Cour constitutionnelle allemande (2 e chambre), 7 juin 2000 (2 BvL 1/97) Prés. : M me Limbach Siég. : MM/M mes Sommer, Jentsch, Hassemer, Broß, Osterloh, Di Fabio (Réglementation communautaire du marché de la banane) DROITS FONDAMENTAUX. — Loi fondamentale. — Droit communautaire dérivé. — Question préjudicielle. — Irrecevabilité. Les recours constitutionnels et questions préjudicielles sont irrecevables de plein droit s’ils ne démontrent pas que depuis l’arrêt Solange II, le droit européen, en ce compris la jurisprudence de la Cour de justice, est descendu en-dessous du minimum requis en matière de protection des droits fondamentaux. La motivation d’une question préjudicielle ou d’un recours constitutionnel qui allèguent la violation, par le droit communautaire dérivé, d’un droit inscrit dans la Loi fondamentale, doit contenir la démonstration détaillée de ce que de manière générale, le niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale n’y est pas assuré. Cela doit se faire par une mise en parallèle de la protection nationale et communautaire des droits fondamentaux, selon la méthode utilisée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381) (Extraits) (*) (...) Le 7 juin 2000, la Cour constitutionnelle fédérale (...) a adopté à l’unanimité l’arrêt suivant : La question préjudicielle est irrecevable. Motifs : A. (...) B. I. (*) Traduction officieuse par M. Callewaert. 1184 Rev. trim. dr. h. (2001) Les questions préjudicielles par lesquelles se trouvent soumises à l’examen de la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 100, alinéa 1 er, de la Loi fondamentale, des dispositions du droit communautaire dérivé ne sont recevables que si leur motivation démontre de façon détaillée que les développements actuels du droit communautaire en matière de protection des droits fondamentaux, et en particulier la jurisprudence de la Cour de justice, ne garantissent pas, globalement, le niveau de protection requis, selon le cas, au titre du minimum inaliénable. Certes, le tribunal auteur de la question préjudicielle a indiqué, conformément à l’article 80, alinéa 2, 1 ère phrase, de la loi sur la Cour constitutionnelle, pourquoi il estimait contraire à la Loi fondamentale l’application des dispositions soumises à examen (...). En outre, il ressort clairement de la décision du tribunal contenant la question préjudicielle que d’après celui-ci, la solution du litige dont il se trouve saisi dépend de la réponse à la question soumise (...). Toutefois, la Cour ne partage pas l’opinion du tribunal d’après laquelle les dispositions mises en cause par lui, à savoir les articles 17 à 19 et 21, alinéa 2 du règlement communautaire n o 404/93 ainsi que d’autres dispositions du droit communautaire dérivé, pourraient être soumises à la Cour constitutionelle en vue d’un examen de leur constitutionnalité conformément à l’article 100, alinéa 1 de la Loi fondamentale. II. 1. Dans son arrêt du 29 mai 1974 — 2 BvL 52/71 — (BVerfGE 37, 271 — Solange I —), la Chambre était parvenue à la conclusion factuelle que les progrès du processus d’intégration de la Communauté n’avaient pas été tels que le droit communautaire contînt également un catalogue de droits fondamentaux qui ait été adopté par un parlement puis mis en vigueur et correspondît à celui de la Loi fondamentale. En conséquence, elle a estimé recevable et nécessaire toute question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des normes, par toute juridiction de la République fédérale d’Allemagne qui aura obtenu au préalable, de la Cour de justice, la décision requise par l’ancien article 177 du Traité CEE, dans les cas où cette juridiction estimera inapplicable la disposition pertinente du droit communautaire, dans son interprétation par la Cour de justice, en raison de ce que, et dans la mesure où cette disposition se heurte à un droit de la Loi fondamentale. 2. a) Dans son arrêt du 22 octobre 1986 — 2 BvR 197/83 — (BVerfGE 73, 339 — Solange II — ), la Chambre a décidé que depuis lors s’était développé dans le domaine de compétences des Communautés européennes un niveau de protection des droits fondamentaux dont la conception, le contenu et le fonctionnement le rendaient comparable, pour l’essentiel, au standard de protection des droits fondamentaux de la Loi fondamentale. D’après la Chambre, il n’existait pas non plus d’éléments déterminants permettant de croire que le niveau de protection des droits fondamentaux atteint par le droit communautaire ne fût pas suffisamment établi et ne constituât qu’un phénomène passager. En se fondant sur des décisions individuelles de la Cour de justice, la Chambre a examiné le standard de protection des droits fondamentaux au niveau européen, lequel lui est apparu comme développé, établi et suffisamment assuré, principalement par l’effet de la jurisprudence de la Cour de justice (...). Pour ce faire, la Chambre s’est prononcée sur la jurisprudence de la Cour de justicerelative aux droits et libertés fondamentaux touchant à la vie économique, comme la propriété et le libre exercice d’une activité économique (...), mais aussi sur la jurisprudence relative à la liberté d’association, au principe général d’égalité et à l’interdiction de l’arbitraire, à la liberté de religion ou à la protection de la famille, à l’interdiction de Rev. trim. dr. h. (2001) 1185 l’excès et au principe de proportionnalité comme principes généraux du droit à respecter dans la mise en balance des buts d’intérêt public reconnus dans l’ordre juridique communautaire, ainsi que sur la jurisprudence relative à la garantie du contenu essentiel des droits fondamentaux (...). En conclusion, la Chambre a estimé que tant que les Communautés européennes, et en particulier la jurisprudence de la Cour de justice, garantiraient de manière générale, face aux pouvoirs exercés par les Communautés, une protection des droits fondamentaux efficace et équivalant, pour l’essentiel, au niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale, notamment en garantissant de manière générale le contenu essentiel des droits fondamentaux, aussi longtemps la Cour constitutionnelle fédérale s’abstiendrait d’exercer son contrôle sur l’applicabilité de dispositions de droit communautaire dérivé servant de base juridique à l’action de juridictions et d’autorités adminsitratives allemandes sur le territoire allemand et, dès lors, cesserait d’examiner ce droit à l’aune des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale. En conséquence, les questions préjudicielles (relatives à des normes du droit communautaire dérivé) et soumises à la Cour constitutionnelle fédérale conformément à l’article 100, alinéa 1 de la Loi fondamentale sont irrecevables (...). b) La Chambre a maintenu cette position dans son arrêt sur le Traité de Maastricht (BVerfGE 89, 155). Elle y a souligné que par ses compétences exercées en coopération avec la Cour de justice, la Cour constitutionnelle assure que, d’une manière générale, la population de l’Allemagne jouisse aussi d’une protection efficace des droits fondamentaux à l’égard des pouvoirs exercés par les Communautés et que celle-ci soit équivalente, pour l’essentiel, au niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale, notamment en garantissant de manière générale le contenu essentiel des droits fondamentaux. Ainsi, la Cour constitutionnelle garantit ce contenu essentiel face également aux pouvoirs exercés par la Communauté (...). D’après le même arrêt, la Cour de justice est également compétente, aux conditions énoncées par la Chambre dans son arrêt BVerfGE 73, 339 — Solange II —, pour assurer la protection des droits fondamentaux des citoyens de la République fédérale d’Allemagne à l’égard d’actes pris par les autorités nationales (allemandes) sur la base du droit communautaire dérivé. La Cour constitutionnelle ne reprendra l’exercice de ses compétences que si la Cour de justice en venait à s’écarter du standard de protection constaté par la Chambre dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381). c) L’article 23, alinéa 1, 1 ère phrase, de la Loi fondamentale (inséré par la loi du 21 décembre 1992 — BGBl I, p. 2086 — ) a confirmé cette jurisprudence. D’après cette disposition, la République fédérale d’Allemagne participe, dans le but de construire une Europe unie, au développement d’une Union européenne qui est attachée aux principes démocratiques, à ceux de l’Etat de droit, aux principes sociaux et fédératifs, ainsi qu’au principe de subsidiarité, et qui assure une protection des droits fondamentaux comparable, pour l’essentiel, à celle de la Loi fondamentale. Il n’est pas nécessaire que la protection assurée par le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice soit en tous points comparable à celle de la Loi fondamentale. Conformément aux conditions formulées dans l’arrêt BVerfGE 73, 339 (340, 387), il est satisfait aux exigences de la Loi fondamentale si la jurisprudence de la Cour de justice assure, de manière générale, à l’égard des pouvoirs exercés par les Communautés européennes, une protection efficace et équivalant, pour l’essentiel, au niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale, notamment en garantissant de manière générale le contenu essentiel des droits fondamentaux. d) En conséquence, même après l’arrêt BVerfGE 89,155 de la Chambre, les recours constitutionnels et questions préjudicielles sont irrecevables de plein droit s’ils ne 1186 Rev. trim. dr. h. (2001) démontrent pas que depuis l’arrêt Solange II (BVerfGE 73, 339 < 378 à 381 >), le droit européen, en ce compris la jurisprudence de la Cour de justice, est descendu endessous du minimum requis en matière de protection des droits fondamentaux. C’est pourquoi la motivation d’une question préjudicielle ou d’un recours constitutionnel qui allèguent la violation, par le droit communautaire dérivé, d’un droit inscrit dans la Loi fondamentale, doit contenir la démonstration détaillée de ce que de manière générale, le niveau de protection inaliénable exigé par la Loi fondamentale n’y est pas assuré. Cela doit se faire par une mise en parallèle de la protection nationale et communautaire des droits fondamentaux, selon la méthode utilisée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt BVerfGE 73, 339 (378 à 381). III. Cette condition n’est pas réalisée en l’espèce. (...) OBSERVATIONS Les droits fondamentaux entre cours nationales et européennes Plus que jamais, les droits fondamentaux marquent de leur empreinte le paysage juridique européen dans toutes ses composantes, qu’elles soient nationale, communautaire ou conventionnelle. Leur application a beau relever, selon le cas, de juridictions différentes, tantôt nationales, tantôt européennes, il s’agit souvent des mêmes droits. Poussés par l’interpénétration croissante et toujours plus rapide des trois ordres juridiques concernés, ils esquissent ainsi un mouvement vers une forme de globalisation à l’européenne. Quoi de plus normal, du reste, de voir les droits fondamentaux — parce qu’ils sont fondamentaux — suivre le mouvement de globalisation des échanges en Europe, dépassant les cloisonnements théoriques qui y font obstacle et dont les citoyens pas plus que les entreprises, en définitive, n’ont cure ? Pourtant, les cloisonnements subsistent et un gros effort de structuration de cette interaction multipolaire dans le domaine des droits fondamentaux reste à faire. L’objectif doit être non seulement d’assurer une sécurité juridique qui traverse tous les niveaux concernés, mais aussi de veiller à ce que l’Europe reste fidèle à l’une de ses traditions éthiques les plus fondamentales, celle qui s’exprime à travers le principe de l’universalité des droits de l’homme ( 1). (1) Ce principe continue d’être un point de référence dans la construction européenne. Ainsi par exemple peut-on lire dans un discours que le Premier ministre → Rev. trim. dr. h. (2001) 1187 L’arrêt annoté offre une excellente occasion d’approfondir cette réflexion. Directement, en effet, il pose la question des rapports entre droits fondamentaux nationaux et communautaires, en parachevant la doctrine développée en la matière par la Cour constitutionnelle allemande dans ses fameux arrêts Solange, dont il dévoile à présent toutes les implications. Indirectement, toutefois, il relance aussi le débat sur la structuration de la triangulaire droit national, droit communautaire et Convention, à l’heure où cette question connaît un regain d’intérêt sous l’effet de développements récents tels que l’arrêt Matthews ou la Charte des droits fondamentaux, et où la solution adoptée à l’époque par la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire M. & Co, solution largement inspirée du modèle Solange, passe toujours auprès de certains pour un des modèles à suivre dans ce contexte. Il ne s’agira donc pas tellement ici d’ajouter une analyse à toutes celles qui se sont déjà penchées sur les conséquences de l’arrêt annoté pour les relations entre la Cour constitutionnelle allemande et la Cour de justice ( 2), mais plutôt de s’interroger sur la pertinence et la transposabilité du modèle proposé par la Cour constitutionnelle allemande, dans la perspective d’un questionnement sur le nécessaire agencement des relations entre tous les acteurs de la protection des droits fondamentaux en Europe : les juridictions nationales, la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’homme. Concrètement, cela se fera en comparant le « modèle ← belge, M. Guy Verhofstadt, prononça le 6 février 2001 sous le titre « Valeur et dignité du projet européen » : « A côté du droit positif se développe également l’idée que tout un chacun peut faire valoir certains droits qu’aucun Etat ne lui a accordés ou ne peut lui retirer. La jeune tradition des droits de l’homme, reprise progressivement par le droit positif dans le cadre de l’ordre juridique, est un vecteur essentiel d’un ordre juridique international croissant. Outre le classique droit des peuples, qui règle les relations entre les Etats, les droits de l’homme ouvrent la voie vers un monde appliquant grosso modo les mêmes règles de droit. Cette convergence du droit n’est pas encore pour demain. Néanmoins, le chemin déjà parcouru sur une période de cent ans témoigne d’une accélération sans précédent dans notre Histoire. (...) La dignité individuelle de chaque personne est par conséquent le foyer de la liberté et de l’égalité. Elle est simultanément unique et universelle. Elle dépasse toute caste, toute classe ou tout milieu voire même toute limite de culture et de civilisation. » (2) Voy. par exemple, en français : Constance Grewe, « Le ‘traité de paix ’ avec la Cour de Luxembourg : l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 7 juin 2000 relatif au règlement du marché de la banane », Rev. trim. dr. eur., 2001, p. 1 ; Willy Zimmer, « De nouvelles bases pour la coopération entre la Cour constitutionnelle fédérale et la Cour de justice de Luxembourg? (A propos de BverfG, 7 juin 2000, Solange III) », Europe, Editions du Juris-classeur, mars 2001, p. 3. 1188 Rev. trim. dr. h. (2001) Solange » avec le « modèle M & Co », de façon à faire ressortir leurs pertinences et spécificités respectives. ✩ I. — Solange, modèle de gestion des rapports entre droits fondamentaux nationaux et communautaires L’arrêt du 7 juin 2000 représente sans doute l’aboutissement d’une longue évolution jurisprudentielle sur la question des rapports entre le droit constitutionnel allemand et le droit communautaire. On se souvient que la Cour constitutionnelle allemande s’interrogeait depuis longtemps sur l’équivalence des protections nationale et communautaire des droits fondamentaux, en vue de déterminer son rôle dans ce domaine, et en particulier l’étendue de son contrôle du droit communautaire dérivé. Or il semble bien qu’avec l’arrêt annoté, la Cour constitutionnelle a mis un point final à ce débat. Sans vouloir entrer dans le détail des étapes successives qu’il a connues, on retiendra simplement que dans son arrêt Solange I du 29 mai 1974, la Cour constitutionnelle avait d’abord estimé que la protection communautaire des droits fondamentaux n’était pas, par nature, équivalante à la protection assurée par la Loi fondamentale, ce qui nécessitait, d’après elle, qu’elle continuât d’exercer son contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé ( 3). Vint alors le revirement opéré le 22 octobre 1986 par l’arrêt Solange II, dans lequel la Cour constitutionnelle constata que depuis son arrêt Solange I, la protection communautaire des droits fondamentaux avait évolué au point d’offrir désormais une « protection correspondant pour l’essentiel au standard inaliénable fixé par (3) BVerfGE 37, p. 271 ; traduction française dans la Rev. trim. dr. eur. 1975, p. 316, note Fromont. La préposition allemande solange se traduit en français par « tant que » ; cette préposition ouvrant la phrase clé du dispositif de l’arrêt, elle a donné son nom à l’arrêt lui-même. En substance, ladite phrase énonce que tant que l’équivalence ne sera pas assurée entre les protections communautaire et nationale des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle aura à exercer son contrôle sur le droit communautaire dérivé. Pour un commentaire en français des arrêts Solange I et II, voyez Christian Tomuschat, « Les rapports entre le droit communautaire et le droit interne allemand dans la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle allemande », Cahiers de droit européen, 1989, p. 163. Rev. trim. dr. h. (2001) 1189 la Loi fondamentale » ( 4), ce qui permettait à la Cour constitutionnelle de s’abstenir à l’avenir d’exercer son contrôle sur le droit communautaire dérivé, sauf à le reprendre, en vertu d’une réserve de compétence ( 5), en cas de défaillance de la garantie communautaire ( 6). Cela revenait à instituer une sorte de présomption de compatibilité du droit communautaire, mais les conditions de son éventuel renversement continuaient de susciter beaucoup de questions. Loin d’y répondre, l’arrêt Maastricht qui suivit le 12 octobre 1993 ne fit, en définitive, que les multiplier ( 7). C’est la confusion qui continuait de régner sur ce point qui est à l’origine de l’arrêt annoté, le tribunal administratif de Francfort ayant cru pouvoir valablement saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité avec la Loi fondamentale de règlements communautaires relatifs au marché européen de la banane. La Cour constitutionnelle a déclaré la question irrecevable, au terme d’un raisonnement qui met de telles conditions au renversement de la présomption de conformité du droit communautaire que celle-ci en devient quasi-irréfragable en pratique. En substance, la Cour juge en effet que désormais seront seuls recevables les recours dont les auteurs démontreront, à l’aide d’une analyse aussi approfondie que celle faite dans l’arrêt Solange II, que la protection communautaire des droits fondamentaux, y compris celle qui est assurée par la Cour de justice, est globalement descendue en-dessous du niveau constaté et considéré comme satisfaisant dans l’arrêt Solange II. Autant dire qu’il n’y a plus là qu’une hypothèse d’école, vu le caractère hautement improbable d’une évolution d’une telle ampleur et la nature de la démonstration qui devrait en être faite. C’est d’ailleurs bien ce que la Cour constitutionnelle a voulu, comme en convient sa présidente, M me Limbach, qui, dans un article qu’elle (4) « [Ein wirksamer] Schutz der Grundrechte (...), der dem vom Grundgesetz als unabdingbar gebotenen Grundrechtsschutz im wesentlichen gleichzuachten ist, zumal den Wesensgehalt der Grundrechte generell verbürgt » (point B, II, 1, f). Cette formule a inspiré le Constituant allemand quand il a fixé en 1994, parmi les conditions mises à la participation de l’Allemagne au développement de l’Union européenne, que celle-ci garantisse une protection des droits fondamentaux comparable pour l’essentiel à la protection constitutionnelle (« [ein] diesem Grundgesetz im wesentlichen vergleichbare[r] Grundrechtsschutz » ; art. 23 al. 1 de la Loi fondamentale). (5) « Reservezuständigkeit » (6) BVerfGE 73, 339 ; traduction française dans la Rev. trim. dr. eur. 1987, 537, note V. Constantinesco. (7) BVerfGE 89, 155 ; traduction française par extraits dans la Rev. univ. dr. h. 1993, 286. 1190 Rev. trim. dr. h. (2001) a récemment consacré au sujet, relève le caractère désormais « très théorique » de l’exercice par la Cour constitutionnelle de sa compétence de réserve, estimant que « le respect de la compétence de principe de la Cour de justice de statuer en dernier ressort et le principe directeur d’un rapport de coopération [entre la Cour constitutionnelle allemande et la Cour de justice] ne sont pas compatibles avec un contrôle individuel exercé par des juridictions constitutionnelles nationales agissant comme ‘ chiens de garde ’ » ( 8). Voilà donc, très succinctement, l’essentiel du « modèle Solange » qui, au terme des développements qu’il a connus, apparaît aujourd’hui comme un modèle d’effacement total et quasi-définitif de la protection nationale des droits fondamentaux devant la protection communautaire, du moins en tant qu’il s’agit du droit communautaire dérivé ( 9). Même si ce modèle est loin de faire l’unanimité parmi les cours suprêmes des Etats membres ( 10), il a au moins le mérite de correspondre assez largement aux vues de la Cour de justice en la matière, laquelle a toujours estimé, en effet, que la primauté du droit communautaire valait aussi à l’égard des constitutions nationales ( 11). L’intérêt principal du « modèle Solange » pour notre propos se situe cependant dans le fait qu’il a fortement inspiré l’approche de la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire « M & Co », nonobstant des contextes sensiblement différents : ici une relation bilatérale entre une juridiction nationale et la Cour de justice, là une triangulaire entre une juridiction nationale, la Cour de justice et un organe de la Convention. Or, d’une part, l’arrêt annoté jette un éclairage nouveau sur le « modèle Solange », en ce qu’il en tire toutes les conséquences. D’autre part, les mouvements (8) Jutta Limbach, « Die Kooperation der Gerichte in der zukünftigen europäischen Grundrechtsarchitektur — Ein Beitrag zur Neubestimmung des Verhältnisses von Bundesverfassungsgericht, Gerichtshof der Europäischen Gemeinschaften und Europäischem Gerichtshof für Menschenrechte », Europäische Grundrechte-Zeitschrift (Kehl), 2000, p. 417 (420). (9) Fondé notamment sur le contrôle exercé par la Cour de justice, le « modèle Solange » ne saurait s’appliquer au droit communautaire originaire, lequel échappe à ce contrôle (voy. aussi le point II, b, ii ci-dessous). (10) Ainsi p. ex. en France (Conseil d’Etat, 30 octobre 1998, aff. Sarran ; Cour de cassation, 2 juin 2000, aff. Fraisse) et en Belgique (Cour d’arbitrage, 3 novembre 1994, aff. Schola Europea ; comp. avec Conseil d’Etat, 5 novembre 1996, aff. Orfinger et Cour de cassation, 12 février 1996, aff. Inusop; à ce sujet, voy. Olivier De Schutter et Sebastien van Drooghenbroeck, Droit international des droits de l’homme devant le juge national, Larcier, 1999, pp. 534 et s.). (11) C.J.C.E., Internationale Handelsgesellschaft, 17 décembre 1970, 11/70, 1125 ; C.J.C.E., Kreil, 11 janvier 2000, C-285/98. Rev. trim. dr. h. (2001) 1191 de rapprochement accéléré récemment observés entre les trois niveaux juridiques européens — national, communautaire et conventionnel — relancent la question du cadre conceptuel appelé à structurer ce type d’interaction, dans un but de cohérence. Voilà autant de raisons de s’interroger, à la lumière des plus récentes évolutions, sur la transposabilité du « modèle Solange » à ce type de rapports. II. — La transposabilité du modèle Solange aux rapports entre droits fondamentaux conventionnels et communautaires — critique du modèle M & Co A. — La compatibilité des modèles Solange et M & Co avec la jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme Il a déjà été dit que l’arrêt Solange II a beaucoup inspiré la Commission européenne des droits de l’homme lorsqu’elle a eu à connaître, dans l’affaire M & Co c. Allemagne, du point de savoir si l’Allemagne avait engagé sa responsabilité conventionnelle en donnant l’exequatur à une arrêt de la Cour de justice lui imposant une lourde amende pour avoir violé l’ancien article 85 (actuellement 81) du Traité sur le Communauté européenne. La société requérante soutenait en particulier que la Cour de justice avait méconnu la présomption d’innocence, au sens de l’article 6, § 2 de la Convention, en condamnant ses associés pour un acte qui, en réalité, avait été commis à leur insu par un employé. Le 9 février 1990, la Commission a déclaré la requête irrecevable ratione materiae, au terme d’un raisonnement en trois temps. Elle a d’abord considéré que le transfert de compétences, par les Etats Parties, à des organisations internationales n’était pas incompatible avec la Convention, « à condition que, dans cette organisation, les droits fondamentaux reçoivent une protection équivalente ». Elle a ensuite estimé que cette condition était remplie dans le cas des Communautés européennes, puisque le système juridique institué par celles-ci « non seulement reconnaît les droits fondamentaux mais assure aussi le contrôle de leur respect. » Comme la Cour constitutionnelle allemande, elle s’est référée pour cela à la déclaration conjointe du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne du 5 avril 1977, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice. En conclusion, la Commission a estimé « qu’il serait contraire à l’idée même de transfert de pouvoirs à une organisation internationale de 1192 Rev. trim. dr. h. (2001) tenir les Etats membres responsables, dans chaque cas particulier, avant de donner l’exequatur à un arrêt de la Cour européenne de justice, de l’examen du point de savoir si l’article 6 de la Convention a été respecté dans la procédure en question. » ( 12) A ce jour, l’approche M & Co n’a pas été confirmée comme telle par la Cour européenne des droits de l’homme. On peut toutefois s’interroger sur sa compatibilité avec la jurisprudence plus récente, et singulièrement avec l’arrêt Cantoni du 15 novembre 1996, dans lequel la Cour a examiné la compatibilité avec la Convention d’une disposition pénale française directement issue d’une directive communautaire, estimant que l’origine communautaire de la disposition attaquée ne la soustrayait pas à l’empire de l’article 7 de la Convention ( 13). Cet enseignement n’est d’ailleurs qu’une concrétisation anticipée du principe consacré par la Cour dans son arrêt Parti communiste et selon lequel l’obligation découlant de l’article 1 de la Convention, celle pour les Etats parties de reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre I, « ne fait aucune distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la ‘juridiction ’ des Etats membres à l’empire de la Convention. » ( 14) Le principe se justifie non seulement à la lumière du mandat de la Convention, mais également d’un point de vue pratique, car avec l’accroissement des compétences communautaires, il s’avérera sans doute de plus en plus difficile de faire la part entre les éléments nationaux et communautaires dans les dispositions ou actes soumis au contrôle de la Cour. A cet égard, il n’est pas non plus sans intérêt de noter que la règle précitée a été rappelée au paragraphe 29 de l’arrêt Matthews ( 15). Certes, en tant qu’il concerne une disposition de droit communautaire originaire, soustraite au contrôle de la Cour de justice ( 16), cet arrêt peut paraître manquer de pertinence dans la discussion sur la compatibilité de l’approche M & Co avec la jurisprudence plus (12) Requête n o 13258/87, D.R. 64, p. 138. Sur cette décision, voy., parmi d’autres, François Rigaux, « L’article 192 du Traité CEE devant la Commission européenne des droits de l’homme », cette Revue, 1990, p. 398. (13) Arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, § 30. A ce sujet, voy. Françoise Tulkens, « L’Union européenne devant la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. univ. dr. h., 2000, p. 50. (14) Arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, § 29. (15) Arrêt Matthews c. Royaume-Uni du 18 février 1999. (16) Arrêt Matthews précité, § 33. Rev. trim. dr. h. (2001) 1193 récente de la Cour. Il n’empêche que si la Cour a relevé l’absence de compétence de la Cour de justice en la matière, il ne ressort pas de l’arrêt qu’elle ait voulu donner à cet élément une importance déterminante. Au contraire, son poids paraît considérablement amoindri par le rappel de la règle précitée, qui, elle, ne fait aucune distinction de ce genre. Bref, l’approche de la Commission dans l’affaire M & Co ne trouve guère d’appui dans la jurisprudence plus récente de la Cour. Sachant toutefois que celle-ci a le pouvoir de modifier sa propre jurisprudence ( 17), on peut quand même se demander si, à supposer qu’elle le veuille, il lui serait loisible de reprendre à son compte l’approche M & Co. A l’analyse, cela paraît pourtant improbable, et ce pour des raisons qui tiennent à la nature du système de la Convention européenne des droits de l’homme. Les unes concernent le statut de celle-ci, les autres découlent du caractère essentiel du contrôle individuel dans le système de la Convention. B. — La compatibilité des modèles Solange et M & Co avec la nature du système de la Convention 1. Le statut de la Convention Quand la Cour constitutionnelle allemande décide, dans l’arrêt annoté, de renoncer quasi-définitivement, au profit de la Cour de justice, à l’exercice de son contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé, elle le fait au nom de la priorité du droit communautaire sur le droit national, en ce compris le droit constitutionnel. C’est très clair à la lecture non seulement de l’arrêt Solange II, qui reconnaît explicitement cette priorité ( 18), mais aussi des propos évoqués ci-dessus de la présidente de la Cour constitutionnelle allemande, M me Limbach. Elle y explique notamment que sous réserve du respect du noyau dur des droits et libertés constitutionnels ( 19), la protection nationale des droits fondamentaux doit céder le pas devant la protection communautaire, en vue de permettre l’émergence, dans ce domaine, d’un droit uniforme, dont la responsabilité ultime repose sur la seule Cour de justice. D’après l’auteur, cela peut entraîner que la protection communautaire soit en recul, sur certains points, par rapport à la protection nationale, mais la Loi fondamentale ne s’y oppose pas, tant que le noyau dur (17) Arrêt Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990, § 35. (18) Point B, II, 1, a). (19) « Der Kern des Schutzgehalts der Freiheits- und Gleichheitsrechte ». 1194 Rev. trim. dr. h. (2001) des droits fondamentaux qu’elle consacre demeure intact ( 20). Très logiquement donc, l’ordre juridique national d’un Etat membre de l’Union européenne s’efface ici devant l’ordre juridique communautaire, reconnu comme prioritaire, y compris, dans une large mesure, au niveau constitutionnel. Rien de tel, en revanche, ne paraît possible dans les rapports entre la Convention et le droit communautaire, car cette fois, ce ne sont plus un ordre national et un ordre européen qui se retrouvent face à face, mais deux ordres européens, dont l’un, celui de la Convention, se voit même doté d’un champ d’application ratione loci sensiblement plus large que l’autre. On voit mal comment et en vertu de quoi la Convention, « instrument constitutionnel de l’ordre public européen » ( 21), pourrait devoir s’effacer, à la manière des droits fondamentaux allemands, devant la protection communautaire. Pourtant, c’est bien ce qu’en apparence, la Commission a décidé dans l’affaire M & Co, en confiant désormais, à la manière de la Cour constitutionnelle allemande, à la Cour de justice le soin de maintenir une protection reconnue comme « équivalente » à celle de la Convention dans le droit communautaire, y compris quand celuici se voit mis en œuvre dans un Etat contractant. Tout dépend, bien entendu, de ce que l’on entend par « protection équivalente ». Cette notion correspond-elle à l’« équivalence » observée par la Cour constitutionnelle allemande entre la protection communautaire et la protection constitutionnelle ? Ou lui est-elle seulement « équivalente » ? On sait maintenant que la Cour constitutionnelle allemande n’a pas d’objection à ce que, sur certains points, la protection communautaire soit plus faible, dès lors que le noyau dur (20) « Der Grundrechtsschutz auf europäischer Ebene darf hinter dem nationalen deutschen Grundrechtsschutz zurückbleiben. Denn in Anbetracht der Vielzahl der Mitgliedstaaten wird man von der Europäischen Union und ihrem Gerichtshof nicht verlangen können, dass sie den Anforderungen aller nationalen Verfassungen genügen. (...) Zu recht weist Hirsch darauf hin, dass die Gemeinschaft ihren Anspruch, Rechtsgemeinschaft zu sein, nur gerecht werden kann, wenn ihr Recht allgemein gilt und einheitlich angewandt wird. Diese Rechtseinheit sicherzustellen, ist nach Art. 234 EG Aufgabe des EuGH. Vergleichbarkeit kann daher nur eine Übereinstimmung in den Grundlinien bedeuten. (...) Zu wahren ist (...) der Kern des Schutzgehalts der Freiheits- und Gleichheitsrechte. (...) Der Respekt vor der grundsätzlichen Letztentscheidungskompetenz des EuGH und die Leitidee vom Kooperationsverhältnis vetragen sich nicht mit einer Einzelfallkontrolle durch nationale Verfassungsgerichte und deren Einsatz als ‘ watchdogs ’ » (J. Limbach, loc. cit. p. 420). (21) Arrêt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995 (exc. prél.), § 75. Rev. trim. dr. h. (2001) 1195 de la garantie constitutionnelle demeure. Qu’en est-il entre droit communautaire et Convention ? Avant d’admettre une « protection équivalente » au niveau communautaire, la Commission a pris soin de rappeller que « si un Etat assume des obligations contractuelles et conclut par la suite un autre accord international qui ne lui permet plus de s’acquitter des obligations qu’il a assumées par le premier traité, il encourt une responsabilité pour toute atteinte portée de ce fait aux obligations qu’il assumait en vertu du traité antérieur ». Plus tard, dans l’arrêt Matthews, la Cour jugera que « la Convention n’exclut pas le transfert de compétences à des organisations internationales, pourvu que les droits garantis par la Convention continuent d’être ‘reconnus ’. Pareil transfert ne fait donc pas disparaître la responsabilité des Etats membres. » ( 22) Il ne peut donc être question, ni pour la Commission, ni pour la Cour, d’accepter certaines entorses à la Convention au titre d’une protection « équivalente » assurée au niveau du droit communautaire. Cela paraît du reste tout à fait conforme à l’idée selon laquelle la Convention représente un minimum obligatoire, lequel, par définition, perd cette qualité en présence d’un autre minimum, inférieur au premier. Quoi qu’il en soit, même à supposer que l’on eût pu, à l’époque de M & Co, interpréter différemment la notion d’« équivalence », la récente Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a, depuis lors, coupé court à toute possibilité, pour le droit communautaire, de descendre en-dessous de la Convention ( 23). En conséquence, si « équivalence » il y a entre la Convention et la protection communautaire des droits fondamentaux, elle ne peut jamais se situer qu’au niveau des moyens, mais pas du résultat, car celui-ci doit toujours au moins atteindre le niveau de la Convention. Il n’y aurait donc là, en définitive, qu’une application supplémentaire de la règle, issue du principe de subsidiarité, selon laquelle les Etats disposent du choix des moyens quand ils mettent en œuvre la Convention, y compris, cette fois, dans le champ du droit communautaire ( 24). (22) Arrêt Matthews précité, § 32. (23) Voy. le point II, b, ii ci-dessous. (24) Voy., parmi d’autres, les arrêts Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège du 20 mai 1999, §§ 58 — 60 (marge d’appréciation dans la mise en œuvre de la Convention) et Scozzari et Giunta c. Italie du 13 juillet 2000, § 249 (choix des moyens dans l’exécution des arrêts). 1196 Rev. trim. dr. h. (2001) Si donc la « protection équivalente » ne peut en aucun cas aboutir à une protection moindre, la situation de la Convention n’est pas comparable à la situation du droit constitutionnel allemand vis-àvis du droit communautaire et il ne se justifiait pas de copier la démarche de la Cour constitutionnelle allemande de ce point de vue. Pourtant, la Commission a encore été plus loin dans la reprise du modèle Solange. 2. Le contrôle individuel comme élément essentiel de la Convention Contrairement aux apparences en effet, quand la Cour constitutionnelle allemande annonce qu’elle entend désormais s’abstenir d’exercer son contrôle individuel sur la mise en œuvre du droit communautaire dérivé, elle n’abandonne pas, comme tel, le contrôle individuel comme élément essentiel de la garantie du respect des droits fondamentaux. Simplement, elle en confie, très logiquement, l’exercice à l’instance qui, à ses yeux, dispose seule de la compétence et de l’autorité pour veiller au respect des standards communautaires qui ont supplanté les standards nationaux : la Cour de justice. C’est tellement vrai que parmi les critères retenus pour conclure que le système communautaire offre une protection satisfaisante des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle allemande, mentionne, dans son arrêt Solange II, le contrôle individuel assuré par la Cour de justice ( 25). Si bien que si ce type de contrôle venait un jour à manquer, la Cour constitutionnelle devrait, en toute logique, en reprendre l’exercice, même à l’égard du droit communautaire. Or que fait, par contraste, la Commission dans sa décision M & Co? Elle abandonne, elle aussi, le contrôle individuel de dernière instance à la Cour de justice, mais cette fois sans même se réserver d’en reprendre l’exercice le cas échéant, et — surtout — sans que la Cour de justice puisse passer pour la dernière instance en la matière, dès lors que les standards communautaires n’ont pas supplanté les standards conventionnels, lesquels demeurent valables, fût-ce au titre d’une « protection équivalente ». Il ne s’agit pas ici de mettre en doute la capacité de la Cour de justice d’assurer une « protection équivalente », y compris à travers un contrôle individuel, mais de souligner l’incohérence qu’il y a pour la Commission à exiger une « protection équivalente » à celle de la Convention en droit communautaire, sans se ménager le droit de vérifier en dernière instance, comme un des deux organes de la (25) Point B, II, 1, b). Rev. trim. dr. h. (2001) 1197 Convention seuls habilités à cet effet, si la protection effectivement assurée est vraiment « équivalente ». La Commission se contente en effet de constater, une fois pour toutes, une « équivalence » générale de la protection communautaire, au terme d’une analyse dont le caractère succinct tranche singulièrement avec le soin mis par la Cour constitutionnelle allemande, dans son arrêt Solange II, pour parvenir à une conclusion certes semblable, mais assortie d’une réserve importante, en l’occurrence le droit de la Cour constitutionnelle d’actualiser son analyse en fonction des circonstances. Quand on sait à quelle vitesse la société et le droit évoluent, et si on veut bien se rappeler que la Convention est « un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions actuelles » ( 26), on ne peut se contenter d’une analyse unique et générale pour répondre à la question de l’« équivalence ». « Equivalent » ou non, le respect de la Convention est toujours à refaire et, dès lors, à re-contrôler. On pourrait, sinon, se satisfaire du même type d’analyse générale à l’égard des Etats aussi. Or la plus grande innovation de la Convention a précisément été l’instauration du droit de recours individuel, c’est-à-dire du contrôle qui, parce qu’il est disponible à tout moment et pour chaque cas individuel, a été considéré comme seul capable de garantir effectivement le respect de la Convention. Bref, en un mot comme en cent : puisque les exigences de la Convention subsistent après le transfert de compétences à l’Union européenne et que désormais seule la Cour européenne des droits de l’homme a autorité pour s’assurer du respect de ces exigences en dernière instance, elle est seule en mesure de dire aussi avec autorité si la protection communautaire peut passer pour « équivalente » à celle de la Convention et cela ne saurait se faire qu’à travers un contrôle individuel. Abandonner à la Cour de justice le soin d’assurer une telle « protection équivalente », sans se réserver le moyen de vérifier au cas par cas si elle est effectivement « équivalente », revient à consentir tacitement au remplacement, dans le domaine communautaire, du standard conventionnel par un standard communautaire, lequel pourra certes s’inspirer du standard conventionnel, mais son « équivalence » avec le standard conventionnel ne fera plus alors l’objet d’aucun contrôle autorisé. La Cour de justice est certes compétente pour assurer une « protection équivalente » à celle de la Convention, mais pas pour dire (26) Voy., parmi d’autres, l’arrêt Matthews précité, § 39. 1198 Rev. trim. dr. h. (2001) avec autorité si elle est vraiment « équivalente ». En revanche, en vertu de son monopole d’interprétation du droit communautaire, elle est seule compétente pour fixer le standard de protection communautaire. Il était donc logique que dans ce domaine, la Cour constitutionnelle allemande s’efface devant la Cour de justice, puisqu’elle avait au préalable reconnu la priorité du droit communautaire sur le droit national, y compris le droit constitutionnel. Ici encore donc, entre Solange et M & Co, comparaison n’est pas raison. Si le modèle M & Co ne cadre pas avec les éléments de base du système de la Convention, il se pourrait cependant qu’il se justifie au moins, comme le « modèle Solange », au titre des exigences du droit communautaire. A l’analyse pourtant, cela paraît assez douteux. C. — Absence de nécessité de transposer le modèle Solange, en raison du caractère subsidiaire de la Convention Il semble, en effet, que les raisons, tirées des exigences du droit communautaire, qui ont conduit la Cour constitutionnelle allemande à adopter le modèle Solange, perdent de leur pertinence à l’égard de la Convention, en raison du caractère subsidiaire de celleci. C’est qu’il existe une différence fondamentale entre, d’une part, les systèmes juridiques nationaux et communautaire et, d’autre part, celui de la Convention. Tandis que les premiers nommés sont des systèmes qui, parce qu’ils sont autonomes, doivent être interprétés d’une manière uniforme, la Convention n’est qu’un instrument subsidiaire, qui fixe un minimum mais autorise les dépassements vers le haut. Aussi une divergence entre une norme nationale et une norme communautaire conduit-elle inmanquablement à un conflit qui ne peut trouver de solution qu’en faisant céder la norme nationale devant la norme communautaire, conformément à la priorité du droit international et/ou communautaire. En revanche, en raison du caractère subsidiaire de la Convention, une divergence entre celle-ci et une norme nationale n’entraîne pas nécessairement un conflit, en particulier si l’écart tourne à l’avantage du requérant. En d’autres termes, s’il n’est guère possible de combiner ou de concilier des niveaux de protection différents issus chacun de systèmes juridiques autonomes, tels les systèmes nationaux ou communautaires, il n’en va pas de même s’agissant de niveaux différents issus l’un d’un système autonome et l’autre de la Convention. C’est Rev. trim. dr. h. (2001) 1199 pourquoi la solution adoptée à Karlsruhe n’est pas nécessairement pertinente à Strasbourg. On le voit bien en examinant les effets de la Convention sur deux caractéristiques du droit communautaire souvent rappelées dans ce contexte : son uniformité et son autonomie. 1. L’uniformité du droit communautaire Dans les explications qu’elle consacre à l’arrêt annoté dans l’article précité, la présidente de la Cour constitutionnelle allemande avance, parmi les raisons justifiant l’approche Solange, la nécessité d’assurer l’uniformité du droit communautaire, laquelle incombe en premier lieu à la Cour de justice. C’est précisément pour contribuer à cette uniformité que la Cour constitutionnelle allemande accepte de renoncer à l’exercice de son contrôle individuel, même au prix de certains reculs par rapport au niveau national. La même raison pourrait-elle justifier que la Cour européenne des droits de l’homme en fasse autant ? Comme il a déjà été remarqué, la Convention ne prescrit jamais qu’un niveau minimum et pas l’interprétation à donner à des dispositions nationales. Dans l’exercice de son contrôle, la Cour se fonde toujours sur l’interprétation du droit applicable donnée par les juridictions nationales, même quand celui-ci est issu de traités internationaux ( 27). Dès lors que cette interprétation répond aux exigences de la Convention, son opportunité échappe au contrôle de la Cour ( 28). Bref, contrairement à la Cour de justice, la Cour ne peut jamais que constater la compatibilité, ou non, d’une interprétation donnée avec la Convention, mais pas imposer une interprétation précise. Mutatis mutandis, cela vaut aussi à l’égard du droit communautaire, moyennant certaines distinctions. En l’absence d’adhésion en effet, les dispositions communautaires soumises, à ce jour, au contrôle de la Cour ne l’ont été qu’en tant qu’elles faisaient partie de l’ordre juridique de l’Etat défendeur. La Cour a dès lors limité son examen à la manière dont elles avaient été effectivement appliquées dans l’Etat défendeur ( 29). (27) Arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne du 18 février 1999, § 54. (28) Voy., parmi d’autres, les arrêts Kemmache c. France (n o 3) du 24 novembre 1994, § 44 et X., Y. et Z. c. Royaume-Uni du 22 avril 1997, § 51. (29) Voy. la note 27 ci-dessus. Certes, la Cour n’a pas encore été confrontée à l’interprétation nationale d’une disposition communautaire s’écartant de l’interprétation uniforme qu’en a donnée la Cour de justice, mais à la lumière de la jurisprudence, → 1200 Rev. trim. dr. h. (2001) Contrairement à une Constitution nationale, la Convention est donc entièrement neutre à l’égard de l’interprétation, uniforme ou non, du droit communautaire, laquelle est une préoccupation exclusivement communautaire, étrangère à la Convention, tant que le minimum requis est assuré. Aussi la nécessité de soumettre le droit communautaire à une interprétation uniforme ne fait-elle pas obstacle à ce qu’il subisse un contrôle in concreto par la Cour européenne des droits de l’homme. 2. L’autonomie du droit communautaire On pourrait bien sûr rétorquer que même le minimum exigé par la Convention n’est pas sans effets sur l’interprétation du droit communautaire, dont l’autonomie pourrait alors se voir affectée ( 30). Toutefois, depuis la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, on est tout de même en droit de s’interroger sur la pertinence d’une référence à l’autonomie du droit communautaire dans ce contexte, même si les explications à la Charte y renvoient, elles aussi ( 31). Il semble bien, en effet, que la Charte a changé la donne à cet égard, à tel point qu’on ne voit plus très bien à quoi peut encore servir d’invoquer l’autonomie du droit communautaire s’agissant de droits fondamentaux empruntés à la Convention. C’est que par rapport à la Convention, la garantie communautaire des droits fondamentaux ne peut emprunter que deux directions, vers le haut ou vers le bas. Cela découle du fait que mis à part l’octroi d’une satisfaction équitable, la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme est limitée à donner une réponse à la question de savoir si, dans une situation donnée, la Convention a été respectée ou non. Par définition, cette réponse est toujours don← on peut s’attendre à ce qu’en pareil cas, la Cour, qui procède le plus possible à un examen in concreto, se fonde sur l’interprétation des juridictions nationales. (30) Sur cette notion, voy. notamment Denis Symon, « Les fondements de l’autonomie du droit communautaire », in Droit international et droit communautaire — perspectives actuelles, Paris, 2000, pp. 207 et s. (31) « Le législateur, en fixant des limitations [aux droits correspondant à des droits de la C.E.D.H.], doit respecter les mêmes standards que ceux fixés par le régime détaillé des limitations prévu dans la C.E.D.H., sans que ceci porte atteinte à l’autonomie du droit communautaire et de la Cour de justice des Communautés européennes » (explications relatives à l’article 52). La Commission européenne insiste, elle aussi, sur le respect de l’autonomie du droit communautaire dans l’application de l’article 52 § 3 (Communication de la Commission européenne sur la Charte, du 13 septembre 2000 (Contrib 328, Charte 4477/00)), § 29). Rev. trim. dr. h. (2001) 1201 née dans une perspective procédurale, c’est-à-dire du point de vue du seul requérant qui a le droit de s’entendre dire par la Cour si la protection qui lui a été accordée dans un cas concret était suffisante ou pas ( 32). Considérée sous cet angle, toute autonomie, communautaire ou nationale, invoquée par rapport à la Convention ne peut jamais aboutir qu’à une protection supérieure ou inférieure à celleci, selon que le requérant obtient plus ou moins que ce qu’il aurait obtenu au titre de la seule Convention. Dans ce cas, de deux choses l’une. Ou bien l’autonomie communautaire entend s’exercer pour dépasser la Convention ou au niveau des seuls moyens mis en œuvre, mais pour cela, il n’est pas besoin de l’autonomie communautaire, puisque l’article 53 de la Convention offre déjà ce genre de latitude, au titre de l’autonomie que laisse la subsidiarité de la Convention ( 33). Ou bien l’autonomie doit servir au contraire à rester en-deça de la Convention, mais cela paraît dès à présent interdit par la Charte. On a du mal à imaginer, en effet, que les articles 52, § 3 et 53 de la Charte, qui consacrent en quelque sorte la Convention comme « minimum communautaire », puissent, quel que soit le statut juridique de la Charte, ne pas être pris en compte, dès maintenant, par ceux qui auront à appliquer le droit communautaire. Bref, l’autonomie du droit comunautaire ne semble pas faire obstacle, elle non plus, à ce que la Cour exerce un contrôle in concreto du droit communautaire. En conclusion de cette partie, le modèle Solange, qui régit les rapports entre le droit constitutionnel allemand et le droit communautaire, apparaît comme difficilement transposable aux rapports entre la Convention et le droit communautaire, tout simplement parce que ces derniers ne se prêtent pas à être régis sur le mode de l’effacement d’une norme devant l’autre, conformément à une hiérarchie établie entre normes nationales et internationales. Cela tient au fait (32) Bien sûr, dans certains cas, ce sont deux ou même plusieurs droits fondamentaux qui s’affrontent, tel le droit à la liberté d’expression et celui au respect de la vie privée. Dans des cas de ce genre, il peut s’avérer bien difficile de déterminer dans l’abstrait si une solution donnée entraîne une protection supérieure ou inférieure, puisqu’une avancée d’un côté entraînera souvent un recul de l’autre. Cependant, dans le contexte de la procédure devant la Cour, où ce ne sont pas deux particuliers qui se retrouvent face à face, mais un requérant et un Etat défendeur, il est plus facile de comparer des niveaux de protection différents, car il n’y a alors qu’un point de vue possible, celui du requérant, qui est le seul à pouvoir exiger devant la Cour le respect de ses droits fondamentaux. (33) Sur cette notion, voy. Johan Callewaert, « La subsidiarité dans l’Europe des droits de l’homme : la dimension substantielle », in L’Europe de la subsidiarité (dir. Marc Verdussen), Bruxelles, 2000, pp. 13 (20) et s. 1202 Rev. trim. dr. h. (2001) que, comme il a été démontré ci-dessus, les normes de la Convention sont à la fois impératives et subsidiaires, tant à l’égard des normes nationales que de celles du droit communautaire, ce que la Commission n’a pas suffisamment pris en compte dans sa décision M & Co. Il faudra donc réfléchir à des alternatives, car la question de base, elle, demeure : comment éviter que le juge communautaire puisse enjoindre au juge national de juger ce que le juge conventionnel, ultérieurement, pourrait désapprouver ? III. — Quelques considérations finales Certes, au cours des dernières décennies, bon nombre d’auteurs ont déjà abordé cette question plus ou moins directement, avec plus ou moins de bonheur, sans pour autant que la situation ait vraiment évolué sur le plan institutionnel ou procédural. Toutefois, sous la pression du mouvement de rapprochement décrit plus haut, le statu quo pourrait bien devenir intenable, ce qui obligera sans doute aussi à accélérer et actualiser la réflexion en la matière. Une chose est sûre en tout cas : dans la recherche de solutions, il faudra dépasser la perspective bilatérale qui conduit à voir dans les acteurs en présence autant de binômes indépendants (droit communautaire — droit national, droit communautaire — Convention, droit national — Convention), alors qu’en réalité ils constituent une triangulaire interactive, dont les composantes tendent à se rapprocher, sans pour autant vouloir fusionner ( 34). L’arrêt annoté n’en est qu’un exemple parmi d’autres, à côté de la jurisprudence récente des deux Cours européennes ou de la Charte des droits fondamentaux. Une perspective simplement bilatérale ne peut rendre compte de la nouveauté et de la complexité de ces phénomènes. Elle est appelée à faire place à des grilles de lecture plus adaptées, pluridimensionnelles, telle celle qui fait appel à la notion de circularité. Comme l’observe justement le professeur Verdussen, « les notions de subsidiarité et de circularité ont au moins le mérite de conceptualiser ce jeu de forces qui se croisent et s’entrecroisent et, ainsi, d’en per- (34) N’est-il pas symptomatique à cet égard que dans son article précité, consacré à « la coopération des Cours dans la future architecture européenne des droits fondamentaux », la présidente de la Cour constitutionnelle allemande traite d’abord des relations entre Karlsruhe et Strasbourg, puis de celles entre Karlsruhe et Luxembourg, mais sans jamais aborder l’interaction entre ces trois cours? Rev. trim. dr. h. (2001) 1203 mettre une meilleure compréhension. Elles véhiculent l’idée que la valeur de la protection des droits fondamentaux en Europe passe par une judicieuse articulation des systèmes en présence, mais aussi par l’aptitude de ceux-ci à favoriser une interaction mutuelle. » ( 35) Il ne suffira donc pas non plus de s’en remettre ici à la sagesse des juridictions nationales et européennes. Malgré tout le soin dont elle fait l’objet, la jurisprudence ne peut jamais apporter que des réponses partielles, toujours plus ou moins marquées par les particularités du cas d’espèce soumis. De plus, dans le cas des deux Cours européennes, les voies d’accès à chacune d’elles ne sont même pas coordonnées entre elles, de manière au moins à éviter que la Cour de justice ne doive, dans certains cas, anticiper la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, au risque de se voir ultérieurement désavouée par celle-ci. En leur état actuel, les voies d’accès aux Cours européennes sont en effet le fruit d’une évolution au cours de laquelle le système communautaire et celui de la Convention se sont développés de façon autonome, sans tenir compte l’un de l’autre. A l’époque, il ne s’imposait pas non plus de faire autrement : le droit communautaire poursuivait un but essentiellement économique, la jurisprudence de la Cour de justice sur les droits fondamentaux n’en était qu’à ses balbutiements et la Cour européenne des droits de l’homme ne s’était pas encore penchée sur les effets de la Convention à l’égard des organisations internationales. Les évolutions enregistrées depuis lors sur chacun de ces points sont telles qu’aujourd’hui, il n’est plus acceptable d’envisager le développement ultérieur des deux systèmes comme s’ils étaient totalement étrangers l’un à l’autre. A cet égard, et quoi qu’en disent certains, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne montre l’exemple. En s’appuyant sur la Convention et en la reconnaissant désormais, comme telle, comme minimum obligatoire pour le droit de l’Union, elle fait le lien entre celui-ci et la Convention, et non le contraire ( 36). Ainsi la Charte représente déjà, sur le plan des textes, un élément important de la cohérence à établir dans ce domaine. Dans l’hypothèse où elle deviendrait juridiquement contraignante, il serait logique de (35) Marc Verdussen, « La protection des droits fondamentaux en Europe : subsidiarité et circularité », Actes des XVII e journées juridiques Jean Dabin (1617 novembre 2000), à paraître. (36) A ce sujet, voy. J. Callewaert, « La subsidiarité dans l’Europe des droits de l’homme », op. cit., pp. 21 et s. 1204 Rev. trim. dr. h. (2001) prolonger cet effort de cohérence sur le terrain institutionnel et procédural. Dans ce contexte, on songe bien sûr à l’adhésion, cette vieille idée toujours jeune qui resurgit chaque fois que l’on aborde les rapports entre la Convention et le droit communautaire. Robert Badinter a sans doute raison quand il la qualifie d’« incontournable » ( 37). Pour autant, tout n’est pas dit en prononçant son nom. C’est qu’elle a besoin, elle aussi, d’être repensée et actualisée, notamment quant à ses modalités, lesquelles devront faire une place à la spécificité de chacun des acteurs concernés, y compris les Etats membres. Comment imaginer, en effet, que l’on puisse réfléchir à la place à donner à l’Union ou la Communauté européenne dans la procédure devant la Cour de Strasbourg, sans en même temps devoir déterminer celle des Etats membres dans des procédures avec participation de l’Union ou de la Communauté ? Les observateurs du Conseil de l’Europe à la Convention chargée de rédiger la Charte des droits fondamentaux ont toujours présenté l’adhésion, assortie de modalités appropriées, comme le complément logique et naturel de la Charte ( 38). En tout état de cause, le débat sur la nature juridique de celle-ci, annoncé pour la prochaine Conférence intergouvernementale de 2004, ne pourra faire l’économie d’une réflexion approfondie sur l’impact d’une Charte éventuellement contraignante sur les rapports entre le droit communautaire, la Convention et les droits nationaux, et sur ses conséquences pour la sécurité juridique dans ce domaine. Une telle réflexion ne pourra, à son tour, pas se passer d’informations suffisamment précises sur les scénarios qui pourraient être concrètement envisagés. Que l’on se souvienne que dans son avis 2/94, la Cour de justice avait estimé ne pas être en mesure de rendre un avis sur la compatibilité de l’adhésion avec les règles du traité, « aucune précision n’[ayant] été fournie (...) sur les solutions envisagées en ce qui concerne l’aménagement (37) Robert Badinter, « Unité ou pluralisme, à propos de la garantie des droits de l’homme en Europe », Revue québécoise de droit international, 2000, pp. 15 (29) et s. (38) Voy. p.ex. les contributions n o 29 (Charte 4136/00) et 356 (Charte 4961/00). Dans le même sens, Florence Benoît-Rohmer, « L’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme », Rev. univ. dr. h., 2000, p. 57 ; Olivier De Schutter, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », J.T., 2001, 281 (288-289) ; Marc Verdussen et Elisabeth Willemart, « La subsidiarité européenne, instrument d’articulation des ordres juridiques », in L’Europe de la subsidiarité, op. cit., pp. 251 (273) et s. 1205 Rev. trim. dr. h. (2001) concret de cette soumission de la Communauté à une juridiction internationale » ( 39). Sensible à ce besoin de réflexion, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a récemment chargé le Comité directeur des droits de l’homme d’« élaborer une étude des questions juridiques et techniques que le Conseil de l’Europe devrait traiter dans le cas d’une éventuelle adhésion des Communautés européennes/de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que des autres moyens d’éviter des contradictions entre le système juridique des Communautés européennes/de l’Union européenne et le système de la Convention européenne des droits de l’homme » ( 40). Un début encourageant est ainsi fait. Johan CALLEWAERT Chef d’unité à la Cour européenne des droits de l’homme, Chargé de cours à l’Ecole supérieure allemande de sciences administratives ( 41) ✩ (39) Avis 2/94 du 28 mars 1996, § 21. (40) Décision n o CM/783/28032001 du 28 mars 2001. (41) L’auteur s’exprime à titre personnel.