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De cette rupture irrémédiable que la survenue de maladie a signée dans la trajectoire de
leur existence. De cet instant, de cet effet de bascule qui les a propulsés dans une
dimension autre, celle de la conscience brutale de leur condition de mortel. L’expérience
ainsi imposée par la survenue de la maladie se situe du côté de la déconstruction en
venant défaire les certitudes. « Le temps qu’on savait s’écouler devient tout à coup
provisoire » et confronte à l’irreprésentable de la mort. La temporalité est, pour ainsi dire
amputée, de son avenir du fait de l’incertitude qui pèsera voire empêchera dès lors toute
projection vers un futur à bien trop d’égard incertain.
C’est donc bien la notion de durée
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, de temporalité qui est gravement ébranlée par l’irruption
du cancer et ce aux différents stades de la maladie. Mais avant il me semble nécessaire de
resituer les notions de temps et de temporalité dans le contexte paradigmatique de la
psychanalyse.
Temps, Temporalité et Psychanalyse
Le temps en psychanalyse exclut les paramètres temporels tels que la chronologie, la
durée, la fin ou encore l’ordonnance. L’inconscient exclut le temps mesurable et
objectivable. Freud fait l’hypothèse de la création abstraite de l’idée de temps. Pour lui
l’inconscient est atemporel. Dans l’inconscient (métapsychologie – 1915) il écrit : « Les
processus du système inconscient sont intemporels, ils ne sont pas ordonnés dans le temps,
ne sont pas modifiés par son écoulement, n’ont absolument aucune relation avec lui. La
relation au temps est liée au travail du système conscient.»
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Le temps pose aussi la question de la diachronie
11
ce qui amène à s’interroger sur
l’originaire (fantasmes et signifiants-clés, Lacan), la remémoration, centrale dès les débuts
de la psychanalyse, puis considérée dans son rapport à la compulsion de répétition avec
le processus d’après-coup (Nachträglich). Les souvenirs à retrouver dans la cure
importent moins que les signes et les processus de la temporalité à l’œuvre. L’illusion
d’une levée complète de l’amnésie infantile cède la place aux constructions dans l’analyse,
dont la prédication du passé fait partie, comme effet dans le transfert de l’interprétation de
l’analyste (C. Stein, 1965 et R. Gori, 1997). Cet ensemble forme une théorie complexe de la
temporalité, véritable hétérogénéité diachronique.
Pour Lacan encore il y a le temps chronologique, qui est une construction qui relève de
l’imaginaire, et le temps logique qui correspond au temps pour chacun, pour voir, pour
comprendre, pour conclure
12
. Dans son discours de Rome
13
, il met en équivalence le
nachträglich et le temps pour comprendre et le terme de l’analyse comme moment de
9 La durée pour Bergson est une expérience de la conscience individuelle, intuitive qui nous fait coïncider avec nous-même,
notre moi libre et profond au-delà du langage et de l’intelligence (Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF)
10 S. Freud, " L’Inconscient " dans Métapsychologie (1915). Gallimard, Folio essais, Paris, p.96, 1968
11
caractère des phénomènes linguistiques considérés du point de vue de leur évolution dans le temps (par
opposition à la synchronie)
12 Jacques Lacan, « le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, un nouveau sophisme » in revue les cahiers d’art
(1945) pp 32-42. Cette première version a été partiellement modifiée lors de sa seconde publication en 1966 dans les Écrits,
p209.
13 Jacques Lacan, « Champ et fonction de la parole et du langage » in Les écrits, du Seuil, 1966