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Au camp de Mérignac, il y avait beaucoup de grandes familles. Nous, on était une famille de
huit personnes, avec mon père et ma mère. Il y avait les Winterstein, ils étaient je ne sais pas
combien... les Helfrick... on se connaissait avant d’être internés. Il y avait encore des familles, les
Weiss, les Bauer14... je ne m’en rappelle plus, c’est-à-dire je connais leurs noms en Manouche,
c’était les Draka, et puis les Rono, lui et sa femme, ils sont morts dans les camps ”.
Ces faits, consignés voici peu de temps sur un cahier par M. Hoffmann, appellent aussi d’autres
souvenirs : “ Le matin, à Beaudésert, il y avait l’appel par famille... là c’était des Français, vraiment
des Français... je crois que le camp était fermé mais je peux pas vous dire, ça devait être fermé ”.
Bien que la clôture du camp ait été posée le jour du départ des nomades, non pour leur épargner
un enfermement trop visible mais pour des raisons à la fois financières et liées au manque
d’organisation préalable dans les travaux d’aménagement, l’internement avec ses règles
d’interdictions et de contrôles réguliers n’en demeure pas moins ce qu’ils doivent subir. L’intitulé et
le contenu des articles du Règlement sont à ce sujet explicites :
“ Article 1er - (Discipline)
Il est interdit de sortir du camp; toute tentative d’évasion sera sanctionnée
vigoureusement. (...).
Des contrôles inopinés auront lieu dans le courant de la journée et de la nuit.
Tous les feux devront être éteints, dès le coucher du soleil. Les discussions seront interdites15.
Il sera choisi par tribu, une personne qui sera rendue responsable de l’ordre dans la tribu16.
(...)
Article 3. - (Surveillance médicale et contrôle vétérinaire)
Article 4. - (Utilisation de la Main d’œuvre)
Tous les nomades valides seront employés à l’entretien du Camp (travaux de défrichage, de
nettoyage, de colonisation) ”17.
L’appel s’effectue le matin à 9 heures, suivi d’un rapport présenté par chaque chef de groupe
14 La famille Bauer, dont le fils Jean-Louis Léon, dit “ Poulouche ”, né le 20-7-1930, actuel président de l’Association des victimes et des familles
de victimes tsiganes, sera également internée après à Poitiers, puis, à l’exception du père, mort en déportation, dans les camps de Montreuil-Bellay et
Jargeau.
15 L’article 2 du Règlement Intérieur établi pour le camp de Linas-Montlhéry énonce le même interdit : “ Tous cris et chants, interpellations et
conversations à haute voix, toutes réunions en groupes bruyants et généralement tous actes individuels et collectifs de nature à troubler le bon ordre,
sont interdits ” (AD Essonne, 300 W 81/1 : camp de Montlhéry 1940-1942).
16 Certains mots péjoratifs comme celui de “ tribu ” sont fréquemment utilisés par l’administration préfectorale et les chefs de camps pour parler des
Tsiganes.Tribu est un terme connoté négativement car il s’applique à des groupes définis comme culturellement, et pour tout dire ontologiquement,
inférieurs, bref comme n’étant pas dignes d’appartenir à la société humaine et civilisée. Le dictionnaire d’Ethnographie moderne publié en 1853, qui
ne semble guère animé de sentiments bienveillants à l’égard des Tsiganes (“ (...) malgré l’état d’abjection où il se trouve (...) nous voulons parler de
cette race vagabonde connue sous le nom de Tsiguanes, Zigueunes ” (in Nouvelle Encyclopédie Théologique, Tome 37, Publiée par l’Abbé Migne,
Paris, Petit-Montrouge, 1851-1859, p. 70), apporte à ce sujet un commentaire éloquent. Dans son introduction sur les Races Humaines, où il est
question de quatre degrés de subdivisions du genre humain (races, rameaux, familles et peuples), on lit : “ Il eût été à désirer d’avoir des mots
particuliers, pour désigner les divisions en dessous du 4e rang, c’est-à-dire les subdivisions des peuples; mais les mots de peuplade et de tribu, que
l’on emploie quelquefois dans ce sens, ne s’appliquent en général qu’à des sociétés peu civilisées, et l’on paraîtrait ridicule, si l’on disait que les
Picards sont une peuplade ou une tribu des Français ” (Introduction, Des Races Humaines, ou Eléments d’ethnographie (1845), par M. Omalius
d’Halloy, p. 14, note 4, dans Nouvelle Encyclopédie Théologique, ibid).
17 AD Gironde, 58 W 82 : Règlement du Camp de Mérignac (non daté).