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Madame Ernestine Belliard (témoignage de 2014)
En 1939, quelle était votre situation familiale et professionnelle ?
E.B. Mon père ayant fait deux ans de régiment et cinq ans de guerre
de 1914 à 1919 (Odessa et Salonique…) n'était pas mobilisable.
Avant la guerre, mes trois frères étaient revenus du pensionnat
Saint-Gabriel à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Ils avaient 17 ans, 16 ans et
15 ans. J'avais 13 ans et demi.
Notre entreprise de menuiserie avait été fondée par mon arrière
grand-père en 1857. En 1923, mon père avait construit une grande
maison, un grand atelier de menuiserie avec un étage, puis un
magasin avec un étage pour la vente de meubles, literie, jouets,
maroquinerie et produits d'entretien
A la déclaration de la guerre, suivie de la retraite de l'armée française
en 1940 et devant l'avance des armées allemandes, mes parents ont
décidé de partir vers le Sud, brûlant papiers personnels, bulletins
paroissiaux, etc. Toutes les valises étaient prêtes.
C'est alors que mon père rencontre chez ma grand'mère, au Moulin-
Foulon, plusieurs officiers français ainsi que le Docteur Sizorn, major.
Ces derniers lui conseillent de rester car les allemands nous
dépasseraient vite sur les routes de l'exode. Mes parents craignaient
qu'ils emmènent mes frères (âgés alors de 18, 17 et 16 ans). Nous
avons donc repris notre vie normale.
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Que pouvez-vous nous dire sur la présence des Allemands à
Beaupréau pendant l'occupation ?
E.B. Le matin du vendredi 21 juin 1940, nous regardons à travers les
persiennes ajourées de la salle à manger le défilé des véhicules
allemands envahissant Beaupréau.
Dans la matinée, maman part à vélo chercher du pain à la
boulangerie Allard située face à l'entrée de la communauté religieuse
de Saint-Martin. Elle rencontre joseph Bridon de la Boitaudrie en
tenue militaire qui remonte la rue Saint-Michel (actuellement rue
Michel Rabouan) pour retrouver ses copains. Maman le prévient que
les allemands sont là, ce qui lui évite l'arrestation et son départ pour
l'Allemagne.
Les Allemands se sont installés quelques temps dans le parc pour y
ranger leur matériel. Ils ne sont restés que peu de temps à
Beaupréau mais un officier venait souvent dans les ateliers et les
usines pour vérifier l'âge des jeunes gens et prévoir de les envoyer en
Allemagne
Sur l'ordre des Allemands des chambres sont réquisitionnées : chez
nous au premier étage nous aurons un officier de la Feldgendarmerie
(avec changement de locataire chaque semaine). L'un d'eux avait
apporté un saucisson dans sa chambre ; un soir il est descendu très
en colère : le saucisson avait disparu ! Etait-ce notre chien Loulou
avec la complicité d'un de mes frères qui était le coupable ? Nous lui
avons signalé qu'un soldat était venu dans la journée, peut-être
était-ce son ordonnance ? Nous n'en avons plus entendu parler.
Un Allemand assez sympathique a accueilli un soir deux autres
soldats. En sortant de sa poche une poignée de grains de café il a
demandé à maman de le préparer. Mais au même moment les deux
autres soldats se sont disputés, ils ont sorti leur revolver.
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Notre locataire s'est interposé et les a calmés. Pendant qu'ils
dégustaient leur bon café, nous devions nous contenter, étant
rationnés, de chicorée et d'orge grillé.
Notre chien Loulou tua huit de nos lapins. Notre locataire, sortant
son revolver, proposa de l'abattre, mais devant nos vives
protestations le laissa vivre.
Après quelques semaines, maman a obtenu du maire la suppression
de cette réquisition invoquant ses fréquentes absences. Elle
accompagnait mon frère aîné joseph quand il allait faire des achats
de bois pour notre scierie. Elle craignait qu'il soit arrêté.
J'avais 14 ans et demi. Je restais avec mon père, mon frère Antoine
et ma grand'mère.
Beaupréau a accueilli des réfugiés ?
E.B. Beaucoup de réfugiés sont venus à Beaupréau. Ils étaient logés
au Pinier, au Collège et dans des familles. Beaucoup sont repartis.
Certains se sont fixés à Beaupréau.
Certaines des jeunes filles qui venaient à l'école sont devenues des
amies : Marie-Alice Coutault parente de Monsieur et madame
Deschamps, libraires ; Huguette Jacquot venue de la région
parisienne ; Edgar, Irène Lazaref et leur mère (arméniens) qui
logeaient chez Simone Humeau.
Parmi les réfugiés, la famille Cabaret. Plus tard leur fils Albert
épousera Marie-Anne Noyer et la sœur d'Albert épousera Elie Noyer,
marchand de cycles.
La famille Lailler avec ses six enfants, venue de l'Oise, ainsi que
Monsieur et Madame Deshays qui les accompagnaient, logeaient au
Moulin-Foulon.
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Le Docteur Salmon et sa famille ont été reçus à la Communauté de
Saint-Martin. Madame Salmon y a mis au monde son premier enfant.
Alors une décision a été prise d'organiser une maternité.
Etaient également réfugiés à la Communauté, Monsieur et madame
Lehman de Paris avec deux de leurs trois enfants, une fille et leur fils
Yves, professeur à la Sorbonne, avec son épouse (petite fille du
maréchal Foch) et leurs deux enfants. Monsieur Lehman, violoniste,
et sa fille ont anià l'harmonium une grand'messe à l'église Saint-
Martin.
La famille Puthomme venue de l'est de la France avec leur fille
Jacqueline est restée à Beaupréau. Cette dernière épousera plus tard
Paul Pineau qui fut coureur cycliste.
En septembre 1943, trois classes d'étudiants d'un collège breton de
Lannion sont arrivées à Beaupréau et ne sont repartis qu'après le
débarquement des alliés en 1944. Deux classes logeaient dans des
baraquements que notre atelier de menuiserie avait fabriqués et
installés sur le stade Saint-Jean. Une autre classe était installée au
Pinier.
D'autres jeunes furent accueillis à la Communauté Saint-Martin.
Notamment Delly, auteur de romans pour jeunes filles, qui a fait la
classe à l'école des garçons de Saint-Martin.
Votre famille poursuivait son activité commerciale ?
E.B. Nous n'avions plus grand-chose à vendre. L'approvisionnement
en meubles en complément de notre fabrication étant impossible.
Nous avions plusieurs menuisiers, au total 25 personnes. Le 21
janvier 1942 maman et mon frère aîné sont partis pour l'achat de
bois. En leur absence un terrible incendie s'est déclaré. Tous nos
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ateliers étaient en flammes et cela se voyait à des kilomètres à la
ronde. Nous fabriquions, pour l'usine de Monsieur Pierre Humeau,
des semelles de bois car le cuir était très rare. Un court-circuit a
provoqué un incendie qui a détruit tout l'atelier, les machines et, au
1er étage, un stock très important de semelles de bois -prêtes à livrer-,
ce qui a favorisé l'extension très rapide du feu.
Les tuyaux du service d'eau étant gelés et le matériel des pompiers
dérisoire, les pompiers de Cholet alertés n'ont pu que noyer les
décombres ! Cela a encouragé la commune de Beaupréau à acheter
un matériel important et efficace pour combattre les incendies.
Il nous a fallu neuf mois pour reconstruire une usine plus importante
destinée à la fabrication de semelles de bois (et plus tard de cageots
et caisses pour primeurs) et l'équiper de machines et d'outillage. De
l'atelier de menuiserie, qu'il a fallu aussi reconstruire, il ne restait
que les murs. Nous avons également pu nous réapprovisionner et
reprendre à nouveau la vente de meubles.
Que pouvez-vous nous dire sur la vie quotidienne à cette époque ?
E.B. La vie continuait malgré l'occupation. Toutes les fêtes religieuses
et profanes étaient très suivies. Elles créaient un lien très fort dans la
paroisse.
Notre grand'mère Blanchard nous avait offert avant la guerre un
poste de TSF. Malgré la présence des Allemands dans la maison, le
soir nous écoutions très fort Radio Paris (qu'ils contrôlaient), mais
aussi en sourdine Radio Londres. Je me souviens du chant "Radio
Paris ment, Radio Paris est allemand" puis "Ici Londres, les français
parlent aux français", ainsi que des messages très mystérieux
destinés à la Résistance. Papa notait toutes les informations.
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