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Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
__
Cahier de recherche
La construction comptable
de l’économie
Eve CHIAPELLO (HEC Paris)
Avril 2008
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
Majeure Alternative Management – HEC Paris
1
Genèse du présent document
La version originale de ce texte qui reprend des idées exposées dans diverses conférences a
été rédigé à la demande d’Alexandra Bidet pour la revue Idées (destinée aux professeurs de
Sciences Economiques et Sociales enseignant en lycées). Il s’agit d’un exposé à visée
principalement didactique visant à montrer l’extrême importance des cadres comptables dans
la forme prise par un système économique. Une pensée alternative de l’économie ne pouvant
se passer selon nous d’un regard critique sur les systèmes comptables et de production de
mesures économiques, nous avons décidé de publier ce texte dans l’Observatoire du
Management Alternatif.
Origins of this research
The original version of this text resumes theories expounded at conferences and was written at
Alexandra Bidet’s request for “Idées”, a magazine intended for Economics and Social
Sciences teachers in secondary school. The paper is mainly educational and aims at showing
the importance of accounting frameworks in the shape taken by an economic system. An
alternative approach of economics cannot do without a critical look at systems both using
accounting and creating economic measures. From then on, we have decided to publish this
text in the Alternative Management Observatory.
Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif
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Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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La construction comptable de l’économie
Résumé : Cet article vise à sortir de l’approche représentationniste de la comptabilité qui la
pense comme un simple instrument de mesure visant à « rendre compte » « sans biais » de «
la réalité économique ». La thèse qui est défendue ici est au contraire que la comptabilité crée
l’économie : elle est en effet un puissant instrument de cadrage et de production de la réalité
économique. En particulier les systèmes comptables font exister certaines définitions de
l’entreprise au détriment d’autres. Divers exemples sont développés montrant que la firme est
construite par les conventions comptables qui équipent la représentation économique qui en
est donnée laquelle sert ensuite aux acteurs économiques à prendre leurs décisions. Un
développement est consacré au récent passage aux normes comptables internationales
lesquelles promeuvent pour partie une conception de la firme comme portefeuille d’activités
recombinables.
Mots-clefs : sociologie de la comptabilité, normes comptables, normes IFRS.
The shaping of economics by accounting
Abstract: This article is meant to step back from the literal meaning of accounting that is as a
mere measuring tool which enables its user to “give an impartial account” of “the economic
landscape”. What is asserted here on the other hand is that accounting generates economics.
Accounting is indeed a powerful instrument of managing and producing economics. Systems
based on accounting allow the predominance of certain definitions of a company over others.
Various examples are taken to illustrate the fact that firms rest on accounting conventions
which shape their economic reality, the latter being major in the making of decisions by the
economic players. A passage of the text is dedicated to the recent compliance with the
accounting international standards which partly promote the conception of the firm as a
portfolio of activities always possible to rearrange.
Key words: accounting sociology, accounting standards, IFRS.
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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Table de matières
Introduction ................................................................................................................................ 7
La comptabilité, source majeure de construction de la firme................................................. 7
Des conventions comptables produisant des conceptions différentes de l’entreprise.......... 10
Controverses sur les bilans ................................................................................................... 11
La présentation du compte de résultat.................................................................................. 14
Le grand chambardement des normes comptables internationales ...................................... 16
Conclusion................................................................................................................................ 19
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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Introduction
Parmi les innombrables artefacts qui contribuent à façonner le fonctionnement économique et
à
lui donner une forme à la fois précise et historiquement changeante, nous attirons
l’attention dans cet article sur la comptabilité des entreprises.
Par comptabilité d’entreprise, nous entendons à la fois la réglementation comptable qui tend à
normaliser les conventions comptables adoptables par les entreprises, sur un territoire donné
et à une époque donnée, et les résultats de l’activité des services comptables et des comptables
eux-mêmes (bilans et comptes de résultats, calculs et ratios divers,..). La comptabilité produit
des chiffres qui visent à informer divers acteurs sur différents aspects « économiques » d’une
entreprise, d’un projet.
Cette activité de production de quantifications obéit à des règles bien spécifiques. Tout
d’abord, elle procède par enregistrement individuel de séries d’événements avec un objectif
d’exhaustivité. Contrairement à certaines pratiques statistiques, il n’est pas possible de
procéder par échantillonnage pour estimer un solde comptable (par exemple celui du compte
chiffre d’affaire). Toutes les transactions de la période doivent y figurer. Il s’agit ensuite
d’une quantification en unités monétaires. Les événements doivent donc être traduits en unités
monétaires pour pouvoir être enregistrés comptablement. Enfin, lorsque la comptabilité
adoptée est en partie double, l’enregistrement se fait dans un système de comptes inter-reliés
conceptuellement au sein d’un modèle comptable visant à construire une représentation
économique de l’entreprise. Ce modèle comptable repose lui-même sur une série de
conventions d’observation, de valorisation, d’enregistrement.
Nous pensons que la comptabilité n’est pas un artefact anodin parmi d’autres de la vie
économique. Elle a en effet un impact profondément structurant et construit l’un des agents
principaux du système économique : l’entreprise.
La comptabilité, source majeure de construction de la firme
Notre système économique est fondé sur l’existence d’entreprises qui organisent la rencontre
du travail et du capital de façon à produire des biens et des services qui sont vendus ensuite au
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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cours de transactions marchandes à d’autres entités ou personnes physiques. Les mécanismes
de distribution des revenus dans notre société sont largement fondés sur l’activité des
entreprises, qu’il s’agisse des salaires versés aux salariés, des frais financiers payés aux
prêteurs, des dividendes versés aux actionnaires, des prix payés aux fournisseurs, des impôts
versés à la puissance publique. A bien des égards, la connaissance d’un système économique
passe par la compréhension du fonctionnement de ces entreprises. La théorie économique
néo-classique a tendu à négliger cette réalité pour se concentrer sur l’analyse du
fonctionnement des marchés et tenir les acteurs de ces marchés pour des acteurs non
problématiques. La théorie économique peine à comprendre ce qu’est l’entreprise. Les
différentes représentations disponibles sont souvent réductrices (l’entreprise est-elle une
fonction de production ? un nœud de contrats ?…..). Elles tendent en outre à ramener
l’entreprise à un acteur décisionnaire unique, donnant au marché seul la fonction de
distribution et circulation des richesses alors que c’est en fait l’ensemble du système fait de
« hiérarchies » et de « marchés » qu’il faut comprendre (Coase,1937 ; Williamson 1985).
Notre thèse est que la comptabilité est l’un des artefacts principaux qui permettent à la firme
de fonctionner en tant qu’entité autonome. La comptabilité est donc au cœur de la
construction de notre système économique fait d’entités et de relations marchandes entre
entités (Sombart, 2001).
Parmi les problèmes qui se posent est celui des frontières de la firme. Qui travaille pour
l’entreprise et qui ne travaille pas pour elle ? Quelles sont les machines, installations dont elle
dispose ? Sur ces deux points, il s’agit de connaître et de cerner les différentes ressources dont
elle peut disposer pour son activité et la réponse est faussement évidente.
La première idée est de s’appuyer sur le droit des sociétés et de répondre que les frontières de
la firme sont gardées par la forme juridique de ses statuts. Mais cette réponse est insuffisante,
car bien souvent les corporations sont constituées d’un entrelacs de structures juridiques, liées
par des contrats de service et des liens de capitaux. Si une entreprise n’est pas possédée par
une autre mais a cette dernière pour unique client, ne peut-on pas considérer que ce
fournisseur fait partie de la firme principale ?
Du point de vue des ressources en travail, il en est de même : la nature du contrat qui lie le
travailleur à l’entreprise est-elle pertinente ? Un travailleur indépendant qui travaille
exclusivement pour une firme ne doit-il pas être considéré comme un travailleur de cette
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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firme ? Enfin, en ce qui concerne les biens matériels, un bien loué dont la firme a la
jouissance exclusive ne doit-il pas être considéré comme appartenant à la firme ?
Les théoriciens du droit expliquent aussi que l’entreprise en tant qu’entité n’existe pas en
droit. « L’ombre de l’entreprise en tant qu’unité organisationnelle est partout récente
derrière le droit économique moderne, sans que jamais l’entreprise n’apparaisse, dans son
unité, en tant que telle » (Robé, 1999, p.12). L’unité organisationnelle de la firme est
construite juridiquement par un circuit de contrats organisés par l’entrepreneur ou la société
(s’il y a un contrat de société). Le contrat de société auquel on pense comme fondement de
l’entreprise n’est en fait qu’un contrat particulier qui crée une personne morale qui va avoir
ensuite la capacité de conclure tous les contrats nécessaires à l’activité entreprise. Mais ce
contrat de société n’est pas l’entreprise. C’est encore plus vrai quand l’action
organisationnelle est organisée à partir de plusieurs sociétés comme dans le cas de groupes.
Le droit, s’il contribue à la construction de la firme, n’y suffit pas.
La comptabilité apporte dès lors quelque chose d’important : elle rend compte de l’ensemble
des flux financiers liés au circuit de contrats dans un même cadre synthétique. Elle permet de
résumer en les cumulant les transferts financiers liés à de nombreux contrats disparates. Elle
rend visible une certaine unité de la firme.
La comptabilité est sans doute la meilleure des gardiennes des frontières de la firme. Non que
cette question soit plus simple pour les comptables que pour les juristes, mais parce que le
rôle de la comptabilité est d’enregistrer toutes les transactions qui affectent l’entité
économique dont les comptes sont tenus. Dès lors, contrairement à tous les autres acteurs du
monde économique, le comptable ne peut se passer d’une définition précise et opérationnelle
de l’entité économique. Il s’agit de l’un des thèmes majeurs de production de la doctrine
comptable qui guide les pratiques. Et cette définition est contingente : elle évolue selon les
époques et les pays. Si on prend le cas des actifs dont dispose la firme, certaines
réglementations comptables imposent de ne considérer comme actif que des biens sur lesquels
la firme dispose d’un droit de propriété plein et entier. Dans d’autres systèmes, comme celui
de l’IASB (dont les normes s’imposent aux sociétés cotées de l’Union Européenne), sont
considérés comme des actifs tous les biens dont la firme supporte l’essentiel des risques et
bénéficie de l’essentiel des avantages. Il s’agit d’une définition différente.
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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La comptabilité a ensuite comme output la production d’états de synthèse que sont le bilan et
le compte de résultat qui sont censés donner sous forme de deux tableaux synthétiques une
image économique de la firme et de ses performances lors de la dernière période écoulée.
C’est en fait l’une des seules images unifiées dont nous disposons, surtout pour les firmes les
plus grandes et les plus diversifiées. Une firme pourrait être représentée également par une
marque, mais elles en utilisent habituellement plusieurs. Il reste éventuellement une image
institutionnelle construite par la communication externe mais celle-ci s’appuie alors le plus
souvent sur une première unité qui est celle du Groupe, laquelle repose sur la consolidation
comptable. Seules sont visibles en fait les grandes firmes qui produisent des comptes
consolidés et qui doivent diffuser cette information car elles font appel public à l’épargne. Les
autres sont invisibles, bien que leur pouvoir de marché ou financier puisse être considérable.
Si la firme est effectivement construite en partie par la comptabilité, alors les choix
comptables sur lesquels repose l’établissement des comptes influent sur la définition de la
firme et son fonctionnement dans l’économie réelle.
Des conventions comptables produisant des conceptions différentes de l’entreprise
La comptabilité est une pratique sociale qui suppose un grand nombre de choix
conventionnels portant sur presque tous les aspects du travail comptable (Amblard, 2004) :
-
la question de la valorisation est évidemment centrale puisque comme on l’a dit le
comptable doit traduire en langage monétaire des éléments de la vie de l’entreprise et
il dispose pour cela de plusieurs possibilités de traduction
-
la qualification d’un événement économique et son interprétation dans un système de
catégories de pensée en est un autre. Pour l’achat d’un bien par exemple, le comptable
doit choisir s’il s’agit d’une dépense ou d’un investissement. Selon les classements
opérés évidemment, les images comptables sont différentes.
-
Il existe aussi des conventions d’agrégation et de mise en forme,..
-
Enfin, selon les systèmes économiques et réglementaires, les entreprises doivent
rendre publiques des informations aux définitions changeantes et en nombre plus ou
moins grand.
Cette accumulation de conventions qui apparaissent au départ toutes arbitraires (il faut bien en
choisir un jeu pour que le travail de quantification se fasse) fait que les comptes des
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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entreprises sont potentiellement incomparables et ininterprétables par quiconque n’ayant pas
accès aux règles sous-jacentes. Peu à peu des controverses sont nées autour de ces choix
comptables et ont abouti à la construction collective d’une opinion dominante sur les
traitements à adopter, à des fins notamment de comparaison. Ces conventions sont ensuite
stockées dans des normes comptables qui sont plus ou moins impératives selon les pays et la
situation de l’entreprise (taille, statut, cotation boursière).
Cette construction collective de conventions de coordination (Batifoulier, 2001) est un travail
coûteux et difficile. En effet, dans la mesure où la comptabilité est aussi aujourd’hui
l’instrument de mesure qui permet d’accéder à certaines distributions économiques (impôts
pour les Etats, primes pour les salariés, intérêts pour les prêteurs, dividendes pour les
actionnaires,…), les intérêts en jeu sont importants et il n’est pas simple de se mettre d’accord
sur les conventions que tous devront appliquer.
Peu à peu, pour étayer le raisonnement et éviter aussi que l’ensemble des conventions choisies
ne soit pas incohérent, des théories comptables ont été construites permettant de justifier et de
légitimer sur le plan théorique certains choix plutôt que d’autres. Aujourd’hui après près de
150 années de débats comptables, il existe un grand nombre de ressources théoriques
permettant de donner sens aux pratiques comptables et en retour de les rationaliser pour les
rendre plus conformes aux choix opérés. Derrière les normes comptables d’un pays et d’une
période de l’histoire, il est ainsi possible de remonter aux cadres de pensée qui les organisent
et leur donnent sens. Ce travail est d’autant plus passionnant à faire que les différences
nationales sont importantes au sein même des pays développés et qu’en outre l’histoire
comptable elle-même accompagne celle des transformations historiques des régimes
capitalistes.
Nous donnons maintenant quelques exemples de ces transformations et de ces différences et
montrons qu’elles supposent à chaque fois une conception de la firme assez différente.
Controverses sur les bilans
On dit habituellement que le bilan comptable donne une image synthétique du patrimoine de
l’entreprise rendant compte d’une part de ses actifs, d’autre part de ses dettes. Mais il existe
plusieurs manières de faire la liste des éléments à prendre en compte puis de valoriser ces
éléments.
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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On peut distinguer ainsi grossièrement au moins trois périodes très différentes de l’histoire
comptable française depuis 1800. A chacune correspond une conception très spécifique du
bilan ainsi que l’a montré Richard (2005).
La première période qui dure approximativement tout le XIXème siècle est marquée par une
conception dite « statique » du bilan. Une conception statique signifie que l’on cherche à
donner une image de l’entreprise en valeur d’aujourd’hui. Peu importe les transactions
passées : ce qui compte est la valeur à la date de parution du bilan. La perspective retenue
pour valoriser en valeur actuelle est celle de la liquidation de l’entreprise. Les entreprises sont
conçues comme mortelles et le bilan cherche à évaluer l’argent que l’on pourra tirer de la
revente des actifs en cas de fermeture. Dans ce cadre, seuls seront retenus comme des
« actifs » les éléments concrets revendables ainsi que ce qui peut encore trouver acquéreur sur
le marché. Il s’agit d’une conception très limitée et pessimiste du patrimoine de l’entreprise.
Un tel calcul a néanmoins l’intérêt de produire une information importante pour les préteurs :
en cas de mort de l’entreprise, seront-ils remboursés ?
Cette conception statique fait place au début du XXème siècle à une conception dite
« dynamique » dont la caractéristique est de s’appuyer sur une valorisation au coût historique
des éléments composant le bilan. Sont considérés comme des actifs tous les éléments qui
contribuent au fonctionnement de l’entreprise que ceux-ci aient ou non une valeur sur le
marché. Leur coût est étalé dans le temps sur la durée de vie de l’actif lui-même.
Ce type de traitement comptable repose sur le principe dit « de continuité d’exercice », c’està-dire sur l’hypothèse que la firme est durable. Dès lors, la question de sa valeur liquidative
ne se pose pas. En revanche, il faut savoir si les activités de la firme sont bénéficiaires et si on
vend au dessus du coût de revient. La préoccupation principale est d’étaler dans le temps les
coûts qui s’apparentent à des investissements, de façon à répartir équitablement sur toutes les
productions le coût de l’investissement qui a servi à chacune. Dans le modèle statique du
XIXème en revanche, il importait de passer le plus rapidement possible en charge le coût des
investissements considérés comme non récupérables si les affaires tournaient mal. Les
premières années étaient donc grevées objectivement d’une part de l’investissement
supérieure aux années suivantes.
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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Enfin, nous venons de revenir, notamment avec le passage aux normes comptables
internationales en 2005, à une conception statique du bilan (Capron, 2005 ; Chiapello, 2005a
et b). Le coût historique est battu en brèche et on cherche à nouveau à obtenir des bilans en
valeur actuelle. La nouvelle phase statique diffère cependant de la première car le principe de
valorisation est différent. La perspective de liquidation n’est pas celle qui est retenue. Les
entreprises ne meurent pas : elles se transforment et se recomposent. Elles sont conçues
comme des paniers d’activités relativement autonomes. La valeur actuelle retenue est
désormais la valeur d’usage, et cette valeur est indépendante du coût ou des dépenses
engagées. Seule compte l’utilité de cet actif, c’est-à-dire ici les flux de revenus futurs que l’on
peut en attendre. S’il s’agit de biens courants, il sera postulé que la valeur de marché est une
bonne mesure de la valeur d’usage. Sinon, le comptable devra s’appuyer sur l’estimation par
l’entrepreneur des perspectives de gains associés à ses différents actifs et la valeur retenue
sera la somme actualisée des flux futurs de revenus. La perspective liquidative s’oppose
presque entièrement à cette conception statique actuarielle du bilan, car par définition, les
perspectives de flux de revenus sont nulles lorsque l’entreprise est liquidée.
Derrière chacune de ces conceptions du bilan, se cachent des conceptions de l’entreprise
différentes (Chiapello, 2005). En particulier la conception récente considère la firme comme
un portefeuille d’activités recombinables, comme un panier de marchandises. Elle est associée
à un stade du capitalisme marqué par le rôle central des marchés financiers qui font commerce
d’entreprises. La conception dynamique va de pair en revanche avec une entreprise conçue
non pas comme une marchandise mais comme le lieu de production de la marchandise.
L’activité de production et de commercialisation de produits est au cœur de la représentation
et les marchés qui préoccupent sont ceux où s’échangent les produits, non les entreprises.
Au-delà des différences de représentation et de systèmes économiques qu’il est possible de
mettre en évidence, les options comptables que nous venons d’évoquer ont également un
impact important sur le moment où les profits d’un investissement pluri-annuel sont mis en
évidence dans les comptes. Le pessimisme des statiques du XIXème les poussait à ne faire
apparaître les profits qu’une fois les investissements payés, donc plutôt à la fin du cycle
d’investissement. Les dynamiques du XXème choisissaient un étalement dans le temps de la
charge et donc aussi un lissage des profits sur la durée de vie de l’investissement. Les
statiques du XXIème siècle misant tout sur les perspectives florissantes des investissements
réalisés ont tendance quant à eux à anticiper la mise en évidence des profits.
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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La présentation du compte de résultat
Un autre exemple particulièrement parlant est celui de la présentation des comptes de résultat.
Le compte de résultat est destiné à mesurer le surplus dégagé par l’entreprise sur une période
donnée en partant des ventes de la période desquelles sont déduits l’ensemble des dépenses
relatives à la production et la distribution des produits ou services vendus ainsi que des frais
divers relatifs à la période. Il est frappant de constater les variations importantes existent
également relativement à ce deuxième état de synthèse.
La première variation marquante s’établit entre systèmes économiques. Colette et Richard
(2000) ont ainsi argumenté que, selon le groupe dominant dans un système économique, les
choix comptables ne sont pas les mêmes (cf. tableau 1). Ainsi, le solde comptable qui
représente le résultat de la firme était le résultat de l’Etat dans le système soviétique, le
résultat du personnel dans le système autogestionnaire yougoslave et il est le résultat de
l’actionnaire dans les pays capitalistes. Dans chaque cas, c’est le groupe dominant qui est
réputé destinataire du surplus dégagé par la firme une fois payées les autres parties prenantes.
Le rendu de comptes sous formats imposé présente ainsi comme « naturel » le fait que le
résultat de la firme soit dans nos pays le résultat de l’actionnaire. La comptabilité, discipline
méprisée et réputée uniquement technique, participe en fait à l’éducation capitaliste de tout
gestionnaire.
Tableau 1 : Contenu des charges prises en compte dans le calcul du résultat dans trois
systèmes économique
Compte de résultat
américain
Compte de résultat
soviétique
Compte de résultat
yougoslave
VENTES
VENTES
VENTES
- charges de matières
- charges de services
- charges de personnel
- charges d’amortissement
- charges d’intérêts
- charges d’impôts
- charges de matières
- charges de services
- charges de personnel
- charges d’amortissement
- charges de matières
- charges de services
- charges d’amortissement
- charges d’intérêts
- charges d’impôts
= résultat
= résultat
Produits
C
H
A
R
G
E
S
= résultat
Source : Richard et Colette, 2000, p. 13
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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Au sein de la famille capitaliste, on peut par ailleurs distinguer des formes de présentation
différentes bien qu’elles arrivent toutes in fine au calcul du surplus qui revient à l’actionnaire.
On peut ainsi opposer les pays relevant du capitalisme anglo-saxon (Etats-Unis, RoyaumeUnis, anciens pays du Commonwealth) à des pays dits du capitalisme continental (France,
Allemagne). Le modèle franco-allemand présente un classement des dépenses et revenus par
nature tandis que dans le modèle anglo-saxon, c’est un classement par fonction qui est
privilégié (cf. tableau 2).
Sans entrer dans des développements trop importants, il faut savoir que le modèle par nature
permet de calculer la valeur ajoutée produite par l’entreprise et sa répartition en fonction des
diverses parties prenantes à l’entreprise (salariés, collectivités publiques, auto-financement,
prêteurs et actionnaires) ainsi que de faire un lien avec la comptabilité nationale -puisque la
somme des valeurs ajoutées individuelles constitue le PIB d’une nation- et les politiques
fordistes de l’après 2ème guerre mondiale supposant un Etat garant d’une répartition équitable
du PIB entre le facteur travail et le facteur capital. Le compte de résultat par fonction ne
permet pas une telle représentation partenariale de l’entreprise : il ne donne notamment pas le
chiffre de la masse salariale. Il offre en revanche une catégorisation des coûts (coûts de
production, de distribution, de R et D,… ) qui intéresse les concurrents, est proche des
catégories de prises de décision des gestionnaires en interne, sans pour autant négliger les
besoins d’information propres des actionnaires. C’est donc un compte de résultat où
prédominent les besoins du management et de l’actionnaire au détriment de ceux de l’Etat ou
des salariés.
Tableau 2 : Comptes de résultat par fonction ou par nature
Comptes de résultat par nature
Compte de résultat par fonction
Vision « répartition de la valeur ajoutée »
Vision « managériale »
CA
CA
- Achats (consommés)
- Frais de Personnel
- Dotations aux Amortissements
- Frais financiers
- Impôts
----------------Profit
- Coûts de production des produits vendus
- Coûts de distribution
- Coûts d’administration
- Frais de R et D
- Frais financiers
- Impôts
-----------Profit
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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Le changement récent normes comptables pour les sociétés cotées européennes intervenu au
1er janvier 2005 nous offre d’autres exemples, moins globaux, d’impact des choix comptables
sur les représentations que l’on a de la firme.
Le grand chambardement des normes comptables internationales
Pour bien comprendre les enjeux du changement considéré, il n’est pas inutile d’expliquer un
peu mieux ce que recouvre la normalisation comptable. L’un des premiers buts de la
normalisation comptable est, comme on l’a vu, de restreindre les pratiques comptables, afin
de favoriser les échanges sereins entre parties prenantes de l’entreprise (entrepreneurs,
actionnaires, prêteurs, salariés, puissance publique…) qui, connaissant les conventions
appliquées, pourront donc interpréter de façon identique les chiffres qui servent de base à
leurs interactions. Les jeux de normes comptables proposés par les normalisateurs privilégient
donc par définition certaines conventions au détriment d’autres possibles. Ceci serait sans
grande importance si ces choix n’exprimaient pas une certaine vision de l’entreprise et ne
traduisaient pas à leur façon les rapports relatifs des acteurs du système économique. Mais ce
n’est pas le cas comme on l’a vu. Certaines informations ou certaines conventions intéressent
plus les actionnaires que les prêteurs, d’autres plus les États que les actionnaires, etc. ; leurs
intérêts ne convergent pas spontanément. Des accords ont, peu à peu cependant et selon des
modalités variées, été obtenus au niveau des États nations.
À un niveau plus global cependant, les pays capitalistes appliquent des jeux de normes – dits
aussi « référentiels » – différents qui ne donnent pas à voir les mêmes choses et qui reposent
sur des conceptions de la firme, de son patrimoine, du profit relativement différentes. Si
chaque pays dispose d’une doctrine comptable et de normes produites nationalement et en
phase avec les représentations et l’équilibre des pouvoirs des acteurs de l’économie nationale,
cette situation s’est fortement compliquée au cours des deux dernières décennies avec la
mondialisation financière.
De fortes pressions sont venues des acteurs globaux pour unifier les différents référentiels et
adopter un « langage comptable commun » à l’échelle de la planète. L’objectif d’un tel cadre
unique est de permettre aux investisseurs de décoder facilement les états financiers partout où
ils vont et aux multinationales de ne produire des comptes que dans un seul référentiel plutôt
que de supporter le coût d’une multitude de jeux de normes. De ces pressions est né le
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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« référentiel international » produit par l’IASB (ou de normes IFRS) que l’Union Européenne
a décidé d’imposer à toutes les sociétés cotées pour leurs comptes consolidés à compter du
1er janvier 2005. Il ne s’agit plus pour les États européens d’un cadre comptable produit en
interne mais de l’imposition par un niveau supranational d’un cadre produit en dehors des
efforts et des traditions nationales. Cette imposition fut diversement acceptée, à la mesure de
l’écart entre les normes nationales et les normes internationales ; et ce dernier est considérable
pour la France.
L’emploi du terme de révolution n’est pas trop fort pour qualifier le changement en question
dans la mesure où l’enregistrement de presque toutes les opérations économiques de la firme a
été transformé. C’est l’ensemble des repères cognitifs des acteurs et utilisateurs de la
comptabilité qui a basculé à cette occasion.
Prenons un exemple qui montre comment même les concepts comptables les plus simples ont
été transformés. Dans les pratiques de la comptabilité française, une vente est inscrite dans le
compte « chiffre d’affaires » à la date d’émission de la facture, qui est elle-même calée
habituellement sur la date de livraison. Du fait de cette convention, le chiffre d’affaires qui
apparaît dans les comptes d’une entreprise correspond aux ventes facturées qui n’ont en
revanche pas forcément été encaissées. Que le client paie en une fois ou en dix, le chiffre qui
apparaît est le même. Avec les IFRS, le montant inscrit en chiffre d’affaires doit tenir compte
des
conditions
de
règlement
et
un
chiffre
d’affaires
dont
l’encaissement
est
« significativement différé » devra être inscrit à une valeur inférieure à sa valeur nominale
dans les comptes1, la différence allant dans un compte de frais financiers. Le chiffre d’affaires
est alors dit enregistré « en juste valeur2 ». L’usage de la juste valeur est loin de se limiter à la
valorisation des actifs et passifs financiers sur lesquels se sont focalisés la plupart des
commentaires académiques (Bernheim, Escaffre, 1999 ; Casta, Colasse 2001 ; Aglietta,
Rébérioux, 2004). Il s’agit en fait du principe général d’enregistrement des transactions qui
doit être retenu par les entreprises, si bien qu’il n’est pas un seul concept comptable qui n’ait
été redéfini à l’occasion du passage aux IFRS.
1
La valeur inscrite dans le compte « chiffre d’affaires » est la valeur nominale de la facture divisée par
1+ le taux de l’argent sur la durée correspondant au délai de règlement accordé au client.
2
Fair value en anglais
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
15
Mais les concepts comptables évoluent aussi pour d’autres raisons que l’usage de la juste
valeur. Si nous poursuivons l’exemple du chiffre d’affaires, nous verrons que le fait
générateur d’inscription n’est plus la livraison mais le transfert au client des avantages et
risques afférents au produit vendu. L’ensemble des entreprises vendant avec des clauses de
garanties ont donc dû décaler dans le temps l’enregistrement d’une partie de leur chiffre
d’affaires, puisqu’il leur fallut tenir compte du fait qu’elles assument encore une partie des
risques de produits déjà en service chez leurs clients. L’entreprise Sidel qui fournit et installe
des machines d’emballage a ainsi estimé qu’environ 25% de son chiffre d’affaires allait être
décalé d’un an avec les nouvelles normes3 : autrefois son chiffre d’affaires était reconnu à la
mise à disposition du matériel. Dorénavant il l’est après l’installation et la reconnaissance du
bon fonctionnement par le client.
Le poste de chiffre d’affaires a aussi été fortement impacté chez les fournisseurs de la grande
distribution car les entreprises ont dû défalquer du compte chiffre d’affaire les marges arrières
qu’elles accordaient aux distributeurs. Dans le référentiel antérieur, elles pouvaient enregistrer
ces réductions de prix comme des coûts dans les charges.
Or le poste « chiffre d’affaires » est un poste essentiel dans les analyses que l’on peut faire de
la performance économique d’une entreprise. Les analystes financiers tendent à lui rapporter
diverses grandeurs pour calculer des ratios (Retour sur Chiffres d’affaires ou Return on Sales,
divers taux de marge). Par ailleurs, la représentation que l’on a de la taille d’une entreprise
passe couramment par le niveau du chiffre d’affaire, de même que l’on tend à rapporter le
chiffre d’affaires à l’effectif pour estimer une productivité, les connaisseurs travaillant avec
des ratios typiques de référence pour chaque secteur d’activité. Ainsi, une modification
substantielle du contenu du compte transforme l’image donnée par les comptes de la santé de
l’entreprise, de sa taille, de sa productivité. L’impact est évidemment surtout fort la première
année car le changement de référentiel crée une discontinuité dans les chiffres affichés mais il
perdure ensuite le temps que tous (ceux qui gèrent et ceux qui s’intéressent aux indicateurs
financiers) retrouvent leur capacité d’interprétation.
De façon plus générale, les normes comptables, parce qu’elles formatent l’image économique
donnée par les firmes (leur niveau de profit, leur ratio d’endettement, le niveau de leurs
3
Source : Les Echos, supplément « IFRS. Révolution dans l’entreprise », 13/05/04, p. 23
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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capitaux propres, le niveau de leur chiffre d’affaires, etc.), influencent en retour les politiques
d’entreprise. Les entreprises vont ainsi développer certaines actions et en réduire d’autres
dans leur effort pour présenter des chiffres acceptables. Le changement de référentiel se
présente donc aussi comme une occasion historique unique de déterminer dans quelle mesure
c’est l’instrument de mesure qui fait la politique battant en brèche une approche naïve de la
comptabilité qui tendrait à n’en faire qu’une chambre d’enregistrement des transactions
économiques. La façon dont celles-ci sont enregistrées a bien au contraire un impact sur les
pratiques des entreprises qui intègrent dans leurs décisions une gestion de leurs indicateurs de
performance. Le changement de chronomètre pourrait bien changer fortement la nature de la
course, le but n’étant pas tant d’être une entreprise qui marche bien mais de maximiser des
indicateurs à la définition conventionnelle. D’ailleurs, on ne sait même pas comment il serait
possible d’évaluer la bonne marche d’une affaire sans passer par des indicateurs si bien qu’il
n’est pas exagéré de dire que le capitalisme est impensable sans le substrat abstrait de ses
formes comptables qui le structure et le finalise, reprenant en cela l’intuition de Werner
Sombart au début du XXème siècle.
Il serait possible de multiplier les exemples permettant de souligner l’intérêt d’étudier les
choix comptables qui sont opérés. Il faudrait ensuite pouvoir montrer que chacun d’eux est lié
:
-
à certains processus politiques qui aboutissent à leur choix et à leur mise en œuvre
(quels sont les acteurs qui les poussent, quels sont les intérêts en jeu ? comment
parviennent-ils à influencer les processus de production des normes comptables ?)
-
aux systèmes de représentations de ces acteurs, notamment à la conception qu’ils se
font de ce qu’est une entreprise et de son rôle,
-
enfin aux réseaux institutionnels qui organisent et formatent la vie économique et qui
produisent eux aussi en amont les représentations des acteurs.
Conclusion
Nous considérons que la comptabilité n’est pas seulement un résultat des interactions
économiques : elle est aussi un instrument puissant de cadrage et de production de la réalité
économique. C’est en fait la conception de ce qu’est une entreprise que médiatisent les
normes comptables et toute transformation des normes accompagne et fait exister une
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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nouvelle définition de la firme. La question du type d’entreprise que supposent les nouvelles
normes comptables a d’autant plus d’importance que les normes rétroagissent sur le monde
économique en le co-produisant au même titre que les autres institutions qui permettent au
capitalisme de fonctionner.
Or les systèmes de quantification comptable jouent un grand rôle dans les processus de
socialisation qui permettent la diffusion et la reproduction des catégories de l’économique. En
effet, on peut considérer la comptabilité comme un dispositif général de traduction de
l’ensemble des événements affectant la firme dans un langage monétaire permettant de mettre
en équivalence des facteurs et des questions profondément disparates (Espeland, Stevens,
1998). Plus encore, la comptabilité organise une synthèse algébrique de ces éléments en
construisant une représentation finalisée. Les soldes et les ratios qu’elle permet de calculer
deviennent l’étalon général à l’aune duquel il faut juger des événements qui auparavant
étaient tout autant économiques, sociaux, politiques. Retraduit comptablement, il ne reste
d’eux que la dimension économique qui permet de les mettre en équivalence.
Les travaux menés par la sociologie de la comptabilité et publiés notamment dans la revue
britannique Accounting, Organization dans Society ont souligné de multiples fois les effets de
« création de réalité » économique induits par la comptabilité. Ainsi Hopwood (1992)
soulignait-il que la constitution par la comptabilité et ses calculs d’une visibilité
« économique » de l’organisation constituait en quelque sorte en la création concrète des
catégories abstraites des économistes. Cependant, « la comptabilité n’est pas une simple
révélation de l’économique. En rendant spécifique à ce qui était auparavant général et
ambigu, elle permet de diffuser à travers l’organisation des modes de pensée et une
compréhension économique. Dans ce processus, la comptabilité est bien capable de rendre
l’organisation encore plus orientée économiquement que ce qu’elle aurait été sans cela. »
(Hopwood, 1992, notre traduction).
La comptabilité crée donc l’économie de multiples façons : elle rend visible et donc gérable
l’entreprise, elle la définit comme avant tout une entité économique et contribue de ce fait au
désencastrement apparent du fait économique, elle l’a fait exister comme un tout
appréhendable, elle organise enfin les systèmes de représentation des acteurs qui la font
fonctionner et même de ceux qui cherchent à l’interpréter, à en définir les règles, ou ses
Chiapello (E.) «La construction comptable de l’économie» – avril 2008
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modes d’actions dans l’espace économique. Elle fournit également un cadre de pensée et des
techniques de calcul qui permettent d’analyser financièrement différents aspects de la vie.
Après une opération de traduction comptable il semble n’en rester plus - de n’importe quelle
activité humaine- que l’aspect économique, qui s’est trouvé de ce fait même détaché du reste
des aspects, sociaux, politiques ou culturels de cette même activité. Seul le travail
sociologique d’ « ouverture de la boite noire » (Latour, 1989), d’analyse des conventions
incorporées, du social et politique qui s’est trouvé traduit dans des formats et règles de calcul
permet de retrouver la trame du social au cœur même de la technique.
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