LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? Fabienne SABOYA Professeure à l’IUFM de Versailles, UCP Si nous sommes amenés à réfléchir, aujourd’hui, à la question de l’enseignement pensé comme métier d’intervention sur autrui, c’est que, depuis une dizaine d’années, la notion d’intervention a investi le domaine de l’éducation après s’être installée dans les domaines de la santé et du social. Retenir l’idée d’intervention sur autrui, n’est évidemment pas neutre et nous avançons l’hypothèse que cette nouvelle désignation du métier d’enseignant, si nous l’adoptons, revient à redéfinir ce métier et amène donc à repenser la préparation de son exercice. Pour montrer la validité de cette hypothèse et en tirer les conséquences, nous procéderons en trois temps de durées inégales : 1. D’abord à partir d’un rapide examen de possibles acceptions du terme intervention, nous définirons celle qui nous paraît adéquate dans le champ de l’enseignement à l’aide de cinq caractéristiques essentielles de cette notion. 2. Ensuite, en reprenant chacune de ces cinq caractéristiques de la notion d’intervention, nous montrerons que sa mobilisation dans le champ de l’enseignement fonctionne comme révélateur et comme opérateur d’une professionnalité enseignante nouvelle. 3. Dans une troisième et dernière partie, nous tirerons les conséquences de l’adoption de la notion d’intervention sur autrui dans le champ de l’enseignement et dégagerons quelques principes relatifs à l’organisation d’une formation à l’exercice de ce nouveau métier. DEFINITIONS DE LA NOTION D’INTERVENTION Approches usuelles Si, suivant la tradition intellectuelle française, nous remontons à l’étymon, nous trouvons pour le mot intervenir l’idée de « venir entre », c’est-à-dire de s’intercaler dans un processus, prendre part à une action, à une activité, avec l’intention d’influer sur son déroulement. Comme vous le savez, « l’enfer étant pavé de bonnes intentions », notre mot, sous un aspect neutre, se charge vite de connotations opposées. ¾ Pour ce qui est du pôle négatif, citons quelques exemples : Un premier est emprunté à Yves Lenoir, titulaire de la chaire d’intervention éducative au Centre de recherche sur l’intervention éducative (CRIE) à Sherbrooke au Québec. Ce chercheur nous apprend dans l’un de ses articles1 que le mot intervention dans certains pays d’Amérique du Sud, parce qu’il rappelle de sombres moments de l’histoire de ces pays, a une telle charge négative qu’il est banni du vocabulaire, comme pouvait l’être, en France, le mot collaboration au sortir de la deuxième guerre mondiale. 1 Lenoir Y., Larose F., Deaudelin C., Kalubi J-C., Roy G-R., (2002), L'intervention éducative: clarifications conceptuelles et enjeux sociaux. Pour une reconceptualisation des pratiques d'intervention en enseignement et en formation à l'enseignement, Esprit critique, vol 04, N°04, avril 2002, consulté le 27/05/07 sur Internet: http://www.espritcritique.org 1/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA Nous pouvons trouver des exemples moins caricaturaux, pris dans des expressions du langage commun, qui associent l’action d’intervenir à un acte intempestif : « Je me suis décidé à intervenir, mais j’aurais mieux fait de m’abstenir … ; elle n’a pas cessé d’intervenir …, si bien que nous avons perdu un temps fou … » Ne multiplions pas les exemples pour le pôle négatif puisque vous voyez très bien de quoi il s’agit. ¾ Pour le pôle positif, nous rencontrons des expressions comme : « Heureusement qu’elle était là, son intervention m’a sauvé … », ou encore « C’est grâce à l’intervention de mon ami untel que mon projet a abouti … » Inutile de multiplier les formules, soulignons que cette notion d’intervention est, à notre avis, un bel exemple des effets d’incompréhension et même des dangers que produisent les phénomènes de migration d’un mot, d’un contexte d’usage à un autre, d’un jeu de langage à un autre, pour reprendre les termes du philosophe Wittgenstein. Définition de la notion intervention sur autrui dans le champ des sciences sociales Pour tenter de comprendre les conséquences de l’adoption du terme intervention sur autrui, dans le champ de l’enseignement, il vaut mieux savoir que la notion d’intervention est extraite des sciences sociales, qu’elle apparaît dans les années trente2 en présentant une grande proximité de sens avec la notion de recherche-action avec laquelle elle va se trouver en concurrence, par ailleurs. Nous n’allons bien évidemment pas entrer ici dans la question complexe des rapports concurrentiels entre intervention et recherche-action, mais nous pouvons retenir que le concept d’intervention tout en définissant « une action visant des changements positifs individuels ou collectifs » s’ancre dès son origine dans une problématique du lien entre recherche et action, entre théorie et pratique. En suivant cette piste, nous allons maintenant dégager cinq caractéristiques (ou attributs) de ce concept « intervention », sorte de dénominateurs communs qui se dégagent des usages de cette notion ou concept en sciences sociales, en psychosociologie, pour être plus précis. Notre approche pourra paraître bien sommaire et même caricaturale par rapport aux travaux de certains auteurs3, mais nous ne recherchons pas l’exhaustivité et surtout, par souci de méthode et de clarté, nous ferons l’impasse sur les éléments distinctifs des différentes définitions de la notion dans ce champ. Caractéristiques de la notion d’intervention sur autrui : ¾ Caractéristique 1 : l’adoption du présupposé selon lequel un changement dans le sens d’une amélioration est toujours possible. ¾ Caractéristique 2 : La « réalité » sur laquelle se fait l’intervention présente un réseau de résistances à percevoir et à faire déconstruire pour permettre la reconstruction d’une « réalité » nouvelle appréciée en terme de progrès. ¾ Caractéristique 3 : l’intervenant adopte une posture éthique d’aide et de bienveillance. ¾ Caractéristique 4 : les « sujets-cibles » de l’intervention doivent en connaître et en comprendre les objectifs, les moyens et les effets. ¾ Caractéristique 5 : l’intervenant engage un travail d’analyse de son propre fonctionnement, acquiert une conscience critique de son activité et produit un savoir expérientiel à partir des situations vécues. Voilà ce qu’il en est d’une définition a minima de la notion d’intervention, extraite du champ duquel elle est issue. 2 Selon les auteurs du Vocabulaire psychosociologique (BARUS-MICHEL J., ENRIQUEZ E., LEVY A. (dir),(2006), Vocabulaire de la psychologie sociale. Positions et références, Ramonville Saint- Agne, érès). 3 DUBOST J.,(1980), L’intervention institutionnelle, Paris, Payot. LEVY A., (1997), Sciences cliniques et organisations sociales, Paris, PUF. 2/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA A présent, nous allons examiner les conséquences du choix de cette notion dans le champ de l’enseignement, sur la définition même du métier d’enseignant. II. NOTION QUI FONCTIONNE COMME REVELATEUR PROFESSIONNALITE ENSEIGNANTE NOUVELLE ET COMME OPERATEUR D’UNE Reprenons chacune des caractéristiques et voyons en quoi elle peut orienter ou modifier l’idée communément admise du métier. Caractéristique 1 (Cr1) : l’adoption du présupposé selon lequel un changement dans le sens d’une amélioration est toujours possible. Nous retrouvons là la question de l’éducabilité de tous, qui peut être philosophiquement tranchée comme a pu le faire, par exemple, le philosophe républicain Alain au début du siècle. Mais, parce qu’elle est fortement marquée idéologiquement, cette question réapparaît régulièrement sous quelques avatars, citons : • l’idéologie des dons, servie par des travaux contradictoires de généticiens, soutient qu’il y aurait génétiquement, n’est-ce pas, des doués en math ou en français, ou en … et des nondoués ; • l’idéologie du darwinisme social, cherchant appui sur des travaux de sociologie, ferme les possibles en fonction du milieu et de la culture d’appartenance (pensons au concept de handicap socio-culturel.) Retenons que : Penser l’enseignement comme un métier d’intervention sur autrui, c’est opter pour le principe d’éducabilité de tous et assigner comme objectif du métier d’enseignant « la réussite de tous les apprenants ». Ce qui, bien sûr, accroît considérablement la responsabilité de l’enseignant et déplace le lieu d’imputation des difficultés ou des échecs scolaires. Caractéristique 2 (Cr2) : La « réalité » sur laquelle se fait l’intervention présente un réseau de résistances à percevoir et à faire déconstruire pour permettre la reconstruction d’une réalité nouvelle appréciée en terme de progrès. Dans le champ de l’enseignement, l’idée à retenir est qu’autrui n’est pas un tout homogène, réceptacle de savoirs, mais que c’est toujours un sujet traversé de conflits, de contradictions, de résistances internes pouvant justement faire obstacle à l’acquisition de connaissances, au développement de capacités et à l’adoption de certaines attitudes. Là encore l’idée, dans le champ de l’enseignement, n’est pas neuve : au début du siècle Gaston Bachelard posait l’idée de représentations premières, d’obstacles épistémologiques barrant la route à l’acquisition de nouvelles connaissances. Un peu plus tard, le philosophe de l’éducation Olivier Reboul dans son texte désormais classique Qu’est-ce qu’apprendre ? faisait une étude très fine de ce phénomène. Plus récemment des chercheurs comme Francis Imbert et Mireille Cifali reprenant des outils de la psychanalyse étudient ces phénomènes de résistance à travers l’effet loupe que constituent des cas de très fortes résistances à tout apprentissage et nous alertent sur tous les phénomènes affectifs qui circulent. La dimension sociologique n’est pas à oublier et là encore depuis longtemps des chercheurs, comme William Labov, ont montré ces phénomènes de résistance à l’apprentissage de langues différentes de la langue maternelle pour l’apprenant ; les célèbres travaux sur les conflits culture d’appartenance/ culture de référence ont aussi affaire avec cette question. Bien sûr, toutes ces résistances ne sont pas conscientes, intentionnelles, mais elles sont souvent là, elles ont une réalité que l’enseignant a toujours à prendre en compte. Dire que l’action d’enseigner est une action d’intervention sur autrui, n’est-ce pas proposer d’envisager cette action en termes d’activités d’interposition entre les forces de résistance et les forces 3/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA de progrès qu’autrui porte en lui, pour l’épauler, le soutenir dans son activité d’apprentissage et l’aider à passer les obstacles de tous ordres qu’il rencontre? La question est alors double : comment l’enseignant peut-il percevoir ces réseaux de résistance, comment peut-il aider les élèves à franchir les obstacles que ces réseaux constituent ? La question croît en complexité quand on prend en compte le fait que l’enseignant ne s’occupe pas d’un seul apprenant mais d’une classe qui peut en comprendre un très grand nombre et que les phénomènes de groupes peuvent déjà à eux seuls constituer un nœud non négligeable de résistances, comme l’ont montré de nombreuses recherches concernant la dynamique de groupes. Il est probable que des éléments de réponse sont à chercher dans une bonne connaissance de ces phénomènes, mais aussi dans le développement de capacités et d’attitudes qui permettent de travailler de manière constructive avec les partenaires des enseignants. Ce qui est sûr, c’est que l’action de l’enseignant ne peut pas se réduire à une seule énonciation d’un savoir, même antérieurement clairement et logiquement organisé, mais qu’elle exige aussi de prendre en compte les caractéristiques d’un apprenant évoluant dans un groupe. Penser l’enseignement comme un métier d’intervention sur autrui, c’est penser que ce métier place l’apprenant au centre du processus enseignement/apprentissage et exige donc la mobilisation d’une grande diversité de compétences, comme par exemple : - évaluer le profil de l’apprenant et du groupe dans lequel il se situe ; - concevoir gérer et évaluer des situations d’enseignement/apprentissage ; - (…) Caractéristique 3 (Cr3) : l’intervenant adopte une posture éthique d’aide et de bienveillance. Ici, c’est la mobilisation de la notion d’autrui dans le champ de l’enseignement qui est à questionner car employer le terme autrui dans ce champ, ce n’est ni employer le terme d’enfant (souvenons-nous que c’est celui qui n’aurait pas la parole, mieux peut-être qui n’aurait pas droit à la parole), ni celui d’élève (qui porte le risque d’être comparé à quelque petit végétal ou quelque petit animal qu’il faudrait arroser et nourrir de connaissances pour qu’il grandisse ; je n’ai pas le temps de développer l’idée, mais rappelons-nous, avec le malicieux Daniel Hameline4, que les métaphores jouent toujours une fonction). Retenons qu’employer le terme autrui, c’est faire appel à une notion philosophique qui pose un autre que moi et un autre moi ; autrui c’est le semblable et c’est le prochain qui implique proximité et sollicitude. Nous pouvons nous reporter à la réflexion qu’a menée Emmanuel Lévinas Lévinas5, auteur qui demande d’entendre dans sollicitude la double idée que porte le terme solliciter. Reste posée la question du semblable et de l’égalité formelle. Car si autrui est un être humain qui doit être traité comme je souhaite l’être, sur quel pied d’égalité peuvent se situer deux êtres aux statuts si différents (enseignant/ enseigné) ? C’est la question de la posture de l’enseignant, pour le moins, qui est posée ici et il faudra alors penser que la sollicitude du maître n’exclut ni la rigueur, ni l’exigence du meilleur pour l’apprenant dans l’exercice de l’autorité. Penser l’enseignement comme un métier d’intervention sur autrui, c’est dire que la relation maître/élève(s) est pensée et agie en prenant la mesure de sa dimension éthique. 4 HAMELINE D., (1982), L’éducation, ses images et son propos, Paris, ESF. LEVINAS E., (1991), Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Grasset ; LEVINAS E., (1982), Éthique et Infini. Dialogues avec Philippe Nemo., Paris, Arthème Fayard. 5 4/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA Caractéristique 4 (Cr4) : « les sujets-cibles » de l’intervention doivent en connaître et en comprendre les objectifs, les moyens et les effets. Dans le contexte de l’enseignement, il s’agit simplement de faire en sorte que les élèves ne subissent pas seulement des situations d’enseignement et qu’ils soient acteurs dans le processus d’enseignement/apprentissage, pour reprendre cette formule devenue un classique dans des Instructions Officielles françaises. Sur le plan de la réalisation pratique cela nous ramène au point précédent qui place l’apprenant au cœur du processus d’enseignement/apprentissage. Cela peut vouloir dire aussi qu’il est nécessaire que les élèves soient informés des programmes, des démarches pédagogiques et du résultat des évaluations diversifiées (les évaluations diagnostiques, formatrices sont un bon exemple de ce qui est accessible aux apprenants). Ce « connaître » et ce « comprendre » peuvent prendre une forme quotidienne d’une présentation de programme de la journée, de retour en fin de journée sur ce qui a été fait, appris, à retenir de manière synthétique, ce qui est envisageable à court et à moyen terme. Il peut prendre la forme d’une explicitation des démarches d’apprentissage mobilisées par des apprenants. Voilà pour des exemples très concrets … L’essentiel étant que l’apprenant comprenne ce qu’il a à faire à l’école et que les activités dans lesquelles il est engagé prennent sens pour lui afin que l’enseignant ait une chance de pouvoir solliciter son engagement, son attention, sa nécessaire production d’efforts, son indispensable acceptation d’une certaine frustration …, car l’activité d’apprendre se fait à la place d’autres activités qui peuvent paraître plus séduisantes au premier abord. Penser l’enseignement comme un métier d’intervention sur autrui, implique que l’enseignant organise son enseignement de manière à ce que l’apprenant soit acteur de ses apprentissages auxquels il donne sens dans l’ici et le maintenant. ¾ Caractéristique 5 (Cr5) : l’intervenant engage un travail d’analyse de son propre fonctionnement, acquiert une conscience critique de son activité et produit un savoir expérientiel à partir des situations vécues. Nous voyons la figure du praticien réflexif se dessiner ; figure qui a fait l’objet de nombreuses recherches et productions en Amérique du nord et en Europe depuis que son père fondateur Schön en a tracé les contours dans son texte Le praticien réflexif6. C’est une problématique que nous n’avons pas le temps de développer. Mais ce qu’il faudrait retenir, c’est que : Penser l’enseignement comme un métier d’intervention sur autrui, c’est dire que l’enseignant est capable d’entrer dans un processus d’analyse de sa pratique pour tirer les leçons de ce qui réussit et de ce qui fait problème dans ses activités et procéder aux réajustements nécessaires en construisant des savoirs d’action. Au terme de ce parcours, en cinq étapes, avec des approximations, répétons-le, nous voyons que penser l’enseignement comme métier d’intervention sur autrui revient à définir une professionnalité nouvelle de l’enseignant à laquelle d’ailleurs appellent, depuis longtemps, de nombreux pays. En France, c’est le rapport Bancel7 qui, pour répondre aux exigences de la loi de 1989, posera ce principe d’une professionnalité nouvelle des enseignants. 6 SCHÖN D.A., (1994), Le praticien réflexif, Montréal, Logiques. BANCEL D., (dir.), (1989), Créer une nouvelle dynamique de la formation des maîtres, Paris, Ministère de l'Education nationale. 7 5/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA Professionnalité que le recours à la notion d’intervention sur autrui nous a amené à caractériser en termes de : ¾ 1. visées : la réussite de tous (Cr1) et l’installation de l’apprenant au cœur du processus d’apprentissage (Cr2) et (Cr3) ; ¾ 2. responsabilité et de posture éthique (Cr1) et (Cr4) ; ¾ 3. posture réflexive (Cr5). ¾ 4. compétences ou de gestes professionnels à mobiliser (Cr2) ; III. CONSEQUENCES ET BALISES PERMETTANT DE PENSER L’ORGANISATION DE LA FORMATION 1) Un métier nouveau Revenons un instant sur l’idée posée d’une professionnalité nouvelle de l’enseignant et examinons en trois points articulés ce que cela veut dire relativement à la définition de l’enseignement comme métier. ¾ Cela veut dire d’abord que l’enseignement est un métier et, nous nous excusons de ce truisme, cela exclut l’affirmation selon laquelle une bonne instruction peut suffire pour enseigner. Il faut bien constater, à entendre des professeurs stagiaires, que tout le monde n’en est pas encore persuadé (surtout si ces professeurs enseignent en terminale S dans un lycée recrutant une population socio-culturellement favorisée). ¾ L’enseignement est donc un métier, nous l’avons compris, mais ce n’est pas un métier qui consiste en l’exécution de techniques aisément identifiables, reproductibles à coup sûr, disons de recettes infaillibles, de routines aisément assimilables ; son apprentissage ne peut donc se faire selon une perspective « applicationniste ». ¾ Cela veut surtout dire que ce métier s’apparente à une profession. Et, sans entrer dans la très complexe question de la définition d’une profession, aux enjeux théoriques et sociaux que nous connaissons, disons que l’enseignement pensé comme métier d’intervention sur autrui est une profession dans le sens où les traits de la professionnalité qui contribuent à la caractériser et que nous avons dégagés ne peuvent que renvoyer à un référentiel de compétences ne s’enfermant pas dans une rationalité technique qui empêcherait l’adaptation aux conditions changeantes des situations singulières ; adaptation que supposent et permettent par exemple, les compétences comme : « concevoir une situation d’enseignement/apprentissage » ; « adopter une posture éthique » ; ou bien « opérer un retour réflexif sur sa pratique ». La question est maintenant de savoir comment préparer les enseignants à ce nouveau métier, comment organiser la professionnalisation des enseignants. 2) Eléments de réflexion pour concevoir un dispositif de professionnalisation des enseignants a. Une base de savoirs et d’expériences sur la professionnalisation des enseignants Comme chacun le sait ici, la question de la professionnalisation des enseignants a fait l’objet d’un très grand nombre de recherches et de multiples propositions ; elle reste en débat dans de très nombreux pays. En France le rapport Bancel, en 1989, est à l’origine de la création des Instituts Universitaires de formation des Maîtres (IUFM) qui avaient pour mission de former les enseignants à une nouvelle professionnalité. Cette formation a fait l’objet de très nombreuses critiques, en particulier son aspect trop théorique, à distance des réalités du terrain, a été maintes fois dénoncé, en particulier par les formés. Un texte officiel récent (l’arrêté du 19/12/068 ) réorganise la formation des enseignants avec la visée annoncée de pallier les défauts dénoncés de la formation antérieure. 8 CAHIER DES CHARGES DE LA FORMATION DES MAITRES EN INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FORMATION DES MAÎTRES, Arrêté du 19-12-2006, BO 1 du 4 janvier 2007, consulté sur internet le 28/05/07 : http://www.education.gouv.fr/bo/2007/1/MENS0603181A.htm. 6/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA Nous pourrions d’ailleurs nous livrer à l’exercice qui consiste à mettre nos cinq caractéristiques en regard des dix compétences du nouveau référentiel du métier d’enseignant officiellement établi en France par cet arrêté du 19/12/06 et construire un faisceau de correspondances, très touffu, surtout si nous allons regarder du côté des cent dix-huit connaissances, capacités et attitudes que décline le texte. Nous n’allons pas nous lancer dans une telle entreprise puisque ce nouveau Cahier des charges de la formation des maîtres n’est pas adapté au contexte de notre réflexion d’aujourd’hui : il concerne la formation initiale de personnes déjà engagées au niveau de leur licence dans un processus de professionnalisation. Mais ce texte mobilise deux notions que nous retrouvons désormais immanquablement quand il s’agit de penser la professionnalisation des enseignants… b. Balises pour concevoir un dispositif de professionnalisation b.1) Deux notions centrales Il s’agit de ces deux notions que nous trouvons de manière récurrente dans les textes traitant de la professionnalité des enseignants. La première est la notion d’alternance qui nous ramène à la source de notre réflexion et de notre remarque selon laquelle la notion d’intervention renvoie à la problématique du lien recherche/action, dit autrement, pour nous : théorie/pratique. La seconde est la notion d’accompagnement, -qui fait l’objet de nombreuses recherches dans une grande diversité de champs de pratique et de champs de recherche depuis plusieurs années. Nous proposons de la penser, de façon sûrement réduite mais opératoire, comme dispositif d’aide à l’analyse de ... b.2) Proposition pour une modélisation du processus de professionnalisation des enseignants Comme le représente le schéma reproduit ci-dessous, ce processus de professionnalisation est conçu selon un mode spiralaire décliné en plusieurs phases : Phase 1 : à partir d’une expérience de terrain [PR1] analysée grâce à un accompagnement [AC] (selon une modalité qui varie en fonction du contexte local), un mouvement accompagné de problématisation d’éléments de cette pratique de terrain peut s’opérer [AC PR/T] et s’ouvrir sur un travail de construction théorique [T], lui-même accompagné [AC], pour fournir les éclairages appropriés susceptibles de permettre des progrès dans la compréhension des problèmes posés par la pratique de terrain, nouvellement anticipée à l’aide d’un accompagnement [AC T/PR]. Phase 2 : elle démarre alors à partir d’une expérience de terrain autre [PR2], puisque enrichie par le parcours de formation précédent, cette pratique de terrain est analysée grâce à un nouvel accompagnement [AC] et ainsi de suite … En fonction des besoins de formation, mais aussi des moyens disponibles pour cette formation une phase 3, … une phase n pourront se développer. Le dispositif de professionnalisation modélisé ici permet de jouer sur le nombre, la durée des phases et le temps de latence pouvant les séparer. 7/8 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE Séminaire international : 11-15 juin 2007 PENSER L’ENSEIGNEMENT COMME UN METIER D’INTERVENTION SUR AUTRUI : QUELLES CONSEQUENCES POUR L’EXERCICE DU METIER D’ENSEIGNANT ET POUR SA PREPARATION ? – Fabienne SABOYA PR : Pratique de terrain AC : Accompagnement AC PR/T AC PR/T AC PR/T Phase n AC PR/T : Accompagnement du lien PR/T AC T/PR: Accompagnement du lien T/PR E T C. AC T : Théorie AC AC PR3 T3 PR2 PR1 T2 AC AC T1 Phase 3 AC Phase 1 Phase 2 AC T/PR AC T/PR AC T/PR 8/8