EVOLUTION DU REGIME JURIDIQUE D’INDEMNISATION DES INFECTIONS NOSOCOMIALES: l’impact de la loi du 4 mars 2002 sur la jurisprudence Michel Penneau Service de Médecine Légale CHU ANGERS Une évolution en trois étapes 1988: première étape franchie par le Conseil d’Etat 1996: ralliement de la Cour de Cassation 2002: intervention du législateur Jurisprudence administrative avant 1988 Nécessité d’une faute prouvée Dans le contexte de la nécessité d’une faute « lourde », s’agissant d’actes médicaux Contrastant avec la suffisance d’une faute non qualifiée pour les actes de soins ou d’organisation du service CE N° 60776, 13 mars 1987 Melle Lamour Entorse ouverte de cheville, ostéite « Considérant ... que la responsabilité de l’établissement hospitalier ne peut être engagée [pour des actes médicaux] sur le terrain de la présomption de faute mais seulement s’il est établi ... qu’une faute lourde a été commise dans le choix du traitement ou la conduite des soins médicaux » La « technique » de la présomption de faute Les conséquences anormales d’un acte en principe bénin « révèlent une faute commise dans l’organisation et le fonctionnement du service » CE Ass. 7 mars 1958, Dejous Réservée aux actes non médicaux Obstacle de l’exigence de la faute « lourde » pour les actes médicaux ... Abandon de la faute lourde CE Ass. 10 avr. 1992, Mme V. Arrêt Cohen, CE 9 décembre 1988 Paraplégie secondaire à une méningite après sacco-radiculographie et cure de hernie discale Absence de faute prouvée pouvant être à l’origine de l’infection Le considérant de principe: « ... que le fait qu’une telle infection ait pu néanmoins se produire révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier à qui il incombe de fournir au personnel médical un matériel et des produits stériles... » Un changement de terrain! Du terrain de l’acte médical Au terrain de l’organisation et du fonctionnement du service Contournement de l’obstacle de la faute lourde Permettant le recours à la présomption de faute Le régime de la présomption de faute Renversement En de la charge de la preuve l’occurrence, à l’établissement de prouver que l’infection existait avant l’hospitalisation (CAA Nantes 22 nov. 1995, Centre Hospitalier du Pratel d’Auray) Nombreuses applications CE 1er mars 1989, arrêt Bailly, ostéite staphylococcique CE 14 juin 1991, arrêt Maalem, ostéite post opératoire de l’os frontal CE 19 févr. 1992, arrêt Musset, arthrographie de hanche, arthrite staphylococcique Deux idées sous jacentes Améliorer Inciter le sort des victimes à la lutte contre les infections nosocomiales Jurisprudence judiciaire Régime de la faute prouvée Civ. 1, 19 févr. 1991: entorse du genou, intervention, arthrite suppurée: « ne démontre pas à elle seule que la clinique ait manqué à son obligation de mettre en œuvre les mesures qui lui incombaient en vue de prévenir la survenance d’une telle complication » Conséquences Asymétrie de traitement entre patients Sans justification Une situation intenable A l’heure d’un rapprochement entre les JP administratives et judiciaires Civ. 1, 21 mai 1996 (arrêt Bonnici) Arthrite de cheville après intervention pour hyperlaxité ligamentaire « Mais attendu qu’une clinique est présumée responsable d’une infection contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée dans une salle d’opération, à moins de prouver l’absence de faute de sa part » Une présomption de faute (preuve contraire admise) Pour les actes réalisés en salle d’opération Civ. 1, 16 juin 1998 (Clinique Belledone) Extension à une salle d’accouchement Civ. 1, 29 juin 1999 Les trois arrêts dits des staphylocoques dorés Evolution vers une responsabilité « objective » fondée sur une obligation déterminée de résultat de sécurité Extension à la responsabilité du médecin (chirurgien, radiologue) à coté de celle de la clinique Exonération par la seule cause étrangère Au total CE : présomption de faute C Cass. : présomption de faute puis obligation de résultat de sécurité En pratique: exonération si preuve de l’infection préalable aux soins Loi du 4 mars 2002 Art. L. 1142-1 al. 2: « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère » Art. 1142-1-1 (L. du 30 décembre 2002): « ... ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale: les dommages résultant d’infections nosocomiales ... correspondant à un taux d’incapacité permanente supérieur à 25% ... ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales » Art. 1142-17 al.7: « Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l’office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l’article L. 1142-11, sauf en cas de faute établie de l’assuré à l’origine du dommage, notamment de manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales » Les apports de la loi Une responsabilité de plein droit, sauf cause étrangère, des seuls établissements Conséquence: la responsabilité civile du médecin ne peut être retenue que sur le fondement d’une faute Les dommages les plus graves sont à la charge de la solidarité nationale Sauf faute prouvée, notamment manquement caractérisé à la réglementation Les questions en suspens La La cause étrangère réelle portée de « l’irresponsabilité des médecins » La cause étrangère La distinction entre infection « endogène » et infection « exogène » Rejet lorsque le germe « endogène » ne devient pathogène qu’à l’occasion de l’acte médical (Civ. 1, 4 avr. 2006) Admission l’acte lorsque l’infection préexistait à La cause étrangère Le caractère « évitable » de l’infection? Vers une appréciation « in concreto » substituée à l’appréciation « in abstracto » actuelle? L’état initial ou antérieur pris comme « cause étrangère »? « L’irresponsabilité » des médecins? L’infection nosocomiale hors établissement Une responsabilité fondée sur la faute L’impossible preuve de la faute La résurgence possible de l’obligation de résultat de sécurité? La faute prouvée par la non obtention du résultat? L’impact de la loi du 4 mars 2002 Une affaire à suivre Ici Comme ailleurs!