Le Monde de Sophie : une vie kaléidoscopique

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Le Monde de Sophie : une vie kaléidoscopique
Mémoire présenté par DENG Lan
pour l’obtention du master ès lettres
sous la direction de Monsieur le professeur
XIAO Yunshang
Département de Français
Université des Études Internationales de Shanghai
Mai 2010
Remerciements
Si ce mémoire entend témoigner ma reconnaissance à l’égard du talent distingué de Jostein
Gaarder, il puise avant tout sa source dans de fructueuses amitiés qui me donnent la force
de progresser jour après jour.
J’ai à cœur d’adresser ma plus vive gratitude à ma famille, en particulier ma mère qui m’a
offert de son mieux le soutien le plus fort de ma vie, car sans sa tolérance et ses affections
illimitées, je renoncerais à mes études de master.
J’aimerais remercier spécialement mon directeur de mémoire Monsieur le professeur
XIAO Yunshang, qui m’a donné énormément d’encouragements et de patience. Sans l’aide
d’un professeur tellement compréhensif et gentil, je n’aurais pas réussi à continuer ma
recherche.
Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Monsieur le professeur Olivier David, qui m’a
énormément inspirée pendant de nombreuses discussions dans mes études de master et qui
ne s’est pas épargné pour m’apporter de France le livre Le Monde de Sophie en version
française.
Je souhaite également remercier sincèrement tous mes professeurs qui m’ont accompagnée
tout au long de mon parcours scolaire et sans lesquels ce mémoire ne serait pas possible.
Un merci singulier à Victor, mon camarade de master, qui poursuit ses études de doctorat à
SISU et qui, m’a donné une main forte en cas de difficulté pendant cette dernière année
d’études plus ou moins difficile pour moi.
Mes cordiaux remerciements vont enfin à tous ces camarades et amis qui m’ont
encouragée de temps en temps en m’apportant tant de consolations affectueuses.
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Résumé
Publié en 1991, Le Monde de Sophie initiant à la philosophie occidentale est devenu un
roman connu du monde entier. Ùcrit par Jostein Gaarder, écrivain et professeur norvégien
et traduit en français en 1995, l’ouvrage a suscité tout de suite énormément d’admiration
venant à la fois du monde de l’éducation et du monde de la littérature. Le roman même se
veut une introduction aux mouvements différents de la philosophie et à son évolution.
La raison pour laquelle cet ouvrage a pu gagner tant d’attention et d’admiration réside dans
ce qu’il présente des dialogues et des aventures en impliquant les théories et les logiques
philosophiques, ce qui a beaucoup intéressé le lecteur en lui inspirant l’exploration sur le
sens de la vie humaine et la réflexion sur le repère tant dans l’histoire que dans l’ immense
univers.
Le présent mémoire vise à analyser les caractéristiques des procédés d’expression de
l’ouvrage; sa façon habile de se structurer; les points d’intérêt du traitement des
personnages, de la relation spatio-temporelle des dimensions du Monde, ce qui correspond
aux trois chapitres du mémoire, qui se focalisent respectivement sur les techniques
d’expression en particulier celles qui relèvent de la rhétorique; l’organisation de l’intrigue
et la construction d’un système du temps et de l’espace qui contient les personnages
principaux avec leur relation polychrome; une réflexion personnelle inspirée tant sur
l’œuvre même que sur la vie humaine.
Par ce travail, nous nous apercevons que le monde de Sophie est en effet un monde de
l’intelligence et du rêve, qui a toujours l’intention de réveiller au fond du cœur la curiosité,
l’admiration et l’attention envers la finalité de la vie humaine, ce qui rendrait l’humanité
plus intelligente.
Table des Matières
Introduction.........................................................................................................................2
Chapitre 1 Le feu d’ « artifices » d’expressions ...............................................................5
1.1 Un paradis d’exemples plein de vivacité .............................................................5
1.1.1 L’allégorie ..................................................................................................6
1.1.2 La métaphore proprement dite....................................................................14
1.2 D’autres procédés étincelants.............................................................................22
1.2.1 Le jeu de mots véritable .............................................................................22
1.2.2 L’ « ironie romantique » ...........................................................................23
Chapitre 2 Les caractéristiques de la structure...............................................................24
2.1 L’enchevêtrement spatio-temporel......................................................................24
2.1.1
L’entrelacement du temps...................................................................25
2.1.2
L’entrecroisement de l’espace.............................................................31
2.1.3
L’enchevêtrement spatio-temporel......................................................38
2.2 La relation polychrome des personnages principaux..........................................41
2.3 Des charnières habiles pour l’avancement..........................................................47
Chapitre 3 Du monde de Sophie à notre monde réel: une réflexion personnelle.........48
3.1 Sur l’œuvre même...............................................................................................48
3.2 Sur la vie humaine...............................................................................................50
Conclusion...........................................................................................................................53
Bibliographie………………………………………………,……………………………..54
Introduction
Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder est traduit en au moins 54 langues en demeurant à
la conquête de plus de 20 millions de lecteurs partout dans le monde entier. Dans l’œuvre,
Sophie qui a quatorze ans reçoit un jour une lettre anonyme sur laquelle ne s’écrit qu’une
phrase : « Qui es-tu ? ». D’autres messages y succèdent mais l’expéditeur reste inconnu.
C’est le commencement d’une étrange correspondance qui plonge la jeune fille dans un
voyage pendant lequel elle rencontre les principales figures de la philosophie. Nous
pouvons considérer l’ouvrage comme un roman instructif avec une intrigue fictive ou
l’histoire de la philosophie pour adolescent, ou tout simplement les deux. Le fameux
ouvrage s’exprime la plupart du temps sous forme de dialogues, qui relient les
connaissances absconses philosophiques au rythme vif et intéressant d’un roman, ce qui
fait vibrer les cordes du cœur des lecteurs tout en les éclairant sur la fouille du repère du
rôle de la vie humaine dans l’histoire ainsi que dans l’univers.
L’ouvrage s’est fait dans une large mesure l’éloge de ce qu’il rend la philosophie moins
fastidieuse et ainsi moins rebutante. L’éloge n’est pas sans raison. Jostein Gaarder parvient
à dessiner, avec art, une image plus active, plus intéressante et plus séduisante de la
philosophie en faisant énormément attention à sa manière d’écrire en tant que base des
divers points d’intérêt de l’ouvrage. Ce mémoire vise justement à essayer d’analyser ces
points d’intérêts sous l’angle du style et du caractère de son organisation de l’intrigue, dans
la mesure où le roman partage avec nous les délicieux procédés d’expression rhétoriques,
le joli mélange organique de réel et fiction ainsi que, à travers un enchevêtrement
spatio-temporel, l’exploration sur la finalité humaine, la nature essentielle de l’homme et la
relation entre le monde actuel et l’humanité.
Le mémoire consiste en trois chapitres qui correspondent aux trois points d’intérêt
explorés : le feu d’ « artifices » d’expressions, les caractéristiques de la structure, du monde
de Sophie à notre monde réel : une réflexion personnelle. L’objectif du premier chapitre
consiste à explorer les riches procédés d’expression utilisés dans l’ouvrage, car ce serait
essentiellement dans le choix des techniques d’expression tout comme dans l’originalité de
-2-
leurs constructions que réside le charme d’une histoire. Nous mettons l’accent sur les
inévitables figures rhétoriques qui constituent l’artifice le plus visible du style en
fournissant un paradis d’exemples vivifiants, dont la comparaison et en particulier la
métaphore qui justifieraient un développement plus ample. Il ne nous faut pas oublier
pourtant qu’il y a également d’autres procédés spectaculaires comme le jeu de mot
véritable et l’ironie du romantisme, qui étincellent de l’esprit. Nous allons examiner les
exemples l’un après l’autre en cherchant à voir comment l’auteur les organise d’une
manière habile dans le but que les lecteurs aient une impression toute nouvelle de la vie
humaine.
Le second chapitre vise à fouiller les caractéristiques de la formation de l’ouvrage, parce
que la façon d’énoncer de Jostein Gaarder demeure un des points d’attraction qui donne
effectivement envie de poursuivre la lecture du roman. Dans la recherche révèle un
fabuleux système de l’enchevêtrement spatio-temporel avec, dedans, la relation polyèdre
des personnages principaux et des charnières habiles pour l’avancement de l’histoire. Nous
allons nous focaliser d’abord sur les cartes postales que Sophie reçoit de diverses façons,
que ce soit pour Sophie ou pour Hilde, car ces cartes révèlent l’entrelacement du temps des
deux monde, nous pouvons le saisir à condition que nous nous trouvions sur un piste
correct. Ensuite, nous allons examiner de près l’entrecroisement de l’espace à travers
plusieurs éléments: le transfert des objets perdus qui appartiennent à Hilde et se
déplacent dans le monde de Sophie, le chalet du major à propos duquel nous analyserons
les sujets faisant preuve de l’entrecroisement spatial tels que le tableau accroché qui
représente la maison habitée par la famille de Hilde, l’ancien miroir et la cave du chalet.
D’ailleurs, nous nous rendons compte que si l’enchevêtrement spatio-temporel doit être
exploré, il ne faut absolument pas nous passer d’évènements clefs qui déploient un univers
magique pour nous faire apprécier la vie et les civilisations que nos ancêtres ont créées, ces
évènements comprennent la vidéo cassette montrant à Sophie l’ancien Athènes et ses
grands penseurs ainsi que ce qu’Alberto achète à Sophie le livre intitulé LE MONDE DE
SOPHIE, la fuite du monde d’imagination par le père de Hilde, la rencontre des principaux
-3-
rôles appartenant aux deux univers , et bien entendu, ce qui se produit après la fuite ne
nous est pas non plus négligeable.
Dans le dernier chapitre, nous réfléchissons à travers l’ouvrage sur le sens et l’objectif final
de la vie humaine ainsi que ses questions essentielles résumées. Puisque chacun pourrait
avoir ses propres expériences après la lecture, nous n’énonçons que la nôtre. Cependant,
quelque différentes que soient les réflexions, nous ne doutons pas que le processus prendra
effet pour approfondir notre compréhension de nos propres existences sur notre monde
actuel.
Finalement, il nous est nécessaire d’expliquer l’intention de ce que nous prenons une
œuvre traduite en tant que choix du corpus. C’est que nous voudrions faire des recherches
dans le futur sur le plan de la philosophie et de la psychologie. Par conséquent, nous
préférons considérer cette recherche comme un pas débutant dans l’étape de transition.
-4-
Chapitre 1 Le feu d’ « artifices » d’expressions
Dans ce chapitÚe, nous allons analyser les différents procédés d’expression utilisés dans
l’ouvrage, dont le « point brillant » se trouve dans les techniques rhétoriques. Pour preuve
un nombre assez élevé d’exemples parce qu’il s’agit d’illustrer une démarche. Nous
n’apprenons à développer une sensation au littéraire que par imprégnation et un bain de
d’exemples vaut mieux qu’un arsenal exhaustif de préceptes. De là aussi, le choix des
exemples. Pour que ceux-ci frappent les sens, le cœur et l’esprit, il nous faut nous tenir à
l’écart du rébarbatif ou de l’aride. L’option est en l’occurrence délibérée. L’effet du bon
choix de procédés d’expression rhétoriques produit une impression de l’éclat qui appelle de
l’attention, tout comme pour faire tirer le feu d’artifice qui introduit la brillance et une
beauté survenue qui font vibrer les codes du cœur.
Selon le dictionnaire Larousse1, la rhétorique fait référence à l’ensemble des procédés
conventionnels auxquels nous pouvons avoir recours pour bien parler ou bien argumenter;
concrètement, ce sont en effet des techniques de la mise en œuvre des moyens d’expression
— les figures rhétoriques.
1.1 Un paradis d’exemples plein de vivacité
Puisque Sophie Amundsen est une fille qui va avoir quinze ans, Alberto Knox — son
initiateur de philosophie cherche à lui expliciter les pensées des grandes figures
philosophiques en citant un énorme nombre d’exemples vifs et variés afin de faire se
rapprocher l’image quotidienne et les théories parues abstraites et sèches aux yeux d’une
fille presque adulte. Ces exemples sont revêtis de trois figures de rhétoriques très connus
de nous tous : l’allégorie, la métaphore et la comparaison. Pour le dire plus précisément :
l’allégorie fait partie de la métaphore, nous traiterons ces deux procédés tout de même
séparément afin d’en avoir une perspective plus claire. Comme la comparaison et son
fonctionnement nous sont familiers, nous n’en parlons pas davantage dans le mémoire.
L’ordre des exemples que nous allons analyser s’établit selon ceux dont notre lecteur
1
Dictionnaire du français, Larousse, Paris, 1998.
-5-
trouvera l’énumération, qui n’avance pas selon le déroulement de l’histoire2 mais selon le
niveau d’intérêt que nous estimons sur la base des analyses.
1.1.1 L’allégorie
Dans le dictionnaire Le Robert3, le mot « allégorie » a l’acception comme suite d’éléments
descriptifs ou narratifs concrets dont chacun correspond aux divers détails de l’idée
abstraite qu’ils prétendent exprimer ou symboliser. D’après Jean Kokelberg4, l’allégorie
relève d’une forme de métaphore plus fine et développée : fondamentalement, c’est une
métaphore filée ou successive. L’allégorie se définit comme présentation d’une idée ou
d’une réalité selon une suite de métaphores (ou de métonymies) qui se greffent les unes sur
les autres pour offrir une perspective nouvelle et cohérente de l’idée ou de réalité évoquée.5
Nous distinguons l’allégorie d’expression de celle de vision. Autrement dit, les cascades de
métaphores cousues dans le même fil pourraient servir de procédé d’expression ou de
mode de vision. Puisque les allégories d’expression ne sont que de simples « métaphores
filées », où la prolongation métaphorique résulte essentiellement d’une transposition
lexicale, d’une simple extrapolation au niveau d’un registre de vocabulaire, car un mot
peut bien en appeler un autre : champ sémantique oblige6. D’après les définitions mentionnées
ci-dessus, les trois premières allégories parmi les six que nous allons bientôt analyser
relèveraient plutôt de celles de vision, il s’agit là des allégories proprement dites.
Les allégories de vision se présentent comme un nouvel éclairage7 de la réalité évoquée.
Nous sommes transportés dans un autre contexte au point que le lecteur pourrait hésiter et
ne plus savoir dans quel monde il se trouve. Il faudrait avoir l’esprit fort cloisonné pour ne
pas considérer l’allégorie seulement comme le déploiement des images jaillissant à partir
d’une métaphore. Il vaut mieux de ranger sous la bannière de l’allégorie tout
2
3
4
5
6
7
L’histoire à la fois comme la présentation du cours de philosophie dans cet ouvrage Le monde de Sophie et l’évolution
au cours du temps, les deux ayant pratiquement un même déroulement.
Le Robert Micro, Dictionnaire le Robert, Paris, 2002.
KOKELBERG Jean, Les techniques du style, Ed. Nathan, Paris, 1991, p.101.
Ibid., p.104.
Ibid., p.102.
Ibid., p103.
-6-
développement d’une expression imagée qui prend une comparaison comme support. A le
dire plus précisément, la transposition se fonde sur une analogie dans la perception
d’ensemble.
L’allégorie la plus impressionnante qui se présente à travers tout l’ouvrage ici et ailleurs,
c’est celle concernant le chapeau haut-de-forme. Après être rentrée de l’école, Sophie
découvre son nom sur une grande enveloppe qu’elle a sortie de la boîte aux lettres, au dos
de laquelle s’inscrivent les mots Cours de Philosophie8. Dedans, l’inconnu informe que nous
sommes tous les spectateurs d’un tour de prestidigitation, nous voyons le prestidigitateur
tirer un lapin vivant du chapeau haut-de-forme où se sont trouvés des foulards de soie il y a
quelques instants. Cependant que nous ne comprenons pas comment il arrive à faire cela
devant nos yeux (nos sens) en même temps que notre raison nous dit que nous nous
sommes fait avoir.
Au début, l’expéditeur compare ce genre de sentiment d’incompréhension avec celui du
public curieux : beaucoup pensent que le monde est aussi incompréhensible que le coup du lapin qui
9
sort du chapeau haut-de-forme qu’on avait pourtant cru vide . Au fur et à mesure, l’allégorie
devient plus claire, car en ce qui concerne le monde, le cas est un peu différent, ce sont
nous les êtres humains qui habitons sur cette terre et nous en faisons partie. Par conséquent,
le monde n’est plus un simple tour de passe-passe, mais au fond, nous ne sommes pas,
nous non plus, des simples spectateurs du show mais le lapin même sorti du chapeau
haut-de-forme. En effet, il existe une différence essentielle entre nous et ce lapin, puisque
celui-ci n’est jamais conscient de sa participation à ce tour de magie tandis que nous le
sommes. Nous expérimentons nettement que nous participons au mystère du monde et
nous avons et devons avoir envie de comprendre comment cela se déroule.
A la fin, pour créer un effet plus impressionnant, le philosophe modifie encore un peu
l’allégorie afin d’en expliciter les relations des éléments. Il vaudrait mieux considérer
l’univers comme le lapin blanc et accepter que nous ne représentions que de toutes petites
8 GAARDER Jostein, Le monde de Sophie, Ed. Du Seuil, Paris, 1995, p.24.
Ibid., p.27.
-7-
9
bestioles incrustées dans la fourrure du lapin. Dans ce cas, il n’est plus difficile de penser
que le prestidigitateur désigne le Tout, l’Ordre de l’univers, le Moi, Dieu ou logos etc.
nommés par de différents philosophes ou courants philosophiques. Les philosophes
cherchent à grimper le long d’un des poils fins dans le but de regarder de ses propres yeux,
à l’aide de la raison, le tour de magie.
La leçon est que ce lapin gigantesque met plusieurs milliards d’années pour sortir du
chapeau haut-de-forme. Les descendants de l’homme voient le jour à l’extrémité des poils
fins de la fourrure du lapin. Les bébés et les enfants sont vraiment surpris par le monde
merveilleux né du tour de passe-passe. Cependant qu’en grandissant, ils ont l’habitude de
s’enfoncer de plus en plus dans le creux de la fourrure. Ils ne s’ennuient même pas à jeter
encore un coup d’œil de plus sur ses entours.
Par conséquent, ils s’y trouvent si bien et cherchent à se rendre le plus confortable possible
qu’ils ne retrouvent plus de courage pour remonter le long des poils. Par contre, ne voulant
pas s’écarter des risques, les philosophes sont assez courageux de poursuivre l’aventure
dangereuse qui les mènent aux frontières extrêmes du langage et de l’existence10, même si certains
retombent dans le fond, d’autres s’accrochent de leur mieux aux poils du lapin et essaient
de persuader tous les autres hommes engourdis qui ne s’occupent que les bagatelles
quotidiennes de les rejoindre. C’est un vrai dommage que la plupart des gens trouvent que
tout dans le monde va de soi en se plongeant dans le doux assoupissement de leur routine
quotidienne une fois pour toutes.
Cette allégorie offre un réseau organique de métaphore : le lapin blanc – l’univers, le
magicien – Dieu, l’humanité – de toutes petites bestioles incrustées dans la fourrure du
lapin ; l’unité de vocabulaire provient de la volonté de présenter de manière plus concrète
une impression générale de notre monde par l’évocation d’un univers différent. Ces
éléments se greffent de cette manière pour nous offrir une image représentant ce monde
actuel sous l’angle de la prestidigitation.
10
GAARDER Jostein, Le monde de Sophie, Ed. Du Seuil, Paris, 1995, p.33.
-8-
La seconde allégorie que nous avons l’intention de présenter ici se passe lorsqu’Alberto
explique dans sa longue lettre à propos de la théorie d’Empédocle. Il s’agit en effet de deux
exemples cités. D’abord vient le travail d’un peintre. S’il réussissait à peindre des herbes et
des arbres verts en utilisant seulement le rouge, il serait un véritable magicien au lieu d’un
peintre. Pourtant qu’avec le jaune, le bleu et le noir, il est à même de créer des centaines de
couleurs diverses sur la palette en variant chaque fois leurs proportions. Puis suit l’exemple
de la cuisine. Nous n’arrivons pas à faire un gâteau lorsque nous ne disposons pas de la
farine. Mais si nous nous procurons encore des œufs, du lait et du sucre, une infinité de
genres de gâteaux différents peut être faite à partir de ces quatre matières premières.
Selon la théorie d’Empédocle, la couleur rouge ainsi que la farine représentent l’élément à
l’origine de toute chose. D’après Parménide, rien ne peut changer, rien ne peut donc se
transformer, tandis que nous voyons effectivement que l’eau coule ou les fleurs se fanent.
Il soutient alors que nos sens sont trompeurs en nous donnant une fausse image du monde,
c’est la trahison des sens11. Par contre, les thèses de Parménide étaient opposées à celles
d’Héraclite. Celui-ci pense que tout s’écoule et que nos sens sont fiables. Nous nous
souvenons que nous ne pouvons jamais « descendre deux fois dans le même fleuve ».
Empédocle a bien réglé le conflit entre ces points de vue antagonistes. Selon lui, ce qui a
provoqué ce combat, c’est l’idée qui suppose une seule substance à l’origine de tout.
Il en vient alors à la conclusion qu’il faut abandonner cette hypothèse de départ d’une
matière première et unique, parce que si tel était le cas, le fossé entre ce que nous dit la raison et
« ce que nous voyons de nos propres yeux » serait tout à fait infranchissable12, puisque ni le rouge ni
la farine ne peuvent seuls se transformer en le vert ou en un gâteau. Il serait inextricable
que la nature provienne d’un seul élément. D’une part, il est d’accord avec Héraclite pour
la fiabilité de nos sens et la nature est en effet en perpétuelle changement, d’autre part, il
partage aussi l’opinion de Parménide qu’il n’existe pas de véritable changement en
profondeur et il croit qu’au lieu d’une seule matière première, la nature possède quatre
substances élémentaires : la terre, l’air, l’eau et le feu.
11
12
GAARDER Jostein, Le monde de Sophie, Ed. Du Seuil, Paris, 1995, p.52.
Ibid., p.54.
-9-
Ces deux petites allégories nous éclairent par de concrets aspects de la vie quotidienne en
nous évoquant que le monde est une palette sur laquelle des mutations pittoresques sont
nées l’une après l’autre à partir de quatre couleurs élémentaires originelles ; de même,
l’impression du travail d’un pâtissier nous est suggérée par les quatre matières
indispensables pour faire un vrai gâteau : la farine devrait être en coopération avec les œufs,
le lait et le sucre, même si certains éléments d’entre eux n’occuperaient qu’une petite
proportion.
La troisième allégorie que nous trouvons non insignifiante est faite afin de donner
explication à la théorie des idées présentée par Platon. Alberto a envoyé à Sophie une
cassette vidéo, dans laquelle Platon, dans l’Athènes de l’Antiquité, a laissé trois questions
sur lesquelles Sophie est invitée à réfléchir, la première était « comment une pâtisserie
pouvait faire cinquante gâteaux exactement semblables ». Cette question d’introduction
évoque à Sophie que chaque année au Noël, sa mère prépare un grand nombre de petits
bonshommes en pain d’épice. De là nous comprenons bien que même si ces petits
bonshommes ne sont pas parfaitement identiques, ils possèdent tous un trait commun. Bien
qu’aucun d’entre eux ne soit pas tout à fait parfait, nous pouvons très bien deviner qu’ils
ont une même origine : ils procèdent d’un même moule.
Puisqu’il existe tant de similitudes dans les phénomènes naturels, Platon en déduit qu’il
devrait y avoir un nombre limité de « moules » « derrière » tout ce auquel nos sens
touchent. Platon appelle ces moules les « idées ». Par exemple, derrière les tigres, les
hommes se trouvent l’ « idée du tigre » et l’ « idée de l’homme ». De même, une
boulangerie digne de ce nom a d’habitude plus d’un moule. Platon soutient qu’il y a une
autre réalité derrière ou par-dessus le monde des sens, il l’appelle le « monde des idées ».
C’est là où nous trouvons les « modèles » immuable et éternels qui sont à l’origine des
phénomènes imparfaits présents dans la nature.
La quatrième allégorie se présente au moment où Sophie suit le cours sur la philosophie
hellénistique dont le projet le plus important devient l’éthique, il s’agit de savoir en quoi
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