Histoire Nos légendes d’Ardenne Dessin O. Gobé Les Dames de Meuse Au IXe siècle, l’impétueux élan des croisades, mené au cri de « Dieu le veut ! », fut servi par de preux chevaliers. Ceux-ci abandonnèrent leurs terres, leurs châteaux, leurs épouses, afin de répondre à l’injonction papale. Sans nouvelles d’eux durant des mois, voire des années, en des temps difficiles où l’espérance de vie est courte, leurs dulcinées cherchèrent parfois consolation auprès de chevaliers servants, certes moins preux, mais fort proches ! De solides et belles légendes vinrent au secours de la morale bafouée tout en perpétuant le souvenir des croisades. 26 N° 146 - janv. 2011 Le contexte historique Illustre descendant de Charlemagne du côté de son père comme de celui de sa mère, fils cadet d’Eustache II de Boulogne et d’Ide de Bouillon, Godefroi IV de Boulogne dit Godefroi de Bouillon est né à Baisy (ou Baizy), près de Nivelles et Genappe, vers 1060-1061. En 1076, à la mort de son oncle Godefroi le Bossu, Godefroi de Bouillon hérite du marquisat d’Anvers (1076). L’empereur Henri IV de Germanie, son suzerain, est excommunié. En 1083, Godefroi de Bouillon participe au siège de Rome, sous les ordres de Henri IV de Germanie. En 1087-1093, Godefroi de Bouillon est reconnu officiellement duc de Basse-Lotharingie ou Basse-Lorraine et de Lothier. Le 27 novembre 1095, au Concile de Clermont en Auvergne, Urbain II, né dans le diocèse de Reims, à Châtillon, élu pape en 1088, prêche la croisade, en écartant les rois de la conduite des opérations. Raymond de SaintGilles, impétueux et intransigeant, est désigné par Urbain II comme le seul chef de la croisade. En 1096, les communautés juives d’Occident sont massacrées. Godefroi de Bouillon vend ses biens dont Bouillon à l’évêque de Liège, Otbert (évêque entre 1091 et 1119), et prend la croix. Pour rassembler une armée digne de son rang, Godefroi de Bouillon a dû, en effet, engager sa seigneurie patrimoniale auprès de l’évêque de Liège, contre 1.300 marcs d’argent (500 kg) environ. Et 3 marcs d’or. Il conduit – avec ses frères Eustache et Baudouin de Boulogne – la première croisade vers la Terre sainte et Jérusalem. Le 15 août, les armées de Lorraine et du Nord, en tout dix mille chevaux et soixante-dix mille hommes d’infanterie – partent de Bouillon. Godefroi de Bouillon est accompagné, notamment, de Guy de Château-Porcien, Hescelin II de Grandpré, Jean III de Chiny, Robert prieur de Senuc, Baudouin de Bourcq, Briard châtelain d’Omont (Cf. Revue historique des Ardennes)… Le 23 décembre, les croisés sont devant Constantinople. Godefroi prête hommage à l’empereur byzantin Alexis. Le 13 mai 1099, Godefroi marche sur Jérusalem. Le 7 juin, débute le siège de Jérusalem. Le 15 juillet, la ville tombe. Le 22 juillet, Godefroi est élu Gardien (ou « avoué ») du Saint-Sépulcre. Godefroi aurait refusé le titre de roi en invoquant que ce titre ne revenait qu’à Jésus de Nazareth. Le 29 juillet, le pape Urbain II décède après un pontificat de onze ans, sans avoir appris la prise de Jérusalem par les croisés. En août 1099, Godefroi bat les égyptiens à Ascalon. En 1100, Godefroi fait reconstruire Jaffa et organise les états latins sous forme théocratique, mais le 18 juillet, il décède. Le 23 juillet, son corps est inhumé dans la basilique du Saint-Sépulcre. Les princes croisés décident de confier le royaume de Jérusalem à Baudouin, le frère de Godefroi. Celui-ci est couronné à Bethléem en décembre. La légende En l’an mil quatre-vingts, le seigneur de Hierges avait trois fils : Héribrand, Geoffroy et Vauthier, qui épousent les trois filles du comte de Rethel, Hugues Ier : Hodierne, Berthe et Ige. Or, peu après leurs noces, ils s’engagèrent dans la croisade menée par Godefroi de Bouillon vers la Palestine. Pendant qu’ils guerroyaient en Terre-Sainte pour délivrer le tombeau du Christ, Hodierne, Berthe et Ige, trahissant la foi jurée, accueillent dans leurs châteaux, reçurent dans le lit conjugal, « trois chevaliers aussi beaux diseurs que couards et félons au point de n’avoir pas voulu suivre leurs frères d’armes » (Albert Meyrac). Mais laissons Jean-Paul Vaillant os n e d e r stoi rues Hi Rue Francisde-Pressencé Fils d’Edmond Dehault (ou Dehaut) de Pressensé, pasteur protestant, député puis sénateur (1824-1891) et d’élise du PlessisGouret, pédagogue femme de lettres, Francis voit le jour à Paris, le 30 septembre 1853. Après des études de Lettres, il entre, en 1879, au ministère des Affaires étrangères. Secrétaire d’ambassade à Constantinople (1880), puis à Washington, il abandonne ensuite la diplomatie pour le journalisme. Les Dames de Meuse, un site emblématique et enchanteur en Ardenne (Coll. GDP). nous décrire ces trois chevaliers : « Ces chevaliers sont beaux et bien emparlés, et leurs regards sont doux. Ils savent dire de tendresses paroles, enduites de miel, et faire de riches présents. Ils jouent l’un la harpe, l’autre la rote, le troisième la vielle, et leur musique harmonieuse jette un frais sourire sur les murs du vieux manoir et dans le cœur des jeunes dames, qui avaient trop grand déconfort. Ils content de forts plaisants déduits de vénerie et de galanterie. Et puis ils s’affirment les droits amis de Héribrand, Geoffroy et Vauthier, qui durement guerroyent ». Mais, le jour même où Jérusalem est prise d’assaut, Héribrand, Geoffroy et Vauthier sont tués. Alors, Dieu demande à saint Christophe de punir les épouses adultères, en les changeant, à Laifour sur la Meuse, en trois montagnes schisteuses : énormes masses noirâtres, rivées l’une à l’autre, ici broussailleuses, là tapissées de mousse, surplombant la rivière dont, de loin, elles semblent émerger et que l’on appelle les « Dames de Meuse ». Un conte médiéval Cette légende n’a peut-être été bâtie de toutes pièces qu’au XIXe siècle par Henri de Nimal en 1889. Enfin, dans la toponymie ancienne, il s’agit des « dams de Meuse » ; un « dam » en hollandais signifie « une digue ». Effectivement, ces trois montagnes constituent un véritable rempart contre lequel viennent se rompre les flots mosans. Ainsi, il existe aussi des « dames de Meuse » (et toujours pas « de la Meuse ») à Saint-Mihiel. Et les bateliers invoquaient autrefois en franchissant ce méandre tumultueux « Notre-Dame de la Meuse » afin de protéger embarcation et équipage… Toujours estil, Pierre Ier le Grand (1717), Jules Michelet (1831), Théophile Gautier (1867), George Sand (1869), Louis Jouvet (1908) furent subjugués par la magnificence du site… La voie verte offre aux multiples promeneurs, conquis et surpris par la majesté de cet écrin de verdure, le rare privilège de les longer tout en admirant leurs sombres et lourdes parures qui se reflètent, tels de noirs présages, dans une Meuse d’encre. Gérald Dardart Dreyfusard de la première heure Radical, collaborateur au Temps de 1885 à 1905, il fait partie des ardents défenseurs de Dreyfus et des 33 fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme (4 juin 1898), qu’il préside de 1904 à 1914. Il fonde le journal La Vie socialiste (1904). Député socialiste élu à Lyon, de 1902 à 1910, Pressensé est un des responsables de la rubrique de politique extérieure de L’Humanité créée le 18 avril 1904 et participe aux travaux qui préparent l’unification de la SFIO, en 1905. à l’Assemblée, il s’intéresse particulièrement à la préparation de la loi de Séparation des églises et de l’état et s’attache à défendre la liberté de conscience. En 1907, il s’oppose à la franc-maçonnerie du Grand Orient de France à propos de la politique de laïcisation forcée conduite à Madagascar. En 1909, Pressensé se brouille avec son ami Clemenceau à la suite d’un duel annulé par Pressensé lui-même. Lors de la montée des périls, en 1912-1913, il propose la création des états-Unis d’Europe afin de préserver la paix sur le continent. Francis de Pressensé est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques, dont L’Irlande et l’Angleterre (1880 ou 1889), Les lois scélérates de 18931894, L’Idée de Patrie et Le Cardinal Manning (1896), L’Affaire Dreyfus - Un héros - Le colonel Picquart (1898). La droite extrême et cléricale lui était extrêmement hostile. Francis de Pressensé décède à Paris, le 19 janvier 1914. Convaincu de l’imminence de la guerre, ce proche de Jaurès ne connaîtra ni l’assassinat de celui-ci, ni l’embrasement de l’Europe. Gérald Dardart Héribrand, Geoffroy et Vauthier, fils du seigneur de Hierges, sont de la première croisade (Coll. GDP). N° 146 - janv. 2011 27 DR