Le théâtre Etymologie grecque : Théos= dieu +théaomai= contempler donc : contempler un spectacle sacré 1. Pourquoi ? Le théâtre puise son origine dans la Grèce antique, au Vème siècle avant Jésus Christ, à Athènes. Il est né pendant les f^tes données en l’honneur de Dionysos vers 550 avant J.C.. Les Dionysies étaient de véritables fêtes nationales et les représentations théâtrales faisaient participer tout le peuple à cette célébration. La cité organisait des festivités dans toute la ville et les spectacles étaient gratuits car les citoyens les plus riches en assumaient les frais. Le théâtre était alors l’expression d’une culture populaire. La ville entière était en liesse et des défilés étaient organisés (Comos = défilés burlesques d’où l’étymologie du terme Comédie.) Les pièces de théâtre données obéissaient à une organisation bien définie : les représentations avaient lieu uniquement pendant les Dionysies et donnaient lieu à des concours. Chaque concours mettait en compétition trois dramaturges, sur un thème donné et se rapportant à la même légende et un drame satirique. Les grands auteurs tragiques et qui gagnèrent le plus souvent les Prix sont Eschyle (13 fois), Sophocle (20 fois) et Euripide (5 fois). Chaque tragédie était écrite en vers, chantée ou déclamée avec accompagnement musical. Sa structure était spécifique : Un prologue où était rappelé la légende (Anouilh en 1942 reprend ce prologue dans son Antigone) Un parodos, entrée solennelle du chœur conduit par le choryphée Des épisodes, ou scènes, entrecoupés par les chants du chœur qui tenaient lieu d’entractes. Il y avait cinq parties correspondant à peu près à cinq actes. L’exodos qui correspond au dénouement et la sortie du chœur. L’étymologie du terme de tragédie est encore discutée mais semble venir de la connotation religieuse des fêtes pendant lesquelles elles étaient données : tragos= cochon /odé= chant d’où l’étonnante étymologie : le chant du cochon ! Ce cochon qui est pris au hasard dans un troupeau (fatalité), qui se trouve impuissant à se défendre contre cette fatalité (Impuissance à lutter contre cette fatalité) va mourir sur l’autel du sacrifice (la mort) et ainsi trouvons-nous dans cette origine toutes les caractéristiques du héros tragique ! C’est de la tragédie grecque que va naître le théâtre. C’est donc une œuvre lyrique en vers, représentant les infortunes de personnages empruntés aux mythes ou à l’histoire antiques et qui inspire terreur et compassion ; elle est appelée à réaliser la catharsis ou purgation des passions prônée par Aristote : « La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, et qui a sa juste grandeur. Cette imitation se fait par un discours, composé pour le plaisir, de telle sorte que chacune des parties qui le composent subsiste et agisse séparément et distinctement. Elle ne se fait point par un récit, mais par une représentation vive qui, excitant la pitié et la terreur, purge et tempère ces sortes de passion. C’est-à-dire qu’en émouvant ces passions, elle leur ôte ce qu’elles ont d’excessif et de vicieux, et les ramène à un état modéré et conforme à la raison. » Ainsi le spectateur se « purge »-t-il de ces passions parfois si encombrantes ! Ce qui fera dire à Voltaire bien plus tard que « La véritable tragédie est l’école de la vertu. » un siècle après Racine dans la préface de sa tragédie, Phèdre : « Les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et hair la difformité. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer. » Les acteurs étaient des hommes et portaient des masques décorés avec soin ; le terme d’acteurs se disait en Grec : « upokruptès »= upo=dessous / krupto= caché ( une crypte est caché sous l’église) d’où l’évolution du mot chez nous à notre époque : hypocrite= celui qui cache son vrai caractère sous un masque !! Mais la Comédie grecque va naître aussi pendant les Dionysies ; elle a pour origine le terme grec « comos » qui désignait des défilés burlesques en l’honneur du dieu de l’ivresse (Bacchus). Ces défilés faisaient rire et étaient l’apanage de la fête et de la joie bruyante. D’où l’origine du mot comédie : ce qui fait rire et se finit bien. Sa structure est plus simple que la tragédie : L’agon, sorte de joute oratoire La parabase Les scènes entrecoupées de chants satiriques du chœur. Car elle était aussi entrecoupée de passages chantés comme la tragédie. Ses thèmes étaient beaucoup plus proches du peuple, empruntés à la vie sociale, à l’actualité politique ou littéraire de l’époque. Elle a des intentions critiques évidentes et fait la satire des mœurs de son époque. Tout comme le dira au XVIIème siècle, Molière : « Castigat ridendo mores » : elle châtie les mœurs en riant ! Un auteur à retenir : Aristophane. Dans la mise en scène, quelques différences majeures laisseront leurs marques dans le théâtre par rapport à la tragédie : Davantage de mouvement, un dialogue plus vif et un langage plus proche du populaire. Nous retrouverons ces caractéristiques dans le théâtre classique du XVIIème siècle. 2. Le Moyen-âge et le théâtre Il est très abondant. Mais il faut en voir deux sortes : Le théâtre sacré : qui naît de la liturgie et apparaît sous la forme de Miracles », pièces familières et réalistes ; de « Mystères » qui puisent leurs sources dans les textes bibliques et retracent l’histoire sainte de la création à la résurrection ; il faut y voir une forte tonalité didactique. Il informe le peuple de la vie des Saints et des comportements à tenir au nom de l’Eglise. Il se joue sur les parvis des églises et cathédrales. Le théâtre profane, lui, est d’inspiration franchement comique. Ce sont les farces et les satires qui mettent en scène des Fous qui peuvent se permettre toutes les fantaisies. A lire la Fête des Fous dans NotreDame de Paris de Victor Hugo. Beaucoup sont encore écrits en vers mais la prose commence à prendre sa place. Le théâtre de cette époque est surtout un théâtre de plein-air. 3. La renaissance et l’Humanisme seront marqués par le théâtre étranger : Le XVIème siècle. En France le genre perd de son importance après l’interdiction des Mystères par le Parlement de Paris Nous voyons l’émergence du théâtre élisabéthain et celui de la Commédia del’Arte qui nous arrive d’Italie. Le théâtre élisabéthain : Marqué par le dramaturge, Shakespeare. C’est un théâtre nouveau, qui allie dans une même pièce toutes les tonalités. Ainsi trouverons-nous dans les pièces de Shakespeare un registre fantastique, côtoyant le registre tragique et comique ! On ne peut alors plus vraiment parler de tragédie ou de comédie puisque on peut rire et pleurer tour à tour dans la même pièce ! C’est ainsi qu’est né le terme de pièce baroque, au même titre que nous entrons dans l’ère de l’art baroque en Europe. Il deviendra le mouvement principal de cesiècle. Pourquoi ce terme ? Il vient du Portugais « Barocco » qui veut dire « perle imparfaite ». Ainsi la pièce baroque se caractérise-t-elle par le mélange des registres et des genres ainsi que par l’aspect éphémère de la vie…Tout semble appeler à disparaître…et à se métamorphoser ; une conscience aigue de la mort hante les œuvres baroques. Nous citerons les œuvres les plus connues de Shakespeare, telles que Hamlet, Macbeth où le fantastique côtoie tour à tour le tragique et le comique, mais aussi Roméo et Juliette, bien sûr. Ce théâtre influencera trois siècles plus tard le drame romantique de Musset ou Hugo. Il apporte une autre vision du personnage de théâtre ; il est plus proche du spectateur car il lui ressemble davantage : un être humain pleure, rit, se met en colère et sa vie n’est pas seulement heureuse ou tragique ! L’être humain a mille ressentis différent et n’est pas seulement comique ou tragique ! Ainsi le personnage de la pièce baroque ou du drame romantique plus tard est-il davantage un « miroir » pour le spectateur qui s’identifiera plus facilement à lui. Et puis en ce siècle d’humanisme, mouvement essentiellement venu d’Italie, naîtra la Commédia del’Arte. C’est un théâtre d’improvisation, avec des personnages caractéristiques tels que Scaramouche, Pierrot et Colombine, Arlequin…La troupe poursuivra ses tournées jusqu’à la fin du XVIIème siècle puisque les « Italiens » partageront la salle de théâtre donnée par le Roi Louis XIV avec Molière. En France, le XVIème siècle ne sera pas un grand siècle pour le théâtre : Il y a survivance d’un théâtre comique issu des farces du Moyen-âge qui annoncera peu à peu la comédie de Molière. 4. Le théâtre classique du XVIIème siècle Ce sera l’âge d’or du théâtre français. Le XVIIème siècle est le siècle du classicisme et se caractérise par ses règles qui touchent tous les arts et en particulier celui du théâtre. En effet dès 1635 Richelieu fonde l’académie Française qui règlementera la littérature par des règles strictes et valorisera la langue française. Elle traduit aussi la volonté de « discipliner l’art littéraire » Le théâtre sera dignement représenté dans une France en plein essor et heureuse de montrer sa puissance. La tragédie et la tragi-comédie connaîtront un grand succès auprès de la Noblesse. Puis la comédie prendra sa place chez la bourgeoisie. Ce siècle est marqué par trois grands dramaturges : Corneille, Racine et Molière. Tous trois devront obéir aux grandes règles du théâtre classique écrites par Boileau dans son Art poétique. Ainsi en verrons-nous les principales : La règle des trois unités illustrée par ces vers de Boileau : « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. » : unité de lieu ; unité de temps et unité d’action pour mener à bien la représentation d’une pièce. L’unité de lieu : Toute la pièce devait se dérouler dans le même lieu. Cela évitait de changer les décors ; ce qui était difficile à l’époque bien sûr mais surtout très dangereux vu l’éclairage par bougies. L’unité de temps : « La représentation dure deux heures, et ressemblerait parfaitement, si l’action qu’elle représente n’en demandait pas davantage pour sa réalité » Corneille. En effet comment faire croire qu’en deux heures de temps se passent plusieurs jours, voire semaines ? C’est donc dans un effort de « faire vrai » que cette règle voit le jour. L’unité d’action : « L’unité d’action consiste, dans la comédie, en l’unité d’intrigue ou d’obstacle aux desseins des principaux acteurs, et en l’unité de péril dans la tragédie, soit que son héros y succombe, soit qu’il en sorte. » Corneille. Une seule intrigue principale pour que le spectateur ne se perde pas dans trop d’actions vu que le théâtre est un art visuel qui ne permet pas de retour en arrière pour mieux comprendre. Ces trois unités correspondent bien au goût de l’époque : Clarté et rigueur. La règle de bienséance : Il s’agit de ne pas MONTRER la violence, les meurtres, la mort pour ne pas choquer les spectatrices…Mais on peut RACONTER à un confident ou à une servante la mort d’un personnage. La règle de vraisemblance : « Faire vrai » car le « théâtre est art d’imitation » mais ne peut donner tout le vrai…Donc seulement la vraisemblance : c’est-à-dire qu’est exclu la tonalité fantastique sur scène…même si tout n’est pas vrai on fait en sorte que cela y ressemble. On ne MONTRE pas ce qui est impossible mais on peut le RACONTER : ainsi le confident et ami de Thésée raconte-t-il la mort de son fils emporté par un monstre sorti des flots…On ne le voit pas… La règle de la séparation des genres : « On tremble chez Corneille = la tragi-comédie On pleure chez Racine = La tragédie On rit chez Molière = la comédie. » Le dramaturge ne peut pas mêler comique et tragique ! Ici, nous retrouvons cette séparation des genres dans l’Antiquité mais disparu au 16ème siècle en Angleterre avec les pièces baroques de Shakespeare. Toutes ces règles n’ont pas toujours été suivies par…Molière notamment : Dans sa pièce Dom Juan, 1665, Molière ne suit en aucun cas aucune de ces trois règles et sa pièce introduit le baroque dans la dramaturgie : mélange des genres, éclatement des règles, et une course effrénée vers la mort malgré les « bons mots » de Sganarelle. Les caractéristiques de chaque genre au XVIIème siècle : La tragédie : Elle est représentée par deux grands dramaturges : Pierre Corneille et Jean Racine. Corneille (1606/ 1684) connut une longue carrière marquée tout d’abord par des pièces d’inspiration baroque telle l’illusion comique puis par une éclatante tragi-comédie : Le Cid et enfin par des tragédies très classiques comme Cinna ou Polyeucte. Ses thèmes de prédilection sont l’honneur et l’amour…Héros donc toujours partagés. Mais sous le règne de Louis XIV, le public lui préférera son rival : Jean Racine (1639/ 1699) qui nous laisse de magnifiques pièces comme Andromaque, Britannicus ou Phèdre. Il reste le peintre de la fatalité, de la passion, écrites en vers d’une poésie limpide et pure qu’on ose appelée « poésie racinienne » bien que ce soit des pièces de théâtre. Obéissant aux règles du théâtre classique et à la définition de la tragédie antique, la tragédie classique s’adresse à un public lettré, donc noble, puisqu’elle est écrite en vers, en langage soutenu, et se passe dans le milieu de la Noblesse. Les thèmes sont très souvent issus de l’Antiquité : amour, passion, et tragique. Plus sobre que la comédie, les acteurs ont une gestuelle pleine de noblesse et de pudeur, et les longues tirades décrivent les passions et ressentis des personnages. La fin de la tragédie est toujours malheureuse : mort physique ou mort morale (comme dans Titus et Bérénice). La comédie : Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, incarne à lui seul la diversité et la vivacité de la comédie classique et baroque du XVIIème siècle. « Castigat ridendo mores », elle châtie les mœurs en riant, et peu de défauts lui échappent. En effet Molière n’épargne personne dans sa « comédie humaine » : il dénonce tout en faisant rire dans ses comédies de caractère telles l’Avare, le Misanthrope ou dans ses comédies de mœurs comme dans l’Ecole des femmes. Il attaque violemment l’hypocrisie de son temps comme dans son Tartuffe. Ce qui lui vaudra bien des déboires avec la censure et les Jésuites… Il s’inspire aussi des pièces baroques comme dans Don Juan La comédie de par son étymologie grecque doit faire rire et donc sera un divertissement tout en faisant réfléchir sur certains côtés de la nature humaine. Elle va s’adresser au plus grand nombre et son langage courant voire parfois même familier se fera comprendre de toutes les classes sociales : mettant en scène des personnages de la bourgeoisie et du peuple, elle parlera à ces deux classes sociales autant qu’à la noblesse. La vivacité de son rythme entraînera une gestuelle vive et colorée, et des dialogues qui alternent des répliques plus ou moins longues mais bien peu de tirades, souvent présence de stichomythies (joutes verbales rapides qui forcent le rire du spectateur), beaucoup d’apostrophe, d’interjections voire même de jurons qui sont là et pour faire vrai et pour faire rire ! Le dénouement sera toujours heureux même si pour cela tout peut paraître frôler l’incohérence ! En fait la comédie confirme la phrase « instruire et plaire » : instruire car le dramaturge propose une morale à son public ; plaire car il se doit d’amuser le spectateur. 5. Le théâtre au siècle des Lumières. Le théâtre au XVIIIème siècle reste le divertissement social par excellence. Dès la moitié du XVIIIème siècle, il y a des tentatives pour trouver autre chose que des formules classiques et Diderot va promouvoir le drame bourgeois et veut rompre avec ce refus du mélange des genres. Il emprunte à la comédie, le milieu où l’action se passe : il prend un milieu social moyen : Le fils naturel par exemple dans lequel le caractère devient accessoire alors que les conditions du milieu social deviennent premières. Il commence par refuser le vers et veut un théâtre joué et non plus un théâtre « parlé » comme dans la tragédie classique. Il introduit une ponctuation forte importante, des points d’exclamation, des points d’interrogation, de suspension pour montrer une passion, une émotion contenue ; Diderot ne veut plus que les acteurs soient des statues dignes et figées ; il veut que les passions s’expriment de façon physique ! Il considère cependant encore les trois unités comme nécessaires, sauf l’unité de lieu pour laquelle il est plus réticent : il veut des changements de décor et des modifications de technique de mise en scène. MAIS ATTENTION : LE DRAME ROMANTIQUE N’ EST PAS ISSU DU DRAME BOURGEOIS ICI DECRIT BIEN QU ON PUISSE LE PENSER ! Mais en pratique Diderot a échoué ; il était encore trop tôt. C’est encore l’âge d’or de la comédie. Il est surtout représenté par deux dramaturges : Beaumarchais : dramaturge de comédies satirique comme Le Barbier de Séville (1755) et Le Mariage de Figaro (1784) Marivaux : dramaturge de comédies d’analyse psychologique comme Le jeu de l’amour et du hasard (1730) ou l’île des esclaves. Son théâtre est caractérisé par le jeu des masques et les échanges de personnalité Le théâtre commence à s’engager, à critiquer les travers sociaux et politiques de la société : les classes sociales trop fermées, les injustices sociales… C’est un théâtre qui est à l’image du siècle des Lumières, qui veut informer et « changer la société ». Les règles sont moins strictes qu’au XVIIIème siècle, les actes et les scènes plus souples quant à leur nombre et on transgresse plus facilement les règles des trois unités. Marivaux se libère des règles et écrit en prose et son théâtre occupe une place particulière dans ce siècle. Il écrit ses pièces pour les comédiens italiens et emprunte beaucoup à leur théâtre (climat de féérie, masques et ballets, personnages traditionnels). Son originalité tient aussi à son thème privilégié : la peinture de l’amour naissant chez les jeunes héros qui ne veulent pas reconnaître leur passion et s’avouer qu’ils sont amoureux. Marivaux montre une grande finesse psychologique que révèlent les subtilités de son langage. Il s’intéresse aussi à son temps lorsqu’il écrit sa pièce L’île des esclaves, qui dénonce les injustices sociales et les clivages sociaux. De son théâtre est né un terme le « marivaudage », terme apparu vers 1760, et qui désigne un badinage artificiel, hors de toute vraisemblance…Mais Marivaux a défini lui-même ce terme en donnant une définition de son écriture : « J’ai tâché de saisir le langage des conversations et la tournure des idées familières et variées qui y viennent », c'est-à-dire faire ressortir ce naturel par la lourdeur et l’imitation à laquelle se livrent les valets déguisés en maîtres. Ce langage « singulier » est indissociable de son théâtre ; il permet le jeu raffiné et compliqué des sentiments. La comédie est renouvelée à la fin du siècle par l’œuvre de Beaumarchais (1732 /1799). Elle redonne au rire tous ses droits et tout son rythme souvent trépidant dans deux de ses pièces les plus connues : Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784) qui sera repris dans le livret de Mozart. « Me livrant à mon gai caractère, j’ai tenté dans le Barbier de Séville de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaieté, en l’alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle ». Dans le Mariage de Figaro il se plaît à entrecroiser les fils de multiples intrigues. Mais Beaumarchais fait aussi et surtout œuvre satirique en digne fils de son siècle. ; il renouvelle profondément le type du valet de comédie et en fait un valet habile et entreprenant. Il est l’homme du peuple qui se heurte à une société fondée sur le seul mérite de la naissance. Déjà insolent dans le Barbier : « Un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal », Figaro affronte victorieusement son maître dans le Mariage de Figaro (acte V, scène 3). Instrument de critique sociale et politique, sa pièce dénonce la censure, l’arbitraire, une société de privilège et revendique la liberté de penser et d’écrire ! Sa pièce ne sera autorisée que quatre ans après son écriture et apparaît bien comme une victorieuse contestation du pouvoir. Le théâtre de la fin du dix-huitième siècle, tout comme la littérature, se fait le révélateur d’une société en train de changer et la Révolution française marquera une profonde rupture. 6. Le théâtre du XIXème siècle Le drame romantique La vogue du théâtre ne cesse de grandir ; les acteurs sont souvent adulés, riches et célèbres (Talma, Rachel, Sarah Bernard…) et beaucoup d’écrivains, tels Hugo ou Musset vont consacrer une grande partie de leur œuvre au théâtre. Dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, on découvre les dramaturges étrangers. Shakespeare est traduit par Letourneur mais qui en efface ou atténue les violences ; Shakespeare sera donc plutôt apprécié en France à travers les Allemands qui sont en pleine période romantique représentée par Goethe et Schiller. Et pour l’anniversaire de Shakespeare on représente des œuvres comme Egmont, de Goethe, Les brigands de Schiller, dans lesquelles il y a des changements de lieu, de nombreux personnages sur scène. Les œuvres allemandes sont des drames historiques, philosophiques et politiques ; on se bat pour la liberté, on fait des tableaux avec présence importante de la foule. Et les Français découvrent ce nouveau théâtre à partir de 1810 ! Il va donc y avoir une sorte de sursaut parmi les dramaturges d’où va jaillir la révolte romantique. Quelques œuvres de référence sur ce désir d’écrire un nouveau théâtre : 1823, Stendhal écrit son Racine et Shakespeare, dans lequel il commence à parler de « romanticisme ». /En 1827, paraît la préface de Cromwell de Hugo. En 1830 c’est le triomphe de la « bataille » d’Hernani ! C’est un véritable conflit de génération qu’a ouvert Victor d’Hugo en faisant représenter cette pièce. C’est la naissance d’un nouveau théâtre et la critique de la tragédie classique ! Les principes de ce nouveau drame : La liberté : les romantiques contestent la notion même de règles. Hugo va jusqu’à faire un rapprochement entre le triomphe de la liberté politique et de la liberté poétique (dans le sens de « création ») et germe l’idée de règles intérieures au poète lui-même. La relativité du beau : le beau serait relatif aux époques. La conception de la beauté au XVIIème siècle est différente de celle du XIXème siècle ! mais aussi selon les peuples ; on prône donc l’originalité des peuples. Ces principes aboutissent au rejet des règles des unités sauf celle de l’action. (CF la préface de Cromwell de V. Hugo). Les dramaturges romantiques rejettent donc les unités de temps et de lieu. Et Hugo fonde sa critique sur la vérité historique et sur les caractéristiques de l’Histoire. On veut voir naître le drame historique et étudier toute une vie au théâtre ! Donc plus question de règles des trois unités ! Stendhal, lui, proposait d’être plus raisonnable et de limiter l’action de temps à une année ; pour lui si on dépasse cette limite, cela relève du roman et non du théâtre. Refus de la séparation des genres : Victor Hugo dans sa préface de Cromwell veut « mélanger le sublime et le grotesque » ce que l’on trouvait déjà dans les pièces baroques de Shakespeare comme Hamlet. Le grotesque séduit davantage Hugo que le sublime car à son avis il montre mieux les passions (comme dans Notre-Dame de Paris. Il y a glissement du terme grotesque= laid= difforme comme Quasimodo) Le laid peut être source de poésie et Hugo qui veut fuir le commun, contraste dans le sujet comme dans la forme. Il y a un refus définitif de la forme classique. On aboutit donc à une véritable restitution de la vie dans sa réalité. Victor Hugo fondant son analyse sur la dualité de l’homme qui est corps et âme, tour à tour grotesque et sublime, considère le mélange des genres comme une obligation du drame. Un drame en vers ? Stendhal voudrait un style plus simple donc plus accessible. Hugo reconnaît que le vers n’est pas naturel et qu’il risque de provoquer une retenue des excès alors qu’il désire donner libre cours à ses élans ; il dit bien que le vers est un artifice mais pourtant il le défend avec acharnement. Pourquoi ? Parce qu’ils sont plus facilement mémorisables. Mais il veut un vers « un vers libre, franc et loyal », un déplacement de la césure, un « assouplissement de la rime esclave-reine » et fuir la tirade pour le dialogue. « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin ». La beauté ne doit pas être recherchée au dépends du sens : « Le vers doit être beau comme par hasard » (Boileau !) et il ne faut pas fuir les extrêmes. Ainsi voyons-nous ici jaillir un personnage de théâtre très semblable, très proche de nous spectateurs : un homme dans toute sa diversité, non plus figé dans son désespoir ou dans sa fatalité ; un homme libre qui rit et pleure à la fois comme nous ! Et la liberté gagnée dans l’écriture donne donc un nouvel élan au théâtre de cette moitié du XIXème siècle…Né véritablement en 1830, le drame romantique s’éteindra pourtant bien vite vers 1843. Le théâtre de Musset, surtout dans le personnage de Lorenzaccio, montre bien cette opposition et ce subtil mélange des tons. Ce drame historique, aux très vivants tableaux, nous révèle un personnage pur mais devenu le compagnon de débauche du tyran de Florence afin de pouvoir l’assassiner, marqué irrémédiablement par le vice. Les autres formes de théâtre Après la fin du drame romantique, aucun genre dramatique ne s’impose vraiment. La comédie du boulevard ou comédie « gaie », souvent bouffonne : elle tire son nom des théâtres des boulevard qui attiraient les bourgeois. Ses thèmes sont presque toujours les mêmes : l’amour avec l’éternel trio mari /femme /amant et l’argent. Les personnages sont élégants et n’ont rien à faire de la journée à part parler d’amour ! Les auteurs les plus représentatifs sont Feydeau et Courteline dont la verve acerbe critique en même temps les ridicules de l’époque. La comédie de mœurs ou comédie à thèse, illustrée par la Dame aux camélias de Dumas fils qui offre une morale implicite à un dérèglement de mœurs. Le théâtre néo-romantique incarné par Edmont Rostand et son Cyrano de Bergerac A ne pas oublier que la fin du siècle voit la naissance de la farce moderne avec le théâtre impitoyable et burlesque de Alfred Jarry, Ubu Roi. Critiquer tout en faisant éclater de rire par un comique grotesque de farce et un langage grossier et fait souvent de néologisme coloré. 7. Le théâtre au XXème siècle Les règles et la séparation des genres sont bien mortes au XXème siècle. Mais deux sortes de théâtre vont continuer de coexister : un théâtre qui « fait rire » et « un théâtre qui fait penser ». Mais restent les grands auteurs qui savent à la fois divertir et faire réfléchir. 1. Le théâtre du début du XXème siècle : Le théâtre avant 14/18 est pour l’essentiel celui de la fin du XIXème siècle où domine la comédie de boulevard dont les conventions sont très stéréotypées et dont le comique correspond parfaitement au public de la Belle-époque qui veut avant tout se divertir. Nous avons vu la définition et les caractéristiques précédemment. Mais un théâtre à connotation religieuse qui marque un retour au sacré avec les pièces de Paul Claudel, auteur catholique, comme sa pièce L’annonce faite à Marie en 1912 ou le partage de Midi en 1905, côtoie ce théâtre qui fait « rire ». 2. Le théâtre de l’entre- deux- guerres est lui bien plus riche : Les gens viennent de vivre un cataclysme brutal et terrible qui poussent le public à réfléchir et à se poser des questions. A noter que le théâtre de boulevard continue à survivre avec le génie de Sacha Guitry ainsi que la comédie satirique de Jules Romains (Knock, satire de la médecine, 1923). Le théâtre de Marcel Pagnol aussi connaît un grand succès comme Topaze, 1928. Un point commun entre tous ces dramaturges : l’aspect conventionnel et académique de leurs œuvres. Mais après les affres de la grande-guerre, c’est la montée d’un théâtre à dimension politique et l’apparition de la grande dramaturgie : d’authentiques dramaturges durant cette période nous rappellent que le théâtre n’est pas seulement un lieu de tradition perpétuelle mais aussi un lieu de création et d’invention. Jean Cocteau actualise les thèmes mythologiques grecs et redonne à la tragédie un aspect moderne : Orphée, 1926 ou la Machine infernale en 1934. Jean Giraudoux, acteur et dramaturge, dont la préciosité et les images entretiennent une atmosphère entre rêve et réalité, s’inspire aussi des grands mythes grecs : la guerre de Troie n’aura pas lieu en 1936, Ondine, 1939. La vocation théâtrale de Giraudoux viendra de sa rencontre avec Louis Jouvet, célèbre dans le rôle de Knock. Une note à part pour la place qu’a tenu Antonin Artaud (18961948) qui essaie en pleine période surréaliste de ranimer le théâtre. Il écrira toute une importante théorie, Le théâtre et son double. « La vieille tradition mythique…où le théâtre est pris comme une thérapeutique, un moyen de guérison » ; c’est ce qu’il appelle le « théâtre de la cruauté ». Il rêve d’un théâtre nouveau, spectacle total, qui veut rompre avec « l’assujettissement au texte. » A noter la montée des metteurs en scène qui de plus en plus donnent leur marque au spectacle : Georges Pitoeff /Charles Dullin /Louis Jouvet. 3. Le théâtre après la deuxième guerre mondiale. Le théâtre après la seconde guerre est un théâtre novateur. Le rôle des metteurs en scène va devenir fondamental. Notamment Jean Vilar qui crée le TNP (Théâtre National Populaire), Jean-Louis Barrault et Chéreau. C’est leur vision d’une pièce que l’on va voir plus que la pièce elle-même. Le théâtre « sérieux » et traditionnel se perpétue avec des dramaturges comme Montherland (La reine morte, 1942), Anouilh, (Antigone, 1942). Le théâtre des clercs, c’est à dire des philosophes brille durant les années 1940 /1950 avec Camus (Le malentendu, 1944 / Caligula, 1945), Jean-Paul Sartre (Les mouches, 1943 /Huis-clos, 1948 /Les mains sales, 1951). Ils transforment la scène en un lieu d’affrontement politique, et philosophique. Les créateurs du « Nouveau théâtre de l’absurde » apparaissent. Ils s’expriment dans un langage spécifiquement théâtral : Ionesco (Rhinocéros / Le roi se meurt, 1962), Samuel Beckett (En attendant Godot, 1952) qui aborde sous forme parfois clownesque et tragique des thèmes pascaliens) et Jean Genet (Les paravents, 1961, qui évoque la guerre d’Algérie). Et bien entendu l’œuvre de Marguerite Duras si riche et émouvante tout en étant déroutante (Hiroshima mon amour, 1959) Le théâtre dit de l’absurde, de la dérision ou du verbe se caractérise moins par ses thèmes que par le renouvellement de la conception théâtrale. Il tourne le dos à la conception qu’on a du théâtre comme imitation d’une action humaine et la représentation le plus vraisemblable possible de la « chose » imitée. On dit de ce nouveau théâtre qu’il est « anti-théâtre », un théâtre essentiellement psychologique (F. Mauriac), historique (Montherland ou Cocteau). On rencontre ce théâtre de l’absurde dès les années 1945 /1950 : Il présente u monde sans Dieu, où pèse la fatalité. Il met en scène une existence humaine broyée par les mécanismes de l’histoire et de la mort. Ce sera très vite le théâtre de Sartre et Camus : un théâtre existentialiste, donc réaliste dans lequel il dépend de chaque homme de donner un sens à sa vie, une signification à sa vie par la conscience. Les caractéristiques du théâtre de 1950 : Un retour à une liberté de la fantaisie et une imagination qui est totale ( A. Jarry, J. Cocteau) Il tourne délibérément le dos à la psychologie « Tout est langage au théâtre » Ionesco. Ce dramaturge ne veut plus faire un théâtre didactique, ni idéologique : il veut montrer le monde comme il le voit, avec toutes ses angoisses, toute sa désespérance (Le roi se meurt, 1962) Difficile expression d’une angoisse liée à la condition humaine : soif de l’absolu, peur de la mort, mort de la pensée et donc du langage, perte de la personnalité et l’homme n’est plus que fonction qui ressemblent à des marionnettes, monologue de l’homme dans sa solitude… Un théâtre de l’angoisse devant le vide, le néant de l’existence où il ne reste plus que la peur de la mort…Théâtre de la désespérance où les hommes essaient de communiquer mais sans y parvenir. Après la révolution du théâtre de l’absurde, le théâtre ne présente plus d’évolution nettement identifiable. Des metteurs en scène offrent des relectures du répertoire classique tandis que se développe la recherche de nouveaux espaces scéniques (Ariane Mnouchkine et le théâtre du soleil).