Universität Zürich, Frühjahrssemester 2008
Romanische Sprachen und Literaturen (Romanisches Seminar)
Bachelor-Studium und Lizenziatsstudium
Vorlesung 055 : Analyse linguistique de textes littéraires français (XVIe / XXIe s.)
Horaire : lundi, 16h15 à 18h00 ; salle : KO2-F-153
25 février 2008 : Raymond Queneau, Zazie dans le métro, suite
Tout faraud, il cria : « Tu pues, eh gorille. »
C’est l’équivalent d’une incise, dont on a dit ci-dessus qu’elle est intercalée ou en position
finale ; pourtant, ce segment textuel précède ici le discours direct, ce qui d’ailleurs est rendu
dans la typographie par l’emploi des deux points. Le passé simple nous rappelle que nous
sommes ici dans le discours narré.
faraud signifie « fanfaron, fat, fier ». Le NPR 2008 le donne comme ‘vx ou région.’ et ajoute
la locution verbale faire le faraud, définie « crâner, faire le malin ».
Le discours direct, ici entre guillemets car ce n’est pas un monologue intérieur, est constitué
d’une proposition indépendante (tu pues) suivie d’un substantif en fonction apostrophe ; c’est
aussi une sorte de phrase averbale.
gorille : insulte basée sur une métaphore zoomorphique
Gabriel soupira. Encore faire appel à la violence. Ça le dégoûtait cette contrainte.
Depuis l'hominisation première, ça n'avait jamais arrêté.
Retour à du discours narratif, avec alternance d’un verbe au passé simple (événement
ponctuel de premier plan), d’un verbe à l’imparfait (simultanéité d’un événement cursif
d’arrière-plan) et d’un autre au plus-que-parfait (antériorité d’un événement cursif d’arrière-
plan, dont la cursivité est soulignée par le sémantisme même du syntagme verbal, et dont
l’antériori est explicitement donnée dans le complément circonstanciel depuis
l’hominisation première).
faire appel… : phrase infinitive sans sujet exprimé; thème dont le rhème se trouve en fait dans
la phrase suivante, dont Ça est en même temps anaphorique par rapport à l’énoncé précédent,
et cataphorique par rapport à cette contrainte.
Le dans le dégoûtait est un pronom personnel COD atone masculin singulier à fonction
anaphorique: il reprend Gabriel.
Mais enfin fallait ce qu'il fallait. C'était pas de sa faute à lui, Gabriel, si c'était toujours
les faibles qui emmerdaient le monde. Il allait tout de même laisser une chance au
moucheron.
mais enfin, tout de même : particules énonciatives (même si la grammaire scolaire nous
apprend que mais est une conjonction de coordination, enfin un adverbe, et tout de même une
locution adverbiale ; la catégorie grammaticale de l’adverbe est une catégorie fourre-tout qui
regroupe un peu toutes sortes de choses)
Suite du discours narratif avec des verbes à l’imparfait (simultanéité d’un événement cursif
d’arrière-plan).
Périphrase aller + INFINITIF, qui concurrence le futur simple lorsque aller est au présent,
mais qui concurrence le conditionnel lorsque aller est à l’imparfait: allait laisser pourrait
alterner ici avec laisserait, pour exprimer la postériorité immédiate d’un événement par
rapport au point d’ancrage temporel constitué par le verbe soupira au passé simple dans la
phrase précédente.
moucheron : métaphore zoomorphique (cf. cochon, gorille), basée sur les sèmes /+ petit/ et
peut-être aussi /+ désagréable, irritant, énervant/.
Un peu étonné que le costaud répliquât, le ptit type prit le temps de fignoler la réponse
que voici : "Répéter un peu quoi ?"
L’emploi du subjonctif imparfait (plutôt que celui du subj. présent) était autrefois obligatoire
en français lorsque le verbe de la principale était à l’un des temps du passé. Aujourd’hui, le
subjonctif imparfait n’est plus qu’un marqueur stylistique de « littérarité », et son emploi ici
fait sourire, dans un contexte aussi trivial. Le mode subjonctif ici est conditionné par la
subjectivité exprimée dans le support de la subordonnée (« un peu étonné… »)
Cette longue phrase a elle aussi la fonction d’une incise, mais le verbe de parole est remplacé
par un substantif de parole, réponse ; « répéter un peu » a aussi une valeur anaphorique, il
participe à la cohésion textuelle car il reprend mot à mot une partie des propos
immédiatement antérieurs tenus par l’autre interlocuteur.
Pas mécontent de sa formule, le ptit type. Seulement, l'armoire à glace insistait : elle se
pencha pour proférer cette pentasyllabe monophasée : "Skeutadittaleur... "
Phrase averbale, typique du français parlé, avec ici un ordre rhème-thème (on nous dit de
quelqu’un – le « ptit type » – quelque chose, à savoir qu’il n’est pas mécontent de sa formule).
seulement : particule énonciative, modalisateur d’énoncé (cf. ci-dessous mais enfin, tout de
même) ; sert à exprimer que le contenu de l’énoncé précédent n’a pas eu les effets escomptés
l’armoire à glace : métaphore désignant un homme très massif, très carré d’épaules
pentasyllabe : mot de cinq syllabes (ce n’est pas un mot mais bien une phrase entière,
seulement Queneau nous le présente graphiquement comme une seule unité, pour mettre
l’accent sur le fait que l’énoncé en question a été produit d’une seule traite, sans hésitations)
monophasée : mot relevant du vocabulaire de l’électricité, détourné ici pour évoquer un
énoncé proféré sur un ton égal et que l’on suppose menaçant…
Skeutadittaleur : « ce que tu as dit tout à l’heure ». Même commentaire que sous
doukipudonktan.
Le ptit type se mit à craindre. C'était le temps pour lui, c'était le moment de se forger
quelque bouclier verbal.
se mettre à + infinitif: périphrase inchoative; montre l’action verbale envisagée dans sa phase
initiale. On pourrait gloser par « commença à avoir peur ».
bouclier verbal: façon très élégante de la part de Queneau de varier le système des incises qui
flanquent le discours direct; au lieu d’utiliser un verbe de parole au passé simple, suivi des
habituels deux-points, l’auteur a recours à un syntagme nominal, explicitement désigné
comme appartenant à la sphère verbale (cf. aussi le cas de réponse, ci-dessus); en outre, le
discours ainsi évoqué est censé avoir une fonction de « bouclier » (belle évocation du pouvoir
potentiel de la parole…).
Le premier qu'il trouva fut un alexandrin :
"D'abord, je vous permets pas de me tutoyer.
– Foireux", répliqua Gabriel avec simplicité.
alexandrin: de même qu’avec pentasyllabe, mais avec une terminologie plus classique, ce mot
illustre la fonction métalinguistique chère à Queneau. Un alexandrin est un « vers de douze
syllabes », par allusion au Roman d’Alexandre, poème du XIIe siècle rédigé en ancien
français).
D’a/bord/je/vous/per/mets/pas/de/me/tu/to/yer : pour faire de cette phrase un alexandrin, tous
les « e » muets doivent être restitués, ce qui donne à la phrase un ton pompeux et quelque peu
ridicule, en particulier à cause de l’absence du ne de négation, propre à la langue parlée et
relâchée. De toute façon, la référence au concept d’alexandrin pour se référer à une phrase
orale spontanée dépourvue de toute velléité littéraire fait sourire, puisqu’on ne l’évoque
normalement que pour parler de la grande littérature classique.
La phrase qui introduit l’alexandrin involontaire du mari de la rombière est elle aussi, en fait,
un alexandrin :
Le/pre/mier/qu’il/trou/va/fu/t-u-/n-a/lek/san/drin
L’incise qui suit la réponse de Gabriel est elle aussi un alexandrin :
ré/pli/qua/Ga/Bri/e/l-a/vec/sim/pli/ci/té
L’œuvre de Queneau est truffée de ce genre de clins d’œil, qu’on ne perçoit pas toujours du
premier coup.
Cette incise est prototypique : verbe de parole au passé simple, mention du locuteur et
complément circonstanciel de manière.
Et il leva le bras comme s'il voulait donner la beigne à son interlocuteur.
beigne n. f. « (arg., pop., vieilli) bosse qui se forme à la suite d’un coup, d’une chute » (même
famille que beignet); par extension métonymique, « coup qui va provoquer ou qui a provoqué
l’enflure » (TLF). Normalement, on attendrait donner une beigne; donner la beigne rappelle
ironiquement donner l’accolade ou faire la bise, comme s’il s’agissait d’un comportement
ritualisé et amical.
[…] son interlocuteur. Sans insister, celui-ci s'en alla de lui-même au sol, parmi les
jambes des gens. Il avait une grosse envie de pleurer.
celui-ci et il sont des pronoms (resp. pronom démonstratif et pronom personnel sujet atone)
qui jouent ici dans la cohésion textuelle un rôle anaphorique (reprise d’un élément
d’information déjà rencontré). On distingue l’anaphore déictique et l’anaphore textuelle: si
l’on dit à son interlocuteur dans une situation de communication de proximité « celui-ci », on
renvoie à quelque chose dans la situation extra-linguistique, alors que si l’on écrit « celui-ci »
dans une situation de communication à distance, ce qui est évidemment le cas de l’écrivain
s’adressant à ses lecteurs, l’anaphore est dite textuelle; on renvoie à quelque chose qui est
dans le texte, donc dans le « co-texte » discursif et non dans le « contexte » extra-linguistique.
s’en alla : événement verbal ponctuel de premier plan au passé simple
avait (envie de pleurer) : événement verbal cursif d’arrière-plan à l’imparfait
Heureusement vlà ltrain qu'entre en gare, ce qui change le paysage.
Irruption du « présent historique » : le discours narratif, jusqu’ici aux temps du passé, adopte
soudain le présent, procédé censé donner au récit plus de vivacité; en effet, désormais, le récit
bascule avec l’arrivée du train et de nouveaux protagonistes.
La structure présentative voilà… qui (ici, vlà ltrain qu’) accentue le caractère visuel,
cinématographique, de l’écriture de ce passage; la graphie synthétique (vlà ltrain) contribue à
l’impression d’accélération du rythme narratif.
La foule parfumée dirige ses multiples regards vers les arrivants qui commencent à
défiler […].
parfumée: ironique
foule: substantif collectif; grammaticalement singulier mais sémantiquement pluriel, contraste
évoqué dans le syntagme ses multiples regards
Gabriel regarde dans le lointain ; elles, elles doivent être à la traîne, les femmes c'est
toujours à la traîne ;
Maintenant que le temps narratif est le présent, il devient plus difficile de distinguer le
discours narratif du monologue intérieur; seul le contraste entre l’omniscience du narrateur et
la conscience limitée du personnage permet de déduire que « elles, elles doivent être à la
traîne, les femmes c’est toujours à la traîne » est un monologue intérieur de Gabriel; ainsi que
l’emploi du pronom personnel sujet elles qui renvoie toujours à un référent déjà connu, or s’il
peut être déjà connu de Gabriel il ne peut pas nous être déjà connu à nous car le narrateur
omniscient ne l’a pas encore mentionné. Il ne faut donc pas prêter ce discours légèrement
misogyne au narrateur (et encore moins à l’auteur!), mais bien au personnage de Gabriel.
elles, elles : En français (tout comme en allemand et en anglais, mais à la différence de
l’italien ou de l’espagnol, etc.), le pronom personnel sujet atone est obligatoire et fonctionne
comme une sorte de morphème de personne verbale antéposé, agglutiné à la forme verbale et
dépourvu d’autonomie accentuelle et syntaxique. Par conséquent, si le locuteur veut mettre
l’accent sur le sujet en français, il doit utiliser un pronom tonique. En français, le pronom
tonique ne coïncide pas toujours avec le pronom atone, mais ici c’est le cas, d’où cette drôle
de répétition (elles, elles). Mais cf.: moi, je; toi, tu; lui, il; eux, ils (par opposition à elle, elle;
nous, nous; vous, vous; elles, elles). L’allemand et l’anglais n’ont pas recours à des séries
différentes, mais à la seule mise en relief accentuelle: ich bin ICH bin.
Les femmes c’est : cf. les malabars c’est, même commentaire sur cette structure typique du
français parlé où un sujet pluriel est repris par un pronom démonstratif neutre.
mouflette
mouflet, mouflette n. m., f. « (pop.) enfant (garçon ou fille) » (dp. 1866 ; du rad. expr. muff-
qui traduit les idées de ‘gonflé et mou’, ‘rebondi ; joufflu’) (TLF)
Chsuis Zazie, jparie que tu es mon tonton Gabriel.
chsuis, jparie : phénomènes graphiques habituels rendant compte de la chute du schwa, et
dans le premier cas d’un phénomène d’assimilation : le [s] initial de la forme verbale suis
entraîne la désonorisation de la consonne constrictive prépalatale normalement sonore que
l’on entend à l’initiale du pronom personnel je (d’où la graphie ch).
tonton
Attesté pour la première fois en 1712 en français, sous la plume de Fénelon. Selon TLF,
« altér. enf. de oncle, sur le modèle de tante, tantine. » En effet, dans tonton on retrouve la
même armature consonantique que dans tante ou tantine, mais avec la voyelle du mot oncle.
– C'est bien moi, répond Gabriel en anoblissant son ton. Oui, je suis ton tonton. » La
gosse se mare.
Allitération plaisante, représentative du goût de Queneau pour les jeux verbaux.
Gabriel, souriant poliment, la prend dans ses bras, il la transporte au niveau de ses
lèvres, il l'embrasse, elle l'embrasse, il la redescend.
"Tu sens rien bon, dit l'enfant.
Notez l’enchaînement cinématographique des actions évoquées.
Sur rien, cf. : III. E. Pop., p. antiphr. [Suivi d'adj., avec valeur intensive] Très. C’était rien
drôle! (ZOLA, Terre, 1887, p. 286). C'est rien bath ici qu'elle dit Lulu Doumer avec ses
quatorze ans (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 11). (TLF)
– Tu vois l'objet, dit Jeanne Lalochère s'amenant enfin. T'as bien voulu t'en charger, eh
bien, le voilà.
Dire « l’objet » pour désigner un enfant est un processus rhétorique qu’on pourrait appeler
« réification » (bien que ce terme s’emploie surtout pour parler de référents abstraits). En
même temps, on osera prêter à la mère de Zazie un peu d’ironie dans ses propos…
– Mais, manman, tu sais bien que tu étais arrivée juste au bon moment, la dernière fois.
La graphie de manman exprime le caractère nasal et postérieur de la première voyelle,
flanquée de deux consonnes nasales.
Côté départ. dit Gabriel.
– Natürlich, dit Jeanne Lalochère qui avait été occupée.
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