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décrites des formes chronicisées mixtes, dysphoriques,
subagitées, dont les intervalles libres s’amenuisent voire
disparaissent.
Ce sont ces patients devenus résistants aux différents
traitements que nous rencontrons dans les unités d’hospi-
talisation. C. Pfersdorff [14] s’est attaché à saisir avec
minutie l’influence de l’âge sur cette clinique. Des biais
rendent difficile l’évaluation globale du devenir, patients
perdus de vue, décès précoces en particulier par suicide,
changement de domicile. Des études longitudinales sur
plusieurs dizaines d’années, telle celle de M. Bleuler de
1978, ou plus récentes de Ciompi et Muller de 1997 [17],
permettent de décrire les modalités évolutives à partir de
trois phases, de début, d’état et séquellaire. Pour cette der-
nière étude, 62 % des symptômes isolés observés lors de la
première hospitalisation avaient totalement disparu à un
âge avancé, 11 % s’étaient atténués alors que 20 % étaient
restés inchangés ou s’étaient aggravés.
Des états résiduels non spécifiques apparaissent à côté
d’une tendance générale à l’amélioration et à un « aplatisse-
ment de la symptomatologie ». Ces données sont essentielles
à rappeler avec celles des rémissions spontanées car au nom
de la prévention de la rechute avec son spectre, la réhospita-
lisation dans des unités « saturées », des psychotiques âgés
ont leur traitement neuroleptique maintenu sans aménage-
ment. L’extinction du processus psychotique avec l’âge aurait
permis la diminution voire l’arrêt de cette thérapeutique.
Psychose chronique et troubles cognitifs
Une littérature récente sur psychose et vieillissement
[7, 9-11, 15, 22] répertorie l’existence d’altérations cogni-
tives d’évolution démentielle corrélées au vieillissement
chez les sujets psychotiques.
Ces références bibliographiques permettent un accès à
ces articles, globalement consensuels sur le retour de cette
problématique qui justifie la réactualisation d’un débat.
La résurgence de conceptions kraepeliniennes vis-à-vis
de la maladie mentale est favorisée par l’essor des neuros-
ciences, de l’imagerie médicale et des théories localisation-
nistes du fonctionnement cérébral. E. Kraepelin dans la 4
e
édition de son Lehrbuch von psychiatrie a regroupé en
1899 sous le vocable de « démence précoce » différentes
variétés de psychoses ; il considérait à la suite de
B.A. Morel, de K.L. Kahlbaum que l’évolution était un
élément constitutif du diagnostic.
La Verblödung
5
, littéralement « l’abêtissement » recou-
vrait le concept de démence vésanique des aliénistes, mode
d’évolution de la folie maniaque et dépressive secondairement
étendue à l’ensemble des maladies mentales. En 1895, A. Ritti
dans son rapport sur les « psychoses de la vieillesse
6
» note
que « les aliénés et en particulier les circulaires et les persécu-
tés, arrivent aux extrêmes limites de la vieillesse sans tomber
dans la démence ».
E. Bleuler avec le concept de schizophrénie s’inscrira en
faux contre ce verdict, il affirmera au contraire l’évolution
favorable dans bon nombre de cas. Des études longitudinales
remettront en cause le dogme d’incurabilité et d’évolution
déficitaire ou démentielle des psychoses. La résurgence de
ces positions néokraepeliniennes amène à des réflexions
d’ordre méthodologique, épistémologique et éthique.
Réflexions d’ordre méthodologique
et épistémologique
Ce discours dominant est de nature asséritive ; il contient
des éléments de contradiction interne et externe
7
liés à la
définition même du processus démentiel, de l’impossibilité
de faire la part entre ce qui relève du processus psychotique
et du traitement neuroleptique ou antipsychotique reçu, à la
nature des rapports entre vieillissement-psychose et mala-
die neurodégénérative.
H. Ey [6] souligne que beaucoup d’auteurs restent « atta-
chés à l’idée que l’évolution démentielle représentait la
forme vraie de la chronicité schizophrénique », il critiquait
cette proposition, considérant que l’appréciation de détério-
ration intellectuelle « ne peut se suffire d’évaluations quan-
titatives mais aussi qualitatives qui mettent en évidence
l’incapacité foncière et irréversible (des schizophrènes) de
résoudre les problèmes intellectuels de l’existence ». Et de
conclure : « On peut dire que la plupart des schizophrènes
ne sont pas, ni ne deviennent déments. »
Un article récent [2] consacré au « renouveau du
concept de démence dans la schizophrénie » soutient avec
prudence l’indépendance du déficit par rapport à la dose de
neuroleptiques reçue
8
. Cette question est présente en fin
d’article dans l’approche thérapeutique : « Plusieurs études
récentes réalisées tant chez l’animal que chez l’homme
suggérant qu’à la différence des neuroleptiques classiques,
5
Il a été fait reproche à E. Kraepelin de n’avoir appuyé son étude que sur
des patients « asilaires ». H. Ey souligne que l’évolution démentielle ter-
minale pouvait être un produit artificiel de la séquestration du malade…
« ce serait plus une démence carcérale que due à la maladie » [6]. Autre
formulation de la suraliénation institutionnelle dénoncée par les anti-
psychiatres.
6
Publié dans les Annales médico-psychologiques 8
e
série, tome II,
septembre 1895 ; 171-4.
7
Dans la même revue mais en 2009 Ortega et al. [13] affirment : « Il
semble que l’évolution déficitaire de Kraepelin soit remise en cause par
les données récentes de la littérature. » Quelques lignes plus loin : « Ces
résultats ne sont pas en faveur d’une évolution neurodégénérative de la
schizophrénie. » Lire également dans [20] : « L’absence de preuves
concluantes d’une neuropathologie frontale. »
8
« Ces déficits (cognitifs) paraissent relativement indépendants d’un cer-
tain nombre de paramètres cliniques ou socio-démographiques tels que la
dose de neuroleptiques, l’âge de début de la maladie, la durée des troubles
ou la fréquence des hospitalisations mais l’étude semble manquer de puis-
sance à ce niveau, de tels paramètres n’étant pas toujours rapportés avec
précision dans les différentes études citées. » La robustesse de l’annonce,
titre et résumé, contraste avec la faiblesse des études !
Psychose et vieillissement
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, N° 1 - JANVIER 2010 43
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