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Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
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Fiche de lecture
Le triomphe de la cupidité
Joseph E. Stiglitz
2010
Nicolas Trimoulet – Mars 2012
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2011 – 2012
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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Le triomphe de la cupidité
Cette fiche a été réalisée dans le cadre du cours « Grands défis planétaires » donné par
Denis Bourgeois, David Khoudour-Castéras et Thanh Nghiem au sein de la Majeure
Alternative Management, spécialité de 3ème année du programme Grande École d’HEC Paris.
Babel, Les liens qui libèrent, 2010
Première date de parution de l’ouvrage : 2010
Résumé : Le marché roi, l’obsession du court terme, la déréglementation, la libre circulation
sont les principaux responsables de la crise que nous avons traversée. Mais cette crise est plus
profonde. Elle serait, selon Stiglitz, la faillite du système actuel doublée d’une crise morale.
Selon cette analyse, les mesures prises par les gouvernements européens et les États-Unis sont
tout à fait insuffisantes. Cette crise devrait surtout être une opportunité pour repenser le
système financier que nous souhaitons, réorienter correctement nos économies, réformer la
science économique et avoir enfin une véritable réflexion sur la vision que nous souhaitons
avoir de nos économies. Une remise à plat des fondements mêmes de l’économie mondiale en
somme.
Mots-clés : Économie, Crise, Refonte, Réformes, Finance, Inégalités
Freefall
This review was presented in the « Global challenges » course of Denis Bourgeois, David
Khoudour-Castéras and Thanh Nghiem. This course is part of the “Alternative Management”
specialization of the third-year HEC Paris business school program.
W. W. Norton & Company, Inc., New York, 2010
Date of first publication : 2010
Abstract : The Great Recession has impacted more people worldwide than any other crisis.
Stiglitz traces the origins of this economic crisis (« market fundamentalism », deregulation
etc), outlines the flawed responses of our governments and presents the alternatives. Going
deeper, Stiglitz offers an insight in this broken system, revealing that there are choices we
have to make to fix it. He argues convincingly for a restoration of the balance between
government and markets. Most of all, Stiglitz tries to offer a clear accounting of why so many
people feel disillusioned today and how we can realize a prosperous economy and a moral
society for the future.
Key words : Economy, Crisis, Finance, Inequity
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Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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Table des matières
1. L’auteur et son œuvre..........................................................................................................4
1.1. Brève biographie ............................................................................................................4
2. Résumé de l’ouvrage............................................................................................................5
2.1. Plan de l’ouvrage............................................................................................................5
2.2. Synthèse des observations du Triomphe de la Cupidité.................................................6
2.2.1. La crise.....................................................................................................................6
2.2.2. Une réponse inadaptée.............................................................................................7
2.2.3. La réponse adéquate.................................................................................................8
2.2.4. Vers une nouvelle économie..................................................................................10
2.2.5. Vers une nouvelle organisation mondiale..............................................................11
2.2.6. Vers une nouvelle société......................................................................................12
3. Commentaires critiques.....................................................................................................14
3.1. Réception du Triomphe de la Cupidité.........................................................................14
3.2. Point de vue sur Le Triomphe de la Cupidité...............................................................15
4. Bibliographie de l’auteur..................................................................................................17
5. Références...........................................................................................................................18
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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1. L’auteur et son œuvre
1.1.
Brève biographie
Joseph Eugene Stiglitz est né en 1943 à Gary, dans l'Indiana, aux États-Unis. Il commença
ses études au Amherst College avant d’obtenir un transfert au Massachussets Institute of
Technology. Il entreprend alors un doctorat, qu’il obtient à l’âge de vingt-quatre ans
seulement. Démarre alors une carrière universitaire fulgurante : il obtient une bourse pour
aller faire ses recherches à Cambridge, il est nommé professeur à vingt-sept ans seulement à
Yale et entre à vingt-neuf à la Société d’économétrie. Il a également enseigné au MIT, à
Stanford, à Oxford, à Princeton et est maintenant professeur à Columbia.
Ce succès universitaire s’explique par la qualité de ses travaux, reconnus dans le monde
entier. Il a contribué aux côtés d’Akerlof et de Spence, au développement de l’économie de
l’information, ce qui lui a valu d’obtenir avec ses confrères le Prix de la Banque de Suède en
mémoire d’Alfred Nobel. Il avait auparavant reçu la prestigieuse médaille John Bates,
décernée au meilleur économiste de moins de quarante ans.
Au-delà de ses travaux académiques, Joseph Stiglitz est très impliqué dans la vie politique
américaine mais également internationale. Il a été le chef des conseillers économiques de Bill
Clinton (1995-1997) puis économiste en chef à la Banque Mondiale (1997-2000), dont il a été
débarqué après avoir formulé des critiques sur la politique suivie. En effet, Joseph Stiglitz a
été très critique quant au rôle des institutions économiques internationales dans la crise de
nombreux pays en développement au début des années 2000. Il a également été conseiller
d’Obama lors de sa campagne, mais a été très critique vis-à-vis du plan de sauvetage des
banques, dont il a affirmé que ceux qui l’avaient mis en place étaient soit incompétents, soit
au service des banquiers. Joseph Stiglitz est également impliqué dans de nombreux groupes
de réflexions sur le rôle de l’État dans l’économie et par conséquent dans des groupes de
réflexion sur les politiques de développement. C’est aujourd’hui un des économistes les plus
cités.
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2. Résumé de l’ouvrage
2.1.
Plan de l’ouvrage
Préface
Remerciements
Chapitre 1 – Fabrication d’une crise
Chapitre 2 – La chute et l’après-chute
Chapitre 3 – Réaction malheureuse
Chapitre 4 – Le scandale des prêts hypothécaires
Chapitre 5 – Le grand hold-up américain
Chapitre 6 – La cupidité triomphe de la prudence
Chapitre 7 – Un nouvel ordre capitaliste
Chapitre 8 – De la reprise mondiale à la prospérité du monde
Chapitre 9 – Réformer la science économique
Chapitre 10 – Pour une nouvelle société
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2.2.
Synthèse des observations du Triomphe de la Cupidité
Le Triomphe de la cupidité « porte sur les idées à l’origine des politiques désastreuses qui
ont provoqué la crise, et sur les leçons que nous en tirons ». Plus précisément, Stiglitz s’attelle
à reprendre les causes de la crise, à analyser (de manière plutôt critique) les réponses que nous
avons opposées face à cette crise ainsi que les leçons que nous devrions tirer à l’issue de la
crise (l’ouvrage a été rédigé courant 2009 donc toutes les réformes n’avaient pas encore été
mises en place). Stiglitz se présente clairement comme un fervent défenseur d’un
rééquilibrage des rôles du marché et de l’État ainsi que d’une re-régulation pour pallier l’échec
de l’autorégulation des marchés.
2.2.1. La crise
Selon Stiglitz, cette crise était parfaitement prévisible dans la mesure où elle recouvrait les
indices des autres crises : un marché déréglementé saturé de liquidités, des taux d’intérêts
faibles, une bulle planétaire de l’immobilier, une hausse astronomique des prêts à risque et des
déséquilibres globaux entre les États. La seule originalité de cette crise est qu’elle est « made
in USA » !
La question qui vient tout de suite à l’esprit est de savoir à qui la faute. Les financiers ont
trouvé de nombreuses personnes sur lesquelles rejeter la faute : la Fed qui a maintenu des taux
d’intérêt trop bas, les pays asiatiques qui épargnent trop, l’État qui a poussé pour l’accession à
la propriété d’une majorité d’Américains. Mais « découvrir ce qui s’est passé, c’est comme
éplucher un oignon ». Le secteur financier a échoué en raison « d’incitations perverses […],
d’un mauvais système de gouvernance d’entreprise, une mise en œuvre inadéquate des lois
sur la concurrence, et, chez les investisseurs, une information imparfaite et une
compréhension insuffisante du risque ». On a eu des situations de principal-agent nombreuses
qui ont engendré de l’aléa moral (concentration sur les profits à court terme et incitations à
prendre plus de risques) ainsi que des externalités (création d’un risque systémique par les
acteurs), cas dans lesquels les marchés ne peuvent fonctionner efficacement, d’où la nécessité
d’une réglementation.
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2.2.2. Une réponse inadaptée
Stiglitz est extrêmement critique quant aux réponses qui ont été mises en place par les États
face à la crise. Tout d’abord, l’administration Bush qui a tenté de minimiser la crise ne la
faisant passer pour une crise passagère de liquidité s’est contentée de verser des fonds aux
banques. Mais c’était comme faire une « transfusion sanguine massive à un patient mourant
d’hémorragie interne ».
Ce qui attriste certainement le plus l’auteur est que l’administration Obama s’est contentée
de répondre selon les mêmes principes, quasiment avec les mêmes acteurs au sein des
institutions importantes et parmi les conseillers économiques (les mêmes qui avaient amené à
cette bulle). Les banques ont utilisé l’argent versé ou les fonds qu’ils pouvaient emprunter à
taux faible auprès de la Fed pour se désendetter et non pour relancer le crédit ou le marché des
liquidités interbancaires. La confiance s’était évaporée. Mais chaque dirigeant avait peur et
c’est ce dont se servaient les marchés comme argument principal : « Si vous ne nous
permettez pas de nous re-financer, qui sait ce qu’il va se passer, ce sera peut-être la fin de
l’économie américaine » ; et personne n’a voulu être responsable de la chute de l’économie
américaine. Mais du coup, ces fonds ont servi à tout sauf à des investissements productifs qui
auraient permis de relancer l’économie. On a assisté à une vaste socialisation des pertes quand
les gains étaient bien individuels dans la phase précédente. On s’est principalement contenté
de recapitaliser les grandes banques too big to fail mais ce ne sont pas elles qui créent l’emploi
aux États-Unis, ce sont plutôt les petites et moyennes entreprises (PME). De plus, on leur a
donné ces fonds les yeux fermés quand le sauvetage de General Motors (GM) a été soumis à
plusieurs conditions dont le dépôt de bilan de GM qui a lessivé les anciens actionnaires. On a
vraiment eu un « deux poids, deux mesures » durant cette crise.
Par conséquent, la stimulation qui a été mise en place a eu un impact, mais bien inférieur à
ce qu’il aurait pu être si on avait concentré les dépenses (ou les réductions d’impôts sur
lesquelles on a trop misées et qui étaient mal orientées) sur la promotion de l’investissement
productif, en prenant en compte des considérations de long terme (réchauffement de la
planète, avantage comparatif dynamique des États-Unis etc), en redistribuant l’argent à ceux
qui en ont le plus besoin et non à ceux qui ont le plus gagné sur les trois dernières décennies
(amélioration du filet de sécurité sociale, financement de PME, soutien aux emprunteurs en
difficulté, soutien aux États en difficulté etc).
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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2.2.3. La réponse adéquate
Stiglitz passe du temps à détailler les différentes réponses qui auraient été les plus
adéquates dans le cadre de cette crise dans un souci d’efficacité et d’équité pour l’économie.
Concernant le problème des prêts hypothécaires, il retrace les fondements à la fois
microéconomiques et macroéconomiques qui ont facilité la bulle de l’immobilier, bulle dont
on prend la mesure quand on sait que pour l’année 2008, les estimations du nombre de saisies
sont de 2,3 millions. Ce qui impressionne le plus dans son explication est certainement la
conjugaison de nombreux facteurs de risques : création de crédits prédateurs (prêt de 100% de
la valeur de la maison, prêt « no doc » où on ne demandait aucun justificatif etc) car on pensait
savoir gérer le risque par la titrisation (doublée d’une tranchisation poussée afin d’obtenir la
meilleure note possible pour chaque tranche), aléa moral dans la mesure où les initiateurs
n’étaient souvent pas les titriseurs, détournement des règles prudentielles (arbitrage
réglementaire…) via les SPV (special purpose vehicle) qui permettaient de sortir le risque du
bilan des banques, erreurs majeurs dans les modèles d’évaluation des risques (distribution
normale, sous-estimation des situations « exceptionnelles ») utilisés non seulement par les
banques mais aussi par les agences de notation, ces dernières étant dans des situations de
conflit d’intérêts évidentes (conseillent les banques dans la titrisation et notent les produits).
Quand on voit cette liste, on comprend que les choses ne se soient pas très bien passées !
Obama a proposé la mise en place d’un plan pour lutter contre les saisies en février 2009 :
une réduction des mensualités, mais rien n’est fait pour réduire le principal. Si on veut aider
les emprunteurs à régler leurs mensualités pour limiter les défauts, ce qui est positif en limitant
aussi la baisse des cours de l’immobilier et les problèmes des banques, il faut réduire le
principal et pas simplement les mensualités car cela ne fait que retarder l’heure de vérité. Il
s’agirait de faire une sorte de Chapitre 11 des propriétaires. On constate qu’on a prêté sur des
cours surévalués donc on réduit le principal, les banques passent les dépréciations en pertes.
Mais elles sont réticentes car depuis 2009, même les prêts dont elles savaient qu’ils ne seraient
pas remboursés, pouvaient être conservés dans leur bilan jusqu’à la maturité du prêt. Stiglitz
propose également que l’État profite de sa capacité à emprunter à taux faible pour refinancer
les familles défavorisées à taux faible également et ainsi les soulager : cette solution
permettrait à l’État de gagner de l’argent et de renforcer le système économique. « Si l’État
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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adoptait les propositions simples de ce chapitre, je crois que le problème des saisies
n’existerait plus ».
Le cas des banques est certainement le plus préoccupant pour l’auteur. Stiglitz prône
l’utilisation du Chapitre 11 du Code des Faillites pour les banques : les débiteurs de
l’entreprise deviennent actionnaires et les anciens actionnaires sont lessivés. Ce principe paraît
normal dans le cadre d’un système capitaliste : c’est la contrepartie de profits plus importants
pour les actionnaires. La différence qu’il peut y avoir pour les banques est que l’État est partie
prenante dans la mesure où il garantit les dépôts. Dans la plupart des cas, la transformation des
dettes en capital suffit mais si ce n’est pas le cas, on met en place la procédure de
conservatorship avec l’État qui comble le trou dans le bilan et qui devient donc propriétaire de
fait de la banque : changement de dirigeants et exerce un contrôle.
Mais dans cette crise on a eu deux poids, deux mesures : les banques ont reçu un quasi
chèque en blanc sans que l’État ne mette en place le moindre contrôle. Aucune restructuration
financière n’a été réalisée dans les banques alors qu’elle aurait permis de limiter le risque et
donc d’améliorer la valeur de la banque et réinstaurer la confiance entre les acteurs. Donc, audelà du too big to fail, on a inventé le « trop gros pour être restructuré » ce qui est encore plus
grave. Par conséquent, les banques ne supportent plus les risques de leurs décisions et ces
banques too big to fail bénéficient d’argent à meilleur prix donc il y a des distorsions de
concurrence, alors que ce ne sont pas celles qui financent la création d’emplois dans le pays.
Stiglitz n’est pas tendre avec son gouvernement et affirme ainsi :
« Le gouvernement des États-Unis a fait pire qu’essayer de recréer le secteur
financier d’hier : il a renforcé les banques too big to fail ; il a introduit un nouveau
concept, trop grand pour être résolu ; il a aggravé les problèmes d’aléa moral ; il a
accablé de dettes les générations futures ; il a jeté sur le dollar l’ombre du risque
d’inflation ; et il a conforté les doutes de nombreux Américains sur l’équité
fondamentale du système ».
Il est donc particulièrement nécessaire de re-réglementer et de le faire vite pour retirer à
l’État ce nouveau statut de « porteur de risque en dernier ressort ».
Stiglitz traite également du système financier dans son ensemble et s’attaque à ce qu’il
faudrait faire pour améliorer les incitations des dirigeants des institutions financières (fonder
la rémunération sur les résultats à long terme et faire participer les banquiers aux profits mais
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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aussi aux pertes, amélioration de la gouvernance d’entreprise), pour améliorer la transparence
(modifier les règles d’application de la comptabilité mark-to-market, supprimer la possibilité
de faire des tours de passe-passe hors bilan, faire de la transparence la règle partout), pour
restreindre les prises de risque (limiter l’effet de levier des banques, rétablir une version
révisée du Glass-Steagall Act), réduire le nombre de banques too big to fail (en diviser
certaines, interdire aux banques de dépôts de faire du trading pour leur propre compte, prévoir
les procédures pour « résoudre » ces institutions), réglementer les produits financiers les plus
problématiques, dont les dérivés (transparence totale sur les transactions, limiter les
transactions à une place boursière, que cette bourse soit suffisamment capitalisée,
responsabilité conjointe et solidaire des participants à cette bourse).
« Un système financier mieux réglementé serait en fait plus innovant sur ce qui
compte : il orienterait l’énergie créatrice et concurrentielle des marchés financiers vers
l’élaboration de produits renforçant le bien-être de la plupart des citoyens ».
2.2.4. Vers une nouvelle économie
Les défis sont nombreux pour l’économie américaine : l’écart entre la demande et l’offre
mondiale ; le réchauffement de la planète (distorsions majeures dans l’économie car on traite
des ressources naturelles rares comme des ressources gratuites) ; les déséquilibres globaux qui
sont facteur d’instabilité pour l’économie mondiale ; le casse-tête industriel (la croissance de
la productivité est telle que même quand l’industrie se développe, l’emploi diminue) ; le défi
des inégalités qui s’accroissent entre les pays et au sein des pays (l’argent ne va donc pas à
ceux qui en ont le plus besoin) ; la stabilité (crises de plus en plus fréquentes et profondes).
Ces multiples défis appellent un « nouveau modèle économique » orienté sur des
considérations de durabilité et sur l’avantage comparatif dynamique des États-Unis. Ces
changements structurels ne peuvent passer que par des incitations de l’État qui se doit donc
d’avoir une vision de long terme sur l’économie que nous souhaitons pour l’avenir. Stiglitz
rappelle bien évidemment que le cas des États-Unis est spécifique dans la mesure où il y a des
réticences idéologiques quant à une intervention de l’État dans l’économie (bien que l’on
vienne d’assister à une des interventions les plus importantes d’un État au sein de l’économie).
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Mais on peut penser que les choses vont changer dans la mesure où le grand perdant de la
crise est certainement le capitalisme à l’américaine qui compte beaucoup moins de partisans
maintenant. Au niveau mondial, le risque est que des pays en développement interprètent mal
cet échec et pensent que les marchés sont dangereux. Ils peuvent l’être mais ils sont
nécessaires à une économie dynamique :
« La démocratie et les forces du marché sont essentielles pour un monde juste et
prospère. Mais la « victoire » de la démocratie libérale et de l’économie de marché
équilibrée n’a rien d’inéluctable. La crise économique, largement créée par la conduite
– ou l’inconduite – de l’Amérique, a porté au combat pour ces valeurs fondamentales
un coup très dur, plus préjudiciable que tout ce qu’un régime totalitaire aurait jamais
pu dire ou faire ».
2.2.5. Vers une nouvelle organisation mondiale
Une question qui se pose est de savoir s’il faut une stimulation coordonnée au niveau
mondial ou une réglementation coordonnée au niveau mondial ? La réponse est qu’il faut les
deux. Si un pays n’applique pas certaines réglementations, cela créera des externalités
négatives pour les autres pays. Le G20 a abordé certains sujets (la transparence, l’effet de
levier) mais il a laissé de côté les sujets les plus sensibles : les institutions too big to fail ou
encore la question de la libéralisation des marchés financiers et de capitaux qui ont contribué à
la diffusion de la crise.
En attendant une organisation mondiale pour coordonner les opérations, la question des
déséquilibres globaux reste prégnante. La Chine et les États-Unis sont dans une relation
symbiotique mais les ajustements devront se faire à un moment ou à un autre et ils seront
probablement douloureux. Mais une solution existe pour sortir de ce système de semi-étalon
dollar : la création d’une monnaie de réserve mondiale. Les pays pourraient mettre de côté une
partie de l’émission monétaire mondiale annuelle plutôt que mettre de côté leurs revenus. Cela
permettrait de faire augmenter la demande mondiale mais aussi de mettre fin à l’instabilité
actuelle du système et également au statut de « déficit en dernier ressort » des États-Unis qui
est une situation intenable. La valeur du dollar baisserait, les USA exporteraient plus, ils
importeraient moins, la demande globale serait plus forte et il serait moins nécessaire que
l’État ait un déficit considérable pour maintenir l’économie au plein emploi. Il serait plus
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difficile d’emprunter donc les États-Unis mettraient un frein à leurs folles dépenses.
Malheureusement, l’auteur pense que nous nous orientons aujourd’hui plus vers un système
multilatéral qu’autre chose ce qui contribuera à une plus forte instabilité.
2.2.6. Vers une nouvelle société
Il faut profiter de la période pour faire les comptes et réfléchir, penser au type de société
que nous aimerions avoir, et nous demander : « Sommes-nous en train de créer une économie
qui nous aide à réaliser nos aspirations ? »
Il faut garder en tête que c’était également une crise morale. Les banquiers ont fait leur
possible pour exploiter les pauvres avec les crédits prédateurs. Ils ont encaissé l’argent des
contribuables sans aucun juste retour pour ces derniers. Le problème est qu’il y avait de
l’individualisme dans le fonctionnement des marchés financiers mais aucune responsabilité
individuelle. La justification des retention pay était que les événements n’étaient pas du fait
des cadres mais c’était également le cas quand ils s’octroyaient des bonus faramineux
puisqu’il y avait une bulle !
Une mesure importante serait de réfléchir à des nouveaux indicateurs car ce qu’on mesure
est ce qu’on juge important. Il faut donc prendre en compte le vrai coût des ressources
environnementales, prendre en compte des facteurs comme la sécurité du travail, le niveau
d’éducation, le temps de travail, la possibilité de faire des loisirs etc. On a trop emprunté aux
générations futures.
Par ailleurs, la confiance dans le système a été rompue. Pour des questions d’équité, il
serait important que ceux qui ont tant gagné les trente dernières années soient également ceux
qui participent le plus au renflouement des banques. Mais politiquement, ce ne sera pas facile.
Au final, pour que l’ensemble de l’argent de la relance soit bien dépensé, il faut avoir une
vision de long terme pour le pays pour qu’on mette fin au court-termisme. Mais tant que la
politique sera aveuglée à ce point par les contributions de campagne, les lobbyistes et le
système du tourniquet (passages entre les entreprises, Wall Street et le gouvernement), rien ne
pourra changer.
Stiglitz conclut avec ces termes qui résument assez bien ce qu’il défend tout au long de son
ouvrage :
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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« C’est devenu cliché de le souligner : les caractères du mot chinois qui veut dire
crise signifient « danger » et « bonne occasion ». Nous avons vu le danger. Saisironsnous l’occasion de retrouver notre équilibre entre le marché et l’État, entre l’individuel
et le collectif, entre l’homme et la nature, entre les moyens et les fins ? ».
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3. Commentaires critiques
3.1.
Réception du Triomphe de la Cupidité
Le Triomphe de la Cupidité est loin d’être un livre très polémique. L’ouvrage arrive en
pleine période de crise et sa thèse centrale (les marchés financiers ont plombé notre économie
particulièrement en raison d’un déséquilibre flagrant entre le rôle de l’État et celui des
marchés, il nous faut maintenant penser l’économie de demain qui doit être équitable) est
difficilement contestable, même si certains « market fundamentalists » peuvent expliquer que
c’est au contraire qu’il y avait trop d’État. Par conséquent, on constate dans les critiques que le
livre reçoit un bon accueil. Son analyse est saluée et les nombreuses suggestions sont perçus
comme tout à fait intéressantes.
Pour autant, quelques reproches sont faits à l’ouvrage. D’une part, les critiques relèvent que
Stiglitz utilise un peu l’ouvrage afin de régler ses comptes avec ses détracteurs et se fend tout
de même d’un large « je vous l’avais bien dit » compréhensible après des années passées au
sein d’une minorité de théoriciens annonçant la bulle et ses dangers. Ces passages présentent
le risque de détourner le lecteur du véritable but de l’ouvrage qui reste une explication de la
crise, de nos réponses et des alternatives à l’économie que nous connaissons. D’autre part,
bien que les suggestions de l’auteur soient perçues comme intéressantes, certaines paraissent
trop éloignées des réalités des politiques publiques actuelles. Ce serait notamment le cas de la
proposition de mise en place d’une monnaie de réserve mondiale (problème de gouvernance)
ou encore toutes les politiques de redistribution directe des richesses qui ne risquent pas
d’emporter une majorité au Congrès de sitôt.
Pour conclure, on peut dire que Le Triomphe de la Cupidité a globalement été très bien
reçu.
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3.2.
Point de vue sur Le Triomphe de la Cupidité
Le Triomphe de la Cupidité est un ouvrage très éclairant sur ce qui s’est passé durant cette
crise. La vision de Joseph E. Stiglitz est évidemment précieuse dans ces circonstances dans la
mesure où il a dédié une large part de ses travaux à l’étude des crises. Son approche des
différents problèmes est intéressante, il couvre la plupart des sujets et se permet de rentrer
dans les détails parfois pour faire saisir aux lecteurs les points de complexité qui ont fait que
peu de personnes avaient réellement vu ce qu’il se passait. Surtout, ses explications permettent
de saisir que cette crise est bien de fabrication humaine et est loin d’être un événement qui
nous tombe dessus en provenance d’on ne sait où. On se rend compte que tous les agents ont
simplement agi dans leur intérêt et en fonction des incitations en place. L’autre trait que l’on
repère dans cette analyse est qu’une réglementation financière est quelque chose de très
complexe dans la mesure où les institutions financières trouvent toujours des moyens pour les
contourner. On comprend alors mieux la recommandation de transparence totale qui constitue
en fait le meilleur moyen de contrôle.
En dehors de son explication de la crise, l’ouvrage de Stiglitz est très appréciable en ce
qu’il est force de proposition. Il ne se contente pas de montrer les dysfonctionnements, mais il
montre également les alternatives existantes que ce soit pour le système financier ou plus
globalement pour le type d’économie que nous souhaitons avoir sur le long terme. La qualité
du raisonnement économique est évidemment très bonne et tout à fait compréhensible.
On peut regretter tout de même que Stiglitz, dans les alternatives, ne présente généralement
que les solutions qu’il soutient sans faire mention des travaux d’autres courants
d’économistes. Il passe également à côté des défauts de certaines des solutions qu’il met en
avant (quid de l’inflation mondiale si on a une émission annuelle de la monnaie de réserve
mondiale ?) et se met lui-même régulièrement en avant pour affirmer qu’il avait prédit la
situation, qu’il avait dit ou fait ceci mais qu’il n’avait pas été écouté. Il est intéressant de
connaître un peu les coulisses du pouvoir mais on se demande tout de même parfois dans
quelle mesure il ne se donne pas le beau rôle et surtout ce que ça apporte à l’ouvrage… Enfin,
même si le fait qu’il tente de couvrir la plupart des problèmes est intéressant, cela crée parfois
une impression de fouillis et de répétitions au cours de l’ouvrage. La construction de son
raisonnement ne m’a pas paru idéale et on voit qu’il aborde pas mal de sujets d’entrée, qu’il en
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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approfondit certains, qu’il en laisse d’autres de côté, qu’il y revient ultérieurement etc., sans
forcément que l’on comprenne les choix. On a parfois l’impression qu’il écrit au fil de ses
indignations.
Pour conclure, on peut dire que c’est un bon ouvrage explicatif, qu’il est intéressant même
pour ceux qui connaissent bien l’économie et même que son manque de construction peut
parfois être perturbant pour des profanes. Mais le travail de Stiglitz est indéniablement un
travail de grande qualité et une enquête intéressante au cœur du système financier et de
l’économie américaine.
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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4. Bibliographie de l’auteur
1999 – Principes d’économie moderne, De Boeck, 926 p.
2001 – La Grande Désillusion, Fayard, 407 p.
2003 – Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 571 p.
2006 – Un autre monde, Fayard, 563 p.
2007 – Pour un commerce mondial plus juste (avec Andrew Charlton), Fayard, 506 p.
2008 – Une guerre à 3 000 milliards de dollars (avec Linda J. Bimes), Fayard, 354 p.
2010 – Le Triomphe de la cupidité, Les liens qui libèrent, 473 p.
2010 – Le Rapport Stiglitz, Les liens qui libèrent, 297 p.
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5. Références
Critiques de Freefall :
•
Critique sur le site du New York Times, Michiko Kakutani, 19 janvier 2010
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Critique sur le site de The Guardian, Larry Elliott, 30 janvier 2010
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Critique sur le site de NewStatesman, Paul Mason, 21 janvier 2010
Trimoulet Nicolas – Fiche de lecture : «Le Triomphe de la Cupidité» – Mars 2012
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