L’Édito de Chotteau
que je me suis décidé à vous présenter cette année encore, désespéré
de constater que son urgence n’avait pas faibli, mais impatient de
retrouver l’accueil que le public et les critiques lui avaient réservé.
En ce mois d’août 2016, à l’écoute des médias qui s’en repaissent
à longueur de journée, je me dis que notre actualité n’aurait pas
manqué de lui en donner, à Flaubert, des sujets d’articles pour son
Encyclopédie ! À la lettre B par exemple, Gustave aurait sans nul
doute écrit « B comme Burkini » et je suis sûr qu’il ne serait pas allé
chercher les gendarmes pour déshabiller ces dames - qu’un De Fu-
nès à Saint Tropez s’acharnait d’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, à
rhabiller ! Il n’aurait pas non plus invoqué la force de nouvelles lois,
ni recherché à refaire un costume à cette laïcité que, depuis 1905, on
ne cesse malheureusement de vouloir détricoter. Non, il n’aurait rien
fait de tout cela : Gustave aurait ri.
Oh ! Pas de ce rire qui tue, pas de cette ironie qui fait mal ! L’invective
est un piège que nous tend la connerie, gardons-nous-en ! Pour com-
prendre la bêtise, il faut un minimum de recul et de précautions : ri-
gueur, exactitude, et cet humour-là qui fait rire de la bêtise des autres
en même temps qu’on rit de la sienne. Comment mieux désarmer
que par le rire les tribus hystériques des Y’a qu’à et des Faut qu’on !
Donc, à la manière de Flaubert, et en matière de burkini, sujet
capital on en conviendra, je propose qu’on se mette tous d’accord
pour admettre, le sourire au coin des lèvres, que se baigner habillé
protège du froid et de l’humidité, que pouvoir montrer son apparte-
nance religieuse tout en s’essayant au dos crawlé est fondamental,
que quitter ce bas monde pour se retrouver là-haut face à 72 vierges
inexpérimentées n’est pas l’enfer, ou bien encore que ne pas manger
de poisson le vendredi ou toucher un interrupteur électrique le jour
du Shabbat peuvent nous y conduire…
La bêtise se nourrit de nos peurs et se répand en clichés et lieux
communs en se cherchant des ennemis, des minorités à humilier, et
des frontières pour s’en mettre à l’abri. Dans tous les cas, elle simpli-
fie et réduit le sens. « La bêtise consiste à vouloir conclure » disait
encore Flaubert…
Alors je m’en garderai bien…
Il eût été aisé pourtant de terminer cet édito en réarmant le rôle
de l’art et de la culture pour faire front à la bêtise. Et sans vergogne
de vous redire que La Virgule participe de ce combat. Je n’aurai pas
cette prétention, tout en étant conscient que ma formule sent la très
jésuitique prétérition !
La Virgule Saison 2016 / 2017
Mais les temps, quand même, sont durs… La pensée, comme
l’annonçaient il y a trente ans avec clairvoyance quelques-uns de
nos intellectuels, subit défaite après défaite. Déjà en 1870 Flaubert
pressent le déclin de la création artistique en tant que rempart
éthique à l’obscurantisme. Témoin de l’arrivée de la photographie et
de l’industrialisation naissante des moyens de culture, il voit l’art se
réduire littéralement au cliché, à la reproduction de masse, à l’éco-
nomiquement rentable. Il pressent la lobotomisation des peuples :
« Nous allons entrer dans une ère stupide écrit-il à George Sand.
On sera utilitaire, militaire, américain et catholique ». Il dénonce
avec prescience ce qu’une démocratie d’opinion entraînera comme
trafics d’influence : autre forme, plus sournoise, de dictature. Nous
n’en sommes pas loin.
L’opinion ! Tyrannie de l’opinion, et comme l’aurait dit Flaubert,
des « idées reçues », c’est-à-dire du n’importe quoi. Aujourd’hui cha-
cun se targue d’en avoir une sans avoir pris le temps de s’informer.
Les auditeurs ont la parole, et, chaque jour, plus nombreux sont les
journalistes qui la leur cèdent : cela fait plus d’audience que le long
discours d’un politique dont on ne retiendra que deux phrases pour
alimenter les débats et se faire une opinion des opinions. L’informa-
tion, qui devrait être la meilleure arme contre la bêtise de nos préju-
gés, devient un spectacle dont nous raolons pour en être en même
temps les acteurs et les voyeurs. Mais les grandes gueules ne sont pas
forcément des grandes voix. Leur pensée simpliste et sous-informée
attise la haine vis-à-vis des indispensables élites, et met tous les poli-
tiques dans le même sac d’un très injuste et permanent bashing. Le
populisme est le triomphe de la bêtise.
Le buzz et l’audimat en sont aujourd’hui les mortifères virus am-
plificateurs. Gustave ne les connaissait pas mais il se désolait déjà de
constater qu’« une sottise ou une infamie en se renforçant d’une
autre plus considérable peut devenir respectable. » Et d’ajouter :
« Collez la peau d’un âne sur un pot de chambre et vous en faites
un tambour ».
Je me tairai.
Sachez quand même que j’ai pris bien garde, dans les choix de
programmation de cette saison, de ne pas abêtir. Sans jamais vous
embêter.
le 25 août 2016,
Jean-Marc Chotteau
L’Édito de ChotteauLa Virgule Saison 2016 / 2017