LE DMP « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » François Rabelais Le Dossier Médical Personnel est actuellement au cœur des enjeux politiques, médicaux et humains. Notre Ministre Ph Douste Blazy s’est engagé pour le faire aboutir à l’horizon 2007 après des expériences pilotes régionales. Il s’appuie sur deux nouvelles lois, celle de santé publique du 9 août 2004 et celle relative à l’Assurance Maladie du 13 août de la même année. L’amélioration de la qualité des soins est naturellement le but recherché par ces deux lois. Celle-ci a été confiée à la Haute Autorité de Santé qui doit les concilier avec la loi du 2 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cette adéquation ne va pas sans soulever de multiples problèmes pour les futurs hébergeurs informatiques et acteurs de terrain. Le nouveau ministre de la santé, X. BERTRAND ne parle plus d'économies réalisées grâce au DMP mais d'"amélioration de la qualité des soins"... Les délais fixés par la Loi sont jugés "imprudents" par D. COUDREAU, qui préside du conseil d’administration du Groupement d’intérêt Public (GIP) dont la direction a été confiée à Jacques BEER-GABEL qui succède à Pierre BIVAS récemment limogé. Ce Conseil est composé de 42 membres représentant les professions de santé, les patients, la CNAM. invités à émettre des avis et formuler des propositions. On manque cruellement d'argent (15 millions d’Euros débloqués contre un besoin de 600!) Les pincipaux problèmes ne sont pas résolus : accès par le patient, contenu, fonctions, utilisations. Le DMP devient un élément législatif central de la réforme de l’Assurance Maladie : elle doit renforcer la coordination des acteurs, améliorer le recueil des données, probablement pour en faire l’évaluation ultérieure et améliorer les pratiques professionnelles tout en responsabilisant les patients bénéficiaires du système de soins. Il s’agit d’un projet ambitieux dont le coût a été estimé entre 350 et 500 millions d’Euros annuels. De multiples questions agitent le Conseil de l’Ordre, qui a la charge de faire respecter la confidentialité des données et le secret médical, les praticiens hospitaliers, les spécialistes libéraux, les médecins généralistes et les patients. 1- Les aspects techniques. Le DMP réalise une application révolutionnaire permettant la collecte de données individuelles de santé auprès des professionnels. Ces données doivent être conservées en un lieu sécurisé, protégées et gérées en fonction des droits d’accès des personnes habilitées. La circulation de données médicales est théoriquement acquise par le cryptage et les hébergeurs seront soigneusement triés sur le volet. Ils doivent pouvoir être, selon le Pr Fieschi, choisis en fonction de leur efficacité, de leur coût et de leur fiabilité. Aucun nom de société n’est, pour l’instant avancé, mais les grands groupes pour répondre au cahier des charges ne sont pas légions. Six consortium sont déjà en place pour répondre à la candidature : - EDS (Echange de Données de Santé regroupant Prorec, Edisanté, HL7 France), Siemens Health Services et Privantis, - Santeos (Atos Origin , UniMédecine et HP) - EADS, Allô doc et CS - Steria –Arès et un opérateur télécom; - IBM, France Telecom et Cap Gemini; - Invita (filiale d’Accenture) , Neuf telecom et La Poste. Trois de six regroupements d'entreprises, semblent plus crédibles, compte tenu de leurs expériences, compétences humaines et références identiques) ; les trois autres relèvent plus du pari, voire du défi. Les intégrateurs ont besoin d’être adossés à des opérateurs qui savent gérer sur une grande échelle les contrats d’abonnements, les hot line et les call center (pour les appels d’urgence, les oublis de mot de passe et les changements de droits du DMP) On imagine facilement les charges de sécurité relatives à la sauvegarde de 6O millions de dossiers dont aucun ne doit être dérobé… L’interfaçage du logiciel avec ceux utilisés par les médecins sera également épineux. De nombreux éditeurs se déclarent déjà DMP compatibles sans savoir de quoi sera faite la future norme. L’utilisation d’un langage commun est, en effet, prioritaire et demandera une évolution par un standard reconnu qui n’est pas encore fixé. On parle d’une norme européenne EHRCom, de la version 2 du CDA (Clinical Document Architecture) et d’HL7. Un cahier des charges évolutif sera, comme pour les éditeurs de Sésame Vitale, l’occasion de rendre les logiciels modulables et simples à utiliser pour les médecins surchargés de travail. L’ADSL est actuellement un élément déterminant pour la généralisation pratique d’un dossier éléctronique et personne n’ose avancer l’évolution de l’équipement médical sur ce point crucial dépendant de France Télécom, notamment dans les régions rurales. Le DMP, dont la dernière lettre a évolué, passant de Partagé à Personnel sans oublier le P de professionnel, repose sur un outil informatique accessible aux médecins et aux patients. La carte Sésame Vitale sera le vecteur de l’identification des acteurs de terrain. On connaît déjà les dérives que son utilisation frauduleuse a pu entraîner. La logique voudrait que les données médicales soient également inscrites sur cette puce, dont le patient est le détenteur. La liaison entre les logiciels professionnels n’est théoriquement pas un obstacle à un interfaçage, si on utilise une technologie de pointe comme le langage XML avec un cryptage assurant une sécurité de transmission optimale. Néanmoins, personne n’est à l’abri de fuites par des hackers intéressés par la revente d’informations confidentielles à des assureurs ou de banquiers avides d’informations sur leurs clients. 2 – Les aspects professionnels Quitter les fiches personnelles papiers de leurs patients pour l’utilisation de logiciels spécifiques a déjà été un grand changement pour les médecins. Leur demander d’exporter leurs notes sur un DMP accessible aux patients est une étape majeure qui nécessite une transparence délicate. On songe en premier lieu aux psychiatres et aux diagnostics de maladie grave engageant un pronostic péjoratif. L’envoi d’informations médicales ne pourra être effacé et engagera la responsabilité des médecins. Si on admet cette première franchie en envoyant un dossier minimal pertinent extrait du logiciel, le patient pourra donc consulter son dossier et en faire bénéficier à d’autres professionnels. L’avantage est indiscutable pour les 11 millions de patients en ALD, qui connaissent plus ou moins leur diagnostic et leur traitement. Elles représentent actuellement 50% des dépenses de l’assurance maladie et bénéficieront d’une meilleure articulation entre intervenants. Il est plus discutable pour les pathologies bénignes des personnes généralement bien portantes. L’accès du dossier au médecin conseil de l’assurance maladie est un point capital . Il n’est, pour l’instant mentionné nulle part, mais il demeure dans l’esprit de tout médecin libéral ou hospitalier… Le contenu du DMP n’a pas été encore défini avec précision. On parle de la lettre de sortie de l’hôpital ou de la clinique, des résultats d’examens complémentaires, les prescriptions de médicaments et des fiches de consultations, voire le protocole de soins attaché à une ALD ( communiqué du conseil des ministres du 12 janvier 2005). L’envoi de fichier à chaque consultation risque néanmoins de noyer l’information et faire un catalogue. Qui en fera la synthèse ? Le médecin spécialiste, le généraliste ou un autre intervenant nécessairement mandaté par un organisme officiel. Il est clair que le DMP doit être exhaustif et pratique et qu’un tri sera opéré à un certain niveau. La Haute Autorité de Santé ou HAS ne manquera pas de fournir un canevas minimal qui sera garant de la qualité du service médical rendu : on imagine ainsi l’utilisation pratique des référentiels établis dans chaque spécialité. Cette rigueur sera évidemment bénéfique pour justifier les prescriptions adéquates, mais induit un indéniable risque de « flicage»… qui risque de rebuter le corps médical et son adhésion au système, jugé trop administratif et contraignant. Tous les accès au dossier seront évidemment colligés et une information inscrite ne pourra être effacée par un autre professionnel. Enfin, aucune étude sur la responsabilité médico-légale engendrée par le DMP n’a été publiée et le manque de cadre juridique sécurisant les patients et professionnels de santé fait cruellement défaut. 3 – Les aspects personnels et confidentiels Le patient est le premier bénéficiaire du DMP. Qu’en fera t’il ? Il pourra, bien sûr, donner au médecin de son choix l’accès à son dossier et fournir ainsi de précieuses informations sur son état de santé, le diagnostic précis de ses pathologies antérieures, ses allergies éventuelles etc. En cas d’urgence, s’il n’est pas capable de donner son accord verbal pour l’utilisation de sa carte Vitale, d’autres personnes devront être mandatées à cet effet. Si la relation médecin/malade repose sur « la rencontre d’une conscience avec une confiance », la tentation de demander un deuxième avis en cas de difficulté, sera facilitée par le DMP. C’est souvent déjà le cas et l’information transmise n’en sera que plus judicieuse, si le dossier est bien rempli. Le droit de regard des patients est indéniable, mais ne doit pas conduire à une modification intempestive des données sous prétexte qu’elles ne leur conviennent pas. Le dialogue avec le médecin restera donc primordial pour obtenir la mise en place pratique des informations réellement transcrites dans le DMP. Si les pathologies standards seront bien accueillies, les troubles psychiatriques poseront quelques écueils et la tentation du patient d’occulter un diagnostic gênant conduira probablement à un non dit… Enfin, une contrainte économique pèsera sur le patient qui sera moins remboursé, s’il n’accepte pas que le professionnel de santé ait accès à son DMP. Ce dernier, présenté comme un outil visant la qualité des soins, sera néanmoins inévitablement perçu comme un outil de régulation économique. La confidentialité des données médicales peut ‘elle être garantie par le DMP ? Le gestionnaire principal du DMP est le patient, sachant que le médecin traitant restera le pivot du système. Le secret médical doit être préservé et le patient aura le dernier mot pour faire figurer certaines informations qu’il juge inopportunes. L’accès au DMP sera limité par des garde-fous éloignant banquiers, assureurs, médecin du travail à l’embauche et plus généralement tout professionnel désirant obtenir des données individuelles et collectives destinées à la commercialisation. Tenter d’obtenir des informations contenues dans un dossier médical est puni par une amende de 15 000 Euros et un an d’emprisonnement selon le code pénal. La sécurisation des données informatiques devra donc être irréprochable et il semble logique que le patient, le médecin passent un contrat avec l’hébergeur détenteur de ces précieuses informations. En cas de perte ou de vol, on imagine les ennuis encourus… En conclusion, Si les bases législatives du DMP sont bien réelles et définissent, à terme, de nouveaux rapports entre les professionnels de santé et les patients, de nombreuses inconnues subsistent sur les aspects pratiques qui en découlent. Le parcours du patient sera irrémédiablement fléché par l’électronique. Le droit de regard appartient donc à l’Assurance Maladie et les médecins ne seront pas maîtres d’œuvre dans ce projet. Les paroles du Pr Fieschi, chargé d’un rapport remis au gouvernement en 2003 sont claires : « les médecins doivent jouer leur rôle, mais rien que leur rôle » dans le partage des données médicales. Enfin, la montée en charge du dossier médical personnel (DMP) se poursuit: le groupement d’intérêt public chargé de son déploiement, après avoir été installé en avril, a tenu un nouveau séminaire, pour redéfinir ses orientations et ses méthodes de travail. Il a ouvert le site www.d-m-p.org dans un soucis de transparence et d’interaction. Le DMP sera testé sur 12 bassins de populations pilotes à partir du dernier trimestre 2005 et les industriels doivent présenter leurs projets de « démonstrateur et de préfiguration portant sur 5000 dossiers » avant le 20 septembre 2005. L’adhésion du corps médical, des établissements et des patients sera donc primordiale pour appréhender sa réalité concrète. Les modalités de fonctionnement de ces premiers sites feront l’objet d’une évaluation approfondie au printemps 2006 évaluation au vu de laquelle la décision définitive des lancements à l’échelle nationale sera prise afin d’atteindre l’objectif, fixé par la loi du 13 août 2004, d’un déploiement total à la mi-2007. L’expérience mitigée des réseaux de soins et du médecin référent sont là pour nous démontrer que le changement des habitudes est difficile et demande du temps. Il est indispensable d’intégrer plus largement les acteurs de terrain pour obtenir l’adhésion et la confiance des patients et médecins à ce projet pharaonique. Espérons qu’il sera le garant potentiel d’une meilleure qualité de soins. Le 27 octobre 2005 Dr Sylvain Beorchia s.beorchia@wanadoo;fr REFERENCES http://www.d-m-p.org : site officiel du GIP http://bulletin.conseil-national.medecin.fr/CNOM/bulletin.nsf : LE DMP au bulletin de l’ordre des Médecins n°3 mars 2005 http://www.portailtelesante.org/article.php?sid=704 D. Lehalle : Etes-vous DMP compatible ? le quotidien du médecin 10 mars 2005 http://www.sante.gouv.fr/assurance_maladie/actu/dmp.htm : les atouts du dossier médical personnel http://www.medsyn.fr/mgfrance/dossier/DMP/le monde-oct2004.htm : dossier médical personnel :les pièges d’une réforme. Paru dans l’édition du 26.10.04 du Monde http://www.dossier-medical.info : le blog du dossier medical personnel http://cnil.fr/index.php?id=1613 : CNIL-Avis sur le dossier médical personnel http://www.institutmontaigne.org/pdf/dmp.pdf / : le dossier médical personnel http://www.OOdr.com/breve.php3?id_breve=1109 du chemin à parcourir pour le DMP http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/fieschi/sommaire.htm : le rapport Fieschi http://www.hprim.org/ : tout sur l’association HL7 France- HPRIM http://xmlfr.org/documentations/articles/040331-0001 :tout sur le langage XML