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agacé par quelques imperfections de ce genre. Mais ce lecteur aurait bien tort de refermer le livre : ce
serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Quel est donc ce bébé ?
Rien moins qu’une présentation pertinente et encore peu répandue de la façon dont fonctionnent les
marchés (financiers et autres), et l’ensemble de l’économie.
Benoît Mandelbrot a présenté en 2004 une vision très novatrice du fonctionnement des marchés [3].
Nassim Taleb en a vulgarisé certains aspects avec sa formule « cygnes noirs », qui désigne les
événements majeurs, heureux ou malheureux, qui surviennent avec une fréquence très supérieure à
celle que prévoient les théories économiques usuelles. Philippe Herlin doit beaucoup à ces deux
auteurs, mais il y ajoute sa propre capacité à intégrer leurs apports dans une perspective d’ensemble
de l’économie et à les utiliser, conjointement avec quelques autres idées, pour « sortir de la crise ».
Pourquoi des événements « extraordinaires » surviennent-ils bien plus souvent que prévu ? Le savoir
permet d’en tirer des leçons pour limiter le caractère dévastateur des catastrophes, en améliorant la
résilience de notre système économique.
Le mimétisme, on le sait au moins depuis Keynes [4], est un ressort très important du fonctionnement
des marchés. Herlin le présente de façon simple, avec l’exemple de deux restaurants voisins et de
même qualité : les clients potentiels se méfiant des restaurants vides, le premier des deux dont
quelques tables sont occupées fait finalement le plein, tandis que son concurrent reste à moitié vide.
Cela signifie que les choix individuels ne sont pas indépendants les uns des autres, comme on le
suppose en leur appliquant des modèles probabilistes gaussiens. Et cela explique que l’argent aille à
l’argent, le pouvoir au pouvoir, et toutes sortes de phénomènes cumulatifs débouchant sur de fortes
inégalités et sur des risques colossaux, qui passent initialement inaperçus.
Ce genre de constats et de raisonnements débouche sur une conviction : la théorie des marchés
efficients est fausse ! Philippe Herlin est un libéral réaliste, qui n’a pas besoin d’enjoliver une institution
pour en reconnaître l’utilité. Il envisage l’économie de marché comme Churchill la démocratie : le pire
des systèmes à l’exception de tous les autres. Et cela lui permet, entre autres, de bien expliquer
l’erreur magistrale qu’est l’introduction de la « fair value » en comptabilité : cette appréciation des
actifs à leur prix sur un marché, comme si ce prix reflétait la vraie valeur d’un bien ou d’un titre, a
causé trop de dégâts pour que l’on ne se réjouisse pas de la déconstruction du mythe qui la sacralise.
De même, sous le titre mystérieux de « théorie de la proportion diagonale », Ph. Herlin expose-t-il
intelligemment la façon dont « la bonne volonté réciproque des parties » et les statuts économiques et
sociaux interfèrent avec la loi de l’offre et de la demande pour expliquer la formation des prix. Quel
plaisir de voir la théorie des conventions (qui n’est pas citée) et les apports de la sociologie ainsi
réintroduits dans l’analyse économique par un auteur libéral à l’esprit ouvert.
Dernier aperçu avant de vous laisser, ami lecteur, décider seul si vous suivrez ou non mon conseil de
lire Ph. Herlin, la distinction que fait celui-ci entre les activités « scalables » et « non-scalables ». En
fournissant une des clés de la résilience de certaines entreprises, cette distinction explique pourquoi
Gallimard a raison de ne pas filialiser son fonds de catalogue, et pourquoi Carrefour a tort de vendre
les murs de ses magasins. Comme quoi l’économie peut servir à la gestion !
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