Les imbéciles peuvent-ils être heureux ?
Est-il vraiment utile de réfléchir pour être heureux ?
Animé par Mickaël Dubost et
Supports de réflexion du débat du 24 novembre 2005
* * *
La philosophie, pratique néfaste
CALLICLES
- Il est beau d'étudier la philosophie dans la mesure elle sert à l'instruction et il n'y a pas
de honte pour un jeune garçon à philosopher ; mais lorsqu'on continue à philosopher dans
un âge avancé, la chose devient ridicule, Socrate, et, pour ma part, j'éprouve à l'égard de
ceux qui cultivent la philosophie un sentiment très voisin de celui que m'inspirent les gens qui
balbutient et font les enfants. Quand je vois un petit enfant, à qui cela convient encore,
balbutier et jouer, cela m'amuse et me paraît charmant, digne d'un homme libre et séant à
cet âge, tandis que, si j'entends un bambin causer avec netteté, cela me parait choquant, me
blesse l'oreille et j'y vois quelque chose de servile. Mais si c'est un homme fait qu'on entend
ainsi balbutier et qu'on voit jouer, cela semble ridicule, indigne d'un homme, et mérite le
fouet.
C'est juste le même sentiment que j'éprouve à l'égard de ceux qui s'adonnent à la
philosophie. J'aime la philosophie chez un adolescent, cela me parait séant et dénote à mes
veux un homme libre. Celui qui la néglige me paraît au contraire avoir une âme basse, qui ne
se croira jamais capable d'une action belle et généreuse. Mais quand je vois un homme déjà
vieux qui philosophe encore et ne renonce pas à cette étude, je tiens, Socrate, qu'il mérite le
fouet. Comme je le disais tout à l'heure, un tel homme si parfaitement doué qu'il soit, se
condamne à n'être plus un homme, en fuyant le c¦ur de la cité et les assemblée comme
dit le poète les hommes se distinguent et passant toute sa vie dans la retraite à chuchoter
dans un coin avec trois ou quatre jeunes garçons, sans que jamais il sorte de sa bouche
aucun discours libre, grand et généreux.
Platon (vers - 428, -347)
Gorgias
* * *
La fragilité du bonheur
Seul un imbécile s'attend à être toujours heureux.
Robertson Davies
* * *
- Café philo, le premier et le troisième jeudi du mois, de 12h45 à 13h50 en salle B 305 -
Association sport et culture
Café philo
Le sens de l¹effort :
Il est bon d¹avoir un peu de mal à vivre
Effort et bonheur semblent ne pas faire bon ménage. C¹est ce rejet de l¹effort qui peut amener à un
rejet de la réflexion, laquelle exige le déploiement d¹une volonté et la mobilisation d¹énergie : un certain
sens de l¹effort. Mais une vie heureuse doit-elle nécessairement être une vie facile, une vie sans
effort ?
Il est bon d'avoir un peu de mal à vivre et de ne pas suivre une route tout unie. Je plains les
rois s'ils n'ont qu'à désirer ; et les dieux, s'il y en a quelque part, doivent être un peu
neurasthéniques. On dit que dans les temps passés, ils prenaient forme de voyageurs et
venaient frapper aux portes ; sans doute ils trouvaient un peu de bonheur à éprouver la faim,
la soif et les passions de l'amour. Seulement, dès qu'ils pensaient un peu à leur puissance,
ils se disaient que tout cela n'était qu'un jeu et qu'ils pouvaient tuer leurs désirs s'ils le
voulaient, en supprimant le temps et la distance. Tout compte fait, ils s'ennuyaient ; ils ont
se pendre ou se noyer, depuis ce temps-là ; ou bien ils dorment comme la belle au bois
dormait. Le bonheur suppose sans doute toujours quelque inquiétude, quelque passion, une
pointe de douleur qui nous éveille à nous-mêmes.
Il est ordinaire que l'on ait plus de bonheur par l'imagination que par les biens réels. Cela
vient de ce que, lorsque l'on a les biens réels, on croit que tout est dit, et l'on s'assied au lieu
de courir. Il y a deux richesses ; celle qui laisse assis ennuie ; celle qui plaît est celle qui veut
des projets encore et des travaux, comme est pour le paysan un champ qu'il convoitait, et
dont il est enfin le maître ; car c'est la puissance qui plaît, non point la puissance au repos,
mais la puissance en action. L'homme qui ne fait rien n'aime rien. Apportez-lui des bonheurs
tout faits, il détourne la tête comme un malade. Au reste, qui n'aime mieux faire la musique
que l'entendre ? Le difficile est ce qui plaît. Aussi toutes les fois qu'il y a quelque obstacle sur
la route, cela fouette le sang et ravive le feu. Qui voudrait d'une couronne olympique si on la
gagnait sans peine? Personne n'en voudrait. Qui voudrait jouer aux cartes sans risquer
jamais de perdre?
Alain (1868-1951)
Le roi s'ennuie, propos sur le bonheur
* * *
Il vaut mieux être un homme insatisfait qu¹un animal satisfait !
Est-il possible d¹être heureux dans un monde dont on ignore les possibilités ? N¹est-il pas quelque peu
inconséquent de prétendre chercher le bonheur et tous les plaisirs qui s¹y rattachent tout en préférant
ignorer les multiples possibilités que nous offre le monde. Dans ces conditions, peut-on véritablement
unir bonheur et ignorance ? Etre ignorant et le rester n¹est-ce pas se refuser d’emblée un certain
nombre de plaisirs et un certain bonheur ?
Incontestablement, l'être dont les facultés de jouissance sont d'ordre inférieur a les plus
grandes chances de les voir pleinement satisfaites ; tandis qu'un être d'aspirations élevées
sentira toujours que le bonheur qu'il peut viser, quel qu'il soit - le monde étant fait comme il
l'est - est un bonheur imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ce qu'il y a d'imperfections
dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables ; et elles ne le rendront pas
jaloux d'un être qui, à la vérité ignore ces imperfections mais ne les ignore que parce qu'il ne
soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées. Il vaut mieux être
un homme insatisfait qu'un porc satisfait ; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu'un imbécile
satisfait. Et si l'imbécile ou le porc sont d'un avis différent, c'est qu'ils ne connaissent qu'un
côté de la question : le leur.
John Stuart Mill (1806-1873)
L¹utilitarisme
- Café philo, le premier et le troisième jeudi du mois, de 12h45 à 13h50 en salle B 305 -
Association sport et culture
* * *
Il n¹a pas d¹heure pour être heureux,
il n¹y a pas d¹heure pour philosopher
Qui dit réflexion dit aussi réflexion philosophique. Et peut-on penser que cette réflexion un genre
particulier qu¹incarne la philosophie n¹a rien à voir avec le bonheur ?
Que nul, étant jeune, ne tarde à philosopher, ni, vieux, ne se lasse de la philosophie. Car il
n'est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard, pour assurer la santé de l'âme. Celui qui dit que
le temps de philosopher n'est pas encore venu ou qu'il est passé, est semblable à celui qui
dit que le temps du bonheur n'est pas encore venu ou qu'il n'est plus. De sorte que ont à
philosopher et le jeune et le vieux, celui-ci pour que, vieillissant, il soit jeune en biens par la
gratitude de ce qui a été, celui-là pour que, jeune il soit en même temps un ancien par son
absence de crainte de l'avenir. Il faut donc méditer sur ce qui procure le bonheur, puisque, lui
présent, nous avons tout, et, lui absent, nous faisons tout pour l'avoir.
Epicure (-341, -271)
Lettre à Ménécée
* * *
L¹imbécile est plus bas que la bête elle-même
Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de
disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique
qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se
perfectionner; faculté qui, à l'aide des circonstances développe successivement toutes les
autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est,
au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce
qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est il sujet à devenir
imbécile? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête,
qui n¹a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct,
l'homme, reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui
avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d'être
forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les
malheurs de l'homme; que c'est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition
originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles, et innocents ; que c'est elle, qui
faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à
la longue le tyran de lui-même, et de la Nature.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Discours sur l'origine et les fondements de l'Inégalité parmi les hommes (1754)
* * *
Le bonheur, instrument de la tyrannie suprême ?
(...) Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois
règnes d'une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits
par le bonheur à l'oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. Je ne sais si
jamais un tyran et ses enfants se sont avisés de cette redoutable politique ; mais je ne doute
aucunement qu'elle ne leur eût réussi. Malheur aux sujets en qui l'on anéantit tout ombrage
sur leur liberté, même par les voies les plus louables en apparence. Ces voies n'en sont que
plus funestes pour l'avenir. C'est ainsi que l'on tombe dans un sommeil fort doux, mais dans
un sommeil de mort, pendant lequel le sentiment Patriotique S'éteint, et l'on devient étranger
- Café philo, le premier et le troisième jeudi du mois, de 12h45 à 13h50 en salle B 305 -
Association sport et culture
au gouvernement de l'État. Supposez aux Anglais trois Elisabeth de suite, et les Anglais
seront les derniers esclaves de l'Europe.
Denis Diderot (1713-1784)
Réfutation suivie de l'ouvrage d'Helvétius intitulé L'Homme, 1775
* * *
Instruction et liberté
Lis et instruis-toi, mon enfant, lui dit le vieil homme. Ainsi nous autres esclaves, nous aurons
une arme Sinon, nous sommes comme les bêtes des champs. Le même dieu qui donna le
feu aux hommes leur a donné le pouvoir de coucher par écrit ses pensées afin qu'ils
puissent évoquer les pensées des dieux en cet âge d'or lointain. Car les hommes, en ce
temps-là, étaient près des dieux et discutaient librement avec eux, en ce temps-là il n'y y
avait pas d'esclaves. Et ces jours-là reviendront.
Fast Howard
Spartacus
* * *
Et si penser était un besoin ?
S'il faut satisfaire tous les besoins de notre être pour être heureux, ne devrions-nous pas chercher à
satisfaire les besoins de notre esprit ? Refuser à notre esprit sa nourriture n¹est-ce pas aussi
problématique que ne pas nourrir son corps ?
La croissance intellectuelle et morale n'est pas moins indispensable que l'amélioration
matérielle. Savoir est un viatique; penser est de première nécessité; la vérité est nourriture
comme le froment. Une raison, à Jeun de science et de sagesse maigrit. Plaignons, à l'égal
des estomacs, les esprits qui ne mangent pas. S'il y a quelque chose de plus poignant qu'un
corps agonisant faute de pain, c'est une âme qui meurt de la faim de la lumière.
Victor Hugo (1802-1885)
Les misérables, tome III
* * *
Quelques livres et revues pour approfondir ce sujet :
- Du bonheur comme question éthique, par Alfrédo Gomez-Muller, L¹Harmattan, 2002
- L¹enthousiasme et la joie, au Temps de l¹Exaspération, Robert Misrahi, Dervy, 2000
- L¹euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur, de Pascal Bruckner, Grasset, 2000
- Le Bonheur; anthologie de textes philosophiques et littéraires, Luc Prioref, Maisonneuve et Larose, 2000
- La lettre sur le bonheur, d¹Épicure; ed. librio ³Lettres et maximes d¹Épicure²
- Fahrenheit 451, Ray Bradbury, Denoël, 1975
- Minerve ou de la Sagesse, Alain, La Table Ronde, 2001
- Café philo, le premier et le troisième jeudi du mois, de 12h45 à 13h50 en salle B 305 -
Association sport et culture
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !