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a) Les trois vagues de parlementarisme rationalisé281
Plusieurs vagues de rationalisation se sont succédé. L’une postérieure à la
Grande guerre, a vu l’extension des règles du régime parlementaire au sein des
constitutions, de manière plus ou moins sommaire (on peut parler de première
génération du parlementarisme rationalisé). Ainsi en France en 1875, en Finlande en
1919 et en Autriche en 1920 (degré le plus abouti de la rationalisation grâce à la
contribution du juriste Hans Kelsen). S’ensuit une deuxième vague de rationalisation
du régime parlementaire, après la seconde guerre mondiale (on peut parler de
deuxième génération du parlementarisme rationalisé). Les pays belligérants veulent
en finir tant avec les risques de montée du pouvoir totalitaire qu’avec l’instabilité
281 Référence à un travail de mémoire consacré à La notion de parlementarisme rationalisé, réalisé
sous la direction de Michel Troper, dans le cadre du Mastère européen de théorie du droit proposé par
la F.U.S.L. et la K.U.B. de Bruxelles, 1999, pages 3 et suivantes : « La première signification du
parlementarisme rationalisé que l’on peut qualifier de « première génération » est le fait simple (qui
nous paraît presque banal rétroactivement) de coucher sur le papier, d’enfermer dans une constitution
(texte suprême d’un pays) les principes fondamentaux du régime parlementaire, c’est-à-dire le
principe de la responsabilité essentiellement. Historiquement, le parlementarisme rationalisé dit de
« première génération » se distingue du parlementarisme rationalisé de la « deuxième génération ».
Après la première guerre mondiale, dans les nouveaux pays européens issus de la défaite des Empires
centraux, des constitutions dites de « professeurs » apparaissent, elles sont le signe de ce premier
mouvement de rationalisation. Il s’agit de systématiser le régime parlementaire (en s’inspirant du
modèle anglais), et ce tout en développant une certaine méfiance envers l’exécutif (en développant le
modèle français). Cette première rationalisation avait donc pour fin de retranscrire les règles
juridiques du parlementarisme, d’opérer leur codification. Et le parlementarisme importé a fonctionné
alors comme un système imparfait, peu stable. Pour Mirkine-Guetzévitch lui-même, cette
rationalisation a totalement échoué car elle n’a pas su prévenir l’avènement de régimes totalitaires.
Après la seconde guerre mondiale, un deuxième mouvement de rationalisation apparaît, il a lieu en
réaction contre l’instabilité chronique de l’exécutif gouvernemental. Dans les constitutions sont
introduits des instruments, des mécanismes constitutionnels spécifiques, qui permettront de contrôler
les rapports entre les pouvoirs, dans le dessein de stabiliser le gouvernement. Dans ces deux phases du
parlementarisme rationalisé, le mouvement est donné par la réaction contre une situation donnée.
Cette réaction a ensuite engendré des adaptations de la notion. Un rapport de dynamique récursive
s’établit entre la pratique et la théorie. Dans les deux cas, ces adaptations ont volontairement été
intégrées systématiquement dans des textes constitutionnels, afin que la théorie modèle la pratique ;
sauf pour le cas du parlementarisme scandinave, qui à l’image de l’Angleterre s’est modifié dans la
pratique, selon le professeur Lauvaux. Donc la notion de parlementarisme rationalisé a d’abord servi à
désigner la fixation du régime parlementaire sur papier en suivant un modèle peu strict et libre dans sa
pratique, qui donnait une plus grande priorité au Parlement, pour ensuite désigner un système
immobilisé, renforçant l’exécutif, organisant strictement les relations entre les pouvoirs. Ainsi une
terminologie semblable désigne successivement deux états constitutionnels certes différents, mais pas
étrangers l’un à l’autre.
À l’origine la notion implique l’obligation du gouvernement de démissionner lorsqu’il est mis en
minorité. Puis, après la seconde guerre mondiale, la notion caractérise toutes les protections intégrées
aux nouvelles constitutions, relatives à la stabilisation de l’exécutif. On passe donc d’un sens large à
un sens précisé. Nous sommes en présence de deux parlementarismes rationalisés qui correspondent à
deux générations différentes. Le parlementarisme deuxième génération désigne précisément les
dispositions techniques constitutionnelles réglementant les rapports entre les pouvoirs. »