LES PHARMACIENS DE GMF
QUEL EST LEUR RÔLE ?
Nouveaux dans les GMF, les pharmaciens peuvent aider
les médecins à prendre efficacement en charge les patients aux problèmes
de santé complexes qui consomment de nombreux médicaments.
Emmanuèle Garnier
À l’UMF-GMF Haute-Ville, à Québec, un médecin de famille
reçoit sa patiente de 70 ans atteinte de douleurs chroniques.
Il lui a prescrit de nombreux médicaments,
a essayé différentes molécules, mais rien ne
fonctionne. Visiblement dans une impasse,
l’omnipraticien dirige la patiente vers le nou-
veau pharmacien du GMF.
« Je pense qu’il n’y a pas grand-chose à faire »,
confie la septuagénaire à M. Georges-Émile
Bourgault quand elle le rencontre. Pendant
une heure, le pharmacien va retracer ses
antécédents pharmacologiques, analyser
ses nombreux médicaments, évaluer leur
efficacité, s’enquérir des effets indésirables
et vérifier son adhésion au traitement. Muni
de ces données, il élabore ensuite un plan
thérapeutique en deux phases. « J’ai proposé
au médecin l’utilisation de la méthadone en coanalagésie.
Mais pour cela, il fallait retirer trois médicaments », explique
M. Bourgault.
En accord avec le médecin, le pharmacien commence par
réduire la dose d’un premier médicament pendant plusieurs
semaines. « On a décidé de débuter par un premier et de se
reparler ensuite. Toutes les semaines, j’appelais la patiente
pour m’assurer que la diminution se passait bien, qu’il n’y
avait pas de recrudescence de la douleur, de symptômes de
sevrage, d’effet sur le sommeil ou l’humeur. »
Au bout de quelques mois, le sevrage des trois médicaments
terminé, la deuxième phase débute. L’omnipraticien com-
mence par prescrire une dose très faible de méthadone,
0,5 mg, qu’il augmente graduellement. Après chaque hausse,
le pharmacien fait un suivi par téléphone. « Cela demande une
surveillance étroite 24 heures après chaque changement de
dose et au bout de 48 heures. Il faut s’assurer que la patiente
n’a pas d’effet de surdose, de signes de somnolence exces-
sive, etc. C’est exigeant. »
Puis la patiente, à son grand ravissement, connaît sa pre-
mière période de soulagement. « Elle avait recommencé à
faire des courses. Malheureusement, ses
douleurs ont continué à évoluer, et on doit
encore faire des ajustements. »
M. Bourgault, qui travaille depuis deux ans à
l’UMF-GMF, intervient auprès d’une dizaine,
voire d’une quinzaine de patients par jour. Des
personnes qu’il rencontre ou qu’il appelle. En
collaboration avec le médecin, il peut effec-
tuer un changement d’antidépresseur chez
un patient vulnérable, faciliter la maîtrise de
la glycémie chez un diabétique, procéder à
des sevrages difficiles, éliminer les médica-
ments devenus inutiles, etc.
Comme le bureau du pharmacien est situé à
côté de la salle de supervision des résidents, il est très sol-
licité. « Toutes les quinze minutes, un résident et son patron
débarquent dans mon bureau. On a une discussion de cas. Par-
fois cela mène à un suivi conjoint où je prends en charge une
M. Georges-Émile Bourgault
Photos : Simon Lecomte
« Quand les médecins
ont connu une fois
un bon suivi conjoint
avec un pharmacien,
qu’ils ont vu l’effet sur
leur prise en charge
ainsi que le temps
libéré, ils veulent
continuer. »
– M. Georges-Émile
Bourgault
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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 10, octobre 2016
partie du traitement médicamenteux et effectue les ajuste-
ments. D’autres fois, je fais seulement des recommandations.
On convient d’un plan de traitement, et le médecin conserve
la prise en charge du patient. »
UN RÔLE NON TRADITIONNEL
Au GMF La Cité Médicale, à Québec, le bureau de la pharma-
cienne Marie-Andrée Leclerc jouxte lui aussi celui des
omnipraticiens. Les médecins peuvent venir cogner à sa
porte, la joindre par courriel ou par téléphone. « Le médecin
peut me poser des questions au milieu de sa consultation : “j’ai
tel type de patient, il a de nombreuses allergies. Plusieurs inte-
ractions médicamenteuses sont présentes. J’ai déjà essayé
tel et tel médicament. Qu’est-ce que je fais ?” »
La réponse est parfois facile à donner. « D’autres fois, il faut
faire une recherche dans la littérature, pousser un peu plus
l’évaluation, connaître davantage les antécédents médi-
caux et pharmacologiques du patient. On fait affaire avec
des patients vulnérables dont les cas sont compliqués. C’est
pour cette clientèle-là que la valeur ajoutée
du pharmacien est la plus grande », pré-
cise Mme Leclerc, qui s’est jointe au GMF en
février 2015.
Les cas peuvent parfois être très complexes.
Mme Leclerc a été appelée, par exemple, à
suivre, en collaboration avec le médecin et
l’infirmière, une femme dans la quarantaine
qui venait d’avoir un diagnostic de diabète de
type 2. Des complications étaient déjà appa-
rues. La prise en charge de cette patiente
anxieuse, qui avait une peur bleue des ai-
guilles, n’a pas été facile. « Elle a présenté de
multiples intolérances aux médicaments. En
un an, nous avons tenté plusieurs classes
d’hypoglycémiants oraux, d’antihypertenseurs, d’anxioly ti-
ques, d’antidépresseurs et d’analgésiques. »
En plus des hypoglycémies, des hyperglycémies et de quel-
ques pertes de conscience à la suite de prises de sang, la
pa tiente a eu, au cours du suivi, une insuf-
fisance rénale aiguë, une arthropathie de
Charcot, un œdème maculaire diabétique,
une pression artérielle fluctuante, des pro-
blèmes gastro-intestinaux et des douleurs.
« Nous cherchons toujours la combinaison
de médicaments qui sera tolérée et efficace.
Néanmoins, nous avons atteint les cibles
pour l’hémoglobine glyquée et la pression
artérielle, et le bilan lipidique est désormais
adéquat », indique Mme Leclerc.
Le rôle du pharmacien dans un GMF est très
différent de celui qu’il a dans une officine,
explique M. Éric Lepage, chef du Départe-
ment clinique de pharmacie du CIUSSS de
la Capitale-Nationale auquel sont rattachés M. Bourgault
et Mme Leclerc. « Le pharmacien qui travaille dans le privé
s’occupe entre autres du conditionnement et de la distribu-
tion sécuritaire des médicaments. Le pharmacien de GMF,
Mme Marie-Andrée Leclerc
//
LA VIE PROFESSIONNELLE
« Dans un GMF, le
pharmacien est là
pour aider le médecin
à superviser des
clientèles complexes,
c’est-à-dire qui
ont de multiples
maladies et prennent
de nombreux
médicaments. »
– M. Éric Lepage
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lemedecinduquebec.org
lui, ne distribue pas de médicaments. Son rôle est d’appuyer
l’équipe pour permettre un usage optimal du médicament.
C’est un rôle non traditionnel. »
UN GUIDE ET DES OUTILS
Comment intégrer le pharmacien à l’équipe médicale ? Le
CIUSSS de la Capitale-Nationale est en train de produire un
guide qui propose différentes étapes pour faciliter son inser-
tion et offre plusieurs outils. Le document Intégration d’un
pharmacien dans un groupe de médecine de famille (GMF), qui
pourra être consulté au ciusss-capitalenationale.gouv.qc.ca,
explique entre autres le rôle que peut jouer le pharmacien.
« Dans un GMF, le pharmacien est là pour aider le médecin à
superviser des clientèles complexes, c’est-à-dire qui ont de
multiples maladies et prennent de nombreux médicaments.
L’objectif est que ces patients aillent le moins souvent pos-
sible à l’hôpital et que le médecin puisse suivre le plus grand
nombre de personnes possible », indique M. Lepage.
Le guide, rédigé par une pharmacienne du CIUSSS, sug-
gère à la suite de consultations faites dans cinq GMF une
manière de collaborer entre professionnels de la santé. Selon
le modèle proposé, le pharmacien verrait des patients à la
demande du médecin qui sélectionnerait ces derniers selon
des critères précis.
Les patients devraient :
h prendre des médicaments d’au moins quatre classes phar-
macologiques différentes ;
h avoir à prendre des médicaments quatre fois par jour.
En outre, ces personnes devraient être considérées comme
vulnérables, soit :
h avoir moins de 70 ans et trois critères de vulnérabilité ;
h avoir 70 ans ou plus et au moins deux critères de vulné-
rabilité ;
h présenter une perte d’autonomie fonctionnelle récente ;
h avoir changé de médicaments après une hospitalisation.
Le médecin peut aussi adresser au pharmacien un patient
ayant des besoins de santé complexes, des besoins parti-
culiers ponctuels ou une maladie chronique (encadré).
ÉTUDE SUR L’UTILITÉ DU PHARMACIEN
Le guide sur l’intégration du pharmacien repose entre autres
sur une étude menée par une pharmacienne chercheuse au
Centre de recherche du CHU de Québec, Mme Line Guénette.
Menée dans quatre GMF de la région de Québec, la recherche
se penche sur le travail de cinq pharmaciens qui se sont
occupés de soixante sujets. Âgés en moyenne de 75 ans, les
patients étaient des personnes vulnérables ayant un traite-
ment médicamenteux complexe.
« Le pharmacien faisait le bilan comparatif des médicaments
et regardait les antécédents médicamenteux du patient. Sa
tâche était de déceler la présence de problèmes liés à la phar-
macothérapie. Il effectuait ensuite différentes interventions,
soit directement auprès du patient, soit auprès du médecin
s’il fallait changer un médicament ou faire une nouvelle pres-
cription », explique Mme Guénette, également professeure à
l’Université Laval.
Les pharmaciens, dont faisaient partie M. Bourgault et
Mme Leclerc, ont détecté 300 problèmes liés à la pharmaco-
thérapie, soit une médiane de six par patient. « Cela variait de
un jusqu’à seize problèmes trouvés par patient », mentionne
Mme Guénette.
Parmi les problèmes découverts, 27 % concernaient la pré-
sence d’un médicament qui n’était plus nécessaire. « Cela
Mme Line Guénette
M. Éric Lepage
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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 10, octobre 2016
concorde avec ce qu’on voit dans la littérature. C’est souvent
le problème le plus fréquent. On entend parler de plus en
plus de la déprescription ; cela va dans le sens de ce qu’on
a observé. »
Dans 19 % des cas, il s’agissait, au contraire, d’un médicament
qui aurait dû être prescrit au patient et ne l’était pas. Par ailleurs,
30 % des problèmes consistaient en des doses trop élevées ou
trop faibles, 9 % en des effets indésirables et 5 % en une non-
adhésion au traitement. « Les médecins ont accepté 88 % des
suggestions des pharmaciens », indique la chercheuse.
BRISER LA GLACE
Dans le cadre de l’étude, les patients des GMF ont eu à rem-
plir un questionnaire pour indiquer leur degré d’appréciation
des soins qu’ils recevaient. « Ils adoraient avoir accès au
pharmacien, parce qu’ils avaient un contact privilégié avec
lui », explique Mme Guénette. C’est d’ailleurs ce que sa col-
lègue, Mme Leclerc, a remarqué dans sa pratique. « Le patient
apprécie aussi le fait que l’on soit accessible, qu’il puisse nous
appeler, qu’il n’ait pas à attendre des semaines pour avoir un
rendez-vous. »
Les chercheurs ont effectué parallèlement des entrevues
avec différents professionnels des GMF. « Ce qui ressortait,
c’était que le rôle du pharmacien était très méconnu des
au tres cliniciens. Qu’est-ce qu’il peut faire ? Qu’est-ce qu’il
ne peut pas faire ? Certains mentionnaient aussi l’importance
de diminuer les appréhensions concernant son arrivée »,
mentionne Mme Guénette.
L’intégration des pharmaciens demande des efforts. Les
autres professionnels estiment le temps d’adaptation à un
ou deux mois, selon les résultats préliminaires. Les princi-
paux concernés, eux, l’évaluent plutôt à entre un et trois ans.
M. Bourgault, qui avait travaillé dix ans comme pharma-
cien dans la collectivité, juge qu’il lui a fallu un an pour
bien s’incorporer dans l’équipe. Ce qui était difficile ? « La
méconnaissance au départ de ce qu’est un pharmacien. Les
autres professionnels se demandaient comment, au-delà de
notre expertise en pharmacothérapie, on pouvait prendre en
charge des patients, contribuer au suivi conjoint, améliorer
directement et indirectement la prise en charge au sein d’une
équipe médicale. Cela reste un défi auquel il faut travailler. »
Pour Mme Leclerc, qui pratiquait auparavant dans un milieu
hospitalier, environ dix mois ont été nécessaires pour bien
jouer son rôle au sein du GMF. « Il a fallu que je précise ce
que j’allais faire et expliquer que, non, je n’ai pas le même rôle
que le pharmacien de quartier et que je ne suis pas non plus
une pharmacienne d’hôpital, parce qu’on n’est pas dans un
milieu hospitalier. »
Puis, la magie du pragmatisme a opéré. « Quand les médecins
ont connu une fois un bon suivi conjoint avec un pharmacien,
qu’ils ont vu l’effet sur leur prise en charge ainsi que le temps
libéré, ils veulent continuer », souligne M. Bourgault. //
ENCAD
RÉFÉRENCE AU PHARMACIEN
EN GMF, EN UMF ET EN UMF-GMF
EN LIEN AVEC LES ACTIVITÉS CLINIQUES
Patients ayant des besoins de santé complexes
h Maladies chroniques et polypharmacie (profil lourd)
h Vulnérabilité et fragilité
h Trouble de santé mentale (ex. : changement
d’antidépresseur)
h Douleurs chroniques
h Suivi post-hospitalier de personnes âgées
h Patientèle spécifique et présence ou risque éle
d’eets indésirables médicamenteux (ex. : grossesse
et allaitement chez la femme médicamentée)
h Grands utilisateurs de services de santé
Patients ayant des besoins particuliers ponctuels
h Échec ou réponse insatisfaisante pour l’atteinte
des cibles
h Faible adhésion au traitement soupçonnée,
sur- ou sous-consommation
h Ajustement des médicaments en présence
d’insusance rénale ou hépatique
h Sevrage de médicaments (déprescrire)
h Analyse des interactions médicamenteuses potentielles
h Déséquilibre électrolytique lié au traitement
médicamenteux
h Soutien à l’autogestion médicamenteuse
Patients chez qui il faut assurer l’adhésion aux critères
de bonne pratique de prescription ou de suivi
(respect des lignes directrices)
Personnes atteintes de :
h diabète ;
h insusance cardiaque ;
h maladies artérielles coronariennes ;
h trouble de santé mentale ;
h hypertension artérielle ;
h fibrillation auriculaire ;
h asthme.
Source : CIUSSS de la Capitale-Nationale. Intégration d’un pharmacien
dans un groupe de médecine de famille (GMF) – Guide d’accompagnement.
Québec : le CIUSSS ; 2016. 38 p. Reproduction autorisée.
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