Cappiello, arrêtons-nous un instant sur le manuscrit du
Poète assassiné
, plusieurs fois modifié
entre 1914 et 1916, et son projet de couverture.
Le manuscrit de 1914 : le texte
Comme l’indique Apollinaire dans l’édition originale5, une première version du
Poète
assassiné
était sous presse à la veille de la mobilisation : il n’est alors pas question d’illustration,
seulement d’un texte composé de contes, dont le premier s’intitule « Le Poète assassiné ». Dans
ce texte éponyme, Apollinaire narre sur un mode ludique, ou mélancolique, les aventures de
Croniamantal, de sa procréation à son apothéose. Ce personnage au nom étrange est à la fois
un archétype du poète et une image d’Apollinaire lui-même. Mûrie pendant près de quinze ans,
cette œuvre revêt une importance particulière puisqu’elle « met un point final à la recherche
autobiographique qui a obsédé Apollinaire depuis son adolescence6 » ; Michel Décaudin va même
jusqu’à qualifier cette rencontre de l’autobiographie et du mythe de « fusion libératrice7 ». Mais la
déclaration de guerre marque un temps d’arrêt dans la publication du recueil : son manuscrit est
déposé à L’Édition, mais ce n’est qu’en 1916 que le poète convalescent en reprendra les épreuves.
Printemps-été 1916 : les aquarelles d’Apollinaire, projet d’illustration pour la
couverture du
Poète assassiné
.
Fin mars 1915, Guillaume Apollinaire s’est porté volontaire pour le front mais, un an plus tard,
il est blessé à la tête par un éclat d’obus. Admis à l’Hôpital italien de Paris, il se remet doucement
de sa blessure et, à partir du 9 avril8, commence à corriger les épreuves du
Poète assassiné
.
Début mai cependant, son état empire et il doit subir une trépanation. Apollinaire est très affaibli
et, pour passer le temps sans trop se fatiguer, se procure une boîte de couleurs. Il se met alors
à peindre des paysages, des portraits et surtout des autoportraits où il se montre en brigadier
masqué9 – ces cinq aquarelles10 constituent le projet de couverture du poète.
Parmi elles, deux nous intéressent particulièrement : sur la première,
Le Maréchal des
Logis au masque d’Espérance
, nous pouvons voir un cavalier de profil sur un champ de bataille.
Quant à la seconde,
Un Cavalier masqué et blessé
11, elle présente sur un fond abstrait une
tête coupée et ensanglantée installée sur le dos d’un cheval. Sur chacune d’entre elles, des
5. Guillaume Apollinaire,
Le Poète assassiné
, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1997, p. 236.
6. Michel Décaudin,
Apollinaire
, Paris, Livre de poche, coll. « Références », 2002, p. 59.
7.
Ibid
. p. 10.
8. Peter Read, « Apollinaire et le Brigadier masqué. Lecture de trois aquarelles », dans
Apollinaire 22
, Caen, Lettres Modernes
Minard, 2007, p. 94.
9. Ces aquarelles sont reproduites dans l’ouvrage de Claude Debon et Peter Read, « La couleur à l’hôpital », dans
Les Dessins de
Guillaume Apollinaire
, Paris, Buchet-Chastel, coll. « Les cahiers dessinés », 2008, p. 123-142.
10.
Le Brigadier masqué
, dédicacée à André Billy, 1916, coll. part. ;
Un Brigadier masqué
, 1916, coll. du Département de la Meuse ;
Le Brigadier masqué
, 1916, coll. part. ;
Le Maréchal des Logis au masque d’Espérance
, 1916, Rue des Archives / Coll. Belfond.
Sans
titre
. [
Un Cavalier masqué et blessé
], 1916, Rue des Archives / Coll. Belfond. Ces aquarelles sont reproduites dans l’ouvrage de
Claude Debon et Peter Read,
Les Dessins de Guillaume Apollinaire
, p. 124-131.
11. Nous avons utilisé le titre donné par Claude Debon.
Les poètes et la publicité _ p. 192 ///