Enquetes et documents 42:1 28/03/12 13:23 Page 9 [« La France et la Russie : Regards diplomatiques (XVIIe-XXIe siècle) », Laurent Jalabert (textes réunis par)] [ISBN 978-2-7535-1976-3 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr] Introduction Le dossier présenté est la restitution d’une partie des communications présentées lors d’une journée d’études franco-russe qui s’est tenue à l’université de Nantes le jeudi 28 mai 2009 dans le cadre d’une coopération entre le Centre de Recherche en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA) et l’Institut d’histoire et des Archives de l’Université d’État des sciences humaines (RGGU) de Moscou. La publication présente des travaux originaux sur les relations diplomatiques entre la France et la Russie depuis l’origine de leur développement jusqu’à nos jours. Sans prétendre à l’exhaustivité, elle s’évertue de fixer des moments originaux, jusqu’alors peu abordés par l’historiographie. Éric Schnakenbourg dresse ainsi une approche des premières ambassades russes en France au XVIIe siècle, alors même que les relations diplomatiques entre les deux pays ne sont qu’embryonnaires. Il décrypte la découverte de pratiques différentes et la rencontre de deux mondes presque opposés dans leur conception des ambassades. Virginie Marsaud se situe au début du XIXe siècle, période où les ambassadeurs sont bien installés. Elle retrace avec minutie le rôle des diplomates français en Russie, leur difficulté à se positionner sur place, leur point de vue politique restant très lié aux évolutions de la vie politique française. Si jusqu’à la monarchie de Juillet le règne de Nicolas Ier est perçu avec une relative bienveillance, il devient pour l’ambassadeur à partir de 1830 la meilleure incarnation de la barbarie. L’image d’un empire à la traîne de l’Europe est d’ailleurs toujours omniprésente en 1917 dans les télégrammes de l’ambassade de France qu’explore Gwénolé Soulard. Face à une révolution qu’ils sentent inéluctables, les diplomates français en poste à Petrograd s’inquiètent surtout des difficultés militaires que pourrait subir la France en cas d’arrivée des bolcheviks au pouvoir. Même si l’armée du tsar soufre face à l’ennemi allemand, la signature d’une paix séparée permettrait à l’Allemagne de renvoyer des forces à l’Ouest. L’ambassade de France s’évertue donc de défendre les intérêts nationaux en plaidant pour le maintien de la coalition militaire franco-russe. Les télégrammes, bien informés de la situation, sont cependant relativement fatalistes. L’ambassade est dépitée par les maladresses du pouvoir impérial, et les télégrammes révèlent le peu de sympathie de la diplomatie française pour la Révolution. 9 Enquetes et documents 42:1 28/03/12 13:23 Page 10 LAURENT JALABERT [« La France et la Russie : Regards diplomatiques (XVIIe-XXIe siècle) », Laurent Jalabert (textes réunis par)] [ISBN 978-2-7535-1976-3 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr] L’article de Marin Coudreau aborde la période soviétique par une entrée neuve autour de la famine de 1920-1921. À la base d’une documentation archivistique renouvelée (Croix-Rouge, Archives diplomatiques françaises, Centre des archives de la Fédération russe [GARF] à Moscou), il présente l’idée d’une « diplomatie de la famine » qui, bien au-delà du simple événement, permet de mieux comprendre la mise en place de nouvelles relations diplomatiques entre l’occident et le régime des soviets. La France, à l’intérieur du concert des nations, se montre particulièrement frileuse. Un demi-siècle plus tard, Claire Tessier montre des relations normalisées, Valéry Giscard d’Estaing maintenant, dans la continuité de la diplomatie gaulliste, une politique de la bonne entente. C’est aussi ce réalisme qui transparaît de la rapide synthèse présentée en guise de conclusion par Alexandre Bezborodov pour la période postsoviétique. Ce long parcours diplomatique montre que les mondes français et russes se rencontrent régulièrement, au travers de relations bilatérales cordiales, avec une volonté de créer des liens diplomatiques riches. Pour autant, les deux mondes diffèrent, se méfient l’un de l’autre et ne s’entendent que de façon prudente. Au-delà de la bilatéralité, les articles et les documents présentés révèlent le poids des ambassadeurs dans la conduite de la diplomatie, mais aussi le poids d’un contexte politique déterminé par Paris le plus souvent pour ce qui concerne les positions françaises. Ce dossier est complété par un article de Grigori Lanskoï sur les sources diplomatiques russes disponibles à Moscou, jusqu’alors peu fouillées par les historiens français. La majorité de ces études n’aurait pas pu être menée sans l’apport indispensable du Centre des Archives diplomatiques de Nantes (CADN) dont la richesse et l’accessibilité aux chercheurs, jeunes ou expérimentés, reste indispensable pour la construction de l’histoire diplomatique française et une meilleure analyse de l’histoire de la politique étrangère de la France. Laurent JALABERT Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Pau, chercheur associé au CRHIA 10