Des signes pour mieux communiquer. Le programme Makaton au

Des signes pour mieux communiquer.
Le programme Makaton au service de l'enfant présentant
un trouble du langage
S. Franc*
* Praticien hospitalier, Centre de référence des troubles du langage et des apprentissages, Hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris
10 © ENTRETIENS DE BICHAT 2010
Entretiens
de Pédiatrie
et de Puériculture
2010
RÉSUMÉ
Le programme Makaton a été conçu en Angleterre dans les an-
nées 70 comme un outil permettant de velopper les compé-
tences de communication par l'utilisation conjointe de signes,
(empruntés à la langue des signes) et de pictogrammes sous ten-
dus par le langage oral.
Ce programme pond aux besoins d'une large population d'en-
fants ou d'adultes atteints de troubles du langage (développe-
mentaux ou acquis) dans des contextes cliniques variés.
Il permet d'améliorer la compréhension des messages verbaux, et
offre un modèle d'expression accessible et efficace.
En France, la diffusion de ce programme est actuellement en
pleine expansion.
Mots-clés : programme Makaton, communication augmentée,
rééducation orthophonique, troubles expressifs sévères
Conçu dans les année 70 en grande Bretagne par Margaret Wal-
ker, orthophoniste, dans une structure accueillant des adultes at-
teints de handicaps auditifs, introduit en France en 1996,
progressivement diffusé sur le territoire par l'association avenir-
dysphasie Makaton, relapar des orthophonistes, les profession-
nels de l'éducation, les parents d'enfants en difficulté ou des
structures d'accueil spécialisées, le programme makaton (le nom
provient de la juxtaposition de 3 prénoms, MArgaret, KAte et
TONy), offre à des enfants (ou adultes) sans langage ou en grande
difficulté dans le domaine du langage oral, la possibilité de com-
muniquer grâce à l'utilisation de signes et/ou de pictogrammes. Il
s'agit donc d'un programme de communication multi-modal.
L'utilisation des signes en tant que média de la communication
est connue et usitée dans la communauté des sourds depuis long-
temps déjà me si la reconnaissance de la LSF (langue des signes
française) a été émaillée de nombreux retours en arrière, et d'épi-
sodes douloureux pour la communau des sourds. Les signes uti-
lisés dans le programme Makaton sont empruntés à la LSF. Le
canal gestuel est le premier moyen de communication à seve-
lopper chez le jeune enfant. Il procure une trace visuelle et kines-
thésique et est beaucoup moins fugace que la trace auditive
laissée par le langage oral. En outre, le fait de se représenter le
sens d'une phrase et de la visualiser mentalement favorise son rap-
pel. La mémoire du geste (mémoire énactive) serait la première à
se développer et donc d'accès moins élabo sur le plan dévelop-
pemental que la mémoire auditive. Un certain nombre de signes
sont très « iconiques » (facile à interpréter car proche du concept
qu'ils représentent) ce qui est un réel avantage par rapport au mot
qui est arbitraire. Lorsqu'on signe dans le cadre du programme
Makaton, on ne signe que les mots « clés », ceux qui sontelle-
ment importants pour la compréhension du message, on apporte
donc en quelque sorte, un « décodage » du message favorisant
ainsi l'accès à une meilleure compréhension de celui-ci.
L'utilisation des pictogrammes est assez fréquente et ancienne
dans les structures accueillant des personnes présentant un han-
dicap moteur. Les pictogrammes utilisés dans le programme Ma-
katon sont dérivés du code pictographique « rébus » d'origine
américaine. Par rapport aux signes, ils présentent l'avantage de
pouvoir laisser une trace plus durable des messages, en outre, ils
permettent un réel travail sur l'autonomie des personnes en dif-
ficultés qui ont souvent des troubles cognitifs associés, des diffi-
cultés de planification, de rétention et de rappel. Le travail sur ces
difrents aspects peut donc être abor grâce à cet outil. On peut
proposer des supports variés : tableaux de communication, cahiers
de communication personnalisés, textes de livres ou de chansons,
modes d'emploi, menus, recettes de cuisine, liste de courses,
consignes de curités, guides de visites de mues ou simplement
habiller l'environnement de pictogrammes pour donner une si-
gnification aux mots prononcés jusque là vides de sens: indiquer
la fonction d'un objet, un lieu, une activité.
La représentation de ces pictogrammes est assez concrète, ils sont
faciles à discriminer, ils sont relativement simples à dessiner,
Quelques pictogrammes correspondant à des noms
communs
Maison Lit Table Baignoire Voiture
Quelques verbes :
Manger Boire Dormir
© ENTRETIENS DE BICHAT 2010 - 11
et des stratégies logiques sont utilisées pour leur catégorisation :
Repérage spatial :
dans sur au dessus dessous au dessous entre
Ils permettent également de présenter une image concrète de la
structuration du langage donc d'aborder un el travail sur la syn-
taxe. En outre, ils sensibilisent le sujet au langage écrit et peuvent
être un préalable vers l'acquisition d'une lecture plus traditionnelle
(abord global).
L'originalité du programme Makaton réside dans le fait que les
2 modalités (signées et pictographiées) ont été associées en tant
qu'outils augmentatifs afin de pouvoir présenter sous diverses
formes les informations toujours sous tendues par la langue
orale. L'objectif n'est pas de substituer le langage oral défaillant
par la langue signée (ou le message pictographié), On espère par
cette présentation multimodale, améliorer la compréhension
d'une part, et dans un deuxième temps, que le sujet puisse s'ap-
proprier le support qui lui sera le plus accessible. L'objectif ultime
étant que le sujet veloppe des comtences de communication
par le langage oral en abandonnant donc à terme le support
choisi (signé ou pictographique). Les signes auront servi de trem-
plin vers le développement du langage oral, (les pictogrammes
eux sont plutôt utilisés en tant que tremplin vers la langue écrite).
Les signes offrent l'avantage de proposer une communication re-
lativement fluide et rapide lorsque les capacités motrices sont suf-
fisantes, les pictogrammes eux, proposent un abord plus simple
d'utilisation dans le cadre du handicap moteur mais la communi-
cation est plus lente. Leur utilisation nécessite de meilleures com-
tences cognitives que celle requises pour utiliser les signes. Par
contre, on pourra, grâce à eux, être beaucoup plus précis dans le
codage de la langue. On voit donc qu'on sera parfois amené à
privilégier l'un ou l'autre des supports en fonction des troubles
repérés.
Bonjour tu veux jouer avec moi
Bonjour tu veux jouer avec moi
Exemple de phrase signée et pictographiée
Le programme Makaton propose une approche souple et pro-
gressive permettant une adaptation à diverses pathologies: retard
cognitif de degré léger, moyen ou sévère, trouble spécifique de
veloppement du langage oral (trouble fonctionnel ou structurel,
tout en sachant que dans ces deux cas, l'utilisation du makaton
n'est souvent que transitoire), trouble du spectre autistique, mais
également trouble acquis du langage (de type aphasique). Bien
r le niveau d'utilisation et les résultats attendus sont variables
et fonction de la symptomatologie.
Son champ d'utilisation est donc bien plus vaste que celui du han-
dicap strictement sensoriel (cadre d’utilisation habituel des signes)
ou moteur (cadre d’utilisation « classique » pour les picto-
grammes).
Un vocabulaire siget pictographde 450 concepts (voir ta-
bleaux pages suivantes) est proposé et va être le noyau autour
duquel le travail va se concentrer. Il permet aux intervenants de
se centrer sur un "vocabulaire de base" très fonctionnel et offre
aux personnes en difficultés l'opportunité de pouvoir rapidement
communiquer leurs besoins ou demandes. Ce vocabulaire de base
est structuré en 8 niveaux (plus un niveau complémentaire). Le ni-
veau 1 correspond aux besoins élémentaires et vitaux de toute
personne (manger, boire, dormir..) et offre également la possibilité
de mettre en place les interactions de base (bonjour, au revoir,
merci...). C'est par ce niveau que se fait l'introduction du pro-
gramme. Diverses catégories grammaticales sont représentées
(noms communs, verbes, pronoms personnels, adjectifs, conjonc-
tions....) ce qui permet de structurer dès le niveau 1 le langage en
petites phrases (structures simples). Progressivement, et en s'adap-
tant au rythme de chacun, on abordera les niveaux 2 puis 3... les
centres d'intérêts se diversifient au fur et à mesure allant des
concepts les plus concrets vers les plus abstraits. La diversité des
concepts abordés permet de favoriser les échanges. Cette struc-
turation permet aux partenaires d'ajuster leur discours au niveau
de la personne en difficulté de manière coordonnée ce qui est
particulièrement intéressant en milieu institutionnel. Cependant,
l'acquisition de ces 450 concepts n'est pas une fin en soi, certains
n'y parviendront pas, mais on aura cependant pu mettre en place
une communication de base, d'autres au contraire, s'approprie-
ront l'outil augmentatif, mais auront besoin d'aller au dedes
concepts du vocabulaire de base ce qui reste possible dans le
champ du programme Makaton (abord du vocabulaire dit "sup-
plémentaire" comportant plus de 7000 concepts).
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Tableau I - Le vocabulaire de base Makaton
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Lors de la mise en place de ce programme, il est généralement
proposé d'introduire les signes dans un premier temps, puis en-
suite d'introduire les pictogrammes correspondant aux concepts
déjà assimilés. Cette progression est cependant à moduler en
fonction des compétences de chacun et des diverses pathologies
prises en charge.
On s'attache également à personnaliser le vocabulaire introduit
en fonction de l'environnement, des centres d'intérêts et des pré-
rences de l'enfant (ou l'adulte). L'enseignement seroule lors
de sessions dites « planifiées » au cours desquelles un petit groupe
de concepts est plus spécifiquement travaillé, cela permet égale-
ment de s'ajuster au rythme de progression de chacun. Mais il
faut une mise en pratique des concepts travaillés la plus rapide
possible ; Un travail sur la généralisation des concepts doit être ef-
fectué d'où la nécessité de diversifier les supports : images, pho-
tos, objets réels, objets miniatures, et de diversifier également les
mises en situation.
Le programme Makaton est un outil de communication et ne re-
présente pas uniquement une approche rééducative. En tant que
tel, il doit être dans la mesure du possible, utilisé par le plus grand
nombre de partenaires dans l'entourage de l'enfant (ou l'adulte)
en difficul. L'implication de la famille et de l'environnement (ins-
14 © ENTRETIENS DE BICHAT 2010
titutionnel ou scolaire pour les plus petits) est donc un gage de
ussite. On se heurte parfois aux réticences des familles (voire
des professionnels) qui pensent que la mise en place d'un outil
augmentatif risque de rendre l'enfant « paresseux » et que cela
va « empêcher le développement du langage oral ». L'utilisation
des signes reste très liée au monde du handicap sensoriel (auditif)
mais l'apparition en France de programmes tels que « signe avec
moi »(1) devrait permettre une meilleure acceptation d'un outil tel
que le « Makaton ». On observe des bénéfices réels lorsqu'on pro-
pose des signes à des enfants sans langage; certains se jettent lit-
téralement dessus (dans le cadre des enfants porteurs de
trisomie 21, l'appétence pour les signes est particulièrement sen-
sible), et les difficultés comportementales souvent associées aux
handicaps de communication cèdent de façon notable.
Trop souvent, on attend que le handicap soit significatif pour le
prendre en charge: on voit encore des enfants de 5-6 ans, sans
langage pour lesquels aucun outil de communication n'a été pro-
posé. La question de la mise en place d'un outil augmentatif de-
vrait se discuter dès lors qu'on peut objectiver l'existence d'un
trouble de la compréhension à 2 ans, une absence de production
de mot à 3 ans ou d'association de 2 mots à 4 ans.
Dans certaines pathologies étiquetées précocement et pour les-
quelles on sait que le développement du langage oral va être dif-
féré (syndrome de Down, Rubinstein Taibi, Cornélia Delange,
agénésie du corps calleux...), on pourrait très tôt (dès l’âge de 6-
9 mois) inciter les parents à utiliser quelques signes pour souligner
le langage oral. L'interaction et la comphension en seraient fa-
cilitées dans un premier temps, et cette modalité de communica-
tion pourrait servir de modèle à l'enfant dès lors qu'il serait en
mesure d'imiter. On minimiserait ainsi (voire on éviterait) les trou-
bles du comportement liés à la frustration engendrée par l'impos-
sibilià communiquer.
Si l'utilisation d'un code de communication est maintenant acquise
dans le cadre du handicap moteur, elle reste à notre avis, encore
sous-utilisée dans le cadre du handicap mental (avec ou sans trait
autistique) et du polyhandicap alors que l'expérience du pro-
gramme Makaton depuis 15 ans a fait la preuve des son efficaci.
Le programme Makaton est proposé en Grande-Bretagne depuis
presque quarante ans. Il est diffusé par le TMC (qui succède au
MVDP et qui est garant du maintien d'une certaine orthodoxie
du programme, cette structure assure l'adaptation du vocabulaire
de base, la création de nouveaux pictogrammes, de nouveaux
supports, supervise le contenu des formations, ainsi que la for-
mation de nouveaux formateurs sur le territoire anglais mais éga-
lement dans les pays où la Makaton est diffusé), Le programme
est connu dans une quarantaine de pays dans le monde (Australie,
Japon, Nouvelle-Zélande, Hong-Kong, Koweit, Portugal, Grèce,
Norvège... pour n'en citer que quelques uns). Lorsque le pro-
gramme est introduit dans un nouveau pays, des adaptations cul-
turelles sont cessaires concernant le contenu du vocabulaire de
base (certains concepts peuvent être ajoutés en retis en fonction
des spécificités religieuses, culinaires ou ographiques... du pays),
Les signes choisis sont ceux de la langue des signes du pays
concerné, un contact est donc établi avec la communauté des
sourds, Le graphisme de certains pictogrammes doit également
parfois être revu (la boîte aux lettres des britanniques ne ressemble
pas à celle que nous avons en France par exemple, cela a donc
cessité de re-dessiner ce pictogramme).
En France, le programme Makaton est diffupar l'association
Avenir-dysphasie Makaton. Entre 1996, date de la première for-
mation, et 2001, une vingtaine de formations se sont déroulées.
En 2009, quarante cinq formations ont eu lieu pour cette seule
année, en métropole et dans les DOM accueillant des profession-
nels para dicaux (orthophonistes principalement) et des parents
d'enfants en difficultés de communication, De plus en plus de de-
mandes émanent de structures institutionnelles pour enfants et
depuis peu, pour adolescents et adultes (IME, IEM, pitaux de
jour, CAMSP, centres de éducations, MAS, IMPRO). Devant le
el bénéfice constaté par les personnes déjà formées, la de-
mande de formation est actuellement exponentielle, « AAD-Ma-
katon » organise ces formations qui sont assurées par
14 formatrices françaises (pour 700 en Grande-Bretagne !).
Les orthophonistes, éducateurs, pédagogiques, psychologues doi-
vent être sensibilisés à ce type d'aide afin de proposer aux pa-
tients présentant un trouble expressif sévère une approche
adaptée, progressive, efficace et coordonnée pour pallier leur
trouble. Le programme Makaton doit s'inscrire dans un projet thé-
rapeutique commun au sein d'une structure pluri-disciplinaire en
impliquant les parents afin de renforcer les capacités de commu-
nication ainsi que les compétences cognitives et adaptatives du
sujet.
(1) « signe avec moi » : Programme de communication destiné à
des bébés sans difficultés basé sur le principe que le jeune enfant
dans le courant de la première année de vie a des choses à nous
dire mais n'a pas encore l'outil langagier pour le faire.
RÉFÉRENCES
1 - Bouhier-Charles N. Signe avec moi Monica. Companys éd mai 2006.
2 - Franc S. La communication augmentée, Entretiens d’orthophonie, Expansion
Scientifique Française 1996, 7-14.
3 - Franc S. La communication augmentée : un système original, le programme
Makaton, Rééducation orthophonique 2001, 205, 141-150.
4 - Franc S. Gérard CL. Le programme Makaton, son utilisation auprès de sujets
autistes. Entretiens de rééducation de Masson, Montpellier 2004.
5 - Franc S. Thomas. Les représentations de temps dans la rééducation des
troubles de la communication chez l’enfant. Entretiens d’orthophonie 2006.
6 - Gasser F. Makaton et dysphasie : Utilisation d’un système de communication
multimodal ANAE (16) 76-77 ; 108-110 Mars 2004.
7 - Lachenal M. Actes du congrès APF 2007 : « Parents et professionnels,
partenaires de la communication de l’enfant ».
8 - Montoya D, Bodart S. Le programme Makaton auprès d’un enfant porteur
d'autisme, le cas de Julien: Développement décembre 2009 19-26.
9 - Nègre C. Le Makaton en CAMSP, congrès Isaac, 2004.
10 - Pieters V. Exemple d’application, Entretiens d’orthophonie dans le chapitre
« codes et signes en rééducation orthophonique », Expansion Scientifique
Française 1996, 15-19.
11 - Sarfaty N. Le programme Makaton pour des enfants autistes : expérience
institutionnelle. Rééducation orthophonique 2001, 207,15-19.
12 - Werba P. Avec le Makaton, faisons signe à la personne trisomique. Ortho
magazine 77 juillet/Août 2008.
13 - Congrès de Toulouse : juillet 2009. « Multimodalité de la communication
chez l'enfant : gestes, émotions, langage et cognition ».
14 - Sites web : www.makaton.fr et www.makaton.org.
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