Croissance économique comme un instrument pour la réduction de

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Citation : Briand Virginie et Herman Mbonyo, 2012, “Croissance économique comme un instrument
pour la réduction de la pauvreté ”, dans Johannes Herderschee, Daniel Mukoko Samba et Moїse Tshimenga
Tshibangu (éditeurs), Résilience dun Géant Aicain Accélerer la Croissance et Promouvoir en République
Démocratique du Congo, Volume I Synthèse, contexte historique et macroéconomique, MÉDIASPAUL,
Kinshasa, pages 227-267.
Cet article a été préparé dans le cadre des travaux danalyse de la Banque Mondiale autorisés en vertu
du code P106432-ESW pour « la préparation dune étude Diagnostique dIntégration du Commerce et
un Mémorandum Economique du Pays ». Les remerciements aux pages xvi-xxi de ce olume assurent la
reconnaissance aux nombreux collègues, experts et participants des séminaires qui ont généreusement contribué
à cet article de leur temps et de leurs idées; toutes les erreurs restantes sont celles des auteurs.
Copyright © 2012 La Banque Internationale pour la Reconstruction du Développement/ La Banque
Mondiale conformément à linformation de la page iii de ce olume."
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Croissance Economique comme
un Instrument pour la Réduction
de la Pauvreté
Sommaire
La pauvreté est multiple. Non seulement elle peut être abordée sous des perspectives diérentes
mais surtout, la notion elle-même reète des réalités très hétérogènes à lintérieur dun
même pays, dune même communauté. En dénitive, il ny a pas une mais des pauvretés
selon que lon parle de pauvreté monétaire, de pauvreté humaine ou bien encore de pauvreté
dopportunités. Ce constat fait dans la plupart des pays dASS est encore plus vrai dans un
pays comme la RDC qui est à la fois un pays post conit, un pays qui continue à sourir de
poches dinsécurité et un pays en pleine reconstruction tant sur le plan politique, économique
que social.
Les populations ne sourent donc pas seulement de pauvreté au sens monétaire et/ou
matériel du terme, mais aussi de multiples formes dexclusion, dinstabilités économiques
et sociales et dinsécurité physique autant que psychologique. Précarisées et agilisées, elles
vivent dans un environnement fait dincertitudes qui les condamnent à vivre dans le court
terme et les empêchent de se projeter dans le futur. Leur situation est agile et les recours pour
faire face aux multiples risques auxquels elles sont quotidiennement conontées sont limités
et le plus souvent uniquement informels. Elles sont donc objectivement vulnérables et parce
quelles sont conscientes de leur précarité, se sentent vulnérables, ce qui ajoute une dimension
supplémentaire à leur pauvreté, les conduisant à rechercher la liquidité sous toute ses formes
avant tout, oire à saccommoder de leur situation pourvu quelle ne se détériore pas.
Pour faire face à cette pauvreté qui non seulement est sévère et massive et concerne
toutes les couches de la population, il est nécessaire avant tout de stabiliser et de sécuriser
les populations pour leur permettre denvisager leur environnement et leur avenir sous un
angle diérent. La stabilisation et la sécurisation permettront, toute choses égale par ailleurs
daccroître de fait la liberté daction des agents économiques, cest-à-dire leurs capabilités
Virginie Briand et Herman Mbonyo
Chapitre 5
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(au sens de Sen) et capacités à agir et se prendre en main, et par conséquent leur permettre
de devenir de véritables acteurs économiques. L'Etat ne saura pas à lui seul reconstruire le
pays. Cest pourquoi il est essentiel de permettre aux individus dêtre en situation dagir.
Dautant que les enquêtes de terrain indiquent d'une part que les acteurs font part d'une
forte résilience notamment dans le Kivu et d'autre part, que les populations sont désireuses
de participer et de sinvestir dans leur communauté pour faire avancer les choses et lutter
contre la pauvreté.
Au-delà de la stabilité et sécurité, la croissance économique est lautre pilier sur lequel
il faut sappuyer pour lutter contre la pauvreté. En eet, si un certain nombre de travaux
ont montré que la croissance nest pas une condition susante pour réduire la pauvreté,
en RDC, compte tenu de létat de délabrement de léconomie et des inastructures, de la
diculté daccéder aux sources de nancement, de lhéritage historique tant au niveau
économique que sociopolitique et de la taille du pays, seule une croissance forte permettra de
réduire les pauvretés.
Ce chapitre vise par conséquent à faire état des diérentes formes de pauvreté en RDC
et des spécicités provinciales en la matière. Mais surtout il vise à en faire ressortir le
caractère dynamique et mettre en exergue la nécessité d'aborder le problème sous langle de la
vulnérabilité an que les politiques publiques mises en œuvre visent avant tout à permettre
aux acteurs dagir, cest-à-dire de se projeter dans lavenir et davoir les moyens à disposition
pour faire changer leur situation.
I. Problèmes hérités compromettant les progrès économiques et sociaux
a) Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années
Une accélération de la croissance depuis 2002. Depuis 2003 la croissance du PNB est
positive et alignée sur les moyennes des pays de lAfrique sub-saharienne. Seule la période
préélectorale de 2005/2006 a marqué le pas du fait des tensions politiques, scales et
monétaires. Des progrès considérables vers une paix durable et la réconciliation ont été
réalisés ces dernières années bien que des conits, se limitant à des zones sciques
de lest du pays, perdurent. La croissance du revenu par tête est continue depuis 2002
reétant le retour de la paix, et lination a été réduite.
Une tendance à lamélioration de certains indicateurs sociaux. Certaines
simulations basées sur la croissance du PNB par tête tendent à montrer que les résultats de
lamélioration de la situation macro-économique pourraient avoir conduit à une baisse
de la pauvreté. La croissance du PIB par habitant a été à un niveau national denviron
3% par an au cours de la période 2003-2008. Dans le Bandundu, entre 2001 et 2006, le
niveau de pauvreté humaine en termes dIndice de Pauvreté Humaine sest détérioré les
trois premières années mais il sest depuis amélioré retrouvant ses niveaux initiaux. Dans
la Province Orientale, lindice de pauvreté humaine montre que la pauvreté a augmen
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entre 2001 et 2003 mais la tendance sest inversée entre 2003 et 2006 (Banque Mondiale,
2010f ).
b) Une situation économique et sociale très dégradée
La période post-indépendance du pays a été marquée par des périodes successives
dinstabilité politique et de conit qui ont conduit à une croissance négative de la moit
des anes 70 jusquen 2002. Le pays a été dévasté par des guerres civiles de la moitié de
1996 à la n 1997 et de mi 1998 jusquà mi 2003. Mais bien avant les conits récents,
une combinaison de chocs et de mégestion économique, de pillages et de corruption
ont contribué à de mauvais résultats en termes de croissance économique qui sest
poursuivi par un eondrement de lÉtat et une forte dégradation des conditions de vie
des populations. Le revenu par tête a commencé à chuter au milieu des années 70. ui
plus est, diérentes sources montrent que la population a été sévèrement touchée par la
guerre, à la fois en terme deets économique, social, sanitaire mais aussi en termes de
bien être psychologique et de perceptions du futur. Leet de la guerre a été dévastateur
pour la plupart des groupes de population, incluant non seulement les enfants et les
femmes aectés par la violence, mais aussi les hommes qui narrivent pas à trouver un
emploi.
Le gouvernement est quasi inexistant du fait du manque dinstitutionnalisation
du pouvoir et des modes informels de régulation qui ont prévalu pendant plusieurs
décennies. Mobutu avait développé un système permettant une confusion totale et
permanente entre les sphères privées et publiques, confusion qui perdure aujourdhui
encore et facilite, voir génère des comportements prédateurs. Lorganisation interne et le
fonctionnement restent profondément patrimoniaux. La sphère politique et étatique est
perçue et utilisée comme des façons de senrichir et rester dans des positions dominantes.
Dans ce contexte, les raisons de ne pas renforcer lÉtat sont multiples et se retrouvent
à tous les niveaux de ladministration. ui plus est, le cadre institutionnel est quasi
inexistant dans un certain nombre de domaines ou complètement obsolète (code de la
famille par exemple). Par ailleurs, compte tenu de laaiblissement progressif et continu
de lÉtat qui était de fait en faillite dès 1974, celui-ci est aujourdhui incapable de faire
face à lensemble des travaux nécessaires au redressement de léconomie et possède une
capacité limitée à développer et mettre en œuvre de nouvelles politiques publiques et
assurer dans le même temps ses fonctions régaliennes.
Un secteur agricole exsangue. Lagriculture est la pierre angulaire de léconomie
congolaise. Mais alors que le pays possède 80 millions dhectares de terres arables, seuls 9
à 10% des terres sont actuellement cultivées (Etude de fond II.1). De plus, la productivité
agricole a connu une baisse constante depuis 50 ans et les cultures pérennes et industrielles
(café, cacao, coton, thé, hévéa, palmier à huile) se sont eondrées du fait de la politique
de «zaïrianisation» qui a amoindri les capacités techniques et managériales et conduit
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à la disparition des grandes exploitations modernes puis celles des petites exploitations
familiales. Le pays importe plus de 50000 tonnes dhuile de palme alors quil était le
deuxième exportateur mondial au moment de lindépendance (Etude de fond II.1). La
production de coton a quasiment disparue alors que le pays était le premier producteur
africain. Le manioc, principale culture produite sur une grande partie du territoire, a
des rendements moyens très faibles du fait de lutilisation de variétés traditionnelles à
faible productivité et lutilisation de techniques culturales inadéquates. La production
rizicole a décliné régulièrement depuis le début des années 90 avec une baisse de 17,23%
entre 1991 et 2002. Les autres cultures vivrières ont toutes, à lexception semble til
du maïs, connu des baisses spectaculaires au cours des années 90 (Etude de fond II.1).
Lagriculture aujourdhui est avant tout une agriculture de subsistance.
Lenclavement du pays relié aux infrastructures endommagées. Comme pour
toutes les autres parties de léconomie, les infrastructures et notamment les réseaux
routiers ont sérieusement souert des années de mégestion et de conits qui ont suivi.
Endommagées et/ou non entretenues, plus de la moitié des infrastructures routières
existantes nécessitent dêtre réhabilitées. Après des décennies de manque dentretien,
une grande partie du réseau routier nest plus fonctionnel. Les voies secondaires
(terrestres ou uviales) ne sont pratiquement plus uides, coupant ainsi la plus grande
partie des bassins de production (en particulier de produits vivriers) des principaux
centres de consommation. ui plus est, du fait de limmensité du pays, elles savèrent
insusantes à couvrir lensemble des besoins et relier les centres économiques et de
population. A lheure actuelle, de nombreuses zones du territoire sont inaccessibles.
Seuls deux chefs lieu (Matadi et Bandundu) sont reliés à la capitale par route, deux par
voie deau (Kisangani et Mbandaka) et six par voie aérienne. Seul 5% des 58000 km de
routes nationales sont revêtues. Le trac actuel sur le réseau de la SNCC est de lordre du
dixième du tonnage des années 70 (Etude de fond III.1).
La dégradation du secteur agricole combinée à une détérioration des infrastructures
et à linsécurité a contribué à réduire la disponibilité alimentaire. Le climat dinsécurité
a conduit nombre de fermiers à abandonner leur production agricole, ce qui a conduit
à un décit alimentaire généralisé. Cet abandon ajouté au nombre élevé de personnes
déplacées et de réfugiés a réduit lore de travail disponible pour la production alors
quen même temps la guerre détruisait les chaines de commercialisation, en particulier
pour ce qui concerne les envois des zones contrôlées par les rebelles en Équateur, au
Nord et Sud Kivu, et dans la Province Orientale. Le manque de bonne infrastructure
a fortement handicapé la commercialisation des denrées produites (jusquà il y a peu,
le transport de denrées alimentaires jusquà Kinshasa était fortement perturbé par la
détérioration de la route Matadi, Kinshasa-Kikwit) accentuant le décit alimentaire.
Enn, la dégradation de la productivité du sol du fait du manque de fertilisants et la
réduction de terre disponibles dans les périodes de jachère a contribué à une baisse
globale de lore alimentaire disponible. Entre 1998 et 2002 la production de céréales
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