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Appel à communication
Citoyenneté et Démocratie à l’épreuve des inégalités spatiales et des
identités
Colloque, 2-3 Avril 2015, Université de Tours
Les récents questionnements scientifiques sur la citoyenneté sont davantage centrés sur ses pratiques, ses
expressions et ses significations quotidiennes que sur son caractère institutionnel et encore moins sur le
statut juridique qui lui est lié en termes de droits et d’obligations (Neveu et al., 2011). Nous pouvons
même avancer l’idée que la citoyenneté s’est progressivement déterritorialisée, de telle sorte que le lien
étroit entre souveraineté territoriale de l’État-nation et loyauté politique est de plus en plus remis en
question (Purcell, 2003). En effet, les références locales, l’appartenance à une communauté groupée
autour d’un espace de vie à l’échelle infranationale peuvent changer le regard sur la citoyenneté, ébranler
les fondements de la citoyenneté nationale au point d’en proposer de nouvelles formes d’expression.
Plusieurs communautés citoyennes (minorités, groupes politiques, habitants d’un quartier, ceux qui se
sentent exclus des processus de décision, etc.) ont commencé à revendiquer leurs droits culturels et
politiques, à prétendre à une certaine visibilité dans l’espace public, à s’approprier l’espace et à investir les
villes, par leurs pratiques socio-culturelles et leurs modes de vie spécifiques.
De plus, de nombreuses recherches interrogent la spatialité de la citoyenneté et ses expressions spatiales,
par exemple en mettant au cœur de leur analyse l’espace urbain (Isin, 1999 ; 2009). David Harvey (2012)
souligne dans ce sens combien les villes continueront à se trouver au cœur des luttes socio-politiques en
raison des (in)justices socio-spatiales qui existent en leur sein. Dans ce cadre, le concept lefèbvrien de
« droit à la ville » est souvent évoqué afin de penser la ville comme cadre d’expression de nouvelles
formes de citoyenneté allant au-delà du cadre institutionnel. Le droit à la ville se nourrit également du
concept de justice spatiale, et légitime pour les citoyens le refus de se laisser écarter de la réalité urbaine
par une organisation discriminatoire et ségrégative. De ce fait, il pose les jalons d’une citoyenneté urbaine.
Depuis quelques années, on constate dans le monde une augmentation des inégalités internes aux pays à
tel point qu’il n’est plus possible, loin s’en faut, de tenir pour un principe établi que le développement
économique d’un pays doit nécessairement se traduire par une diminution des inégalités en son sein.
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Ces fortes inégalités sociales internes aux pays, qui accentuent à n’en pas douter le sentiment d’injustice,
vont de pair avec des inégalités spatiales très marquées, si bien que la ségrégation, exprimant l’existence
d’inégalités dans une société gardant encore de sa cohérence et de sa cohésion, cède face à la
fragmentation, voire à la ghettoïsation. C’est ainsi qu’aux États-Unis les « parias urbains » (Wacquant,
2006) vivent dans des espaces d’exclusion oubliés des pouvoirs publics, entendons de véritables ghettos
urbains se trouvant dans un état avancé de délabrement et de misère sociale cette dernière participant
en outre d’une « économie » carcérale.
En France, si la notion de ghetto fait débat, il reste que des recherches récentes ont montré à quel point se
développent des processus de ghettoïsation, que ce soit par le bas comme dans les cités d’habitat social
(Lapeyronnie, 2008 ; Boucher, 2010), ou par le haut comme dans les « beaux quartiers » de la bourgeoisie
(Pinçon, Pinçon-Charlot, 2007) ou au sein des quartiers gentrifiés (Smith, 1996). Au regard des inégalités
spatiales actuelles, il semblerait que l’un des intérêts du mot « ghettoïsation » est de ne pas figer la réalité
observée tout en mettant en évidence des tendances radicales de concentration territoriale de la pauvreté
à partir de dimensions spatiales, sociales, économiques, politiques, institutionnelles ou même ethniques.
Cela étant précisé, force est d’observer que c’est à l’échelle de la planète tout entière que se développent
des formes accentuées de séparatisme territorial, dont les gated communities (Lelandais, 2014), les
ghettos dorés et les bidonvilles en sont l’expression la plus forte (Paquot, 2009 ; Davis, 2006). Au regard
des inégalités sociales se traduisant par des inégalités spatiales, il semble nécessaire de relativiser les
rhétoriques transnationalistes mettant l’accent sur les processus de déterritorialisation (Marchal, Stébé,
2014) et sur la mobilité généralisée tout en nous efforçant d’analyser ces différents phénomènes dans une
relation dialectique plus qu’exclusive (voir les travaux de A. Appadurai ou de J. Urry par exemple).
Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que si certains observateurs mettent l’accent sur l’avènement,
à l’échelle mondiale, sinon d’une classe moyenne mondiale (Dezalay 2004 ; Keck et Sikkink, 1998), du
moins d’un mouvement de moyennisation du monde, d’autres insistent, à l’instar de Z. Bauman (2011),
sur la dualisation du monde entre des « mondiaux » déterritorialisés et des « localisés » captifs. Quelles
sont les répercussions de cette évolution sur la citoyenneté et les identités ? Contrairement à l’idée selon
laquelle la mondialisation effacerait les spécificités identitaires, ne constatons-nous pas en réalité
l’intensification du sentiment d’appartenance quant aux micro-identités ? De même, qu’en est-il du
concept de citoyenneté mondiale ?
Ces interrogations sont également valables dès lors que l’on interroge le sens même de la démocratie en
Europe. La ception à l’égard du politique est forte, si bien que l’engagement partisan semble loin pour
des individus déçus, ou plutôt « indignés », par ce qui est alors perçu comme un autoritarisme
insupportable des décideurs politiques. Partout dans le monde, des mouvements naissent en marge des
organisations politiques traditionnelles, comme ce fut encore le cas très récemment en Turquie sur la
place Taksim d’Istanbul, en Espagne sur la place del Sol ou au Brésil à Sao Paulo.
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L’objectif de ce colloque, initié par le Comité de recherche CR 01 « Identité, espace et politique » de
l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), sera de nous interroger sur ces
différentes perceptions et conceptions de la citoyenneté tout en la situant dans une approche spatiale. Il
s’agira également de la situer à la croisée des questions identitaires (Marchal, 2012) et de débattre des
effets sur la citoyenneté de la montée des identités subjectives (ethnique, culturelle, religieuse, sexuelle,
sociale etc.) et des défaillances de la démocratie représentative dans nos sociétés actuelles. Par ailleurs,
quelles que soient les pratiques de résistance, nous constatons qu’une grande partie d’entre elles
émergent et sont exprimées dans l’espace urbain : la ville devient la scène par excellence des pratiques de
résistances exprimées à des degrés divers par des individus, groupes sociaux ou communautés qui la
composent.
Ces dernières années, des résistances liées à de grandes mobilisations sociales et politiques, allant
d’Occupy Wall Street aux Indignados, des révolutions arabes à la place Maidan en Ukraine, se sont
déroulées dans les rues des grandes villes : elles ont fait émerger la voix de ceux qui se sentaient exclus
des mécanismes de décision politiques et économiques et se sont positionnées de loin ou de près sur des
problèmes urbains et plus largement sur la vie quotidienne des habitants.
Partant de ces constats, le colloque sera organisé sur deux jours, autour de trois axes majeurs :
- La citoyenneté au prisme des inégalités spatiales
Cette session visera à interroger les processus de fragmentation socio-territoriale qui marginalisent des
individus et des populations se sentant loin de la participation citoyenne. Plus encore, en quoi de tels
processus peuvent conduire à faire de l’identité citoyenne non pas un support de sens mais bien plus un
support de non-sens ?
Les inégalités spatiales font l'objet de nombreuses recherches. Iris Marion Young part, par exemple, du
principe que l'approche socio-économique est insuffisante pour définir l'injustice et les inégalités. Dès lors,
il est question de s'interroger sur la reconnaissance et l'acceptation de l'altérité et de prôner des politiques
attentives aux droits des groupes, non pas communautaires mais affinitaires (Young, 1990). Les inégalités
spatiales trouvent d'emblée corps dans le concept de justice spatiale qui permet d'intégrer des nouvelles
dimensions et échelles aux inégalités mais aussi à la citoyenneté. Qu'en est-il par exemple quand tous les
citoyens n'ont pas accès à un environnement de même qualité ? Les mobilisations environnementales
peuvent-elles être analysées en mettant en exergue le lien entre citoyenneté et inégalités spatiales ?
- L’identité vs la citoyenneté ?
Il s’agira ici de comprendre comment les conflits incitent les communautés à reconsidérer leur citoyenneté
et à inventer de nouvelles pratiques qui lui sont liées ; comment ces résistances émergent dans des lieux
ethniquement ou politiquement stigmatisés par différents types d’acteurs (institutions publiques, forces
de police, médias, opinion publique, habitants des quartiers eux-mêmes). Nous nous interrogerons
également sur les liens entre processus identitaires, lieux de vie et/ou de mémoire et citoyenneté.
L’identité est-il une composante indispensable des expressions citoyennes et de la citoyenneté ? Peut-on
considérer les identités comme une entrave à la citoyenneté ? Si on sort de la perception statique et
institutionnelle de la citoyenneté, quels sont les lieux de son expression ordinaire par exemple ? Qu’en est-
il des pratiques quotidiennes ? Quel est le rôle de la ville dans ces processus ?
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Inversement, dans quelle mesure la ville est le théâtre d’une négation d’une citoyenneté globale suite à
des revendications identitaires souvent excessives et, par extension, enclines à réduire l’autre à un non-
autre, à un autre chosifié, réifié ?
- La ville comme le lieu d’expression identitaire et d’invention de pratiques citoyennes
Cet atelier entend faire le point sur cette idée déjà formulée par Max Weber (1982) il y a un siècle selon
laquelle « l’air de la ville rend libre », en tant que scène privilégiée d’expression politique. Comment ne pas
penser également ici aux propos de Marcel Roncayolo (1997, p. 145-146) insistant avec force sur cette
dimension : « Mais la ville, lieu de centralité, est également site privilégié de l'expression, de la diffusion
des idées, de la lutte aussi ; capitale, elle organise les dominations comme elle couve les révolutions […].
La vie urbaine laisse enfin place à des organisations, formelles ou non, à des mouvements qui, sans
participer aux affaires de la ville, parfois en marge, ont un enracinement et un champ d'activités urbains.
Faut-il élargir la question à tous les mouvements sociaux, se demander dans quelle mesure, par exemple,
le mouvement ouvrier, les actes collectifs de revendication, de luttes ou de violence prennent leur identité
dans la ville ? ».
Au regard des événements politiques de ces dernières années ayant eu pour cadre d’action la ville, avec
ses places hautement symboliques, il est question, dans le sillage des analyses de Weber, de revenir, avec
un regard analytique, sur l’importance de la ville comme scène de lutte pour la liberté et la réduction des
inégalités, que cette lutte soit collective ou individuelle, qu’elle soit politique, culturelle, symbolique ou
encore économique.
Bibliographie :
Bauman Z. (2011), Le Coût humain de la mondialisation, Paris, Pluriel.
Boucher M. (2010), Les Internés du ghetto, Paris, L’Harmattan.
Davis M. (2006), Le Pire des mondes possibles. De l'explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte.
Dezalay Y. (2004), «Les courtiers de l’international : Héritiers cosmopolites, mercenaires de
l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales,
151-152, 2004, pp. 5-35
Harvey D. (2012), Rebel Cities, London, Verso.
Isin, E.F., and P.K. Wood (1999) Citizenship and Identity, London, Sage.
Isin E. F. (2009), « La Ville comme lieu du social », Rue Descartes , vol.1, n° 63, p. 52-62.
Keck M., Sikkink K. (1998), Activists beyond Borders, Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell
University Press.
Lapeyronnie D. (2008), Ghetto urbain, Paris, Robert Laffont.
Lelandais G. (dir.) (2014), Understanding the City. Henri Lefebvre and Urban Studies, New Castle-upon-Tyne,
Cambridge Scholars Publishing.
Marchal H. (2012), L’identité en question, Paris, Ellipses.
Marchal H., Stébé Jean-Marc (2014), Les grandes questions sur la ville et l’urbain, Paris, PUF.
Neveu C. et. al. (2011), “Introduction: Questioning Citizenship/Questions de citoyenneté”. Citizenship Studies,
15.8, 945-964.
Paquot T. (2009), Ghettos de riches. Tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées, Paris, Perrin.
Pinçon M., Pinçon-Charlot M. (2007), Les Ghettos du gotha, Paris, Le seuil.
Purcell (2003), “Citizenship and the Right to the Global City: Reimagining the Capitalist World Order”,
International Journal of Urban and Regional Research, 27.3, 564-590.
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Roncayolo M. (1997), La Ville et ses territoires, Paris, Folio.
Sassen S. (1996), La Ville globale: Tokyo, New York, Londres, Paris, Descartes & Cie.
Smith N, (2012), The New Urban Frontier: Gentrification and the Revanchist City, London, Routledge.
Smith, N. (1996) The New Urban Frontier: Gentrification and the Revanchist City. London, Routledge.
Wacquant L. (2006), Parias urbains, Paris, La découverte.
Weber M. (1982), La Ville, Paris, Aubier.
Les propositions d’intervention, d’environ une page ou 500 mots maximum, en français ou en anglais,
devront être envoyées le mercredi 30 Janvier 2015 au plus tard à l’adresse suivante :
colloquecitdem@gmail.com
Les droits d’inscription au colloque sont fixés à 20 Euros.
Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des intervenants.
Le Comité scientifique fera connaître les propositions retenues le 23 Février.
Comité scientifique :
M. Christophe BATICLE (Université d’Amiens)
Mme Hélène BERTHELEU (Université de Tours-CITERES)
Mme Sylvie BIJAOUI (College of Management Israël)
M. Pierre -W. BOUDREAULT (Université de Chicoutimi, Québec-Canada)
Mme Wanda DRESSLER-HOLOHAN (Université Paris 10 Nanterre)
Mme Gülçin ERDI-LELANDAIS (Université de Tours CNRS-CITERES)
M. Gabriel GATTI (University of the Basque Country)
Mme Ingrid KOFLER (Université Paris-Descartes)
M. Denis JEFFREY (Université de Laval, Québec-Canada)
M. Hervé MARCHAL (Université de Lorraine, 2L2S)
M. Patrice MELE (Université de Tours-CITERES)
Mme Françoise MONCOMBLE (Institut d’urbanisme français, Université Paris-Est)
Mme Catherine NEVEU (EHESS)
Mme Nora SEMMOUD (Université de Tours-CITERES)
M. Gilles VERPRAET (Sophiapol Université Paris-Ouest)
Comité d’organisation :
Gülçin Erdi Lelandais, chargée de recherche CNRS-CITERES
Hervé Marchal, maître de conférences-HDR en sociologie, Université de Lorraine, Laboratoire lorrain de
sciences sociales (2L2S)
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