne pouvons plus être indifférents à l’avenir du monde. En ce sens, l’œuvre de Picasso est prophétique en témoignant de la violence du siècle présente et à venir. Picasso réalise cette étude alors que Guernica est anéantie sous les bombes et que l’école maternelle de Getafe (banlieue sud de Madrid) est détruite au cours d’une attaque ennemie (173 enfants morts). Il puise son inspiration aux sources les plus variées (dans la mythologie grecque, mais aussi chez Poussin, Géricault, Delacroix, Goya…). Classique dans la construction, réaliste dans l’expression, cubiste dans l’utilisation de la géométrie de l’espace, Picasso apparaît comme le dernier des anciens et le premier des modernes. 133 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL La Grande Guerre (1914-1918) LIVRE PP. 194-199 Notions Tranchées, gaz, guerre totale, usine d’armement, obus, tanks, mutineries. Compétences • Percevoir la proximité des sentiments entre les soldats des deux camps. • Savoir lire un tableau chiffré et en tirer des informations. • Confronter les informations tirées de différents documents. • Mettre en relation les récits des « poilus » avec les documents. Exercices Cahier CM2 : La Grande Guerre (1914-1918), pp. 30-31. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Le déclenchement de la Première Guerre mondiale marque le début réel du XXe siècle. La guerre imprime sa marque et grave les corps et les esprits au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Plus rien ne sera désormais comme avant. C’est à partir de cet angle d’analyse qu’il convient de présenter la guerre aux élèves : comme un événement dont l’intensité n’a jamais été égalée jusqu’alors. Du reste, les contemporains l’appellent dès la fin des hostilités la Grande Guerre, comme si elle devait rester le modèle de l’horreur absolue. Le reste du XXe siècle nous a appris qu’en 1918, le monde de l’horreur n’en est qu’à ses débuts. Bien la comprendre, c’est mieux percevoir les raisons de la Seconde Guerre mondiale. évoque les conflits latents depuis 1908. Concurrence au Maroc entre la France et l’Allemagne, contentieux important entre l’Angleterre et l’Allemagne au Proche-Orient : les causes sont nombreuses au moment où les pays d’Europe semblent prêts à se partager le monde des colonies. Les origines du conflit Il est important de souligner avec les élèves la diversité des causes du conflit. Les origines en sont nombreuses et ne peuvent être réduites au seul conflit franco-allemand et au désir de revanche des Français dans leur quête de l’Alsace et du nord de la Lorraine, perdus en 1871. On peut distinguer des origines structurelles et des causes plus conjoncturelles. En effet, les rivalités économiques assombrissent encore un peu plus le tableau international de l’avant-guerre. Il s’agit principalement de la concurrence accrue des puissances industrielles triomphantes (RoyaumeUni, Allemagne et France). Les revendications nationales, dont l’Alsace-Lorraine n’est qu’un des aspects, complètent le panorama des périls. L’invasion autrichienne de la BosnieHerzégovine en 1908 déstabilise la région des Balkans sous prétexte de la contenir. Une série de crises entre l’Empire ottoman et les pays balkaniques, entre 1912 et 1913, perturbe encore un peu plus le fragile équilibre diplomatique européen. D’autant que la course aux armements a débuté dès la fin du siècle précédent. On dit à cette époque que l’Europe est sur un baril de poudre. Pour filer la métaphore, on peut dire qu’il ne manquait que l’étincelle. Les origines structurelles Les origines conjoncturelles Les origines structurelles du conflit s’inscrivent dans les rivalités coloniales. Le récit de l’élève Les origines conjoncturelles ont aussi leur place. L’archiduc héritier d’Autriche, François- 134 La Grande Guerre (1914-1918) Ferdinand, est assassiné à Sarajevo le 28 juin 1914 par Prinzip, un jeune nationaliste serbe. L’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Cet assassinat, en des temps moins troublés, aurait certainement trouvé un règlement diplomatique, mais en 1914, « l’engrenage des alliances » européennes se met en route. Alliée de la Serbie, la Russie mobilise. L’Allemagne, alliée de l’Autriche (avec l’Italie), mobilise à son tour le 1er août ; la France, alliée de la Russie et de l’Angleterre, le 2 août. Le nom de Jean Jaurès, responsable du parti socialiste d’avant-guerre (SFIO), est cité dans le récit de l’élève pour montrer que, dans cette conjonction de facteurs et cet engrenage martial, des pacifistes ont défendu des positions antibelliqueuses au péril de leur vie. Cela révèle également la montée profonde des patriotismes dans chacun des pays impliqués dans le conflit. Un nombre important de personnes (intellectuels ou autres) ont mis en cause l’entrée en guerre, sans pour autant pouvoir l’arrêter. L’écrivain autrichien Stefan Zweig, mentionné au début du récit, est là pour rappeler que le monde artistique européen est divisé. Si une partie, conséquente, épouse un patriotisme d’époque, une autre est dépassée par les passions guerrières de ses contemporains. 2e phase : la guerre de tranchées, de 1915 à mars 1918 Les fronts stabilisés, on assiste à un enlisement du conflit. Les tranchées sont le véritable symbole de cette guerre. Des percées succèdent aux reflux. Les batailles sont parfois terribles : celles de la Somme et de Verdun en 1916 occasionnent des pertes humaines considérables dans les deux camps, sans véritable succès définitif pour l’un et l’autre. Des avions, des gaz et de l’armement lourd sont utilisés massivement. La guerre se joue au front mais également à l’arrière avec la mobilisation des opinions publiques : la mobilisation des consciences (dite « bourrage de crâne ») et le travail des femmes dans les champs et dans les usines. L’économie tout entière est portée vers l’effort de guerre. On retrouve cette même logique de victoire partout en Europe, même si les résistances s’affirment : soldats récalcitrants, critiques à l’arrière, protestations contre les censures de la presse. Les mutineries éclatent chez tous les belligérants et sont partout réprimées. Cette guerre est également mondiale par la participation des colonies au conflit. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, il s’agit d’une guerre totale. Ce dernier aspect du conflit est à développer avec les élèves. 3e phase : la guerre de mouvement, de mars à novembre 1918. Une guerre longue La guerre, que tous les pays européens envisagent comme courte en 1914, s’installe. On pourra détailler en classe les différentes phases qui alternent guerre de mouvement et guerre de tranchées. L’entrée en guerre des États-Unis (avril 1917) aux côtés de la Triple-Entente décide du sort de la guerre, malgré le retrait du conflit et de la coalition alliée de la Russie devenue bolchevique (octobre 1917). L’armistice du 11 novembre 1918 met fin à la guerre. 1re phase : la guerre de mouvement, de 1914 à 1915 Bilan du premier conflit mondial Les conséquences sont terribles, surtout du point de vue du bilan humain effroyable (« la grande boucherie »). Une mutation dans les mentalités européennes intervient. En France, elle prendra la forme d’un désenchantement national, malgré la victoire. Économiquement, l’Europe est affaiblie et les États-Unis affirment leur nouvelle puissance. La carte européenne est profondément bouleversée. L’Empire austro-hongrois disparaît. De nombreux pays émergent : Tchécoslovaquie, Les armées allemandes pénètrent sur le territoire français et menacent Paris. Cette agression permet l’union sacrée, c’est-à-dire une relative unanimité sur les buts de guerre. La bataille de la Marne (9-13 septembre 1914), menée par Foch, permet la stabilisation du front. Les Allemands sont arrêtés sur le front ouest alors qu’à l’est, ils battent les Russes à Tannenberg. 135 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL Yougoslavie, États baltes, Pologne. La France récupère l’Alsace et la Lorraine. Le conflit laisse des traces indélébiles. Sur les soldats d’abord, ils restent profondément meurtris quand ils ne sont pas mutilés (plus d’un million en France seulement, des millions en Europe). C’est pourquoi nous avons fait le choix de privilégier les paroles de soldats, allemands (Franz Marc) ou français, qui témoignent pour tous, afin de donner une dimension humaine et universelle à cette expérience unique qui fonde notre modernité européenne. Ils témoignent tous de l’horreur. Une culture européenne de la guerre est à analyser avec les élèves ; celle qui s’installe lorsque la société tout entière est tournée vers une entreprise de guerre. Cette entreprise a fait perdre à l’Europe son leadership mondial, au profit des États-Unis. Une nouvelle ère s’ouvre dans le monde. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S L’Europe en 1914, p. 195 La Triple-Alliance est élaborée par Bismarck, chancelier allemand, en 1882. Elle comprend la Prusse, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. À l’origine cette alliance est secrète et est dirigée à la fois contre la Russie et contre la France. Bismarck avait réussi à se rapprocher de la Russie en 1887, mais après son départ en 1890, la France mène toute une série d’initiatives diplomatiques qui débouchent sur les traités franco-russes. La Russie devient l’alliée de la France en 1893. L’alliance de la France et de l’Angleterre est plus tardive et résulte des craintes britanniques devant les désirs d’expansion coloniale de l’État allemand. Inquiète des progrès allemands dans le domaine commercial et maritime, une Entente cordiale est signée entre la France et l’Angleterre en 1904. Elle formera la base de l’accord de Triple-Entente avec la Russie, en 1907, face aux prétentions économiques et territoriales allemandes. Cette carte présentée aux élèves a le mérite de la simplicité. Elle montre notamment la position stratégique de la Triple-Entente prenant en tenailles les empires centraux. Elle ne dit pas la multitude de petits traités diplomatiques unissant tel pays à tel autre et qui sera une des causes conjoncturelles de la guerre. À noter que l’Italie, dès 1915, quitte la Triple-Alliance pour rejoindre la France et la Grande-Bretagne. On lui promet des territoires alors autrichiens. Au moment des traités de paix et notamment des négociations du traité de Versailles, l’Italie comprend que ses espoirs sont vains et que les 136 Alliés ne lui céderont aucun des territoires demandés. Cette humiliation diplomatique nourrira en partie le développement du phénomène fasciste. Les soldats dans les tranchées, p. 196 Le document présente une tranchée française avant l’attaque. Il permet de découvrir avec les élèves ce qu’est une tranchée et d’en faire la description. Elle est étroite, creusée dans la terre à hauteur d’homme, le sol est couvert de caillebotis de fortune pour protéger de la boue. On voit des barbelés fixés à des branches et des sacs de terre dans le fond pour se préserver des éclats d’obus. Les soldats sont tendus, prêts à attaquer. Leur équipement se réduit à un fusil à baïonnette et à une réserve de cartouches. Ils sont protégés par un casque et un masque à gaz. En effet, ils craignent les gaz asphyxiants que les Allemands ont employés dès 1915. À partir de là, on peut imaginer ce que fut la guerre de tranchées, sa tactique, son armement, son rythme, ses dangers, les bombardements, les mitrailleuses mais aussi les réseaux de barbelés que chaque camp avait installés le long de ses lignes. Si le terrain n’avait pas été préparé par des brèches ouvertes avant l’assaut, les soldats mouraient en restant accrochés aux pointes de métal avant même d’avoir pu tenter de les franchir. Les soldats revenant du « feu », p. 197 Il s’agit de soldats après une offensive en 1917. Ces trois combattants montrent leur épuisement à la fois physique et moral. Cette lassitude La Grande Guerre (1914-1918) profonde se généralise. Cette guerre d’usure, ces attaques meurtrières et ratées, apparaissent de plus en plus comme inutiles. Elles entraînent des refus d’obéissance qui se transforment, du côté français comme du côté allemand, en véritables mutineries. Lettre de Franz Marc, p. 197 En août 1914, Franz Marc, un peintre allemand, se porte soldat volontaire. Mais, de mois en mois, son opinion sur la guerre se modifie. Le 1er janvier 1916, il écrit à sa femme : « Le monde s’est enrichi de l’année la plus sanglante de son histoire. » Le 4 mars, il est touché par un obus à Verdun au cours d’une mission de reconnaissance et meurt. Pendant toute cette période, Marc qui ne peut pas peindre s’exprime par écrit. Il rédige de nombreuses lettres à sa femme qui sont publiées dès 1920. La lettre reproduite dans le livre est écrite au début de l’offensive allemande à Verdun. Comme dans la précédente, le peintre est sidéré par la violence inouïe des attaques. Et, pourtant, le pire – « l’enfer » de Verdun – ne fait que commencer. Cette « guerre d’usure » va durer de février à juin. Malgré le sacrifice de 240 000 hommes, les Allemands ne parviennent pas à anéantir l’armée française ; en face 260 000 morts et, de part et d’autre, un cortège d’horreurs et de souffrances. ainsi au mouvement d’internationalisation de la Première Guerre mondiale. Les troupes coloniales reçoivent un statut définitif en 1900. Elles sont composées de toutes les parties de l’empire colonial français, dont les « Sénégalais » – en réalité des hommes de toute l’Afrique noire française – comme le montre la photographie. Mais il est très important d’avoir à l’esprit que ces troupes ne sont pas composées de citoyens à part entière, mais de « sujets de l’empire français ». Cette distinction est centrale, car comme tous les citoyens métropolitains ou issus des « vieilles colonies » (Guyane, Martinique, Réunion et Guadeloupe), ils participent activement à la défense de la France. Ils sont venus se faire tuer dans les tranchées pour le « pays » et la République, sans avoir pour autant de reconnaissance civique. Usine de munitions pendant la guerre, p. 198 Dans la logique de la guerre totale, et vu le degré de mobilisation et les besoins en hommes du front, tous les pays européens font appel à la contribution des femmes. Celles-ci viennent remplacer les hommes dans les usines transformées en usines d’armement. Ce mouvement est européen et concerne la guerre à partir de 1915. Dans les campagnes, les femmes remplacent également les hommes. On dispose de nombreux témoignages de soldats s’inquiétant auprès de leur épouse de l’état du cheptel, des soins vétérinaires et des moissons. Les premiers contingents arrivent dès le mois d’août 1914, signe que la France compte dès le début sur cette ressource inestimable en hommes que sont les colonies, véritables « réservoirs » de soldats. L’Afrique-Occidentale française (AOF) et l’Algérie sont les plus concernées par l’importance des mobilisations et des recrutements. Bien souvent, surtout à partir de 1915, les recrutements se font d’autorité et des révoltes importantes éclatent. Plus de 600 000 hommes au total furent mobilisés sous les drapeaux de la mère patrie. Plus de 62 000 moururent au champ d’honneur. Rappeler cela en classe, permet de prendre en compte la spécificité de l’histoire française engagée dans la colonisation. Entretenant un rapport paternaliste et autoritaire avec les peuples coloniaux, la métropole peut les considérer comme inférieurs et « sujets » quand l’expansion et l’exploitation coloniales l’imposent, et comme ses « enfants » quand la patrie est en danger. Ce sacrifice pour la puissance colonisatrice sera un des ingrédients de la contestation indépendantiste qui s’affirme à partir des années 1930 en AOF d’abord, mais surtout en Algérie et dans tout le Maghreb. Des soldats venus des colonies françaises, p. 198 Les Français sont les premiers à utiliser les hommes de leur empire colonial, participant Bilan des morts de la Première Guerre mondiale, p. 199 Tous les pays européens ne sont pas mentionnés dans ce tableau. Le chiffre total dépasse 137 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL 9 millions de tués. On compte près de 17 millions de blessés ou d’invalides. Le tableau présente le nombre de morts rapporté à la population globale. De ce point de vue, la France est le pays d’Europe le plus touché. On parle, pour la France notamment, de « saignée démographique ». Le bilan humain s’explique, en partie, par le nombre de mobilisés de part et d’autre et par le nombre important de fronts militaires partout en Europe, même si les plus meurtriers ont été le front ouest et le front est. Le bilan s’explique aussi par l’utilisation de nouvelles armes Dossier DES PEINTRES EN GUERRE Pour aborder la guerre avec les élèves, le choix a été fait de mener une réflexion à partir d’œuvres d’art, comme nous y incitent les nouveaux programmes. Beaucoup de peintres, en tant que citoyens de leur pays, succombèrent dans les tranchées. C’est le cas notamment de Franz Marc dont on peut lire un extrait d’une lettre adressée à sa femme dans le livre page 197. D’autres survivants de la « boucherie » vont se sentir presque incapables de rendre compte de ce qu’ils ont vécu et vu. C’est le cas de Fernand Léger. Pour lui : « La guerre est une chose tout à fait grise et incolore », le champ de bataille « un désert de terre brune uniforme ». Il ajoute : « L’Argonne est bourrée de troupes et tu ne vois rien, c’est très curieux. » L’intérêt de ce travail mené avec les élèves est triple. D’abord, c’est l’occasion de montrer que la tragédie humaine, côté alliés ou côté allemand et autrichien, est la même : même douleur, même sentiment d’inutilité et de gâchis. Il y a en gestation une conscience européenne endolorie par cet événement traumatisant qui aura des conséquences sur tout le XXe siècle. L’histoire européenne s’écrit ici, dans cette guerre dramatique pour les contemporains. C’est ensuite montrer aux élèves que sur un même sujet, et avec la même intention de condamnation, des langages artistiques s’expriment différemment. Par-delà l’unicité 138 (obus de plus forte puissance, grenades, gaz, avions, tanks, chars…). Mais à ce bilan humain, il faut ajouter deux autres facteurs qui vont durablement miner les démographies européennes après-guerre. Un déficit des naissances intervient pendant la guerre en raison de l’absence des hommes et du climat général. De plus, juste après la guerre, la « grippe espagnole » fait des ravages en Europe et tue presque 20 millions de personnes affaiblies par la guerre, les restrictions alimentaires et les conditions sanitaires. PP. 200-201 de l’événement et du moyen retenu (la peinture), la guerre peut être dite de deux manières différentes. C’est enfin l’occasion d’introduire la notion d’histoire de l’art, toujours inscrite dans les événements historiques, même si son objectif explicite est de se détacher du réel. La Partie de cartes, Fernand Léger, p. 200 Pour Fernand Léger, « La guerre fut grise et camouflée ». Les rares dessins peints en noir et blanc mi-réalistes, mi-cubistes rapportés du front attestent de cette impossibilité de représenter cette guerre de taupes. Le même désarroi atteignait Franz Marc qui n’a réalisé que quelques croquis avant d’être fauché par la mort. Pour Léger la couleur revient quand la guerre s’éloigne. Le cubisme lui donne le moyen d’exprimer le chaos du champ de bataille qui sert de table de jeu aux trois poilus mutilés, médaillés, complètement désarticulés qui jouent aux cartes : des soldats robotisés, gris comme la lumière du lieu qui les abrite. Le souvenir de cette guerre de machines, les bombardements réguliers, la pluie d’obus resurgissent dans sa mémoire et vont modeler sa vision du monde moderne. Invalides de guerre jouant aux cartes, Otto Dix, p. 201 Otto Dix utilise l’expressionnisme pour peindre la cruauté, l’horreur, les paysages détruits, La Grande Guerre (1914-1918) les cadavres dans les tranchées, les corps mutilés, les survivants infirmes. Il ne se contente pas de peindre les atrocités sur les visages, il annonce les catastrophes à venir. La peinture n’est plus peinture d’histoire mais lieu où l’histoire est prise en compte, questionnée inlassablement, objet de critiques exemplaires. De ce point de vue, Invalides de guerre est une peinture amère de dérision et d’accusation. Éléments pour une synthèse Deux peintres sont engagés dans la guerre. L’un, Fernand Léger, est du côté français. L’autre, Otto Dix, est du côté allemand. À l’issue du conflit, tous deux peignent les mêmes horreurs de la guerre. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Cette guerre devait être courte ; elle fut longue et meurtrière. Dans les tranchées, les soldats souffrent du froid, de la faim, de la peur de mourir. Ceux qui se révoltent sont exécutés. La guerre est mondiale. Les peuples colonisés participent aux combats. Avec l’aide des Américains, les Français et les Anglais remportent la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. 139 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL L a F r a n c e e n t r e l e s d e u x LIVRE PP. guerres mondiales (1919-1939) 202-207 Notions Deuil national, égalité hommes-femmes, citoyenneté, monuments aux morts, extrême droite, nazisme, front populaire, grève, congés payés, diplomatie, chômage, crise économique. Compétences • Savoir comparer des cartes politiques de l’Europe. • Identifier une période à l’aide de documents iconographiques. • Identifier une forme de production artistique symbolisant la période. Exercices Cahier CM2 : La Tchécoslovaquie face à Hitler, pp. 32-34 ; l’art et l’histoire, pp. 46-48. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La reconstruction et les « années folles » 1919-1930 est une période marquée, en France, par la reconstruction et le retour d’une relative prospérité (les « années folles »). Les destructions dues à la guerre sont très importantes. Elles ont touché les champs cultivables, mais surtout, au nord-est de la France, une zone particulièrement industrialisée : les mines sont inondées, les usines partiellement ou totalement détruites, les voies de communication atteintes. Les dégâts mettront plus d’une décennie à être réparés. La France est obligée d’emprunter massivement aux banques étrangères et notamment américaines. Les dégâts sont tels, dans les villes et les esprits, que l’on comprend pourquoi la France s’attache autant à défendre l’idée de réclamer et de fixer des « réparations » à l’Allemagne, déclarée responsable de la guerre au traité de Versailles (28 juillet 1919). L’économiste John Maynard Keynes, qui a participé aux négociations de paix à Versailles, juge, dès 1919, qu’il est impossible à l’Allemagne d’honorer les réparations prévues. La guerre a bouleversé la société française et fait progresser l’idée d’émancipation des femmes, notamment grâce à leur participation massive à l’effort de guerre. Dès 1919 pourtant, elles retournent dans leur foyer, massivement également, afin que les vétérans puissent réintégrer leur place au travail, comme dans la famille 140 – en situation de chef de famille. Cependant, l’idée de leur accorder le droit de vote est proche d’aboutir. La Chambre des députés vote « oui », mais le Sénat refuse. La crise des années 1930 Après le krach boursier de Wall Street d’octobre 1929, la crise mondiale secoue la France. Crise économique, chômage et fermeture d’usines caractérisent les années 1930. La crise est longue, même si elle est moins forte que dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne notamment. Devant l’incapacité des gouvernements à résoudre la crise et face à l’instabilité ministérielle, la crise politique et antiparlementaire s’installe. Des menaces pèsent sur la République, par l’intermédiaire des ligues nationalistes, antisémites et xénophobes (Action française, Croix de feu, la Cagoule...). Le 6 février 1934, une grande manifestation des ligues tourne à l’émeute et aux combats de rues. La gauche mobilisée et unie fait face aux émeutiers. On dénombre 16 morts. On a pu penser que les ligues avaient comme objectif de prendre le pouvoir par la force. En fait, il semble qu’elles cherchaient essentiellement à provoquer une crise de régime et à faire tomber le gouvernement Daladier (qui démissionne le 7 février). Le 6 février 1934 constitue un choc pour la gauche et les républicains qui voient le risque, à tort ou à raison, d’une La France entre les deux guerres mondiales (1919-1939) dérive fasciste ou dictatoriale à l’italienne ou à l’allemande. Le Front populaire Le Front populaire, alliance des gauches (PC, SFIO et radicaux), est élu en mai 1936. Le 6 juin 1936, Léon Blum (SFIO) devient président du Conseil. Cette victoire est inséparable de la crise et du péril extérieur. Hitler, au pouvoir depuis 1933, a fait quitter à l’Allemagne la Société des Nations (SDN). Les coups de force de l’Italie mussolinienne (Éthiopie) et de l’Allemagne hitlérienne (réoccupation de la Sarre, rétablissement du service militaire…) divisent le pays devant les mesures à prendre. Le Front populaire semble plus ferme. Les grandes grèves de l’été, qui accompagnent les premières semaines du Front populaire au pouvoir, se soldent par les accords de Matignon (7-8 juin). La semaine de travail est portée à 40 heures ; deux semaines de congés payés (12 jours ouvrés) sont accordées. C’est le début des congés payés, impensables pour les patrons prompts à dénoncer la « paresse » du monde ouvrier. Une augmentation des salaires accompagne les mesures sociales, ainsi que l’obligation scolaire qui est portée à quatorze ans. L’expérience du Front populaire reste un moment de rêve pour ses électeurs. Elle constitue un moment fort de la mémoire nationale par les conquêtes sociales qui lui restent attachées. La marche à la guerre Le Front populaire est battu en 1938. C’est un échec relatif, face aux pressions du patronat, à l’hostilité féroce (et parfois antisémite) à l’égard de Léon Blum de la part des mouvements d’extrême droite. Les pressions internationales (guerre d’Espagne, montée du danger nazi) et la division des trois partenaires au gouvernement expliquent en partie la chute du Front populaire. À l’extrême droite, on crie : « Plutôt Hitler que Blum ! » Face aux périls internationaux, Blum hésite à engager la France pour la défense de la République espagnole (les radicaux y sont hostiles), mais fait adopter un plan militaire de réarmement visant à rattraper l’Allemagne. Quand l’Allemagne annexe l’Autriche par l’Anschluss (12 mars 1938), le gouvernement français ne réagit pas. Dans la foulée expansionniste de l’Allemagne hitlérienne, le chancelier du Reich demande les Sudètes, région en territoire tchécoslovaque. La crise semble menacer la paix. C’est le tournant de la conférence de Munich (29-30 octobre 1938). La France de Daladier et l’Angleterre de Chamberlain acceptent le dépeçage de la Tchécoslovaquie, malgré les accords de Locarno protégeant la Tchécoslovaquie indépendante de Masaryk. On croit avoir évité la guerre. C’est un soulagement en Europe, sauf pour ceux qui ont compris qu’il s’agissait du début de l’engrenage fatal. Désormais Hitler sait qu’il a les mains libres. C’est cela Munich, la capitulation devant la force aveugle et sans principe. Les diplomaties française et anglaise ont reculé devant Hitler, au mépris de leurs propres principes. « Ils ont voulu éviter la guerre dans le déshonneur ; ils auront et la guerre et le déshonneur », dit Churchill. Hitler annexe et disloque la Tchécoslovaquie. C’est la faillite des démocraties. Daladier est inquiet de la dislocation à venir de la Tchécoslovaquie, bien qu’il soit le principal artisan de la reculade des démocraties devant Hitler. Il retrouve Paris juste après la conférence de Munich. Il est acclamé, à sa grande surprise, à l’aéroport du Bourget, aux cris de : « Vive la paix ! Vive Daladier ! » Sartre lui fait murmurer alors : « Les cons ! » Pour comprendre cette période en classe, il faut resituer le poids de la Grande Guerre dans les mentalités collectives. Elle imprègne tout l’entre-deux-guerres. Le traumatisme est terrible, dans les esprits comme dans les corps. On voit les mutilés, on mesure les deuils dans toutes les familles. C’est ce traumatisme dans les esprits qui inspire un fort courant pacifiste, résolument hostile à toute idée de nouveau conflit. Si Aristide Briand incarne dans les années 1920 la recherche de la paix à travers la SDN, les années 1930 sont marquées par la montée du péril fasciste et nazi en Europe. 1938 s’explique principalement par ce pacifisme hérité de la guerre. Tout plutôt que la guerre. 141 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Manifestation de femmes pour le droit de vote, p. 203 La participation des femmes à l’arrière, pendant le conflit mondial, incite des parlementaires à proposer, en 1919, le droit de vote aux femmes. Aristide Briand se fait le porte-parole de cet appel civique. La Chambre des députés vote le texte, mais les débats s’enlisent au Sénat et finalement la loi n’est pas adoptée en novembre 1922. Plusieurs mouvements de femmes continuent de défendre l’idée, mais toutes les démarches échouent. Sur la photo, il s’agit d’une manifestation du groupe de Louise Weiss, fondatrice de la Femme nouvelle, en 1934. Avec son mouvement, elle mène une série de manifestations spectaculaires et remarquées où les femmes s’enchaînent pour dénoncer leur condition civique et juridique (selon le Code civil, la femme mariée est mineure). Ces mouvements s’inspirent de celui des suffragettes en Angleterre. Mais Louise Weiss elle-même disait sa déception devant l’impossibilité de parvenir à gagner les consciences, y compris chez les femmes. Le féminisme français, comme le féminisme anglais à la même époque, est en reflux. Les résistances sont très fortes dans la population française. Même le Front populaire ne donne pas le droit de vote aux femmes. Léon Blum nomme néanmoins trois femmes comme sous-secrétaire d’État : avancée considérable pour les uns, mesure symbolique pour les autres. Un monument aux morts de la Première Guerre mondiale, p. 203 Dans toutes les communes de France vont être élevés des monuments aux morts de la Grande Guerre. Pierre, marbre ou granit vont servir de support à une liste de sacrifiés, où l’on retrouve plusieurs fois les mêmes noms : litanies de familles détruites et endeuillées. Cette « statuomanie » du martyr, pour reprendre l’expression de Maurice Agulhon, témoigne de la volonté de souvenir, dans une France très patriote, célébrant pour l’éternité, dans le deuil, la gloire de la victoire. Le monument lillois est caractéris142 tique, par sa taille et le nombre de noms inscrits, du tribut qu’a payé la région du nord et du nordest à la défense de la France. Repérer avec les élèves le monument de la commune de leur école, c’est voir avec eux ce que fut le champ d’honneur : des familles entières décimées dans leur partie masculine, des villages privés d’hommes en moins de cinq années. Cependant, cette génération de « martyrs du feu » marque toute la société de l’entre-deux-guerres et explique également le développement d’un très fort pacifisme. Au patriotisme triomphant de l’école de la République d’avant 1914 succède un désenchantement national perceptible dans les pratiques scolaires. La paix remplace la patrie au panthéon de l’idéal scolaire (Olivier Loubes). On peut noter qu’il existe très peu de monuments « pacifistes », dédiés aux morts « inutiles », où l’on peut lire : « maudite soit la guerre ». Le pacifisme ne s’installe qu’après l’euphorie et le soulagement de la victoire. Ravitaillement des grévistes de la Samaritaine, p. 204 Lorsque le Front populaire gagne les élections, les ouvriers sentent que c’est le moment pour eux de revendiquer leurs droits auprès d’un gouvernement dans lequel ils se reconnaissent. Dès la victoire les premières grèves éclatent. Partout, chez les ouvriers comme les salariés des grands magasins parisiens (ici la Samaritaine) ou de province, les protestations se font avec le sentiment que désormais les patrons et les contremaîtres n’auront pas le dernier mot. Sur la photo, on assiste à une grève avec occupation du magasin par les salariés, comme les ouvriers occupent leurs usines. La même solidarité s’organise pour le ravitaillement. La photo montre bien l’aspect festif et profondément joyeux des occupations. L’accordéon, instrument de musique très populaire, est partout et rythme les événements. Après les accords de Matignon, les grèves continuent. Il faut l’intervention de Maurice Thorez, premier secrétaire du parti communiste français – « Il faut savoir arrêter une grève » –, pour que, très progressi- La France entre les deux guerres mondiales (1919-1939) vement, le travail reprenne. La grève aura été générale (sauf chez les fonctionnaires), et surtout nationale. Les premiers congés payés, p. 206 La loi instituant les congés payés est adoptée le 11 juin 1936 et ses décrets d’application sortent le 31 juillet. Mais Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs, obtient une réduction de 40 % du billet de train pour les congés payés de la part des différentes compagnies ferroviaires privées. Ce jeune couple a choisi le tandem, avec remorque et matériel de camping. Il se prépare à partir pour la première fois. Ils vont rejoindre la foule des autos, motos, vélos et tandems qui se précipite sur les routes au moment des congés payés. Peut-être vont-ils s’installer à Bonneuil-sur-Marne. Plus qu’un camp, c’est une véritable petite ville de toile qui s’est édifiée en quelques heures. Les vacanciers, lassés de faire leur cuisine, ont même installé un restaurant. Peut-être vont-ils faire une halte en route dans une auberge de jeunesse. Introduites en France en 1929, elles se développent pendant le Front populaire grâce à Léo Lagrange. Les congés payés sont un séisme social considérable. Comme le dit Jacques Kergoat : « Réduction du temps de travail, congés payés, naissance du week-end : c’est le statut même du travail et de sa fonction dans la vie humaine qui se trouve en fait posé. » Guernica, par Picasso, p. 207 En juillet 1936, des militaires espagnols, avec à leur tête le général Franco, se révoltent contre la République espagnole gouvernée par le Front populaire élu au suffrage universel. Une longue guerre civile éclate. Les républicains sont vite dépassés par les combats très violents qui s’engagent. L’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini soutiennent les militaires révoltés en fournissant armes et aviation. Le 1er mai 1937, la légion Condor, composée de bombardiers allemands, attaque Guernica, petite ville du Pays basque espagnol. Il s’agit d’un raid de terreur, puisque la ville ne possède aucune armée républicaine ni installation militaire. 1 700 civils sont tués. Picasso va s’emparer de cet événement tragique et l’évoquer dans une vaste com- position en noir et blanc. « La guerre d’Espagne est le combat des forces réactionnaires contre le peuple et la liberté. J’ai exprimé clairement mon horreur du groupe de militaires qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort » dit Picasso. Sur le tableau, nous ne voyons pas les bombes tomber mais on peut ressentir la puissance du souffle qui projette hors de la maison éventrée, devenue la proie des flammes, tous les occupants. L’unité se fait autour d’un immense cri qui traverse toute la scène et réunit tous les morceaux disloqués du puzzle. La composition évoque celle d’un triptyque avec deux femmes implorantes symétriquement disposées à droite et à gauche. Celle de droite rappelle les bras levés du fusillé du Tres de Mayo de Goya. Son appel restera sans écho, la fenêtre éclairée est désespérément vide. À gauche, on reconnaît la femme tenant dans ses bras son enfant mort (voir l’ouverture de partie, p. 192). L’échelle a disparu ainsi que les couleurs pour atteindre dans le dépouillement ce qu’il y a d’universel dans la douleur. La proximité de la calme indifférence du taureau donne encore plus de force au sentiment de désespoir de cette femme. Cette présence massive, du reste, agit par contraste sur l’ensemble du tableau. Elle en accroît la violence. Que représente ce taureau qui condense tous les regards ? le peintre ? l’Espagne ? La partie centrale se découpe dans un triangle. Au sommet de ce triangle, on peut voir une tête de cheval déformée par la souffrance qui dénonce l’absurdité de la guerre. Le guerrier, gisant sur le sol, dont la tête ressemble à un personnage de l’Apocalypse de saint Sever (XIe siècle), a le corps d’une statue éclatée en plusieurs morceaux. Il représente la cause bafouée des républicains. Le corps du cheval est recouvert de signes typographiques. La guerre d’Espagne s’inscrit dans un climat de guerre civile larvée en France, après le 6 février, et après la victoire du Front populaire rejeté par la droite nationaliste. La guerre va radicaliser les positions entre le Front populaire (y compris de beaucoup de personnes appartenant au 143 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL courant des démocrates chrétiens) et son opposition de droite. Léon Blum a choisi la stratégie de la prudence. Confronté aux radicaux, dans son propre gouvernement, il ne peut prendre la responsabilité, « la mort dans l’âme », de faire éclater son gouvernement. Pourtant, au sein même du gouvernement, certains de ses ministres, dans leur ministère, organisent officieusement un soutien aux républicains. C’est le cas par exemple de Pierre Cot, ministre de l’Aviation, aidé par son chef de cabinet, âgé de trente-sept ans, Jean Moulin. Hitler agrandit le territoire allemand entre 1937 et 1939, p. 207 Dès 1933, Hitler multiplie les provocations à l’égard de la SDN et des démocraties. En 1933, l’Allemagne quitte la SDN. En 1934, la Sarre redevient allemande par plébiscite. Le service militaire, interdit par le traité de Versailles (juin 1919), est rétabli en 1935. En 1936, Hitler remilitarise la Rhénanie, contrairement, là encore, au traité de Versailles. Il annule unilatéralement les réparations et réalise l’Anschluss aux dépens de l’Autriche en avril 1938. Mais Hitler réclame également le rattachement au Reich de la région des Sudètes appartenant à la Tchécoslovaquie, pays allié de la France et de l’Angleterre, membre de la SDN. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait d’un test pour Hitler afin de mesurer la capacité de réaction des démocraties et principalement de la France et de l’Angleterre, d’autant qu’à cette date l’Allemagne n’est pas encore prête militairement pour la guerre. Placée hors du cadre des négociations de la SDN, la conférence de Munich entérine l’annexion pure et simple : la Tchécoslovaquie (sans participer à la conférence) est amputée des Sudètes. Pour Hitler, ce n’est que le début d’une dislocation intégrale. Les troupes allemandes entrent à Prague en avril 1939. Une autre partie de la Tchécoslovaquie est placée sous protectorat allemand (une grande partie de la Slovaquie). La Hongrie, alliée de l’Allemagne, intègre le reste de la Slovaquie à son territoire. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE De plus en plus de gens sont mécontents du gouvernement à cause du chômage. Face au danger de voir arriver une dictature comme en Italie ou en Allemagne, les partis de gauche se réunissent et le Front populaire est élu en 1936. Le gouvernement donne 15 jours de congés 144 payés aux ouvriers et réduit la semaine de travail à 40 heures. Mais la France et les autres pays d’Europe n’aident pas la République espagnole et laissent Hitler envahir la Tchécoslovaquie. Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) LIVRE PP. 208-217 Notions Occupation, exode, résistance, déportation, collaboration, capitulation, étoile jaune, camp de concentration, camp d’extermination, Libération, dénonciation. Compétences • Savoir lire des documents iconographiques. • Savoir faire les liens entre des documents. • Savoir interpréter un discours politique et le comparer à un autre. • Exercer son esprit critique sur des documents iconographiques et écrits. • Identifier les principaux principes de Vichy et de la résistance. Exercices Cahier CM2 : La résistance, pp. 35-37 ; les enfants d’Izieu, pp. 38-40 ; une galerie de portraits, p. 43. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Aborder la Seconde Guerre mondiale, c’est aborder un des événements majeurs du XXe siècle, ainsi qu’un des enjeux politiques et historiques parmi les plus considérables du programme scolaire – peut-être parce qu’il est encore présent dans les mémoires familiales des élèves. Les grands-parents et arrière-grandsparents, qui sont de plus en plus nombreux démographiquement, peuvent encore témoigner, soit dans le cadre de la famille, soit même en classe. Ils peuvent aussi se taire. Souvent ce thème n’est pas traité en classe afin d’éviter de toucher la sensibilité des enfants. Nous pensons au contraire qu’il faut l’aborder car, de toutes les façons, les élèves sont et seront amenés à en entendre parler. Autant que l’école en donne une vision ancrée dans des apprentissages. L’éducation civique n’est, évidemment, jamais très loin. Mais, là encore, ce n’est pas tant à un devoir de mémoire que doit répondre cette leçon, mais bien à un devoir d’histoire. Une chronologie de la défaite Afin de donner une compréhension et une cohérence d’ensemble à ce sujet, il est important d’avoir à l’esprit les accords de Munich, qui ont laissé le champ libre à Hitler en Europe. Il est bon également d’avoir quelques dates en tête afin de redonner un cadre chronologique des événements. Le 23 août 1939 le pacte germano-soviétique permet l’invasion allemande en Pologne, le 1er septembre, et le dépeçage de ce pays. Côté français, une « drôle de guerre » s’installe entre septembre 1939 et avril 1940, où les armées françaises attendent dans l’immobilité l’offensive allemande. Sur cette drôle de guerre et son atmosphère très particulière, le livre de Julien Gracq, Un balcon en forêt, donne un éclairage saisissant. Puis c’est l’offensive fulgurante. Les Allemands sont à Paris le 14 juin 1940 ; le 16 juin, Pétain remplace Reynaud à la tête de l’État et, dès le lendemain, il demande et signe l’armistice du 17 juin 1940. Repliés à Vichy, le gouvernement et les députés tentent de réorganiser un pouvoir politique pour la zone sud. Le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs sont accordés à Pétain qui abolit la République et décide la rédaction d’une nouvelle constitution : celle de l’État français. C’est la révolution nationale. Le régime de Vichy a duré jusqu’à l’été 1944. 145 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL La nature du régime Le récit de l’élève met en avant plusieurs thèmes importants. D’abord il évoque la collaboration française du régime de Vichy avec les troupes d’occupation. Ensuite, il aborde une des conséquences les plus tragiques de cette collaboration, à savoir la destruction des juifs de France. Vichy a bien participé au processus d’extermination mis en place par les nazis en anticipant même sur les demandes allemandes. De plus, une place importante est consacrée à la résistance. Loin des aspects militaires de la guerre mondiale, en Europe ou dans le Pacifique, que l’on peut traiter si on le souhaite, le manuel propose une réflexion avec les enfants sur ce que signifient les notions dont ils peuvent entendre parler par ailleurs dans les médias ou en famille : la Shoah, le génocide des juifs (sans oublier celui des tsiganes, des malades mentaux, la répression des homosexuels et des résistants), Vichy, Papon, Pétain… Autant de mots qui ne sont pas neutres, ce que les enfants perçoivent parfaitement. Ils sont aujourd’hui encore des enjeux de mémoire. Ne pas les aborder, c’est peutêtre prendre le risque de les laisser dans le flou de l’absence d’explication. Un flou qui peut être même la base de contre-vérités historiques. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Exode en 1940, p. 208 Les troupes allemandes passent à l’offensive le 10 mai 1940 sur le front ouest et franchissent les frontières hollandaises, belges et luxembourgeoises, pour passer par les Ardennes, oubliant la ligne Maginot, inutile, plus au sud-est. En France, cette période constitue une débâcle militaire sans précédent. En un mois, les armées allemandes atteignent Paris qui est prise le 14 juin. Le gouvernement se réfugie d’abord à Tours, puis à Bordeaux avant de devoir rejoindre Vichy. La photo proposée sur l’exode se situe à ce moment précis où près de 8 millions de personnes fuient le nord-est de la France et l’avancée des troupes allemandes, pour se réfugier au sud. Sur les routes prises d’assaut par des convois de civils apeurés et exténués, emportant avec eux leur maison tout entière sur des chariots, des voitures ou des vélos, les avions ennemis n’hésitent pas à tirer. Par ailleurs, l’encombrement des routes est tel, la panique et la désorganisation à un tel point, que cela rend difficile toute intervention d’une quelconque réaction de l’étatmajor, tout à fait dépassé par ailleurs. Ces sentiments se lisent sur la photographie. La petite fille se retourne comme pour surveiller l’avancée des ennemis, ou pour vérifier que le reste de la famille est encore là. L’exode fut un traumatisme considérable qui permet d’expliquer pourquoi l’annonce de l’armistice du 17 juin demandée par 146 Pétain fut accueillie le plus souvent avec un intense sentiment de soulagement. La France est occupée, p. 209 Depuis le 10 juin, à l’avancée des troupes allemandes s’ajoute l’offensive des armées de Mussolini par les Alpes. Pétain réclame l’armistice et la cessation des combats. « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat », explique-t-il dans un discours radiodiffusé. Les conditions de l’armistice sont particulièrement difficiles car, de façon unilatérale, les Français doivent supporter tous les frais des troupes d’occupation. Paul Reynaud, qui avait dû laisser son poste de président du Conseil à Pétain, et son sous-secrétaire d’État à la Guerre, Charles de Gaulle, refusent l’armistice et dénoncent la capitulation française. Il doit démissionner le 16 juin. L’armistice découpe la France en deux zones principales. Au nord, en zone occupée, les autorités allemandes s’installent en pays conquis. On peut noter que toute la façade atlantique est occupée par les Allemands. La GrandeBretagne est toujours en guerre et pourrait constituer un danger naval important. Au sud, la zone qui n’est pas occupée, s’organise la révolution nationale à travers le régime de Vichy. Sur la carte présentée aux élèves, n’est retenue que cette division pratique pour comprendre. Car en fait, l’Alsace-Lorraine est réannexée au Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) Reich par Hitler ; il existe une zone dite « interdite » qui rassemble au nord les régions autour d’Arras et de Dunkerque et une zone « réservée » autour de Metz, Nancy et Épinal. Les clauses de l’armistice laissent un empire colonial intact, d’où Reynaud et de Gaulle auraient souhaité organiser la contre-offensive. Le monde dans la Seconde Guerre mondiale, p. 209 Cette carte du globe en 1942 présente un double intérêt : d’abord d’observer le monde sous une autre forme que le planisphère classique. Cela met mieux en lumière la proximité géographique dans l’aire pacifique qui devient, après Pearl Harbor (7 décembre 1941), une des principales zones de combat de la Seconde Guerre mondiale entre le Japon et les États-Unis. Enfin, elle dresse l’état des camps en 1942. Japon et Allemagne nazie sont alliés. Leurs offensives respectives déstabilisent à leur profit, jusqu’en 1942, les cartes européenne et asiatique. Le camp allié, quant à lui, est composé des ÉtatsUnis, de la Grande-Bretagne héroïque qui ne cède pas malgré les bombardements allemands, et de l’Union soviétique. Parmi les Alliés, il faut compter également la Chine, inquiète de l’impérialisme nippon. Le 1er janvier 1942, après l’attaque japonaise sur les troupes navales américaines de Pearl Harbor, les États-Unis organisent la signature d’une coalition appelée les Nations Unies, et qui préfigure ce que seront l’après-guerre et l’ONU. Message radiodiffusé du maréchal Pétain, p. 210 Laval, un des principaux soutiens de Pétain, rencontre Hitler le 22 octobre 1940 pour préparer la rencontre de Hitler et de Pétain le 24 octobre à Montoire. Celle-ci donne lieu à une poignée de main devenue le symbole de la collaboration entre la France et l’Allemagne. Pétain considère que la guerre est définitivement perdue et qu’un nouvel ordre européen se met en place sous l’autorité de l’Allemagne. Il espère que la collaboration avec le Reich permettra à la France de tirer son épingle du jeu au moment d’un hypothétique traité de paix. C’est sur l’initiative de Pétain qu’une collaboration politique avec Hitler est engagée. L’objectif à court terme est de permettre le retour d’une partie au moins des quelque 2 millions de soldats prisonniers. Le pacte conclu à Montoire scelle la collaboration à la française. Suite à l’armistice, la collaboration est d’abord économique. C’est ce que Marc-Olivier Baruch appelle un pillage légal des richesses agricoles et industrielles françaises. L’essentiel des productions est destiné à l’Allemagne. De nombreux prélèvements ont lieu, sans compter les prises de participation des Allemands à bon nombre d’entreprises souvent « aryanisées ». La collaboration est aussi politique et idéologique, contre les communistes, les résistants et les juifs. Dans l’extrait du texte de Pétain proposé aux élèves, Pétain donne les raisons qui l’ont amené à prendre la décision de collaborer. Il dresse la liste de ce que son gouvernement attend et termine par cette phrase : « C’est moi seul que l’histoire jugera. » Il est important d’étudier le discours de Pétain idée par idée et de voir si les souffrances des Français ont diminué, si les prisonniers sont revenus, si fut atténuée la charge des frais d’occupation. À toutes ces questions la réponse historique est « non ». Consommation, par habitant, de produits alimentaires, p. 210 Ce tableau chiffré peut être confronté directement au texte de Pétain sur la collaboration. Ici, nous avons les conséquences en termes de conditions de vie sur les Français de la collaboration économique avec l’Allemagne. On assiste à une chute régulière de tous les indices de 1938 à 1944. Si la guerre peut être invoquée pour les années 1939 et 1940, il reste que la consommation globale sous Vichy ne se relève pas, loin s’en faut. Il faut y voir le poids des ponctions allemandes et ce pillage légal organisé conjointement par Vichy et l’Allemagne nazie. On peut noter que, dès 1944, il y a un léger sursaut. Cela est dû à la Libération et au retrait des forces allemandes du territoire français. Ce tableau permet également de comprendre pourquoi la pénurie de matières de première nécessité a favorisé l’apparition de tickets de rationnement et du marché noir. 147 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL Un jardin d’enfants, p. 211 Ce document est à mettre en relation avec le récit de Robert Bober page 212. Les mesures d’exclusion qui frappent les juifs se font chaque jour plus précises, la volonté de les exclure de France plus forte. Peu de temps après avoir obligé les juifs des deux sexes dès l’âge de six ans à porter l’étoile jaune cousue sur leurs vêtements (le 29 mai 1942), une nouvelle ordonnance allemande ( 8 juillet 1942) apporte un nouveau lot d’interdictions ou de restrictions. Interdiction est faite aux juifs de fréquenter les lieux publics (bains publics, restaurants, cafés, théâtres, cinémas, cabines téléphoniques, musées, bibliothèques, manifestations sportives, champs de course, parcs…). Ils ont également obligation de faire leurs achats dans un grand magasin, dans une boutique ou chez un artisan entre 15 et 16 heures. À partir d’un lieu que les enfants connaissent, qui leur est réservé, les élèves vont pouvoir réfléchir à la notion d’exclusion symbolisée par la barrière. Que signifie exclure d’un espace qui appartient à tous une catégorie d’enfants ? On va pouvoir progressivement prendre la mesure de l’extrême gravité de ce geste et de quelle catastrophe il est porteur. L’étude de ce document accompagnée d’un débat, complétée par des informations supplémentaires, va éclairer le texte de Robert Bober, permettre aux enfants de comprendre d’emblée ce qui se trame entre le gardien et l’institutrice, les sentiments qui les animent et l’effet désastreux de cette soumission. Récit de Robert Bober, p. 212 Rober Bober est écrivain et ami de Georges Perec. Il raconte dans ce livre, Berg et Beck, l’itinéraire d’un jeune garçon juif qui perd son ami pendant la guerre, déporté avec ses parents. Il décrit ce que sont les maisons d’accueil aprèsguerre des orphelins juifs de père et de mère. Si sur la couverture du livre il est écrit roman, il est évident que nous avons affaire là à un témoignage d’un enfant de l’âge du CM, aux prises avec les événements historiques. C’est un des moyens d’arriver à faire l’histoire de cette période douloureuse, en restant à l’échelle affective d’un enfant. 148 Le texte démarre par une référence de date, le lendemain de l’obligation de l’étoile jaune. On est donc le 30 mai 1942. Bober décrit, avec les yeux de son enfance, les événements qu’il a vécus, qui font qu’il ne peut entrer dans le jardin public en raison de l’ordre qu’a reçu le gardien du square Choisy. En dehors de tout un travail de français et d’éducation civique sur le pourquoi de l’exclusion de tel ou tel élève, sur l’attitude des adultes, sur ce que la maîtresse pouvait faire ou dire, il est important de voir que cette exclusion de l’espace public est symbolique de l’exclusion des juifs de l’espace français. Cet événement à hauteur d’enfant préfigure le pire à venir. Hélène, 7 ans, et Émile, 3 ans, p. 212 La destruction des juifs de France, pour reprendre l’expression de l’historien américain Raul Hilberg, a son histoire propre. Dès la mise en place du régime de Vichy, la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des juifs » exprime un rejet de l’autre tout à fait caractéristique du nouveau régime qui entend reconstruire la France à partir de la recherche de bouc émissaire à la défaite. L’antisémitisme est partout présent dans le nouveau gouvernement. Cette loi fixe un numerus clausus pour les professions et une interdiction pure et simple pour la fonction publique notamment. Cet antisémitisme d’État est confirmé le lendemain dans la loi sur les ressortissants juifs étrangers du 4 octobre. En 1941, le gouvernement français organise les camps de Beaune-laRolande et de Pithiviers afin de rendre effectives les mesures décidées dans le cadre de la loi du 4 octobre 1940. Les juifs étrangers (seulement les hommes) sont arrêtés et regroupés dans le Loiret. Ils sont plus de 3 700. Dans le cadre de la politique raciale d’extermination du Reich élaborée à Wansee le 20 janvier 1942, les premiers convois partent des camps du Loiret en juin et juillet 1942. Dans le cadre de la collaboration avec l’Allemagne, l’ordonnance du 29 mai 1942 oblige les juifs étrangers et les juifs français à porter l’étoile jaune. Cette mesure s’applique à tous. Chaque enfant doit aller à l’école avec son étoile cousue sur un vêtement, ce que raconte Robert Bober dans son roman. Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) Plus de 75 000 juifs sont déportés en direction des camps d’extermination et de concentration. La seule rafle du Vel’ d’Hiv’ planifiée sous l’ordre de René Bousquet, responsable de la police du gouvernement de Vichy, concerne au moins 13 152 personnes, femmes et hommes dont 4 115 enfants. C’est un tournant pour la collaboration des polices allemande et française. La complicité de Vichy dans l’extermination est désormais parfaitement établie. C’est Vichy qui livre les enfants que les Allemands ne réclamaient pas. Drancy devient un camp de transit, avant la déportation vers Auschwitz principalement. Le texte de Frossard témoigne parfaitement du caractère inouï de l’entreprise d’extermination : « Sous Hitler, nulle échappatoire. Le juif n’avait même pas la permission de se renier. […] Son tort était d’exister, son sort était sans issue. […] La seule pièce de son dossier était son acte de naissance. […] Le crime contre l’humanité, c’est tuer quelqu’un sous prétexte qu’il est né. » (André Frossard, Le Crime contre l’humanité, Robert Laffont, 1987.) Derrière son apparente banalité, cette photographie est absolument tragique. « Même si un instantané ne fixe, par définition, qu’un moment éphémère, les mots résumeraient mal la richesse de son contenu. Souvent, il ne venait même pas à l’esprit d’un témoin de mentionner les particularités que le manipulateur d’un appareilphoto saisissait automatiquement. Cela vaut pour toutes les photographies que la scène ait été préparée ou surprise d’un coup d’œil. Chacune est révélatrice, chacune raconte une histoire. » (Raul Hilberg, Holocauste : les sources de l’histoire, Gallimard, 2001.) Chacun des clichés raconte une histoire singulière, familiale, comme il y en a à toutes les époques, s’il n’y avait l’horizon de la guerre qui nous y fait voir, a posteriori, le drame à venir. Déportation des parents et des enfants, p. 213 Lorsque a lieu la rafle du Vel’ d’Hiv’, les autorités françaises expriment le souhait, par l’intermédiaire de Laval et de Leguay, de voir les enfants également déportés. Du 19 au 22 juillet, les familles et leurs enfants sont envoyés dans les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers en attendant que les autorités allemandes prennent leur décision face à cet événement qu’ils n’avaient pas prévu. C’est ce contexte que décrit Annette Müller arrêtée à 9 ans avec son petit frère et sa mère le 16 juillet 1942. La déportation qui suit le Vel’ d’Hiv’ se fait en deux temps. D’abord les parents, du 31 juillet au 7 août 1942, car les autorités allemandes ne répondent toujours pas au sujet des enfants. Vichy décide de commencer la déportation des parents dans des conditions de déchirements intenses, ce dont témoigne le texte. Le 13 août, les Allemands accèdent à la requête française : du 17 au 31 août 1942, quatre convois emportent les enfants vers la mort. Le témoignage d’Annette Müller est unique dans la mesure où grâce à diverses interventions, notamment de son père, elle a pu être sauvée avec son frère Michel. La lecture d’un texte met à distance la violence de l’événement, sans l’annuler. Aucun document frappant pour le regard n’a été choisi volontairement. C’est en passant par le regard d’enfants de leur âge que les élèves peuvent approcher ce que fut cette période. Le général de Gaulle à Londres, p. 214 Charles de Gaulle (1890-1970) est issu d’une famille monarchiste « à regret », catholique mais dreyfusarde. Il entre à Saint-Cyr. Mobilisé en 1914, il est blessé en 1916. En 1922, le capitaine de Gaulle entre à l’École supérieure de guerre. En 1934, il est affecté au Secrétariat général permanent du Conseil supérieur de la Défense. Dans différents ouvrages publiés avant guerre, Charles de Gaulle s’oppose à la hiérarchie militaire en se faisant le défenseur de l’arme blindée, de l’armée de métier et de la guerre de mouvement. Le 5 juin 1940, il est nommé par le président du Conseil, Paul Reynaud, sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre. Partisan d’une lutte à outrance contre l’Allemagne nazie et du départ du gouvernement français pour l’Afrique du Nord, il s’envole pour l’Angleterre le 17 juin 1940, ayant appris l’imminence de la constitution d’un gouvernement Pétain. À Londres, il se retrouve le seul membre du dernier gouvernement de guerre. Le 18 juin 1940, il lance à la 149 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL BBC un appel aux Français pour refuser l’armistice demandé la veille par Pétain et continuer le combat aux côtés de l’Angleterre. Le 28 juin, il est reconnu par le gouvernement britannique dirigé par Winston Churchill comme « chef de tous les Français libres, où qu’ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée ». Affiche de l’appel du 18 juin 1940, p. 214 Démissionné le 16 juin de ses fonctions ministérielles, de Gaulle rejoint Londres et utilise les ondes de la BBC pour s’adresser aux Français sur le continent. Très peu de personnes ont entendu ce message. Mais à le lire, on est frappé par l’aspect prophétique et son caractère de galvanisation. Quand de Gaulle parle des forces qui n’ont pas encore donné, il pense bien sûr aux États-Unis dont l’attitude en 1940 est encore à la prudence et au non-engagement. En tout point ce discours s’oppose à ceux de Pétain à la même époque. On peut remarquer avec les élèves que ce texte est en double, traduit en anglais, et faire repérer les mos semblables ou approchant (voir les programmes et la place des langues vivantes à l’école primaire). On peut également remarquer l’adresse, située à Londres, preuve que cette affiche reprenant une partie du discours radiodiffusé de De Gaulle est d’abord destinée à être placardée dans les villes anglaises. Car de Gaulle doit se faire reconnaître comme chef des Français qui s’opposent à Vichy et à la capitulation. Le Premier Ministre anglais Churchill reconnaît très vite de Gaulle comme chef des « Français libres ». Cette affiche sera distribuée sous le manteau et sous forme de tracts en France occupée. En zone sud les journaux régionaux diffusent dès le 19 juin cet appel de Londres. À cette date, la censure de Vichy n’a pas encore eu le temps de se mettre en place. Ce n’est qu’après le 10 juillet, date de la dissolution de la République, que le régime de Vichy s’installe dans tous ses aspects dictatoriaux. L’« affiche rouge », p. 215 Il s’agit d’une affiche de propagande allemande diffusée très largement avant le procès à Paris d’un réseau de résistants appartenant au Ftp-moi 150 (Francs-tireurs et Partisans et Main d’œuvre immigrée, proche du parti communiste clandestin). Tous seront condamnés à mort. Ce réseau résistant est fondé en 1942 avec à sa tête Boris Holban et rassemble des agents étrangers qui se battent contre le nazisme. Après plusieurs attentats et actions réussies, le réseau est pris en main par Missak Manouchian, Arménien qui oriente le groupe vers des actions de plus en plus périlleuses et qui minent les autorités allemandes. Dénoncés, ils sont arrêtés par la Gestapo le 16 novembre 1943. Cette affiche a pour but de donner une image négative de la résistance, alors que les autorités allemandes sont harcelées par des actions qu’elles appellent des actions « terroristes ». Galerie de portraits de résistants, p. 216 • Jean Moulin (1899-1943) À la déclaration de guerre, Jean Moulin qui est préfet d’Eure-et-Loir manifeste le désir d’être versé dans une unité combattante ; sa hiérarchie refuse d’accéder à cette demande, préférant le maintenir à son poste de préfet. En mai 1940, devant l’avancée des troupes allemandes, Jean Moulin reste à son poste, soucieux de protéger la population civile des exactions de l’occupant. Son premier acte de résistance se situe le 17 juin 1940 lorsqu’il refuse de signer un document préparé par les nazis visant à accuser les troupes noires de l’armée française de massacres sur les civils. De crainte d’avoir à céder sous les coups qui lui sont infligés, il tente de se suicider en se tranchant la gorge. De cette blessure, il gardera une cicatrice qu’il dissimulera sous une écharpe nouée autour de son cou. Le 2 novembre 1940, le gouvernement de Vichy le révoque en raison de son passé politique. Il entre dans la résistance. Il prend alors contact avec les différents groupes de la zone sud. En octobre 1941, il parvient à gagner Londres. Se présentant comme le porte-parole des trois principaux mouvements qu’il connaît (Combat, Francs-tireurs et Libération-Sud), il rencontre Charles de Gaulle à qui il rend compte de l’état politique des forces et des besoins de la résistance intérieure française. À l’issue de ce premier contact, le chef de la France libre le désigne comme son délégué auprès de la Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) résistance. Jusqu’à son arrestation, Jean Moulin travaille à l’unification, l’organisation et la centralisation de la résistance intérieure. Son travail aboutit notamment à la création des Mouvements unis de la résistance (MUR) dont il préside le première réunion du Comité directeur en janvier 1943. Le 21 juin 1943, il est arrêté lors d’une réunion à Caluire. Il est rapidement identifié comme le représentant du général de Gaulle. Torturé par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie, il ne parle pas ; en témoigne le fait qu’aucun membre de son entourage proche ne sera arrêté. C’est sans doute lors de son transfert en Allemagne qu’il meurt le 8 juillet 1943. • Jean Cavaillès (1903-1944) Fils d’officier de tradition républicaine, Jean Cavaillès est un ancien élève de l’École normale supérieure. Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, il est nommé en 1938 maître de conférences à la faculté des lettres de Strasbourg. En raison de nombreux voyages faits en Allemagne durant les années 1930, Jean Cavaillès est conscient du péril national-socialiste. Mobilisé en septembre 1940, il se porte volontaire pour rejoindre une unité combattante. Prisonnier, il s’évade et rejoint la zone sud où il reprend son poste au sein de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Refusant l’armistice et s’opposant au gouvernement de Pétain, il participe à Clermont-Ferrand à la création de ce qui deviendra le mouvement de résistance Libération-Sud. Nommé en mars 1941 professeur à la chaire de méthodologie et de logique des sciences de la Sorbonne, il continue ses activités de résistance au sein de la direction du mouvement Libération-Nord. En avril 1942, il fonde le réseau de renseignements Cohors. Après un départ raté pour Londres en septembre 1942, Jean Cavaillès est interné à Saint-Pauld’Eyjeaux, dont il s’évade fin décembre. Révoqué par le gouvernement de Vichy, il entre dans la clandestinité. Arrêté le 28 août 1943, il quitte la prison de Fresnes pour Compiègne le 18 janvier 1944. Il sera fusillé, devenant « l’inconnu n° 5 » du carré des fusillés d’Arras. • Lucie Bernard, dite Lucie Aubrac (1912) Fille de cultivateurs mâconnais, Lucie Bernard est née le 29 juin 1912. Reçue au concours d’institutrice, elle démissionne et milite dans les années 1930 au sein des Jeunesses Communistes tout en préparant le concours d’agrégation de professeur d’histoire qu’elle obtient en 1938. Nommée à Strasbourg, elle y rencontre Raymond Samuel, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui deviendra son mari en 1939. À l’automne 1940, elle rencontre à Clermont-Ferrand Jean Cavaillès. C’est avec lui, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Georges Zérapha et quelques autres que se constituera un premier noyau de ce qui deviendra Libération-Sud. Nommée à l’Assemblée consultative pour y représenter ce mouvement de résistance, elle refuse de partir pour Alger. C’est son mari qui la remplacera. Après la guerre, elle reprend son métier de professeur d’histoire qu’elle a exercé jusqu’à sa retraite. • Germaine Tillion (1907) Chercheuse à l’Institut d’ethnologie, Germaine Tillion est en Algérie à la déclaration de la guerre, où elle mène depuis 1934 des études sur les Berbères en vue de sa thèse. Elle revient à Paris après la débâcle. C’est à la suite du discours de Pétain du 17 juin 1940 qu’elle décide de « faire quelque chose ». Ce sera la naissance du réseau Hauet-Vildé, plus connu sous le nom du « réseau du Musée de l’Homme ». Arrêtée en 1942 à la suite d’une trahison, elle est déportée à Ravensbrück. Après la Libération, elle poursuit son engagement, enquêtant sur les crimes de guerre nazis (Ravensbrück), dénonçant les camps soviétiques en 1951, s’opposant à la torture et à la poursuite de la guerre en Algérie et initiant l’enseignement dans les prisons pour les internés. L’intérêt de ces biographies est, d’abord, de permettre de resituer la place des femmes dans la résistance (elles y gagnent leurs galons pour le droit de vote en 1944) ; elles sont représentatives aussi de la résistance de la première heure – en 1943, les mouvements nés en 1940 sont le plus souvent décapités sauf si les principaux 151 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL agents rejoignent Londres, comme le font Lucie Aubrac et son mari. Ces biographies sont représentatives aussi de la résistance tant en zone sud qu’en zone nord – Cavaillès ayant connu les deux, l’une jusqu’en 1941 (Libération-Sud), puis l’autre jusqu’en 1943 (Libération-Nord. Elles sont représentatives enfin des différents types de résistance (résistance de propagande politique dans les mouvements, résistance militaire faite de renseignements et de sabotages au sein des réseaux). De plus, ces biographies représentent la résistance intérieure sans laquelle la France n’aurait pas retrouvé sa totale souveraineté après la libération du joug nazi. Dossier L E S E N FA N T S D ’ I Z I E U Il s’agit dans cette double page d’aborder la Seconde Guerre mondiale en s’attachant au sort d’un groupe d’enfants et de leurs familles. Les élèves, proches par l’âge des enfants d’Izieu, seront d’autant plus sensibles à cette tragédie. Le manuel propose un montage texte/photo pour s’imprégner de l’atmosphère du lieu, sentir les événements se précipiter vers le désastre final, sans jamais présenter de documents trop difficiles. • Mise en correspondance des six premières lignes du récit et de la première photo : découvrir le paysage familier des enfants d’Izieu (lecture d’image : situer le village, la route, la maison, les montagnes : protection naturelle ou piège ?). Que sécrète l’immobilité de l’environnement ? l’isolement ? la sérénité ou l’inquiétude ? Autre contradiction, le lieu paraît paisible alors que la guerre résonne dès la deuxième ligne du texte, ce dont on peut débattre avec les élèves. • 2e photo et fin du premier paragraphe : l’arrivée des Allemands et l’arrestation des enfants (bruits, confusion, mouvements saccadés, cris…). La route sur la deuxième photo prend alors une valeur emblématique : elle a vu l’arrivée des Allemands et le départ des enfants. 152 Libération de Paris, p. 217 Un peu partout dans Paris explosent le 26 août 1944 des scènes de joie pour fêter la libération par la 2e D.B. avec le soutien des forces américaines. De l’Arc de Triomphe à la Concorde, « une foule immense est massée de part et d’autre de la chaussée. Peut-être deux millions d’âmes. Les toits sont noirs de monde. À toutes les fenêtres s’entassent des groupes compacts pêle-mêle avec des drapeaux. Des grappes humaines sont accrochées à des échelles, des mâts, des réverbères. Si loin que porte ma vue, ce n’est qu’une houle vivante sous le soleil… » (De Gaulle, Mémoires de guerre, Librairie Plon, 1956.) PP. 218-219 • Fin du texte et 3e photo : la maison vide, silencieuse, comme frappée d’étonnement, sidérée, est le seul témoin de la fin du voyage. Ces enfants, qui n’étaient que de passage à Izieu, rassemblés par les circonstances, d’origines géographiques différentes (Allemagne, Belgique, Autriche…) s’éloignent. On fera réfléchir les enfants sur cette question : pourquoi tuer des enfants ? 11 500 enfants juifs sont partis de France pour être gazés et brûlés dans les camps nazis. On estime à 1,5 million le nombre d’enfants juifs tués pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans la logique d’extermination nazie, l’enfant représente le dernier maillon de la chaîne qu’il faut détruire. Mais, au-delà du projet monstrueux des nazis, il y a à s’interroger avec les élèves sur le regard que l’on porte sur l’autre, sur le degré de responsabilité de chacun, de son engagement – les nazis ont été guidés sur cette route si tranquille ! On évoquera différentes attitudes (résistance, indifférence, peur de la différence, haine de l’autre qui conduit à la dénonciation…) que nous fournit l’histoire de cette période. Les deux France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) Cet anéantissement des habitants de la maison d’Izieu a été perpétré par le chef de la Gestapo lyonnaise Klaus Barbie qui sera jugé à Lyon et condamné à perpétuité en 1987 pour « crime contre l’humanité ». Il est décédé en prison en 1991. Quant à la maison d’Izieu, elle est devenue un musée mémorial, un lieu de mémoire pour conserver le souvenir des enfants et des adultes qui les entouraient, un lieu de réflexion sur la notion de crime contre l’humanité. La Maison d’Izieu Mémorial des enfants juifs exterminés 01 300 Izieu Téléphone : 04 79 87 21 05 Adresse Internet : http://izieu.alma.fr Il existe également un opéra : Les Enfants d’Izieu, livret de Rolande Causse et musique de Nguyen-Thien-Dao. Éléments pour une synthèse Dénoncés par un habitant du village, les enfants d’Izieu sont arrêtés par la Gestapo, envoyés à Auschwitz, brûlés et gazés pour le seul fait d’être juifs. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE L’Allemagne envahit la Pologne et la France. Le régime de Pétain décide de collaborer avec l’Allemagne nazie. Pétain adopte des lois contre les juifs qui leur interdisent de nombreuses professions. Les juifs doivent porter l’étoile jaune. Ils sont arrêtés en très grand nombre et déportés. C’est la rafle du Vel’ d’Hiv’. Certains Français avec le général de Gaulle refusent de collaborer avec Hitler. C’est la résistance. Avec l’aide des États-Unis et de l’Union soviétique, l’Allemagne et ses alliés sont battus. 153 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL Un nouveau monde (1945-1975) LIVRE PP. 220-225 Notions Paix, ONU, bombe atomique, construction européenne, indépendance, colonies, métropole, torture. Compétences • Savoir lire une carte en reliant les informations qu’elle donne au récit. • Analyser un discours politique, parlementaire, en le replaçant dans son contexte historique. Exercices Cahier CM2 : Les déclarations des droits de l’homme et des droits de l’enfant, pp. 41-42. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T Bilan de la guerre La fin de la Seconde Guerre mondiale laisse le monde dans un état de chaos jamais atteint jusque-là. Le conflit mondial aurait fait entre 40 et 50 millions de victimes dans le monde. Les pertes et les conséquences démographiques sont extrêmement graves. Rien qu’en Europe, territoire le plus touché, on compte au moins 30 millions de morts. À cela s’ajoutent les destructions matérielles et des pertes financières sans commune mesure. L’Europe, une fois encore, sort exsangue du conflit. L’Asie est durablement touchée aussi. Mais, surtout, la guerre a laissé des traces non encore cicatrisées à l’aube du troisième millénaire, dans les consciences collectives mondiales. La capacité de l’homme au désastre est révélée et mise en pleine lumière par la volonté de destruction de groupes humains entiers ; la science, jusqu’alors perçue comme lieu par excellence de progrès, est devenue outil de fabrication de mort industrielle (camps d’extermination, expériences sur cobayes humains, bombes atomiques…). On se demande comment l’humanité a pu aller aussi loin dans l’horreur et l’on se demande dans le même temps comment éviter que tout cela se reproduise. De plus, l’idée que la planète puisse être détruite par l’effet de l’homme, sur simple pression d’un bouton, ne cesse plus de hanter les esprits des négociateurs diplomatiques internationaux. Un monde nouveau s’est ouvert brutalement. 154 Mise en place de l’ONU L’ONU et la plupart des organisations intergouvernementales sont conçues avec ce souci de garantir la paix et la sécurité. L’ONU est fondée en avril-juin 1945 par une cinquantaine d’États. Deux principes sont affirmés : les droits de l’homme et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cinq pays vainqueurs font partie du Conseil de sécurité et disposent d’un droit de veto : l’Union soviétique, la Chine, les ÉtatsUnis, la Grande-Bretagne et la France – grâce à la participation de la résistance à la libération du territoire. Mais l’heure est déjà à la mise en place de la guerre froide. 1947 marque le début de la scission entre vainqueurs. Les partis communistes gagnent des élections en Europe et Truman définit sa doctrine d’endiguement du communisme. C’est dans le cadre de cette politique américaine que doivent être comprises les mesures d’aides financières et économiques prévues par Marshall en 1947. Le plan Marshall et la construction européenne L’Europe se reconstruit grâce au plan Marshall, plan d’aide financière accordée à l’Europe tout entière et que refuse l’URSS, et avec elle les pays de l’Est. Mais surtout, l’Europe définit progressivement les bases d’une intégration commune, indépendante des États-Unis, d’abord au sein d’un Conseil de l’Europe réunissant 6 pays (France, Allemagne de l’Ouest, Un nouveau monde (1945-1975) Luxembourg, Pays-Bas et Italie) en 1949, puis au sein d’un accord sur l’acier et le charbon (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier : CECA) en 1951. Cette Europe économique est renforcée en 1957 par le traité de Rome qui fonde la Communauté économique européenne. Désormais, par phases successives, de nouveaux pays intègrent le Marché commun. L’essor des nationalismes La France fait donc partie du club très fermé des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, participe activement à la construction européenne et organise, en partenariat avec la RFA, les bases d’un rapprochement franco-allemand. Mais, très vite, elle est confrontée, comme les autres pays coloniaux en Europe, à la question coloniale inscrite dans un des deux fondements de l’ONU : à savoir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Un nouveau partenaire émerge sur la scène internationale : le tiers monde. Dès les années 1920 et 1930, l’« homme blanc » était discrédité du fait de sa responsabilité dans la « grande boucherie » de 14-18. Cet aspect est renforcé par la fin de la domination européenne sur le monde au XXe siècle : le prestige des anciennes puissances coloniales est terni. De plus, les coloniaux ont fait la guerre pour l’Europe sans en retirer de fruits politiques particuliers (autonomies, indépendances...). L’intransigeance des puissances coloniales radicalise les mouvements nationalistes. Enfin, pendant la Seconde Guerre mondiale, on assiste partout à une montée des revendications nationales. La colonisation est dénoncée ; c’est le développement de l’anticolonialisme. Les principes défendus par l’ONU offrent aux peuples colonisés un socle sur lequel bâtir la légitimité de leurs revendications. Dans les territoires dominés par les Anglais, l’Inde de Gandhi devient indépendante en 1947. Ceylan (Sri Lanka) et la Birmanie accèdent eux aussi à l’indépendance sans conflits notables dans les mois qui suivent l’indépendance indienne. La fin de l’empire français Dans l’empire français, l’après-guerre est marqué par des revendications autonomistes ou indépendantistes. Les répressions sont très dures : le 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma (Algérie), la police fait plusieurs centaines de morts. La répression de 1945 aurait fait 12 à 15 000 tués dans le Constantinois par l’armée française. C’est le cas également en Indochine à Haiphong (1946), au Maroc à Casablanca (1947), à Madagascar (1947-1948) – 50 000, 89 000 morts ? difficile encore aujourd’hui d’avoir une idée précise – ou encore en Côte-d’Ivoire (1949-1950). Après une guerre éprouvante pour l’armée française, l’Indochine accède à l’indépendance en 1954. Puis c’est au tour de la Tunisie et du Maroc (1956) et de l’Afrique noire (1960). Mais le cas de l’Algérie reste à part. La guerre d’Algérie L’Algérie colonisée, c’est l’archétype du colonialisme à la française fondé sur les inégalités économiques et sociales. Les premières revendications d’autonomie (de Fehrat Abbas ou de Messali Hadj), toujours formulées au nom de la République et des principes de 1789, mais aussi au nom de la démocratie et de la laïcité, n’ont jamais été acceptées ni entendues. L’Algérie faisait partie de la République grâce à ses trois départements ; s’en séparer semblait inenvisageable. L’Algérie se révolte dès 1954 ; c’est le début de ce que la presse de l’époque appela les « événements » d’Algérie (1954-1957). Troubles et manifestations sont réprimés par des exactions et la torture des forces militaires françaises. Le Front de libération national (FLN) et l’Armée de libération nationale sont créés. Des mesures d’exception sont appliquées aux départements algériens. Arme traditionnelle, et non conjoncturelle de l’armée française sous la colonisation, la torture s’y déploie malgré des protestations publiques vite censurées. Ce combat de décolonisation toujours interprété comme une crise politique interne amène le retour de De Gaulle au pouvoir (1958). La 155 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL « question algérienne » a entraîné la chute de la IVe République. La guerre en Algérie trouve son écho en France par l’intermédiaire des travailleurs et familles immigrés mobilisés pacifiquement pour manifester contre la politique française en Algérie. La répression est organisée par la préfecture de police de Paris dirigée par Maurice Papon. Lors d’une de ces manifestations, le 17 octobre 1961, de nombreux corps d’Algériens sont retrouvés dans la Seine. Les historiens débattent encore du nombre exact de victimes cette seule soirée-là. L’Algérie devient indépendante par les accords d’Évian (18 mars 1962). Pour les nostalgiques de l’Algérie française, la crise continue par l’intermédiaire de l’OAS (Organisation armée secrète, avec l’attentat du Petit Clamart contre de Gaulle) ou contre l’OAS. La décolonisation algérienne pose alors un problème spécifique à la France, celle de l’accueil des rapatriés, qu’ils soient « pieds-noirs » (Français d’Algérie) ou harkis (Algériens attachés au maintien de l’Algérie dans la République française). Tout comme la destruction des juifs d’Europe, la question de la guerre d’Algérie reste un des enjeux de mémoire importants de la société française contemporaine. L’enseigner sereinement est sans conteste un des moyens de répondre à ce que l’historien Philippe Joutard appelle « le devoir d’histoire », en lieu et place du devoir de mémoire. Le récit présent dans le livre de l’élève nous semble à la fois assez long et assez allusif pour pouvoir laisser une large autonomie aux enseignants pour l’aborder. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Hiroshima après la bombe atomique, p. 220 La photographie présentant les ruines d’Hiroshima est un symbole de la nouvelle ère diplomatique et militaire qui s’ouvre en 1945. La guerre est terminée en Europe depuis le 8 mai 1945, mais les combats se poursuivent dans le Pacifique. En juin, l’île de Okinawa est prise par les Américains qui peuvent désormais atteindre le Japon par voie aérienne. Préparée dans les laboratoires de Los Alamos, village isolé des déserts du Nouveau-Mexique aux États-Unis, par les meilleurs scientifiques du moment (Richard Oppenheimer, Richard Feynman ou Philip Morrison), la bombe atomique n’est pas encore prête lorsque la guerre contre le régime nazi se termine en mai 1945. Elle sera utilisée et larguée la première fois à Hiroshima le 6 août 1945 et le 9 août à Nagasaki. Le 2 septembre 1945, le Japon finit par capituler. On estime que la bombe a fait près de 150 000 victimes. Les destructions furent considérables. Surtout, elles marquent le temps où il y avait un « avant » l’atome et un « après ». Affiche de l’Unicef, p. 221 Le 11 décembre 1946, l’ONU a créé une organisation spécialisée dans l’aide d’urgence à 156 l’enfance : l’UNICEF (United Nations International Children’s Emergency Fund). On est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette organisation s’occupe des enfants et des adolescents qui ont souffert de la guerre. Pendant trois ans, l’action et les finances seront dirigées vers les pays d’Europe dévastés par la guerre (secours aux enfants, distribution de matières premières, programme de vaccination). À partir de 1950, son action s’ouvre aux pays en voie de développement avec le souci de se préoccuper de l’éducation, de la santé et de l’alimentation des enfants. Déclaration universelle des droits de l’homme, p. 221 En 1948, les Nations Unies adoptent La Déclaration universelle des droits de l’homme dont René Cassin fut l’un des principaux artisans. L’élaboration de ce texte a nécessité deux ans de travail au sein d’un comité de rédaction composé de représentants de différents États. Le texte est inspiré de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pour ce qui est des droits civils et politiques et fait référence aux droits économiques, sociaux et culturels. Cette déclaration qui n’est qu’une simple résolution des Nations Unies a une force morale par Un nouveau monde (1945-1975) l’universalité de son message et inspire des constitutions nationales. Deux pactes vont compléter et expliciter certains aspects de la déclaration des droits de l’homme : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et la Convention sur l’élimination de discrimination à l’égard des femmes (1979). Dans La déclaration des droits de l’homme de 1948, l’enfant est implicitement présent dans tous les articles où il est question des droits et des libertés de « tous les membres de la famille humaine », mais il l’est explicitement dans deux articles seulement (les articles 25 et 26). Les besoins spécifiques de l’enfance ont conduit la communauté internationale à élaborer et adopter une Déclaration des droits de l’enfant le 20 novembre 1959. Cette déclaration est diffusée par affiche par le comité français pour l’Unicef reproduite dans le manuel. Elle est développée et complétée par la convention de 1989. L’Europe en 1948, p. 222 On distingue sur la carte le partage de l’Europe en deux camps antagonistes. La guerre froide a fait baisser son « rideau de fer » (l’expression est de Churchill à propos des pays communistes). En 1948, la situation se fige entre l’Union soviétique et les États-Unis. À la politique de l’endiguement du communisme prônée par le président américain Truman, répondent les coups politiques des partis communistes de chaque pays de l’Est sous la dépendance de Staline. Avec l’Allemagne comme symbole de cette partition idéologique, l’Europe de l’Ouest recouvre tous les pays concernés par le plan Marshall et l’aide américaine. En 1948 à Prague, en 1949 à Budapest, les partis communistes accèdent légalement au pouvoir. De 1946 à 1949, le pluralisme politique disparaît dans tous les États d’Europe centrale et orientale. La guerre froide s’installe, laissant planer la crainte permanente, réelle ou entretenue, d’un troisième conflit mondial. Texte d’Adenauer, p. 222 Konrad Adenauer est l’un des fondateurs du parti chrétien-démocrate (CDU) en 1946 en Allemagne occidentale. Il est élu chancelier de la République fédérale allemande en 1949 et dirige le pays jusqu’en 1963. Sa longévité politique lui permet de donner une cohérence à sa politique de redressement de l’Allemagne. Grâce à sa politique d’alignement sur les ÉtatsUnis et à sa recherche constante de rendre à l’Allemagne un honneur diplomatique, la RFA entre dans la Communauté européenne en 1951, communauté qui s’organise alors autour du couple franco-allemand et de sa réconciliation. En 1963, il signe avec le général de Gaulle le traité franco-allemand qui scelle le rapprochement définitif entre les deux nations. Le court extrait présenté aux élèves relève du constat. En devenant chancelier, Konrad Adenauer s’inscrit d’emblée dans la logique européenne en relevant qu’aucun pays ne pourra, isolément, faire face aux deux blocs en construction. C’est la première des raisons de la construction européenne : les intérêts économiques de chacun des pays de l’Europe de l’Ouest. La seconde, et pas la moindre, relève de l’ambition affichée de faire en sorte que la paix soit désormais au cœur du continent européen, après deux guerres désastreuses pour ses peuples, son prestige, sa puissance et son économie. Discours d’Aimé Césaire, p. 223 Aimé Césaire est né en 1913 à la Martinique. Il entre à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1935 et participe au mouvement surréaliste en développant une voie particulière de la poésie. Il rédige Cahier d’un retour au pays natal où se lit la voie poétique de la négritude, c’est-à-dire une poésie qui « bouscule les structures de la poésie française traditionnelle », en y projetant une autre réalité historique, celle de la traite des Noirs, de la colonisation et des rapports de force et de violence dont les Noirs sont les victimes. Césaire dit qu’il n’aurait jamais développé le thème de la négritude si les Noirs avaient été un peuple dominateur. En cela, sa poésie ne se veut pas un retour sur le particularisme, mais bien une poésie de la souffrance universelle. Professeur agrégé de lettres, il revient à la Martinique pour enseigner juste avant la Seconde Guerre mondiale. Il est élu 157 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL député en 1945 sur la liste communiste (il rompt avec le parti communiste en 1956 après Budapest). C’est en tant que député et rapporteur du projet de loi qu’il s’exprime à l’Assemblée le 12 mars 1946, lors du débat sur la départementalisation des quatre « vieilles colonies » (Martinique, Réunion, Guadeloupe et Guyane). Il dresse un tableau très sombre des conditions de vie de la population antillaise, et principalement martiniquaise. Ce tableau correspond à la réalité sociale et économique de ces territoires qui ont encore le statut de colonies en 1946. Césaire considère que la transformation de ces colonies en départements à part entière doit assurer l’égalité des droits et des chances pour tous ses citoyens. La loi est adoptée le 12 mars 1946. Il ne s’agit pas d’une loi d’assimilation culturelle, mais d’un texte visant à étendre à ces territoires l’ensemble des droits sociaux dont bénéficient leurs concitoyens métropolitains en matière de protection sociale et de droit du travail. L’évolution des colonies françaises de 1945 à 1977, p. 224 La carte présente l’empire français après guerre. Différentes dates jalonnent son histoire. On y distingue les décolonisations pacifiques comme la Tunisie et le Maroc (1956), ou encore l’Afrique noire (1960), mais aussi les guerres de décolonisation. Ce fut le cas pour l’Indochine en 1954. Après le bombardement français d’Haïphong en 1946, la guerre éclate. En mai 1954, le camp français de Diên Biên Phû tombe. Mendès France, investi président du Conseil le 18 juin, signe les accords de Genève en juillet 1954. On y voit également la place à part de l’Algérie, comparée à celles de la Tunisie et du Maroc. Le cas de Djibouti est encore à part. La côte française des Somalis devint une colonie française en 1896. En 1946, elle devient territoire d’outre-mer, acquiert une autonomie relative en 1957 et devient parfaitement indépendante en 1977. La France n’a plus, officiellement et juridiquement, aucune colonie en 1977. Discours du député Saadane, p. 225 Ahmed Saadane est député d’Alger, élu au sein du collège des électeurs français musulmans 158 non-citoyens (collège séparé du corps électoral créé en 1944, rassemblant tous les Algériens de plus de vingt et un ans), représentant le parti du Manifeste. À ce titre, il est signataire du Manifeste du peuple algérien publié en février 1943 par Ferhat Abbas, qui réclame « une Algérie libre et unie à une France libre ». Au nom des principes mêmes de la République française, Ahmed Saadane dresse une critique de la colonisation française en Algérie. L’intérêt du texte réside dans le fait qu’il souligne le décalage qui existe entre les principes avancés par la France et la réalité coloniale. Son discours reprend chacun des points que vante traditionnellement l’œuvre de la colonisation : la richesse apportée ? C’est l’appauvrissement et la misère qui dominent, dit Saadane. L’instruction pour tous ? C’est l’analphabétisme et l’ignorance. La richesse culturelle d’une civilisation reposant sur l’harmonie des peuples ? La langue arabe est méprisée et contestée. Contrôle d’identité dans les rues d’Alger, p. 225 La bataille d’Alger, en janvier 1957, marque un tournant dans la guerre d’Algérie. Depuis deux ans, le FLN harcèle les autorités militaires d’Alger par des séries d’attentats ou d’assassinats ciblés. La répression s’intensifie sans que cela empêche le renforcement des bases FLN sur le terrain. À la fin de l’année 1956, le terrorisme algérien se déchaîne à Alger. Guy Mollet, chef du Gouvernement à Paris, confie alors, le 7 janvier 1957, le pouvoir au général Massu, commandant de la 10e division de parachutistes, ayant connu l’« humiliation » de Diên Biên Phû. Désormais, la guerre change de nature. La répression est systématique et tous les Algériens sont suspectés. La torture, toujours présente, véritable réalité coloniale, s’intensifie et est justifiée par les autorités militaires par la recherche d’informations. La photographie prise au cours d’un contrôle d’identité renvoie une image fidèle, et sans prise de position, de ce que fut la guerre d’Algérie. Un militaire au visage caché vérifie la présence d’armes sur le corps d’une femme voilée, revenant du marché avec un jeune garçon qui pourrait être son fils. Son visage est inquiet même si Un nouveau monde (1945-1975) sa main droite est prête à se lever pour se protéger ou se défendre. L’ambiguïté de l’image, à analyser avec les élèves, relève de la situation elle-même : des armes pouvaient effectivement être cachées par des enfants ou des femmes voilées. La question n’est pas de savoir si le soldat est méchant ou juste. Il applique les ordres, dans des rues où se croisent dans la peur des hommes et des femmes réunis par la guerre et la suspicion. La violence est latente. Pour Raphaëlle Branche, la bataille d’Alger, c’est « le règne de la torture ». ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE Après la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies est créée pour veiller au maintien de la paix dans le monde. La déclaration des droits de l’homme puis celle de l’enfant sont adoptées. L’Europe essaie de se réunir pour empêcher la guerre. Certaines colonies deviennent départements français (Guadeloupe, Martinique, Réunion et Guyane). D’autres obtiennent leur liberté en négociant. D’autres enfin sont obligées de faire la guerre (Algérie, Viêt-nam). 159 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL La vie politique LIVRE PP. et économique de la France (1945-1975) 226-229 Notions Trente Glorieuses, immigration, exode rural, mode de vie, émancipation des femmes. Compétences • Caractériser une époque à l’aide d’un récit et de documents iconographiques. • Identifier la place nouvelle des femmes dans la société française de la fin du siècle, à l’aune des combats menés depuis le début du siècle. Exercices Cahier CM2 : Moi, dans l’histoire, p. 44-45. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T L’intérêt est de dresser, avec les élèves, une sorte d’inventaire des profondes modifications de la société française durant les Trente Glorieuses (1945-1975), cette période de forte croissance économique. Le relèvement de la France en ruine est le premier impératif des gouvernements successifs au sortir de la guerre. La situation économique est désastreuse du fait de la collaboration et de l’occupation allemande. L’hyper-inflation sévit et le marché noir persiste. Ce sont l’intervention de l’État dans l’économie (planification, création de la SNCF, nationalisations nombreuses, création de la sécurité sociale…) et l’aide américaine du plan Marshall qui permettent le relèvement de la France. Les efforts d’équipement menés autour des secteurs stratégiques du charbon, de l’électricité ou de l’acier vont s’adosser à la construction européenne (CECA). De 1945 à 1975, la France s’ouvre au monde en abolissant son protectionnisme et en découvrant les bienfaits du vaste marché européen. Les échanges internationaux dopent l’économie française. La croissance est constante, entraînant des modifications profondes des modes de vie. Une société de consommation Du fait de l’amélioration du niveau de vie global, la consommation est en plein « boom ». L’équipement des ménages se développe, notamment dans l’électroménager, et concerne 160 également les produits jusque-là réservés aux plus fortunés. La voiture est le symbole même de la croissance. Pourtant, celle-ci se fait de façon inégale. Pire, les inégalités sociales tendent à s’aggraver. L’écart des salaires entre les cadres et les ouvriers se creuse. Les petits commerçants souffrent de plus en plus du développement des supermarchés situés aux périphéries des villes, aux prix plus bas, que la voiture permet d’atteindre, rapportant provisions à mettre dans un réfrigérateur et bientôt un congélateur. Les mutations de l’agriculture Autre phénomène majeur, la restructuration de l’agriculture française doit être replacée dans le cadre de la politique européenne. On assiste à une concentration des terres laissant les plus petits exploitants largement démunis. La baisse des prix agricoles ne permet pas, sauf pour les plus gros, de compenser les investissements réalisés afin de moderniser l’outil de production. L’exode rural s’intensifie. En 1945, presque 30 % des Français vivent de la terre et de l’agriculture. En 1975, ils ne sont plus que 10 %. Le nombre d’exploitants est en chute libre. Mais, parallèlement, la France devient la première puissance agricole d’Europe, et la seconde au monde du point de vue de la production et de ses exportations (voir le programme de géographie). En contrepartie, les villes gonflent, au point que des plans d’urgence sont recherchés La vie politique et économique de la France (1945-1975) pour construire en hâte des cités d’accueil en marge des agglomérations. Dans beaucoup de grandes villes, ces cités nouvelles marquent un réel progrès social et d’hygiène. Immigration et impératif industriel Dans le récit de l’élève, on insiste sur la part de l’immigration dans l’effort industriel d’aprèsguerre. Le manque de main-d’œuvre a amené les entrepreneurs français à organiser de véritables campagnes de recrutement dans les colonies d’Afrique du Nord, choisissant de préférence une main-d’œuvre analphabète et rurale, réputée plus docile. La vie de ces immigrés (plus d’un million en quelques années seulement) reste à écrire complètement. Ils furent les soutiers sans gloire d’une industrie en plein essor. Affectés aux tâches les plus pénibles, les immigrés d’Afrique du Nord sont partie prenante de la réussite française des Trente Glorieuses. Leur rendre mémoire en classe, c’est certainement faire une histoire sereine. De la IVe à la Ve République D’un point de vue politique, la France se dote d’une IVe République le 21 octobre 1945. Son pouvoir est instable et la « valse des ministères » s’explique par l’absence de majorité fiable à l’Assemblée. Parfois, un gouvernement n’est nommé que pour quelques mois voire quelques semaines, obligé de démissionner. La crise ministérielle s’installe lorsque débute la guerre d’Algérie qui met en lumière les dysfonctionnements de la machine politique française, son impuissance et son discrédit dans l’opinion. Arrivé au pouvoir en pleine crise algérienne, de Gaulle fait rédiger une nouvelle constitution adoptée par référendum le 28 septembre 1958. La Ve République est née. En 1962, après les accords d’Évian qui entérinent l’indépendance algérienne et la fin de la guerre, de Gaulle fait voter par référendum la réforme importante de l’élection du président de la République au suffrage universel. L’exécutif est renforcé, tout en maintenant un régime d’assemblées. La IVe République est bien morte. À l’élection présidentielle de 1965, De Gaulle l’emporte avec 55 % des voix. Sous la conduite du Premier ministre Georges Pompidou, le régime « gaullien » semble solide. Les événements de mai 68 Pourtant, la crise politique éclate au printemps 1968. D’abord une révolte étudiante, la crise s’étend aux syndicats (grève générale) et aux partis politiques de gauche qui déposent une motion de censure contre le gouvernement Pompidou. Les « événements » durent tout le mois de mai. Le 30, afin de régler la crise, de Gaulle dissout l’Assemblée et convoque de nouvelles élections pour fin juin. C’est un triomphe pour sa majorité. Les interprétations sont nombreuses et dépendent de qui les donne… Crise de croissance, crise de la société de consommation, révolte contre le formalisme gaulliste, contre l’autorité, conséquence de la libération des mœurs, carcan d’une société trop rigide qui éclate ? Toutes les explications contiennent du vrai. N’oublions pas qu’il s’agit d’un mouvement européen. À Prague, le printemps est soldé par l’Armée Rouge. Révolution utopique ou soubresaut d’une société de consommation en surchauffe depuis plus de vingt ans ? Quelle que soit l’interprétation qu’on lui donne, la crise de mai 68 laissa des traces profondes dans la société française et continue de rester une date marquante pour beaucoup. La place des femmes dans la société Le récit de l’élève aborde enfin un dernier point et pas le moindre : la place des femmes. Citoyennes à part entière en 1945, la seconde moitié du XXe siècle marque une phase d’émancipation aussi importante pour l’historien Georges Duby, que la sédentarisation ou la découverte de l’Amérique. Pourtant, les acquis des Trente Glorieuses (1945-1975) pour les femmes doivent être nuancés. Même si la période de plein-emploi et d’entrée massive des femmes sur le marché du travail annonce en partie leur émancipation, leur participation les relègue souvent à des postes de plus en plus largement féminisés et donc dévalués. Cependant, et parallèlement, les filles intègrent massivement le système scolaire. Un long processus semble enclenché. 161 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S Un appartement en Bretagne dans les années 1950, p. 227 Parmi les symboles des nouveaux modes de vie et de loisirs, la télévision a une place à part. Les innovations techniques des entrepreneurs et industriels sont dopées par la reprise de la consommation. Si à la fin des années 1950 on recense à peine 300 000 postes dans les foyers, soit à peine 2,5 % des foyers équipés, en 1974, 84 % des ménages disposent d’un poste chez eux. Mais surtout, l’eau chaude se généralise, ainsi que les équipements de salle de bains. La baignoire ou la douche tendent à se généraliser (65 % des ménages en disposent en 1975, contre seulement 10 % en 1945), les toilettes d’intérieur également (70 % en 1975, 27 % en 1945). Il est très important d’avoir ces points de comparaison à proposer aux élèves, afin qu’ils puissent tenter d’approcher la vie de leurs grands-parents et arrière-grands-parents. Dans ce travail qu’ils peuvent poursuivre chez eux (et pourquoi pas lancer une mini-enquête sociologique anonyme en classe ou dans l’école ?), les élèves construisent sûrement le temps historique, à une autre échelle que la frise de l’histoire « de la préhistoire à nos jours » le permet. Dans ces aspects de vie quotidienne, les enfants perçoivent qu’ils se situent eux-mêmes dans un moment de l’évolution des sociétés. Parmi les nouveaux modes de loisirs, on peut signaler les vacances qui s’allongent (4 semaines de congés payés en 1968 puis 5 en 1982) et qui tendent à se généraliser et les stations de sports d’hiver qui se multiplient. Parallèlement, la création des Maisons de la culture, sous l’impulsion de Malraux alors ministre de la Culture, définit un nouveau rapport à la culture. Affiche du « planning familial », p. 229 Depuis 1920, une loi interdisait la contraception. Suite à la loi Neuwirth de 1967 qui autorise la contraception pour les femmes, sans en autoriser la publicité, des associations de femmes s’organisent pour informer et accompagner les 162 femmes dans la contraception, et dirigent les femmes qui le peuvent vers les pays pratiquant légalement l’avortement. Cette affiche est le témoin des revendications féministes des années 1960 et 1970, qui mettent en avant la maîtrise du corps par les femmes, de leur sexualité et de la maternité. Le régime démographique et le contrôle des naissances par les femmes ellesmêmes portent en eux un bouleversement des rapports entre les sexes. Cette « révolution contraceptive » redéfinit les rapports de couple, défie la loi de l’Église. Elle est inséparable de l’émancipation des femmes par le travail. La femme ne se définit plus par la maternité uniquement, mais aussi par la place qu’elle entend occuper, et occupe, activement dans la société. Travailler avec les élèves sur le slogan de l’affiche, c’est sans doute contribuer à réfléchir avec eux sur la répartition du travail et des tâches domestiques entre les hommes et les femmes. Devenir citoyen(ne), c’est aussi accepter de réfléchir dès l’école aux grandes questions des adultes que les élèves sont amené(e)s à devenir, et que l’école doit préparer à être. Simone Veil à l’Assemblée nationale, p. 229 Le 26 novembre 1974, Simone Veil présente devant l’Assemblée nationale un projet de loi autorisant dans certaines conditions l’interruption de grossesse. C’est une revendication des femmes qui a atteint son point le plus fort en 1972 au procès de Bobigny. Gisèle Halimi, présidente de l’association Choisir et avocate, obtient pour « Marie-Claire », jeune fille accusée d’avortement, l’acquittement. Au second procès ouvert pour juger une voisine et la mère de Marie-Claire impliquées dans cette affaire d’avortement, Gisèle Halimi profite de cette tribune pour demander la révision de la législation dans ce domaine. Simone Veil, seule mais déterminée, doit affronter des débats à l’Assemblée parfois très violents. Le projet est voté par l’Assemblée pour une période de cinq ans. La loi est reconduite définitivement le 31 décembre 1979 et le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale intervient trois ans plus tard. La vie politique et économique de la France (1945-1975) ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La France se modernise. Les Français vont vivre en ville. De nouveaux loisirs se développent : le cinéma et la télévision. Beaucoup de travailleurs immigrés viennent en France car il n’y a pas assez d’ouvriers. La place de la femme a changé dans la société. Elle obtient le droit de vote. Elle peut exercer toutes sortes de métiers, faire des études supérieures et choisir ou non d’avoir un enfant et quand elle le désire. 163 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL La France dans le monde d’aujourd’hui LIVRE PP. 230-233 Notions Europe politique et économique, euro, chômage, mondialisation, commerce et concurrence international, inégalités Nord/Sud, développement technologique. Compétences • Lire une carte de l’Europe politique et économique. • Identifier les documents caractéristiques de l’époque contemporaine. • Caractériser, grâce au récit et aux documents, les enjeux majeurs du XXIe siècle (faim dans le monde, inégalités Nord/Sud, l’Europe…). Exercices Cahier CM2 : Moi, dans l’histoire, p. 44-45. I N F O R M AT I O N S P O U R L’ E N S E I G N A N T La France : puissance moyenne à vocation mondiale La France est aujourd’hui une puissance moyenne qui doit sa puissance à sa place stratégique dans la construction européenne. Ancienne puissance coloniale, elle n’a plus forcément les moyens de ses ambitions, mais les territoires et départements d’outre-mer répartis sur l’ensemble du globe lui permettent de maintenir une présence significative (NouvelleCalédonie, la base de Kourou en Guyane, etc.). Des contestations, qui s’apparentent bien à des luttes contre un néocolonialisme latent, émergent aux Antilles françaises et chez les Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Les autorités françaises estiment que l’intégration de ces territoires dans l’Europe économique et sociale pourrait être une des solutions aux mécontentements sociaux qui s’expriment parfois très durement. Une place centrale est réservée à la France dans les décisions de l’ONU du fait, depuis 1945, de son siège permanent de membre du Conseil de sécurité avec droit de veto. Reste à savoir aujourd’hui si l’ONU est bien le centre des régulations des tensions internationales ou si les États-Unis, rendus libres d’agir depuis la chute du mur de Berlin (1991), entendent maintenir leur leadership sans partage ni surveillance. Là encore, l’Europe joue ou pourrait jouer un rôle 164 de premier plan dans la diplomatie mondiale. Première puissance économique, concurrente des États-Unis et du Japon, l’Europe a des atouts de grande puissance, sans avoir de politique unie, notamment militaire. Les crises en ex-Yougoslavie (1990-1998) et en Afghanistan (2001) en sont le témoignage frappant. D’un point de vue des relations étrangères, la France dispose d’une politique à l’égard des pays arabes qui lui laisse une possibilité d’intervenir diplomatiquement dans le conflit israélopalestinien. Puissance moyenne, la France l’est aussi du fait d’une crise héritée de la déstabilisation des économies occidentales du fait de l’augmentation du prix du pétrole (1973). Depuis cette date, malgré des années de croissance indéniable, le taux de chômage s’il reste stable (autour de 3 millions de chômeurs) ne baisse pas significativement malgré de nombreuses mesures prises en ce sens. Les restructurations des années 1970 et les concurrences économiques dans lesquelles sont engagées les entreprises françaises chargées de faire face à la mondialisation des économies laissent des traces dans le paysage. Les mutations de la société française L’évolution sanitaire et sociale de la France depuis les années 1950 est remarquable. La La France dans le monde d’aujourd’hui santé, l’hygiène, l’âge moyen de mortalité, le faible taux de mortalité infantile sont des indices sûrs d’un développement élevé comme pour l’ensemble des pays développés. Les questions de santé n’ont jamais été autant au centre des débats politiques alors que jamais la sécurité sanitaire n’a été aussi forte. Ce paradoxe, qui se retrouve aussi pour le taux très élevé d’alphabétisation alors que l’on s’insurge de plus en plus de la persistance de l’illettrisme, s’explique par une volonté très moderne de « risque zéro ». Du même coup, la mort devient impensable et intolérable, là où il n’était pas rare pour les élèves des années 1930, 1940 ou 1950 d’avoir un de leurs camarades qui disparaisse pendant l’année scolaire frappé par une maladie terrassante (comme la coqueluche, par exemple). Autre modification sociale de taille, depuis les années 1960, les femmes travaillent de plus en plus à l’extérieur de chez elles. Pour autant la question de leur émancipation reste posée. Les femmes subissent encore des injustices : pour le même travail et à poste égal, elles disposent d’un salaire en moyenne un tiers inférieur aux hommes (sauf dans la fonction publique). Elles sont massivement soumises à la double journée, ou deux journée en une. Le travail et les tâches domestiques leur reviennent majoritairement. En vingt ans, l’INSEE recense… 10 minutes de plus par jour de tâches domestiques accomplies par les hommes. Surtout, la prise en charge des enfants est très majoritairement de la responsabilité et de la gestion des femmes. Lorsque la crise des années 1970 éclate, les femmes sont les premières victimes des restructurations ou des méthodes de flexibilité de l’emploi. Temps partiels et emplois précaires sont majoritairement féminins. Les inégalités homme/femme persistent dans la fin du XXe siècle, mais elles semblent moins se voir. D’un point de vue politique, même si une femme accède pour la première fois au poste de Premier ministre (Édith Cresson), le pourcentage de femmes au Parlement est un des plus faibles d’Europe. Une crise permanente issue de 1973 et de la crise du pétrole subsiste malgré des années récentes de croissance. Le chômage est devenu structurel là où on le pensait conjoncturel à la crise de 1973. Vers un nouvel ordre mondial Tous les rapports confirment que le fossé entre pays riches et pays pauvres ne cesse de se creuser. Alors qu’en 1971 il y avait 27 pays dont le PNB par habitant était inférieur à 900 dollars (1035 euros) par an, ils sont aujourd’hui au nombre de 49. Dans ces pays, la grande majorité des habitants vivent avec moins de deux dollars (2,30 euros) par jour et traînent avec leur misère une cohorte de maux qui ne font que s’aggraver (faim, problèmes de santé, pas d’accès à l’éducation…). Ce déséquilibre entre le Nord et le Sud peut se décrire autrement. En 2000, le monde a produit 30 000 milliards de dollars de richesses (35 000 milliards d’euros) ; 24 milliards de dollars sont produits par les pays riches, situés essentiellement dans l’hémisphère Nord. Cela signifie en fait que 20 % du monde gèrent 80 % des richesses de la planète. E X P L I C AT I O N D E S D O C U M E N T S L’Union européenne, p. 231 La carte de la construction européenne présente 60 ans de cette histoire. Après la création de la CECA par les six premiers États membres qui signent le traité de Rome en 1957, le RoyaumeUni, l’Irlande et le Danemark intègrent la « maison commune » en 1972. En 1981, c’est l’Europe des 10 avec l’entrée de la Grèce. L’élargissement à 12 pays a lieu lorsque, en 1986, le Portugal et l’Espagne font leur entrée dans la Communauté européenne. En 1992 par le traité de Maastricht, la Communauté économique européenne devient l’Union européenne. En 1995, l’Union compte de nouveaux membres : la Finlande, la Suède et l’Autriche. Cette date marque une nouvelle ère, celle de la fin de la guerre froide, puisque ces trois nouveaux adhérents sont diplomatiquement « neutres ». 165 LE XXe SIÈCLE ET LE MONDE ACTUEL Le 1er mai 2004, dix nouveaux pays rejoignent l’Union européenne : Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Slovénie. L’entrée de la Turquie est pour l’instant en suspens et fait l’objet d’un intense débat au sein de l’Union. Le robot joueur de piano, p. 232 Troisième puissance mondiale, le Japon s’éveille au monde par son industrie remarquable durant la période de 1950 à 1973. L’innovation technologique est au cœur de son développement industriel. À la fin de 1999, le Japon concentre à lui seul la moitié des robots industriels utilisés de par le monde. Aujourd’hui, les chercheurs japonais orientent leurs travaux vers des robots à utiliser dans les maisons et les bureaux. Certains chercheurs ont mis au point un robot capable de reconnaître la voix humaine même dans un endroit bruyant et bondé. Il est apte à devenir standardiste ou guide. Un autre robot de ce type est capable, dans un groupe, de tourner sa figure vers celui qui lui parle. Une autre équipe a mis au point un amusant robot chiot. Les usines Renault sur l’île Seguin, pp. 232-233 Les restructurations, pour la plupart entamées à la fin des années 1960 et surtout dans les années 1970 (dans les secteurs de l’automobile, de la sidérurgie, des mines…), ont laissé des traces dans le paysage industriel de la France. On pourrait citer les friches industrielles du nord et du nord-est de la France. Mais, en plein cœur d’agglomération, les usines Renault de Boulogne-Billancourt témoignent bien de ce phénomène européen de désindustrialisation. En 1998, l’industrie de la région Île-de-France perdait près de 28 000 emplois par an. Répartie sur 11 hectares, l’usine Renault de BoulogneBillancourt fut le symbole de la croissance française dans les années 1950 et 1960. En 1969, année de plus forte production, le site industriel de l’île Seguin comprenait 22 000 ouvriers. Ville dans l’agglomération, le site avait ses traditions, son histoire, ses conflits 166 sociaux, ses luttes et ses enjeux politiques, et ses joies. C’est tout un patrimoine ouvrier qui disparaît lorsque la dernière voiture sort en 1992 du site de l’île Seguin. Cet espace aujourd’hui abandonné représente 1 million de m2 à construire. Des voix se font entendre pour sauvegarder quelque chose de ces mémoires ouvrières de Billancourt. Jean Nouvel, architecte, a pris position pour la sauvegarde du site au nom d’une conception élargie du patrimoine. « Ce qui caractérise un espace, c’est la quantité de temps de vie qu’il a pu contenir », dit Nouvel en citant le philosophe Gaston Bachelard. Car, pour les élèves, le patrimoine, c’est aussi les lieux investis par leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Des lieux moins « nobles » peut-être que les cathédrales ou les musées mais répondant tout autant à la définition du patrimoine : un bien qui vient des ancêtres, que l’on possède en héritage. Bourse de Hong Kong, p. 233 L’histoire du monde est une histoire du développement grâce aux échanges. Des premiers trocs aux constructions de routes, la vie économique s’organisait par les marchandises transportées (Massalia, le Rhône, Venise, les foires de Champagne, Cordoue, Nantes, les ports américains, les villes industrielles du XIXe siècle, New York…). Aujourd’hui le monde est régi par un ensemble de flux de marchandises, comme jamais l’humanité n’en a échangé. Et parmi ces flux, les informations sont aujourd’hui les « marchandises » invisibles les plus stratégiques et les plus rémunératrices. En temps réel, des millions d’informations électroniques transitent chaque jour par les ordinateurs. Cette nouvelle sphère économique est devenue la plus importante dans les échanges mondiaux. C’est à la fois un pouvoir et un enjeu commercial et économique. Si les États-Unis dominent cette nouvelle économie informatique et numérique, l’Asie et les principales capitales politiques et économiques forment une armature financière et d’information qui se met en place depuis une vingtaine d’années. Les bourses en sont un exemple frappant. Par les ordinateurs, le monde des échanges boursiers ne ferme plus et La France dans le monde d’aujourd’hui travaille dans le monde l’ensemble des 24 heures. Au fur et à mesure de la rotation de la terre, les bourses nationales ferment ou ouvrent alternativement, avec un flux d’échanges permanent. ÉLÉMENTS POUR UNE SYNTHÈSE La France est engagée dans la construction de l’Europe. Elle est le quatrième pays le plus riche du monde. Cependant, il y a à l’intérieur de ses frontières des gens très pauvres à cause du chô- mage. On peut aujourd’hui communiquer avec le monde entier mais ces progrès n’empêchent pas des enfants de mourir de faim, d’autres de ne pas pouvoir aller à l’école. 167 BIBLIOGRAPHIE Il était une fois… les femmes et les hommes dans l’histoire ABELANET J., 99 réponses sur... la préhistoire, CRDP/CDDP Languedoc-Roussillon, 1993. BOTTERO J., Il était une fois la Mésopotamie, Gallimard, coll. « Découvertes », 1997. BOTTERO J., Mésopotamie : l’écriture, la raison et les dieux, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1997. BOULANGER J.-P. et RENISIO G., Naissance de l’écriture, cunéiformes et hiéroglyphes, Éditions de la RMN, 1982. CHALINE J., Un million de générations, Seuil, 2000. CHAMPOLLION J.-F., Dictionnaire égyptien, Actes Sud, 2000. CLUZAN S., Mésopotamie, un brouillon de culture, Gallimard, 1997. COHEN C., Le Destin du mammouth, Seuil, 1994. 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