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Universität Zürich, Frühjahrssemester 2008
Romanische Sprachen und Literaturen (Romanisches Seminar)
Bachelor-Studium und Lizenziatsstudium
Vorlesung 055 : Analyse linguistique de textes littéraires français (XVIe / XXIe s.)
Horaire : lundi, 16h15 à 18h00 ; salle : KO2-F-153
3 mars 2008 : Raymond Queneau, Zazie dans le métro, suite et fin ; Exercices de style
Et, passant sur le plan de la cosubjectivité, il ajouta :
– Et puis faut se grouiller : Charles attend.
sur le plan de : tournure considérée (et critiquée) comme le cliché par excellence
d’une certaine écriture savante, de pair avec au niveau de
cosubjectivité : autre emprunt plaisant au registre de l’écriture scientifique, pour dire
tout simplement qu’un autre personnage va être mentionné
Charles attend : interprété par Zazie comme un jeu de mot (stupide) par son homony-
mie avec charlatan.
Oh! celle-là je la connais, s'esclama Zazie furieuse, je l'ai lue dans les Mémoires du
général Vermot.
Zazie se trompe de titre, il s’agit en fait de L’Almanach Vermot, dans lequel on trou-
vait entre autres des tas de petits jeux de mots et calembours. La confusion de Zazie
est probablement un clin d’œil au lecteur de l’époque, qui ne pouvait s’empêcher de
penser aux Mémoires de guerre (1954-1959) du néral de Gaulle (qui se prénommait
d’ailleurs Charles).
s’esclama pour s’exclama, cf. ci-dessus espliquer.
Je nous le sommes réservé à cause de la grève précisément, son tac.
En général, dans une structure verbale réflexive, il y a identité entre la personne du pronom
sujet, et la personne du pronom objet (ici, objet indirect) : je me le suis réservé, nous nous le
sommes réservé (notez aussi, bien sûr, l’emploi obligatoire de l’auxiliaire être dans la forma-
tion du temps composé avec un verbe pronominal, se réserver). Ici, la non-identité entre sujet
(je) et COI (nous) est exceptionnelle et provoque une impression très étrange, car Gabriel a
accordé le verbe avec le pronom COI immédiatement antérieur (nous) et non avec le sujet
(je). Il aurait fallu, en toute rigueur, dire je nous le suis réser, mais cette tournure sonne
presque aussi faux que la première, habitué que l’on est à l’identité du sujet et du complément
dans les tournures pronominales. Il s’agit en fait d’un point de faiblesse de la grammaire
française, que Queneau s’amuse à souligner. La seule façon de s’en sortir consisterait à uti-
liser une tournure prépositionelle (je l’ai réservé pour nous) ou à traiter le verbe comme non
réflexif, donc avec l’aux. avoir : je nous l’ai réservé, comme on pourrait dire je leur ai ser-
vé, je te l’ai réser.
Il resaisit la valoche d'une main et de l'autre il entraîna Zazie.
On revient à la narration traditionnelle avec le passimple (qu’on ne perçoit d’ailleurs vrai-
ment qu’avec entraîna, car resaisit a la même forme au présent et au passé simple ; la cohé-
sion phrastique détermine ici la juste interprétation de la valeur temporelle de resaisit).
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Charles effectivement attendait en lisant dans une feuille hebdomadaire la chronique
des cœurs saignants.
Événements cursifs d’arrre plan, à l’imparfait et au gérondif.
la chronique des cœurs saignants : la page des petites annonces de rencontre
Il cherchait, et ça faisait des années qu'il cherchait, une entrelardée à laquelle il puisse
faire don des quarante-cinq cerises de son printemps.
Deux emplois de l’imparfait sont réunis ici par Queneau : le fait d’être en train de se
livrer à une activité à un moment précis de la narration (le premier cherchait), et la
répétition, l’itérativité sur une très longue riode (le second cherchait).
Métonymie d’aspect partiel sur entrelardée adj. « naturellement mêlée de gras et de
maigre (viande) » (NPR 2008), pour se référer ici à une femme bien en chair mais pas
trop…
des quarante-cinq cerises de son printemps : on dit normalement de ses quarante-cinq
printemps; façon pseudo-poétique d’évoquer son âge, ses 45 ans.
Mais les celles qui, comme ça, dans cette gazette, se plaignaient, il les trouvait toujours
soit trop dindes, soit trop tartes.
les celles : popularisme pour celles ; en français écrit standard, le pronom démonstratif
porte en lui-même sa détermination et n’est pas précédé de l’article, mais la langue
(très) populaire lui antépose tout de même l’article, par analogie avec le fonctionne-
ment des substantifs : les personnes qui > les celles qui.
dinde « prétentieuse et sotte » : métaphore zoomorphique
tarte « sot, ridicule, niais » : image d’origine inconnue, probablement à partir du sub-
stantif tarte désignant une préparation culinaire (TLF) ; en effet, une tarte n’est pas
très intelligente ! L’effet comique naît ici du fait que les deux mots veulent à peu près
dire la même chose…
Il flairait la paille dans les poutrelles des lamentations
paille et poutrelle : allusion intertextuelle à ce passage très connu de l’Evangile selon
Saint Matthieu : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère, et ne remar-
ques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? (…) Hypocrite, ôte premièrement la poutre
de ton œil, et alors, tu verras comment ôter la paille de l'œil de ton frère. » (Matthieu
7, 5)
Il est rien moche son bahut, dit Zazie.
Pour rien au sens de « très », v. ci-dessus, tu sens rien bon (figure d’antiphrase).
bahut n. m. « taxi » : probablement par analogie formelle avec le bahut, un gros coffre
au couvercle bombé. Le mot s’emploie aussi en argot écolier pour désigner l’école, le
collège (une métaphore qui présente l’école comme une grosse boîte carrée dans la-
quelle on est enfermé).
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Elle est marante, ta petite nièce, dit Charles qui pousse la seringue et fait tourner le
moulin.
marant : graphie inusitée pour marrant (selon TLF, qui cite Exercices de style, Que-
neau est le seul à l’écrire comme cela).
seringue n. f. « accélérateur ». Pas trouvé dans TLF. La métaphore repose probable-
ment sur le fait qu’une seringue sert à injecter un liquide, et que l’accélérateur sert à
injecter de l’essence dans le moteur.
moulin n. m. « moteur ». Sens donné comme argotique et familier dans TLF. La mé-
taphore est probablement construite autour de la caractéristique commune au moulin
et au moteur, celle de tourner, de fonctionner en accomplissant des révolutions.
Zazie fronce le sourcil. Essméfie.
essméfie : e(lle) s(e) méfie ; cf. la chute du -l de il, aussi très fréquente.
Çui-là, dit Gabriel, c’est l’aérien.
çui-là : c(el)ui-là ; encore un phénomène lié à la chute du l dans un pronom, dont la
très grande fréquence dans le discours les rend plus vulnérables à une érosion de leur
corps phonétique.
l’aérien : substantivation de l’adjectif par ellipse du substantif (le métro aérien >
l’aérien)
Je vais t’esspliquer, dit Gabriel. Quelquefois, il sort de terre et ensuite il y rerentre.
esspliquer : [ks] passe à [s] devant consonne, cf. ci-dessus espliquer (avec un seul ‹s›)
et s’esclama.
rerentre : en fait, le verbe rentrer a déjà été foravec le préfixe re-, sur le verbe e-
ntrer, mais on ne le perçoit plus comme un verbe de répétition, ce qui fait que les lo-
cuteurs se sentent obligés d’ajouter à nouveau le préfixe re- pour bien faire sentir ce
sens. Le préfixe r- n’est plus perçu comme tel, il fait désormais partie du radical ;
rentrer, en français oral familier, ne veut plus dire « entrer à nouveau », mais juste
« entrer ».
C’est que c’est un ostiné, Charles, malgré tout.
ostiné : avant la Révolution, dans le style courant, ce mot se prononçait sans [b], indé-
pendamment de sa graphie (ostiné ou obstiné). Suivant une tendance consistant à res-
tituer un grand nombre de consonnes graphiques dans la diction soutenue, ce mot a fi-
ni par se prononcer, selon la norme, avec un [b], mais en français populaire on peut
encore l’entendre sans.
Mais il a la parole coupée par une euréquation de son beau-frère.
Mot-valise formé à partir de l’interjection d’origine grecque eurêka « j’ai trouvé » (at-
tribué à Aristote dans sa baignoire…) et du mot équation. Un mot-valise est foren
empruntant des syllabes à plusieurs mots, en particulier lorsque les mots en question
partagent des syllabes identiques.
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Eh bien, dit Gabriel, si c’est pas les Invalides, apprends-nous cexé.
cexé : ce que c’est, fantaisie graphique de Queneau qui réduit à quatre graphèmes ce
que le français écrit standard doit rendre en neuf graphèmes, un signe de ponctuation
(l’apostrophe) et deux espaces.
Raymond Queneau, Exercices de style, Paris : Gallimard, 1947.
Cet ouvrage, qui raconte la même petite anecdote de 99 manières différentes, a connu une ré-
ception très enthousiaste et a été traduit dans de nombreuses langues. Les types de variation
stylistique illustrés sont de diverses natures, comme nous allons le voir ci-dessous : le style est
tantôt ampoulé, tantôt administratif, tantôt rural, tantôt vulgaire ; l’histoire est narrée au pré-
sent, au passé simple ou au passé composé ; la narration peut être à la première personne du
singulier, à la troisième personne (du singulier ou du pluriel), voire à la deuxième personne
(Pronostications). Ces Exercices nous montrent que la langue est un instrument extrêmement
riche et malléable qui permet de produire des textes d’une variété infinie, me lorsqu’il
s’agit de narrer un contenu identique.
Les Exercices ont été traduits en plusieurs langues, dont l’allemand (traducteurs : Ludwig
Harig, Eugen Helmlé). Ils ont aussi suscité de nombreuses suites (par exemple, des réécri-
tures à la manière de Balzac, de Hugo, de Marguerite Duras, etc.).
Nous allons seulement en commenter quelques-uns ci-dessous, qui présentent tous un intérêt
linguistique particulier.
Récit
Un jour vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d’un autobus à
peu près complet de la ligne S (aujourd’hui 84), j’aperçus un personnage au cou fort long qui
portait un feutre mou entouré d’un galon tressé au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à
coup son voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les pieds chaque
fois qu’il montait ou descendait des voyageurs. Il abandonna d’ailleurs rapidement la discus-
sion pour se jeter sur une place devenue libre.
Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare en grande conversation
avec un ami qui lui conseillait de diminuer l’échancrure de son pardessus en en faisant remon-
ter le bouton supérieur par quelque tailleur compétent.
J’ai choisi de commencer par ce texte, dont la structure narrative est tout à fait classique : c’est celle
du récit, comme son titre l’indique. Comme nous l’avons déjà vu dans l’analyse de Zazie, le passé
simple alterne avec l’imparfait pour donner du relief à la scène. Les circonstances de temps et de lieu
sont données d’entrée de jeu, de façon conventionnelle, pour que le lecteur puisse se représenter la
scène. Les caractéristiques saillantes du protagoniste sont esquissées à l’aide d’un syntagme prépo-
sitionnel (au cou fort long) et d’une longue subordonnée relative. De nombreux adverbes viennent
préciser la nature aspectuelle des événements verbaux : tout à coup, chaque fois que, rapidement.
Certains choix lexicaux sont typiques de la langue écrite (cou fort long, bouton supérieur, quelque
tailleur).
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Rêve
Il me semblait que tout fût brumeux et nacré autour de moi, avec des présences multi-
ples et indistinctes, parmi lesquelles cependant se dessinait assez nettement la seule figure
d’un homme jeune dont le cou trop long semblait annoncer déjà par lui-même le caractère à la
fois lâche et rouspéteur du personnage. Le ruban de son chapeau était remplacé par une ficel-
le tressée. Il se disputait ensuite avec un individu que je ne voyais pas, puis, comme pris de
peur, il se jetait dans l’ombre d’un couloir.
Une autre partie du rêve me le montre marchant en plein soleil devant la gare Saint-
Lazare. Il est avec un compagnon qui lui dit : « Tu devrais faire ajouter un bouton à ton par-
dessus. »
Là-dessus, je m’éveillai.
Ce qui frappe ici est l’emploi de l’imparfait pour exprimer des actions qui sont au passé simple dans le
texte précédent (et dans plusieurs autres textes des Exercices de style). Nous avons vu lors de l’ana-
lyse de Zazie que l’imparfait sert à montrer des événements d’arrière-plan. Dans ce texte, intitulé
Rêve, tous les événements, me ceux qui sont à l’avant-plan dans la version précédente (interpella,
abandonna) sont ici à l’imparfait (se disputait, se jetait), donc vus comme des événements d’arrière-
plan. Cela contribue à construire cette atmosphère onirique, dans laquelle tout est brumeux (comme il
est dit dans la première phrase) et rien ne s’impose aux regards. D’autres linguistes (entre autres, les
guillaumistes) évoqueront ici le fait que l’imparfait exprime des actions non encore parfaitement ache-
vées, vues comme incomplètes dans leur réalisation ; la vision onirique des choses ne révèlerait les
événements que d’une façon incompte, brouillée, embrumée. La deuxme partie de la narration est
au présent, temps dont on a dit qu’il est indifférencquant à l’opposition premier plan vs. arrière-plan,
ce qui entraîne l’emploi du rondif (marchant en plein soleil) lorsqu’il y a vraiment lieu d’exprimer le
caractère cursif de l’action. Seul le dernier verbe est au pas simple, je m’éveillai ; l’emploi de ce
temps accentue le caractère brusque du passage de l’état de sommeil à l’état de veille, événement
qui est subitement projeté au premier plan.
Passé indéfini
Je suis monté dans l’autobus de la porte Champerret. Il y avait beaucoup de monde,
des jeunes, des vieux, des femmes, des militaires. J’ai payé ma place et puis j’ai regardé au-
tour de moi. Ce n’était pas intéressant. J’ai quand même fini par remarquer un jeune homme
dont j’ai trouvé le coup trop long. J’ai examiné son chapeau et je me suis aperçu qu’au lieu
d’un ruban il y avait un galon tressé. Chaque fois qu’un nouveau voyageur est monté il y a eu
de la bousculade. Je n’ai rien dit, mais le jeune homme au long cou a tout de même interpellé
son voisin. Je n’ai pas entendu ce qu’il lui a dit, mais ils se sont regardés d’un sale œil.
Alors, le jeune homme au long cou est allé s’asseoir précipitamment.
En revenant de la porte Champerret, je suis pasdevant la gare Saint-Lazare. J’ai vu
mon type qui discutait avec un copain. Celui-ci a désigné du doigt un bouton juste au-dessus
de l’échancrure du pardessus. Puis l’autobus m’a emmené et je ne les ai plus vus. J’étais as-
sis et je n’ai pensé à rien.
Dans cette version, la narration est tout entière réalisée au passé composé (appelé ici passé infini,
suivant en cela une terminologie un peu surannée aujourd’hui). En effet, comme je l’ai mentionné lors
de l’analyse de Zazie, le passé composé se substitue au passimple en français moderne dans sa
fonction narrative, et se combine à l’imparfait de la même fon. Cela dit, cest d’abord et avant tout
une caractéristique du français parlé ; à l’écrit, l’écriture narrative traditionnelle privilégie encore de
nos jours l’usage du passimple. Le passé composé comme temps narratif est d’apparition relative-
ment récente dans la littérature ; son emploi a été particulièrement bien illustré par le mouvement
existentialiste. Que l’on pense par exemple à L’Étranger d’Albert Camus, qui a érédi en entier
sans un seul passé simple. Dans un tout autre registre, on peut également citer le linguiste commu-
niste Albert Cohen qui, pour des raisons plus politiques qu’esthétiques, écrivit toute une Histoire d'une
langue, le français : des lointaines origines à nos jours (1973) sans utiliser le moindre passé simple (ni
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