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Cour constitutionnelle allemande (2
e
chambre), 7 juin 2000
(2 BvL 1/97)
Prés. : M
me
Limbach
Siég. : MM/M
mes
Sommer, Jentsch, Hassemer, Broß, Osterloh, Di
Fabio
(Réglementation communautaire du marché de la banane)
DROITS FONDAMENTAUX. — Loi fondamentale. — Droit
communautaire dérivé. — Question préjudicielle. — Irrecevabilité.
Les recours constitutionnels et questions préjudicielles sont irrece-
vables de plein droit s’ils ne démontrent pas que depuis l’arrêt Solan-
ge II, le droit européen, en ce compris la jurisprudence de la Cour de
justice, est descendu en-dessous du minimum requis en matière de pro-
tection des droits fondamentaux.
La motivation d’une question préjudicielle ou d’un recours constitu-
tionnel qui allèguent la violation, par le droit communautaire dérivé,
d’un droit inscrit dans la Loi fondamentale, doit contenir la démonstra-
tion détaillée de ce que de manière générale, le niveau de protection ina-
liénable exigé par la Loi fondamentale n’y est pas assuré. Cela doit se
faire par une mise en parallèle de la protection nationale et communau-
taire des droits fondamentaux, selon la méthode utilisée par la Cour
constitutionnelle dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381)
(Extraits) (*)
(...)
Le 7 juin 2000, la Cour constitutionnelle fédérale (...) a adopté à l’unanimité l’arrêt
suivant :
La question préjudicielle est irrecevable.
Motifs :
A.
(...)
B.
I.
(*) Traduction officieuse par M. Callewaert.
Les questions préjudicielles par lesquelles se trouvent soumises à l’examen de la
Cour constitutionnelle, conformément à l’article 100, alinéa 1
er
, de la Loi fondamen-
tale, des dispositions du droit communautaire dérivé ne sont recevables que si leur
motivation démontre de façon détaillée que les développements actuels du droit com-
munautaire en matière de protection des droits fondamentaux, et en particulier la
jurisprudence de la Cour de justice, ne garantissent pas, globalement, le niveau de
protection requis, selon le cas, au titre du minimum inaliénable.
Certes, le tribunal auteur de la question préjudicielle a indiqué, conformément à
l’article 80, alinéa 2, 1
ère
phrase, de la loi sur la Cour constitutionnelle, pourquoi il
estimait contraire à la Loi fondamentale l’application des dispositions soumises à
examen (...). En outre, il ressort clairement de la décision du tribunal contenant la
question préjudicielle que d’après celui-ci, la solution du litige dont il se trouve saisi
dépend de la réponse à la question soumise (...). Toutefois, la Cour ne partage pas
l’opinion du tribunal d’après laquelle les dispositions mises en cause par lui, à savoir
les articles 17 à 19 et 21, alinéa 2 du règlement communautaire n
o
404/93 ainsi que
d’autres dispositions du droit communautaire dérivé, pourraient être soumises à la
Cour constitutionelle en vue d’un examen de leur constitutionnalité conformément à
l’article 100, alinéa 1 de la Loi fondamentale.
II.
1. Dans son arrêt du 29 mai 1974 — 2 BvL 52/71 — (BVerfGE 37, 271 Solange
I—), la Chambre était parvenue à la conclusion factuelle que les progrès du proces-
sus d’intégration de la Communauté n’avaient pas été tels que le droit communau-
taire contînt également un catalogue de droits fondamentaux qui ait été adopté par
un parlement puis mis en vigueur et correspondît à celui de la Loi fondamentale. En
conséquence, elle a estimé recevable et nécessaire toute question préjudicielle soumise
à la Cour constitutionnelle, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des
normes, par toute juridiction de la République fédérale d’Allemagne qui aura obtenu
au préalable, de la Cour de justice, la décision requise par l’ancien article 177 du
Traité CEE, dans les cas où cette juridiction estimera inapplicable la disposition per-
tinente du droit communautaire, dans son interprétation par la Cour de justice, en
raison de ce que, et dans la mesure où cette disposition se heurte à un droit de la
Loi fondamentale.
2. a) Dans son arrêt du 22 octobre 1986 — 2 BvR 197/83 — (BVerfGE 73, 339
Solange II ), la Chambre a décidé que depuis lors s’était développé dans le
domaine de compétences des Communautés européennes un niveau de protection des
droits fondamentaux dont la conception, le contenu et le fonctionnement le rendaient
comparable, pour l’essentiel, au standard de protection des droits fondamentaux de
la Loi fondamentale. D’après la Chambre, il n’existait pas non plus d’éléments déter-
minants permettant de croire que le niveau de protection des droits fondamentaux
atteint par le droit communautaire ne fût pas suffisamment établi et ne constituât
qu’un phénomène passager.
En se fondant sur des décisions individuelles de la Cour de justice, la Chambre a
examiné le standard de protection des droits fondamentaux au niveau européen,
lequel lui est apparu comme développé, établi et suffisamment assuré, principale-
ment par l’effet de la jurisprudence de la Cour de justice (...). Pour ce faire, la
Chambre s’est prononcée sur la jurisprudence de la Cour de justicerelative aux droits
et libertés fondamentaux touchant à la vie économique, comme la propriété et le
libre exercice d’une activité économique (...), mais aussi sur la jurisprudence relative
à la liberté d’association, au principe général d’égalité et à l’interdiction de l’arbi-
traire, à la liberté de religion ou à la protection de la famille, à l’interdiction de
1184 Rev. trim. dr. h. (2001)
l’excès et au principe de proportionnalité comme principes généraux du droit à res-
pecter dans la mise en balance des buts d’intérêt public reconnus dans l’ordre juridi-
que communautaire, ainsi que sur la jurisprudence relative à la garantie du contenu
essentiel des droits fondamentaux (...).
En conclusion, la Chambre a estimé que tant que les Communautés européennes,
et en particulier la jurisprudence de la Cour de justice, garantiraient de manière
générale, face aux pouvoirs exercés par les Communautés, une protection des droits
fondamentaux efficace et équivalant, pour l’essentiel, au niveau de protection inalié-
nable exigé par la Loi fondamentale, notamment en garantissant de manière générale
le contenu essentiel des droits fondamentaux, aussi longtemps la Cour constitution-
nelle fédérale s’abstiendrait d’exercer son contrôle sur l’applicabilité de dispositions
de droit communautaire dérivé servant de base juridique à l’action de juridictions
et d’autorités adminsitratives allemandes sur le territoire allemand et, dès lors, cesse-
rait d’examiner ce droit à l’aune des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fonda-
mentale. En conséquence, les questions préjudicielles (relatives à des normes du droit
communautaire dérivé) et soumises à la Cour constitutionnelle fédérale conformé-
ment à l’article 100, alinéa 1 de la Loi fondamentale sont irrecevables (...).
b) La Chambre a maintenu cette position dans son arrêt sur le Traité de Maastricht
(BVerfGE 89, 155). Elle y a souligné que par ses compétences exercées en coopéra-
tion avec la Cour de justice, la Cour constitutionnelle assure que, d’une manière
générale, la population de l’Allemagne jouisse aussi d’une protection efficace des
droits fondamentaux à l’égard des pouvoirs exercés par les Communautés et que
celle-ci soit équivalente, pour l’essentiel, au niveau de protection inaliénable exigé
par la Loi fondamentale, notamment en garantissant de manière générale le contenu
essentiel des droits fondamentaux. Ainsi, la Cour constitutionnelle garantit ce
contenu essentiel face également aux pouvoirs exercés par la Communauté (...).
D’après le même arrêt, la Cour de justice est également compétente, aux conditions
énoncées par la Chambre dans son arrêt BVerfGE 73, 339 Solange II —, pour
assurer la protection des droits fondamentaux des citoyens de la République fédérale
d’Allemagne à l’égard d’actes pris par les autorités nationales (allemandes) sur la
base du droit communautaire dérivé. La Cour constitutionnelle ne reprendra l’exer-
cice de ses compétences que si la Cour de justice en venait à s’écarter du standard
de protection constaté par la Chambre dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381).
c) L’article 23, alinéa 1, 1
ère
phrase, de la Loi fondamentale (inséré par la loi du
21 décembre 1992 — BGBl I, p. 2086 — ) a confirmé cette jurisprudence. D’après
cette disposition, la République fédérale d’Allemagne participe, dans le but de
construire une Europe unie, au développement d’une Union européenne qui est atta-
chée aux principes démocratiques, à ceux de l’Etat de droit, aux principes sociaux
et fédératifs, ainsi qu’au principe de subsidiarité, et qui assure une protection des
droits fondamentaux comparable, pour l’essentiel, à celle de la Loi fondamentale. Il
n’est pas nécessaire que la protection assurée par le droit communautaire et la juris-
prudence de la Cour de justice soit en tous points comparable à celle de la Loi fonda-
mentale. Conformément aux conditions formulées dans l’arrêt BVerfGE 73, 339 (340,
387), il est satisfait aux exigences de la Loi fondamentale si la jurisprudence de la
Cour de justice assure, de manière générale, à l’égard des pouvoirs exercés par les
Communautés européennes, une protection efficace et équivalant, pour l’essentiel, au
niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale, notamment en
garantissant de manière générale le contenu essentiel des droits fondamentaux.
d) En conséquence, même après l’arrêt BVerfGE 89,155 de la Chambre, les recours
constitutionnels et questions préjudicielles sont irrecevables de plein droit s’ils ne
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démontrent pas que depuis l’arrêt Solange II (BVerfGE 73, 339 <378 à 381 >), le
droit européen, en ce compris la jurisprudence de la Cour de justice, est descendu en-
dessous du minimum requis en matière de protection des droits fondamentaux. C’est
pourquoi la motivation d’une question préjudicielle ou d’un recours constitutionnel
qui allèguent la violation, par le droit communautaire dérivé, d’un droit inscrit dans
la Loi fondamentale, doit contenir la démonstration détaillée de ce que de manière
générale, le niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale n’y est
pas assuré. Cela doit se faire par une mise en parallèle de la protection nationale et
communautaire des droits fondamentaux, selon la méthode utilisée par la Cour
constitutionnelle dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381).
III.
Cette condition n’est pas réalisée en l’espèce.
(...)
OBSERVATIONS
Les droits fondamentaux
entre cours nationales et européennes
Plus que jamais, les droits fondamentaux marquent de leur
empreinte le paysage juridique européen dans toutes ses compo-
santes, qu’elles soient nationale, communautaire ou convention-
nelle. Leur application a beau relever, selon le cas, de juridictions
différentes, tantôt nationales, tantôt européennes, il s’agit souvent
des mêmes droits. Poussés par l’interpénétration croissante et tou-
jours plus rapide des trois ordres juridiques concernés, ils esquissent
ainsi un mouvement vers une forme de globalisation à l’européenne.
Quoi de plus normal, du reste, de voir les droits fondamentaux —
parce qu’ils sont fondamentaux — suivre le mouvement de globali-
sation des échanges en Europe, dépassant les cloisonnements théori-
ques qui y font obstacle et dont les citoyens pas plus que les entre-
prises, en définitive, n’ont cure?
Pourtant, les cloisonnements subsistent et un gros effort de struc-
turation de cette interaction multipolaire dans le domaine des droits
fondamentaux reste à faire. L’objectif doit être non seulement d’as-
surer une sécurité juridique qui traverse tous les niveaux concernés,
mais aussi de veiller à ce que l’Europe reste fidèle à l’une de ses tra-
ditions éthiques les plus fondamentales, celle qui s’exprime à travers
le principe de l’universalité des droits de l’homme (
1
).
1186 Rev. trim. dr. h. (2001)
(1) Ce principe continue d’être un point de référence dans la construction euro-
péenne. Ainsi par exemple peut-on lire dans un discours que le Premier ministre
L’arrêt annoté offre une excellente occasion d’approfondir cette
réflexion. Directement, en effet, il pose la question des rapports
entre droits fondamentaux nationaux et communautaires, en para-
chevant la doctrine développée en la matière par la Cour constitu-
tionnelle allemande dans ses fameux arrêts Solange, dont il dévoile
à présent toutes les implications. Indirectement, toutefois, il relance
aussi le débat sur la structuration de la triangulaire droit national,
droit communautaire et Convention, à l’heure où cette question
connaît un regain d’intérêt sous l’effet de développements récents
tels que l’arrêt Matthews ou la Charte des droits fondamentaux, et
où la solution adoptée à l’époque par la Commission européenne des
droits de l’homme dans l’affaire M. & Co, solution largement inspi-
rée du modèle Solange, passe toujours auprès de certains pour un
des modèles à suivre dans ce contexte.
Il ne s’agira donc pas tellement ici d’ajouter une analyse à toutes
celles qui se sont déjà penchées sur les conséquences de l’arrêt
annoté pour les relations entre la Cour constitutionnelle allemande
et la Cour de justice (
2
), mais plutôt de s’interroger sur la pertinence
et la transposabilité du modèle proposé par la Cour constitution-
nelle allemande, dans la perspective d’un questionnement sur le
nécessaire agencement des relations entre tous les acteurs de la pro-
tection des droits fondamentaux en Europe : les juridictions natio-
nales, la Cour de justice et la Cour européenne des droits de
l’homme. Concrètement, cela se fera en comparant le « modèle
Rev. trim. dr. h. (2001) 1187
belge, M. Guy Verhofstadt, prononça le 6 février 2001 sous le titre « Valeur et dignité
du projet européen » : « A côté du droit positif se développe également l’idée que tout
un chacun peut faire valoir certains droits qu’aucun Etat ne lui a accordés ou ne
peut lui retirer. La jeune tradition des droits de l’homme, reprise progressivement
par le droit positif dans le cadre de l’ordre juridique, est un vecteur essentiel d’un
ordre juridique international croissant. Outre le classique droit des peuples, qui règle
les relations entre les Etats, les droits de l’homme ouvrent la voie vers un monde
appliquant grosso modo les mêmes règles de droit. Cette convergence du droit n’est
pas encore pour demain. Néanmoins, le chemin déjà parcouru sur une période de cent
ans témoigne d’une accélération sans précédent dans notre Histoire. (...) La dignité
individuelle de chaque personne est par conséquent le foyer de la liberté et de l’éga-
lité. Elle est simultanément unique et universelle. Elle dépasse toute caste, toute
classe ou tout milieu voire même toute limite de culture et de civilisation. »
(2) Voy. par exemple, en français : Constance Grewe, « Le traité de paix avec
la Cour de Luxembourg : l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 7 juin
2000 relatif au règlement du marché de la banane », Rev. trim. dr. eur., 2001, p. 1;
Willy Zimmer, « De nouvelles bases pour la coopération entre la Cour constitution-
nelle fédérale et la Cour de justice de Luxembourg? (A propos de BverfG, 7 juin
2000, Solange III, Europe, Editions du Juris-classeur, mars 2001, p. 3.
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