Présentation de la recherche-action sur l’éthique bancaire (document provisoire - mai 2012)
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ou éthiques mais pauvres, ou accepter de ne pas être vertueux et bénéficier d’un bien être
amélioré, voire vivre dans l’opulence. Cependant que faire quand cette opulence ou ce bien être
matériel censés être la contrepartie de cet amoralisme ne sont pas au rendez vous ?
Cette séparation de la morale et de l’économie est aussi entérinée par la perspective « néo
libérale » qui reprend ce discours de la légitimité instrumentale, inscrivant l’économie et ses
institutions dans l’ordre de l’efficience. Nous sommes alors renvoyés à une forme de darwinisme
social évoqué par la métaphore de la rose « American beauty » de J.D.Rockfeller : « La variété de
rose “American Beauty” ne peut être produite, dans la splendeur et le parfum qui enthousiasment
celui qui la contemple, qu’en sacrifiant les premiers bourgeons poussant autour d’elle. Il en va de
même dans la vie économique. Ce n’est là que l’application d’une loi de la nature et d’une loi de
Dieu ». Autrement dit, la prospérité ne pourrait être atteinte que par le sacrifice des plus faibles,
des moins aptes. Si la morale ou l’éthique mettent en relation les moyens et les fins, la logique
instrumentale ne s’intéresse qu’aux conséquences sans se préoccuper des moyens.
Une autre thèse justifiant cet « amoralisme », réactivée pour certains par les thèses d’André
Comte Sponville, est celle de l’économiste F.A.Hayek pour lequel on ne peut imputer de
responsabilité morale qu’à des sujets ; or un système social (le capitalisme) ou une organisation
n’est pas un sujet, il ne peuvent donc être soumis à un jugement de valeur : « Il n’y a pas de critère
par lequel nous pourrions découvrir ce qui est “socialement injuste” parce qu’il n’y a pas de sujet
par qui pourrait être commise cette injustice » [F.A.Hayek].
Pourtant, dans le même temps, les revendications éthiques de la part des entreprises n’ont jamais
été aussi fortes : multiplication des chartes ou des codes éthiques, création de référentiels
internationaux (principes de Wolfsberg, GRI, ISO 26000…), création de « produits éthiques » (ISR,
commerce équitable…) etc. Ce qui serait impossible voire néfaste au niveau d’un système serait-il
alors valable au niveau des acteurs ? N’y a-t-il pas là une contradiction ?
L’éthique ne serait alors qu’un artifice masquant des visées purement économiques et
instrumentales. Il ne s’agirait que d’une forme d’économicisation de la morale servant soit à
prendre un avantage concurrentiel sur d’autres entreprises en vendant un « supplément d’âme »,
soit à gérer un « risque éthique », face aux pressions croissantes d’ONG, d’Etats ou plus
généralement de la « société civile ». Les codes, les chartes, la finance « responsable » offriraient
ainsi une couverture contre un risque de même nature que les autres risques économiques
encourus par les entreprises. Ces référentiels présenteraient un avantage supplémentaire dans la
mesure où ils constituent une forme de « soft law », répondant à un engagement volontaire à
l’opposabilité douteuse ; contrairement à la « hard law », la loi émanant de l’Etat (et donc des
citoyens), obligatoire et opposable. Bref, l’éthique d’entreprise serait un substitut à la loi
entérinant une forme de privatisation de celle ci.