l`impact des « zones grises » et des marchés

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- 2010 -
Relations internationales illicites et mondialisation de
l’insécurité :
L’impact des « zones grises » et des marchés transnationaux
illégaux sur les relations entre Organismes Criminels
Transnationaux et groupes terroristes
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Mathieu Boulègue
Directeur du mémoire : M. Michel-Louis Martin
1
- 2010 -
Relations internationales illicites et mondialisation de
l’insécurité :
L’impact des « zones grises » et des marchés transnationaux
illégaux sur les relations entre Organismes Criminels
Transnationaux et groupes terroristes
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par M. Mathieu Boulègue
Directeur du mémoire : M. Michel-Louis Martin
2
Remerciements
Merci à Michel-Louis Martin, pour avoir accepté de diriger ce mémoire.
Merci à Phillipe Migaux, pour son aide précieuse, sa patience et sa disponibilité.
Merci à Frédéric Lemieux, pour l’inspiration et le choix du sujet.
Merci à Pierre-Arnaud Chouvy, pour m’avoir donné accès à sa cartographie.
3
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les
mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à
leur auteur.
4
Abréviations
AIEA
Agence Internationale pour l’Energie Atomique
ALK
Armée de Libération du Kosovo
ALPC
Armes Légères et de Petits Calibres
ATS
Amphetamine-Type Stimulants
AUC
Autodefensas Unidas de Colombia
CTC
Crime-Terror Continuum
DEA
Drug Enforcement Agency
ELN
Ejército de Liberación Nacional
ETA
Euskadi Ta Askatasuna
FARC
Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia
FTZ
Free-Trade Zone (voir ZLE)
GIA
Groupe Islamique Armée (Algérien)
GICM
Groupe Islamique Combattant Marocain
GSPC
Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat
HCL
Chlorhydrate (ou sel) de cocaïne
IMU
Islamic Movement of Uzbekistan
IRA
Irish Republican Army
LTTE
Liberation Tigers of Tamil Eelam
NRBC
Nucléaire-Radiologique-Bactériologique-Chimique
NWFP
North-West Frontier Province
OCT
Organisme Criminel Transnational
ONUDC
Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime
PKK
Parti des Travailleurs du Kurdistan
SCU
Sacra Corona Unita
TBA
Tri-Border Area
UÇK
Armée de Libération Nationale – Kosovo
UWSA
United Wa State Army
ZLE
Zone de Libre Echange
5
- SOMMAIRE INTRODUCTION……………………………………………………………………………..8
Chapitre 1 – Les zones grises infra-étatiques………………..………………………………..16
Section 1
Géopolitique mondiale de l’offre de drogue …………………………………...………….…17
Section 2
Géopolitique de l’offre d’armes à feu illégales et zones grises du trafic d’êtres humains……42
Chapitre 2 – Les zones grises supra-étatiques…………………………………………….….63
Section 1
Les « Zones de Libre Echange illégales »……………………………………...……………..65
Section 2
Les narco-Etats faibles et faillis : quand une entité étatique devient une zone grise…………77
Section 3
Les regroupements d’Etats faibles et faillis : les zones grises poly-étatiques………………...97
Chapitre 3 – Les interactions entre les acteurs et le financement des activités illégales dans les
zones grises……………………………………………………………………………..…...123
Section 1
Financement des OCT et des groupes terroristes …………………………………………...124
Section 2
Les relations entre acteurs illégaux présents dans les zones grises………………………….145
CONCLUSION……………………………………………………………………………...166
ANNEXES…………………………………………………………………………………..167
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..189
SITOGRAPHIE……………………………………………………………………………..209
TABLES DES MATIERES…………………………………………………………………210
QUATRIEME DE COUVERTURE………………………………………………………...213
6
« Dans un gain frauduleux, l’homme verra un déplacement de richesse, lorsque le moraliste y
condamnera une injustice ».
Jean-Baptiste SAY, Cours complet d’économie politique pratique, 1832
7
« Là où nous devrions avoir un Etat-nation, il ne reste qu’un espace vide : les germes
de l’anarchie et du terrorisme international ne sauraient trouver de meilleur terrain pour se
développer ». C’est en ces termes qu’un concept nouveau fait son entrée dans le champ des
études de sécurité en France par l’intermédiaire du rapport annuel de la Commission de la
Défense de l’Assemblée Nationale : celui de « zone grise ». Le Rapport sur la loi de
programmation militaire 1992-1994 du 20 Décembre 1992 stipule que « dans ces régions
devenues inaccessibles et hostiles à toute pénétration, aucun gouvernement n’est en mesure
de contrôler la situation ou de faire appliquer les règles minimales du droit ; peu à peu
abandonnées à elles-mêmes, des zones entières risquent de se fermer définitivement et
sombrent dans une anarchie tragique pour les populations ». A la « zone blanche »
westphalienne, régie par les normes juridiques internes s’opposerait radicalement la « zone
noire » de conflits théoriquement soumis au droit de la guerre : ainsi avec toutes ses nuances,
le « gris » symbolise les états intermédiaires entre le blanc et le noir, entre ce qui est licite et
illicite, légale et illégal, « sorte d’expression géopolitique de la théorie quantique des
cordes »1. L’expression « zone grise » provient du vocabulaire du contrôle aéronautique et
désigne les secteurs du ciel non couverts par le balayage des radars, aux confins de leur rayon
d’action. On appellera alors « zones grises » ces régions du monde qui, confrontées à des
crises ou à des conflits gelés, s’enfoncent dans des espaces de « non-droit » dans lesquels les
économies parallèles fleurissent, les trafics transnationaux de biens illégaux prolifèrent et
dans lesquels des acteurs internationaux illégaux s’implantent. Les zones grises sont de
véritables « trous noirs » géopolitiques c'est à dire un objet attirant par son attraction toute
forme de matière : les zones grises semblent « absorber », catalyser les trafics illégaux et
connaissent une prolifération d’acteurs illégaux en leur sein. Dans ces zones, les acteurs
illégaux ont de plus en plus d’influence sur le marché légal économique, politique voire
militaire et se livrent en plus ou moins toute impunité à des opérations commerciales illicites.
Les zones grises se caractérisent par l’incertitude de l’assise territoriale de l’État au sein de
certains espaces nationaux2 or les cartes « officielles » ne les distinguent pas du reste de la
planète : ces zones sont faites d’États avec des frontières mais elles sont en même temps
traversées de toutes sortes de convulsions, mêlant guerre infra-étatique, guerre civile, luttes
inter-ethniques ou inter-religieuses.
1
PASCALLON P. sous la direction de (2006), Les zones grises dans le monde aujourd’hui. Le non-droit
gangrène-t-il la planète ?, Défense – L’Harmattan
2
MOREAU DEFARGES P. (2003), La gestion des zones grises, RAMSES 2003
8
Les « zones grises » sont un des enjeux majeurs du monde de l’après-Guerre froide :
ces zones chaotiques, aux limites géographiques floues et mouvantes, constituent le « sousproduit inévitable d’une planète en pleine recomposition »3 car malgré leur isolement
géopolitique vis à vis de la scène internationale légale, ces zones grises demeurent connectées
aux flux commerciaux et financiers mondiaux. Il y a dans l’idée de zone grise « une
composante d’illégalité intérieure qui donne naissance à une situation d’illicéité
internationale »4. Malgré tout, la composante illégalité-illicéité ne suffit pas à caractériser
l’existence d’une zone grise. Si tel était le cas, il faudrait alors considérer que tout espace de
nature territoriale dans lequel opère soit une organisation mafieuse soit une organisation
politico-militaire en dissidence de l’Etat deviendrait potentiellement une zone anomique. La
qualification de « zone grise » ne peut pas s’appliquer à tout ce qui, dans les relations
internationales, est en marge des formes relationnelles licites car ce n’est pas la présence
d’activités illicites qui va caractériser et permettre de singulariser la zone grise : tout entité
géopolitique, même s’il s’y déroule des activités criminelles, n’est pas pour autant susceptible
d’abriter une zone grise. Si l’on veut conférer une plus-value conceptuelle à la notion de zone
grise, il faut se référer à ce qui pourra constituer des éléments d’identification particuliers de
cette réalité géopolitique nouvelle. Ces éléments d’identification regroupent l’importance de
la composante territoriale de la zone grise et l’atteinte à l’exclusivité de juridiction de l’Etat
sur l’espace concerné.
On pourra dès lors définir comme « zone grise » tout espace géographique infra- ou
trans-étatique possédant les quatre caractéristiques indissociables suivantes :
-
un élément matériel constitué par un territoire c'est à dire l’existence d’espaces de
production ou de trafics de produits illégaux à grande échelle,
-
la présence d’acteurs ou d’une pluralité d’acteurs organisés qui possèdent plus ou
moins d’emprise sur ce territoire c'est à dire l’implantation territoriale d’acteurs
illégaux, à savoir les Organismes Criminels Transnationaux (OCT) et/ou les groupes
terroristes,
-
un élément fonctionnel constitué par une activité de nature criminelle, menée par ces
acteurs illégaux de manière transnationale et
-
l’absence de contrôle et d’assise territoriale de la part de l’autorité étatique dans
laquelle la zone anomique s’est implantée.
3
4
MOREAU DEFARGES P. (2003)
PASCALLON P. (2006)
9
Le concept de zone grise caractérise donc des territoires qui échappent à différents degrés à
l’emprise des Etats qui sont censés en avoir le contrôle : en ce sens naissent et se développent
des espaces « a-juridiques » qui s’excluent par leur simple existence non seulement de l’ordre
juridique interne de l’Etat auquel appartient le territoire mais aussi de l’ordre juridique
international. Le basculement en zone de non-droit cède la place de façon systématique au
délitement des autorités légales, à l’isolement administratif, économique et juridique de la
zone, à l’accroissement de la violence et des activités illégales et à la vassalisation de la
population à des groupes criminels ou terroristes. C’est à partir du moment où un Etat perd le
contrôle effectif sur une partie de son territoire que celle-ci peut devenir une zone grise :
comme espace politique, la zone grise représente une atteinte à l’intégrité territoriale et à
l’exclusivité de compétences de l’Etat sur son territoire national. La notion de zone grise n’a
de sens que par rapport à l’Etat, à ses principaux attributs et en relation précisément avec un
territoire : la composante spatiale apparaît comme étant l’élément constitutif fondamental de
la zone grise. L’existence des espaces de production des produits illégaux, des trafics
transnationaux et des acteurs proliférant au sein des zones grises ne peut se comprendre que
par l’intermédiaire de leur territorialisation c'est à dire leur implantation territoriale dans ces
espaces où l’État est dépassé par une composante externe. Au final les zones grises sont
caractérisées par l’absence de l’Etat au sein des territoires concernés par le phénomène des
relations internationales illicites : des régions entières appartenant à des Etats échappent
aujourd’hui complètement à l’autorité centrale et des pouvoirs féodaux revendiquent la
maîtrise du pouvoir ou des richesses à la place de l’Etat central. Plus le pouvoir central est
éloigné d’une zone, plus les possibilités d’expansion d’une économie criminelle sont fortes5 :
c’est la raison pour laquelle les zones grises prolifèrent et se répandent le mieux dans les
espaces vides laissés par l’absence d’autorité étatique et de façon encore plus rapide dans les
Etats faibles et faillis.
C’est en cela que toute zone grise est un défi à l’existence même de l’Etat et à
l’universalité de l’institution étatique comme fondement de l’organisation de la société
international contemporaine : les zones grises mettent en cause, par leur seule existence, la
compétence exclusive de l’Etat sur l’espace territorial qui lui a été reconnu. A la « société de
surveillance globale » de Bauman6 existent en parallèle des zones dévaluées, livrées à ellesmêmes et dans lesquelles l’entité étatique nationale n’a plus de droit de regard et de contrôle
5
CAMARA M. (1999), Économie de la drogue et théorie des jeux, Tiers-Monde, Année 1999, Volume 40,
Numéro 158 p. 297 – 317
6
BAUMAN Z. (2000), Liquid modernity, Polity
10
effectif. La zone grise remet en cause la souveraineté nationale de l’État à partir du moment
où elle conquiert une partie du territoire : sans forcément s’emparer de l’intégralité du
territoire national, elle réduit la puissance de l’Etat jusqu’au point où il n’est plus en mesure
d’exercer les attributs de sa souveraineté. Il est important de prendre en compte le fait qu’il
puisse y avoir des « nuances de gris » : les zones grises ne sont pas toutes implantées de la
même façon au sein d’un ou de plusieurs Etats mais présentent des caractéristiques
spécifiques en faisant toutes des zones uniques possédant une implantation territoriale et un
poids sur l’Etat central différent ainsi que la présence à plus ou moins grande échelle de
trafics de biens illicites et d’acteurs illégaux.
Selon Rosenau, Gay et Mussington7, une menace transnationale est définie comme
ayant au moins deux des caractéristiques suivantes : elle possède des causes et des effets qui
dépassent les frontières nationales, elle est reliée à l’érosion du pouvoir de l’État-nation et de
son autorité et elle implique des acteurs non-étatiques. Du point de vue des zones grises, la
lutte contre les menaces sécuritaires transnationales s’est focalisée sur la lutte contre les
trafics transnationaux de produits illégaux et la lutte contre terrorisme et criminalité organisée,
ce que l’on nomme couramment « relations internationales illicites ». On entendra par
« relations internationales illicites » les relations entre acteurs illégaux visant des échanges,
ententes ou mise en place de partenariat en vue d’échanger, troquer ou commercer par
l’intermédiaire de trafics transnationaux de produits illégaux ou bien de réaliser des
opérations de financement illégales. En tant que phénomène d’ensemble, les relations
internationales illicites ont rarement fait l’objet d’une approche globale or ce qui constitue
aujourd’hui la nouveauté la plus importante du phénomène des relations internationales
illicites est la conjonction de différents facteurs comme la croissance en volume et la
diversification des produits et l’extension géographique des zones grises. La croissance de
l’internationalisation des activités illicites est tout d’abord la conséquence de la globalisation
des échanges économiques et financiers : la mondialisation profite donc beaucoup à l’illégal.
Le marché criminel transnational des produits illégaux connaît les mêmes règles de
fonctionnement que d’autres marchés licites et évolue en fonction des opportunités et des
espérances de gains définies en termes purement économiques. La gamme des « produits » du
trafic s’élargit de jour en jour, depuis les plus classiques comme la drogue et la prostitution,
jusqu’aux trafics de travailleurs sans papiers ou d’organes humains en passant par la
contrefaçon, le détournement de l’aide humanitaire et le trafic de produits naturels tels que
7
ROSENAU W., GAY K. et MUSSINGTON D. (1997), Transnational threats ans US National Security, Low
Intensity Conflict and Law Enforcement 6(3), p. 144-161
11
l’ivoire et les animaux sauvages. Une étude récente de l’INHES a permis d’établir une
typologie quasi-exhaustive des principaux trafics transnationaux de produits illégaux réalisés
à l’heure actuelle8 : aux activités « traditionnelles » comme les grandes trafics de stupéfiants,
d’armes, d’êtres humains, les vols et la criminalité économique et financière naissent de
nouvelles menaces transnationales comme la cybercriminalité, les contrefaçons, le trafic de
cigarettes ou le trafic de matières dangereuses. Cette typologie permet d’aborder la quasitotalité des trafics transnationaux de produits illégaux mais les trafics de drogues, d’armes et
d’êtres humains forment le haut du tableau des trafics transnationaux et génèrent la majeure
partie des revenus illicites des zones grises. Ces trois trafics sont en tout cas les plus observés
et susceptibles d’entraîner des problèmes de sécurité internationale.
Les grandes évolutions qui ont permis l’explosion des relations internationales illicites
sont de nature géopolitique et économique : la remise en cause de la période westphalienne
avec la disparition de la bipolarité héritée de la Guerre froide a profondément modifié la
donne internationale avec l’apparition de nouveaux États et la « redécouverte » du phénomène
des guerres infra-étatiques. La crise de certains États en Afrique et dans les Balkans ainsi que
l’apparition des États « faibles et faillis » n’a fait qu’accélérer la multiplication des espaces
anomiques en marge de la souveraineté étatique : ce vaste bouleversement a modifié la carte
administrative du monde et a permis l’explosion du phénomène de zone grise. D’une
quarantaine d’États au début du XXème siècle, on en compte presque 200 aujourd’hui : cette
prolifération entraîne un phénomène de dilution de la notion de souveraineté nationale étant
donné que nombre de ces nouvelles entités nationales sont des micro-Etats et des Etats faibles
à la viabilité politique et économique douteuse voire des « caricatures d’Etat vides d’autorité
et de pouvoir »9. La création d’Etats « minces » et artificiels provoque un vide géopolitique où
vient s’engouffrer une puissance agressive en quête de territoire : la balkanisation du monde
entraîne un émiettement de la notion de frontière qui profite très largement aux acteurs
illégaux menant des relations internationales illicites au sein de ces zones anomiques. En
2004, la CIA a annoncé avoir identifié 50 régions du monde dans lesquelles le gouvernement
central n’exerce plus son autorité légitime et dans lesquelles terroristes et trafiquants y
trouvent un environnement accueillant10. La fin du bloc soviétique contribue à démultiplier les
relations économiques et politiques légales mais en parallèle favoriser la prolifération des
8
CAHIERS DE LA SECURITE (2009), Les organisations criminelles, Cahiers de la sécurité n°7 – Janvier-Mars
2009, INHES
9
GAYRAUD J.-F. (2005), Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé, Odile Jacob
10
NAIM M. (2005), Illicit : how smugglers, traffickers and copycats are highjacking the global economy,
Anchor Books – Random House
12
zones grises sous l’emprise des économies souterraines de produits illégaux à haute valeur
ajoutée. Dans la même veine, la sphère financière actuelle issue de la dérégulation des
marchés dans les années 1980 échappe dorénavant au contrôle des États, plus enclins à en
attirer les flux qu’à la réglementer : ces nouveaux circuits financiers internationaux rendent
incontrôlables les opérations de blanchiment et permettent la prolifération de systèmes
financiers alternatifs. De ce point de vue, les marchés illégaux se sont intégrés beaucoup plus
rapidement entre eux que leurs contrepartie légale. La mondialisation génère et favorise donc
l’apparition et le développement d’espaces de « non gouvernance » qui sont la caractéristique
centrale des zones grises.
Les zones grises sont des zones économiques caractérisées par l’offre et la demande de
produits illégaux : on pense à la demande croissante en drogues dans les pays développés ou
encore à la demande accrue d’armes de contrebande dans les conflits infra-étatiques et autres
guerres civiles. Cette demande appelle forcément une offre qui se développe particulièrement
bien dans les zones grises, sortes de « zones poubelles » de production, de stockage et
d’acheminement des produits illégaux. Il convient de mettre l’accent sur les zones grises
comme zones de « non droit », zones « sans autorité », encore qualifiées de zones de « non
gouvernance » ou zones « dérégulées » car le propre des zones grises est l’absence ou la
faiblesse de l’Etat : les zones grises sont bien des régions où les Etats ne parviennent pas – ou
plus – à remplir leurs fonctions et en particulier leur mission régalienne principale : le
monopole de la violence physique légitime. La géopolitique de l’illégal s’étend au fur et à
mesure que les zones grises s’implantent de plus en plus dans le paysage géopolitique
mondial : les zones en crise sont devenues de véritables opportunités pour les acteurs illégaux
dans le sens où « pour les acteurs illégaux, les frontières créent des opportunités
commerciales »11. En effet, les zones grises produisent des services financiers illicites, des
produits comme les armes ou les êtres humains et des biens illicites comme par exemple les
drogues.
La réelle nouveauté dans le concept de zone grise relève de leur degré de nuisance
internationale, en relation avec le volume d’activité y proliférant, et leurs interconnexions au
sein des relations internationales illicites. Ces zones, régies par des équilibres spécifiques,
attirent et produisent de l’illégal. Les zones grises possèdent leur propre rationalité,
anarchique, déstabilisatrice et amorale, mais une rationalité malgré tout. Pour compliquer le
11
Idib.
13
tableau, ces zones ne sont pas toujours bien identifiables : elles sont parfois plus ou moins
circonscrites mais le plus souvent, elles se surimposent à des espaces territoriaux organisés et
s’en distinguent mal, ces zones à géométrie variable s’élargissent ou se contractent, se
fragmentent ou se réunissent. La nature mouvante et changeante des zones grises ainsi que la
transnationalisation des relations internationales illicites concourrent à rendre possible
l’interconnexion entre plusieurs zones grises, créant des actions internationales illégales
globalisées. La dimension spatiale, c'est à dire le rapport à un territoire, est un élément
essentiel de la notion de zone grise : en effet, le territoire est un lieu de production, de
stockage, de transit, de distribution et de refuge c'est à dire de trafic que les acteurs illégaux
doivent impérativement contrôler et « vassaliser » afin de permettre à leurs activités de
s’épanouir, sans être gênées par les forces de l’ordre et les concurrents potentiels. Sans un
ancrage territorial fort, les acteurs illégaux ne peuvent exercer leur « commerce » en toute
liberté ou presque : les zones grises sont sanctuarisées par les acteurs illégaux à tel point que
zones grises et acteurs illégaux sont consubstantiels l’un à l’autre.
Il conviendra au final de définir, cataloguer et étudier ces régions infra- ou transétatiques exposées à une certaine dérive en matière de non-droit : le but de cette recherche est
de faire état des zones grises dans le monde et montrer la logique d’organisation rationnelle de
celles-ci selon leur implantation territoriale et leur fonctionnement comme un marché légal
intégré. L’étude permettra également de montrer la logique économique et rationnelle qui
irrigue les acteurs utilisant les zones grises : il est possible de parler d’une véritable rationalité
économique des acteurs à besoin et capacité de financement proliférant au sein de ces espaces
anomiques, principalement les Organismes Criminels Transnationaux et les groupes
terroristes. L’extension des régions affectées par l’illégal dessine une nouvelle géopolitique
internationale et cette étude propose de s’intéresser d’abord aux espaces de production des
produits illégaux : en effet, l’implantation territoriale de ces espaces de production permet de
comprendre la logique économique et géographique des zones grises dans le monde.
L’angle d’approche employé pour réaliser ce travail de recherche s’attache à
considérer le phénomène des zones grises comme une question relativement neuve dans le
champ universitaire de la sécurité internationale. La littérature portant sur les trafics de
produits illégaux et la contrebande transnationale ont souvent le défaut d’être trop descriptifs
et spécifiques et ne présentent pas d’analyse sociologique construite autour de la rationalité de
ces trafics. Le peu d’études réelles de terrain est monopolisé par les productions de l’ONUDC
mais celles-ci ne permettent pas toujours d’avoir une image fidèle de la globalité des zones
14
grises et des trafics dans le monde. Il a donc été nécessaire de mettre en place une typologie
originale permettant de rendre compte de la globalité du phénomène. D’un point de vue
méthodologique, ce travail se focalise sur l’étude approfondie des écrits universitaires et des
ouvrages spécialisés se rapportant aux relations internationales illicites en y ajoutant l’angle
d’approche des zones grises. Le terme de « zone grise » n’appartient à aucune littérature
établie : ce n’est ni une notion diplomatique ni une notion théorique et de plus, ce champ
d’étude étant particulièrement nouveau dans les relations internationales, très peu d’ouvrages
ou d’auteurs de référence existent, de même que des « spécialistes » des zones grises. La
réalisation d’entretiens a été invalidé étant donné la relative nouveauté du champ d’étude des
zones grises, le manque de spécialistes sur le sujet et la subjectivité empirique relative au
monde souterrain des trafics illicites et des acteurs illégaux. Selon Choquet, « les recherches
sur le terrorisme et la criminalité organisée sont souvent empiriques, ce qui impose de croiser
les diverses sources d’informations et de varier les angles d’observation »12 : en effet selon
l’auteur, « les méthodes traditionnelles des sciences sociales sont généralement impossibles à
utiliser », les enquêtes de terrain quasi-impossible à réaliser étant donné le caractère secret et
illégal des acteurs et des transactions. En raison du flou provoqué par ces mondes souterrains
illégaux, les méthodes quantitatives et qualitatives traditionnelles se révèlent inefficaces car «
les renseignements sont toujours incomplets et fragmentaires »13 et malgré la bonne volonté
du chercheur, une analyse basée sur des entretiens ne fera qu’apporter un point de vue partiel
et non représentatif de la réalité du phénomène des zones grises. Cette étude sur la
territorialisation des zones de non-droit devra donc se faire en dressant une typologie originale
prenant en compte les différents éléments constitutifs des zones grises afin de montrer que
chaque zone anomique rentre dans une catégorie spécifique selon sa « nuance de gris » c'est à
dire l’étendue des trafics et des espaces de production des produits illégaux ainsi que de
l’implantation territoriale de la zone grise au sein des espaces infra- et trans-étatiques. On
distinguera ainsi les zones grises infra-étatiques (Chapitre 1) des zones grises supra-étatiques
(Chapitre 2). A partir de cette typologie, il sera possible de montrer comment les acteurs
illégaux implantés dans les zones grises interagissent pour faire littéralement « vivre » les
zones grises au gré des trafics et des échanges commerciaux par l’intermédiaire d’échanges
économiques et financiers rationnels (Chapitre 3).
12
13
CHOQUET C. (2003), Terrorisme et criminalité organisée, Sécurité et Société – l’Harmattan
Ibid.
15
Chapitre 1 – Les zones grises infra-étatiques
La frontière engendre l’illicite
Le premier type de zone grise est représenté par les zones anomiques dites infraétatiques c'est à dire ces zones de non-droits regroupant les espaces de production des produits
illégaux majeurs que sont la drogue, les armes à feu et les êtres humains ainsi que les routes
transnationales de trafic qui permettent de relier espaces de production et espaces de
consommation. Ces zones grises se territorialisent au sein d’un espace national mais ne
débordent pas sur plusieurs Etats et restent ancrées dans une logique infra-étatique : c’est
l’interconnexion entre plusieurs espaces de production par des routes de trafics qui permet de
qualifier de transnational le trafic de biens illégaux. Cette dialectique espace de
production/route de trafic représente la première « nuance de gris » dans l’implantation
territoriale des zones grises en ce qu’elle est la base de la logique économique des zones
grises et des acteurs utilisant ces espaces anomiques. Sans une implantation territoriale sous la
forme d’espaces de production et l’existence de routes de trafic pour relier les espaces de
consommation, les zones grises n’auraient pas autant de prégnance en matière de relations
internationales illicites. Entre espace de production et route d’acheminement, l’un ne
fonctionne pas sans l’autre : la route est un moyen d’accès, un support de la communication et
du transport qui permet de relier lieux de production des biens illégaux et de consommation
grâce à l’utilisation de réseaux entre les acteurs du trafic. Les trafics transnationaux
fonctionnent sous la forme d’un double processus de territorialisation des espaces de
production et des routes en perpétuels ajustements au gré des contrôles et des contraintes liées
au marché des produits illégaux. Si la frontière et la limite territoriale et juridique qu’elle
représente peuvent autoriser une production illicite d’un côté, son franchissement illégal
augmente alors d’autant plus la valeur du produit illicite : la valeur marchande réelle d’un
produit illégal se calcule donc en fonction du nombre de frontières traversées. De plus
l’implantation au sein d’un territoire devient un espace convoité lorsqu’il donne l’accès à des
trafics.
Il conviendra donc d’étudier la logique économique dans cette dialectique entre espace
de production des biens illégaux et routes d’approvisionnement et de trafic vers les espaces de
consommation en commençant par le trafic transnationale de drogue (Section 1) avant de
s’intéresser au trafic d’armes à feu et d’êtres humains dans le monde (Section 2).
16
Section 1 – Géopolitique mondiale de l’offre de drogues
Par drogues ou stupéfiants, appelés médicalement « substances psychoactives », on
entendra toute substance organique ou chimique dont l’action sédative, analgésique,
narcotique ou euphorisante entraîne à la longue la tolérance et la dépendance14. Dans le cadre
des trafics transnationaux de drogues, le concept de substances psychoactives regroupe la
fabrication des trois familles de produits naturels d’origine organique15 les plus consommées
au monde :
-
l’héroïne produite à partir de l’opium exsudé du pavot à opium Papaver somniferum ;
-
la cocaïne et crack produits à partir de la feuille de coca séchée Erythroxylon coca,
-
la marijuana et le haschisch produits à partir de la plante Cannabis sativa
-
à cela il convient de rajouter les drogues de synthèse à base d’amphétamines produites
à partir de précurseurs chimiques.
Beaucoup d’autres substances psychoactives existent mais ne font pas l’objet d’un commerce
transnational aussi développé que les quatre produits identifiés. Ils ne seront donc pas abordés
dans le cadre de ce travail. 170 pays au monde seraient touchés par un trafic plus ou moins
important de stupéfiants et aucun pays n’échappe aujourd’hui à la consommation de produits
psychoactifs16. On estime que 180 millions de consommateurs de stupéfiants existent dans le
monde soit 4,2% de la population mondiale âgée de 15 ans et plus.
Afin de saisir l’ampleur des zones grises relatives au trafic de drogues, il sera
nécessaire de dresser un état des lieux de la géopolitique de l’offre de drogue dans le monde :
en effet, les zones grises de la drogue sont composées d’aires de culture et de production de
substances illicites ainsi que de routes d’approvisionnement qui permettent de relier offre de
drogues dans les aires de production et demande dans les pays occidentaux. Les conceptions
les plus courantes ont longtemps défini le Nord comme consommant les drogues produites au
Sud mais les évolutions récentes de la production, du trafic et de la consommation de drogues
tendent très nettement à bouleverser la nature des rapports Nord-Sud et la géopolitique
mondiale des drogues. Si le Sud comprend toujours les principaux producteurs-exportateurs
de drogues dans le monde, il en est aussi devenu au cours de la dernière décennie un
consommateur majeur alors que le Nord ne se contente plus de consommer mais produit
14
BROCHU S. (2006), Drogues et criminalité : une relation complexe, Presse de l’Université de Montréal
Les « plantes mères » selon Chouvy
16
GOUREVITCH J.-P. (2002), L’économie informelle. De la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics, Le Pré
aux Clercs – Essais
15
17
également des drogues de synthèse et du cannabis en grande quantité17. C’est la notion de
polytrafic qui permet de justifier le caractère transnational des zones grises de la drogue18 : en
effet, on assiste depuis quelques années à l’utilisation des mêmes routes et réseaux pour le
transbordement de différents types de drogues.
La circulation des drogues n’est devenu affaire criminelle qu’à partir de l’instauration
des législations internationales pour contrôler le commerce des drogues dans les années 1960
et la prohibition des produits incriminés comme tels représente des opportunités d’activités
transfrontalières lucratives pour les narcotrafiquants19. L’interdiction des produits a fait
basculer ce commerce dans la sphère de l’illégal et a permis l’insertion de la drogue dans
l’économie illégale internationale : la production de drogues dans le monde a plus que doublé
en moins de vingt ans . Dans les principaux pays producteurs d’opium et de coca, la culture de
la drogue permet de pallier l’absence de crédits agricoles ou la nécessité d’une réforme
agraire et permet surtout aux paysans de survivre en leur apportant une source de revenus
immédiats20. Ainsi en Birmanie, l’opium est la seule production de rente et la seule source de
revenus pécuniaire permettant l’achat de riz pour les paysans les plus pauvres. Le recours à
l’économie des drogues illicites est également encouragé par les spécificités même du marché
de ces produits, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou internationale : en effet, les prix « à
la ferme » de l’opium, de la coca et du cannabis sont de loin supérieurs à ceux des productions
agricoles vivrières traditionnelles21. Lutter contre le trafic de drogue revient donc à
s’intéresser directement à la question du développement dans les pays pauvres.
L’organisation des filières de la drogue se réalise sur quatre niveaux : production au
sein d’aires géographiques spécifiques ; trafic international ; distribution en gros et enfin
distribution finale au détail avant consommation22. Les profits les plus importants sont réalisés
dans le franchissement des frontières et la commercialisation au détail23. C’est pour cette
raison que le marché illégal de la drogue devrait être traité à l’instar d’un marché classique, la
menace de la répression et le risque d’être arrêté étant un coût supplémentaire qui « déplace la
17
CHOUVY P.A. (2004b), Les fondements historiques des chemins de la drogue in LABROUSSE A. (2004),
Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
18
LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
19
CHARILLON F. (2006), Les relations internationales, Notices de la Documentation Française
20
BALENCIE J.-M. et LA GRANGE A. de (2004), Les nouveaux mondes rebelles : conflits, terrorismes et
contestations, Editions Michalon
21
LANIEL L. et CHOUVY P.A. (2006), Production de drogues et stabilité des États, Rapport pour le CERI et le
SGDN, Mai 2006
22
KOPP P. (2006), Économie de la drogue, Collection Repères – La Découverte
23
LABROUSSE A. (1993), La planète des drogues. Organisations criminelles, guerres et blanchiment, Le Seuil
18
courbe des profits vers le haut »24. Le prix à la vente, largement déconnecté des coûts liés à la
production, fait de la drogue un produit rentable. Les organisations criminelles n’ont qu’une
fonction d’encadrement de la production et de la transformation de la matière première, de
vente en gros de la drogue et de blanchiment des devises. À l’échelle mondiale, l’offre de
drogues est élastique c'est à dire que la production augmente fortement en volume par rapport
à la variation des prix alors que la demande est largement inélastique25, du fait de la prise en
compte de dimensions comme l’accoutumance et la dépendance26. Les réseaux de la drogue
ne sont pas fermés mais il existe néanmoins des barrières à l’entrée qui ne dissuadent pas
toujours les nouveaux entrants malgré que la concurrence soit rapidement supprimée. A
l’inverse d’une entreprise classique, les trafiquants freinent la circulation de l’information et
pour des raisons de sécurité, fractionnent la chaîne de production. C’est la raison pour laquelle
le réseau est la forme la plus utilisée pour le trafic de drogues : l’organisation des filières des
stupéfiants prend la forme de réseaux fortement segmentés entre les acteurs placés à
différentes échelles. Mais l’organisation en réseaux souples renforce l’imperfection des
marchés, ce qui conduit les agents à connaître de l’incertitude dans la gestion de
l’information : en effet, les décisions rationnelles sont rares dans ces réseaux et les agents
agissent bien souvent en rationalité limitée27. Afin de réduire l’incertitude, les trafiquants se
concentrent sous la forme d’« oligopoles cartellisés »28 et respectent un accord informel
destiné à éviter la guerre des prix et l’effondrement des cours : des liens se sont donc
naturellement tissés entre les organisations afin de contrôler les circuits d’approvisionnement,
en évitant de se livrer des guerres de clans. Cette coopération entre les narcotrafiquants est
nécessaire dans la filière de la drogue car aucune organisation ne peut complètement contrôler
l’ensemble du circuit.
La théorie des jeux permet d’expliquer en partie les raisons pour lesquelles les
trafiquants de drogues collaborent au sein de la filière des stupéfiants : le partage des risques,
l’intégration plus poussée de leurs activités et la protection accrue voire la tolérance des
forces de répression expliquent pourquoi les narcotrafiquants forment des alliances entre eux
et tentent d’acheter les représentants des forces de l’ordre. Selon l’analyse par la théorie des
jeux, le narcotrafiquant est celui qui obtient le maximum de gains de la coopération : il sait
24
KOPP P. (2006)
CHOUVY P.A. (2004b), Les fondements historiques des chemins de la drogue in LABROUSSE A. (2004),
Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
26
CAMARA M. (1999)
27
KOPP P. (1992a), La structuration de l’offre de drogue en réseaux, Revue Tiers Monde, t. XXXIII, n°131,
Drogues et développement
28
KOPP P. (1992b), Les analyses formelles des marchés de la drogue, Revue Tiers Monde, t. XXXIII, n°131,
Drogues et développement
25
19
tirer partie de la désorganisation des forces de répression en consolidant son réseau
(intégration entre plusieurs organisations de trafiquants) ou de la compétition politique en
cherchant des alliances ou en tirant partie de la faiblesse du politique (corruption).
Il est important de noter que les chiffres et les estimations sur la production de drogues
dans le monde s’établissent en fonction des saisies et des estimations des aires de production :
il ne s’agit donc que d’estimations qui ne reflètent qu’en partie la réalité des choses car l’offre
disponible est en effet obtenue par la différence entre l’offre potentielle et les saisies. Les
spéculations sont monnaie courante dans les statistiques sur la drogue, notamment pour
« marquer les esprits »29 et faire prendre conscience aux décideurs politiques de la nécessité
de lutter contre le trafic transnational de drogues. Il est important de noter que les profits
générés par les trafics de drogues dans le monde sont souvent extrapolés : si l’on compte 32
milliards pour l’opium afghan, 10 milliards pour la Birmanie, 10 milliards pour le cannabis,
60 milliards pour la coca et quelques dizaines de milliards pour les ATS, on arrive à 120/150
milliards par an. On est loin des 500 milliards par la DEA et des 300 milliards de l’ONUDC
prévus chaque année.
Au final, la géoéconomie de la demande et la géopolitique de l’offre de drogues ne
peuvent se comprendre qu’en étudiant les interrelations entre espaces de production (I) et les
routes d’acheminement des drogues vers les espaces de consommation (II).
I – Les espaces de production des drogues dans le monde
Les zones grises de la drogue sont composées par des aires de productions
interconnectées et reliées par des routes d’approvisionnement. Afin de comprendre
l’interconnexion des routes de trafic de substances pyschoactives, il est nécessaire d’aborder
la répartition géographique des aires de production de ces substances dans le monde : en effet,
les aires de production de drogue sont constamment mouvantes, en perpétuelles
recomposition et soumises aux changements impliqués par les contrôles ou l’absence de
répression étatique. Ainsi les espaces de production des drogues se répartissent selon les
substances produites, principalement la cocaïne (A), l’héroïne (B), le cannabis et les drogues
de synthèse (C).
29
KOPP P. (2006)
20
A. Les aires de production de la cocaïne
On estime à environ 14 millions le nombre de consommateurs réguliers de cocaïne
dans le monde, ce qui représente une demande mondiale d’environ 150 tonnes par an30.
Chaque année, un tiers de la cocaïne est absorbé par les États-Unis, un tiers est saisi et le reste
se déverse en Europe et dans le reste du monde31. La production mondiale de cocaïne
représente un poids de 950 tonnes dont plus des trois quart sont produits en Amérique Latine :
en effet, la cocaïne est extraite des feuilles de coca, un arbrisseau poussant dans de
nombreuses régions d’Amérique du Sud, en Indonésie et dans l’Est africain32. Le processus de
production de cocaïne à partir des feuilles de coca est relativement simple et ne nécessite pas
de connaissances techniques hors d’atteintes ni de matériel complexe : la transformation a lieu
dans de petits « laboratoires » improvisés situés près des zones de production de la feuille de
coca. Après la récolte et le séchage, les feuilles sont agglomérées en pâte de cocaïne qui est
ensuite chimiquement transformée en cocaïne base puis en produit final, le chlorhydrate de
cocaïne ou HCL. Le processus de transformation chimique de la cocaïne base nécessite des
précurseurs chimiques comme l’acide sulfurique, l’éther ou le permanganate de potassium qui
sont facilement accessibles en quantités industrielles. En moyenne, un hectare de plants de
coca produits entre 1000 et 1200 kg de feuilles de coca fraîches et un kilogramme de feuilles
donne environ 1 à 1,4 grammes de chlorhydrate de cocaïne. Grâce à des techniques agricoles
perfectionnées pouvant donner jusqu’à quatre récoltes par an, un hectare de feuilles de coca
donne environ 5 à 6 kg de chlorhydrate de cocaïne par an33.
1. Historique de la filière de production de cocaïne
La Colombie, la Bolivie et le Pérou sont les principales zones de production de feuilles
de coca dans le monde. En Bolivie et au Pérou, il existe une production légale de coca
relativement importante : rarement évoquée parce qu’extrêmement marginale, cette
production traditionnelle n’est pas exportée mais permet de fournir une demande locale
30
PREZELJ I. et GABER M. (2005), Smuggling as a Threat to National and International Security: Slovenia
and the Balkan Route, Partnership for Peace Consortium of Defense – Academies and Security Studies Institutes
(PfPC), Athena Papers Series No. 5 December 2005
31
GOUREVITCH J.-P. (2002), L’économie informelle. De la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics, Le Pré
aux Clercs – Essais
32
La cocaïne est une substance psychoactive stimulante du système nerveux central (BROCHU).
33
MEJI D. et POSADA C.E. (2008), Cocaine production and trafficking : what do we know ?, Policy Research
Working Paper 4618, The World Bank, Mai 2008
21
traditionnelle. Ce n’est qu’après les années 1950 et le début de la « guerre à la drogue »
américaine que la culture de la coca devient hors la loi et échappe à toute autorité étatique :
les filières de la coca s’enfoncent alors dans l’illégal et les plants de coca disparaissent de la
vue des contrôles étatiques34. Jusque dans les années 1960, l’Amérique Latine est la seule
région du monde à expérimenter des plantations massives de feuilles de coca : la filière
illégale connaît alors une émergence rapide qui dépasse la demande pourtant grandissante. Il
faut attendre le milieu des années 1970 pour que la filière de la cocaïne devienne une
économie socialement intégrée : en effet, l’instauration du « capitalisme de la coca » laisse le
champ libre à la corruption, permettant l’explosion de la production grâce à une demande de
plus en plus forte en Amérique du Nord. Au Pérou, la production passe de 10 000 hectares en
1979 à 70 000 en 1980. Si le Pérou et la Bolivie sont les deux pays producteurs, la Colombie
n’est pas en reste puisque la création du cartel de Medellin permet la consolidation de la place
de la Colombie dans le narcotrafic en tant que raffineur et revendeur de la drogue produite au
Pérou et en Bolivie. L’axe Medellin-Miami devient la principale voie d’exportation, qui sera
réorientée dans les années 1980 vers le nord du Mexique du fait des lois anti-drogues
américaines.
Dans les années 1990, la plantation de coca a été largement repoussée de l’est du
Pérou et de la Bolivie vers le sud-est de la Colombie35 : l’émergence des cartels de
narcotrafiquants colombiens et la place de plus en plus significative qu’ils prennent dans le
trafic de la cocaïne permet ce déplacement progressif des aires de production. Pourtant
également mise en œuvre en Colombie, la politique anti-drogue de la DEA américaine
n’empêche pas l’accroissement des surfaces cultivées et l’amélioration de la productivité et
des quantités exportées. En Colombie, le mouvement cocalero qui s’était formé dans le sud
du pays à la fin des années 1990 est démantelé, victime de la guerre civile. Dès lors, la
production de coca en Colombie se fait presque entièrement encadrer par des groupes armés,
principalement le FARC et l’ELN.
34
CHOUVY P.A. (2004a), Drogues illicites, territoire et conflits en Afghanistan et en Birmanie in
LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
35
GOOTENBERG P. (2004), La filière coca du licite à l’illicite : grandeur et decadence d’une marchandise
internationale in LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La
Découverte
22
2. La production de cocaïne en Amérique Latine
Avec ses 1850 km² de cocaïers plantés, l’Amérique Latine est le premier producteur
mondial de feuilles de coca et de cocaïne : 98% de la production mondiale proviendrait des
trois pays andins producteurs que sont la Colombie, la Bolivie et le Pérou36 (voir Annexe 1).
La Colombie représente depuis 2003 55% des surfaces plantées de la coca dans le monde pour
30% au Pérou et 13% en Bolivie. En 2008 en Colombie, 81 000 hectares de plants de coca ont
été cultivés dans 24 des 32 départements du pays : la culture du coca y représente une valeur
marchande de près de 500 millions de dollars, soit environ 0,3% du PIB du pays et cette
économie fait vivre près de 60 000 foyers, sans compter les milliers de « saisonniers ».
L’économie de la coca représente un revenu par habitant de 10 000 dollars en Colombie alors
que le revenu réel par habitant est de 5 000 dollars.
La répartition des coûts du prix de vente de la cocaïne au détail se fait comme suit :
plus de 50% du prix correspond à la « prime de risque » c'est à dire le franchissement des
frontières et le risque encouru par les trafiquants ; 13% correspondent à la rémunération des
producteurs et des transformateurs de la drogue ; 10% correspondent à la perte générée par les
saisies et enfin 12% correspondent réellement au prix de vente de la matière première (voir
Annexe 2).
En 2008, l’ONUDC a rapporté l’existence de plus de 7500 laboratoires clandestins de
transformation de cocaïne37. La quasi-totalité des laboratoires se trouvent dans les trois pays
producteurs de cocaïne car ils doivent se trouver au plus près des zones de production. Au
niveau des précurseurs chimiques nécessaires à la création d’HCL, 15 pays d’Amérique
Latine ont saisi en 2007 de grandes quantités de permanganate de potassium de qualité
industrielle : 153 tonnes de ce précurseur ont été saisi, dont 144 tonnes en Colombie.
B. Les aires de production de l’opium et de l’héroïne
L’héroïne est un opiacé puissant obtenu à partir de la morphine, elle même issue d’une
plante, le pavot, que l’on incise pour recueillir de l’opium sous forme de latex38. Il existe deux
modes de consommation du pavot à opium : l’opium séché et fumé ou bien l’héroïne. A partir
36
DELER J.-P. et al. (2003), Le bassin des Caraïbes : interface et relais entre production et consommation de
drogues, Mappemonde n°72, 2003.4
37
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009a), Annual Report 2009
38
L’héroïne et l’opium sont des substances psychoactives organiques dépresseurs du système nerveux central
provoquant un effet anti-dépresseur puissant sur l’organisme (BROCHU)
23
du latex exsudé du pavot à opium, on produit de l’opium base qui est séché et prêt à être
consommé comme tel. Pour produire de l’héroïne, le processus demande plus de préparation :
on fabrique d’abord de la morphine à partir de l’opium à l’aide de précurseurs chimiques dans
des laboratoires clandestins placés le plus près possible des lieux de production. La morphine
produite est destinée à faire du chlorhydrate d’héroïne n°3 (« brown sugar » fumable) puis de
l’héroïne n°4 la plus raffinée (« China white » injectable). Les précurseurs chimiques sont
donc tout aussi indispensables que l’opium pour raffiner de l’héroïne.
Le coût des procédés de transformation n’est pas élevé, l’équipement nécessaire n’a
rien d’exceptionnel, les produits chimiques précurseurs requis disponibles en grande quantité
dans les industries et les connaissances techniques demandées assez limitées39. On estime à 11
millions le nombre de consommateurs réguliers d’opium et d’héroïne dans le monde, dont 3,5
millions en Europe, 2 millions en Chine et 1,5 millions sur le continent américain. En terme
de rendement, 1 kg de morphine permet de produire 700 g d’héroïne base.. On estime à 189
000 hectares la superficie mondiale cultivée en opium. La production mondiale d’héroïne
annuelle est de l’ordre de 8800 tonnes40 pour une demande avoisinant les 3500 tonnes par an,
un tiers sous forme brute et deux tiers sous la forme d’héroïne. Environ 1000 tonnes sont
saisies par les autorités chaque année dans le monde.
Les précurseurs chimiques nécessaires à la création de morphine puis d’héroïne
doivent tous être importés de pays possédant des entreprises pharmaceutiques et chimiques
légitimes : plusieurs cas de tentatives de vols de containers de produits chimiques ont été
répertoriés tout au long des années 1990 et 2000. Ces vols et tentatives de vols confirment
l’existence d’un large marché clandestin des précurseurs chimiques au bénéfice des
narcotrafiquants des deux espaces principaux de production d’héroïne dans le monde. Ainsi le
Triangle d'Or et le Croissant d'Or sont les principales zones de production d’opium et de
raffinage de l’héroïne, même si d’autres pays se mettent à produire de l’opium depuis
quelques années par volonté de diversification de la filière de la drogue, notamment en
Amérique Latine.
39
CHOUVY P.A. (2004b), Les fondements historiques des chemins de la drogue in LABROUSSE A. (2004),
Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
40
EUROPEAN COMMISSION (2007), A Report on Global Illicit Drug Markets 1998-2007
24
1. Production d’héroïne dans le Triangle d'Or et le Croissant d’Or
Le Croissant d'Or formé par l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan et le Triangle d'Or, soit
la Birmanie, le Laos et la Thaïlande fournissent à eux seuls 97% de la production illicite
mondiale d’opium (voir Annexe 3, 4 et 5). Dans les années 1980, au commencement de la
filière internationale de l’héroïne, la Birmanie était le principal pays producteur d’opium mais
au cours des années 1990, l’Afghanistan a progressivement pris sa place, principalement du
fait d’un opium de meilleur qualité et de rendements à l’hectare supérieurs. Il faut attendre
2003 pour que l’Afghanistan devienne réellement le premier producteur mondial d’opium.
Malgré tout, le Triangle d'Or n’est plus depuis quelques années la zone majeure de
culture de l’opium et de raffinage de l’héroïne : du Triangle d'Or ne reste que la Birmanie
comme producteur international d’opium et d’héroïne. Ainsi au Myanmar, la culture d’opium
s’étend sur une superficie de près de 27 000 hectares dont la majeure partie se trouve localisée
dans le nord-est du pays, le long de ses frontières chinoises, laotiennes et thaïlandaises, dans
les États Kachin et dans la province de l’Etat Shan dans l’est du pays ainsi que dans la
« région spéciale n°2 » contrôlée par l’ethnie Wa41. La production d’opium s’élève à 410
tonnes en 2008, ce qui représente la seconde production mondiale loin derrière
l’Afghanistan. Malgré tout, les superficies plantées ne cessent de diminuer : la production
birmane est passée de 130 000 hectares en 1998 à moins de 30 000 aujourd’hui, soit une
réduction de plus de 80%42.
Au Laos, la production d’opium a été réduite de près de 95% en moins d’une
décennie, pour une superficie plantée de 1500 hectares d’opium contre 27 000 hectares en
199843, produisant aujourd’hui moins de 9 tonnes d’opium par an. En Thaïlande, la même
baisse drastique dans les superficies plantées a été observée : 1500 hectares en 1998 contre
150 aujourd’hui, soit une baisse de 90% dans les superficies plantées. Ayant perdu sa place de
producteur de masse des années 1970, la Thaïlande n’est aujourd’hui qu’un pays de transit et
de consommation de l’opium birman et afghan. Les productions d’opium au Laos et en
Thaïlande sont tellement négligeables qu’ont ne peut plus réellement parler d’un marché
transnational de l’opium dans ces deux pays : la faible production de drogue ne sert qu’à
répondre à la demande locale et ne passe que rarement les frontières nationales. Le cœur de la
41
CHOUVY P.A. (2004a)
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008a), Annual Report 2008
43
CHOUVY P.A. (2002), Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or,
Olizane
42
25
production mondiale d’opium est bel et bien le Croissant d'Or et plus particulièrement
l’Afghanistan.
Le Croissant d'Or, en particulier l’Afghanistan, domine très largement la production
mondiale d’opium et de raffinage d’héroïne. En Afghanistan, la culture de l’opium est
concentrée dans les provinces du Sud. Les deux tiers de la production d’opium afghan a lieu
dans la province de l’Helmand avec près de 100 000 hectares plantés soit 5400 tonnes
d’opium, ce qui représente plus de 50% de la production mondiale. A elle-seule, la province
de l’Helmand représente une production plus importante que les autres pays du Triangle d'Or
et du Croissant d'Or réunis : l’offre mondiale d’héroïne dépend donc étroitement des
conditions politiques et sécuritaires du sud de l’Afghanistan car la production afghane couvre
à elle seule près de 95% de la demande mondiale44. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que
la transformation de l’opium en héroïne s’est réalisée directement dans des laboratoires
clandestins implantés sur le sol afghan. De nombreux laboratoires sont situés à la frontière
avec le Pakistan, de façon à pouvoir les déplacer facilement au gré des contraintes et des
contrôles. Les revenus tirés de la production afghane d’opium et de raffinage sont estimés à
près de 4 milliards de dollars en 2008, ce qui représente 35% du PIB national. A peine le
quart de ces revenus est redistribué aux fermiers et cultivateurs : le reste de l’argent est
réservé aux narcotrafiquants et aux seigneurs de guerre locaux qui réinvestissent la quasitotalité des sommes à l’étranger. Un phénomène nouveau s’est constitué depuis 2005 et
l’explosion de la production d’opium en Afghanistan : l’existence de « millésimes » dans la
production d’opium. En effet, quelque 12 000 tonnes d’opium sont stockés en Afghanistan et
dans le Croissant d’Or à l’heure actuelle en raison de l’ampleur de la production face à la
consommation et aux saisies45, ce qui permet aux narcotrafiquants de stocker chaque année
près de 4000 tonnes d’opium brut depuis 2005.
Au Pakistan, l’opium est principalement cultivé à la frontière avec l’Afghanistan pour
une production nationale relativement faible, environ 2000 hectares depuis ces dernières
années46. Quant à la République islamique d’Iran, elle n’est aujourd’hui plus qu’un point de
transit majeur des opiacés transbordés depuis l’Afghanistan en direction du Pakistan, du Golfe
Persique et du reste de la Route des Balkans. 60% de la drogue afghane passe par l’Iran par
44
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009e), Addiction, crime and insurgency – The
transnational threat of Afghan opium, Octobre 2009
45
Rappelons que pour 3500 tonnes consommées et 1000 tonnes saisies, la production mondiale (donc
afghane…) d’opium est de 8800 tonnes.
46
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009a)
26
l’intermédiaire de la frontière terrestre, le plus souvent dissimulée dans des caravanes de
marchands parcourant les deux pays.
2. Production d’opium et d’héroïne dans le reste du monde
Dans les pays andins (notamment Bolivie, Pérou et Colombie), la culture de l’opium
permet de diversifier la filière de la drogue et de répondre à une demande en héroïne
américaine toujours grandissante. Le fait de produire directement de l’héroïne évite d’avoir à
passer par une filière d’importation depuis l’Afghanistan, filière coûteuse et risquée. La
Colombie et le Mexique sont devenus des petits producteurs d’opium et transformateur
d’héroïne mais ne représentant à eux deux que moins de 3% de la production mondiale or
cette production représente les deux tiers de l’héroïne acheminée sur le territoire nordaméricain47. En Colombie, l’opium est cultivé principalement dans le sud-ouest du pays48. La
superficie de plants d’opium colombien est estimé à 7000 hectares, ce qui représente environ
130 tonnes d’héroïne en 2008. Au Mexique, environ 5000 hectares de pavot à opium sont
plantés annuellement, permettant une production d’opium représentant 100 tonnes par an
depuis quelques années49.
Les nouvelles républiques d’Asie centrale sont également productrices d’opium, quoi
qu’en faible quantité, du fait de leur proximité avec l’Afghanistan et le Croissant d'Or : le
Kazakhstan cultive environ 2000 hectares de pavot à opium par an pour une production
annuelle de 30 tonnes d’opium50. Pour sa part, le Kirghizstan produit chaque année moins de
300 kilos d’opium qui serviront à répondre à la demande locale. Chouvy parle de ces pays
d’Asie centrale comme d’un « Croissant d'Or élargi »51.
47
EUROPEAN COMMISSION (2007)
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008c), Coca cultivation in the Andean region. A
survey of Bolivia, Colombia and Peru, Juin 2008
49
BERRY L., CURTIS G.E., HUDSON R. A. et KOLLARS N.A. (2002), A Global Overview of NarcoticsFunded Terrorist and Other Extremist Groups, Federal Research Division, Library of Congress, Washington
(D.C.) : Library of Congress, May 2002
50
OLCOTT M.B. et UDALOVA N. (2000), Drug trafficking on the great Silk Road : the security environment
in Central Asia, Carnegie Endowment Working Papers, March 2000, n°11
51
CHOUVY P.A. (2002)
48
27
C. Les aires de production du cannabis et des drogues de synthèse
En plus de la cocaïne et de l’héroïne, le cannabis et les drogues de synthèse sont les
autres substances psychoactives les plus consommées au monde. Leur trafic international
répond à la même logique commerciale et économique que la cocaïne et l’héroïne.
1. La production de cannabis
Le cannabis est une substance psychoactive organique perturbatrice du système
nerveux central dont le principal agent actif est le TétraHydroCannabinol ou THC. Le
cannabis est une fleur dont on utilise les feuilles, tiges et sommités fleuries pour en extraire la
substance toxique. On distingue deux types de préparation du cannabis : la marijuana c'est à
dire la plante simplement séchée, émiettée et fumée ; et le haschich provenant de la résine de
la plante à laquelle on ajoute de la poudre provenant de plants séchés. Le cannabis est le
produit illicite le plus consommé au monde et il est impossible de déterminer avec précision le
nombre de consommateurs réguliers de cette drogue. Les connaissances relatives à
l’économie du cannabis sont parcellaires : une étude du Programme des Nations Unies pour le
contrôle international des drogues affirmait en 1999 qu’il « existe peu d’informations fiables
sur l’extension de la culture du cannabis dans le monde et les connaissances précises
concernant les quantités produites sont bien plus limitées que pour d’autres plantes à
drogue ». Dix ans plus tard, rien n’a changé et les informations manquent toujours : estimer la
production globale de cannabis est une tâche impossible étant donné que le cannabis est la
seule drogue organique pouvant être cultivée à l’air libre ou en serre intérieure dans
virtuellement tous les pays du monde. Les superficies de production mondiales à l’air libre
varient entre 200 000 et 600 000 hectares52, ce qui représente entre 13 000 et 66 000 tonnes
d’herbe et entre 2200 et 9900 tonnes de résine de cannabis. La production de cannabis dans le
monde est répartie à hauteur de 40% sur le continent américain (Jamaïque, Colombie,
Mexique, Caraïbes), 30% en Afrique (Nigeria, Ghana, Sénégal, Côte d’Ivoire), 15% en Asie
et 5% en Europe (voir Annexe 6).
La région septentrionale du Rif, ancien protectorat espagnol qui borde la Méditerranée,
représente le point focal de la culture de cannabis au Maroc puisqu’on estime qu’au moins
130 000 hectares de cannabis y avaient été cultivés en 2003. Les quantités produites au Maroc
52
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009a)
28
sont malgré tout en baisse aujourd’hui, avec moins de 70 000 hectares plantés en 200953.
Malgré cette diminution, le Maroc reste la principale source de résine de cannabis (haschisch),
alimentant en particulier le marché européen. La production potentielle totale de cannabis brut
est estimée à 98 000 tonnes et à 2000 tonnes de haschisch. On estime que 70% du cannabis
présent dans les espaces de consommation européens proviennent du Maroc54. Dans le Rif, la
tendance à la monoculture du cannabis, véritable manne économique dans cette région fragile
écologiquement, a poussé au délaissement progressif de l’agriculture vivrière : la production
de cannabis est devenue l’activité économique principale de la région pour deux tiers des
villages soit près de 800 000 personnes. L’économie agricole du cannabis régule donc de
façon importante l’emploi dans la région du Rif, surtout pour les jeunes paysans55. Les dérivés
du cannabis quittent le Maroc par bateau dans les ports méditerranéens de Oued Laou, Martil
et Bou Ahmed puis sont transbordés en Espagne avant d’être éparpillés dans les pays
d’Europe de l’Ouest. La seule production africaine de cannabis ayant des débouchés
internationaux est le haschisch cultivé au Maroc mais il semblerait que le haschisch marocain
perde des parts de marché en Europe en raison de la concurrence du cannabis produit sur le
territoire européen56.
La production de cannabis africain se concentre surtout au Mali, Sénégal, Gambie,
Togo, RDC et en Côte d’Ivoire à tel point que la culture du chanvre est devenu un produit
agricole pivot compensant la perte des revenus monétaires agricoles du fait de la baisse des
prix des matières premières et de la réduction des superficies cultivables dans les années
1980. Grâce à la filière du cannabis et l’intégration de l’Afrique dans le réseau des zones
grises mondiales, le continent s’est rapidement intégré aux nouveaux circuits marchands de la
mondialisation : la culture du cannabis est une alternative économique bénéfique pour les
paysans. Il n’est donc pas rare de voir les paysans cultiver le cannabis comme alternative à
l’agriculture vivrière traditionnelle beaucoup moins rentable et productive57. Le cannabis tient
certes une place dans les conflits africains mais vraisemblablement moins en tant que
ressource financière qu’en tant que produit de consommation destiné aux combattants : en
Afrique subsaharienne, le cannabis serait ainsi avant tout le symptôme de déséquilibres
53
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009d), World Drug Report 2009
BERRY L., CURTIS G.E., HUDSON R. A. et KOLLARS N.A. (2002)
55
LANIEL L. et CHOUVY P.A. (2006), Production de drogues et stabilité des États, Rapport pour le CERI et le
SGDN, Mai 2006
56
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009c), Transnational trafficking and the rule of
law in West Africa : a threat assessment, Juillet 2009
57
WANNENBURG G. (2005), Organised crime in West Africa, African Security Review 14(4)
54
29
économiques, politiques et écologiques, et non la cause de tels troubles. Au Sénégal et au
Libéria, la culture du cannabis a permis de financer certains groupes armés. Malgré tout, le
cannabis d’Afrique de l'Ouest ne jouissant pas d'une grande réputation internationale en raison
de sa qualité assez moyenne, les risques de trafic transnationaux restent limités.
En Asie centrale, la vallée du Tchou entre le Kazakhstan et Kirghizstan fait office de
réservoir naturel de cannabis régional : selon les années, entre 150 000 et 400 000 hectares de
plants de cannabis sauvages poussent dans cette région désertique alimentée par la rivière
Tchou. Le cannabis est également cultivé en grande quantité dans la région de la vallée de la
Bekaa58. La culture du cannabis en Afghanistan devient de plus en plus lucrative depuis
quelques années : les trafiquants de drogues réalisent une diversification de l’offre vis à vis
d’une demande accrue pour cette drogue. En 2008, 14 provinces afghanes possédaient des
plants de cannabis : la répartition des provinces suit globalement le même schéma que la
culture de l’opium et les plus grandes surfaces plantées se trouvent donc sans surprise dans les
provinces de l’Helmand, de Kandahar et de Nangahar.
En Amérique du Sud, le Paraguay est le principal producteur de cannabis du continent
avec une production rurale annuelle de près de 5500 hectares.
2. Les aires de production des ATS
Les drogues de synthèse, que l’on appellent également « Amphetamine-Type
Stimulants » (ou ATS) ou « designer drugs », sont des drogues de synthèses chimiquement
créées à partir de précurseurs chimiques et de substances psychoactives non-organiques. Ces
substances psychoactives perturbatrices du système nerveux central appartiennent à la classe
des amphétamines c'est à dire un groupe de molécules regroupant la méthamphétamine59,
l’amphétamine et la MDMA ou ecstasy. Les drogues de synthèse se consomment sous la
forme de pilules ou cachets ingérables. En 2007, l’ONUDC estimait qu’entre 230 et 640
tonnes d’ATS étaient créées dans le monde dont une centaine de tonnes à base d’ecstasy. Une
cinquantaine de tonnes de pilules sont saisies chaque année. Comme le cannabis, les ATS
peuvent être virtuellement produits partout dans le monde à très faibles coûts. Apparues dans
les années 1990, ces drogues sont produites dans plus de 60 pays aujourd’hui, du fait d’une
58
VERLEUW C. (1999), Trafics et crimes en Asie Centrale et au Caucase, Criminalité Internationale –
Géographie criminelle, PUF
59
Appelée « yaa baa » en thaï, ou « drogue du rêve ».
30
demande accrue dans les pays occidentaux et dans l’Asie du Sud-est. Les ATS sont
caractérisés par la relative simplicité de fabrication dans de petits laboratoires, souvent
difficiles à repérer et générant des profits plus importants que les drogues organiques. Donner
une estimation mondiale du nombre de consommateur de ces drogues chimique est impossible
compte tenu de la taille de la production des cachets d’ATS.
Les ATS connaissent une naissance explosive à partir des années 1990. On peut penser
qu’on serait en présence d’un phénomène de reconversion de certains producteurs d’héroïne
ou tout simplement d’une diversification des productions et donc des sources de revenus : en
effet, les drogues de synthèses sont moins chères à produire et connaissent une explosion de la
consommation en 1996 suite à la hausse drastique du prix de l’héroïne. En réalité, il ne s’agit
pas d’une reconversion mais plutôt d’un repositionnement stratégique de la part des
narcotrafiquants par rapport à un marché en pleine expansion. Les années 1990 marquent une
recrudescence progressive et régulière du transit d’ATS en Chine, Laos, Vietnam et Inde. La
Chine, l’Indonésie, la Birmanie et les Philippines sont les principaux pays producteurs d’ATS
en Asie60 : ces pays permettent de répondre à une demande locale et régionale extensive. La
Birmanie est depuis les années 1990 l’un des principal fabriquant d’ATS en Asie61 : les
trafiquants situés à la frontière avec la Thaïlande et la Chine produisent chaque année des
millions de pilules d’ATS inondant le marché régional jusqu’en Inde. De nombreux
laboratoires mobiles installés en Birmanie le long de la frontière avec la Thaïlande ont été
décelés depuis quelques années62.
Les Philippines sont également un producteur d’ATS : les précurseurs chimiques utilisés aux
Philippines sont importés de Chine et d’Indonésie. Le pays est une zone de transit pour les
ATS à destination du Japon et d’Australie : les 36 000 km de côtes et les 7000 îles de
l’archipel permettent aux trafiquants de mener leurs opérations d’exportation sans risque
d’être interceptés. Les précurseurs chimiques circulent en faisant le chemin inverse des
drogues : les précurseurs chimiques formant la base des drogues de synthèses, ceux-ci doivent
être volés et acheminés vers les zones de production des ATS. Les laboratoires et entreprises
chimiques et pharmaceutiques légaux sont donc la cible principale des trafiquants et
producteurs d’ATS. Le secteur pharmaceutique industriel étant développé en Indonésie et
60
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008a), Annual Report 2008
Lui donnant le titre de « Ice Triangle », ice étant le nom anglais désignant les cristaux de méthamphétamines.
62
LABROUSSE A. (2004)
61
31
souffrant de contrôles assez laxistes, le pays est devenu une source majeure de précurseurs
chimiques nécessaires au raffinage de l’héroïne et la fabrication d’ATS63.
L’étude des espaces de production de drogues réalisée, il convient maintenant de
s’intéresser aux routes d’acheminement de la drogue afin de comprendre l’ampleur de la
géopolitique de l’offre de drogues.
II – Les routes de la drogue et l’interconnexion des réseaux de
distribution des stupéfiants
Les itinéraires du trafic de drogues transnationaux s’articulent autour de la Route des
Balkans, voie historique du trafic des opiacés, qui reste aujourd’hui la principale zone de
transit de toutes les drogues dans le monde. A partir de la Route des Balkans, un certain
nombre de ramifications permettent l’acheminement de la drogue depuis les espaces de
production, principalement la cordillère de la coca en Amérique Latine, le Triangle d'Or et
l’Afghanistan du Croissant d'Or. La diversification des itinéraires de la drogue est une preuve
de l’adaptation permanente des narcotrafiquants et font des routes illégales du trafic de
drogues des espaces mouvants en perpétuelle recomposition (voir Annexe 7). Il existe
plusieurs façons d’acheminer la drogue à destination des zones majeures de consommation :
-
cacher la drogue parmi des containers maritimes, routiers ou aériens de denrées
alimentaires ou de produits industriels : c’est la méthode la plus usitée car la moins
risquée et la moins coûteuse,
-
la faire transiter par l’intermédiaire de « mules », personnes payées pour avaler des
capsules contenant de la drogue qui seront récupérées par élimination naturelle,
-
utiliser des immigrants clandestins en leur fournissant de la drogue lors de leur
tentative de passage de frontière
Parmi tous les types de drogues disponibles sur le marché, seuls la cocaïne et l’héroïne sont
issus de filières transocéaniques : en effet, le cannabis et les ATS sont produits localement et
ne circulent que dans leurs régions géographiques respectives de production64. Si le cœur du
transit de la drogue se trouve le long de la Route des Balkans, il est d’abord nécessaire
d’acheminer la drogue depuis les espaces de production vers la Route des Balkans (A),
63
INCSR (2009), International Narcotics Control Strategy Report 2009, United States Department of State,
Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs, Vol. 1 & 2, Mars 2009
64
Les ATS fabriqués au Mexique et le cannabis colombien et mexicain restent sur le continent américain ; le
cannabis marocain n’est consommé qu’en Europe et les ATS produits en Asie et en Europe ne font que répondre
à une demande locale.
32
notamment depuis les espaces de production de l’Amérique Latine (B) ; du Triangle d'Or et
Croissant d'Or (C).
A. La Route des Balkans : l’itinéraire historique au cœur de l’Europe
La Route des Balkans est depuis les années 1970 le nom donné aux divers itinéraires
empruntés par les trafiquants d’opium partant de Turquie et traversant Bulgarie, Grèce,
Macédoine, Yougoslavie, Bosnie, Croatie et Slovénie, route utilisée depuis les années 197065.
Aujourd’hui, virtuellement toute la production mondiale de cocaïne et d’héroïne transbordée
au delà des frontières circule le long de cette route car la région des Balkans se caractérise par
une situation géographique au carrefour des grandes zones de production et de consommation
de stupéfiants66.
1. La structuration d’une route de la drogue particulière
Dans les années 1960, la majeure partie de l’héroïne consommée aux Etats-Unis
provient de la France et trouve son origine dans les champs de pavot turcs : c’est la « french
connection »67. Le démantèlement de cette filière historique dans les années 1970 implique
que la drogue passe désormais par les Balkans. L’apparition du Triangle d'Or et du Croissant
d'Or comme espaces de production majeurs de l’opium n’a fait que renforcer la place de la
Route des Balkans dans le trafic de drogues et fait progressivement perdre à la Turquie sa
place de premier producteur d’héroïne. L’ouverture de la route a permis une transformation
rapide des itinéraires de la drogue : en 2003, les quantités d'héroïne transitant par la Route des
Balkans étaient estimées à 3 tonnes par mois et près de 382 tonnes de cocaïne, 324 tonnes
d’opium et 591 tonnes d’ATS ont été saisis le long de la Route des Balkans en 200368.
La Route des Balkans a connu un regain de visibilité dans les années 1990 grâce à
l’accumulation des facteurs favorables au développement des activités criminelles dans la
région du fait de l’éclatement du bloc soviétique, offrant des frontières poreuses aux trafics.
Dans les années 1990, on assiste à une division du travail entre mafias turques et
65
MILETITCH N. (1998), Trafics et crimes dans les Balkans, Criminalité internationale – PUF
ROUDAUT M. (2006), Route des Balkans 2006 : des trafics toujours plus intenses vers l’Union Européenne,
Notes d’alerte MCC – Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines n°8 Octobre 2006
67
LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
68
PREZELJ I. et GABER M. (2005), Smuggling as a Threat to National and International Security: Slovenia
and the Balkan Route, Partnership for Peace Consortium of Defense – Academies and Security Studies Institutes
(PfPC), Athena Papers Series No. 5 December 2005
66
33
albanophones en matière d'héroïne : la production et le commerce de gros sont réservés aux
réseaux turcs et aux réseaux albanophones revient la charge du demi-gros et de la revente le
long de la route. La Route des Balkans connaît alors la diversification des points
d’approvisionnement et des itinéraires en Europe : les acteurs balkaniques bénéficient du
redéploiement du trafic avec la montée en puissance de la criminalité organisée albanophone.
La guerre en ex-Yougoslavie a autant joué le rôle de verrou que de stimulant aux itinéraires
de la Route des Balkans : les anciennes routes ont été fermées pour permettre l’éclosion de
nouvelles, court-circuitant le passage par la Serbie.
La Route des Balkans a fini par constituer un réseau de ramifications convergeant
toutes vers l'Europe occidentale et passant par « des axes plus ou moins occidentaux, centraux
ou orientaux en fonction du degré de pression exercé par les services répressifs de la
zone »69. A partir des années 2000, la Route des Balkans voit arriver les trafiquants
d’Amérique Latine qui considèrent la région comme une porte d’entée pour la cocaïne en
Europe : les réseaux colombiens et nigérians font également partis du décors et travaillent en
coopération avec la mafia albanophone afin d'assurer l'approvisionnement en cocaïne. La
cocaïne andine a fait son apparition sur la Route des Balkans, notamment ayant comme point
d’arrivée la Grèce et l’Espagne avant d’être distribuée dans le reste des territoires européens,
empruntant les mêmes itinéraires que l’opium.
2. Les itinéraires utilisés le long de la Route des Balkans
Les itinéraires de la Route des Balkans trouvent leurs sources en Asie mineure et
centrale auprès des foyers de production des opiacés que sont l’Afghanistan et la Birmanie.
Les réseaux criminels font ensuite remonter la marchandise illicite via des itinéraires variés
depuis les ports turcs vers les ports de la mer Noire à destination de la Russie et de l'Europe
occidentale. Dès qu’un itinéraire est bousculé par des contrôles ou la présence accrue des
forces de l’ordre, de nouvelles routes s’ouvrent : la porosité des frontières alliée à
l’ingéniosité des trafiquants permettent aux produits illégaux de passer quoi qu’il advienne70.
Les itinéraires principaux de la Route des Balkans sont au nombre de trois :
-
la route directe des Balkans historiques reliant Istanbul – Salonique (Grèce) – Skopje
(Macédoine) – Nis et Belgrade (Serbie) – Zagreb (Croatie) – Ljubljana (Slovénie) –
69
70
ROUDAUT M. (2006)
PREZELJ I. et GABER M. (2005)
34
Autriche/Italie – Allemagne/Pays Bas/Suisse/France. Cette route a été coupée entre
1991 et 1995 à cause de la guerre en ex-Yougoslavie
-
l’itinéraire de déviation avec la route du sud reliant Turquie – Athènes/Salonique –
Italie (Bari, Ancône, Trieste) avec un passage accru par l’Albanie à partir de 1994
-
la route du nord ou « couloir danubien » reliant Turquie – Bulgarie – Roumanie –
Hongrie – Slovaquie – Tchéquie – Autriche/Allemagne.
La route historique des Balkans constituée par l'axe est/ouest s'est donc dédoublée depuis les
conflits en ex-Yougoslavie sous la forme de ces deux axes complémentaires (voir Annexe 8).
L’opium et le cannabis transitent dans le sens indiqué alors que l’héroïne et les précurseurs
chimiques nécessaires à la fabrication des ATS transitent dans le sens inverse mais en
conservant globalement les mêmes itinéraires.
A partir des espaces de production de l’opium, on peut distinguer deux principales
voies d’accès qui relient la Route des Balkans71 :
-
une route allant de l’Iran ou le Pakistan par l’intermédiaire du port de Karachi vers la
Turquie puis rejoignant la Route des Balkans
-
la « route de la Soie » au nord passant par le Tadjikistan, le Kirghizstan ou
l’Ouzbékistan, puis rejoint la Route des Balkans par l’intermédiaire de l’Ukraine ou la
Russie
En Russie, autre point focal de la Route des Balkans, la drogue rentre via la frontière avec le
Kazakhstan, la Géorgie et l’Azerbaïdjan72. Au travers du Caucase, la route Bakou-Rostov
représente une « autoroute » de la drogue à travers l’Azerbaïdjan et le Daguestan. La
Turquie possède une position géographique idéale comme pays de transit de référence pour le
conditionnement de la drogue sur la Route des Balkans. La ville de Belgrade est le principal
carrefour balkanique et un point de passage obligé des itinéraires illicites. Le Kosovo et la
Macédoine possèdent une situation carrefour sur la Route des Balkans. Quant à la Grèce, le
développement de son réseau bancaire en fait, comme le reste de la zone, un espace de
blanchiment de l'argent des trafics balkaniques (voir Annexes 8 et 10).
Chaque route possède des avantages et des désavantages comparatifs selon les acteurs
présents dans le trafic, les drogues distribuées et la présence ou non de forces de l’ordre aux
frontières. A titre d’exemple, la frontière entre la Russie et le Kazakhstan, longue de 7500
71
GOLUNOV S. (2005), Drug Trafficking as a Challenge for Russia’s Security and Border Policies, CPS
International Policy Fellowship Program
72
Ibid.
35
km73, offre de nombreux avantages pour les narcotrafiquants de la route de la Soie souhaitant
rejoindre la Route des Balkans par le couloir danubien, étant donné la quasi-inexistence des
contrôles frontaliers entre les deux pays. Aux flux de stupéfiants s'ajoutent les trafics d'armes,
de véhicules volés, de cigarettes ou de contrefaçons ainsi que la traite des êtres humains et
l'immigration clandestine. La Route des Balkans, plus particulièrement l’espace balkanique,
est désormais caractérisée par une polycriminalité intense. Mais si le cœur du transit de la
drogue se trouve le long de cette route, il est d’abord nécessaire d’acheminer la drogue depuis
les espaces de production vers la Route des Balkans, notamment depuis les espaces de
production de l’Amérique Latine.
B. Les routes de la cocaïne depuis l’Amérique Latine
La cordillère de la coca exporte la quasi-totalité de sa production de cocaïne entre les
Etats-Unis depuis les années 1970 et l’Europe depuis les années 1990. Il existe donc deux
principales routes de trafic de la cocaïne au départ direct des pays producteurs : de la région
andine, la drogue passe par le Mexique puis vers sa destination finale, les Etats-Unis. Afin de
relier la Route des Balkans, la cocaïne provenant d’Amérique Latine doit utiliser au préalable
des routes de transit lui permettant d’arriver en Europe, via l’Espagne ou la Grèce.
1. Les routes d’acheminement vers les Etats-Unis
L’ONUDC estime que près de 90% de la cocaïne destinée au marché américain
transite par l’intermédiaire de l’Amérique centrale et du Mexique. La cocaïne produite en
Colombie atteint les Etats-Unis par le Mexique, soit par « speed boats » (ces bateaux ultrarapides que possèdent les narcotrafiquants) soit par l’intermédiaire de la Bolivie, du
Venezuela, de l’Equateur ou du Panama74 et 20% du transit de la cocaïne passe par les
Caraïbes75. Traditionnellement depuis les années 1990, les routes d’exportations sont
structurées autour de « faisceaux » principaux au départ de la Colombie76. En premier lieu, le
transit terrestre est le plus actif : il est tenu par les cartels colombiens qui produisent et
vendent en gros et les cartels mexicains qui assurent la distribution. La cocaïne au départ de
73
En faisant la frontière terrestre la plus longue du monde.
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009d)
75
DELER J.-P. et al. (2003), Le bassin des Caraïbes : interface et relais entre production et consommation de
drogues, Mappemonde n°72, 2003.4
76
Ibid.
74
36
Colombie est acheminée vers les États-Unis pour partie par la route Panaméricaine, colonne
vertébrale du trafic. Du Mexique, la drogue passe la frontière américaine en camion et inonde
ainsi les États américains du sud avant de s’étendre à l’ensemble du territoire. Depuis la
désarticulation des cartels de Medellin et Cali dans les années 1990, les narcotrafiquants ont
privilégié le corridor de l’isthme pour des raisons de sécurité au prix de lourds prélèvements
par les cartels mexicains représentant jusqu’à 50% de la quantité de drogue en transit. Afin
d’éviter ces prélèvements, les colombiens empruntent désormais des itinéraires plus sûrs :
ainsi le trafic par les routes antillaises est en forte croissance (voir Annexe 9).
Les portes de sortie et les points d’appui de la cocaïne entre la zone de production et
les centres de consommation sont nombreux. Le Mexique joue le rôle de gigantesque entrepôt
de toutes les drogues à destination des États-Unis. Depuis la Bolivie, la destination de la
drogue est principalement l’Argentine, le Chili, le Brésil et le Paraguay avant d’être
transbordée vers les États-Unis. Depuis le Pérou, des quantités importantes de cocaïne se
retrouvent acheminées au Brésil et en Argentine77. Les grandes Antilles joue le rôle de
stockage et de transit avec la Jamaïque, Haïti et les Bahamas. L’archipel de Cuba et ses 4000
îles joue le rôle de relais de la drogue par l’intermédiaire des speed boats qui accostent la côte
américaine en Floride. Haïti demeure l’une des pièce maîtresse du dispositif colombien dans
les Antilles : la moitié de la cocaïne transitant par les Antilles passe par Haïti78. Porto Rico est
souvent la dernière escale des drogues avant leur introduction sur le marché américain, étant
donné que l’île possède un statut d’État libre associé aux États-Unis. Les routes employées
par le cannabis mexicain passent directement aux États-Unis en utilisant les mêmes circuits
que la cocaïne ou reste sur place pour répondre à la demande local. Quant à l’héroïne produite
en Amérique Latine79, elle circule de la même manière que la cocaïne. Ainsi, peu de pays
d’Amérique Latine sont épargnés par le trafic de drogues : les routes d’acheminement vers les
États-Unis sont donc nombreuses et mouvantes, permettant d’irriguer facilement le territoire
nord-américain.
77
INCSR (2009)
DELER J.-P. et al. (2003)
79
Mexique, Colombie, Guatemala et Pérou (ONU RAPPORT 2009)
78
37
2. Les routes d’acheminement de la cocaïne vers l’Afrique et l’Europe
La majeure partie de la cocaïne importée de la cordelière de la coca est consommée en
Europe et ne dépassera pas les frontières de l’Europe de l’Est. La route des Balkans est donc
en sens unique en ce qui concerne la cocaïne. Les Antilles, notamment les îles les plus
proches des zones de production, avec Trinidad et Tobago, Margarita ou San Andres sont des
lieux stratégiques pour l’exportation transocéanique de la cocaïne : selon Deler, « la
fragmentation des espaces microinsulaires fait de l’arc des petites Antilles un acteur
incontournable depuis une dizaine d’années »80.
L’Afrique est devenu depuis quelques années une nouvelle plaque tournante du trafic
de cocaïne andin à destination de l’Europe : la cocaïne provenant de Colombie transite par le
Brésil et rejoint l’Afrique cachée dans des containers de denrées alimentaires ou de produits
industriels à destination des ports d’Afrique de l’Ouest au Cap Vert, Guinée, Mali, Guinée
Bissau, Ghana, Togo, Bénin, Gambie et au Nigeria, véritable plaque tournante régionale. Il est
possible d’identifier trois routes principales de l’acheminement de cocaïne en Europe par
l’intermédiaire de l’Afrique de l’Ouest81 :
-
la route du Nord menant des Caraïbes vers les Açores puis le Portugal et l’Espagne
-
la route centrale menant directement des espaces de production andins vers les ports
internationaux sud-américains, notamment le Brésil et le Venezuela, vers le Cap Vert
-
la « route africaine », nouvelle route ayant émergé dans les années 1990 lors de la
réorientation de la filière de la cocaïne en Afrique : la drogue arrive par cargo dans les
ports des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest avant d’être acheminée par les gangs
nigérians dans le reste de l’Afrique, principalement l’Afrique du Sud et l’Europe (voir
Annexe 21)
La route transatlantique empruntée pour la cocaïne à destination de l’Europe et de
l’Afrique relie la Colombie au Brésil par le Venezuela. Une autre route existe par l’océan
pacifique afin d’approvisionner l’Asie mais il ne représente qu’une fraction infime du trafic.
Les Balkans sont un des point d’entrée majeur de la cocaïne sud-américaine en Europe, la
multiplication des saisies dans la région faisant foi82 : la cocaïne arrive le plus souvent par
80
DELER J.-P. et al. (2003)
ANDRES A. de (2008), West Africa under attack : drugs, organizes crime and terrorism as the new threast to
global security, UNISCI Discussion Papers, Nº 16 nero / January 2008
82
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008b), Crime and its impact on the Balkans and
affected countries, Mars 2008
81
38
bateaux dans le port de Kopper en Slovénie ou par l’intermédiaire de voyageurs dans les
aéroports de Ljubljana et de Maribor (voir Annexe 10).
C. Les routes des stupéfiants depuis l’Asie et le Moyen-Orient
Le Triangle d'Or et le Croissant d'Or exportent la majeure partie de leur production
d’opium vers l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. Pour les drogues de synthèse, le trafic revêt
une complexité supplémentaire : si les ATS asiatiques suivent globalement le même sens de
distribution que l’opium, les précurseurs chimiques transitent dans le sens inverse c'est à dire
des pays producteurs de précurseurs vers les espaces de production de la drogue.
1. Les routes de l’héroïne à partir du Triangle d'Or
Du Triangle d'Or, plus précisément de Birmanie, l’opium et l’héroïne sont acheminés à
destination du sud-est asiatique, notamment la Chine, et de la région océanique, surtout
l’Australie. Six pays liés au trafic représentent la périphérie du Triangle d'Or : Bangladesh,
Inde, Chine, Vietnam, Cambodge, Malaisie, voisins directs et premiers pays concernés par le
narcotrafic (voir Annexe 11). La Thaïlande est le plus important pays de transit régional : elle
réceptionne l'héroïne de Birmanie et du Laos et en fabrique aussi elle-même dans des
laboratoires situés sur la frontière birmane83. L'héroïne est expédiée vers les Etats-Unis à
partir de Bangkok et une deuxième partie transite vers la Malaisie et l'Indonésie. L’émergence
d’itinéraires de contournement de la Thaïlande constitue une réelle échappatoire aux contrôles
dans les années 1990 à cause de la multiplication des postes de contrôle thaïlandais le long
des frontières avec le Laos et le Cambodge. Ceci a provoqué une complexification des
réseaux. Depuis quelques années le Laos voit ses routes terrestres et fluviales du Mékong
drainer un trafic en constante augmentation : ses routes vers la Thaïlande mais aussi vers le
Vietnam et le Cambodge sont de plus en plus utilisées par des trafiquants qui cherchent à
éviter le durcissement de la lutte antidrogue menée par la Thaïlande le long de sa frontière
birmane. Un des axe majeur du trafic de drogues illicites d’origine birmane entrant en
Thaïlande se situe donc désormais dans le nord-est de ce dernier pays, le long de la frontière
laotienne.
83
DASSE M. (1991), Les réseaux de la drogue dans le Triangle d’Or, Cultures et conflits n°3/991
39
Les Philippines tendent à devenir une plaque tournante mondiale pour toutes les
drogues expédiées aux Etats-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. Les Philippines se
mettent elles-mêmes à la culture de la marijuana : le pays pourrait bientôt se transformer en
une sorte de Colombie, les groupes de la drogue disposant d'armes lourdes, d'hélicoptères et
possédant finalement un « pouvoir politique, guerrier et financier suffisant pour contrer le
gouvernement »84.
La Chine est aujourd’hui la principale voie d’exportation de l’héroïne birmane ainsi
qu’un axe significatif du trafic de méthamphétamine, les saisies chinoises d’héroïne birmane
comptant pour 90 % de celles d’origine sud-est asiatique85. Les provinces de Guangdong et du
Fujian sont des points de transit majeurs pour faire rentrer et sortir la drogue86. La province du
Yunnan connaît une filière de la drogue partant de Canton pour Taiwan et Hong Kong : cette
province est un axe privilégié depuis la réouverture du commerce frontalier entre Chine et
Birmanie en 199287.
2. Les routes de l’héroïne à partir du Croissant d'Or
Chaque année, un tiers de l’héroïne afghane non-saisie est exportée en Europe, un
autre tiers en Asie centrale et le reste de la production est soit consommée sur place, soit
expédiée en Afrique et sur le continent nord-américain88. Les commerçants en opium utilisent
depuis le XIXème siècle des pistes caravanières des régions frontalières d’Afghanistan,
d’Iran, du Pakistan, des zones tribales pakistanaises et du Baloutchistan . On peut dénommer
deux routes principales depuis l’Afghanistan :
-
une route du sud reliant Turkménistan – Tadjikistan/Ouzbékistan – mer Caspienne –
Azerbaïdjan/Daguestan – Géorgie pour atteindre une vingtaine de ports sur la Mer
Noire (Batoumi, Soukhoumi, Sotchi…)
-
une route du nord reliant Kazakhstan – Ukraine et/ou Russie (voir Annexe 12)
Plus des deux tiers de l’opium et de l’héroïne fabriqués en Afghanistan n’atteindront jamais la
Route des Balkans mais seront distribués dans les pays frontaliers à l’Afghanistan et les pays
du Moyen-Orient, notamment l’Iran, le Pakistan, les pays d’Asie centrale, les Philippines, la
Chine et l’Inde. Ce marché, représentant plus de 5 millions de consommateurs, est beaucoup
84
Ibid.
CHOUVY P.A. (2004b)
86
INCSR (2009)
87
L’amélioration du réseau routier est une aubaine pour les narcotrafiquants…
88
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009e)
85
40
plus important que les 1,4 million de consommateurs d’Europe centrale et de l’ouest. Malgré
tout, les marchés européens et américains sont fortement plus lucratifs pour les
narcotrafiquants étant donné la distance pour rejoindre ces marchés et le passage de
nombreuses frontières étatiques qui apportent toujours plus de valeur ajoutée à la
marchandise. Pour exemple, un kilogramme d’héroïne birmane coûte 1000 dollars lorsqu’il
quitte le pays et passe à 50 000 dollars au kilo dès son arrivée sur le territoire américain.
La majeure partie de l’héroïne manufacturée en Afghanistan passe la frontière
iranienne avant d’être acheminée soit dans la région soit vers la Route des Balkans via les
nouvelles Républiques d’Asie centrale. Les trafiquants d’opium afghan transitent également
par les zones tribales pakistanaises afin de faire passer la drogue dans la région par
l’intermédiaire des réseaux de narcotrafiquants de la région de Peshawar, d’une part, et via le
Baloutchistan, d’autre part. Depuis le Baloutchistan et les zones tribales pakistanaises,
l’exportation de l’héroïne se fait par voie terrestre via le Pendjab, le Rajasthan et le désert de
Thar89. Du Pakistan, des flux contraires de précurseurs chimiques nécessaires à la fabrication
d’héroïne pénètrent en Afghanistan, comme les armes le faisaient durant la guerre soviétoafghane, via, entre autres, le poste-frontière de Torkham, entre la Khyber Pass et Jalalabad.
Cette route qui relie Kaboul à Peshawar90 est l’une des plus importantes voies du narcotrafic
entre les deux pays. Chaque année, 1300 tonnes de précurseurs chimiques sont nécessaires au
raffinage de l’héroïne afghane91 : l’Afghanistan ne produisant pas de précurseurs, ceux-ci sont
nécessairement expédiés depuis les pays alentours, notamment l’Inde et le Pakistan92.
L’anhydre acétique, précurseur nécessaire à la transformation de la pâte base d’opium en
héroïne, transite également dans les Balkans à destination des laboratoires clandestins mobiles
en Afghanistan : plusieurs tonnes de produits chimiques sont saisis par les autorités chaque
année dans les Balkans, indiquant que la Route des Balkans fonctionne dans les deux sens.
Le Kazakhstan, Tadjikistan, Turkménistan et l’Ouzbékistan sont des pays attractifs
pour le transit de l’opium afghan vers la Route des Balkans : situés entre les espaces de
consommations européens et les espaces de production du Triangle d'Or et du Croissant d'Or,
les vastes régions frontalières de ces pays en font des zones de transit de choix pour
l’exportation de la drogue93, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan ayant une frontière
89
CHOUVY P.A. (2002)
Surnommée la « Grand Trunk Road »
91
Notamment l’anhydre acétique, le chlorure d’ammonium, l’acide chlorhydrique et sulfurique et l’acétone
92
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009e)
93
OLCOTT M.B. et UDALOVA N. (2000)
90
41
commune avec l’Afghanistan. Ces pays sont également des zones d’implantation des
laboratoires de transformation de l’héroïne, du fait de leur frontière avec l’Afghanistan et leur
proximité avec le Pakistan. De nouvelles routes semblent s’ouvrir à partir d’Afghanistan et du
Pakistan vers la Chine : alors qu’auparavant, l’opium trouvé en Chine provenait du Myanmar,
l’explosion de la culture illicite de pavot à opium en Afghanistan offre de nouveaux
débouchés en Chine face à une offre birmane déclinante et moins compétitive.
Il convient à présent de s’intéresser aux aires de « production » et d’acheminement des
deux autres produits illégaux les plus consommés dans le monde : les armes à feu et les êtres
humains.
Section 2 – Géopolitique de l’offre d’armes à feu illégales
et zones grises du trafic d’êtres humains
Le trafic d’armes légères et de petits calibres représente le marché illégal transnational
le plus lucratif après le trafic de drogues : le trafic d’armes s’est accéléré avec la fin de la
Guerre froide à la fois à cause de l’augmentation des stocks d’armes disponibles et de
l’augmentation de la demande94. Le trafic d’êtres humains remporte la troisième place des
trafic transnationaux les plus lucratifs après le trafic de drogues et le trafic d’armes : les zones
grises du trafic d’êtres humains possèdent néanmoins une rationalité supplémentaire en ce
qu’elles touchent à un bien fondamentalement non marchand, l’Homme. Que ce soit la
contrebande d’immigrés clandestins ou la traite des êtres humains pour prostitution ou travail
forcé, les routes empruntées par les trafics d’humains répondent à la logique économique des
zones grises. Ces deux trafics répondent, tout comme le trafic de drogues, à une logique
économique d’offre et de demande dépendant des besoins de financement des acteurs illégaux
implantés au cœur des zones grises. Afin de saisir l’ampleur de la géopolitique de l’offre des
produits illégaux dans le monde, il conviendra d’étudier la rationalité économique du trafic
d’armes à feu (I) et du trafic d’êtres humains (II).
94
LUMPE L. (2000), Running Guns. The global black market in small arms, Zed Books
42
I – Le trafic d’ALPC dans le monde
La définition du terme « Armes Légères et de Petit Calibre » ou ALPC retenue par
l’Union Européenne représente les « armes de petits calibres et accessoires spécialement
conçus pour un usage militaire (mitrailleuses, mitraillettes, fusils automatiques et semiautomatiques) ; les armes légères portables individuelles ou collectives (canons, obusiers et
mortiers d’un calibre inférieur à 100mm, lance-grenades, armes antichars légères, armes
sans recul de type lance-roquette) ; et les missiles antichars et antiaériens (missiles antichars
et lanceurs, missiles antiaériens/systèmes de défense aérienne portables de type
Manpads) »95. Les ALPC sont particulièrement recherchées dans les conflits armés car elles
sont peu coûteuses, disponibles en très larges quantités, simples d’utilisation, durables,
portables et facilement dissimulables96. On appelle détournement ou contrebande d’armes le
« transfert de biens d’un partie à un autre délivré à un destinataire final non autorisé ou
utilisé à des fins non autorisées »97. Les sources des armes à feu pour usage illégal sont
duales : soit on utilise le détournement des armes, ce qui implique des transferts d’armes d’un
pays à un autre contrôlé par un courtier – ou « broker », sorte de jonction entre vendeur et
consommateur – qui aura préalablement acheté les armes à un vendeur illégal présent dans les
zones grises. Soit on fait appel au marché noir des armes à feu, c’est un espace marchand
localisé dans un pays dans lequel on peut acheter illégalement des armes détournées et tenu
par des vendeurs, qu’ils soient entrepreneurs ou membres du crime organisé. La contrebande
d’armes s’est professionnalisée depuis la fin de la Guerre froide : courtiers, agents de
transport et compagnies écrans se partagent ainsi le vaste monde du trafic d’armes. 639
millions d’armes légères circulent dans le monde soit une pour dix personnes, produites par
plus de 1000 sociétés dans au moins 98 pays98. Il reste malgré tout impossible de déterminer
avec précision l’ampleur du trafic d’ALPC dans le monde car les pays possédant les stocks
majeurs d’armes – c'est à dire l’URSS et l’Afrique – ne tenaient pas de livres de compte du
nombre d’armes à feu disponibles. Le Sipri évalue le commerce illégal mondial des armes
95
Action commune du Conseil Européen relative à la contribution de l’Union européenne à la lutte contre
l’accumulation et la diffusion déstabilisatrices des armes légères et de petit calibre du 12 Juillet 2002
96
STOHL R. et SMITH D. (1999), Small Arms in Failed States: A Deadly Combination, Failed States and
International Security Conference, April 8-11, 1999
97
SMALL ARMS SURVEY 2008, Graduate Institute Programme for Strategic and International Security
Studies (PSIS), Genève
98
KOZYULIN V. (2004), Conventional Arms Transfers. Illicit Arms Trade: An Overview and Implications for
the Region
43
dans une fourchette allant de 38 à 43 milliards de dollars ce qui représenterait entre 0,5 et 0,6
% des échanges commerciaux mondiaux99.
La problématique majeure de la question du trafic des armes à feu est celui des stocks
d’armes et de munitions laissés à l’abandon à cause de bouleversements politiques dans les
anciennes démocraties populaires soviétiques, de la perte de pouvoir de l’Etat au Cambodge
et en Russie ainsi que du manque de régulation dans les chaînes de production dans certains
pays comme l’Irak. L’effondrement militaire des Etats en Europe de l’Est et en Afrique après
la Guerre froide a offert les conditions les plus favorables pour le détournement d’armes à feu
et de munitions, permettant la dispersion des armes dans la société à cause de la faiblesse des
institutions de sécurité de l’Etat comme cela a été le cas au Libéria, en Somalie, ou en Albanie
après la chute de l’URSS. Ces Etats100 sont autant de zones grises des armes qui alimentent à
la fois les routes de trafics illicites et la conflictualité internationale. Plus d’un tiers du
commerce des ALPC aurait lieu par l’intermédiaire de réseaux illicites : comme tout produit
illégal, les armes à feu utilisent des routes de trafic diversifiées et répondent à une logique
économique semblable. Il est possible de dégager des circuits mondiaux de transit des armes
(A). Malgré tout, la filière des armes dans le monde répond à une logique mouvante en pleine
transformation qui fait également la part à de nouvelles logiques dans la production d’armes
(B).
A. Le marché noir et la contrebande d’armes dans le monde
Il n’existe pas de « grand marché » des armes dans le monde mais plutôt une multitude
de sources d’approvisionnement qui rendent compte d’une parcellisation du trafic d’ALPC,
même si les Balkans font office depuis les années 1990 de « réservoir d’armes » mondial. Les
aires d’approvisionnement en armes légères sont des espaces marchands localisés dans
lesquels on peut acheter illégalement des armes ou bien directement se fournir « à la source »
c'est à dire auprès de stocks militaires laissés à l’abandon. La fin de la Guerre froide, qui a
provoqué l’éclatement des démocraties populaires, a occasionné l’ouverture des stocks
d’armes de l’Armée Rouge dont la plupart se sont retrouvés sans surveillance et à la
disposition des civils et des marchands d’armes. Un véritable marché noir des ALPC d’une
99
SIPRI YEARBOOK 2009, Armaments, disarmament and international security, Stockholm International
Peace Research Institute
100
On pourra ainsi cite l’Afghanistan, l’Abkhazie, la Transnistrie, le Kosovo, l’Albanie, le Burundi, le
Bangladesh, le Tchad, le Yémen, le Pakistan, et le Cambodge (KOZUYLIN).
44
ampleur inégalée s’est donc formé sur les ruines de l’URSS. Au sein de ce marché noir, les
vendeurs d’armes – entrepreneurs privés ou membres du crime organisé – côtoient les
« consommateurs » c'est à dire les groupes terroristes et le crime organisé. Des
« supermarchés des armes » ont donc fleuri autour des principales zones de conflits postGuerre froide101. La combinaison entre la large disponibilité des armes à feu en Europe de
l’est, la faiblesse des contrôles dans les pays possédant ces stocks et le manque de
surveillance aux frontières sont autant de facteurs permettant la continuité du marché des
armes à feu et l’utilisation de routes de trafic toujours plus diversifiées102. L’ex-URSS est
donc devenu le « paradis » des consommateurs d’ALPC. Deux logiques prévalent dans la
filières des ALPC comme principaux fournisseurs d’armes dans le monde : le marché noir et
la contrebande d’armes, possédant deux rationalités différentes.
1. L’ex-URSS : vaste entrepôt d’armes à l’abandon et point d’origine des
routes de contrebande
Après la chute de l’URSS, la plupart des anciennes démocraties populaires
nouvellement indépendantes se sont retrouvées avec des stocks d’armes militaires de l’Armée
Rouge en quantité monumentale. La rupture du Pacte de Varsovie a également mis fin à la
production d’armes du complexe militaro-industriel soviétique, abandonnant par la même
occasion usines et entrepôts d’armes qui se sont retrouvés sans surveillance103. Les Balkans se
sont retrouvés au cœur du marché noir des armes à feu grâce au détournement quasi-total des
stocks d’armes soviétiques : par exemple en Albanie, près d’un million d’ALPC ont disparu
des entrepôts de l’Armée Rouge fin 1991 pour se retrouver disséminés dans les zones de
conflits locaux. Plus de 900 000 ALPC seraient à la disposition des civils en Serbie depuis la
fin de la Guerre froide et près de 2,5 millions de tonnes de munitions ont été placés à la
disposition de qui voulait bien les récupérer. De nombreux cas de « recyclage » des armes à
feu soviétiques dans les zones de conflits post-Guerre froide et leur pénétration dans le
marché noir prouvent que la gestion de stocks en ex-URSS était inexistante104. Les Balkans et
les anciennes démocraties populaires sont devenus un entrepôt géant d’ALPC : le fleuron des
101
PREZELJ I. et GABER M. (2005)
MCLEAN A. et al. (2007), Enhancing EU Action to Prevent Illicit Small Arms Trafficking, United Nations
Institute for Disarmament Research
103
Ibid.
104
PYADUSHKIN M. et al. (2003), Beyond the Kalashnikov: Small Arms Production, Exports, and Stockpiles
in the Russian Federation, Small Arms Survey Occasional Paper n°10 – Août 2003
102
45
produits d’exportations russe, la mitraillette AK-47, était alors vendue au kilo105 à des prix
défiants toute concurrence. L’éclatement de l’Albanie en 1997 a provoqué la « disparition »
de près d’un millions d’armes à feu et 1,5 million de munitions dans les dépôts nationaux dont
environ 30% ont servis à alimenter les groupes rebelles en ex-Yougoslavie. On estime que
moins de 10% des armes volées ont été aujourd’hui restituées106. En Serbie, 3 millions
d’armes sont en circulation dont deux tiers non enregistrées107. Des pays comme la Tchéquie,
la Slovénie, la Slovaquie, la Pologne et la Croatie ont également connu un pillage
systématique des stocks d’armes soviétiques, faisant de ces pays des zones de transit des
ALPC à la fin de la Guerre froide.
Ce pillage systématique des casernes et des entrepôts militaires suite à l’insurrection
albanaise et la guerre en ex-Yougoslavie a permis d’alimenter les groupes armés présents dans
la région. La prise en charge des armes se fait directement « à la source » auprès des vendeurs
d’armes qui se sont fait les responsables des stocks. Ce sont surtout les groupes criminels
albanophones et croates qui se sont chargés du rôle d’intermédiaire entre les stocks d’armes et
la revente aux « consommateurs »108 car le crime organisé local s’est très rapidement structuré
autour de ces stocks, y voyant une manne financières supplémentaire. Les ALPC ont nourri le
crime organisé local ainsi que les groupes terroristes présents en Europe.
Les armes à feu dérobées dans les espaces de stockage soviétiques circulent beaucoup
tout au long de leur durée de vie : il n’est pas rare que les mêmes stocks d’armes à feu
soviétiques se retrouvent sur plusieurs théâtres de guerre à la fois . La porosité des frontières
en Afrique et le manque de surveillance des importations ont permis une circulation rapide
des armes à feu soviétiques. Une fois que les armes sont rentrées dans le marché noir, cellesci sortent de tout contrôle gouvernemental et peuvent librement être re-exportées à n’importe
quel client tout au long de la durée de vie de l’arme109. A partir des stocks des anciennes
démocraties populaires, notamment l’ex-Yougoslavie, les armes empruntent deux routes
principales en Europe : à travers la mer Adriatique vers l’Italie et à travers la Slovénie ou
l’Autriche à destination de l’Allemagne. Les armes circulant de cette manière à travers
105
SAGRAMOSO D. (2001), The proliferation of illegal small arms and light weapons in and
around the European Union: Instability, organised crime and terrorist groups, Centre for Defence Studies,
Kings College, University of London, Juin 2001
106
MILETITCH N. (1998)
107
CAHIERS DE LA SECURITE (2009), Les organisations criminelles, Cahiers de la sécurité n°7 – JanvierMars 2009, INHES
108
SAGRAMOSO D. (2001)
109
MARSH N. (2002), Two Sides of the Same Coin? The Legal and Illegal Trade in Small Arms, The Brown
Journal of World Affairs, Spring 2002 – Volume IX, Issue 1
46
l’Europe ont pour destination les théâtres de conflits armés en Afrique ou en Asie : ces routes
de contrebande sont la preuve que le crime organisé responsable des stocks opère un
commerce transnational sans l’intermédiaire d’un courtier en arme.
2. La contrebande d’armes à feu dans le monde
Depuis les années 1990, un véritable circuit mondial des armes s’est progressivement
mis en place, structuré autour des vendeurs d’armes à cheval dans les zones grises des ALPC
et de courtiers en armes responsables de l’exportation de ces armes sur les théâtres de guerre
étrangers. On rentre désormais dans une logique de contrebande des armes et non plus du
marché noir : afin de faire transiter ces armes, des acteurs spécifiques sont présents au sein
des marché noirs et sont en charge de la réalisation de la contrebande transnationale des armes
à feu. Ce sont ces courtiers en armes ou « brokers » qui sont en grande partie responsables de
l’afflux d’armes à feu dans les théâtres de conflits mondiaux depuis la fin de la Guerre froide.
Les courtiers, ou « brokers », sont des intermédiaires qui organisent le transfert d’armes entre
plusieurs parties : ils font essentiellement la jonction entre acheteurs et vendeurs et prennent
une commission dans la réalisation du transfert. Ces acteurs de la contrebande d’armes ne sont
pas des « marchands d’armes » dans le sens où ils ne sont pas des détaillants ou des
commerçants de gros110. Ils utilisent des techniques de trafic via des pays tiers afin d’éviter les
législations nationales et internationales. Les cargaisons sont bien entendu expédiées par
avion cargo privé ou plus rarement sur des vols marchands.
A partir du moment où une guérilla devient suffisamment puissante pour s’approprier
une partie du territoire d’un Etat, elle aura besoin de renforcer son arsenal111 : les courtiers en
armes sont donc là pour faire le lien entre vendeurs de matière première et ces
« consommateurs ». C’est ce qui s’est précisément passé en Afrique sub-saharienne à partir
des années 1990, le continent étant un véritable paradis pour les courtiers à cause d’une
demande toujours plus importante et du manque de contrôle frontalier terrestre et aérien.
Marchands privés agissant comme intermédiaires ou facilitant les transactions d’armes, ils
sont la « charnière entre le licite et l’illicite »112 : l’action de ces intermédiaires s’est
particulièrement développée dans le commerce des armes légères et de petit calibre vers des
110
LUMPE L. (2000)
Ibid.
112
VALVERDE B. (2004), Le trafic illicite d’armes légères, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Ecole
Normale Supérieure, Septembre 2004
111
47
zones de conflit souvent soumises à des restrictions prescrites par l’ONU. La vente d’armes
transnationale implique des connaissances certaines en terme d’organisation, de finance et de
passage des frontières : de véritables entreprises illégales de la contrebande d’arme se
structurent lors du passage d’un contrat de courtage en armes. Des officiels doivent être
achetés, des faux documents créés pour donner une apparence légale aux cargaisons113, des
transporteurs et pilotes doivent être payés pour leurs services et leur discrétion. Encore une
fois, une vraie logique économique et financière est en marche : un courtier en arme a donc
toutes les apparences d’un homme d’affaire expérimenté114. Leur caractéristique tient à leurs
réseaux organisés de transporteurs, d’agents financiers, de comptables et autres personnels
capables de remonter jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir étatique et de s’articuler avec
les circuits internationaux de crime organisé. L’obtention de licences commerciales et de faux
documents permet de faire transiter les armes sous couvert d’une apparence parfaitement
légale115. Le courtage peut se décliner sous deux aspects : les transactions où interviennent les
activités d’achat et de vente, le courtier devenant légalement propriétaire des armes ; et les
transactions d’intermédiaires, le courtier n’acquérant pas lui-même le matériel.
En plus du marché noir des ALPC et de la contrebande par l’intermédiaire de
courtiers, de nouvelles tendances en matière d’offre d’armes illégales apparaissent depuis
plusieurs années
B. Les nouvelles tendances dans l’offre d’armes illégales
Les circuits des armes recoupent dans la plupart des cas les routes de la drogue et des
autres produits illégaux transnationaux116, en en faisant des biens circulant partout dans le
monde. Plus préoccupant encore, de nouvelles formes de trafic d’armes sont apparues depuis
plusieurs années : la production « maison » d’armes à feu et la tendance actuelle à la
substitution de la monnaie par des biens marchands hautement lucratifs lors d’un trafic
d’armes.
113
Notamment les fameux « certificats de destination finale » (ou End-User Certificates) qui garantissent un
point de livraison final aux cargaisons d’armes, point factice qui permet de donner une apparence légale au trajet
aérien.
114
MARSH N. (2002)
115
INTERNATIONAL CRIME THREAT ASSESSMENT (2000)
116
KOZYULIN V. (2004)
48
1. Une offre d’ALPC renouvelée
L’offre et la demande en armes à feu n’ont jamais été un problème en Afrique en
raison des guerres civiles endémiques et les conflits intra-étatiques. La disponibilité, la
distribution et le trafic des armes légères en Afrique semblent montrer à quel point le manque
de régulation et de contrôle sur les armes à feux exportées par les Etats et les transferts
indirects permettent une grande perméabilité des échanges informels d’armes à feu en
Afrique117. Les sources des ALPC en Afrique sont diverses : vente transnationale depuis les
stocks soviétiques, vente par d’anciens militaires de stocks nationaux, production « maison »,
vente d’armes militaires décommissionnées, vols dans des armureries légales118. Il existe en
Afrique une corrélation étroite entre la criminalité, les conflits et le trafic d’armes en est
l’exemple le plus évident. Les armes à feu légalement ou illégalement importées pour faire la
guerre peuvent être utilisées à des fins criminelles aussi bien pendant le conflit qu’après. Il
s’agit également de produits hautement négociables dans le commerce criminel local et des
armes peuvent être échangées contre toute une série de produits de contrebande119. Les armes
sont littéralement « recyclées » d’un conflit ou d’une guerre civile à l’autre. Les premiers pays
touchés par la guerre civile étant le Nigeria, le Cap Vert et la Guinée-Bissau, le trafic d’armes
transfrontalier africain ayant démarré dans ces pays. Les armes ont ensuite circulé dans les
pays embrasés par la guerre au Sénégal, Mali, Niger, Sierra Leone et au Libéria120. Le RUF de
Charles Taylor a ainsi reçu des armes provenant d’anciens conflits armés régionaux qui ont
facilement transité jusqu’au Liberia121, notamment par l’intermédiaire de la Côte d’Ivoire. Les
trafiquants d’armes transfrontaliers ont depuis établi des points de passage et des routes de
contrebande permettant d’éviter les contrôles dans les pays sous embargo.
La présence en Asie centrale et du Sud-Est de groupes terroristes islamistes comme le
Mouvement Islamiste d’Ouzbékistan (IMU) ou le Jeemaa Islamiyya suppose l’existence d’un
réseau clandestin de contrebande d’ALPC122. Lors de l’invasion soviétique de l’Afghanistan,
117
BERMAN, E. (2006), La République Centrafricaine : Une étude de cas sur les armes légères et les conflits,
Small Arms Survey Special Report – Juin 2006
118
HAZEN J. et HORNER J. (2007), Small Arms, Armed Violence, and Insecurity in Nigeria: The Niger Delta
in Perspective, Small Arms Survey Special Report – Décembre 2007
119
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009c), Transnational trafficking and the rule of
law in West Africa : a threat assessment, Juillet 2009
120
ANDRES A. de (2008)
121
WANNENBURG G. (2005), Organised crime in West Africa, African Security Review 14(4)
122
WILLE C. (2007), Risks to security in Central Asia: an assessment from a small arms perspective,
Disarmament Forum – United Nations Institute for Disarmament Research
49
la CIA et les services secrets pakistanais (ISI) ont mis en place un « pipeline des armes » à
travers le Pakistan pour alimenter la résistance afghane des moudjahidin : des armes
américaines transitent alors par le Pakistan vers l’Afghanistan sur des routes sécurisées par les
forces armées pakistanaises. Sur le modèle du jihad antisoviétique, les pakistanais
assemblèrent leurs propres pipelines afin d’acheminer les armes sur le terrain et alimenter les
groupes islamistes implantés en Inde, les insurrections armées en Asie du Sud-est et en Asie
centrale. En 2004, on estime à 4 millions le nombre d’armes à feu dispersés dans la société
afghane provenant des stocks des forces de sécurité du régime de Saddam123 dont les talibans
ou les groupes terroristes islamistes ont pu se doter.
La majorité des armes présentes sur le continent sud-américain provient de la
distribution d’armes américaines et soviétiques aux républiques d’Amérique centrale lors de
la Guerre froide124. L’Amérique du Sud n’est pas en reste en ce qui concerne l’acquisition
d’ALPC grâce aux larges stocks fournis par les États-Unis durant la Guerre froide aux
gouvernements du Nicaragua, du Honduras, du Panama, du Costa Rica et du Salvador125. De
nombreux courtiers se sont implantés dans ces pays à la fin de la Guerre froide afin d’écouler
les stocks et de les revendre aux acteurs illégaux présents sur le continent. Le Salvador et le
Honduras ont été les destinataires privilégiés des armements américains dans les années 1980.
Le Nicaragua des sandinistes a également reçu un fort soutient logistique de la part de l’URSS
et de Cuba. Le nombre d’armes en Amérique centrale est estimé à 1,6 million dont seulement
500 000 légales126 : ces armes ont à la fin des conflits régionaux gagné l’ensemble des pays de
la région. Le commerce illicite d’armes reste étroitement lié avec le trafic de drogue à
destination des Etats-Unis, dont les bénéfices sont en partie utilisés par les cartels pour
s’armer en matériel de guerre et surpasser les moyens policiers.
2. Les nouvelles formes de trafic d’armes
La plupart des armes illégales utilisées dans la contrebande transnationale a d’abord
été produite – et même vendue – parfaitement légalement par des entreprises ou des Etats127.
Malgré tout, la fin de la Guerre froide a vu émerger un nouveau phénomène avec ce que l’on
123
SMALL ARMS SURVEY 2009, Graduate Institute Programme for Strategic and International Security
Studies (PSIS), Genève
124
GODNICK W. et al. (2002), Stray Bullets: The Impact of Small Arms Misuse in Central America, Small
Arms Survey Occasional Paper n°5 – Octobre 2002
125
RAND CORPORATION (2005), Organizational Learning in Terrorist Groups and Its Implications for
Combating Terrorism vol. 1 et 2, National Institute of Justice
126
VALVERDE B. (2004)
127
MARSH N. (2002)
50
appelle la « production maison » d’armes à feu : on entendra ainsi par armes « maison » une
production d’ALPC illégale réalisée dans des ateliers clandestins à partir de modèles volés et
de matériaux de recyclage afin d’obtenir une arme à feu créée de toutes pièces. Sont produites
illicitement des armes de poing et des fusils de chasse présentant une qualité plus ou moins
bonne selon l’artisan et dont le prix d’achat est toujours inférieur à celui du marché noir. Les
armes faites « maison » sont non régulées dans le flot des armes à feu transnationaux et
permettent de répondre à une demande locale : Brésil, Cambodge, Colombie, Timor, Inde,
Irlande du Nord, Palestine font partie de ces pays possédant des manufactures illégales
d’armes à feu. Le marché des armes présent dans les zones tribales pakistanaises est
l’exemple de la production locale d’armes à feu à petite échelle : des manufactures de copies
d’AK-47 fleurissent le long de la frontière avec l’Afghanistan. A quelques dizaines de
kilomètres de Peshawar, en plein dans la zone tribale pakistanaise, la ville de Darra Adam
Khel est devenue un centre régional de fabrication d’armes « maison », à tel point que
l’endroit a été renommé Darra Bazaar128 : toutes sortes d’ALPC y sont fabriquées à partir de
matériaux de récupération et alimentent la demande en armes locales des groupes armés.
La production illégale « maison » d’ALPC prend également une importance
significative comme source d’armes à feu en Afrique de l’Ouest. Sur le continent africain, les
civils désirant acheter une arme à feu passent le plus souvent par des trafiquants producteurs
d’armes « maison » car celles-ci présentent des qualités indéniables : attrait du prix et facilité
d’utilisation par rapport à des armes militaires en font des armes de choix pour tout civil
désirant se protéger129. Les fabricants d’armes « maison » du Ghana sont particulièrement
réputés pour la qualité de leur production qu’ils exportent dans la région afin de répondre à la
demande locale en ALPC à prix réduits. En Afrique du Sud, 15% des armes à feu saisies
seraient faites « maison » dans les townships130 . Malgré l’abondance des armes disponibles
en Amérique centrale, de plus en plus d’organisations criminelles se mettent à produire leurs
propres armes : c’est le cas des « maras », ces gangs de jeunes présents au Nicaragua, au
Salvador ou encore au Honduras qui construisent de toute pièce des armes de poing de
fortune131. Pour ces gangs, dont les circuits de distribution transnationaux des armes ne sont
128
LONSDALE M. (2008), Criminal activity in an insurgent environment. Afghanistan : a case study,
Université Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines, Août 2008
129
HAZEN J. et HORNER J. (2007), Small Arms, Armed Violence, and Insecurity in Nigeria: The Niger Delta
in Perspective, Small Arms Survey Special Report – Décembre 2007
130
LUMPE L. (2000)
131
GODNICK W. et al. (2002), Stray Bullets: The Impact of Small Arms Misuse in Central America, Small
Arms Survey Occasional Paper n°5 – Octobre 2002
51
pas accessibles et dont les prix d’achat sont fortement prohibitifs, la construction d’armes
« maison » est une solution idéale.
Dans le monde criminel, on assiste aujourd’hui de plus en plus à la vente d’armes
contre une variété d’autres biens marchands. Un commerce dit « triangulaire » entre armes,
drogues et objets précieux se met en place en se substituant aux échanges monétaires. Pour
plus de commodités, les échanges monétaires se font alors de plus en plus rares dans le monde
souterrain illégal : les acteurs illégaux tendent à réaliser des échanges par l’intermédiaire des
produits illégaux qui sont plus pratiques et moins contraignants que des valises d’argent.
Ainsi dans des zones où la monnaie se fait rare, la drogue devient un substitut financier
privilégié car le « cash pèse trois fois plus lourd que son équivalent en cocaïne »132. Ainsi, le
trafic d’ALPC est régulièrement dénoncé par les gouvernements comme étant lié au crime
organisé, au trafic de narcotique ou de pierres précieuses. Non seulement les circuits utilisés
par la contrebande de matières premières comme les drogues, les diamants et autres sont
analogues aux circuits où transitent les ventes illégales d’armes, mais les profits retirés du
pillage des ressources naturelles sont utilisés pour financer leurs armement aux dépens des
embargos internationaux. Les armes peuvent être échangées contre de la drogue, des biens
marchands comme des oeuvres d’arts, des diamants, du pétrole voire même des otages. Ces
échanges sans monnaie sont une alternative à l’argent intéressante pour les criminels.
Les diamants présentent un bien de substitution intéressant pour payer une commande
d’ALPC : dans le cadre du conflit en République Démocratique du Congo (RDC), on a révélé
l’existence de liens étroits entre le pillage du pays et les réseaux de trafic d’armes basés
principalement en Afrique133. De la même manière, pendant la guerre civile du Sierra Leone,
les mines de diamants contrôlées par les forces rebelles en collusion avec les gouvernements
libérien et burkinabé servaient à financer les armes introduites par les courtiers et des réseaux
criminels transnationaux de manière illégale et ce en dépit de l’embargo ainsi que de
l’interdiction par les Nations Unies d’exporter les diamants non certifiés en provenance du
Sierra Leone.
132
DUPUIS-DANON M.-C. (2004), Finance criminelle. Comment le crime organisé blanchit l'argent sale,
Criminalité Internationale – PUF
133
VALVERDE B. (2004)
52
II – Le trafic et la contrebande illégale d’êtres humains
La définition « officielle » de la contrebande et du trafic d’êtres humains est donnée
par l’ONU dans les deux Protocoles additionnels du 24 Juillet 2006134. La contrebande d’êtres
humains est composée de deux réalités bien distinctes : le trafic d’immigrés clandestins et la
traite des êtres humains. Le trafic d’immigrés clandestins y est défini comme « le fait
d’assurer l’entrée illégale dans un État d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un
résident permanent de cet État, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage
financier ou un autre avantage matériel ». Quant à la traite des êtres humains, elle y est
définie comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de
personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de
contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de
vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le
consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation.
L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres
formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques
analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ». La « traite des
Blanches », une des réalités les plus importante de la traite des êtres humains représente le
recrutement, le transport et l’utilisation d’une personne en vue d’une exploitation sexuelle
et/ou d’un travail forcé à caractère sexuel par la fraude et/ou la coercition. A l’inverse,
l’immigration illégale est par essence volontaire : la personne décidant d’immigrer le fait en
pleine possession de ses moyens.
Une approche du trafic d’êtres humains en terme économique permet d’aborder
l’Homme comme un bien marchand dont l’exploitation permet de retirer un profit financier ou
matériel135. En ce sens, le trafic d’êtres humains répond à une demande : il s’agit du besoin
d’assurer une source d’argent supplémentaire non corrélée aux revenus locaux pour les
migrants et une demande en prostituées, en main d’œuvre modique ou en organes pour le
monde criminel. L’être humain devient ainsi un bien économique permettant au crime
organisé de réaliser un substantiel profit et répond à la logique économique de l’offre et de la
134
Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer et le Protocole visant à prévenir,
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Ces Protocoles sont
additionnels à la Convention des Nations Unies de Palerme contre la criminalité transnationale organisée adoptée
le 15 Novembre 2000.
135
VAYRYNEN R. (2003), Illegal Immigration, Human Trafficking, and Organized Crime, Discussion Paper
No. 2003/72, October 2003
53
demande identifiée au sein des zones grises. On a assisté dès les années 1980 à un véritable
« business » de l’immigration136 : l’avantage avec l’être humain est son accessibilité en terme
de quantité disponible pour le trafic, sa durée de vie et sa capacité à être « recyclé » dans
diverses branches du trafic d’êtres humains137. Des filières de la contrebande d’êtres humains
se sont donc mises en place et se sont institutionnalisées le long des routes de trafics
transnationaux. Les grandes filières d’acheminement de la contrebande d’êtres humains sont
l’Amérique Latine (Equateur, Pérou, Brésil), l’Afrique subsaharienne (Sierra Leone, Ghana,
Niger, Cameroun), le Maghreb (Algérie, Maroc) et les Balkans/Europe de l’Est (Moldavie,
Albanie, Ukraine)138 mais l’Europe de l’est représente généralement le premier réservoir de
l’immigration clandestine. En terme global, entre 700 000 et 2 millions de personnes seraient
déplacées illégalement chaque année139, tentant de rentrer clandestinement en Europe ou aux
États-Unis en traversant de multiples frontières et des obstacles géographiques majeurs tout
en échappant à la détection officielle. Environ 2 millions de femmes et enfants sont passés
clandestinement chaque année dans un autre pays afin de fournir le marché de la prostitution,
dont environ 400 000 sont « trafiquées » chaque année à travers les Balkans140.
Hautement lucrative, la filière du trafic d’êtres humains rapporterait annuellement
entre 12 et 30 milliards de dollars selon les sources141. Près de 500 000 personnes tentent
d’entrer illégalement en Europe chaque année142 et on estime que près de la moitié ont été
assistées par le crime organisé afin de réaliser leur passage à la frontière143. L’implication du
crime organisé dans le trafic de migrants est donc réelle, étant donné le caractère hautement
lucratif de ce trafic et le faible taux de détection. Or les groupes criminels organisés ne
s’intéresseraient pas au trafic de migrants vers l’Europe si les flux étaient réduits ou les
migrants sans ressources. La contrebande d’êtres humains répond donc à une logique
économique réelle : il s’agit précisément de personnes provenant de pays en développement,
136
Ibid.
Ainsi, l’exemple typique d’une femme se prostituant pour payer son passage dans un pays étranger n’en est
que plus sordidement réel. Une fois que la femme en question n’est plus capable d’exercer en tant que prostituée,
ses organes serviront de manne financière supplémentaire dans les mains du crime organisé local.
138
GOUREVITCH J.-P. (2002), L’économie informelle. De la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics, Le Pré
aux Clercs – Essais
139
NAIM M. (2005)
140
LINDSTROM N. (2005), Transnational Responses to Human Trafficking : The Politics of Anti-Trafficking in
the Balkans, The New School /Central European University
141
HAJDINJAK M. (2002), Smuggling in Southeast Europe. The Yugoslav Wars and the Development of
Regional Criminal Networks in the Balkans, Center for the study of democracy
142
BRUGGEMAN W. (2002), Illegal immigration and trafficking in human beings seen as a security problem
for Europe, EUROPOL – 19 September 2002
143
FURNESS S. (2000), Brave new borderless state. Illegal immigration and the external borders of the EU,
IBRU Boundary and Security Bulletin, Autumn 2000
137
54
cherchant à assurer pour eux-mêmes ou leur famille un meilleur niveau de vie en immigrant
clandestinement dans les pays riches. La motivation principale derrière les tentatives
d’immigration clandestine est bien sûr économique mais certaines populations cherchent
également à fuir leur pays en raison de persécutions religieuses, politiques ou ethniques, ou
bien à quitter une région ravagée par une guerre ou encore une catastrophe naturelle. On
s’intéressera ici surtout à l’intervention du crime organisé dans les filières de la contrebande
au travers de l’utilisation de techniques de passage et de réseaux d’immigration clandestins.
En effet s’il est théoriquement possible de voyager clandestinement sans l’aide des
trafiquants, il est très difficile d'y arriver dans la pratique. Nous allons tenter de démontrer la
logique économique et financière présente au sein de la filière de l’immigration clandestine et
de la traite des êtres humains par le crime organisé et les méthodes employées (A) avant de
s’intéresser aux routes et itinéraires du trafic d’êtres humains dans le monde (B).
A. Le fonctionnement de la filière du trafic d’êtres humains
L’immigration clandestine est une filière internationalisée et structurée comme une
multinationale réalisant des profits substantiels basés sur des économies d’échelle. De
véritables circuits clandestins et des méthodes et techniques perfectionnées permettent aux
migrants, avec l’aide du crime organisé local, de maximiser les chances de passage à la
frontière.
1. La logique économique du trafic d’êtres humains
Le stéréotype du migrant dépossédé de quelque moyen financier ne tient pas à
l’échelle de l’individu : en effet, il faut payer le crime organisé pour son passage, donc détenir
de l’argent144. Le choix de tenter une immigration est donc un calcul risque/avantage rationnel
qui est le plus souvent réalisé en concertation avec le reste de la famille. En effet, si le risque
est inférieur au coût de passage et à la perspective de faire rentrer de l’argent, alors la décision
de passer peut être prise. Si tel individu représente une chance pour la famille de connaître un
avenir meilleur, alors celui-ci tentera probablement d’immigrer. Afin de se donner toutes les
chances de réussir le passage, on choisira de faire confiance à un « passeur ». Les services du
crime organisé recouvrent une multitude de dépenses : faux documents, pots-de-vin aux
144
LIEMT G. Van (2004), Human Trafficking in Europe : an Economic Perspective, International Labour
Organisation, Geneva, June 2004
55
autorités, frais de passage. Une famille dont un membre tente de passer à l’étranger doit
généralement prendre un « emprunt » auprès du crime organisé local afin de rembourser par
échéances le coût du passage. La plupart des migrants utilisent aussi bien les voies aériennes,
maritimes que routières pour se déplacer145. Les migrants peuvent êtres cachés dans des
containers de fret aérien ou maritime, tenter de passer par la mer en s’entassant sur des
bateaux de fortune ou tout simplement en passant par la route et les postes frontières terrestres
en utilisant des faux papiers. Les modalités de passage d’une frontière à l’autre sont décidées
par les passeurs au gré des contrôles, des opportunités et de la situation géographique du pays
de passage.
L’idée de rationalité marque aussi la traite des êtres humains. Nous parlerons ici
essentiellement de la traite des Blanches et de la prostitution, qu’elle soit forcée ou non. Dans
certains pays de plus en plus de femmes se voient dans l’obligation de se prostituer afin de
nourrir leur famille : de la même manière que le fils majeur constitue pour une famille la
meilleure chance d’immigrer dans un pays riche, la fille – qu’elle soit mineure ou majeure –
représente une source de revenus supplémentaire non corrélée146. Se prostituer représente
pour ces femmes un travail transitoire afin de payer le passage à l’Ouest. Le manque de
perspectives d’avenir dans leur pays les poussent à se prostituer : cette décision économique
tristement rationnelle fait l’aubaine du crime organisé local qui se chargera de leur trouver du
« travail », en contrepartie de quoi les criminels s’empareront de la quasi-totalité des gains.
Beaucoup de femmes se font également duper par des promesses d’un avenir meilleur à
l’Ouest ou d’un travail honnête dans un pays riche mais finissent par rester prisonnière d’un
engrenage digne de l’esclavage humain147. On relève également des cas de « vente » d’une
fille par une famille au crime organisé, sorte de placement financier pour assurer à la famille
un avenir meilleur148.
Le « recrutement » des victimes a le plus souvent lieu dans les Balkans et en Europe
de l’Est, en Russie, en Afrique Subsaharienne, en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est.
Jusqu’à 80% des prostituées utilisées dans le trafic auraient moins de 18 ans149. L’origine des
prostituées en Europe a changé au cours des trois dernières décennies : si dans les années
145
BRUGGEMAN W. (2002)
LINDSTROM N. (2004), Regional Sex Trafficking in the Balkans Transnational Networks in an Enlarged
Europe, Problems of Post-Communism, vol. 51, no. 3, May/June 2004, pp. 45–52
147
On pourra faire ici référence à l’excellent film de David Cronenberg, Les Promesses de l’Ombre afin
d’illustrer ce que le phénomène du « passage à l’Ouest » représente pour ces filles.
148
HAJDINJAK M. (2002)
149
Ibid.
146
56
1980, la plupart des femmes provenaient d’Amérique du Sud et des Philippines, elles ont été
remplacées par des africaines et des thaïlandaises à la fin des années 1980. La chute de
l’URSS a permis l’explosion du passage de prostituées d’Europe de l’Est à l’Ouest et même
jusqu’aux États-Unis. En ce qui concerne la tendance actuelle, des filles de l'ex-Yougoslavie
mais aussi des Ukrainiennes, des Bulgares, des Russes, des Roumaines, des Albanaises et des
Moldaves sont vendues par des proxénètes de la région aux souteneurs locaux. Le degré de
professionnalisation des réseaux criminels a pu expliquer la constitution de « centres de
formation à la prostitution » en Albanie et en Moldavie150.
La prostitution forcée ne se limite pas aux femmes : elle concerne également, dans une
proportion moindre des hommes et des enfants. Il s'agit d'un nouveau phénomène criminel
encore limité mais probablement appelé à s'affirmer puisqu’il montre le degré de
professionnalisme des réseaux criminels capables de s'adapter aux besoins du marché car cela
permet d’opérer un meilleur « retour sur investissement »151.
2. Les acteurs et les modalités du trafic d’êtres humains
De nombreuses organisations criminelles sont impliquées dans le trafic de migrants.
La mafia albanophone contrôlerait une majeure partie du trafic d’immigrés clandestins en
Europe, depuis l’Albanie vers l’Italie ou la Grèce152. Le crime organisé local gère la
prostitution et la traite des Blanches comme une entreprise, leur devanture étant des maisons
de passe improvisées dans les Balkans153. La prostitution a pu constituer une première étape
de structuration des réseaux criminels balkaniques : plus elle est lucrative et plus elle prend de
l'ampleur en permettant aux réseaux, grâce à sa rentabilité, de se renforcer, s'organiser, s'offrir
les protections et soutiens – notamment politiques et administratifs par le biais de la
corruption –
nécessaires au développement de trafics plus sophistiqués comme les
stupéfiants, les armes et les migrants. La corruption accrue dont souffre les Balkans et les
pays d’Europe de l’Est sont autant d’éléments facilitant le passage des immigrés et des
prostituées.
150
ROUDAUT M. (2006), Route des Balkans 2006 : des trafics toujours plus intenses vers l’Union Européenne,
Notes d’alerte MCC – Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines n°8 Octobre 2006
151
Ibid.
152
FURNESS S. (2000), Brave new borderless state. Illegal immigration and the external borders of the EU,
IBRU Boundary and Security Bulletin, Autumn 2000
153
BRUGGEMAN W. (2002)
57
Au sein des groupes criminels organisés, de nombreux acteurs sont impliqués dans la
contrebande d’immigrés clandestins et il est possible de créer une classification de ces acteurs
selon leurs caractéristiques et leur rôle dans le trafic :
-
les passeurs locaux interviennent pour préparer toutes les formalités de départ des
immigrés et le franchissement des frontières : ce sont eux qui prennent en charge les
personnes dès le départ de la filière
-
les « cashiers »154 sont les responsables financiers de l’opération qui touchent l’argent
de la part des immigrés et le reverse, moins leur commission, aux contrebandiers
-
les guides sont chargés de la supervision technique du passage frontalier du fait de leur
connaissance du terrain et des zones à éviter
On distingue deux formes de prise en charge des immigrés clandestins155. Premièrement,
certains groupes criminels – généralement des organisations criminelles professionnelles
basées dans le pays d’origine des migrants156 – offrent des formules « tout compris » c'est à
dire des services complets de migration illégale dépassant le simple voyage clandestin d’un
point à un autre. Pour un migrant d’Europe de l’est, le passage « tout compris » à l’aide du
crime organisé local coûte en moyenne 5000 euros. Depuis les nouvelles Républiques d’Asie
centrale, le passage coûte près de 10 000 euros et pour un migrant chinois, il faut compter 20
000 euros157 (HAJDIJNAK). Beaucoup d’immigrés ne pouvant payer le passage en une seule
fois, ils serviront de « mules » pour le transport de drogues, avec tous les risques de saisies
que cela implique (MILETITCH). En second lieu, des opportunistes locaux font payer des
services généralement limités à des opérations sur le territoire de leur pays : l’un des drames
récurrents auxquels sont confrontés les migrants est la fraude pure et simple car certains
prétendus passeurs collectent à l’avance de l’argent pour payer les fournitures nécessaires puis
disparaissent tout simplement avec la recette. De nombreux migrants payent plusieurs fois
avant de se voir finalement accorder un passage et bon nombre d’entre eux sont victimes de
demandes de paiements supplémentaires tout au long du voyage.
L’utilisation de faux documents est un impératif obligatoire pour quiconque tente
d’immigrer clandestinement. Il existe plusieurs sortes de documents frauduleux : les
documents de voyage authentiques, passeports et visas, qu’on se procure auprès
154
PREZELJ I. et GABER M. (2005)
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2006), Crime organise et migration clandestine de
l’Afrique vers l’Europe, Juillet 2006
156
Soient les gangs nigérians pour l’Afrique, la mafia russe et albanophone pour les Balkans et les Triades pour
l’Asie.
157
HAJDINJAK M. (2002)
155
58
d’intermédiaires en relation avec des agents corrompus ; les passeports authentiques volés qui
sont retouchés ; les passeports authentiques qui sont utilisés par des personnes ressemblant
aux véritables détenteurs ; les passeports vierges volés qui sont remplis au moyen
d’informations inventées et enfin les documents fictifs et fausses attestations qui peuvent
servir à obtenir un visa à la frontière ou à entrer ou transiter dans un pays sans visa158. Pour
ceux qui tentent de franchir la frontière sans passer par les points de contrôle, ces documents
permettent, en cas de contrôle inopiné, de faire valoir un dernier « joker ». La fabrication de
faux documents relève souvent du professionnalisme et d’une sophistication importante : les
faussaires albanais utilisent souvent du matériel professionnel, comme par exemple des
tampons d’administration albanais, italiens et grecs. L’étude du fonctionnement du trafic
d’êtres humains et la rationalité économique qu’il sous-tend permet de comprendre le côté
technique de ce trafic : l’utilisation des routes de contrebande utilisées pour faire transiter la
« marchandise » humaine vers sa destination finale.
B. Les routes du trafic d’êtres humains
Il est presque possible d’associer un modèle mécanique au trafic d’êtres humains : les
migrants et prostituées issus de pays pauvres ont pour destination finale les pays développés
d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Nord. Cette logique est parfaitement vraie pour les
migrants clandestins mais est plus complexe en ce qui concerne la traite d’êtres humains. En
effet, de nombreuses personnes prostituées ou utilisées pour du travail forcé ne passent que
rarement à « l’Ouest » mais restent confinées dans des pays d’Europe de l’Est ou d’Afrique.
L’étude des routes de contrebande permet de comprendre la logique en œuvre lors du trafic
d’êtres humains.
1. Les routes d’Europe de l’Est et du Moyen-Orient vers l’Europe de l’Ouest
et les Etats-Unis
Les routes de la drogue et des migrants en Europe sont globalement les mêmes :
encore une fois, la tristement célèbre Route des Balkans est également utilisée pour la
contrebande d’immigrés et reprend le même tracé que pour la drogue. Depuis le MoyenOrient, elle rejoint la Turquie puis les Balkans avant d’arriver en Europe de l’Ouest. Il est en
158
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2006)
59
effet aisé une fois la filière drogue constituée de recycler les itinéraires déjà éprouvés pour
d'autres trafics. L’Ukraine est considéré comme le premier point de transit pour les migrants
illégaux en direction d’Europe de l’Ouest159. Bulgarie et Roumanie sont également des plate
formes de transit. Une route au nord passe de Russie, Pologne ou Tchéquie vers l’Autriche ou
l’Allemagne via les pays Baltes. Une route plus centrale part de Croatie ou de Slovénie et se
termine en Autriche. Les routes de trafic dans les Balkans finissent principalement en
Bulgarie et en Grèce160 (voir Annexe 13). Encore une fois, l’Albanie reste la voie royale de
l’immigration, aussi bien comme pays source que comme pays de transit des migrants : la
filière albanaise permet le passage de Tirana depuis la Turquie ou l’Irak puis est prise en
charge par les passeurs avec la traversée en bateaux vers l’Italie161. Dans les années 1990,
pendant la guerre en ex-Yougoslavie, la « Sarajevo connection » fonctionne à merveille pour
faire passer les migrants depuis la Turquie puis la Bosnie vers l’Allemagne. Les migrants
arrivent en Bosnie avec un passeport turc légal valable dans ce pays puis sont pris en main par
des « agences de tourisme » à Sarajevo qui organisent les départs en camion vers l’Allemagne
via Croatie, Slovénie et Autriche162.
Les immigrants provenant du Moyen-Orient ont le choix de passer soit par l’Europe de
l’Est à travers l’Ukraine avant de rejoindre la Route des Balkans ou l’Italie, soit de passer par
l’Afrique ou la Turquie. L’Italie, avec ses 8500 km de côtes maritimes et ses contrôles assez
laxistes163 représente un point d’entrée idéal pour les migrants du Moyen-Orient. Depuis le
port de Valona en Albanie, la traversée en bateau ultra rapide utilisé par le crime organisé
local ne dure que 90 minutes. La Turquie est un point d’entrée majeur pour les immigrants
venant d’Irak, d’Iran, d’Afghanistan – surtout les kurdes – et de nombreux pays asiatiques
comme la Chine : depuis la Turquie, des bateaux improvisés chargés d’hommes tentent de
rejoindre la côte italienne164. Les réseaux kurdes provenant de Turquie ou d’Iran utilisent le
plus souvent l’intermédiaire de l’aéroport de Pristina au Monténégro et de Belgrade en Serbie
avant de rejoindre l’Ouest165.
Les immigrés asiatiques utilisent des routes via le Kazakhstan, le Kirghizistan,
l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan vers la Russie puis de l’Ukraine, Slovaquie et
Tchéquie vers l’Europe de l’Ouest en rejoignant la Route des Balkans. Seul un faible
159
POLYAKOV L. (2003), New security threats in the Black Sea region, Razumkov Centre
VAYRYNEN R. (2003)
161
MILETITCH N. (1998)
162
Ibid.
163
FURNESS S. (2000)
164
BRUGGEMAN W. (2002)
165
PREZELJ I. et GABER M. (2005)
160
60
pourcentage de migrants originaires d’Asie, d’Afrique et d’Europe de l’Est iront jusqu’en
Amérique du Nord : le flot de migrants clandestins aux États-Unis et au Canada est surreprésenté par les mexicains, cubains, haïtiens et porto ricains.
Les routes utilisées par le crime organisé pour acheminer les prostituées sont
globalement les mêmes que celles utilisées par les migrants. Les routes de trafic vont
d’Ukraine, Moldavie, Roumanie vers la Serbie et le Kosovo puis vers les marchés européens,
notamment la Hongrie et la Slovénie avant d’être acheminées dans les maisons de passe en
Allemagne, Autriche et dans les Pays-Bas166. Les tristement célèbres ports albanais de Vlora
et Dürres sont des points de départ de la prostitution vers l’Europe de l’Ouest, opérant parfois
jusqu’à trois rotations par jour. Le long de la Route des Balkans, les prostituées sont
revendues dans des maisons de passes ou sur des marchés de la prostitution dans la plupart
des pays d’Europe de l’Ouest. Le passage du Danube par l’intermédiaire du port de Tekija en
Serbie est un des points de passage clés des prostituées roumaines et serbes167. L’Albanie
n’est plus seulement un pays source de prostituées mais est devenu une zone de transit vers
l’Italie, la Grèce, la Macédoine et le Kosovo. De là, certaines prostituées resteront sur place et
les plus « chanceuses » se rendront en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en
Belgique. Contrairement aux migrants, l’Ouest n’est donc pas toujours la destination finale :
beaucoup de filles resteront sur place, dans les Balkans, afin d’alimenter une industrie du sexe
locale croissante.
2. Les routes d’Afrique et du Maghreb vers l’Europe
Traditionnellement, les migrants originaires d’Afrique du Nord essayent de parvenir
en Europe en passant par le Maghreb, plus particulièrement par le Maroc, qui se trouve
seulement à quelques kilomètres de l’Espagne et des îles Canaries168. Le passage entre le
Maroc et l’Espagne est devenu un point d’entrée privilégié pour les migrants africains et
maghrébins : les enclaves territoriales espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc et les îles
Canaries sont aujourd’hui des zones de transit privilégiées169. Le détroit de Gibraltar est au
cœur de la contrebande d’immigrés africains vers l’Europe. Les efforts des forces de l’ordre
marocaines et espagnoles ont récemment rendu cet itinéraire moins attractif : par conséquent,
166
LINDSTROM N. (2005)
LINDSTROM N. (2004)
168
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2006)
169
FURNESS S. (2000)
167
61
de plus en plus de migrants privilégient des itinéraires différents, en direction notamment des
îles Canaries à partir de l'Afrique de l’Ouest, ou encore de l'Italie à partir de la Libye et de la
Tunisie. Pour les migrants originaires d’Afrique de l’Ouest, dont fait partie la majorité des
migrants d’Afrique subsaharienne, le voyage commence par le trajet jusqu’à l’un des trois
principaux pays relais que sont le Sénégal, le Mali et le Niger. Les itinéraires suivis pour le
trafic de migrants d’Afrique sont également utilisés par les organisations criminelles
internationales impliquées dans le trafic de migrants clandestins provenant d'autres continents,
en particulier d’Asie de l’Est, du Sud et du Sud-Ouest. Des migrants clandestins en
provenance du Bangladesh, de la Chine, de l’Inde et du Pakistan ont été retrouvés échoués en
Afrique de l’Ouest ou du Nord. Tirant parti de la relative facilité d’obtention des visas pour
les pays d’Afrique occidentale, les migrants entrent légalement dans ces pays par avion (voir
Annexe 14).
Les réseaux de trafic d’êtres humains sont très développés en Afrique de l’Ouest et des
grands lacs, le phénomène étant facilité par les incessants déplacements de population en
raison des guerres civiles et des conditions de vie désastreuses dans les camps de réfugiés
improvisés qui fleurissent le long des frontières. Un tiers du trafic d’êtres humains en Afrique
est destiné à l’exploitation sexuelle, la moitié pour le travail forcé et le reste se répartit entre
l’enrôlement dans les groupes armés et le trafic d’immigrants170.
Après avoir étudié les zones grises infra-étatiques, il convient de faire un pas vers une
« nuance de gris » supplémentaire afin de réellement comprendre la logique d’implantation
territoriale des zones grises dans le monde avec les zones grises dites supra-étatiques
170
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2005c), Transnational Organized Crime in the
West African Region
62
Chapitre 2 – Les zones grises supra-étatiques
Partout où il y a la guerre, il existe une demande
En terme général, le « phénomène de zone grise »171 peut être défini comme une
menace à la stabilité de l’Etat souverain par l’intermédiaire d’une implantation territoriale
illégale d’acteurs non-étatiques se livrant à des relations internationales illicites. Mary Kaldor
utilise le terme de « regional clusters »172 pour caractériser la prédation des conditions
économiques et sociales des zones grises. Afin de faire un pas supplémentaire dans
l’implantation territoriale des zones grises dans le monde, il convient de qualifier les zones
grises dépassant le strict cadre national dans lequel elles s’implantent comme des espaces
géopolitiques larges et régionaux. Ainsi certaines zones grises qu’il conviendra d’étudier
représentent de vastes zones de commerce territorialisées sous la forme de « Zones de Libre
Echange illégales », sans qui le commerce illégal ne fonctionnerait pas car ces zones
répondent au besoin de territorialisation des trafics : les ZLE illégales prolifèrent à la bordure
ou au sein des Etats faibles et faillis, permettant une relative prospérité de la production et des
trafics illégaux face à l’impuissance étatique. Une autre « nuance de gris » est qualifiée par un
enracinement territorial de l’illicite à l’échelle d’un Etat : il s’agit de la catégorie regroupant
les Etats faibles et faillis dont l’autorité étatique est phagocytée par les acteurs illégaux, à tel
point que certains Etats deviennent aujourd’hui des « narco-Etats » voire même des « protoEtats » criminels. La mobilité accrue des acteurs transnationaux illégaux depuis la fin de la
Guerre froide facilite le développement de nouvelles zones grises, d’où l’apparition d’Etats
« affiliés » aux trafics transnationaux et aux acteurs illégaux173 : ces Etats sont minés de
l’intérieur par la présence d’une zone grise et souffrent de la présence de corruption et de
trafics. Ce n’est pas un hasard si les Etats faibles et faillis attirent les zones grises voire même
deviennent des proto-Etats criminels sur lesquels nous reviendrons. Les trafics, quant à eux,
prennent également une ampleur supplémentaire dans le sens où les produits illégaux
deviennent des marchandises exportées par l’intermédiaire des acteurs criminels ayant
phagocytés les autorités étatiques : les produits exportés se font donc par l’intermédiaire d’un
marché économique de l’illégal estampillé de la griffe de l’État failli lui-même. Parfois, cette
171
HILTNER S. (2008), Facing Grey Area Phenomena – Transformation through Transnational Crime and
Violence in Southeast Asia, ASIEN 109 (Octobre 2008), pp. 54-64
172
KALDOR M. (2006), New & Old Wars. Organized violence in a global area, Stanford University Press
173
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003),
Nations Hospitable to Organized Crime and Terrorism, Federal Research Division, Library of Congress,
Washington (D.C.) : Library of Congress, October 2003
63
territorialisation ultime des acteurs illégaux et des trafics forment des zones grises que l’on
qualifiera de « proto-États criminels » : l’autorité étatique et l’économie légitime ayant
disparu, les acteurs criminels finissent par exercer cette autorité en créant leur propre loi – ou
plutôt en laissant l’État dans un espace anomique – et en mettant en place une économie
parallèle174 et un marché noir de subsistance florissant.
On assiste ainsi depuis quelques années à la montée en puissance de nouvelles formes
de financement étatique plus proches des pratiques criminelles au sein de certains Etats faibles
et faillis : par l’intermédiaire des structures étatiques, les mouvements armés cherchent à
exploiter la commercialisation illégale de biens ou de services illicites pour financer leurs
activités175. De véritables « proto-Etats » criminels se mettent en place progressivement,
signifiant que ces Etats en déliquescence se transforment au contact des relations
internationales illicites. On entendra par « proto-Etat criminel » l’entité organisée autour
d’une économie illégale générée par l’activité d’un ou de plusieurs acteurs des relations
internationales illicites ayant pris le contrôle des institutions économiques étatiques. Les
acteurs illégaux substituent leurs propres infrastructures économiques à celles de l’ancien
Etat en récupérant l’espace vacant pour mettre en place une économie de guerre. Une fois
établis dans un Etat faible, les proto-Etats servent de plate formes de transbordement des
trafics illégaux et de blanchiment. Se met en place une économie de prédation c'est à dire une
économie de guerre dans laquelle les acteurs illégaux établissent des rapports de violence et
de prédation à l’égard des populations et des ressources économiques locales.
Les zones grises contribuent ainsi à la consolidation de proto-Etats, entités constituées
autour de l’économie des conflits armés : le commerce illicite est en effet la base du processus
d’enrichissement et d’autofinancement des acteurs illégaux majeurs qui ne pourraient exister
dans des conditions normales de loi et d’ordre d’un État assis sur son territoire national. De
manière générale, les zones grises les plus importantes englobent des régions à cheval sur
plusieurs pays partiellement enclavés176. Un État peut aussi n’être que partiellement une zone
grise, si des régions sur son territoire échappent à l’autorité centrale, ou bien complètement
sombrée dans une nuance de gris, le transformant ainsi en ce que l’on appellera un « protoÉtat » criminel. En dernier lieu se trouvent les États effondrés, version « extrême de l’État
174
Par économie parallèle ou informelle, il faut entendre une activité commerciale intra-étatique ou
transfrontalière non-officielle qui n’est pas officiellement signalée aux autorités de l’Etat et qui n’est pas
directement imposable in ELLIS S. et MACGAFFEY J. (1997), Le commerce international informel en Afrique
sub-saharienne, Cahiers d'études africaines, Année 1997, Volume 37, Numéro 145, p. 11 – 37
175
BEN HAMMOUDA H. (1999), Guerriers et marchands : éléments pour une économie politique des conflits
en Afrique, Africa Development, Vol. XXIV, n° 3 & 4, 1999
176
PASCALLON P. sous la direction de (2006), Les zones grises dans le monde aujourd’hui. Le non-droit
gangrène-t-il la planète ?, Défense – L’Harmattan
64
failli »177. Les espaces géographiques représentant ces entités ne sont plus des États au sens
premier du terme mais laissent un vide sans autorité : ils ne subsistent qu’en tant qu’entité
géographique, comme des « trous noirs » dans lesquels l’État s’est engouffré. Les biens
politiques n’existent plus, le marché noir et l’économie parallèle remplacent le marché
légitime, la sécurité ne s’obtient que de manière privée, l’état d’anomie y est total. La Somalie
et la Sierra Leone en sont l’archétype.
Il conviendra donc de réaliser une étude complète des différentes « nuances de gris »
supra-étatiques dans les zones anomiques en abordant les « Zones de Libre Échange
illégales » (Section 1), les États faibles et faillis et plus particulièrement les narco-Etats
(Section 2) avant d’aborder la question des zones grises sous la forme de regroupement
d’Etats entiers (Section 3).
Section 1 – Les « Zones de Libre Échange illégales »
Selon l’OMC, une zone de libre échange ou ZLE est une « zone caractérisée par un
groupe de deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane et les
autres réglementations commerciales restrictives sont éliminés pour l'essentiel des échanges
commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de
libre-échange »178. Appliquons cette définition aux trafics illégaux et aux acteurs criminels
organisant ces derniers en considérant les trafics transnationaux comme des activités
commerciales internationales régies par des lois de l’offre et de la demande. L’anomie totale
apparente qui règne dans les lieux de trafics transnationaux permet aux acteurs criminels de
remplacer les législations nationales des États dans lesquels les zones grises se territorialisent
par des règles propres au monde de l’informel et de l’illégal, facilitant ainsi les trafics, les
échanges illégaux et le blanchiment des bénéfices. Les acteurs illégaux répondant à une
logique économique, les zones grises se territorialisent et deviennent des « zones de libre
échanges » au sens légal du terme affranchies de tout contrôle étatique formel. Ces zones de
libre échange illégales ou zones franches illégales sont des zones grises possédant une logique
et une rationalité particulière car elles s’encrent dans un espace géographique plus large que
les routes de trafic ou les aires de production des produits illégaux : elles sont à la jonction de
plusieurs frontières terrestres et englobent une zone territoriale qui s’étend sur plusieurs
territoires nationaux mais sans les dépasser. Les ZLE illégales sont des zones grises
177
178
ROTBERG R. (2003a), The New Nature of Nation-State Failure, The Washington Quarterly 25:3 pp. 85–96
http://www.wto.org/english/thewto_e/glossary_e/glossary_e.htm
65
régionales et inscrites dans plusieurs Etats mais ne dépassant pas le cadre étatique dans lequel
elles s’implantent : ce sont bien des zones poly-étatiques mais infra-étatiques. Une forte
économie parallèle et un marché noir des biens de consommation basé sur le troc s’est
développé au sein de ces ZLE grâce à la « débrouillardise personnelle pour se procurer des
biens » des populations locales179.
Les ZLE illégales ne possèdent pas d’autorité centrale ni de « tête pensante ». Même si
se sont des entités géographiques grises exemptes de toute législation nationale ou
internationale, ce ne sont pas des coquilles vides accueillant l’illégal à bras ouvert : ces zones
ne sont pas contrôlées par des acteurs illégaux désirant mettre à bas l’Etat dans lequel les ZLE
illégales se territorialisent ou même renverser l’ordre établi. Ces zones sont en réalité un havre
de prospérité pour les acteurs illégaux, y trouvant tous les avantages pour mener à bien leur
recherche de financement et sont des zones de refuge, de financement et de recrutement pour
les groupes terroristes. Les acteurs illégaux ont donc besoin de ces zones de libre échange
illégales : elles leur sont nécessaires afin de se territorialiser pour mener à bien leurs intérêts
respectifs. Ce sont certes des zones anomiques mais qui possèdent une rationalité économique
et financière leur permettant de fonctionner comme des zones franches légales. Il est possible
de distinguer trois principales ZLE illégales dans le monde : la zone de la tri-frontière en
Amérique du Sud (I), le Triangle d’Or et le Croissant d’Or (II).
I – La zone de la tri-frontière
La zone de la tri-frontière illustre parfaitement l’ampleur des « zones de libre échange
illégales » dans le monde : paradis pour les trafics illégaux et le blanchiment d’argent, cette
zone franche semble n’appartenir à aucune législation internationale ou nationale que ce soit
et possède une rationalité économique qui lui est propre. La zone de la tri-frontière –
également appelée région de la « Tri-Border Area » ou TBA – est un triangle quasi parfait de
40 km² situé à l’intersection des frontières terrestres entre le Paraguay, l’Argentine et le Brésil
autour des chutes d’Iguaçu. La région de la tri-frontière se compose de la ville portuaire
argentine de Puerto Iguazu, de la ville brésilienne de Foz de Iguaçu dans l’État du Paraná et
de la ville paraguayenne de Ciudad del Este180 (voir Annexe 16). En 1967, la construction
d’un barrage hydroélectrique a rapidement transformé le petit village de Puerto Presidente
179
VERLEUW C. (1999), Trafics et crimes en Asie Centrale et au Caucase, Criminalité Internationale –
Géographie criminelle, PUF
180
MADANI B. (2002), Hezbollah's Global Finance Network: The Triple Frontier, Middle East Intelligence
Bulletin Vol. 4 n°1, Janvier 2002
66
Stroessner en la seconde ville paraguayenne la plus peuplée, renommée Ciudad del Este en
1989. Le développement économique incontrôlé de la zone a permis de voir fleurir un nombre
important de commerces et d’entreprises, légaux ou non. Le statut de « zone franche » dont la
ville a bénéficié n’a pas tardé à phagocyter la région, notamment les deux villes de Puerto
Iguazu en Argentine et de Foz de Iguaçu au Brésil181, près des chutes d’Iguaçu, les
transformant en véritable zone de libre échange de l’illégal.
La TBA, pourtant située au milieu de la jungle, n’en est pas moins un centre urbain
surpeuplé : 700 000 habitants s’amassent dans ce petit triangle de 40 km², dont 250 000 dans
la ville de Ciudad del Este et 300 000 à Foz. On recense plus de 65 nationalités différentes
vivant au sein de la TBA182 et les principales ethnies y vivant sont les libanais, les coréens et
les chinois. La communauté arabe est présentée comme un pilier économique de la TBA,
qu’elle opère dans le légal ou l’illégal. On compte également, pour l’anecdote, plusieurs
écoles coraniques et l’existence de réseaux télévisés locaux en langue arabe183. La population
arabe présente dans la région de la TBA est estimée entre 20 000 et 60 000 individus, dont la
majorité sont d’origine libanaise, ayant fui leur pays en proie à la guerre civile à partir de
1975184. Les populations arabes musulmanes ont émigré en Amérique du Sud il y a plus de
trente ans en provenance du Liban, de Syrie, d’Egypte et de Palestine. La plupart résident à
Ciudad del Este et on compte près de 7500 échoppes et commerces tenus par des musulmans.
La porosité des frontières entre les trois pays dans la TBA est totale, la présence d’une
manne touristique projetée par les chutes d’Iguaçu n’arrangeant pas la situation185. La TBA
offre un environnement géographiquement, socialement et économiquement favorable à la
conduite d’activités illégales et à la prospérité d’acteurs criminels se livrant en tout impunité à
toutes sortes de trafics hautement lucratifs. Le commerce illégal présent dans la région
découpe une frontière nouvelle entre trois États et fait de cette région une zone en dehors des
législations nationales et internationales du commerce et du droit. Bien plus que la somme des
trois villes qui la composent, la TBA est le lieu de tous les trafics illégaux transnationaux (A)
et connaît une prolifération en tout impunité d’acteurs criminels et terroristes (B).
181
Il n’y a qu’à traverser la rivière Paranà depuis Ciudad del Este…
HUDSON R.A. (2003), Terrorist and Organised Crime Groups in the Tri-Border Area (TBA) of South
America, Federal Research Division, Library of Congress, Washington (D.C.): Library of Congress, July 2003
183
STEINITZ M. (2003), Middle East Terrorist Activity in Latin America, Policy Papers on the Americas,
Volume XIV, Study 7 July 2003
184
MADANI B. (2002)
185
STEINITZ M. (2003)
182
67
A. Le paradis du trafiquant
La TBA est un véritable paradis de l’informel et de l’illégal : biens volés recelés,
trafiquants de drogues, d’armes et d’êtres humains se livrent à des opérations commerciales
en toute impunité186. Groupes terroristes du monde entier, mafias, groupes criminels
transnationaux et criminels de droit commun se fréquentent et commercent en totale liberté
dans cette zone de non droit où la présence policière est nulle et où l’autorité gouvernementale
s’y est dissoute.
1. Trafics, contrebande et commerce illégal
Parmi les activités illégales les plus fréquemment utilisées dans la TBA, on trouve le
trafic de drogues et d’armes, le blanchiment d’argent, la contrefaçon, la fabrication de faux
documents et le financement du terrorisme187. L’économie de la ville de Ciuadad del Este est
principalement tenue par les activités illicites qui se déroulent en plein jour sans risque d’être
interrompues : contrebande de produits volés, piratage de programmes informatiques et de
supports vidéo et audio mais surtout blanchiment des revenus de la vente de cocaïne
colombienne. A peu près tout ce qui se vend sur terre est présent dans la TBA : au milieu des
contrefaçons asiatiques, des AK-47 se marchandent pour moins de 300 dollars.
Grâce à ses contrôles territoriaux laxistes et une centaine de pistes d’atterrissages
cachées au milieu de la jungle environnante, la TBA est devenue un centre majeur de trafic de
drogues régional. La TBA sert de zone de transit de la drogue colombienne vers le Brésil,
l’Argentine et le Paraguay à destination d’Amérique du Nord et sert également de zone de
transit pour la drogue à destination de l’Europe à travers le Brésil188.
A Ciudad del Este, le cœur de la TBA, l’absence de toute présence policière ou
gouvernementale permet aux trafiquants en tout genre de gérer leurs entreprises
d’import/export. Des armes d’origine brésilienne sont réexpédiées du Paraguay au Brésil par
des courtiers afin de retirer un maximum de profit. En moyenne, une vingtaine de personnes
entrent illégalement par semaine dans la TBA par l’intermédiaire de l’aéroport de Ciudad del
Este.
186
HUDSON R.A. (2003)
ABBOTT P. (2004), Terrorist Threat in the Tri-Border Area : Myth or Reality ?, Military Review,
September-October 2004
187
188
HUDSON R.A. (2003)
68
2. La TBA comme place financière illégale internationale
Malgré l’apparence informelle et non encadrée de la TBA, la zone est malgré tout un
centre financier international extrêmement actif : les revenus générés par l’économie locale de
la TBA dépasseraient les 12 milliards de dollars, ce qui en ferait le troisième centre de
commerce au détail mondial après Hong Kong et Miami189. Entre 6 et 12 milliards de dollars
seraient blanchis dans la TBA chaque année, ce qui représente l’équivalent de la moitié du
PIB du Paraguay190. La zone touristique autour des chutes d’Iguaçu est devenue un centre de
blanchiment idéal pour les groupes criminels : les nombreux bureaux de change présents
autour des sites touristiques permettent de blanchir librement l’argent du narcotrafic et des
activités illégales. La grande majorité des « casa de cambio » présentes seraient d’ailleurs
tenues par des membres du crime organisé et ne seraient que des « blanchisseries » c'est à dire
des devantures commerciales factices facilitant le blanchiment.
En plus du blanchiment, une corruption endémique persiste dans la TBA : les autorités
politiques et policières responsables de la gestion de la zone seraient achetées pour fermer les
yeux sur l’impunité criminelle de la région191. Les trafics perpétrés au sein de la zone de la trifrontière ne pourraient exister sans la présence d’acteurs illégaux pour faire « tourner »
l’économie illégale. Mais la TBA ne pourrait pas fonctionner sans la présence d’acteurs
illégaux assurant le brassage des capitaux et des produits trafiqués.
B. La prolifération des acteurs illégaux
La TBA offre à tout organisme criminel transnational et groupe terroriste un espace
d’échange et de trafic quasi illimité. Du fait de l’impunité qui règne dans cette zone, les
acteurs illégaux ont pu y proliférer et progressivement s’y implanter sans être inquiétés par les
forces de l’ordre. Une large communauté d’acteurs illégaux existe donc en permanence dans
la TBA et possède même ses devantures commerciales « légales ». La question de
l’implantation de groupes terroristes islamistes attire particulièrement l’attention.
189
Ibid.
ABBOTT P. (2004)
191
HUDSON R.A. (2003)
190
69
1. La présence de nombreux acteurs illégaux
De nombreux groupes criminels transnationaux sont présents au sein de la TBA : la
zone semble attirer les OCT comme un « aimant », du fait de l’impunité totale dans laquelle
les trafics et transactions ont lieu et l’importance de la place financière illégale que la zone est
devenue depuis les années 1980. On retrouve ainsi implantés en toute liberté au sein de la
TBA les Triades chinoises, les narcotrafiquants colombiens et mexicains, la « mafia corse »,
les gangs africains, les Yakusa, des criminels coréens et libanais, la mafia russe et italienne. A
peu près tous les OCT existants aujourd’hui seraient plus ou moins présents au sein de la TBA
pour se livrer à des trafics et des transactions illégales.
Les Triades chinoises seraient particulièrement actives dans le trafic régional de
contrefaçons revendues en Chine. Plus de 7000 commerces chinois « légalement » implantés
sont présents dans la zone. A partir de la TBA, les commerçants chinois étendent leur portée
vers d’autres villes en Argentine et au Brésil, permettant aux Triades sous couverture d’une
devanture commerciale légale de s’intégrer toujours plus dans l’économie de la région. Au
moins deux organisations membres des Triades se seraient lancées dans des activités
illégales192.
Les groupes terroristes internationaux ne sont pas en reste puisque la présence du
FARC, d’ETA, de l’IRA et d’autres groupes a été prouvée depuis les années 1990. Au sein de
la TBA, les acteurs illégaux peuvent trouver refuge auprès d’une population sympathisante et
auprès de laquelle les groupes terroristes peuvent recruter. Le FARC se servirait de la TBA
comme base arrière de stockage de la cocaïne et comme plate-forme de blanchiment des
bénéfices du narcotrafic. Dans son rapport sur la TBA rendu au Congrès américain, Hudson
conclu qu’une « alliance tri-partite » involontaire existerait dans la zone entre groupes
terroristes, OCT et forces de l’ordre corrompues.
2. Le cas particulier des groupes terroristes islamistes dans la TBA
La présence d’une communauté musulmane bien implantée et intégrée au paysage de
la TBA représenterait un des meilleurs moyens utilisés par les groupes terroristes islamistes
pour implanter des cellules dormantes ou des agents chargés du recrutement. La TBA servirait
192
Ibid.
70
donc aux groupes islamistes de zone de financement, de zone de refuge, d’entraînement et de
recrutement potentiel193.
L’implication du Hezbollah dans la zone de la tri-frontière a été mise en lumière par
les autorités argentines après l’enquête sur les attentats à la bombe perpétrés contre
l’ambassade d’Israël en 1992 et le centre communautaire israélo-argentin à Buenos Aires en
1994. Dès lors, la TBA a été renommée le « point focal de l’extrémisme islamiste » en
Amérique du Sud par les autorités américaines194. Le Hezbollah aurait utilisé la TBA comme
zone de financement et de refuge depuis les années 1990. La meilleure preuve avancée par les
autorités américaines est l’arrestation en 2002 de Assad Ahmad Barakat, bailleur de fond
présumé du Hezbollah.
Les groupes terroristes islamistes, maintenant bien implantés dans la TBA, se
serviraient de la zone comme point de départ vers l’extension de leur communauté dans
d’autres pays d’Amérique du Sud, notamment le Chili, l’Équateur et le Venezuela.
Intéressons-nous à présent aux deux autres ZLE illégales possédant une rationalité
économique et une logique territoriale basées sur le commerce de l’opium : les espaces du
Triangle d'Or et du Croissant d'Or.
II – Les ZLE de l’opium : le Triangle d'Or et le Croissant d'Or
Comme vu précédemment, le Croissant d'Or regroupe l’Afghanistan, l’Iran et le
Pakistan et le Triangle d'Or comprend la Birmanie, le Laos et la Thaïlande195 : ils fournissent
à eux deux 97% de la production illicite mondiale d’opium, proportion qui n’a pas changée
depuis deux décennies (voir Annexe 5 et 17). L’émergence du Triangle d'Or et du Croissant
d'Or comme ZLE illégales s’explique par des facteurs aussi bien historiques, climatiques que
politiques et économiques, avec l’existence d’un très fort marché noir et d’une économie
parallèle implantée depuis des années196. Ainsi l’émergence du Triangle d'Or au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale et celle du Croissant d'Or dans la foulée de l’invasion de
l’Afghanistan par l’URSS sont liées à la Guerre froide et à l’explosion de la consommation
193
ABBOTT P. (2004)
MADANI B. (2002)
195
Pour l’anecdote, l’expression de « Triangle d’Or » a vraisemblablement été forgée par le U.S. Assistant
Secretary of State Marshall Green en 1971, l’expression de « Triangle d’Or » provenant du fait que les premiers
marchands d’opium de la région échangeaient l’opium contre des barres d’or pur (CHOUVY).
196
OTHMAN Z. (2004), Myanmar, Illicit Drug Trafficking and Security Implications, Contemporary Security
Policy 15(1): 127-151
194
71
mondiale en substances psychoactives à partir des années 1960197. L’indépendance de l’Asie
centrale a permis l’accélération du narcotrafic du fait de l’insertion grandissante de ces Etats
dans les flux économiques mondiaux. Ces deux espaces ont la particularité d’être interétatiques, frontaliers et ont depuis toujours constitué des aires de passage et de contact entre
les peuples et les commerçants.
Selon Pierre-Arnaud Chouvy, spécialiste de la géopolitique des drogues, les espaces
du Triangle d'Or et Croissant d'Or sont des « angles géographiques et géopolitiques majeurs »
de l’Asie198 en ce qu’ils représentent des espaces situés en position d’interface entre le souscontinent indien, le centre de l’Asie et la Chine et sont caractérisés par un fort enclavement et
par un accès physique difficile qui a favorisé le recours à l’économie de la drogue : on peut
réellement parler d’une marginalité géographique et sociale de ces zones. L’émergence du
Triangle d’or et du Croissant d’or, plus spécifiquement la concentration récente de la
production en Birmanie et en Afghanistan, sont le produit d’une histoire ancienne et
complexe : l’Afghanistan et la Birmanie ont en effet tous les deux connu une considérable
augmentation, voire une explosion, de leurs productions respectives d’opiacés qui a
correspondu à l’ouverture ou à la réouverture des pays au commerce extérieur et à l’économie
de marché. La faiblesse des Etats dans lesquels les deux ZLE illégales se sont territorialisées
se prête à merveille au développement de la culture de l’opium. L’étude des particularités du
Triangle d'Or et du Croissant d'Or, espaces mouvants, en tant que ZLE illégale (A) permet de
montrer les similitudes qui irriguent l’existence de ces espaces pourtant hétérogènes (B).
A. Des espaces géopolitiques mouvants et particuliers
Les zones de production du Triangle d’Or et du Croissant d’Or sont mouvantes, en
perpétuelle recomposition selon les politiques de répression et les opportunités territoriales.
La territorialisation de ces deux espaces en tant que producteurs majeurs d’opium s’est
réalisée autour des aires de production et des routes d’approvisionnement au gré des
contraintes territoriales, du climat, des contrôles étatiques et des itinéraires privilégiés dans le
trafic d’opium et d’héroïne.
197
CHOUVY P.A. (2004b), Les fondements historiques des chemins de la drogue in LABROUSSE A. (2004),
Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
198
CHOUVY P.A. (2002), Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or,
Olizane
72
1. Des espaces en recomposition permanente
Le Triangle d'Or a émergé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où le
commerce transnational de l’opium en Asie du Sud en est à ses balbutiements : le
développement du Triangle d'Or est essentiellement explicable par l’explosion du nombre
d’opiomanes en Asie dans les années 1960. Le Triangle d’Or connaît, depuis les années 1980,
une très importante tendance à la diversification et à la multiplication des itinéraires du
narcotrafic : l’augmentation de la production birmane d’opium pendant cette période d’une
part, le revirement de la Thaïlande qui s’est transformée d’État trafiquant en État répresseur et
l’explosion soudaine de la production de méthamphétamine en Birmanie ont très nettement
joué en faveur d’une complexification des réseaux du narcotrafic dans le Triangle d’Or et à sa
périphérie (voir Annexe 17).
Le Croissant d'Or s’est quant à lui façonné après l’invasion soviétique en
Afghanistan en 1979, provoquant un « effet domino » sur toute la région. L’émergence du
Croissant d'Or a été facilitée voire encouragée dans le contexte afghan de la Guerre froide
avec les alliances entre les services secrets pakistanais et la CIA autour de la nécessité
d’organiser une résistance anti-soviétique en Afghanistan. Les fonds manquants toujours plus
afin de payer le « pipeline des armes » afghan, le trafic de drogue devint la solution toute
trouvée : les moudjahidin s’emparant de nouvelles régions, ils taxent alors l’opium des
paysans, qui plantent encore plus de pavot pour payer l’impôt et un cercle vicieux se met ainsi
en place. Mais avec la dissolution de l’URSS, l’Afghanistan perd sa fonction stratégique
d’Etat tampon, se désenclave et ses frontières se réouvrent, lui permettant de retrouver son
statut de carrefour des routes commerciales : le contexte politique régional compte donc pour
beaucoup dans le développement du Croissant d'Or.
On peut noter l’existence d’un phénomène des vases communicants entre les axes
Afghanistan-Pakistan et Birmanie-Thaïlande au niveau des aires de production et de
l’implantation des laboratoires de transformation199. En matière de sécurité, le trafic de
drogues dans ces espaces créés de nouvelles menaces : afflux de réfugiés, pénétrations
terroristes (« talibanisation » du Pakistan), explosion de la consommation de drogues,
développement des trafics de contrebande, accroissement de la prostitution, explosion des cas
de VIH, violence armée…
199
Pakistan et Thaïlande ont tenté de se débarrasser de l’opium, ce qui a eu pour conséquence le déplacement des
aires de production vers les axes actuels.
73
2. Des routes de trafic et des itinéraires adaptables
Les routes du narcotrafic à partir du Triangle d’Or et du Croissant d’Or connaissent
des périodes de sous-fréquentation ou même de non-fréquentation selon les contraintes à la
fois politiques et climatiques au sein des espaces de production200. La production et le
transport de drogues sont rendus possibles par un équilibre entre inaccessibilité et accessibilité
car si l’isolement est nécessaire pour la dissimulation des plants, l’accès aux espaces est
primordial afin de relier aires de production et de consommation. Les itinéraires actuels
majeurs de l’héroïne dans les deux espaces sont ceux qui empruntent les axes caravaniers
majeurs les plus anciens et les plus difficiles d’accès, c'est à dire les « anti-routes »
naturelles201. D’anciennes routes se maintiennent, d’autres se réactivent et s’ouvrent : les
espaces du Triangle d'Or et du Croissant d'Or sont en perpétuelle recomposition.
Au sein du Triangle d'Or, le narcotrafic a contribué à l’émergence de nouveaux
itinéraires mais aussi à la ré-utilisation de routes tombées en désuétude, notamment celles de
la guérilla communiste. Ainsi, les réseaux chinois du Kuomintang sont toujours d’actualité :
ils sont par exemple utilisés par les trafiquants de drogues de synthèse entre la Birmanie et la
Thaïlande.
En ce qui concerne le Croissant d'Or, il faut attendre les années 1950 pour que l’Iran
mette un terme à l’approvisionnement de son marché local, ce qui oblige les trafiquants à
adapter les axes de trafic et concentrer la production en Afghanistan et Pakistan. En 1979, la
sévère prohibition de la production et de la consommation d’opiacés en Iran renforce cette
logique de délocalisation des espaces de production de l’opium dans le Croissant d'Or.
Malgré la prohibition, l’Iran reste un pays clé du narcotrafic à cause de son rôle historique
d’axe caravanier majeur et sa tradition de consommation locale.
L’opium et ses revenus sont devenus le moyen et la fin de la territorialisation de ces
ZLE illégales au travers de ces espaces mouvants et adaptables en y jouant un rôle qui est
comparable « à celui qu’il a intégré dans la conduite des conflits armés où, du nerf de la
guerre, la drogue tend… à en devenir l’enjeu »202.
200
Certaines routes, passant par des cols montagneux ou des déserts, ne sont en effet praticables que certains
mois de l’année.
201
CHOUVY P.A. (2002)
202
CHOUVY P.A. (2004a)
74
B. Des espaces hétérogènes mais tellement similaires
Les pays constituant les espaces du Triangle d’Or et du Croissant d’Or ont tout deux
connu dans les années 1980 et 1990 des périodes d’isolationnisme géopolitique qui ont des
conséquences sur l’explosion de la production et du trafic de drogues car l’isolement par la
communauté internationale a favorisé le recours à l’économie illicite. Les deux espaces ont
également connu au sein des Etats qui les composent des conflits armés internes qui en font
des espaces politiquement inaboutis.
1. Des espaces politiques et géographiques similaires
Les deux principaux pays producteurs illicites d’opiacés au monde, l’Afghanistan et la
Birmanie, sont ou ont été deux États parias mis au ban de la communauté internationale
depuis les années 1980. L’instrumentalisation des conflits au sein des deux espaces a favorisé
le recours à l’économie de la drogue et l’ouverture de nouvelles routes, permettant une
diffusion sans précédent du narcotrafic. Les deux espaces partagent des critères communs :
ainsi, les cultures illicites sont très nettement réparties dans les régions frontalières et
montagneuses et la concentration la plus importante de culture illicite se fait dans les deux
Etats dont les conditions politiques sont les plus difficiles.
En Birmanie, l’impunité des narcotrafiquants atteint aujourd’hui un degré
d’institutionnalisation total facilité par le rapatriement et le blanchiment de l’argent du
narcotrafic et l’achat des officiels. Le financement des groupes armés se fait par le narcotrafic
et la junte birmane au pouvoir n’a pas eu d’autres choix que de mener une politique de
conciliation entre les groupes armés et narcotrafiquants pour asseoir son emprise sur le
territoire. La junte au pouvoir était dans les années 1990 aussi directement impliquée dans le
narcotrafic : il était donc impossible d’éradiquer le pavot sans se mettre à dos à la fois la junte
et les cultivateurs. Alors que la Thaïlande, la Malaisie et Singapour se sont faits les chantres
régionaux de la lutte contre la drogue depuis les années 1980, la junte birmane n’a jamais
reconnu que le pays possédait un « problème de drogues »203.
Une situation politique semblable existe en Afghanistan : à part en 2001, les talibans
n’ont en aucune façon freiné l’extension des superficies cultivées en pavot depuis leur prise
de pouvoir en 1994. Les provinces de Helmand et Kandahar, les premières contrôlées par les
203
OTHMAN Z. (2004)
75
talibans, ont toujours été et sont restées les principales zones de production du pays Les
talibans contrôlant près de 95% de la production d’opium afghan dans les années 1990, on
peut penser qu’ils faisaient « plus que tolérer le narcotrafic »204. De plus l’Afghanistan, du
rang de simple producteur d’opium à l’origine, est devenu aujourd’hui le principal
transformateur en héroïne. Les politiques anti-drogues menées par l’Iran et le Pakistan dans
les années 1990 ont joué en faveur du développement et du déplacement des lieux de
production et de transformation en Afghanistan où les conditions nationales ne permettaient
pas la mise en place de politiques similaires : la majorité des laboratoires se retrouvent alors
déplacés en Afghanistan à la frontière avec le Pakistan. La même logique s’est produite entre
le Myanmar et la Thaïlande.
2. Des espaces politiquement inaboutis
Afghanistan et Birmanie ont en commun l’existence de conflits armés prolongés205 sur
leur territoire permettant la pérennisation de leurs productions de drogues respectives. En
effet, si c’est la guerre qui a permis la production de drogue dans de telles proportions, c’est
parce que l’économie de la drogue a grandement contribué au financement de la guerre. Les
deux Etats sont caractérisés par une totale absence d’autorité politique (voire l’inexistence de
l’Etat en Afghanistan), une contestation armée, un manque de cohésion interne, des
fragmentations politiques et tribales. Qu’il s’agisse de la dictature militaire birmane ou du
régime des talibans, leurs compétences territoriales ont été limitées, la dialectique
conflit/drogue entretenant l’incapacité de l’Etat à lutter contre ce fléau. Les Etats du Triangle
d'Or et du Croissant d'Or ne possèdent pas cette superposition des ensembles spatiaux
étatiques et nationaux qui permet d’obtenir un Etat-nation : en effet, les situations politicoterritoriales des six Etats avec leurs revendications identitaires et territoriales de leurs
populations frontalières, illustrent de façon significative le cas d’Etats non-nationaux
« assimilables à des systèmes spatiaux hétérogènes »206. Le modèle unitaire de l’Etat-nation
n’y est pas réalisé et les frontières étatiques sont chevauchées par nombre d’ensembles
spatiaux divergents, emboîtés et discordants.
Triangle d’Or et Croissant d’Or se sont au final surimposés à des Etats eux-mêmes non
totalement territorialisés : les espaces de production d’opium tendent à prendre de la place sur
204
205
206
CHOUVY P.A. (2006), Le défi afghan de l’opium, Etudes n°4056
Depuis 1979 pour l’Afghanistan et 1948 pour la Birmanie
CHOUVY P.A. (2002)
76
la réalité étatique. Le Triangle d'Or et le Croissant d'Or ne se définissent pas tant par des
frontières que par des réseaux et des flux. A tel point que Chouvy demande si l’ont peut
réellement caractériser ces espaces de territoires à part entière : ce sont la production et la
transformation des opiacés qui font des deux espaces des ensembles spatiaux à part entière, et
non une assise territoriale réelle car les narcotrafiquants s’approprient des territoires au
détriment des Etats sur lesquels les deux espaces se sont surimposés. Au final, Triangle d'Or
et Croissant d'Or ne sont pas un seul territoire mais deux ensembles spatiaux « dont les aires
de production illégale fluctuent au gré de l’évolution des processus de territorialisation des
Etats qui les composent »207. Les facteurs politiques priment donc sur les facteurs
économiques dans l’explication du recours à l’économie de la drogue comme dans celle de
l’émergence des zones grises du Triangle d'Or et du Croissant d'Or. Au final, « le pavot
prolifère sur les ruines de guerre mais également sur le terreau du sous-développement »
(CHOUVY).
Il convient désormais de faire un pas supplémentaire dans les « nuances de gris » afin
de s’intéresser à une logique de zone grise géopolitiquement plus importante que les ZLE
illégales : les Etats faibles et faillis, plus particulièrement les narco-Etats.
Section 2 – Les narco-Etats : quand une entité étatique
devient une zone grise
La territorialisation des trafic illicites prend une « nuance de gris » supplémentaire
quand une entité étatique finit par devenir la proie d’acteurs illégaux qui font du cadre
étatique un outil supplémentaire pour assurer la pérennité des trafics. Le concept d’Etat faible
et failli est né dans le contexte post-bipolaire en corollaire de la multiplication des conflits
intra-étatiques. La notion de fragilité d’un Etat part d’une appréciation qualitative de la
capacité des Etats à assurer l’autorité sur leurs prérogatives régaliennes en détenant le
monopole de la violence et l’édifice judiciaire d’élaboration et de contrôle de la loi208. C’est
207
CHOUVY P.A. et LANIEL L. (2006), Production agricole de drogues illicites et conflictualités intraétatiques : dimensions économiques et stratégiques, Cahiers de la sécurité, n° 62, troisième trimestre 2006, pp.
223-253
208
CERI (2007), Les « Etats fragiles » constituent-ils une menace pour la sécurité internationale?, Conférence
organisée par le CPHS, Programme du CERI sur la Paix et la Sécurité Humaine
77
en 1990 que Robert Jackson209 utilise pour la première fois la notion de « quasi-Etat », notion
qui sera remplacée par celle d’Etat « effondré » pour désigner la déliquescence de l’autorité
d’un Etat. Anthony Lake utilisera l’expression d’« Etat failli » défini par le Crisis States
Research britannique comme « un Etat qui ne peut plus assurer la sécurité et qui n’a plus
aucun contrôle sur son territoire et ses frontières ». Serge Sur indique que les Etats dits
« défaillants » sont une « dérivé de la formule américaine de failed states »210. Selon Olson,
un Etat failli est « confronté a de sérieux problèmes qui compromettent sa cohérence et sa
pérennité » étant donné leur incapacité à gérer les rivalités ethniques, tribales, religieuses
et/ou politiques qui mettent en péril l’autorité étatique et l’assise de l’Etat sur son territoire
national. La fragilité étatique concerne largement les Etats africains, notamment en Afrique
centrale – région des grands lacs Rwanda, RDC – ou en Afrique de l’Ouest – Libéria, Sierra
Leone – ainsi que les Etats nés de la fragmentation de la Yougoslavie et de l’URSS, certains
Etats n’offrant que « l’apparence d’une structure juridique organisée »211. En effet, derrière
la façade étatique « se manifestent la prédation de groupes, entre politique et criminalité,
l’absence d’esprit de service public, l’exploitation voire l’asservissement des populations,
l’affrontement sur des bases ethniques ou communautaires, les exactions, qui peuvent à tout
moment conduire à des guerres civiles »212.
La classification proposée par le Failed State Index, base de données annuelle réalisée
par le think tank The Fund For Peace, permet d’approcher aussi bien quantitativement que
qualitativement la notion d’Etat défaillant en classant les Etats selon leur propension à la
faiblesse et à la faillite à partir de critères tant économiques et sociaux que politiques. Les 12
indicateurs de faillite de l’Etat prennent en compte entre autres la corruption et la criminalité,
le degré de recouvrement de l’impôt, les déplacements de populations, les inégalités entre les
groupes sociaux, les discriminations, les contraintes environnementales…Les résultats pour
l’année 2009 sont éloquents : 38 Etats seraient considérés comme faillis et 131 États des 177
étudiés nécessiteraient une attention particulière car possédant une certaine faiblesse voire un
risque accru de faillite de l’État213.
209
JACKSON R. (1993), Quasi-States: Sovereignty, International Relations and the Third World, Cambridge
Studies in International Relations
210
SUR S. (2006), Relations Internationales, Domat politique – Montchrestien, 4ème édition
211
Ibid.
212
Ibidem.
213
Le classement 2009 des États faibles et faillis : 1 Somalie, Zimbabwe, Soudan, Tchad, 5 RDC, Irak,
Afghanistan, République Centrafricaine, Guinée, 10 Pakistan, Côte d’Ivoire, Haïti, Myanmar, Kenya, 15 Nigeria,
Éthiopie, Corée du Nord, Yémen, Bangladesh, 20 Timor Oriental, Ouganda, Sri Lanka, Niger, Burundi, 25
Népal, Cameroun, Guinée Bissau, Malawi, Liban, 30 Congo, Ouzbékistan, Sierra Leone, Géorgie, Libéria, 35
Burkina Faso, Érythrée, Tadjikistan, 38 Iran
78
L’implantation des acteurs illégaux et la perpétration des trafics transnationaux
prennent une ampleur supplémentaire lorsqu’ils s’ancrent au sein d’un État, plus
particulièrement au sein des États faibles et faillis. Les narco-Etats sont des entités étatiques
déliquescentes dont la principale source de revenus est l’argent de la drogue : il s’agit d’une
zone grise territorialisée dans un État qui connaît sur son territoire d’importants trafics de
drogues qui se répercutent dans la sphère économique légale, jusqu’à en faire une entité
étatique vidée de son autorité et de son assise territoriale dans certaines parties de son
territoire livrées aux acteurs illégaux. L’État faible qu’est la Colombie (I) et l’Afghanistan,
Etat failli par excellence (II), sont deux archétypes du narco-Etat et représentent bien la
logique de territorialisation des zones grises à l’échelle d’un État.
I – La Colombie est-elle toujours l’archétype du « narco-Etat » ?
La présence de narcotrafiquants fortement implantés sur le territoire colombien et
l’existence de plusieurs groupes de guérilla armée révolutionnaires voulant renverser le
régime ont progressivement fait sombrer le pays dans un État de faiblesse chronique. Depuis
plusieurs années, l’autorité étatique colombienne ne contrôle plus tout son territoire, de vastes
zones grises s’étant formées et l’État central n’est plus le seul à représenter le monopole de la
production de biens politiques et le monopole de la violence physique légitime. Plusieurs
entités illégales se territorialisent au sein de la Colombie. D’abord les narcotrafiquants,
intermédiaires puissants de la filière drogue qui font le lien entre production par les paysans
locaux et acheminement de la drogue auprès des aires de consommation : ces trafiquants de
drogues ont pris en Colombie une forme d’organisation particulière, les cartels. Viennent
ensuite les deux principaux groupes de guérilla présents sur le territoire national : les Forces
Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC-EP) et l’Armée de Libération Nationale (ELN)
qui se livrent depuis les années 1960 à des tentatives de déstabilisation du gouvernement
national et qui sont fortement implantés sur le territoire colombien. En dernier lieu viennent
les groupes paramilitaires d’autodéfense, les AUC, sorte de milice privée remplaçant l’armée
colombienne inexistante dans certaines régions.
Afin de comprendre l’ampleur de la faiblesse du narco-État colombien, il conviendra
d’étudier l’implantation territoriale concurrentielle à l’État des acteurs illégaux en Colombie,
notamment l’implantation des narcotrafiquants sur le territoire national (A) et la création d’un
79
proto-État criminel au sein de la Colombie ainsi que la concurrence politique que la guérilla
représente (B), faisant ainsi pencher la balance de la Colombie vers un État faible en faillite.
A. Le processus d’implantation territoriale des narcotrafiquants en Colombie
La drogue est au centre des luttes de pouvoir en Colombie, tant militairement au sein
des zones de conflit que politiquement dans les sphères du pouvoir politique : la drogue y est
un enjeu électoral, un objet de confrontation, une source de revenus et une arme politique.
L’alliance entre les cartels de la drogue et les groupes d’autodéfense offrent aux acteurs
illégaux une assise territoriale et économique qui concurrence largement l’État et pèse lourd
sur son développement.
1. Les cartels de narcotrafiquants en Colombie
Le terme « cartel » désigne en économie les accords que font certains producteurs dans
une même branche industrielle dans le but de limiter la production, fixer les prix, se répartir
les marchés, déterminer les quotas de vente et partager les bénéfices214. Les cartels
fonctionnent comme une entreprise industrielle et commerciale légale215 avec ses chefs qui
négocient les marchés, ses spécialistes qui se chargent des travaux concrets (transport,
blanchiment…). Un cartel ressemble à une pyramide à étages opérant une compartimentation
des tâches. Au final, la réalisation d’économies d’échelle démontre le fonctionnement comme
une entreprise transnationale des cartels : le trafic illicite de drogues semble fonctionner
comme une véritable « entreprise en réseau »216. Criminels pour certains, sauveurs pour
d’autres, les cartels ont donné des emplois et des ressources à de nombreux agriculteurs217.
Dès la fin des années 1970, la Colombie n'est alors qu'un modeste producteur de feuilles de
coca et de pâte-base en comparaison du Pérou et de la Bolivie : le pays n’est actif dans le
narcotrafic qu’au niveau de l'élaboration de la cocaïne pure et dans son transport vers les aires
de consommation. Dans la mesure où l'essentiel des bénéfices est réalisé dans la phase de
214
DELPIROU A. et MACKENZIE E. (2000), Les cartels criminels, Cocaïne et
héroïne: une industrie lourde en Amérique latine, Criminalité Internationale – PUF
215
DASQUE, J.-M. (2008), Géopolitique du crime international, Référence Géopolitique, Ellipses
216
CRUZ A. (2006), Les organisations du trafic de drogues en Colombie, Cultures & Conflits, Articles inédits,
2008
217
Pablo Escobar a été pratiquement élevé au rang de divinité indienne auprès des populations rurales (DASQUE
2008)…
80
l'élaboration et de la livraison aux pays consommateurs, il en résulte une accumulation
spectaculaire de revenus aux mains des narcotrafiquants colombiens.
En Colombie, les cartels se sont formés autour du trafic de drogues : le narcotrafic est
la raison d’être des trafiquants. Ce que l'on va désigner comme cartel n'est que l'association de
divers entrepreneurs dans un même réseau218 : il n’est cependant pas à la portée de tous de
tisser les accords internationaux nécessaires au fonctionnement des réseaux d’où la qualité
d'entrepreneurs des chefs de ces grands réseaux qui ont réussi à s’implanter au sein de la
Colombie. En effet, plus que des considérations politiques, c’est la défense de leurs intérêts
commerciaux qui pousse les narcotrafiquants à s’organiser et à accroître leur assise
territoriale. Selon des estimations, les narcotrafiquants ont acquis 48 % des meilleures terres
arables du pays219. Les domaines des narcotrafiquants sont passés d’environ 1 million
d’hectares en 1985 à 4,5 millions d’hectares dans les années 2000220. L’achat d’exploitations
agricoles par les narcos leur a permis de s’associer à des activités légales et de s’assimiler aux
entrepreneurs locaux. Cette forte emprise territoriale a permis de renforcer la production de
drogues, notamment par l’installation de laboratoires de raffinage directement au cœur des
aires de production. L’État est donc loin d’assurer sur son territoire le monopole de la
violence : un modèle alternatif institutionnalisé et territorialisé a pris la place de l’autorité
étatique colombienne.
Le contrôle territorial des narcotrafiquants implique l'appropriation des ressources qui
circulent dans des zones de production de la drogue mais le contrôle territorial des
narcotrafiquants n'est pas nécessairement monopolistique car il cherche fondamentalement à
garantir la sécurité et le développement du commerce. Les réseaux du trafic de drogues,
même s'ils privilégient la participation familiale, doivent s'ouvrir et faire preuve de flexibilité
pour permettre la production et la circulation de la drogue. L’accès aux marchés d’exportation
étant prioritaire, les narcotrafiquants colombiens agissent d’abord en fonction de la gestion
des réseaux de commercialisation : cette étape n’est possible que si les trafiquants possèdent
une assise territoriale stable en Colombie. En ce sens, la territorialisation des narcotrafiquants
au cœur d’un espace de production est la condition première à l’existence d’une filière
transnationale de la drogue.
218
PECAUT D. (2002), Trafic de drogue et violence en Colombie, Cultures & Conflits, 03, Automne 1991
MEZA R. (2005), Trafic de drogue et conflit armé en Colombie, une relation symbiotique ?, Les Cahiers de
la Sécurité n°59, 4ème trimestre 2005, INHES, pp. 39-62
220
LABROUSSE A. (2004b), Colombie : le rôle de la drogue dans l’extension territoriale des FARC-EP (19782002) in LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
219
81
Les années 1970 marquent l’explosion de la demande américaine en coca et en
cannabis. Les gros commerçants opèrent une reconversion totale dans la cocaïne et en 1977,
le cartel de Medellin est né : les narcodollars inondent le pays, qui s’en sert pour effectuer
d’énormes placements et développer ses sociétés de crédit221 et les profits générés par les
narcotrafiquants permettent d’acheter toujours plus de terres. La première génération de
narcotrafiquants colombiens – les « cartels », en particulier ceux de Medellín et de Cali222 –
s’est structurée autour du trafic de drogues et non l’inverse. Seul Medellin a pu garantir la
circulation de la drogue grâce à un système préétabli de paiements à des policiers et
douaniers. Le cartel se fait le « propriétaire » des routes et n’hésite par à les « louer » aux
autres trafiquants dans les années 1980. C'est à partir de 1988 que la guerre éclate entre Pablo
Escobar du cartel de Medellin et les frères Rodriguez Orejuela de Cali, qui se soldera par la
désarticulation des deux cartels au début des années 1990. La mort d’Escobar en 1993 et
l’emprisonnement des frères Orejuela produisent un effet d’affaiblissement des deux
principaux cartels colombiens : faute de chefs historiques capables de reprendre la tête du
mouvement, le milieu des années 1990 marque la fin des cartels de la première génération.
Le temps des cartels est donc terminé en Colombie mais le trafic continue sous la
forme d’une centaine de petites structures : la seconde génération d’organisations qui domine
actuellement le paysage du narcotrafic sud-américain est une structuration en « proto-cartels »
plus décentralisés et moins vulnérables. Ces « cartelitos » accumulent l’expérience de la
génération antérieure de trafiquants et s’organisent en cellules moins grandes et plus discrètes.
Les nouvelles structures préfèrent partager les étapes du trafic avec leurs homologues
mexicains et exploitent de nouvelles routes, utilisent de nouvelles technologies. La deuxième
génération des organisations du trafic de drogues a montré une grande capacité d'adaptation
aux nouvelles circonstances du commerce illicite dans les années 1990 : cet apprentissage est
à la fois une conséquence de la chute des grands cartels et le fruit d'une concurrence pour le
contrôle des routes et des marchés223.
En termes économiques, les narcotrafiquants opèrent aujourd’hui en suivant les règles
de la flexibilité et de la décentralisation caractéristiques des entreprises soumises aux
exigences des marchés globalisés et de la concurrence. Suivant en quelque sorte un modèle de
sous-traitance, le processus de production se trouve fragmenté et gagne en discrétion et
mobilité : la fragmentation du processus au sein de diverses entreprises spécialisées contribue
221
DASQUE, J.-M. (2008)
Du nom des deux villes colombiennes dans lesquelles les premiers cartels se sont originellement structurés.
223
CRUZ A. (2006)
222
82
de plus à la sécurité du commerce. Lorsqu'un secteur est frappé, ce n'est pas toute la chaîne
qui est démantelée et la continuité du commerce n'est pas compromise comme s’était le cas
avec les cartels. Aujourd'hui, les organisations du trafic de drogues en Colombie s'occupent
moins du transport direct de la drogue en direction des Etats-Unis car ce rôle a été concédé à
des organisations mexicaines. Faisant preuve d’une grande flexibilité et d’innovation, les
narcotrafiquants n’ont pas hésité à forcer les paysans producteurs à modifier les schémas de
plantation de la coca en réalisant une atomisation des parcelles, abandonnant les grandes
surfaces cultivées au profit de petites plantations d’un maximum de trois hectares. On assiste
également à une dispersion des aires de production dans un nombre de plus en plus important
de départements colombiens mais aussi de la plantation dans les parcs naturels protégés
nationaux. L’association de la drogue avec des cultures licites, comme c’est le cas dans la
région de culture du café, rend difficile la connaissance réelle de l’étendue des cultures
illicites et leur localisation précise.
Ni organisation pyramidale centralisée, ni système de sous-traitants en concurrence, ni
réseau de concessionnaires franchisés, il faut reconnaître que coexistent plusieurs manières de
produire et de distribuer la cocaïne224 : loin d’une intégration verticale assignant aux soustraitants des tâches spécifiées, le trafic de drogue s’apparente à un enchevêtrement de filières.
Il est évident que la Colombie n'a pas connu une mafia de style italien mais plutôt une
organisation hybride, un « crime organisé de type mafieux »225 structuré exclusivement autour
de la logique économique du trafic de drogues et répondant au besoin de structuration d’un
acteur économique tourné entièrement vers le narcotrafic. Aujourd’hui, les cartelitos sont
comme des « PME de la drogue »226 : les réseaux latino-américains sont donc des réseaux très
souples ou plutôt un enchevêtrement de réseaux mafieux susceptibles de travailler ensemble.
2. Le poids de l’illégal sur l’Etat central
A mesure que les narcotrafiquants consolident leur puissance économique, ils
renforcent leur emprise territoriale sur la Colombie en investissant des sommes considérables
dans l'achat de terres. Concurrencé par des groupes illégaux non-étatique, l’Etat n’est
désormais plus le seul à fournir à la population des biens politiques et les acteurs illégaux
peuvent désormais s’implanter librement sur le territoire national. La faiblesse de l'Etat
224
KOPP P. (1992a), La structuration de l’offre de drogue en réseaux, Revue Tiers Monde, t. XXXIII, n°131,
Drogues et développement
225
CRUZ A. (2006)
226
DASQUE, J.-M. (2008)
83
colombien se manifeste concrètement par deux grandes carences qui laissent à penser que la
Colombie est un Etat faible : d'une part son incapacité à contrôler son propre territoire et
d'autre part la corruption qui caractérise son administration. L'Etat n'a en général pas les
moyens de s'opposer aux acteurs illégaux et est en outre infiltré au sein même de sa propre
administration. Enfin, dans une partie évaluée actuellement au tiers de l'ensemble du territoire
colombien, l'Etat n'existe pas ou du moins pas de manière permanente : les lois de l'Etat
central ne s'appliquent pas dans ces territoires et une forme de justice, de régulation sociale et
d'imposition est dispensée par un autre acteur concurrent de l'Etat. Ces zones sont celles que
contrôlent totalement les FARC, l'ELN et les paramilitaires des AUC. L'économie, la
politique et l'éducation relèvent de mécanismes différents de l’administration centrale.
Jusqu’au développement de l’économie de la drogue, la Colombie était un pays au
degré de corruption relativement faible. Mais la corruption a vite pénétré dans toutes les
sphères sociales et politiques du pays, jusqu’à l’éclatement du scandale qui éclaboussa le
président Ernesto Samper en 1994, élu grâce aux dons du cartel de Cali. Des années 1970
jusqu’au milieu des années 1990, le Pérou et la Bolivie constituèrent la base productive
initiale de la chaîne de la drogue en fournissant aux raffineurs colombiens les produits
intermédiaires basés sur la coca (feuilles de coca et pâte base). Mais à partir de la seconde
moitié des années 1990, la Colombie opère une conversion en tant que pays producteur du fait
de l’augmentation spectaculaire de la culture du cocaïer en Colombie même227. Depuis les
années 1990, la Colombie est passée de « petit » producteur de coca à maître de la filière et ne
dépend plus de la Bolivie et du Pérou pour son approvisionnement en feuilles de cocaïer228.
La faiblesse des institutions nationales, la corruption endémique qui y existe, la forte
implantation territoriale de l’illégal et la prégnance du trafic de drogues font de la Colombie
un État faible singulier que l’on peut qualifier de « narco-État ».
B. L’existence d’un proto-État criminel colombien
L’essor du FARC depuis une quarantaine d’années a été étroitement lié aux contrôles
territoriaux par la guérilla229. La multiplication des fronts de la principale organisation de
guérilla colombienne au début des années 1980 est incompréhensible si l'on ne considère pas
les ressources que l’organisation tire de l'économie de la drogue et de son implantation dans
227
MEZA R. (2005)
DELER J.-P. et al. (2003), Le bassin des Caraïbes : interface et relais entre production et consommation de
drogues, Mappemonde n°72, 2003.4
229
LABROUSSE A. (2004b)
228
84
les zones de culture des plantes à drogue230. La drogue a permis par ailleurs à la guérilla
d’élargir sa base sociale en régulant le marché des produits illicites et en protégeant les
paysans des incursions des forces de l’ordre. Les FARC contrôleraient 30% du territoire
colombien231 c'est à dire que le tiers de la Colombie serait une zone grise libre de droit
national dans lequel seul les FARC possèdent une autorité politique légitime et le monopole
de la violence physique. Depuis la désarticulation des cartels, il est possible d’observer une
tendance incontestable des FARC à ne plus se contenter de percevoir des taxes aux différents
niveaux de la production et du trafic, mais à s’impliquer de plus en plus directement dans les
activités liées au narcotrafic proprement dit.
1. L’assise territoriale des FARC : un État dans l’État
Il est possible de distinguer trois zones territoriales connaissant une présence de la
guérilla mais possédant un degré d’implantation et de contrôle différent : les zones où les
FARC exercent une influence sur la population ; les zones de refuge et les régions d’où ils
extraient des ressources. Dans de nombreuses régions, la prise de contrôle par l’armée
nationale ou par les paramilitaires de territoires difficilement accessibles requiert la
mobilisation de moyens considérables et entraîne « l’impossibilité de tenir longtemps le
terrain qui est réoccupé ensuite par la guérilla »232. La culture et le trafic de drogue ont eu
une influence primordiale sur l’extension territoriale du FARC depuis que la guérilla a
commencé à toucher à la drogue dans les années 1980. Le contrôle territorial découle des
relations entretenues par les FARC avec les paysans qui cultivent la coca et le pavot.
D’ailleurs en 1983, l'ambassadeur des États-Unis en Colombie dénonce la collaboration des
guérillas colombiennes avec les trafiquants : il lance à ce propos l'expression de
« narcoguérilla ». L’argent de la drogue représenterait 30 % à 40% des ressources financières
des FARC.
Au début des années 1980, lorsque la culture du cocaïer commence à prendre de
l’extension dans les zones contrôlées par les FARC, la guérilla a très vite réalisé que les
cultures illicites participaient à la stratégie de survie des paysans qui formaient leur base
sociale. En effet en 1980, 80% des cultures de cocaïers, qui couvraient encore moins de 10
230
PECAUT D. (2002)
CILLUFO F. (2000), The Threat Posed from the Convergence of Organized Crime, Drug Trafficking and
Terrorism, Testimony of the Deputy Director, Global Organized Crime Program, Director, Counterterrorism
Task Force, Centre for Strategic and International Studies, Washington (D.C). to the US House Committee on
the Judiciary Subcommittee on Crime, December 13, 2000
232
LABROUSSE A. (2004b)
231
85
000 hectares, s’effectuaient dans des territoires contrôlés par les FARC. La guérilla établissait
le prix de la coca payée par les commerçants aux petits paysans propriétaires de leurs champs,
en échange d’un prélèvement de 7% à 10% sur le prix de vente de leur récolte. En échange
d’une obéissance stricte aux règles qu’elle impose, la guérilla propose un certain nombre
d’avantages : fourniture de services (éducation et santé), monopole de l’usage de la force et
administration de la justice. Depuis les années 1980, les FARC se posent comme une
alternative à l’État colombien sur son propre territoire.
Les relations des FARC ont été relativement bonnes avec le cartel de Cali et avec des
membres importants du cartel de Medellin comme Carlos Lehder et Pablo Escobar. Les
FARC ont accepté, moyennant finance, de protéger les laboratoires et les pistes d’atterrissage
des narcos lorsqu’ils étaient dans des zones où opérait la guérilla et même de servir d’escorte
aux trafiquants. Ces relations vont devenir extrêmement conflictuelle avec les nouveaux chefs
des organisations type « cartellitos ».
À partir de 1998, un nouveau pas est franchi : les FARC décident d’éliminer les
intermédiaires allant de ferme en ferme collecter la pâte base fabriquée par les paysans – les
chichipatos – pour le compte des trafiquants. L’objectif des FARC est de s’approprier la plusvalue résultant du rôle d’intermédiaire entre les paysans et les trafiquants : pour contrôler ces
activités, les FARC utilisent des milices composées de sympathisants « qui deviennent la
colonne vertébrale de l’articulation de la guérilla avec le circuit économique de la drogue
»233. Les FARC créèrent ces milices populaires chargées de contrôler la population et la
croissance des cultures illicites : ces groupes commirent de tels abus à l’encontre du reste de
la population que la guérilla dut les éliminer et prendre en main le contrôle de l’économie de
la drogue à travers les impôts et la régulation du marché. Ainsi les FARC renforcent toujours
plus leur assise territoriale au sein de l’État colombien.
Au sein des zones d’implantation territoriale du FARC se trouve une zone grise
particulière, sorte de « refuge » pour la guérilla : il s’agit d’une zone démilitarisée nommée
« despeje »234 au centre du pays couvrant environ 42 000 km², soit la taille de la Suisse235
(voir Annexe 18). Les négociations de paix initiées par le gouvernement d’Andrés Pastrana en
1998 avec les FARC ont impliqué l’octroi de cette zone. La zone n’existe plus depuis 2002,
date de la fin des « négociations de paix » avec le gouvernement mais les FARC ne se sont
233
Ibid.
Signifiant « dégagé ».
235
CILLUFO F. (2000)
234
86
pas empressés de remettre au gouvernement le territoire qu’ils occupent. Il est admis que les
FARC ont fait de cette région une base arrière de leurs opérations régionales et une zone de
transit et de stockage de la drogue et des armes circulant à travers le pays236. Au sein de la
despeje, les FARC possèdent leurs propres laboratoires de transformation de cocaïne, ce qui
contribue au financement de la guérilla et à contrôler la majeure partie des étapes de la chaîne
du trafic237.
2. Vers la faillite d’un Etat faible ?
Depuis l'arrivée au pouvoir d'Alvaro Uribe en 2002, la situation semble avoir évoluée
vers une reprise du conflit : la volonté affichée du président de reconquérir les zones hors du
contrôle de l'Etat et de combattre les cultures illicites s'est matérialisée par des combats de
plus en plus nombreux et violents entre l'Etat et ses concurrents, en particulier les FARC. Sur
le terrain ce combat semble être relativement fructueux dans la mesure où de nombreuses
zones qui étaient totalement hors de portée de l'Etat se sont réintégrées au territoire national.
Les récentes victoires de l'Etat colombien sur la guérilla marxiste des FARC sont d'autant plus
importantes que les zones conquises étaient bien souvent des lieux de production massive de
coca : en plus de la perte des chefs historiques, le déclin actuel des FARC tant au niveau
militaire qu'économique et politique est lié en grande partie à la perte de ces ressources.
Aujourd’hui, avec la perte de vitesse du FARC, la Colombie reste un Etat faible : en
effet, le recul de la guérilla et la perte d'une grande partie du territoire sous son contrôle
laisseraient penser que le gouvernement colombien a repris le contrôle de ces zones mais la
présence d'autres groupes armés illégaux n'a fait que modifier en partie le problème. L'armée
colombienne, si elle a réussi à conquérir des zones importantes du territoire, n'a en revanche
pas les moyens de s'y maintenir. Peu à peu les groupes paramilitaires regroupés sous la forme
des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC) ou forces d’autodéfense colombiennes, se sont
transformés en armées privées : désormais il ne s'agit plus de groupes armés soumis aux
forces de sécurité ou au pouvoir des « narcos ». Les AUC sont une sorte de conglomérat
d’organisations paramilitaires opérant sur l’intégralité du territoire national238 et plus
236
HOFFMAN B. et CRAGIN K. (2003), Arms Trafficking and Colombia, Prepared for the Defense Intelligence
Agency – National Defense Research Institute, RAND Corporation
237
A l’exception de ce qui génère le plus de profit, l’exportation et la distribution au niveau des consommateurs,
assurée aujourd’hui par les narcotrafiquants mexicains.
238
Ibid.
87
particulièrement dans les zones où l’État colombien a perdu de son autorité. Les groupes
paramilitaires sont devenus des armées de combattants dotés d'une doctrine, d'une identité
symbolique et d'un armement de guerre de plus en plus sophistiqué qui permet à leur chef de
s'assurer la mainmise sur le pouvoir local. Les paramilitaires se sont transformés en microEtats dans de nombreuses zones rurales du pays. Auparavant bandes armées de protection à la
solde de riches ruraux et de trafiquants de drogue, ces groupes armés se sont convertis en
organisations militaires et politiques qui imposent la sécurité, reçoivent les excédents des
productions illicites, rendent la justice et garantissent ainsi la suprématie de leurs
commandants au niveau local239.
Leur fondateur, Fidel Castano, est un ancien membre du cartel de Medellin qui avait
rompu avec Pablo Escobar, chef historique du cartel de Medellin. Réunies et entraînées par
les Etats-Unis dans les années 1960, leur fonction était à la fois de lutter contre les différents
groupes armés révolutionnaires (et contre les mouvements populaires censés être leur base
sociale) et de protéger les laboratoires des trafiquants qui ont assez rapidement investi dans
l’achat de terres dans ces régions240. Présentes dans pratiquement tous les départements du
pays, elles font une vraie guerre de contrôle du territoire aux mouvements de guérilla pour
récupérer les régions productrices de coca. L’autre mission des AUC est d’étendre leur
contrôle des zones de production de drogues au détriment du FARC et de l’ELN : l’emprise
territoriale illégale se renforce donc en Colombie au détriment d’un Etat central incapable de
gérer la soustraction d’une partie de son territoire à son autorité. Les AUC se sont également
lancées dans la production directe de drogues : on a pu noter qu’une grande partie de la
cocaïne réceptionnée dans les ports espagnols, belges et hollandais provient de ports des côtes
pacifiques et atlantiques situés dans des territoires sous le contrôle politique et militaire direct
des AUC. Après le 11 Septembre 2001, les États-Unis ont placé les AUC sur la liste des
organisations « narcoterroristes » au même titre que les FARC et l’ELN et ont réclamé
l’extradition de leurs leaders sous l’accusation de trafic de drogue. Véritable armée privée de
plus de 10 000 hommes, leur budget dépasse les 8 millions de dollars par an, dont 70%
proviennent du narcotrafic241.
De la même manière que la guérilla, les paramilitaires ont ainsi construit un Etat
parallèle dans les régions rurales où prédominent de grandes propriétés foncières. Le but,
239
DUNCAN G. (2005), Les seigneurs de la guerre à la conquête des villes de Colombie, Drogues et antidrogues en Colombie – Les cahiers de la sécurité, INHES
240
LABROUSSE A. (2004b)
241
NAPOLEONI L. (2004), Terror Inc. Tracing the Money Behind Global Terrorism, Penguin Books, New
York
88
comme pour les FARC est de contrôler les zones de production de drogues. Grâce à leur
puissance militaire et à leurs ressources dues au trafic de drogue, les AUC se battent
aujourd'hui dans le but de contrôler les activités stratégiques dans les grandes villes. Leurs
sanctuaires ruraux et leurs nombreuses connexions avec les cartels leurs permettent
d'accumuler un réseau de relation et de pouvoir : ils sont aujourd'hui capables d'intervenir
dans les guerres entre cartels, dans l'attribution de marchés publics, dans la corruption des
institutions et des administrations des grandes villes. Les AUC se sont révélées être une
confédération de « seigneurs de la guerre » très influente au sein du système politique
colombien : elles ont réussi à accéder à des postes très importants dans le domaine législatif et
contrôlent directement de nombreux gouvernements régionaux, leur offrant une protection
législative contre le pouvoir judiciaire242.
II – L’Afghanistan : un Etat failli financé par la drogue
La chute précipitée du régime des talibans à la fin 2001 accentue la perception d’un
Etat laissé à la merci de clans s’affrontant entre eux : cette étape est l’aboutissement d’un long
processus de faillite de l’Etat afghan qui prend racine avec les coups d’état successifs dans les
années 1970 (CERI). La fuite des cadres, l’émiettement progressif des forces militaires, la
prolifération des milices privées et les répercussions de l’invasion soviétique en 1979 ont fini
par constituer des éléments d’accentuation du chaos total régnant dans le pays. Les guerres de
leadership et leur internationalisation avec les soutiens extérieurs – notamment pakistanais et
américains – finissent par voir triompher les talibans portés au pouvoir en 1996 jusqu’à leur
chute en 2001. Sous administration talibane, pendant que le pays sombre toujours plus dans la
faillite étatique, les provinces sont soumises à la charia et les « seigneurs de guerre » incarnent
la réalité du pouvoir local243, les transferts mafieux de toute sorte (argent du Pakistan, trafic
d’opium et d’héroïne, contrebande d’armes) servant de rente aux gouvernants. Le vide
institutionnel se perpétue dans des zones entières échappant totalement au contrôle de l’Etat.
Le tribalisme, les relations d’allégeances politiques traditionnelles, la difficile accessibilité de
provinces entières compliquent la pénétration de l’administration. La longueur et la
perméabilité des frontières et la banalisation de la culture de la drogue accentuent les
phénomènes de criminalité transfrontalière et rendent plus complexe la mission de
242
DUNCAN G. (2005)
CERI (2007), Les « Etats fragiles » constituent-ils une menace pour la sécurité internationale?, Conférence
organisée par le CPHS, Programme du CERI sur la Paix et la Sécurité Humaine
243
89
reconstruction internationale du pays. L’indicateur le plus fiable de l’état de la production
d’opium reste celui fourni par les superficies cultivées qui permettent de juger du niveau de
contrôle politico-territorial de l’Etat : de ce point de vue là, les surfaces cultivées en
Afghanistan sont telles que le pouvoir central ne contrôle plus l’intégralité de son territoire.
La présence d’acteurs illégaux tenant le pouvoir au détriment de l’État dans certaines régions
(A) et l’existence de trafics et d’une économie parallèle développée sont autant d’éléments qui
tendent à faire sombrer l’Afghanistan dans un état de chaos avancé, ce qui ne veut pas
forcément dire que le trafic de drogue n’a pas été encadré et contrôlé, laissant en suspens la
question de l’existence d’un narco-Etat en Afghanistan (B).
A. La désagrégation politique d’un État
En Afghanistan, la fragmentation politique et militaire a permis un recours croissant à
l’économie de la drogue qui à son tour a encouragé le développement de l’économie de
guerre. Ce cercle vicieux a fonctionné jusqu’à l’éviction des talibans du pouvoir en 2001 mais
dont les conséquences se font toujours sentir aujourd’hui. Les talibans ont largement profité
de cette manne que représentait l’opium dans un pays en pleine déliquescence économique et
dans lequel le coût de la guerre devenait de plus en plus lourd. Le contexte politique et
économique afghan peut s’analyser au travers des tentatives de passage d’une économie de
guerre à une économie de paix or le recours à un marché noir et une économie parallèle
alimentée par la corruption et le trafic de drogue sont très présents en Afghanistan. Tout ces
éléments conduisent à faire de l’Afghanistan un État failli dans lequel l’autorité politique n’est
plus assuré par un État central
1. Une zone grise d’ampleur nationale
Depuis les années 1980, le financement de la guerre contre les soviétiques a largement
bénéficié de l’argent de l’opium : les synergies entre l’économie de la drogue et l’économie
de la guerre se sont développées après le retrait de 1989 et la rupture consécutive des aides
financières et militaires que l’Arabie saoudite et les États-Unis avaient apportées aux
moudjahidin. L’apparition des talibans, ces « étudiants » afghans entraînés par les services
secrets pakistanais et dirigés par le Mollah Omar, sur la scène politique afghane en 1994 puis
l’affirmation progressive de leur emprise sur le pays, de la chute de Kaboul en 1996 jusqu’au
contrôle de l’immense majorité du territoire afghan à la fin de la décennie, n’avaient à
90
l’évidence « aucunement freiné une culture du pavot dont ils avaient hérité »244. Il est
probable que les revenus de la drogue ont avant tout contribué à renforcer leur potentiel
militaire contre l’Alliance du Nord et à faire fonctionner le minimum de structures
administratives dans le pays. La situation actuelle en Afghanistan n’est pas plus glorieuse que
sous le régime taliban : misère des paysans auxquels ne parvient par l’aide internationale,
incapacité du gouvernement central mis en place par les États-Unis de contrôler le pays et
présence de chefs de guerre locaux compromis dans le trafic de drogues. On dénote la
présence de plusieurs groupes armés et groupes terroristes présents sur le territoire afghan,
notamment l’insurrection islamiste menée par Al Qaida, les groupes armés traditionalistes
opposés au gouvernement central et les groupes criminels locaux profitant de la situation
d’anomie pour réaliser des trafics en tout genre245. Une nébuleuse de groupes terroristes
islamistes plus ou moins affiliés à Al Quaida sont également présents246.
Les zones tribales pakistanaises semi-autonomes, à la frontière avec l’Afghanistan,
sont une vaste zone grise échappant totalement au contrôle du gouvernement pakistanais.
Cette vaste zone montagneuse et désertique, appelée North-West Frontier Province, regroupe
les espaces géographiques du Baloutchistan et du sud Waziristân (voir Annexe 15). Le
Baloutchistan pakistanais possède 1200 km de frontières avec l’Afghanistan et 900 km avec
l’Iran et est en contact direct avec la province de l’Helmand afghan : c’est donc un lieu de
transit privilégié des drogues entre l’Afghanistan et le Pakistan. Les zones tribales
pakistanaises sont une voie majeure des trafics de drogues régionaux car elles permettent de
rejoindre Karachi, le plus important centre de consommation du pays et de rejoindre les ports
d’exportation internationale de la côte de Makran. La région profite également de sa situation
frontalière privilégiée au regard du « pipeline des armes » mis en place dans les années 1980
pour lutter contre l’invasion soviétique en Afghanistan : le marché noir des armes,
directement relié aux espaces de stockage, y est abondant. La région possède également un
rôle important dans le financement et l’armement des rebelles afghans mais sert également de
lieu de refuge à l’écart de tout contrôle gouvernemental. La présence directe sur le territoire
afghan d’une telle zone grise ne fait que renforcer la porosité du territoire national.
244
CHOUVY P.A. (2006), Le défi afghan de l’opium, Etudes n°4056
LONSDALE M. (2008), Criminal activity in an insurgent environment. Afghanistan : a case study,
Université Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines, Août 2008
246
Hizb-i Islami Gulbuddin (HIG), Lashkar-e-Tayyiba (LET), Tehrik Talibani Pakistan (TTiP), Tehrik Nefaz-e
Shariat Muhammad…tous des mouvements islamistes locaux prônant un islam radical et la liberation de leurs
terres.
245
91
2. Marché noir et économie de guerre en Afghanistan
La criminalité transfrontalière et la porosité des frontières renforcent la faillite de
l’État afghan : du fait de contrôles frontaliers laxistes et corrompus, les acteurs illégaux
peuvent se déplacer en relative impunité entre le Pakistan et l’Afghanistan. Ainsi les points de
passages frontaliers de Torkham et Spin Boldak sont de véritables « passoires » pour les
trafics. Plusieurs raisons expliquent cette porosité : plusieurs dizaines de milliers de personnes
et des milliers de camions traversent la frontière chaque jour et la plupart ne possèdent pas de
papiers, ce qui rend les contrôles impossibles. De plus la frontière entre l’Afghanistan et le
Pakistan est longue de 2400 km, ce qui permet de multiplier les points de passage illégaux
laissés sans surveillance247. La présence d’un réseaux routier secondaire développé et d’un
contrôle des frontières quasi inexistant a permis le développement des trafics transfrontaliers,
notamment dans les villes de Kandahar et Quetta mais également avec l’Iran, l’Ouzbékistan et
le Turkménistan. Des trafics transnationaux, facilités par les réseaux du trafic de drogues sont
réalisés aux frontières : trafics d’armes, d’êtres humains, de faux documents, de pierres
précieuses, d’essence. Une véritable « culture » des armes existe en Afghanistan248,
particulièrement dans les zones tribales : en 2006, on comptait environ 10 millions d’ALPC
en circulation dans tout le pays, la plupart des armes étant des vestiges de la Guerre froide,
des fournitures russes pendant les années 1970 et du « pipeline des armes » américain. Des
armes originaires des stocks soviétiques des Balkans continuent toujours à alimenter le
marché noir.
Mais se sont aussi les produits de consommation courantes qui sont passés aux
frontières : l’économie informelle et de contrebande y est extrêmement développée et le
marché noir remplace la plupart du temps l’économie légitime. Le régime des talibans, régime
de toutes les privations du fait de la fermeture du pays aux produits étrangers, a connu une
explosion de la contrebande et du marché noir. Les marchés noirs illégaux fonctionnent en
Afghanistan comme leurs homologues légitimes : des produits illégaux ou des produits de
consommation courante issus de la contrebande sont vendus dans des bazars locaux comme
des marchandises légales sans être inquiétés par les forces de l’ordre249. Les activités
criminelles ont été pendant des années de guerre un moyen de subsistance comme un autre :
en l’absence d’une économie stable, d’infrastructures étatiques et d’un système social ou de
247
LONSDALE M. (2008)
Obtenir une arme à feu est même un rite de passage à l’age adulte pour les hommes.
249
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2003), The opium economy in Afghanistan, an
international problem
248
92
santé, le marché noir et l’économie informelle se sont rapidement retrouvés au centre de la vie
économique du pays.
La corruption s’est institutionnalisée à tous les étages de la vie politique afghane, des
gouverneurs locaux au gouvernement central ou encore des forces de police de proximité à
l’armée. La corruption est tellement institutionnalisée en Afghanistan qu’elle est considérée
comme « normale »250 : payer un officier de police pour régler un problème quotidien est
beaucoup plus facile que de passer par un système judiciaire faible et inefficace251.
Transparency International classe d’ailleurs l’Afghanistan comme le septième pays le plus
corrompu en 2008252. Le trafic de drogue entraîne naturellement une corruption endémique en
Afghanistan : la tentation est parfois trop forte pour les gouverneurs locaux ou les agents des
forces de l’ordre253. La faiblesse des salaires dans l’administration publique et les forces de
l’ordre pousse les fonctionnaires à utiliser la corruption comme un moyen de subsistance
comme un autre. S’il semblerait que la territorialisation des trafics et des acteurs illégaux font
de l’Afghanistan un Etat failli, peut-on réellement parler de ce pays comme d’un narco-Etat ?
B. L’Afghanistan est-il un narco-État ?
C’est la persistance d’une économie de guerre et le manque d’Etat centralisé qui a fait
sombrer l’Afghanistan dans un « trou noir » anomique. Mais si le trafic de drogue y est
extrêmement présent et a pendant longtemps financé en grande partie les revenus de l’Etat, il
convient de mettre en question la réalité du terme « narco-Etat » vis à vis de l’Afghanistan.
1. La culture du pavot à opium en Afghanistan
Plusieurs raisons politiques et économiques expliquent le développement de la culture
du pavot à opium dans de telles proportions depuis les années 1980 en Afghanistan : le
manque de contrôle gouvernemental ; la situation agricole désastreuse dans les campagnes à
cause de la guerre ; la présence d’une économie de guerre depuis les années 1970 et le
développement actif d’un marché noir de subsistance. Du point de vue de la rationalité des
paysans afghans, le développement des cultures du pavot a été facilité pour d’autres raisons :
250
LONSDALE M. (2008)
On dit d’ailleurs des afghans qu’ils « peuvent être loués mais pas achetés » (LONSDALE).
252
TRANSPARENCY INTERNATIONAL (2009), Baromètre mondial de la corruption
253
IRIN Documentary (2004), Bitter-Sweet Harvest: Afghanistan’s New War, IRIN Web Special on the threat of
opium to Afghanistan and the region, Juillet 2004
251
93
c’est une culture bien évidemment beaucoup plus rentable que l’agriculture vivrière
traditionnelle, les revenus produisent de fortes liquidités et la vente des produits issus de la
culture est assurée. Le rôle de l’opium comme source de crédit pour les paysans s’explique
par l’absence d’un système économique et financier étatique fiable. Depuis les années 1980,
la production commerciale de pavot à opium est devenue pour nombre de paysans afghans un
des seuls moyens de subsistance disponibles au cours des années de guerre et de nondéveloppement. Depuis 2001 et la chute des talibans, la culture du pavot à opium a été
étendue à toutes les provinces du pays (voir Annexe 19).
Les paysans, dont les superficies cultivables ont été détruites lors des bombardements
systématiques des récoltes pendant l’invasion soviétique ou qui s’étaient réfugiés au Pakistan,
ont été poussés à s’adonner à la culture du pavot pour des raisons de subsistance. Environ
10% de la population totale afghane participe à la culture du pavot à opium, ce qui représente
366 000 foyers soit 2,4 millions de personnes254. Même si les paysans afghans ne perçoivent
qu’un quart du prix de l'opium cultivé, un tel pourcentage correspond à 5 400 dollars par
hectare contre un revenu de 550 dollars pour l'hectare de blé : la culture de l'opium est donc
quasiment dix fois plus profitable que l’agriculture vivrière traditionnelle255. Il est important
de noter qu’aujourd’hui, il serait erroné d’associer automatiquement la culture de l’opium à la
pauvreté de la population : l’économie de subsistance que la culture du pavot a pu représenter
dans les années 1980 et 1990 n’est plus représentative de la réalité de la population paysanne
locale. Les revenus estimés de la culture de l’opium « à la ferme » dépassent les 700 millions
de dollars en 2008256 et ceux des exportations réalisées par les trafiquants de 2,2 milliards :
l’économie de l’opium pèse au total presque 3 milliards de dollars, soit l’équivalent de la
moitié du PIB du pays, donc un véritable moteur qui constitue une entrave au développement
des activités légales. La réelle difficulté du pays vis à vis de la drogue ne tient donc pas au
nombre d’afghans impliqués dans la narco-économie ni dans les faibles surfaces agricoles
exploitées pour la drogue mais à la différence considérable de richesses qu’elle peut procurer
par rapport aux autres activités économiques.
254
L’Afghanistan possède une population de 23 millions d’habitants et compte une moyenne de 6,5 personnes
par foyer in UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008d), Afghanistan opium survey 2008,
Août 2008
255
ROUDAUT M. (2006), Route des Balkans 2006 : des trafics toujours plus intenses vers l’Union Européenne,
Notes d’alerte MCC – Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines n°8 Octobre 2006
256
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008d)
94
2. Les talibans et le narcotrafic
C’est à partir du moment où l’Armée Rouge s’est retirée du pays en 1989 et qu’un
gouvernement moudjahidin s’est installé à Kaboul en 1992 que la production d’opium a
explosé. Entre 1992 et 1994, alors que l’anarchie et le banditisme se développent dans tout le
pays, on observe des affrontements violents entre factions moudjahidin, en particulier dans les
provinces de l’Helmand, du Kandahar et du Badakhshan, dont le motif est le contrôle des
champs de pavot à opium. Les talibans appliquaient à l’opium le système de prélèvement
islamiste sur les récoltes et de redistribution aux plus pauvres, appelé ochor, dont une part
était redistribuée aux personnes démunies du village et deux parts étaient gardées par les
talibans. Ce prélèvement en nature était effectué sur la récolte de chaque produit : en ce qui
concerne l’opium, la taxe était prélevée en nature à hauteur de un huitième de la production.
Ainsi, les talibans ont taxé le commerce de l’opium comme toute autre production agricole, au
travers des prélèvements de l’ochor sur les produits agricoles (10% maximum) et de la zakat
(3% maximum), évitant de faire du pays un narco-Etat dans lequel le commerce de la drogue
s’épanouirait sans aucun contrôle et dont les revenus nationaux dépendraient en grande partie
de l’économie de la drogue. Ainsi la production d’opium est une manifestation de la crise
afghane et non sa cause257. Entre 1996 et 2001, les talibans se sont comportés comme des
rentiers vis à vis de l’opium en tournant la structure étatique vers l’absorption des
narcoprofits : les talibans faisaient donc plus que « supporter » la présence de la culture de
pavot à opium dans leur pays. En revanche, il n’existe pas de preuve que les talibans aient
eux-mêmes géré des laboratoires d’héroïne ni exporté la drogue.
A la fin du mois de Juillet 2000, le Mollah Omar, chef militaire et religieux des
talibans, a fait publier un décret faisant de la production d’opium haram c'est à dire une faute
morale contre les préceptes de la religion258. Les paysans, par peur des représailles, se sont
généralement abstenus de semer le pavot à l’automne. Une étude de terrain du PNUCID
menée au début de l’année 2001 dans les deux principales provinces productrices de
l’Helmand et le Nangahar ainsi que dans les autres régions sous contrôle des talibans fait
apparaître que les surfaces cultivée sont passées de 71 000 hectares en 2000 à 27 hectares en
257
BALENCIE J.-M. et LA GRANGE A. de (2001), Mondes rebelles, Paris, Michalon, coll. Documents,
tomes 1et 2
258
Ses envoyés dans les zones productrices ont affirmé aux paysans que la sécheresse qui frappait le pays était
une « punition d’Allah pour avoir cultivé la drogue ».
95
2001259. L’initiative du Mollah Omar avait sans doute pour objectif de lever un des principaux
obstacles à l’attribution à l’ONU du siège de l’Afghanistan aux talibans alors qu’ils pensaient
être en mesure de balayer en 2001 les forces de l’Alliance du Nord du général Massoud. A
propos de drogues, le Mollah Omar répond « qu’à long terme notre objectif est de nettoyer
complètement l’Afghanistan de la drogue. Mais on ne peut pas demander à ceux dont
l’existence dépend entièrement de la récolte du pavot de passer du jour au lendemain à
d’autres cultures et de trouver des marchés pour leurs nouveaux produits »260. En déclarant
cette interdiction formelle de culture du pavot à l’été 2000, les talibans ont provoqué ce qui a
été la réduction la plus importante et la plus rapide dans l’histoire du narcotrafic : en une
année, les surfaces plantées en pavot avaient baissé de 90% et la production de 95%, passant
de 3 276 à 185 tonnes entre 2000 et 2001261. Si les talibans n’ont pas éradiqué plus tôt le
pavot, c’est d’abord pour ne pas perdre le soutien des tribus pachtounes dont les membres
vivent de cette culture. C’est également parce qu’ils avaient besoin de trouver des ressources
de financement alternatives pour financer la dernière étape de la guerre contre l’Alliance du
Nord à un moment où les fonds en provenance d’Arabie saoudite et du Pakistan avaient
tendance à diminuer.
A la suite de l’intervention militaire des États-Unis en Afghanistan, les talibans
abandonnent Kaboul puis Kandahar, leur fief du sud du pays fin 2001. La chute de la
production d’opium et la chute du régime des talibans, évènements quasi concomitants, ont eu
des conséquences auxquelles « le gouvernement actuel et la communauté internationale
engagée dans la reconstruction du pays doivent toujours faire face aujourd’hui »262. La chute
brutale et quasi-totale de la production d’opium avait eu un impact direct et prévisible sur le
marché de l’opium, les mécanismes de l’offre et de la demande provoquant une hausse record
des prix de l’opium à la ferme. Si avant la proclamation de l’édit du Mollah Omar l’opium se
négociait en moyenne à 30 dollars le kg, au moment de la récolte du printemps 2001, les prix
moyens à la ferme étaient soudainement montés jusqu’à 300 dollars. Comprenant leur erreur,
les talibans autorisent de nouveau les paysans afghans à semer du pavot à opium fin 2001
mais début 2002, le gouvernement intérimaire de Karzaï déclare que la culture du pavot, la
vente et la consommation de l’opium sont interdites sur le sol afghan. Malgré tout en 2002,
259
LANIEL L. et CHOUVY P.A. (2006), Production de drogues et stabilité des États, Rapport pour le CERI et
le SGDN, Mai 2006
260
LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
261
CHOUVY P.A. (2006)
262
Ibid.
96
les rendements de pavot à opium sont de nouveaux à hauteur des productions de 1999263. Le
gouvernement intérimaire est donc loin de contrôler l’évolution de la production d’opium
comme les talibans le faisait jusqu’en 2001. Aujourd’hui, le narcotrafic est entre les mains
d’un triumvirat composé des « seigneurs de guerre locaux » pachtounes, du crime organisé
local et du reste des talibans contrôlant le trafic de drogue depuis le Pakistan ou des zones
tribales pakistanaises264 : contrairement au régime des talibans, l’avenir de l’Afghanistan
comme narco-Etat aujourd’hui semble donc tracé.
La dernière étape dans l’implantation territoriale des zones grises supra-étatiques est
caractérisée par l’existence de zones constituées par un regroupement de plusieurs proto-Etats
criminels, formant ainsi de vastes zones anomiques.
Section 3 – Les regroupements d’États : les zones grises
poly-étatiques
La dernière nuance de gris dans l’implantation territoriale des relations internationales
illicites prend des proportions inégalées avec l’existence de regroupements d’États entiers
tombés sous la coupe de l’illégal. Dans ces États, de véritables « trous noirs » se forment dans
lesquels trafics et acteurs illégaux pénètrent, se territorialisent et gèrent la survie du proto-Etat
comme une entreprise criminelle. Les espaces géographiques représentant ces entités ne sont
plus des États au sens premier du terme mais représentent un vide sans autorité : ils ne
subsistent qu’en tant qu’entité géographique vide de toute autorité étatique. Les biens
politiques n’existent plus, le marché noir et l’économie parallèle remplacent le marché
légitime, la sécurité ne s’obtient que de manière privée et l’état d’anomie y est total. Ces
zones « déchues » et dévaluées sont à la merci totale des relations internationales illicites : ce
n’est pas un hasard si ces zones voient proliférer en leur sein toutes sortes de trafics et
d’acteurs illégaux et ont connu un développement économique rapide grâce aux trafics
illégaux.
Ces
zones
grises
poly-étatiques
particulières
connaissent
également
le
développement et l’implantation territoriale d’acteurs spécifiques qui sont aujourd’hui les
263
Une telle augmentation des superficies cultivées et des quantités produites a eu pour effet de faire chuter le
prix moyen de l’opium à la ferme, de 300 à 92 dollars le kilo (ONUDC Afghanistan).
264
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009e), Addiction, crime and insurgency – The
transnational threat of Afghan opium, Octobre 2009
97
maîtres incontestés de certaines filières des produits illégaux. La zone grise des Balkans (I) et
l’Afrique de l’Ouest (II) sont l’archétype de ces zones grises regroupant plusieurs proto-Etats.
I – La zone grise poly-étatique des Balkans
Au sens géopolitique du terme, les Balkans regroupent les pays de l’ex-Yougoslavie
(Serbie, Monténégro, Bosnie-herzégovine, Croatie, Macédoine, Slovénie et Kosovo), la
Bulgarie, la Roumanie, l’Albanie et la Grèce. En terme de zone grise, les Balkans représentent
un espace anomique de vaste ampleur qui dépasse le cadre strictement local et s’insère dans
une réalité géopolitique transnationale. De plus, on note la présence d’Etats faibles comme
l’Albanie et faillis avec le Kosovo qui permettent une intensification de la présence d’acteurs
illégaux et de trafics transnationaux. Le tout forme une vaste zone où des Etats aux capacités
et à l'efficacité limitées se montrent dépassés par une réalité criminelle solidement ancrée au
niveau régional : au niveau politique, les Balkans représentent une adjonction de pays ravagés
par la fin de la Guerre froide et l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dès 1991. Depuis le debut
des années 1990, les groupes criminels locaux et transnationaux profitent de la faiblesse des
organisations de sécurité et de la porosité des frontières comme point d’entrée en Europe de
l’Ouest pour proliférer en toute impunité dans la région des Balkans et se livrer à des trafics
en tout genre265. Les relations internationales illicites recouvrent à la fois d’anciennes
pratiques endémiques dans les Balkans comme la contrebande ou les flux de migrants
clandestins ainsi que des trafics nouveaux organisés pour des « raisons d’État »266 comme le
trafic d’armes, le détournement de l’aide internationale au profit des partis au pouvoir et des
mouvements de résistance. Au final, les Balkans sont un amalgamme d’« Etatstrafiquants »267 qui profitent du désordre, des embargos et des conflits qu’ils ont tendance à
cultiver. Les Balkans sont aujourd’hui décrits comme l’un des épicentres criminels les plus
actif au monde, phénomène à la fois régional et transnational. La présence d’Etats faibles et
faillis ne fait que renforcer la pénétration des groupes criminels locaux au sein des institutions
nationales et la corruption268. La guerre, l’effondrement de l’économie légale, le manque de
ressources économiques de base et les sanctions internationales imposées contre l’exYougoslavie ont offert les conditions idéales pour l’émergence du marché noir, de la
265
INTERNATIONAL CRIME THREAT ASSESSMENT (2000)
DEBIE F. (2001), Les relations internationales illicites dans les Balkans occidentaux : État, criminalité et
société, Dalloz - Revue internationale et stratégique, 2001/3 - n° 43
267
KOUTOUZIS M. (1995), Drogues à l’Est : logique de guerres et de marché, Politique étrangère, n°1/95
268
STOJAROVA V. (2007), Organized Crime in the Western Balkan, HUMSEC Journal, Issue 1
266
98
corruption, de la contrebande et d’une certaine forme de prise de contrôle du crime organisé
sur les structures politiques locales. La réalité de la zone grise des Balkans ne peut se
comprendre qu’à travers l’exploration du marché noir et de l’économie parallèle que les
populations locales, aidées par les acteurs illégaux, ont mis en place dès les années 1950 et
renforcés dans les années 1990.
Mais la spécificité des Balkans comme zone anomique de grande ampleur répond
aussi à la logique des acteurs criminels y proliférant : les trafics et la corruption n’auraient pas
la même échelle sans la présence d’une « mafia » albanophone qui s’est développée en même
temps que l’explosion de l’ex-Yougoslavie, au gré des besoins en produits de contrebande et
illégaux pour alimenter aussi bien l’économie de guerre que le marché noir et l’économie
parallèle informelle. De ce point de vue, c’est la zone grise des Balkans qui est à l’origine de
la création d’un groupe criminel majeur sous la forme de la mafia albanophone. Les
conditions tant politiques qu’économiques expliquent donc en partie l’émergence d’une telle
criminalité mafieuse locale et l’insertion des Balkans dans une vaste zone de libre échange
illégale transnationale : la fin du communisme, les guerres en ex-Yougoslavie et le manque de
réformes permettant de palier à des économies nationales exsangues ont catalysé le recours à
un marché noir parallèle et de trafics en tout genre (A) ainsi que le développement de la
criminalité organisée d’origine albanophone (B).
A. Caractéristiques de la zone grise des Balkans
Les Balkans ont toujours constitué une zone géopolitique historiquement fragile : le
concept même de « balkanisation » est fréquemment utilisé pour qualifier le processus de
fragmentation et de désintégration de l’Etat. Une des causes principales de faiblesse des
structures étatiques dans les Balkans se trouve dans le processus historique de formation de
l’Etat-nation en tant que tel : depuis le retour des nationalismes, après la chute du
communisme, la plupart des pays balkaniques ont eu à relever les défis d’une transition
sociopolitique et économique complexe doublée d’une recherche identitaire nationale voire
nationaliste avec la question des minorités et celle des frontières269. Les guerres qui se sont
déroulées sur le territoire de l’ex-Yougoslavie ont par ailleurs stimulé des trafics illégaux et
fait naître des réseaux criminels eux-mêmes dotés de capacités politiques et économiques. Les
trafics en Europe de l’Est fonctionnent comme des vases communicants et c’est la raison pour
269
PASCALLON P. sous la direction de (2006), Les zones grises dans le monde aujourd’hui. Le non-droit
gangrène-t-il la planète ?, Défense – L’Harmattan
99
laquelle la poly-criminalité est monnaie courante dans la région. La zone grise des Balkans est
caractérisée par un important marché noir et l’existence d’une économie parallèle de guerre et
de subsistance sur laquelle il faut s’arrêter afin de comprendre la spécificité de cette zone
grise. Des années de privation sous le joug du communisme puis l’explosion de l’exYougoslavie n’ont fait que renforcer la prégnance des trafics illégaux au sein de la région qui
dépassent le cadre strictement local et infra-étatique.
1. L’existence d’une économie parallèle de guerre et de subsistance
Du fait de nombreuses années de guerre et de privation, l’existence et le
développement massif d’un marché noir des biens de consommation courantes et des trafics
divers a eu lieu au sein des anciennes démocraties populaires des Balkans puis des nouveaux
Etats nés de l’explosion de l’ex-Yougoslavie : ce marché noir illégal était même une question
de survie durant l’époque communiste et à plus forte raison pendant les guerres en exYougoslavie270 (PAPAPETROU). Des pays comme l’Albanie, la Roumanie, la Macédoine et
la Bulgarie ont connu avec la chute du bloc soviétique une transition mal contrôlée et trop
rapide vers l’économie de marché : des réformes non maîtrisées, l’explosion du chômage et
l’écart toujours accru entre salaires et prix ont poussé les citoyens des Balkans à s’orienter
vers le marché noir et l’économie parallèle des biens de subsistance et de consommation
courantes271 qui se sont progréssivement substitués à l’économie légale. L’abolition des
restrictions de mouvement pour les biens et les personnes en Albanie et Roumanie ont
également facilité le recours à la contrebande transfrontalière : le marché noir et l’économie
parallèle sont devenus des éléments essentiels et structurant de la nouvelle économie des pays
des Balkans. L’économie parallèle a été plus que tolérée par les autorités locales étant donné
leur implication parfois importante dans des trafics de produits illégaux et du fait de la
corruption latente dans ces pays.
En présence d’une zone de guerre, les populations civiles sont la plupart du temps
livrées à elles-mêmes sans possibilité d’intervention gouvernementale pour rétablir l’ordre.
L’économie traditionnelle légale s’étant effondrée, les civils ont dû compter sur les groupes
armés ayant pris le pouvoir localement afin de se procurer des biens de subsistance et de
consommation courante. Ces activités étant fortement lucratives pour le crime organisé et
270
PAPAPETROU A. (2008), Organized crime in the Balkans, Linköping University Sweden, January 2008
HAJDINJAK M. (2002), Smuggling in Southeast Europe. The Yugoslav Wars and the Development of
Regional Criminal Networks in the Balkans, Center for the study of democracy
271
100
beaucoup moins formelles pour les citoyens, le marché noir et l’économie parallèle sont restés
ancrés dans la réalité des Balkans post-conflits. Au final, tout le monde y trouve son compte :
les civils survivent du mieux qu’ils peuvent grâce à l’alimentation du marché noir et les
groupes criminels connaissent une expansion économique florissante. A cela s’ajoute une
corruption endémique qui permet de faciliter la perpétration de ces trafics272 : à mesure que la
tolérance gouvernementale pour le marché noir s’intensifie et que les officiels profitent de la
situation, l’Etat de droit disparaît dans les méandres d’un système politique et économique
parallèle qui caractérise la zone grise des Balkans.
Les relations internationales illicites sont d’abord le produit du nouvel ordre politique
et du nouvel ordre international dans les Balkans : c’est en effet la multiplication des États et
la prolifération des sanctions internationales qui ont posées les bases des premièrs réseaux de
contrebande internationaux de grande ampleur et conférées à ces trafics une dimension
« para-étatique »273. La fermeture des frontières n’a fait qu’alimenter le besoin de
contrebande, parfois encouragé par les Etats eux-mêmes. Ainsi les flux économiques mis en
place pour répondre à la pénurie d’emplois, de ressources et de protection sont très largement
illégaux dans la mesure où ils « échappent à la fiscalité, aux normes en vigueur sur le travail
ou les produits, aux contraintes de change imposées par les nouveaux États »274. Après
l’effondrement de l’économie légale et la perte de contrôle du gouvernement, les transactions
illégales ont rapidement proliféré jusqu’à atteindre entre 30 et 50% des économies nationales
des pays des Balkans. Environ un quart de l’argent en circulation dans les pays de l’exYougoslavie circule en dehors du circuit économique légal et seulement 20 à 30% des
transactions financières prennent place au sein du cadre formel des banques et institutions
financières légales275. L’économie parallèle est alimentée par le crime organisé et de manière
détournée par les autorités officielles qui profitent des trafics et des pots-de-vin qui leurs sont
distribués par la mafia albanophone en l’échange de leur silence. Les entreprises locales dans
les Balkans préfèrent également passer par l’intermédiaire de l’économie parallèle informelle
afin de faciliter leurs activités commerciales et échapper aux contrôles fiscaux. Face à
l’ampleur de l’économie parallèle et du marché noir, il est presque naturel que la zone grise
des Balkans soit le lieu de tous les trafics, sorte de plaque tournante internationale de l’illégal.
272
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008b), Crime and its impact on the Balkans and
affected countries, Mars 2008
273
DEBIE F. (2001)
274
Ibid.
275
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008b)
101
2. Une plaque tournante internationale de tous les trafics
Les Balkans sont la plaque tournante majeure du trafic de drogues mondial du fait de
la connexion directe entre la Route des Balkans et le marché européen puis américain c'est à
dire entre espaces de production, d’acheminement et de consommation. Les longues frontières
terrestes et maritimes poreuses laissées sans surveillance pendant la guerre en ex-Yougoslavie
sont le meilleur atout pour les trafiquants. La donne criminelle au sein du sud-est européen se
caractérise ainsi principalement par la croissance du trafic d'héroïne sur la route des Balkans :
celle-ci permet d'accroître la puissance financière de réseaux criminels développant leurs
activités au sein de l'Union Européenne276. Les liquidités dégagées par les trafics locaux sont
ensuite injectées dans d'autres trafics afin d’être blanchies au niveau régional, notamment
dans l'immobilier par l'entremise de sociétés écrans. Les narcoprofits réalisés par la mafia
albanophone au Kosovo seraient pour la plupart blanchis dans la région par l’intermédiaire
d’une industrie de la construction immobilière en pleine explosion277.
En 1997, lors du renversement politique albanais, les populations s’emparent des
stocks d’armes militaires du régime albanais, représentant environ un million d’armes à feu et
plus de 1,5 millions de munitions qui échappent en quelques semaines au contrôle
gouvernemental278 : ces armes ont permis d’équiper les groupes armés locaux au Kosovo et en
Macédoine mais se sont également retrouvées sur des théâtres d’opération extérieurs aux
Balkans279. On estime à 8 millions la quantité d’armes légères en circulation constante dans
les Balkans pour une population de 24 millions de personnes, soit une arme pour 3
personnes280. Le Kosovo, à cause de la présence de groupes armés et du manque de contrôle,
fait office d’« armurerie à ciel ouvert »281.
La Bulgarie est le point majeur de production de cigarettes de contrebande. Avec la
guerre en ex-Yougoslavie, la production de tabac s’est trouvée privée de son débouché
international, la Russie : les cultivateurs fournissent alors les mafieux macédoniens et albanais
qui fabriquent des stocks de cigarettes clandestins. Le trafic a pour point de départ la région
276
ROUDAUT M. (2006), Route des Balkans 2006 : des trafics toujours plus intenses vers l’Union Européenne,
Notes d’alerte MCC – Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines n°8 Octobre 2006
277
HAJDINJAK M. (2002)
278
KISS Y. (2004), Small Arms and Light Weapons Production in Eastern, Central, and Southeast Europe,
Small Arms Survey Publication – Octobre 2004
279
STOHL R. et SMITH D. (1999), Small Arms in Failed States: A Deadly Combination, Failed States and
International Security Conference, April 8-11, 1999
280
VALVERDE B. (2004), Le trafic illicite d’armes légères, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Ecole
Normale Supérieure, Septembre 2004
281
CAHIERS DE LA SECURITE (2009), Les organisations criminelles, Cahiers de la sécurité n°7 – JanvierMars 2009, INHES
102
frontalière entre la Grèce, la Bulgarie et la Macédoine et inonde le marché des pays
balkaniques et celui, via l’Albanie, de l’Italie282. La vente annuelle de cigarettes de
contrebande représente plus de 120 millions de dollars en Bulgarie, pays dans lequel les
cigarettes trafiquées représentent 15% des ventes totales de ces biens.
De 1990, début de la transition économique albanaise, à l'an 2000, plus de 15 % de la
population albanaise a émigré en quête de meilleures conditions de vie, soit 500 000
personnes : du fait de leur position géographique, l’Italie et la Grèce sont devenus une terre
majeure de transit des migrants clandestins albanais, à tel point que dans les années 1990,
certains pensent que « l’Albanie déménage en Grèce »283.
La corruption endémique régionale est palpable à trois niveaux : corruption des agents
des douanes afin de faciliter le passage des produits illégaux dans et en dehors de la région et
faciliter l’obtention de documents légaux pour exporter les marchandises ; corruption d’agents
du gouvernement afin de couvrir les activités illégales de la mafia et enfin participation de ces
agents gouvernementaux corrompus aux trafics284. Dans les années 1990, le népotisme et le
clientélisme sont les principaux ressorts des Etats de l’ex-Yougoslavie : la corruption est
monnaie courante, voire considérée comme « normale ». Ainsi les services secrets roumains
de la Securitate ont été impliqués dans des trafics de drogues, d’armes et de cigarettes afin de
financer leurs opérations, le gouvernement national n’étant plus capable de le faire. Ces
agents de services secrets ont très largement profité de la guerre en ex-Yougoslavie pour se
livrer à encore plus de trafics hautement lucratifs. Les Balkans sont l’épicentre du trafic
d’êtres humains dans le monde, les pays « sources » étant principalement l’Albanie, la
Bulgarie, la Moldavie, l’Ukraine et la Roumanie285. Les acteurs criminels croates, bosniaques
et kosovars ont joué un rôle important pour assurer l’indépendance des deux pays et
l’autonomie relative du Kosovo. La région des Balkans compte également la présence de
groupes terroristes à la fois régionaux et internationaux comme le PKK kurde, les Brigades
Islamiques tchétchènes ou encore le Hezbollah286. Au final, la zone de libre échange illégale
des Balkans n’a rien d’anodine : il s’agit aujourd’hui d’une des zones grises les plus actives et
les plus intégrées dans l’économie illégale mondiale. De ce fait, de nombreux acteurs
prolifèrent au sein d’un cadre géopolitique lâche et meurti par les conflits nés de la
282
KOUTOUZIS M. (1995)
MILETITCH N. (1998), Trafics et crimes dans les Balkans, Criminalité internationale – PUF
284
PAPAPETROU A. (2008)
285
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008b)
286
POLYAKOV L. (2003), New security threats in the Black Sea region, Razumkov Centre
283
103
désintégration de l’ex-Yougoslavie. La question de l’émergence d’une mafia albanophone
permet de guider l’analyse de cette zone grise unique au monde.
Un gouvernement faible, une législation criminelle inadéquate, la corruption accrue et
l’absence de forces de sécurité efficaces ainsi que les conditions économiques précaires ont
contribué à faire de l’Albanie et du Kosovo l’environnement parfait pour l’implantation d’une
zone de libre échange illégale et la prolifération du crime organisé. Dans un pays comme
l’Albanie, l’Etat laisse échapper son monopole sur l’exercice de la violence légitime :
l’instabilité de l’Albanie dans les années 1990 est la conséquence de la croissance de groupes
mafieux connectés à la sphère politique en Serbie-Monténégro et aux trafiquants d’armes en
Bosnie287. De son côté, le Kosovo croule sous la corruption qui profite aux acteurs illégaux
d’origine albanaise, bosniaque, croate et serbe . En Albanie comme au Kosovo, l’Etat n’existe
plus et le manque de moyen et de volonté politique pour lutter contre le crime organisé a
transformé ces pays en principales zones de transit des marchandises illégales mondiales et de
repères de choix pour les groupes criminels288.
Certaines parties des Balkans sont aujourd’hui devenues une zone de « criminalité
hybride »289 c'est à dire un territoire dans lequel aucun gouvernement n’est en mesure de
contrôler la situation ou de faire appliquer les règles minimales du droit. Ces zones à la
nuance de gris plus prononcée sont la Herceg-Bosna, zone sous contrôle croate et la
Republika Srpska serbe. Les groupes criminels agissent dans ces régions avec la bénédiction
du pouvoir local : contrôle de l’économie, coopération avec les autorités politiques,
gouvernement et police qui se livrent ouvertement aux trafics. Mais tous ces trafics et le
développement accru de la zone grise des Balkans ne pourraient être possibles sans
l’implantation territoriale de la mafia albanophone.
B. La mafia albanophone
On peut assimiler les mafias à des entreprises criminelles « à but hautement
lucratif »290 : en effet, la mafia gère un système socio-économique spécifique avec son
économie souterraine et ses circuits parallèles. Le mafieux est à la fois gangster et homme
d’affaire et calque le fonctionnement de l’organisation sur celui d’une entreprise : selon Pino
287
KALDOR M. (2006)
STOJAROVA V. (2007)
289
MILETITCH N. (1998)
290
DASQUE, J.-M. (2008), Géopolitique du crime international, Référence Géopolitique, Ellipses
288
104
Arlacchi, « les mafias ont la religion de l’accumulation »291. La mafia est une « société de
secours mutuel qui agit aux dépens de la société civile et pour le profit de ses seuls
membres »292. L’originalité de la mafia réside dans leur gestion des activités criminelles
comme des managers classiques : l’insertion croissante dans l’économie légale au moyen de
sociétés classiques a forgé la figure du mafieux moderne en tant qu’homme d’affaire ou de
chef d’entreprise. La mafia est aujourd’hui une « force créatrice et motrice de l’économie de
marché »293.
La mafia est un ordre juridique parallèle possédant une dimension politique et
territoriale : elle exerce à sa guise son pouvoir de domination sur les secteurs inorganisés du
monde criminel. En ce sens, c’est un « Etat dans l’Etat » qui se glisse dans les vides laissés
par l’Etat en occupant une place en déshérence car la mafia a besoin de l’Etat mais d’un Etat
faible et inefficace. C’est pour cette raison que le mafieux est un « animal territorial »294 : la
force d’une mafia procède de la faiblesse de l’Etat, de son incapacité à s’imposer comme seul
centre de pouvoir territorial. Une mafia ne souhaite pas la disparition de l’Etat mais
simplement son affaiblissement afin de se substituer à l’exercice de ses prérogatives : une
mafia est un Etat parallèle, non un anti-Etat. La maîtrise du territoire est la condition sine qua
non de la puissance d’une mafia mais elle relève d’une géographie invisible car la mafia
dispose de territoires affranchis de l’ordre légal, sortes d’enclaves quasi-autonomes libérées
des contraintes du droit étatique qui concurrence l’Etat sur son propre territoire. Tous ces
éléments présents dans les Balkans ont permis à la mafia albanophone de prospérer sur les
ruines d’Etats faibles et faillis.
1. La structuration d’une mafia atypique
La zone grise des Balkans a représenté dans les années 1990 l’étuve possédant les
conditions locales favorables pour créer un nouveau groupe criminel de grande ampleur : ce
n’est que parce que la zone grise des Balkans existe que la criminalité organisée albanophone
s’est developpée et s’est structurée autour des trafics et de l’alimentation de l’économie
parallèle et du marché noir295. L’émergence de la mafia albanophone a été catalysée par la fin
de la Guerre froide et l’utilisation consécutive des espaces de contrebande par d’anciens
291
GAYRAUD J.-F. (2005), Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé, Odile Jacob
DASQUE, J.-M. (2008)
293
GAYRAUD J.-F. (2005)
294
Ibid.
295
MILETITCH N. (1998)
292
105
membres des services secrets albanais, le Sigurimi : en 1991, l’agence est dissoute à cause de
la guerre en ex-Yougoslavie et est remplacée par le Service National de Renseignement
(NIS). Environ 10 000 agents ont alors perdu leurs emplois et se sont ré-orientés vers le crime
organisé en exploitant les réseaux criminels contre lesquels ils luttaient antérieurement. A
partir de ces groupuscules criminels, les guerres intestines en ex-Yougoslavie ont stimulé les
marchés illégaux et ont fait naître des réseaux criminels dotés de capacités militaires,
politiques et économiques. On qualifie même la mafia albanophone de mafia « sans Etat » au
sens où elle est basée au Kosovo, véritable base arrière des trafics régionaux en tout genre296.
La mafia albanophone a commencé son expansion dans les années 1990 dans les
trafics illégaux sous la coupe de la maffya turque avec laquelle elle s’est progressivement
insérée sur le marché de la drogue. Sitôt après leur établissement, les réseaux albanophones
tendent à se soustraire de la tutelle turque et finissent par organiser leurs trafics de façon
autonome par une politique agressive tant sur les prix que par une sanctuarisation violente du
territoire. Ce n’est réellement qu’à partir du début des guerres en ex-Yougoslavie que les
groupes criminels organisés, mafia albanophone la première, se sont réellement développés
autour de trafics facilités dans les zones de guerre. En plus des groupes armés
indépendantistes ou nationalistes, les « combattants criminels » ont rapidement mis en place
des filières d’exploitation d’armes et de biens de consommation courante qu’ils fournissaient
à tous les partis impliqués dans le conflit. Les sanctions internationales dont les Balkans
souffraient à cette époque ont grandement aidé à l’expansion des trafics par le crime organisé
albanophone297. Après les conflits en Serbie, Croatie et Bosnie, c’est au tour du Kosovo de
s’enflammer en 1995 : le réseau criminel albanophone s’étant parfaitement structuré en exYougoslavie, ce dernier ne rate par le coche et obtient rapidement le monopole de la
réalisation des trafics dans la zone de guerre du Kosovo. Les rebelles kosovars de l’UÇK
auraient largement profités des largesses de la mafia albanophone en matière d’armement et
de financement298.
Après la drogue, la criminalité organisée albanophone s’est rapidement développée
autour de la contrebande d’armes et d’essence : les quantités d’armes disponibles du fait de
l’ouverture des stocks à la fin de la Guerre froide et la demande croissante du fait des conflits
armés régionaux en font un marché hautement lucratif. Le marché des ALPC étant
296
La mafia albanophone compte indistinctement des membres albanais nationaux et des albanais du Kosovo
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008b)
298
HAJDINJAK M. (2002)
297
106
relativement saturé dans les années 1990299, la mafia albanophone, en contact direct avec de
nombreux produits illégaux, oriente son activité criminelle dans les circuits illégaux de la
contrebande de cigarettes et d’êtres humains, notamment par l’intermédiaire des nombreux
camps de réfugiés existant en ex-Yougoslavie300, trafics moins dangereux et beaucoup plus
lucratifs. En plus du pillage et de la contrebande d’armes et de produits de consommation, le
crime organisé albanophone s’est spécialisé dans le détournement de l’aide humanitaire et de
la monnaie étrangère. La filière commerciale albanophone voit ainsi le jour et la polycriminalité et la violence dont elle fait preuve la rendent encore plus visible.
2. L’implantation territoriale de la mafia albanophone
Une forte implantation territoriale régionale et une impliquation importante dans les
trafics permet d’assurer la pérénnité de ce nouvel acteur incontournable dans la scène
économique et sociale des Balkans. La mafia albanophone est un groupe criminel familial
fortement hiérarchisé, discipliné et basé sur l’appartenance au groupe et à l’ethnie
albanaise301. C’est un groupe criminel puissant et violent, très flexible, de type entrepreneurial
et polycriminel. La communauté linguistique, les liens familiaux, la solidarité au sein de
certaines diasporas assurent un haut niveau de sécurité aux réseaux et les protègent des
tentatives d'infiltrations. 90% de la population du Kosovo est d’origine albanaise302 et la
minorité albanaise en Macédoine est plus que visible : cette implantation albanaise dans les
Balkans a largement profité à la mafia albanophone et son expansion rapide. De plus, la
proximité des groupes albanophone avec les zones de combat ont facilité l’expansion des
trafics illégaux dans la région depuis les années 1990. Le port de Durrës est le véritable centre
du trafic de drogues en Albanie, en particulier le terminal de la route sud des Balkans qui
permet à l'héroïne afghane d'atteindre les grands ports d'Italie de Bari, Ancône et Trieste303.
Des contacts avec les mafias italiennes ont été trouvés sur la base d'un partenariat de
sous-traitance avec la Sacra Corona Unita pour la vente d’armes, le cannabis et les migrants,
299
KHAKEE A. et FLORQUIN N. (2003), Kosovo and the Gun : A Baseline Assessment of Small Arms and
Light Weapons in Kosovo, A study commissioned by the United Nations Development Programme, June 2003
300
PAPAPETROU A. (2008)
301
STOJAROVA V. (2007)
302
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003),
Nations Hospitable to Organized Crime and Terrorism, Federal Research Division, Library of Congress,
Washington (D.C.) : Library of Congress, October 2003
303
CHASSAGNE P. et GJELOSHAJ K. (2005), L'émergence de la criminalité organisée albanophone, Cemoti
n° 32 - Drogue et politique
107
notamment les prostituées304. Dans les années 1990, les albanais offrent leurs services et leur
expertise à la mafia italienne dans la contrebande transfrontalière grâce à leur connaissance
accrue du terrain et de la région : c’est une opportunité majeure pour la mafia italienne et pour
les groupes albanophones en gestation. Après avoir travaillé en coopération avec la mafia
italienne, les albanais se sont autonomisés de leurs « parrains » grâce à l’argent et
l’expérience gagnée de leur entente. L'Italie, du fait de sa proximité géographique et de son
imprégnation mafieuse, a naturellement été investie par les réseaux albanophones et est
devenue la principale tête de pont criminelle des albanais au sein de l’Union Européenn : ainsi
la mafia albanophone controlerait la quasi-totalité du marché des prostituées en Italie.
L’expansion rapide des trafics illégaux dans la région par la criminalité albanophone
s’explique surtout par l’intermédiaire de la corruption endémique qui règne toujours dans la
région, plus spécifiquement en Serbie, Macédoine et en Albanie. Ainsi le crime organisé
albanophone a facilement pu pénétrer dans certaines arcanes du pouvoir politique local voire
national dans le sud-est européen, se plaçant à des postes clés ou bien en corrompant des
politiciens haut placés. La criminalité organisée albanophone possède aujourd’hui un droit de
regard sur la quasi-totalité des trafics perpétrés dans les Balkans et possède le monopole de
nombreuses routes d’acheminement des produits illégaux en Europe, d’Istanbul à l’Europe de
l’Ouest en passant bien évidemment par les Balkans. La criminalité organisée dans les
Balkans est de plus en plus marquée à cause de la diversification des activités et l’extension
du champ d’action géographique des organisations criminelles dans la région. La région des
Balkans s’apparente donc à une sorte de no-man’s land, combinant à la fois l’apparence légale
d’Etats relativement stables305 et illégale avec ses nombreux trafics, ces acteurs criminels et
ces espaces à cheval entre zones grises nationales et territoires « libérés », en faisant une zone
grise unique au monde, sorte de « Colombie européenne »306. La zone grise d’Afrique de
l’Ouest rentre également dans cette logique de territoire anomique dépassant le simple cadre
national en s’ancrant dans un epsace géopolitique élargi.
304
ROUDAUT M. (2006)
Kosovo mis à part…
306
Ibid.
305
108
II – La zone grise poly-étatique d’Afrique de l’Ouest
On entendra par Afrique de l’Ouest la congrégation des pays côtiers au nord du golfe
de Guinée jusqu’au Sénégal, ainsi que les pays de l’arrière-pays sahélien c'est à dire le Bénin,
Burkina Faso, Cape Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia,
Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et le Togo (voir Annexe 20). Par
Afrique des grands lacs, dimension plus politique que géographique, on entendra le Burundi,
le RDC, l’Ouganda et le Rwanda. Le développement des zones de conflits en Afrique résulte
à la fois de la résurgence des conflits identitaires, ethniques, religieux ou nationalistes ; de la
faillite des États de droit et des souverainetés en déshérence, des immixtions des puissances
régionales et internationales et d’une mondialisation des organisations criminelles
internationales. Les conflits armés africains sont généralement liés aux ressources et aux
circuits de production et de recyclage des narcodollars307 : la quasi-totalité des guerres en
Afrique est liée au contrôle des richesses, au pillage ou à la recherche de protection contre
rémunération.
La multitude de coups d’Etats et de guerres civiles en Afrique de l’Ouest depuis les
années 1970 tend à faire disparaître la frontière entre politique et criminalité308. Dans des pays
comme la Sierra Leone ou le Libéria, la différence entre crime organisé et violence politique
est inexistante, tant les groupes armés sont impliqués dans la déstructuration de l’Etat et sa
faillite.Dans les années 1960 et 70, la quasi-totalité des pays d’Afrique de l’Ouest a connu des
conflits internes, des coups d’État
et des guerres civiles meurtrières entraînant des
déplacements massifs de population309. Les guerres civiles et intra-étatiques ont été de
véritables catalyseurs de l’émergence de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest comme vaste
zone grise poly-étatique s’inscrivant dans un cadre régional supra-étatique. De la même
manière que les conflits armés, la structure économique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest et
des grands lacs, basée sur l’exploitation des ressources naturelles alliée à une conception
patrimoniale de l’État, contribue à offrir un environnement particulièrement propice à la
conduite d’activités illégales et à attirer des acteurs illégaux recherchant un cadre politique et
307
HUGON P. (2001), L’économie des conflits en Afrique, Dalloz – Revue internationale et stratégique, 2001/3 n° 43
308
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2005c), Transnational Organized Crime in the
West African Region
309
Togo, Bénin, Burkina Faso, Nigeria, Sierra Leone, Liberia, Ghana, Guinée-Bissau, Guinée, Niger et Mali
mais également Ouganda, Congo et Rwanda. En Afrique, on estime que sur 11 pays en conflit durant les
années 1990309, le nombre de morts serait de 4 à 7 millions, soit 2,5 à 4,5 % de la population totale sur le
continent. En 2000, 20 % de la population africaine et 14 pays étaient concernés par la guerre. On estimait le
nombre de réfugiés à 4 millions et celui des déplacés à 10 millions in HUGON P. (2001)
109
économique lâche : du fait de la fragilité endémique de la structure étatique régionale, une
vaste zone grise existe bel et bien, remplaçant presque totalement le cadre étatique et
économique légal310. A cela il faut ajouter des problèmes internes aux pays de la région
comme des taux de chômage records surtout parmi les jeunes, l’exclusion sociale de couches
importantes de la société, la faiblesse de la société civile locale et les violations des droits de
l’homme. Il est nécessaire de faire un Etat des lieux des trafics et de l’économie de
contrebande dans la sous-région africaine ainsi que des acteurs faisant vivre la zone grise (A)
avant de s’intéresser plus particulièrement à l’émergence récente d’un trafic de drogues
massif dans la zone grise africaine (B).
A. Etat des lieux de la zone grise d’Afrique de l’Ouest
La faiblesse voire l’inexistence d’institutions étatiques chargées du maintien de l’ordre
ou de la sécurité, la pauvreté et les guerres civiles et ethniques endémiques qui touchent le
continent depuis les années 1970 sont en partie responsables du recours à une économie de
contrebande parallèle ainsi qu’à la réalisation de nombreux trafics transfrontaliers dans la
sous-région africaine. La collusion entre acteurs criminels et élites au pouvoir est monnaie
courante dans la région : la corruption est vue comme « naturelle », sorte de continuum à la
domination patrimoniale traditionnelle en Afrique. La question de la frontière est primordiale
dans la compréhension de la notion de zone grise en Afrique : imposées par les puissances
coloniales, les frontières africaines ne recoupent pas les découpages ethniques et territoriaux
traditionnels des peuples africains, ce qui tend à rendre caduque la notion même de frontière
comme zone délimitée d’un territoire national. Les passages incessants des peuples entre les
frontières des Etats d’Afrique de l’Ouest sont un circuit tout trouvé pour les trafiquants qui se
fondent dans la masse du commerce transfrontalier traditionnel311. La mondialisation a touché
l’Afrique grâce au développement des trafics illégaux transnationaux, même si ce n’est pas
forcément la mondialisation que l’on attendait : aujourd’hui, les activités illégales en Afrique
sont fortement intégrées aux activités licites à tel point que les deux se mêlent et deviennent
consubstantielles l’une à l’autre. L’étude de l’économie informelle et des acteurs réalisant les
trafics permet de rendre compte de cette insertion de l’illégal dans la vie économique et
politique de la sous-région.
310
ANDRES A. de (2008), West Africa under attack : drugs, organizes crime and terrorism as the new threast
to global security, UNISCI Discussion Papers, Nº 16 nero / January 2008
311
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003)
110
1. Trafics et économie informelle en Afrique de l’Ouest
L’Afrique connaît tous les types d’activités criminelles et de contrebande possibles et
imaginables : trafic de drogues, d’armes, d’êtres humains, de cigarettes, de pétrole et de biens
de consommation courante ou de première nécessité, corruption, blanchiment, contrefaçon,
pillage des ressources naturelles (bois précieux et pierres précieuses surtout), activités
criminelles « traditionnelles » comme le vol, l’extorsion, le braquage, les enlèvements. Dans
les pays de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest312, l’économie
informelle représenterait 60% de la richesse produite, les principaux bénéficiaires de ce
système économique parallèle étant le monde criminel. La criminalisation croissante de
certains secteurs entiers de l’économie des pays d’Afrique de l’Ouest continue de renforcer
les réseaux illégaux et la corruption régionale313.
En Afrique, le trafic d’ALPC est particulièrement opaque et dynamique : l’Afrique
compte pour plus de 15% du commerce d’armes illégales dans le monde. Une véritable
culture des armes existe dans les pays africains en proie aux guerres civiles depuis des
décennies : posséder une arme à feu est plus une question de survie dans le cadre de la
perception de la violence armée comme régulateur efficace de la vie sociale. C’est
particulièrement le cas en RDC où il y a plus d’ALPC que d’habitants dans certaines
provinces de l’Est du pays314. La saturation de l’offre d’ALPC dans la sous-région par rapport
à la demande et le manque de contrôle centralisé de la distribution forme un réseau de trafics
d’armes à feu lâche, peu organisé et faiblement administré315. Le marché des armes à feu en
Afrique est régi par deux sources de demandes : d’un côté la redistribution d’ALPC en
remplacement de la monnaie dans les échanges commerciaux illégaux dans la société et
d’autre part un marché noir extrêmement développé fournissant des armes aussi bien aux
groupes armés qu’aux civils désireux d’assurer leur protection. Le Libéria a gagné dans les
années 1990 la réputation de centre de trafic des ALPC : les conditions politiques et ethniques
en plein contexte de guerre civile ont permis le développement rapide d’une filière des armes
régionales permettant d’irriguer la demande en Afrique. Le point focal de la contrebande dans
312
Créée en 1975, la CEDEAO est une organisation internationale régionale ayant pour but principal de
promouvoir la coopération et l'intégration régionale et de créer une union économique et monétaire entre les pays
de l’Afrique de l'Ouest. Elle compte aujourd’hui 15 Etats membres.
313
WANNENBURG G. (2005), Organised crime in West Africa, African Security Review 14(4)
314
SHROEDER M. et LAMB G. (2006), The Illicit Arms Trade in Africa. A global enterprise, African Analyst,
Third Quarter 2006
315
DEMETRIOU S. et al. (2002), Small Arms Availability, Trade and Impacts in the Republic of Congo, Small
Arms Survey Special Report – Avril 2002
111
la sous-région s’articule entre les frontières de Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria et
Burkina Faso, là où les contrôles sont encore plus inexistants qu’à l’accoutumée : ce corridor
est le cœur de l’illicite dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest.
Le trafic de cigarettes est un marché très lucratif en Afrique, dans des pays comme la
Guinée-Bissau où les cigarettes de contrebande représentent 80% de l’offre en cigarettes316.
Les cigarettes sont le plus souvent produites en Chine et au Vietnam et circulent en Afrique
par l’intermédiaire des pays de transit que sont la Guinée et la Mauritanie. La contrebande de
médicaments est un marché très développé dans la sous-région africaine, l’offre de
médicaments légaux et l’accès aux soins y étant fortement limités : la plupart des
médicaments trafiqués proviennent de Chine et d’Inde, sont en vente libre et accessibles à des
prix compétitifs par rapport aux médicaments légaux hors de prix ou disponibles uniquement
sur ordonnance. Les médicaments trafiqués317 représentent jusqu’à 50% de l’offre de
médicaments en Afrique.
La contrebande de diamants représente un enjeu majeur des guerres en Afrique, tout
en constituant l’une des principales sources de financement de ces conflits, les filières du
diamant et celles de l’armement étant étroitement liées318. Selon le lobby diamantaire
hollandais De Beers, l’Afrique pèse 52 % des 6,8 milliards de dollars produit chaque année
dans l’industrie diamantaire. Les zones conflictuelles de l’Angola, du Libéria, du Nigeria, de
la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire et de RDC ont été le théâtre de plusieurs conflits civils
alimentés par l’extraction illégale et l’exportation de diamants319. La criminalisation du
diamant a commencé dans les années 1980 avec le soutien de l’Afrique du Sud, de l’ex-Zaïre
de Mobutu et de la Côte-d’Ivoire. C’est en Angola et en Sierra Leone que les premiers «
diamants de conflit » sont apparus, pays dans lesquels les groupes armés se sont appropriés le
contrôle des mines ou des sites diamantifères, les diamants étant dans ces pays le moyen le
plus simple de financer l’achat des armes nécessaires à la poursuite du conflit320. Au fil des
années, il est devenu de plus en plus difficile de savoir si les diamants favorisaient la
perpétuation de la guerre en Angola et au Sierra Leone du fait des achats d’armes qu’ils
permettaient ou si la guerre durait simplement afin que les différentes bandes armées
316
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2005b), Criminalité et développement en Afrique,
Juin 2005
317
Ces derniers étant des placebos et ne contiennent généralement pas d’ingrédients actifs.
318
HUGON P. (2001)
319
En valeur, le Botswana, la Russie et l’Afrique du Sud sont les trois premiers producteurs mondiaux de
diamants devant l’Angola, la Namibie, le Canada, la RDC et l’Australie.
320
MUGNIER D. (2001), Les diamants et les relations internationales illicites, Dalloz – Revue internationale et
stratégique, 2001/3 - n° 43
112
apparentées à l’un ou l’autre camps puissent conserver la maîtrise des sites diamantifères.
L’ancien président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, a été la caricature même du « gemnocrate ».
Le diamant est aujourd’hui l’une des ressources privilégiées utilisées par les
mouvements rebelles comme par les gouvernements africains pour obtenir des armes, des
prestations de sécurité diverses et finalement, mener des guerres sur le continent. Dans ces «
États fantômes »321 où le diamant reste l’ultime ressource disponible pour accumuler un
capital, la ressource minière fait vivre un réseau clientéliste et permet l’entretien d’une armée
bien équipée, opérant par la même une véritable recomposition des modes d’exercice du
pouvoir fondés sur le contrôle des gemmes. Les pierres permettent d’acheter des armes, ou de
financer toutes autres activités nécessitant de l’argent blanchi322 : en effet, les diamants ne
causent pas les guerres en Afrique mais constituent la monnaie d’échange entre rebelles et
commanditaires, créant ainsi une motivation économique évidente de s’approprier les
ressources diamantaires. Les groupes armés locaux s’intéressent particulièrement au trafic de
diamants en raison de sa valeur qui permet la vente unitaire et non au poids. Dans les années
1990 des milliards de dollars en diamants ont été importés en Belgique, en provenance du
Libéria or le Libéria n’est pas un producteur de diamants. Le même scénario s’est développé
dans l’ex-Congo, pays non producteur mais exportateur massif de diamants dans les années
1990. Il est difficile d’évaluer la part prise par les « diamants du sang » dans la production
mondiale : le phénomène toucherait entre 10 et 20 % de la production mondiale pour certains
experts323 contre 4% pour le lobby De Beers324. Mais tous les trafics illégaux en Afrique de
l’Ouest ne pourraient être possibles sans la structuration d’acteurs illégaux proliférant au sein
de la zone grise régionale.
2. La prolifération d’acteurs illégaux et la structuration des gangs nigérians
On peut identifier des facteurs sociaux associés à la criminalité en Afrique : inégalités
de revenus, jeunesse de la population, urbanisation rapide, manque de moyens des systèmes
de justice pénale, déplacements humanitaires et réfugiés, prolifération des armes à feu liée en
partie à la recrudescence des conflits dans toutes les régions du continent325. Certains facteurs
complémentaires liés à la géopolitique africaine entraînent une augmentation de la criminalité
321
Ibid.
GLOBAL WITNESS (2003), For a Few Dollars Mors : How al Queada Moved into the Diamond Trade
323
Ibid.
324
4% qui pèsent malgré tout environ 600 millions de dollars par an…
325
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2005c)
322
113
en période post-conflit. On peut observer premièrement la criminalité en tant que moyen de
subsistance : les jeunes gens qui sont formés aux techniques de la violence et qui n’ont pas
d’autres moyens de subsistance ni de possibilités d’éducation après les conflits peuvent créer
des filières de contrebande rentables. De la même manière, les catastrophes humanitaires et
les déplacements de populations en raison des conflits sont autant de séquelles pouvant
alimenter la criminalité organisée. En dernier lieu, la disparition de l’autorité et
l’affaiblissement de l’État ainsi que la généralisation de la corruption peuvent entraver les
tentatives de rétablissement de l’ordre et faciliter la prolifération de groupes criminels bien
implantés dans le paysage national et régional.
Il est possible de parler d’un « nouveau triangle négrier »326 en Afrique entre les
puissances criminelles qui tiennent les marchés, les élites corrompues qui tiennent le pouvoir
et les milices tribales qui détiennent la puissance régionale. Plusieurs types d’acteurs illégaux
se partagent les marchés et réseaux de trafics en Afrique et revendiquent tous une part de la
violence criminelle existante dans la sous-région. Cette diversité rend difficile une
catégorisation précise des acteurs criminels locaux même si l’on peut identifier les groupes
armés rebelles, les milices et groupes armés ethniques, les « seigneurs de la guerre » et enfin
les gangs criminalisés.
Les groupes armés rebelles et mouvements de guérilla sont territorialisés dans des fiefs
locaux et pratiquent un racket et un pillage systématique des ressources des populations
contrôlées : les conflits et les guerres civiles durant depuis les années 1970 tendent à créer des
groupes armés ressemblant plus à des armées semi-professionnelles qu’à de simples
criminels327. Les milices et groupes armés sont généralement issus des guerres civiles intraétatiques et le conflit résolu, continuent à pratiquer des activités de prédation et se livrent à
des trafics en tout genre afin de financer leur existence : ne souhaitant en aucun cas prendre le
pouvoir dans leurs pays respectifs, ils exercent simplement une pression sur le gouvernement
central. Les « seigneurs de la guerre » représentent des « chefs » criminels implantés dans une
zone territoriale généralement non-urbaine gérant un bassin d’activités criminelles afin
d’assurer le clientélisme par la redistribution locale des ressources
Les gangs et groupes criminels purs sont généralement issus de milieux pauvres et
sans emplois parmi les jeunes désœuvrés des métropoles qui se livrent à la criminalité
traditionnelle ainsi qu’aux trafics comme moyen de survie au travers de groupes criminels peu
326
GOUREVITCH J.-P. (2002), L’économie informelle. De la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics, Le Pré
aux Clercs – Essais
327
DEMETRIOU S. et al. (2002)
114
structurés. On estime généralement que la criminalité organisée en Afrique de l’Ouest sous sa
forme actuelle est apparue dans les années 1970 en même temps que naissent les problèmes
liés au développement en Afrique comme la montée des prix du pétrole, les taux élevés
d’inflation et la progression rapide des niveaux de la dette dans les pays en développement.
Or les groupes criminels africains présentent des structures lâches, fragmentées. Ils
prennent plutôt l’apparence d’un crime « désorganisé » que de réels groupes criminels
structurés. Seuls les gangs nigérians possèdent cette capacité d’organisation : les gangs
nigérians sont caractérisés par leur flexibilité et leur habilité à s’approprier le monopole de
nombreux trafics en Afrique, n’hésitant pas à employer des structures et des méthodes dignes
d’entreprises légales.
Le Nigeria est le premier pays trafiquant d’Afrique de l’Ouest en ce qui concerne la
filière de la drogue et le blanchiment des narcoprofits, faisant de cet Etat l’un des plus
corrompus au monde328 et qui a développé une économie informelle de contrebande, de
piratage, de contrefaçon et de corruption la plus développée et la plus ancrée dans la réalité
quotidienne. La ville de Lagos est la « capitale » africaine du crime et commence à posséder
une attraction internationale pour les trafiquants transnationaux. La ré-orientation du trafic de
drogues vers l’Afrique en destination de l’Europe illustre le mieux l’attrait de l’Afrique
comme nouvel Eldorado de l’illégal. Des décennies de junte militaire au pouvoir dans le pays
n’ont pas arrangé la situation économique qui a poussé les populations civiles à se tourner
vers le marché noir et l’économie parallèle comme moyen de subsistance et de prêter
allégeance aux « seigneurs de guerre » locaux afin d’assurer tant bien que mal leur sécurité, le
gouvernement central n’étant plus capable de fournir de biens politiques.
En raison de cette situation politique et économique si particulière au Nigeria, des
groupes de criminalité organisée ont commencé à voir le jour dans les années 1980. Les gangs
nigérians se structurent autour de personnes expertes dans un domaine précis et susceptibles
d’être associées à d’autres personnes sur la base d’accords, plutôt que dans le cadre d’une
hiérarchie rigide. Les gangs nigérians répondent à une structure réticulaire souple formée par
des cellules actives dans de nombreux pays mais qui restent toutes rattachées au groupe
central basé à Lagos : chaque cellule se livre à des trafics illégaux conformément aux
instructions données par le centre décisionnel. Les groupes de criminels nigérians ont
tendance à ne pas s’organiser en structures à grande échelle et hiérarchisés : le terme « réseau
328
INCSR (2009)
115
» est probablement plus approprié car les individus membres du groupe forment, avec leurs
propres savoirs et techniques, des « coalitions à but commercial qui peuvent se développer ou
disparaître en fonction de la demande du marché et des efforts des services de
répression »329.
Les liens ethniques traditionnels possèdent une part vitale dans la structuration des
gangs nigérians puisque le recrutement de nouveaux membres de l’organisation se fait
uniquement sur la base de l’appartenance ethnique et même tribale. Se structure ainsi un
réseau fermé à l’extérieur et à toute tentative d’intrusion par des « non-locaux » qui ne
partagent pas la même affiliation traditionnelle. Cette structuration renforce le monopole de
ces gangs sur une grande partie des trafics transnationaux présents dans la sous-région
africaine mais cette structure particulière permet aux gangs nigérians de coexister avec les
groupes criminels beaucoup plus hiérarchisés qui contrôlent d’autres aspects de la filière
illicite : les nigérians ne rentrant pas en concurrence avec les autres groupes criminels mieux
implantés et ont également réussi à se faire une place sur les marchés étrangers
traditionnellement contrôlés par les groupes criminels locaux en prenant le contrôle des petits
marchés puis en remontant la filière jusqu’à la contrôler. Du fait de leur flexibilité, les
organisations nigérianes sont capables d’aller chercher des marchés et s’octroyer des
« niches » marchandes beaucoup plus facilement qu’un groupe criminel traditionnel. Cette
structure organique est extrêmement adaptable et permet à ces groupes de pénétrer sur des
marchés étroits auxquels les organisations plus lourdes n’ont pas accès. D’autre part, leur
flexibilité permet de résister aux mesures de répression existantes localement330. De cette
façon, les réseaux nigérians ont pris le contrôle des marchés de la vente au détail du cannabis,
de la cocaïne et de l’héroïne de plusieurs villes d’Europe de l’Ouest et disposent de puissants
centres d’opérations tant dans les pays producteurs (Brésil, Thaïlande, Pakistan, Afrique du
Sud) que les pays de destination, y compris les Etats-Unis. Utilisant la même logique que pour
des activités légales, les réseaux criminels nigérians abandonneront rapidement un produit ou
une technique qui n’est pas rentable au profit d’une autre : ils combinent ainsi librement
activités légales et criminelles et multiplient les opérations de poly-criminalité. Depuis la fin
des années 1990, plus de 500 cellules formant les gangs nigérians seraient actives dans une
soixantaine de pays et entretiendraient des liens avec la plupart des groupes criminels
européens, sud-américains et asiatiques.
329
330
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2005b)
Ibid.
116
La contrebande de pétrole est une spécialité des gangs nigérians : le principe est de
remplir la soute d’un bateau avec du pétrole volé directement sur les sites de production
locaux, le Nigeria étant l’un des pays africain le plus pétrolifère331. Une autre technique inclue
le raccordement illégal à un pipeline afin de profiter du flux de pétrole. La corruption du
personnel travaillant pour les compagnies pétrolifères locales est bien entendu obligatoire afin
d’assurer l’impunité du trafic. Dans le Delta du Niger, on estime qu’entre l’équivalent de 100
000 et 300 000 barils de pétrole sont volés chaque jour332 pour se retrouver sur le marché
régional de la contrebande, les trafiquants nigérians revendent le pétrole dans les pays voisins.
Avec un prix de vente moyen local du baril à 20 dollars, ne serait-ce que 150 000 barils volés
représentent plus de 3 millions de dollars de revenus journaliers, soit un milliard de dollars
annuel, la quasi-totalité revenant aux criminels et aux agents corrompus333.
Les gangs nigérians sont également les pionniers en matière de fraude informatique,
notamment par l’intermédiaire de fraudes par Internet. La fraude bancaire la plus célèbre est
connue sous le nom de fraude « 419 », d’après l’article du Code Criminel nigérian punissant
cette pratique illégale : sur les 138 pays victimes de fraudes bancaires informatiques depuis
2003, les criminels nigérians auraient frappé dans 122 pays. La réalisation de telles fraudes ne
nécessite pas forcément des connaissances très approfondies en informatique mais montre
malgré tout le degré de sophistication des trafics dans lesquels les nigérians se sont lancés
depuis quelques années.
L’Afrique de l’Ouest tend à devenir aujourd’hui une nouvelle plaque tournante
internationale du trafic de drogues.
B. L’Afrique de l’Ouest comme nouvelle plaque tournante internationale du
trafic de drogues
La décennie 1980 marque le tournant dans l’intégration de l’Afrique subsaharienne
dans l’économie des drogues illicites : c’est à partir de cette époque que le trafic de drogues
transnational commence à passer par l’Afrique avant de transborder la marchandise auprès
des aires de consommation européennes. L’Afrique de l’Ouest devient une nouvelle terre de
passage des produits illicites provenant d’Asie et d’Amérique Latine vers l’Europe et
331
Le Nigeria est considéré comme le septième producteur mondial de pétrole et responsable de 4% de la
production annuelle mondiale, en faisant le cinquième pourvoyeur de pétrole brut aux Etats-Unis.
332
Ce qui représente tout de même entre 5 et15% de la production officielle !
333
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2009c), Transnational trafficking and the rule of
law in West Africa : a threat assessment, Juillet 2009
117
l’Amérique du Nord. En plus de cela, l’Afrique est devenue une terre de production de
cannabis et un nouveau marché de consommation en forte expansion. La situation du trafic de
drogues en Afrique de l’Ouest ressemble-t-elle plus à celle de l’Amérique Centrale, à celle
des Balkans ou bien répond-elle à une nouvelle logique ?
1. Evaluation de l’ampleur du trafic de drogues en Afrique
Au premier abord, le trafic transnational de cocaïne par l’intermédiaire de l’Afrique de
l’Ouest ne semble pas répondre à une logique rationnelle de la part des trafiquants, étant
donné que la filière est beaucoup plus longue et donc à première vue plus risquée que le
passage direct de la marchandise dans les ports européens. De plus, l’Afrique est pour la
plupart des narcotrafiquants sud-américains une terre inconnue qui rajoute un biais
informationnel dans leur prise de décision. Malgré tout, si l’on se penche sur la réalité du
narcotrafic en Afrique, il est clair que le continent offre aux trafiquants de drogues des
avantages relatifs bien supérieurs aux points négatifs qui viennent d’être identifiés : ce n’est
pas un hasard si dans les années 1990, la filière de la cocaïne s’est redirigée vers l’Afrique
comme point d’entrée, de transit puis de transbordement de la cocaïne provenant des espaces
de production andins. Pour utiliser l’Afrique comme plaque tournante de la filière drogue, les
trafiquants doivent faire un détour par rapport à leurs routes traditionnelles et augmenter les
risques : entreprendre un tel détour doit donc présenter des avantages significatifs. Le déclin
du marché de la cocaïne aux États-Unis et la progression du marché européen semblent avoir
incité les trafiquants de cocaïne d'Amérique du Sud à utiliser les zones de mauvaise
gouvernance d’Afrique de l'Ouest comme zones de transit334 (UNODC DROGUES
AFRIQUE OUEST). Si à l’échelle régionale l’impact économique du trafic de cocaïne est
sans doute limité, sa valeur globale est élevée, comparée aux autres sources de revenus
disponibles sur le continent.
Plusieurs raisons expliquent l’importance de l’Afrique de l’Ouest comme région de
transit de la cocaïne vers l’Europe. D’abord le succès des opérations de contrôle du trafic de
cocaïne dans l’Atlantique Nord et principalement près des côtes européennes faisant des
frontières atlantiques européennes des zones beaucoup plus protégées qu’avant. Passer
directement de l’Amérique du Sud à l’Europe n’est donc plus possible pour des
334
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008e), Le trafic de drogue comme menace à la
sécurité en Afrique de l’Ouest, Octobre 2008
118
narcotrafiquants hantés par la peur des contrôles et des saisies335. Ensuite, les pays d’Afrique
de l’Ouest sont perçus par les trafiquants comme des pays où il est aisé d’établir des activités
clandestines du fait de la corruption et des faiblesses des structures de contrôle. Les
trafiquants de drogues tendent de plus en plus à utiliser l’Afrique comme route alternative
dans le filière de la cocaïne sud-américaine afin d’éviter les contrôles frontaliers des
itinéraires traditionnels beaucoup plus congestionnés par les forces de l’ordre. Certaines zones
d’Afrique de l’Ouest sont donc devenues des lieux où s’effectuent les transactions du marché
de gros de la cocaïne : la cordillère de la coca n’est plus aujourd’hui le seul marché de gros du
monde.
Bien que la cocaïne ne soit pas produite en Afrique, l’augmentation rapide des saisies
montre l’importance grandissante du continent, et en particulier de l’Afrique de l’Ouest,
comme plaque tournante du trafic de cocaïne de l’Amérique Latine vers l’Europe. Entre 1998
et 2003, pour l’ensemble du continent, les saisies annuelles de cocaïne en Afrique étaient en
moyenne de 0,6 tonne. Cependant depuis 2004, les saisies annuelles de cocaïne pour
l’ensemble du continent ont été supérieures à 3 tonnes, soit cinq fois plus que précédemment.
Les données de 2008 indiquent des saisies records s’élevant à plus de 6 tonnes de cocaïne sur
le continent africain, soit une augmentation de plus de 50% par rapport aux années
précédentes. Malgré tout, ce pourcentage très limité des saisies est probablement plus
représentatif des faiblesses des agences africaines de contrôle des stupéfiants de lutter
efficacement sur leur territoire contre le trafic de cocaïne que de l’étendue réelle du
phénomène.
Une partie de la cocaïne quitte l’Afrique de l’Ouest en empruntant une fois encore la
voie maritime et une autre partie grâce à des passeurs utilisant des vols commerciaux ou
dissimulée dans le fret aérien vers l’Europe. La plus grande partie y sera distribuée au détail
par les gangs nigérians : ceux-ci dominent en effet le système de distribution de la cocaïne
dans de nombreux pays européens. On assiste également au transbordement de la cocaïne
d’un bateau en provenance d’Amérique Latine sur un autre bateau naviguant près des côtes
africaines, permettant aux trafiquants de tromper les contrôles maritimes. Face aux saisies et
aux contrôles accrus dans les eaux internationales, les trafiquants ont commencé à utiliser le
continent Africain comme lieu de stockage privilégié. De la même manière, les trafiquants ont
réussi à établir des connections aériennes directes entre l’Amérique Latine et l’Afrique de
l’Ouest : la présence de pistes d’atterrissage clandestines en Guinée-Bissau avait déjà été
335
Les saisies de cocaïne à destination de l’Afrique sont si nombreuses dans la zone du dixième degré de latitude
nord que les services de contrôle des stupéfiants l’ont nommée « l’autoroute 10 » (ONUDC AFRIQUE).
119
remarquée par les autorités internationales depuis quelques années. Au final, la quasi-totalité
de la cocaïne consommée en Europe passe par l’Afrique avant d’être transportée au sein des
aires de consommation.
Laurent Laniel présente la production de cannabis en Afrique comme une possible «
alternative au développement », l’économie du cannabis permettant à nombre de paysans
africains de pallier le sous-développement auquel ils sont confrontés depuis des décennies : en
effet à rendement égal en Afrique, les revenus de 0,1 hectare de cannabis représentent
l’équivalent de 10 à 13 tonnes de cacao récoltables sur 30 hectares. L’économie du cannabis
contribuerait ainsi à « maintenir une certaine stabilité » et serait donc garante d’un statu quo
socio-économique336. Globalement, la production du cannabis en Afrique répondrait à des
impératifs économiques bien plus que stratégiques, dès lors que le cannabis ne sert que très
peu au financement de conflits armés, à la différence de ce qui a pu avoir lieu en Afghanistan,
en Birmanie et de ce qui persiste en Colombie. Le cannabis tient certes une place dans les
conflits africains mais vraisemblablement moins en tant que ressource financière qu’en tant
que produit de consommation de choix des combattants.
2. La place du commerce de drogues dans la société africaine
Désignée comme un narco-État par l'Office contre la Drogue et le Crime des Nations
unies, la Guinée-Bissau sert de tête de pont vers l'Europe aux narcotrafiquants d'Amérique
latine. Le chapelet d'îles appartenant au territoire national guinéen dispose des pistes d'avion
de fortune construites par les Portugais pour les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les autorités locales sont incapables d’empêcher le pays de devenir une zone de stockage de
cocaïne, notamment dans le port de Conakry où les drogues sont acheminées en Europe par
cargo ou transportées par des « mules ». Explosion de la consommation locale de cocaïne,
blanchiment des narcoprofits, corruption accrue pour camoufler le trafic, à cela s’ajoute la
faiblesse de l’Etat qui n’aide pas à reprendre le contrôle sur une situation désastreuse et qui
n’assure par la surveillance de ses frontières maritimes. A tel point que la valeur en cocaïne
transitant dans le pays dépasse le PIB national337.
336
LANIEL L. et CHOUVY P.A. (2006), Production de drogues et stabilité des États, Rapport pour le CERI et
le SGDN, Mai 2006
337
UNITED NATIONS OFFICE ON DRUGS AND CRIME (2008a), Annual Report 2008
120
Le Nigeria serait le premier pays africain à avoir été impliqué dans le transit d’héroïne
en provenance du Sud-ouest asiatique et destiné aux marchés européens338. L’héroïne serait
importée à Lagos par le transport aérien régulier via les grandes villes de la côte Est puis vers
l’Europe. Le Nigeria fait d’ailleurs office de pays précurseur en terme de consommation
d’héroïne mais également de pays de transit pour les produits illicites en raison de sa situation
géographique.
L'argent de la drogue, directement réinvesti ou blanchi dans la région, mine les
économies fragiles d’Afrique de l’Ouest : dans certains cas, la valeur issue du trafic de drogue
est plus importante que le revenu national du pays et la prévalence de consommation de
drogues dures commence à devenir un réel problème social contre lequel les pays africains
n’ont pas les moyens de lutter339. L’émergence de l’Afrique de l’Ouest comme nouvelle
plaque
tournante
du
trafic
transnational
de
narcotiques
répond
à
une
double
logique mutuellement bénéficiaire : pour les narcotrafiquants, cela permet d’ouvrir de
nouvelles routes de contrebande éloignées des espaces de contrôle transnationaux et pour la
criminalité organisée locale nigériane, cela permet d’ouvrir de nouveaux marché et
d’accumuler du profit.
L’étude des indicateurs économiques de l’Afrique de l’Ouest permet de mettre en
valeur l’influence de la filière de la drogue sur les économies régionales : le phénomène est
perceptible dans les statistiques macro-économiques des plus petits pays comme par exemple
en Guinée-Bissau dans lequel les réserves en devises ont augmenté de manière substantielle
ces dernières années, passant de 33 millions de dollars en 2003 à 113 millions en 2007. Les
gangs nigérians s’établissant de plus en plus dans ce pays, cela se traduit par un afflux
d'investissements dans la région : après des années durant lesquelles les investissements
directs étrangers ont été peu élevés ou absents, la Guinée-Bissau a soudainement attiré 42
millions de dollars en 2006, ce qui équivaut à près d'un sixième du PIB340. De la même
manière, les investissements directs à l’étranger en Guinée et en Gambie ont aussi augmenté
de façon marquée ces dernières années. À long terme, la dépendance économique envers
l'argent de la drogue peut réduire la volonté politique de lutter contre ce commerce. Comme
certaines zones d’Afrique de l’Ouest sont devenues des places actives du marché de gros de la
338
CESONI M.L. (1992), Les routes des drogues : explorations en Afrique subsaharienne, Tiers-Monde, Année
1992, Volume 33, Numéro 131, p. 645 – 671
339
Les « mules », passeurs et autres « petites mains » travaillant en aval de la filière de la drogue africaine sont,
la plupart du temps, rémunérés en cocaïne.
340
Données de la Banque Mondiale et du PNUCID.
121
cocaïne, l’afflux d’argent est considérable : les profits générés par la vente de drogue en
Europe sont en partie transférés dans la région et réinvestis dans l’achat de quantités
supplémentaires de drogue. L’une des conséquences économiques visibles du rapatriement
des narcoprofits dans la région est l’appréciation soudaine des monnaies locales. On peut
prendre l’exemple surprenant de la Gambie : après des années de dépréciation, la monnaie
gambienne, le Dalasi, s’est apprécié de façon rapide depuis 2007 sans raison apparente341.
L’hypothèse d’une simple spéculation ou d’investissements légaux massifs n’étant pas
crédible, cela pourrait être la conséquence d’opérations de blanchiment d’argent. Les remises
de fond dans certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le Ghana, le Nigeria et le Sénégal ont
doublé voire triplé depuis quelques années : au Nigeria, les remises de fonds ont augmenté de
200% entre 2005 et 2006342.
Pour répondre à la problématique identifiée, il est possible de dire que la relation entre
l'Afrique de l'Ouest et l'Europe en ce qui concerne le trafic de drogues peut s'avérer semblable
à celle qui existe entre le Mexique et les Etats-Unis : tout comme les cartels mexicains, les
groupes ouest-africains ont commencé comme fournisseur de services pour les trafiquants
colombiens. La situation en Afrique de l'Ouest pourrait finir par ressembler à celle à laquelle
le Mexique est confronté aujourd'hui. Comme cela s’est passé en Amérique Latine où des
trafiquants colombiens ont utilisé des passeurs mexicains, il est possible que les groupes
criminels sud-américains emploient du personnel ouest-africain pour recevoir et protéger les
cargaisons en Afrique de l’Ouest et peut-être pour transporter une partie de la drogue vers
l’Europe, rétribuant leurs services en cocaïne. Cela créerait deux systèmes parallèles
d’importation de la cocaïne vers l’Europe : un système impliquant des quantités restant sous
contrôle sud-américain et un autre système impliquant de plus petites quantités aux mains
d’africains de l’Ouest. Le premier système serait essentiellement maritime, et l’autre
impliquerait un nombre élevé de passeurs sur des vols commerciaux.
La dernière étape dans l’étude des zones grises dans le monde est l’analyse des
pratiques de financement des acteurs illégaux afin de mener leurs activités ainsi que les
interrelations qui peuvent se nouer entre eux.
341
Selon les devises, l’appréciation de la monnaie gambienne tournait autour de +30% par rapport à sa valeur
initiale à l’été 2007.
342
ANDRES A. de (2008)
122
Chapitre 3 – Les interactions entre les acteurs et le
financement des activités illégales dans les zones grises
Un récent rapport de recherche du Congrès américain rendu par Berry et al. a tenté de
définir les critères qui pouvaient rendre un Etat « hospitalier » au crime organisé et au
terrorisme343. Ces critères sont au nombre de dix et comptent : la corruption officielle, la
faiblesse de la législation, le manque d’application des lois, la non-transparence des
institutions financières, l’absence de respect de l’état de droit dans la société, la porosité des
frontières, le manque de volonté politique d’application de la loi, la situation géographique et
les problèmes géopolitiques régionaux. Mis à part les deux derniers facteurs, les critères
retenus dans cette étude sont trop larges pour qualifier efficacement la présence ou non
d’acteurs illégaux au sein d’un territoire national : selon ces critères, la majeure partie des
pays dans le monde seraient au final hospitaliers vis à vis du crime organisé et du terrorisme.
Ce rapport permet de faire la jonction entre activités et trafics de produits illégaux dans les
zones grises et financement des groupes et acteurs illégaux opérant au sein des zones grises.
Les deux types d’acteurs présents au sein des zones grises et agissant de façon transnationale
sont les Organismes Criminels Transnationaux (OCT) et les groupes terroristes. Chacun de
ces acteurs, on le verra, a des besoins de financement que seules les zones grises peuvent
combler : c’est la raison pour laquelle OCT et groupes terroristes se servent des zones grises
anomiques afin de prospérer et réaliser leurs buts, aussi différents soient-ils. Ainsi « ces
acteurs agressent dans leurs fondements les États en remettant en cause leur prétention à être
les seules sources de pouvoir légitime sur un territoire délimité par des frontières »344 : c’est à
cause de l’implantation des trafics et de ces acteurs illégaux que les zones grises possèdent
autant de poids sur l’Etat central et menacent parfois de faire disparaître l’autorité étatique au
sein d’un « trou noir » anomique.
Il conviendra donc d’étudier la façon dont les acteurs illégaux se financent et réalisent
des profits grâce aux trafics de produits illégaux transnationaux (Section 1) avant de
s’intéresser aux possibles interactions entre les acteurs qui font vivre et prospérer les zones
grises (Section 2).
343
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003),
Nations Hospitable to Organized Crime and Terrorism, Federal Research Division, Library of Congress,
Washington (D.C.) : Library of Congress, October 2003
344
BIGO D. (2005), La mondialisation de l’(in)sécurité in Suspicion et exception, numéro spécial, revue
Cultures et Conflits 58, Eté 2005, p 53-101
123
Section 1 – Financement des OCT et des groupes
terroristes
La Résolution 1373 de l’ONU de 2001 note la proximité régnant entre « le terrorisme
international, le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent, les trafics d’armes illicites, de
substances nucléaires, chimiques ou biologiques clandestines ». A travers l’implantation
territoriale des acteurs illégaux dans les zones grises, on assisterait à une « africanisation » du
monde : les zones grises sont assimilables aux bidons villes africains dans lesquels les trafics
et la criminalité prolifèrent en toute impunité et sont autant de refuges pour les acteurs des
relations internationales illicites. On peut estimer que les acteurs illégaux exercent un impact
négatif sur le commerce international dans le sens où certains Etats affaiblis par la présence
d’acteurs et de trafics illégaux sont obligés de fermer leurs frontières et donc d’augmenter les
coûts de transaction345. Les conséquences de frontières plus sûres sont donc la réduction des
échanges internationaux pour les pays frappés par les zones grises. De plus, l’argent sale
possède une capacité de contamination qui déborde très vite de la sphère criminelle pour
corrompre le politique et l’économique : l’afflux d’argent sale peut localement déstabiliser un
marché voire une économie.
On optera dans cette partie pour une analyse au travers de la micro-économie du crime
qui s’attache à décrire les comportements illégaux et à éclairer la rationalité économique des
choix effectués par les acteurs illégaux346. Ainsi, les trafics illégaux font face à des coûts
d’opportunités selon les options répressives étatiques, la répression venant taxer les revenus
criminels en exerçant une menace sur ses bénéficiaires. Ce n’est pas un hasard si les deuxtiers des transactions effectuées dans le monde se font hors des circuits bancaires : la norme
économique de certains pays est véritablement l’économie informelle. L’utilité des trafiquants
ne dépend pas seulement de leur profit mais aussi de leur capacité à dominer les risques
inhérents à leur métier : la maîtrise de l’incertitude constitue un principe important de
l’organisation du marché. L’analyse économique de ces acteurs illégaux à besoin de
financement, qu’ils soient membres du crime organisé ou bien groupes terroristes, répond à la
théorie des choix rationnels en environnement incertain.
345
FRATIANNI M. et KANG H. (2006), International Terrorism, International Trade, and Borders, New
Perspectives on Global Governance
346
KOPP P. (1995), L’analyse économique des organisations criminelles, Relations internationales et
stratégiques, n°20/1995
124
Calculer le poids des acteurs illégaux et de l’économie grise dans le monde est
quasiment impossible. Il est malgré tout possible d’avoir une estimation rapide du poids de
l’économie illégale dans le monde grâce aux recherches réalisées par Loretta Napoleoni.
Celle-ci estime à 500 milliards par an le montant de la fuite illégale de capitaux. Si on ajoute
l’argent du crime, on arrive au total de 1 billion de dollars : c’est le « produit criminel brut ».
Selon Napoleoni, ce produit criminel est réellement compris entre 500 milliards et 1,5
billion, soit entre 2 et 5% du produit brut mondial ! C’est le poids de cette « nouvelle
économie de la terreur »347. Pour sa part, le FMI estime que les gains cumulés provenant des
activités illicites sont à hauteur de 500 milliards de dollars soit 2% du produit brut mondial.
On est aujourd’hui bien en présence d’un système économique international parallèle au
système légitime qui dépouille les PED, appauvrit les économies légitimes. Le processus de
développement de l’économie illicite est indissociable de la mondialisation financière actuelle
et la « nouvelle économie de la terreur » possède une relation d’interdépendance avec les
économies des marchés occidentaux mondialisés.
L’implantation dans les zones grises, quelle que soit la « nuance de gris », répond à
une logique économique parfaitement rationnelle : OCT (I) et groupes terroristes (II) sont des
acteurs à besoin de financement, d’où l’implantation territoriale au sein des zones grises et
l’utilisation de techniques et méthodes économiques et financières spécifiques leur permettant
de tirer partie au maximum de la logique économique des zones grises.
I – La rationalité économique des OCT et les techniques financières
criminelles
Le concept de « criminalité transnationale » a été introduit dans les années 1990 pour
identifier les groupes criminels se livrant à des activités qui dépassent le strict cadre national
pour s’ancrer dans une réalité régionale ou internationale transfrontalière avec l’implantation
de membres du groupe en dehors des frontières nationales du pays d’origine348. Les
347
NAPOLEONI L. (2004), Terror Inc. Tracing the Money Behind Global Terrorism, Penguin Books, New
York
348
Parmi toutes les définitions existantes de la « criminalité organisée transnationale », l’Union Européenne en
donne la définition la plus complète. Le groupe doit répondre à six des onze critères, les critères 1, 5 et 11 étant
obligatoires : collaboration de deux personnes et plus ; tâches spécifiques attribuées à chacune d’entre elles ; sur
une période de temps assez longue ou indéterminée ; avec une forme de discipline et de contrôle ; dont les ;
membres sont suspectés d’avoir commis des infractions pénales graves ; agissant au niveau international ;
recourant à la violence ou à d’autres moyens d’intimidation ; utilisant des structures commerciales ou de type
commercial ; se livrant au blanchiment d’argent ; exerçant une influence sur les milieux politiques, les médias,
l’administration publique, le pouvoir judiciaire ou l’économie ; agissant pour le profit et/ou le pouvoir
125
organisations criminelles considérées comme transnationales fonctionnent comme des
entreprises plus ou moins spécialisées, combinant activités licites et illicites qui correspondent
à trois ensembles : les atteintes contre les personnes et les biens ; l’organisation de trafics
illicites et la criminalité économique c’est-à-dire les escroqueries, les fraudes, la corruption ou
le blanchiment d’argent. Les OCT possèdent les attributs de la puissance définis par Raymond
Aron : contrôle d’un territoire ; ressources matérielles et humaines ; organisation et capacité
d’action collective. Pino Arlachi, spécialiste italien de la mafia, utilise une terminologie
économique pour décrire les organisations criminelles où les fonctions d’entrepreneur et
d’entreprise sont primordiales : de la même manière que nous avons déjà analysé les trafics
illégaux en terme de « marchés des biens »349, il est possible de présenter les acteurs illégaux
des zones grises comme des agents présentant une rationalité économique leur permettant de
réaliser les trafics et actes illégaux au sein des zones grises. Dasque donne une définition de la
criminalité organisée transnationale comme étant une « entreprise ou industrie du crime,
visant une stratégie de rationalisation et d’extension internationale »350, permettant d’aborder
les OCT comme des acteurs économiques à part entière ayant un rôle à jouer dans l’économie
illégale mondiale et les relations internationales illicites. L’accumulation de profits étant la
raison d’être des OCT, ceux-ci agissent selon des règles et méthodes économiques
rationnelles (A), leur permettant de réaliser les trafics transnationaux par l’intermédiaire de
techniques criminelles établies (B).
A. La rationalité économique des OCT
Les OCT sont des « souverainetés parallèles »351 à l’Etat plutôt que des concurrents. C’est la
raison pour laquelle les OCT cherchent à se fondre dans la masse et éviter la détection. Leurs
méthodes et techniques économiques et entrepreneuriales en font des acteurs parfaitement
capables de cacher leurs activités aux yeux des organes de répression de l’Etat dans lequel les
groupes criminels s’implantent.
349
GAYRAUD J.-F. (2005)
DASQUE, J.-M. (2008)
351
Ibid.
350
126
1. Le fonctionnement économique et entrepreneurial des OCT
Plus l'offre illicite est rare en comparaison de la demande, plus elle est onéreuse et plus
elle est onéreuse, plus elle fait l'objet de trafic : plus le trafic est rentable et plus il attise les
convoitises d’où le fait que plus la tentation criminelle est forte, plus la protection du trafic
devient violente352. Cette analogie peut paraître simpliste mais elle illustre parfaitement la
logique économique qui régule le marché des biens illicites gérés par la criminalité organisée
transnationale. Une fois le réseau criminel suffisamment installé, il cherchera à se fondre dans
le tissu économique afin de mieux asseoir son activité. De fait, la rentabilité du trafic tend à
accroître son enracinement sur la zone par le biais d'une immixtion au sein de la sphère licite
par l’intermédiaire de la ré-injection des capitaux blanchis dans les circuits légaux et par
l’intermédiaire de sociétés écrans se fondant dans le paysage entrepreneurial légal. Par
l’élimination de la concurrence et l’édification de barrières à l’entrée du marché, les
organisations criminelles se retrouvent souvent en position de monopole sur les segments des
marchés illégaux. Mais la concurrence à laquelle les gros trafiquants se livrent entre eux
conduit à penser que le marché est structuré à la manière d’un oligopole non cartélisé dont les
membres mènent une guerre des prix353. Les OCT sont caractérisés par leur grande capacité
d’adaptation aux changements du fait de leur structure généralement réticulaire d’ampleur
transnationale.
Les OCT dessinent de nouvelles frontières qui se superposent aux frontières politiques
et peuvent tracer au sein des Etats des frontières régionales ou subrégionales. La violence des
OCT est privatisée mais dispute aux Etats le monopole de la violence physique légitime : la
violence est utilisée surtout dans les phases de conquête du pouvoir ou quand la suprématie du
groupe est remise en cause. La corruption permet d’obtenir des autorisations administratives
(permis de construire, marchés publics…), des réductions fiscales ou bien l’arrêt de poursuites
judiciaires354.
La traditionnelle frontière entre légal et illégal tend à s’effacer tant les techniques
utilisées par le crime organisé se fondent dans le paysage commercial et entrepreneurial
légal : les profits générés par les trafics illégaux et ceux générés par une devanture légale
rentrent dans un continuum qu’il est difficile de séparer355. Le crime organisé et la criminalité
352
ROUDAUT M. (2006)
KOPP P. (2006), Économie de la drogue, Collection Repères – La Découverte
354
DASQUE, J.-M. (2008)
355
CRETIN T. (1997), Mafias du monde. Organisations criminelles transnationales. Actualités et perspectives,
Criminalité Internationale – PUF
353
127
économique tendent à ne faire plus qu’un : l’infiltration du crime organisé dans l’économie
légale d’un Etat vient de la nécessité des OCT de trouver des sources de profits légaux afin de
diminuer les risques d’être détectés par les autorités, même si ce risque est faible dans les
Etats faillis et les proto-Etats criminels. Les OCT sont présents sur les marchés économiques
légitimes, sur lesquels des entreprises écran s’immiscent au milieu d’autres entreprises légales
et proposent des produits alternatifs servant à couvrir des fonds criminels. Plus l’immixtion
dans le paysage légal est important, plus les OCT peuvent réaliser une spécialisation ou une
diversification de leurs activités. Ainsi les groupes nigérians ont opéré une diversification de
l’offre de produits illégaux en Afrique alors que les gangs mexicains se sont spécialisés dans
le trafic de drogues et ne touchent que rarement aux autres filières illégales. Avec la fin de la
Guerre froide, l’effondrement des barrières politiques et économiques, l’ouverture des
marchés et le développement du commerce mondial ont permis aux criminels d’investir
massivement dans l’économie légale et de multiplier les sociétés écran facilitant la
contrebande, le blanchiment et les fraudes financières : cet « appel d’air criminel »356 permet
aux OCT d’investir des profits illégaux sur les marchés légaux et de créer des entreprises
criminelles légales selon des critères d’entreprise.
Pour être compétitives sur les marchés illégaux, les organisations criminelles tendent à
uniformiser leurs structures pour mieux travailler ensemble : l’interconnexion croissante des
groupes criminels et leur mise en réseau permet de démultiplier leur capacité d’action :
l’appellation de « multinationales du crime » prêtée aux grandes organisations criminelles
internationales est effectivement justifiée par le déploiement de réseaux de production et de
distribution transcontinentaux357. Les OCT ont souvent des positions différentes dans la
chaîne des opérations de trafic international : certains OCT interviennent en amont
(production afghanes, birmanes, andines), d’autres jouent le rôle d’intermédiaire (cartels
mexicains, mafias albanophones et italiennes, Triades) et les autres se situent à l’aval (Cosa
Nostra américaine par exemple). Ainsi des pratiques criminelles internationales voient le jour
entre les OCT, notamment la négociation d’accords « commerciaux », sans lesquels les trafics
ne pourraient se dérouler.
356
GAYRAUD J.-F. (2005)
DUPUIS-DANON M.-C. (2004), Finance criminelle. Comment le crime organisé blanchit l'argent sale,
Criminalité Internationale – PUF
357
128
2. Territorialisation des OCT et proto-Etats criminels
La puissance acquise par le crime organisé tend parfois à phagocyter l'Etat qui, ainsi
fragilisé, perd sa capacité à assurer la loi et l'ordre sur son territoire et s’efface
progressivement pour laisser la place à un proto-Etat criminel. La création d’un proto-Etat
criminel sous-tend que la régulation sociale et la production de biens politiques, abandonnées
par un Etat défaillant, sont alors de plus en plus assumées par les réseaux criminels gérant à
l’interne offres d'emplois, actions sociales et surtout production de sécurité auprès des
citoyens. Cet enracinement social autorise ensuite une mutation criminelle vers une assisse
politique, économique et sociale accrue. Dans certains Etats, le crime organisé est donc
devenu un incontournable acteur politique : l’Etat devient criminel. Les proto-Etats criminels
appellent une symbiose entre pouvoir politique et organisations mafieuses : les dirigeants de
l’Etat participent aux opérations illicites quand ils n’en contrôlent pas le déroulement, se
partagent les secteurs, les zones de production et les marchés et profits avec les acteurs
criminels. C’est le cas en Birmanie, au Nigeria, en Afghanistan et dans la zone grise entre
l’Albanie, la Macédoine et le Kosovo (voir Annexe 22).
Les acteurs illégaux exercent alors un contrôle économique tel que les douanes, taxes,
« impôt contre sécurité » et autres rackets sur la population de leur territoire : les OCT
parviennent à s’infiltrer dans les rouages du pouvoir de certains Etats et exercent une
influence déterminante sur la vie politique par l’intermédiaire du contrôle des élections et de
la corruption. Ainsi en Colombie, Pablo Escobar s’est fait élire au Parlement et les frères
Orejuela ont financé la campagne présidentielle de Samper.
Il existe différents degrés d’emprise territoriale d’un OCT sur un Etat358 :
-
la prédation : les OCT mènent une politique opportuniste sur le territoire qui ne
représente pas une menace globale pour la société comme c’est le cas des gangs en
général comme les posses jamaïcains ou encore les Maras d’Amérique centrale.
-
le parasitisme : les OCT sont intimement associés au milieu environnant dont ils tirent
la totalité de leur substance mais l’emprise n’est que partielle et ils ne contrôlent pas
tous les secteurs clés. C’est généralement le cas des cartels.
-
la symbiose : les OCT possèdent un pouvoir global et hégémonique sur le territoire et
contrôlent des secteurs stratégiques de la vie publique. Les mafias sont représentatives
de cette immixtion de l’illégal dans la vie politique, économique et sociale d’un Etat.
358
DASQUE, J.-M. (2008)
129
B. Les techniques économiques et financières criminelles
Avant de s’investir dans l’économie légale, l’argent du crime a d’abord été produit : le
recyclage est la phase finale d’un processus qui, en amont, comprend les activités criminelles
générant des profits. Il existe de nombreuses méthodes financières et bancaires
« alternatives » disponibles afin de réaliser ce recyclage de l’argent, les principales étant le
blanchiment des bénéfices des trafics et l’utilisation de systèmes financiers alternatifs. Encore
une fois, les différents outils et techniques à disposition des OCT afin de concilier l’argent des
trafics transnationaux sont beaucoup plus faciles à utiliser au sein des zones grises.
1. Le blanchiment d’argent
Le blanchiment d’argent est une expression qui a été employée pour la première fois
aux États-Unis pour définir la mainmise de la mafia sur des laveries automatiques dans les
années 1930. A l’époque de la prohibition, les gangsters américains mirent cette technique au
point en investissant leurs revenus illicites dans une chaîne de laveries automatiques : les
revenus étant exclusivement encaissés en monnaie fiduciaire, les chiffres d’affaires de ces
entreprises devenaient incontrôlables, offrant ainsi la possibilité d’investir des revenus illicites
dans des entreprises légales359. Le blanchiment d’argent est l’action qui consiste à cacher ou à
déguiser l’identité de revenus obtenus illégalement afin de les faire apparaître comme
provenant de sources légitimes. Le Groupe d’Action Financière, ou GAFI, a mis en place une
définition du blanchiment reposant sur trois éléments constitutifs : le transfert des biens
provenant d’agissements délictueux pour en déguiser l’origine illicite ; la dissimulation ou le
recel de la véritable nature, provenance et localisation de ces biens, sachant qu’ils proviennent
d’une infraction ; l’acquisition, la détention ou l’utilisation de ces biens dont celui qui les
acquiert ou les détient connaît bien leur source illicite360. Le blanchiment des bénéfices du
crime organisé se déroule généralement en trois étapes définies qui sont bien connues des
criminels.
La première étape, le placement ou immersion, permet de se débarrasser
matériellement des importantes sommes en liquide générées par les activités criminelles. Les
méthodes d’écoulement les plus utilisées sont entre autres le « schtroumpfage » c'est à dire
359
RAHMAN A. (2000), Le blanchiment d’argent. Techniques et Méthodes, Centre de recherche des Menaces
Criminelles Contemporaines – MCC 2000, Mémoire pour le diplôme d’Université Analyse des Menaces
Criminelles Contemporaines
360
http://www.fatf-gafi.org/document/20/0,3343,fr_32250379_32236930_36563220_1_1_1_1,00.html
130
des dépôts ou des retraits fractionnés sur des comptes bancaires ; l’achat au comptant de biens
de grande valeur ; le recours aux bureaux de change ; la contrebande de devises ; les jeux de
hasard au casino mais surtout l’investissement dans des secteurs brassant beaucoup de
liquidités comme les services d’encaissement des chèques, l’hôtellerie, les restaurants, les
bars ou l’acquisition de biens mobiliers ou immobiliers. Lorsque la première étape du
placement est réussie pour le blanchisseur, la détection de son activité sera presque
impossible : c’est en effet au stade du placement que le processus de blanchiment est le plus
vulnérable dans la mesure où les dépôts de grosses sommes sont plus facilement détectables et
où la preuve de leur origine illégale peut aisément être apportée par les autorités.
La deuxième étape, l’empilage ou « brassage », consiste à empêcher toute
identification de l’origine illicite de ces revenus en créant un système complexe de
transactions financières successives telles que la conversion de sommes à blanchir en outils de
paiement.
La troisième et dernière étape, l’intégration ou « essorage », revient à réintroduire les
sommes blanchies dans l’économie formelle après leur avoir donné une légitimité et une
apparence d’argent propre. En effet, l’intégration permet de réinsérer le produit des opérations
d’empilage dans l’économie de manière à ce qu’il apparaisse comme les profits légaux d’une
activité économique officielle.
Ces trois étapes classiques sont le plus souvent respectées à la lettre mais parfois les
blanchisseurs mettent en place des réseaux plus complexes afin de démultiplier les circuits de
recyclage et d’augmenter leur productivité en minimisant les risques361. Ainsi en Colombie,
les narcotrafiquants prennent contact avec des entreprises colombiennes importatrices de
produits américains, proposent de mettre à leur disposition des narcodollars pour régler les
exportations de l’entreprise, s’octroient une prime de change lors de la transaction et
récupèrent les fonds rapatriés sur le territoire colombien : c’est le blanchiment « à la
colombienne » qui s’étend désormais au Mexique, à tel point que l’on parle de
« colombianisation » du pays depuis la fin des années 1990. Avec le blanchiment, les OCT
contribuent donc à la faiblesse de l’Etat en investissant une partie des revenus dans la
corruption des autorités chargées de la loi : un phénomène de « captation » de l’Etat se met en
place, qui va bien au delà du blanchiment classique.
361
DUPUIS-DANON M.-C. (2004)
131
Le blanchiment et le recyclage des profits illégaux sont facilités en présence d’un Etat
faible dont les appareils d’Etat sont sensibles à la corruption et par l’existence d’une
économie informelle importante. La corruption permet de s’assurer une discrétion et une
apparence de légalité indispensable au succès des étapes du blanchiment car il implique
forcément des représentants du pouvoir362. Au renforcement d’une géographie des zones
grises avec ses routes, ces espaces territoriaux d’implantation et ses proto-Etats criminels
s’ajoute une géo-économie du blanchiment d’argent : les principaux centres géographiques de
blanchiment d’argent renvoient toujours aux zones de libre échange illégales et aux Etats
faibles et faillis. Les PED, dont le secteur informel est prédominant et la corruption souvent
endémique, sont des lieux privilégiés pour le blanchiment des capitaux du crime organisé en
Amérique Latine, Asie du Sud-Ouest, Europe de l’Est et en Afrique.
Déterminer avec précision la masse monétaire de l’économie du blanchiment est une
tâche impossible : en 1997, le GAFI a entrepris un important travail de recherche pour
déterminer l’ampleur du blanchiment des capitaux qui s’est soldé en 2000 par un constat
d’échec. Les données recueillies se sont avérées trop parcellaires et peu fiables, allant de 80 à
1 500 milliards de dollars par an363. Il faudrait également prendre en considération l'effet de
levier de ces sommes, c'est-à-dire leur pouvoir corrupteur sur le reste de l'économie qui est
impossible à estimer. L’argent sale est aujourd’hui trop imbriqué dans les circuits légaux : si
on retirait brutalement cet argent, une grande partie de l’édifice économique mondial serait
fragilisé.
2. Les autres techniques économiques criminelles
Le second outil économique employé par les OCT pour brasser l’argent sale dans
l’économie réelle est de faire appel à des institutions bancaires plus ou moins légales : en effet
pour se livrer en toute tranquillité au blanchiment, l’idéal est de pouvoir bénéficier de services
d’une banque totalement dévouée à l’organisation criminelle. C’est la raison pour laquelle les
OCT tentent de prendre le contrôle de certaines banques ou créent des institutions financières
qui fonctionnent en symbiose avec l’entité criminelle. L’archétype de ces banques non
regardantes sur l’origine des fonds est la Al Shamal Islamic Bank du Soudan, possédant des
comptes correspondants dans des banques comme American Express, le Crédit Lyonnais ou la
362
KOUTOUZIS M. et THONY J.-F. (2005), Le blanchiment, Que Sais-Je – PUF
THONY J.-F. (2003), Mécanique et géopolitique du blanchiment de l’argent, Rapport annuel mondial sur le
système économique et les stratégiques (RAMSES), Institut français des relations internationales – Dunod
363
132
Citibank, banque établie conjointement par Ben Laden et le Front National Islamique
soudanais en 1991. La Bank of Credit and Commerce International est un exemple de banque
étant parvenu à rentrer parmi le club des dix plus grosses institutions bancaires du monde dans
les années 1970 et 1980 : cette banque, montée de toutes pièces par des criminels, a généré
des opérations de trafic d’armes montées à partir de financements de la banque. La BCCI a
fonctionné comme une organisation criminelle durant ses vingt ans d’existence en réalisant de
la falsification de comptes, l’acceptation de blanchir l’argent sale des OCT et le paiement de
pots de vin à des officiels.
Les OCT peuvent également utiliser des institutions bancaires situées dans les centres
fiscaux offshore c'est à dire un pays, un territoire ou une zone dans lesquels une
réglementation ou un régime fiscal particulier est appliqué aux activités économiques et
financières qui y sont implantées, lorsque ces activités sont réalisées en dehors du pays, du
territoire ou de la zone. C’est donc un centre financier qui attire un haut niveau d’activité non
résidente et un régime juridique complaisant : il existe entre 40 et 70 de ces zones grises
fiscales dans le monde364. La plupart des pays développés et des PED accueillent un volume
plus ou moins important de capitaux blanchis dans le système économique et financier
résident. Les OCT sont parvenus à mettre en place des circuits quasi-industriels d’exportation
des espèces pour acheminer les profits illégaux dans des centres financiers complaisants où ils
peuvent blanchir en toute impunité.
La troisième technique financière criminelle est l’utilisation de bureaux de change et
de sociétés de remises de fonds. Ceux-ci interviennent à trois niveaux : ils sont utilisés pour
convertir de grosses sommes d’argent liquide de petites coupures. Ensuite, ils organisent des
transferts de liquidités à l’étranger. Enfin, les bureaux de change peuvent jouer le rôle
d’interface entre fournisseurs et demandeurs de devises, permettant aux criminels d’écouler
leur argent illicite liquide et de masquer l’opération sous couvert d’une opération
commerciale légitime. A la frontière américano-mexicaine, la multitude de casas de cambio
fonctionnant d’une manière informelle ou artisanale rend le contrôle et la régulation des
opérations très difficiles. Les sociétés de remise de fonds servent à rapatrier les fonds dans le
pays d’origine des criminels et pour transférer des montants importants dans les premières
étapes du blanchiment.
364
KOUTOUZIS M. et THONY J.-F. (2005)
133
Parmi ces sociétés de remises de fonds, les narcotrafiquants sud-américains utilisent
des systèmes financiers parallèles informels comme par exemple le Marché Noir du Peso365,
sorte d’interface entre demandeurs et fournisseurs de devises permettant aux criminels
d’écouler facilement leur liquidités et d’empocher de fortes commissions par le rapatriement
des bénéfices en dollars de la vente de drogues aux Etats-Unis en les convertissant en peso. Le
trafiquant va dans un bureau de change, vend ses dollars contre des pesos avec une décote
correspondant à la prime empochée par le changeur et le bureau revend les dollars à une
entreprise colombienne désirant investir aux Etats-Unis : l’argent du change crédite à la fois
les comptes du narcotrafiquant en pesos en Colombie et de l’entreprise en dollars aux EtatsUnis : il ne subsiste aucune trace écrite de la transaction dont l’objet criminel est maquillé
sous couvert d’une opération de commerce. Les dollars étant moins importants pour les
trafiquants d’Amérique Latine que le peso colombien ou mexicain, ce système leur permet de
réinvestir localement les produits du crime.
II – Le financement du terrorisme au sein des zones grises
Il est possible d’appliquer la logique de zone grise et de rationalité économique dans le
financement du terrorisme. En effet, les groupes terroristes sont des acteurs à besoin de
financement et ce pour plusieurs raisons : la propagande et le recrutement, l’entraînement des
troupes et les bases de combat, le logement et la nourriture, l’équipement (explosifs, armes
conventionnelles…), l’obtention de faux documents et de faux papiers, la cueillette de
renseignement, les moyens de communication, les pots-de-vin, la maintenance quotidienne
des membres, le dédommagement des familles. Les raisons sont nombreuses et répondent à
des dynamiques économiques : même si un attentat n’est pas le poste de dépense le plus
important, maintenir à flot une cellule ou un groupe terroriste coûte cher et demande donc un
afflux de capitaux Malgré tout, le souci des groupes terroristes n’est pas l’accumulation de
richesses mais sa dissimulation et sa redistribution : il en résulte donc un besoin de
financement adapté à la structure organisationnelle du groupe en question.
Aujourd’hui afin de se financer, un groupe terroriste doit se livrer à une forme
d’activité de financement particulière : le trafic transnational de biens et produits illégaux. La
quasi-totalité des groupes terroristes se comportent de nos jours comme des organisations
criminelles pour se financer : il existe donc une grande perméabilité entre terrorisme et trafics
365
Le « Black Market Peso Exchange » ou BMPE.
134
en ce qui concerne le financement366. L’intérêt des groupes terroristes pour les trafics n’est
pas anodin : sur le long terme, ce sont des investissements sûrs qui se fondent dans la masse
des opérations illégales réalisées dans les zones grises. La fin du terrorisme d’Etat à la fin de
la Guerre froide a forcé les organisations terroristes à trouver des moyens de financement
autonomes afin de maintenir leurs groupes à flot et continuer leur existence : ainsi les
responsables des attentats de Madrid en 2005 se sont financés exclusivement au travers de la
vente d’ecstasy et de cannabis en Espagne.
Parmi les organisations terroristes les plus
impliqués dans les trafics transnationaux, on trouvera le FARC et l’ELN colombiens, le
Sentier Lumineux péruvien, le Hezbollah, le GSPC algérien et le GICM marocain, le GIA
islamiste, les Talibans, le PKK kurde, l’IMU ouzbek, le LTTE tamoul, l’IRA et l’ETA.
Les zones grises étant des espaces géographiques fournissant une offre en produits
illégaux et une législation « assouplie » en ce qui concerne l’illicite, les groupes terroristes
sont naturellement présents au sein des zones grises. De la même manière que les OCT
participent au renforcement des zones grises, les groupes terroristes y trouvent également tous
les avantages afin de réaliser leur financement et s’y dissimuler. Sans base arrière territoriale,
les réseaux terroristes transnationaux n’ont aucun avenir : il leur faut des zones où les Etats
sont faibles voire inexistants. Le terrorisme transnational n’efface pas l’importance des
territoires, des sanctuaires et du soutien étatique qu’il requiert pour accomplir ses objectifs : le
terrorisme n’est pas entièrement déterritorialisé et il ne peut agir « sans l’appui logistique,
sans les bases arrières qui lui procurent de fait des Etats parias ou faillis »367. Comme pour
les OCT, le financement des activités terroristes répond à une logique économique rationnelle
(A) et différentes techniques et outils de financement sont à la disposition des groupes
terroristes au sein des zones grises, notamment la levée de fonds et l’utilisation de réseaux
financiers alternatifs (B).
A. Le financement du terrorisme au travers d’activités criminelles
La fin du terrorisme d’Etat a ouvert la voie à l’autofinancement des groupes terroristes
et a créé une nouvelle orientation entrepreneuriale qui a modifié profondément la structure des
groupes politiques armés et bouleversa le processus de sélection naturelle des dirigeants : le
chef d’une organisation armée doit désormais afficher de réelles compétences en matière de
366
CHOQUET C. (2003), Terrorisme et criminalité organisée, Sécurité et Société – l’Harmattan
PASCALLON P. sous la direction de (2006), Les zones grises dans le monde aujourd’hui. Le non-droit
gangrène-t-il la planète ?, Défense – L’Harmattan
367
135
gestion. Désormais, les groupes terroristes doivent se tourner vers des techniques empruntées
au monde de l’entreprise et du commerce pour se financer. Mais les groupes terroristes
mènent des activités criminelles proportionnelles à leurs moyens et à leurs besoins : les
activités de financement sont donc dépendantes des caractéristiques organisationnelles du
groupe. De plus, l’utilisation de méthodes criminelles par les groupes terroristes tend
progressivement à transformer cette structure organisationnelle avec le phénomène de la
« gangstérisation ».
1. La dépendance aux caractéristiques organisationnelles
Les activités criminelles des terroristes doivent être comprises selon les
caractéristiques organisationnelles et les capacités de chaque groupe terroriste368. Ainsi les
groupes et les cellules terroristes aux activités éphémères et sporadiques peuvent très
facilement mener des activités criminelles épisodiques à petite échelle : en effet, ce type
d’activité exige généralement peu de compétences spéciales, une répartition des tâches
élémentaire et pratiquement aucun recours à des techniques de stabilisation comme la
corruption. Les groupes terroristes aux activités sporadiques peuvent générer eux-mêmes une
bonne partie de l’équipement, des ressources et même du financement dont ils ont besoin.
Une cellule ou une personne peut se livrer à une activité criminelle uniquement le temps
d’accumuler suffisamment de ressources pour perpétrer un attentat ou une série d’attentats
donnés. La bombe utilisée dans l’attentat contre le World Trade Center en 1993 était
composée de matériaux commerciaux ordinaires – comme de l’engrais à gazon et du
carburant diesel – et a coûté moins de 400 dollars à fabriquer.
Les activités criminelles plus lucratives exigent toutefois des moyens organisationnels
plus importants et demeureront l’apanage des groupes terroristes mieux organisés. Par
exemple, le LTTE tamoul a implanté des cellules criminelles dans 38 pays d’Europe, de
l’Amérique du Nord et du Moyen-Orient : ces cellules amassent des fonds pour l’organisation
grâce à l’extorsion, au trafic de stupéfiants, à la fraude par cartes de crédit, à l’utilisation
frauduleuse du système de sécurité sociale, à l’écoulement de fausse monnaie sur le marché
des changes, à la piraterie, au trafic d’immigrants clandestins et au trafic d’armes. Démarche
pourtant contre nature, les groupes terroristes ont aujourd’hui obtenu l’esprit d’entreprise qui
368
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2006), Le Terrorisme et la Criminalité : Liens Réels et Potentiels,
Canadian Centre for Intelligence and Security Studies, The Norman Paterson School of International Affairs,
Carleton University, Vol. 2006-5
136
caractérise les organisations criminelles traditionnelles : faute de capitaux étatiques, les
groupes terroristes se financent par le biais d’activités criminelles qui forment une part
toujours plus importante de leur économie et varient selon les organisations concernées.
Au final, l’intérêt du terrorisme pour les activités criminelles relève de deux aspects
stratégiques significatifs : réaliser le financement des activités terroristes d’une part et utiliser
certaines activités illégales comme la fraude ou la création de faux documents pour faciliter
leurs objectifs opérationnels. L’économie des organisations terroristes ressemble beaucoup à
celle d’un Etat qui redistribue sa richesse produite afin de maintenir la communauté à flot. La
plupart des activités dans lesquelles les groupes terroristes s’insèrent afin de poursuivre leur
but sont aujourd’hui criminalisées. Que ce soit pour se financer de manière illégale, de
recruter des membres, de lever des fonds ou de préparer un acte terroriste, les moyens
employés sont pour la plupart illégaux voire criminels.
Le Hezbollah se sert d’une grande variété d’entreprises criminelles pour se financer,
notamment le trafic de drogues en Amérique du Sud et au Moyen-Orient. Depuis de
nombreuses années, le Hezbollah développe en Amérique latine des activités criminelles qui
contribuent à ses ressources comme le trafic d'êtres humains, de cigarettes, contrefaçons et
des fraudes financières. Le mouvement chiite libanais a récemment étendu sa sphère
d'influence en infiltrant notamment la Colombie, le Chili, le Venezuela et le Mexique : dans
tous ces pays, le Hezbollah s'appuie sur la communauté libanaise chiite expatriée qui est très
nombreuse en Amérique latine369. En plus d’être bien implanté dans la TBA, le Hezbollah
aurait fait du Chili son nouveau centre de financement en Amérique du Sud : depuis 2006, les
autorités chiliennes ont identifié plusieurs sociétés écran qui serviraient à acheminer des fonds
illégaux pour le Hezbollah, la plupart seraient installées dans la zone franche d'Iquique, située
au nord du pays. Afin de faire parvenir au Liban l'argent récolté de par le monde, le Hezbollah
utiliserait notamment les services de la Western Union dont certaines agences établies au
Liban seraient infiltrées par des membres du mouvement.
Le cas de financement du
Hezbollah le plus surprenant est le démantèlement en 2002 d’un cercle de contrebande de
cigarettes en Caroline du Nord dirigé par deux agents du Hezbollah chargés du financement
du groupe terroriste.
Le réseau Al Qaïda s’est infiltré dans les années 1990 dans le marché du trafic de
diamants en prenant l’avantage sur les structures de commerce illégales, la faiblesse des
369
RODIER A. (2009), Les trafics de drogue du Hezbollah en Amérique Latine, note d’actualité n°168, Centre
Français de Recherche sur le Renseignement
137
gouvernements des pays producteurs et le manque de régulation. Ainsi deux membres du
réseau terroriste ont implanté des compagnies de commerces illégales d’exploitation de
diamants en Tanzanie et au Kenya avant de se lancer sur le trafic de diamants de sang avec le
Front Révolutionnaire du Sierra Leone pour les revendre en Europe : un réseau illégal s’est
créé entre Freetown et Anvers, lieu de revente des diamants en Europe. Au travers de
l’implantation d’une communauté de musulmans chiites libanais en Afrique de l’Ouest, le
trafic de diamants prendrait aujourd’hui une part plus importante qu’on le croit dans le
financement des groupes terroristes tels qu’Al Qaïda. Al Qaïda aurait réussi à blanchir
environ 20 millions de dollars grâce à l’achat de diamants de sang370.
2. La « gangstérisation » du terrorisme
La « gangstérisation » du terrorisme ou phénomène du « fighters turned felons »371 est
un processus au cours duquel les groupes terroristes « deviennent » des organisations de crime
organisé dans le sens où ils réalisent des activités illégales dans le but de se financer qui
ressemblent de plus en plus à ce que fait le crime organisé transnational traditionnel372. Ainsi
un groupe terroriste abandonnerait partiellement ou totalement la lutte idéologique pour se
tourner vers la recherche du profit comme but ultime de l’organisation au travers d’activités
criminelles et une insertion dans les filières transnationales de produits illégaux, sa structure
évoluant progressivement ainsi vers celle du crime organisé. Cette pour cette raison que
certains groupes terroristes, dont la base idéologique s’effritait, ont abandonné leurs idéaux
moraux pour se tourner vers le trafic criminel lucratif en abandonnant toute revendications
politiques373.
Dans plusieurs cas, l’objectif de certains groupes est politiquement irréalisable, même
irréaliste et il est probable que les terroristes eux-mêmes aient peu d’espoir de triompher et
continuent le financement par routine, parce qu’ils ne peuvent plus imaginer d’autre carrière
ou parce qu’ils estiment qu’en dépit de leur faibles chances de réussir, continuer d’essayer est
un impératif religieux ou moral. Le groupe glisse alors dans une criminalité sans but
370
FARAH D. (2005), Growing links Between Terrorism and Organized Crime ?
CURTIS G.E. et KARACAN T. (2002), The Nexus Among Terrorists, Narcotics Traffickers, Weapons
Prolificators, and Organised Crime Networks in Western Europe, A Study Prepared by the Federal Research
Division, Library of Congress under an Interagency Agreement with the United States Government, December
2002
372
SCHMID A.P. (2002), Trafficking : Networks and Logistics of the Transnational Crime and Terrorism, Paper
presented at ISPAC meeting, Courmayeur, Italy, 6-8 December 2002 et SCHMID A.P. (2004), Links between
Terrorist and Organized Crime Networks : Emerging Patterns and Trends, Milan, ISPAC
373
CILLUFO F. (2000)
371
138
idéologique ultime. La « gangstérisation » ne se développe pas au sein de tous les groupes
terroristes car elle dépend surtout des caractéristiques structurelles du groupe : si le groupe ne
possède pas à sa tête un leader charismatique capable d’orienter les intérêts idéologiques du
groupe, celui-ci aura tendance à devenir plus enclin à transformer ses revendications
politiques en recherche du profit économique pur374. Ainsi l’IMU ouzbek s’est « gangstérisé »
dès 2001, l’année où le leader Juma Namangani est censé avoir été tué dans des
affrontements : laissé sans chef charismatique, le groupe a rapidement abandonné ses
revendications politiques pour se tourner vers la recherche du profit financier pur375. Une
autre possibilité est quand un processus de paix engagé entre les partis rend la lutte politique
obsolète et sans valeur : c’est le cas avec le PIRA irlandais depuis la fin des années 1990376.
Selon les motivations et les circonstances du trafic criminel, on peut établir à partir des
travaux de Mincheva et al. plusieurs modèles de « gangstérisation »377. La transformation
idéologique veut que les objectifs idéologiques et criminels coexistent sur le même plan sans
que le groupe terroriste ne se transforme trop : l’IRA, dont les objectifs politiques sont
toujours très présents, est un exemple de ce modèle.
La transformation pragmatique implique que les objectifs politiques et idéologiques
sont relégués au second plan en faveur d’objectifs économiques comme c’est le cas avec le
FARC. En ce qui concerne le FARC en Colombie, le groupe terroriste s’est impliqué
profondément dans les activités criminelles à la mort du leader Jacobo Arenas en 1990,
notamment en puisant dans le savoir faire des narcotrafiquants de la région. Au milieu des
années 90, la guérilla FARC a pris de l’importance dans le trafic de drogues en devenant les
intermédiaires entre les fermiers producteurs de coca et les laboratoires de production de la
cocaïne dirigés par le cartel de la drogue378.
Vers la moitié des années 1990, le groupe terroriste philippin Abu Sayyaf a changé
radicalement ses activités pour devenir une entité criminelle. Plusieurs raisons expliquent
comment le groupe a connu une telle transformation : il faut prendre en considération la perte
374
CURTIS G.E. et KARACAN T. (2002)
WILLIAMS P. et GODSON R. (2002), Anticipating organized and transnational crime, Crime, Law and
Social Change, Vol. 37, No.4, pp. 311-355
376
WILLIAMS P. (2005), Terrorist Financing and Organized Crime Nexus of Relationships, Appropriation of
Methods or Both ? in BIERSTEKER, T. and ECKERT, S. (eds), Financing Global Terrorism, New York :
Routledge
377
MINCHEVA, LYUBOC et GURR (2006), Unholy Alliances ? How Trans-state Terrorism and International
Crime Make Common Cause, Paper presented at the Annual Meeting of the International Studies Association,
Panel on Comparative Perspectives on States, Terrorism, and Crime - San Diego, March 24, 2006
378
CILLUFO F. (2000)
375
139
des têtes dirigeantes en 1995 et 1998 qui a progressivement ouvert la voie à la perte de
financement qui a largement compromis les activités du groupe. Ces deux raisons ont été les
catalyseurs de la perte des valeurs et de l’idéologie du groupe : avec un manque d’argent
flagrant pour être opérationnel et le vide laissé par la mort des chefs, le groupe Abu Sayyaf
s’est tourné vers des activités plus lucratives pour continuer à exister et les valeurs des
membres du groupe se sont graduellement effritées jusqu’à être aujourd’hui largement
déstabilisées.
B. L’utilisation de réseaux économiques et financiers alternatifs
Il est devenu commun d’affirmer que l’on peut assimiler le blanchiment de l’argent du
crime organisé au financement du terrorisme. Or en réalité, les deux activités sont totalement
différentes : le blanchiment d’argent par les OCT revient à cacher de l’argent d’origine
criminelle pour lui donner une apparence légale alors que dans le cas du terrorisme, il s’agit
de « noircir » de l’argent propre pour financer des actions terroristes. C’est que l’on appelle le
« noircissement » des profits que réalise les groupes terroristes en colorant des financements
d’origine légale pour les utiliser à des fins terroristes : le blanchiment des profits de la
criminalité organisée est donc le processus inverse du financement du terrorisme même si les
deux acteurs ont des besoins de financement et s’adonnent à des activités illégales pour
réaliser leurs buts respectifs. Un groupe terroriste ne cherche qu’à transférer les fonds vers les
destinataires, pas les cacher. A partir de ce constat, de circuits de « noircissement » se mettent
en place afin de financer les activités terroristes, que ce soit par le réinvestissement de l’argent
ou par la collecte de fonds. L’existence du phénomène récent du « narcoterrorisme » permet
de faire la jonction entre le monde criminel des réseaux de trafics transnationaux et le
terrorisme.
1. Le « noircissement » des fonds et l’utilisation des réseaux financiers
parallèles
Les fonds destinés à des fins terroristes sont susceptibles d'emprunter des circuits
multiples, tant par les réseaux bancaires officiels que par les réseaux financiers parallèles. A
la marge des systèmes bancaires traditionnels existent des techniques clandestines ou
informelles liées aux déplacements de capitaux : ce sont les services financiers alternatifs. Ces
services, nommés « systèmes ITCV » pour Systèmes Informels de Transfert de Capitaux ou
140
de Valeurs existent par l’intermédiaire du Hawala indien, du Hundi au Pakistan ou encore du
Fei Ch’ien en Chine379. Ce sont des systèmes bancaires souterrains réalisant uniquement des
activités informelles ou parallèles.
Ces systèmes de remise de fonds parallèles illégaux sont un moyen détourné pour les
terroristes de redistribuer l’argent. Ces systèmes sont caractérisés par la limitation au
maximum des transferts physiques et des traces matérielles de la transaction : des sommes
colossales peuvent circuler en moins de 24 heures d’un point à l’autre du globe avec des tarifs
très compétitifs par rapport aux banques ou aux sociétés de remise de fonds. L’anonymat est
garanti et la transaction ne laisse aucune trace. L’encaissement des fonds par le correspondant
se fait sur présentation de la « marque de reconnaissance » convenue entre les parties : le
système repose donc sur la confiance donnée et les défections sont rares. Dans les pays
accueillant ces systèmes, il s’agit d’un phénomène culturel à composante économique,
syndrome du développement de l’économie informelle.
Considéré comme illégal, le Hawala est un réseau de transfert informel de fonds
reposant sur le principe du respect de la parole donnée : le receveur de l’argent informe son
correspondant du montant et du destinataire de la transaction et celle-ci s’effectue en
contrepartie de frais que se partagent les acteurs. Le système étant utilisé par des millions de
personnes380, il assure une garantie de discrétion aux trafics financiers islamistes381. Les
opérateurs du système, les hawaladars, prélèvent 1% de commission à chaque transaction et
tirent leurs bénéfices des fluctuations de change et des frais prélevés sur les gros transferts : le
Hawala génèrerait de cette manière entre 4 et 7 milliards de dollars par an382.
La collecte de fonds est un moyen efficace de financement du terrorisme et les fonds
qui servent à financer l'activité terroriste sont obtenus principalement au moyen de la collecte
de dons effectuée par des organismes écrans licites sans but lucratif. La Holy Land
Foundation for Relief and Development est l’archétype de l’organisation écran islamiste de
collecte de dons : créée à la fin des années 1990 dans le but de soutenir financièrement le
Hamas383. En 1998, Cheikh Yacine, leader spirituel du Hamas, entame une tournée des
379
Signifiant « argent volant ».
En Inde, la moitié des transactions économiques de routine transiteraient par le Hawala et dans des pays
comme l’Afghanistan ou la Somalie où les marchés sont peu évolués, la quasi-totalité des échanges se fait par le
biais du Hawala.
381
Le système est régulé par la charia.
382
KOUTOUZIS M. et THONY J.-F. (2005), Le blanchiment, Que Sais-Je – PUF
383
THACHUCK K. (2002), Terrorism’s Financial Lifeline: Can It be Severed ?, Strategic Forum No. 191 May
2002
380
141
capitales arabes : il récoltera quelques 300 millions de dollars de donations384. La collecte de
fonds auprès de la diaspora, même s’il s’agit d’une pratique ancienne, est devenue une source
importante de financement : l’IRA a puisé dans la communauté irlandaise des États-Unis une
part importante de ses revenus, comme le font aussi le GIA algérien, Al-Qaïda ou encore les
rebelles sri-lankais du LTTE et le PKK kurde auprès de leurs compatriotes exilés ou expatriés
dans le monde. De la même manière, un prélèvement de 5% réalisé par l’OLP sur les revenus
de tous les palestiniens émigrés est obligatoire.
Les organisations caritatives jouent aussi un grand rôle, mêlant les dons en liquide,
souvent parfaitement légitimes ; les subventions des entreprises privées volontaires ou non ou
des États et les revenus des activités criminelles exercées dans le pays de collecte derrière une
façade charitable. Le Hezbollah et le Hamas se servent activement d’organisations écran de
charité pour se lever des fonds comme la al-Aqsa International Foundation, la Islamic
Resistance Support Association, la Educational Development Association ou encore la
Goodwill Charitable Organization385.
Le « réseau des mosquées »386 est un partenaire du réseau financier terroriste qui
permet d’établir des relations entre les groupes armées islamistes au travers de la construction
de mosquées. En tandem avec les banques islamiques, le réseau des mosquées a contribué à
l’éclosion de l’économie parallèle islamique conçue comme une alternative à l’économie
mondiale traditionnelle. La colonisation financière islamique représente l’alliance entre le
wahhabisme et les entités commerciales et financières islamiques principalement provenant
d’Arabie Saoudite387. Les institutions financières islamistes sont toujours restées en marge du
système financier international et l’effondrement de l’URSS leur a offert de nouveaux
débouchés dans les pays à forte population musulmane : le troc ayant « remplacé le rouble
comme moyen d’échange »388 après la Guerre froide, la colonisation financière islamique a
remplacé les vieilles économies communistes. Les PIB des ex-démocraties populaires ayant
chuté dramatiquement à la fin de la Guerre froide, la région n’a attiré que les banques
islamistes, qui se sont empressés de venir financiariser la région.
384
NAPOLEONI L. (2008), Rogue Economics : Capitalism’s new reality, Seven Stories Press
LEVITT M. (2005), Hezbollah: Financing Terror Through Criminal Enterprise, Committee on Homeland
Security and Governmental Affairs United States Senate, May 25, 2005
386
NAPOLEONI L. (2008)
387
L’instance qui contrôle la finance islamique est la Sharia Supervisory Board of Islamic Banks and Institutions
ou Commission de la Charia
388
Ibid.
385
142
C’est donc en 1992 que la première banque islamique, la Banque Islamique de
Développement, s’installe à Tirana en Albanie et commence à échanger investissements en
Albanie contre construction de mosquées : le pays accepte, c’est le début de la colonisation
financière par les « missionnaires » islamistes qui profitent de la crise matérielle pour imposer
leur modèle dans les Balkans. La colonisation islamique déborde rapidement du simple cadre
financier : dans les années 1990, certains villages commencent à appliquer la charia. La
colonisation religieuse islamiste bat toujours son plein : sa nouvelle frontière actuelle est
l’Afrique où le wahhabisme se répand rapidement. Ainsi des fonds occultes sont investis en
Somalie, Kenya et en Tanzanie, provenant de banques islamiques et l’insurrection islamiste a
explosé en Mauritanie. Au Nigeria, un nombre croissant de régions adopte la charia. Ces
éléments permettent de montrer la territorialisation croissante de la mouvance terroriste
islamiste dans le monde, facilitant toujours plus le financement du terrorisme transnational.
2. Le « narcoterrorisme »
Le narcoterrorisme est défini par la DEA américaine comme étant la « participation de
groupes ou d’individus dans la taxe, la sécurité ou l’aide aux trafiquants de drogues dans le
but de financer des activités terroristes »389. Le narcoterrorisme représente dans la majorité
des cas une relation mutuellement bénéfique entre narcotrafiquants et groupes terroristes
soucieux de se financer par l’argent de la drogue. Il s’agit donc d’une relation pragmatique
purement économique qui permet à un groupe terroriste de participer à la filière de la drogue
et d’utiliser les routes d’acheminement contrôlées par les narcotrafiquants. Narcoterroristes et
narcotrafiquants utilisent les mêmes modes opératoires : utilisation de circuits financiers
alternatifs pour concilier les fonds, contrebande en gros de drogues, utilisation de sociétés
écran pour cacher les narcoprofits, utilisation des mêmes routes de trafic pour les drogues390.
Les narcoterroristes participent donc directement ou indirectement à la culture, la
manufacture, le transport et la distribution de gros de la drogue : certains groupes assurent
seulement la sécurité des narcotrafiquants alors que d’autres ne font que taxer les producteurs
389
BJORNEHED E. (2004), Narco-Terrorism: The Merger of the War on Drugs and the War on Terror, Global
Crime Vol. 6, No. 3&4, August–November 2004, pp. 305–324
390
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003)
143
de drogues. Toujours est-il que les groupes terroristes finissent par peu à peu prendre place au
sein de la filière et s’intégrer comme maillons structurant cette chaîne d’interdépendances391.
Le but principal du trafic de drogues pour les groupes terroristes est bien entendu de
financer leurs activités mais aussi d’inonder le marché des pays développés en drogues afin de
les affaiblir et de pouvoir recruter des personnes en utilisant leur dépendance à la drogue. Les
groupes terroristes qui profitent le plus du trafic de drogues sont Al Qaïda, le Hezbollah, le
FARC et l’IRA en son temps392.
En Amérique du Sud, le Sentier Lumineux péruvien s’est financé avec des
narcodollars provenant du trafic de cocaïne colombien et s’est appuyé sur la collaboration des
cocaleros pour organiser le trafic de cocaïne en interdisant l’accès aux régions de production.
Le constat est le même avec l’Afghanistan des talibans qui ont plus que largement taxés la
culture de l’opium et la production d’héroïne. L’IMU ouzbek a lui aussi profité de l’opium
afghan pour se financer et contrôle la quasi-totalité des routes de trafic de la drogue en
Ouzbékistan. Si dans le passé, le Hezbollah a couvert des trafics de drogues issus de la plaine
de la Bekaa en prélevant une dîme au passage, sa nouvelle orientation consiste désormais à y
participer directement.
Les FARC vont beaucoup plus loin que de simplement taxer la production de cocaïne
en Colombie et ont pris le contrôle d’un certain nombre de marchés de la drogue et d’espaces
de production dans le pays393 : le mouvement terroriste offre une protection aux paysans
producteurs qui leurs donnent une aide financière en retour sous la forme de matière première
illégale. Les FARC lèvent un impôt révolutionnaire de 10% sur l’ensemble des producteurs de
coca des zones placées sous leur contrôle394.
Du fait de son implantation en Turquie, le PKK kurde a très largement profité de la
filière de l’héroïne pour se financer, n’hésitant pas à contrôler une partie du circuit en mettant
en place des laboratoires de transformation d’opium sur le territoire turc et irakien à partir des
années 1980 en créant des liens avec les clans shiites de la vallée de la Bekaa et les tribus
insurgées du Balouchistan iranien et pakistanais. En effet, l’implantation géographique du
PKK se situe autour des espaces de production du Croissant d’Or et la Route des Balkans :
dans ses activités quotidiennes, les membres du PKK sont en contact direct et constant avec le
391
CASTEEL S (2003), Narco-Terrorism: International Drug Trafficking and Terrorism - A Dangerous Mix,
Testimony of the Assistant Administrator for Intelligence, US Drug Enforcement Administration, Hearing before
the U.S. Senate Judiciary Committee, 20 May 2003
392
CHOQUET C. (2003)
393
BERRY L., CURTIS G.E., GIBBS J.N., HUDSON R.A., KARACAN T., KOLLARS N. et MIRO R. (2003)
394
NAPOLEONI L. (2004), Terror Inc. Tracing the Money Behind Global Terrorism, Penguin Books, New York
144
monde du narcotrafic. On observe le même constat pour l’organisation terroriste du LTTE
tamoul dont la proximité avec le Croissant d’Or et les routes de l’opium asiatiques ont permis
au groupe terroriste d’utiliser le narcotrafic pour se financer.
Les relations avec la drogue d’une guérilla marxiste comme le FARC et d’un groupe
islamiste fondamentaliste comme les talibans que tout oppose peut répondre à un modèle que
l’on retrouve au sein de tous les conflits se déroulant dans des pays producteurs de drogues.
En effet, leurs discours sur la drogue est très similaire : condamnation de façade de
l’utilisation de la drogue mais utilisation des filières de la drogue pour se financer395. Il faut
noter que si ces groupes n’étaient pas à proximité des espaces de production de la drogue et
des routes d’approvisionnement, le narcoterrorisme aurait une ampleur beaucoup plus limitée
qu’aujourd’hui.
Après avoir étudié les méthodes et techniques économiques des acteurs à besoin de
financement proliférant dans les zones grises, il convient d’expliquer les relations entre OCT
et groupes terroristes au sein des espaces anomiques mondiaux.
Section 2 – Les relations entre acteurs illégaux présents
dans les zones grises
Les relations entre les acteurs au sein des zones grises représentent une question
stratégique supplémentaire dans l’étude du phénomène des zones grises et des relations
internationales illicites : en effet, sans l’existence d’acteurs capables de faire fonctionner les
filières illégales et échanger des biens, les zones grises ne seraient que des espaces
géographiques vides. Les deux principaux types d’acteurs interagissant au sein des zones
grises sont les Organismes Criminels Transnationaux (OCT) et les groupes terroristes : les
deux acteurs interagissent dans le même monde souterrain et prolifèrent dans les zones grises,
dépendent des mêmes réseaux et filières illégales et sont tous les deux des acteurs à besoin de
financement. D’un point de vue légal, le terrorisme EST un comportement criminel : le
Secrétariat de l’ONU a qualifié le terrorisme de « la plus visible et ouvertement explicite
forme de crime organisé transnational »396. Ainsi à la suite des attentats du 11 Septembre
2001, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a émis une résolution notant avec inquiétude
395
LABROUSSE A. (2004), Géopolitique des drogues illicites, Hérodote n°112/2004, La Découverte
UNITED NATIONS REPORT (2000), Links between Terrorism, Drug Trafficking, Illegal Arms Trade
Stressed in Continuing Third Committee Debate on Crime, UNIS, October 5, 2000
396
145
les « liens étroits existant entre le terrorisme international et la criminalité transnationale
organisée, la drogue illicite, le blanchiment d’argent, le trafic d’armes et le transfert illégal
de matières nucléaires, chimiques, biologiques et autres présentant un danger mortel »397. Le
nombre de publications décrivant l’existence d’alliances néfastes entre OCT et groupes
terroristes s’est répercuté dans le champ universitaire – principalement nord-américain – de la
recherche en relations internationales de façon exponentielle.
Le « nouveau » monde accouché de la fin de la Guerre froide aurait créé les conditions
propices à des interactions entre OCT et groupes terroristes au sein des zones grises,
permettant la création de véritables relations internationales illicites. Dès les années 1980, la
découverte du « narcoterrorisme » a ouvert la voie à de nombreuses recherches sur
l’interconnexion entre le monde terroriste et celui de la criminalité organisée. De plus, la
multiplication des relations entre les deux acteurs serait due en partie à la mondialisation,
notamment l’accélération des flux économiques et financiers398. Il est important de prendre en
compte le fait que le choix pour les deux acteurs de collaborer ensemble sera basé sur une
estimation des risques, des opportunités et des capacités des uns et des autres selon le
contexte. Schmid identifie sept critères qui peuvent encourager un groupe terroriste à chercher
une coopération économique avec le crime organisé399 :
-
l’accès à des fonds supplémentaires pour financer les activités terroristes
-
la perte du financement par un État
-
la possibilité de construire une base économique à cause du déclin du terrorisme d’État
-
la possibilité d’acquérir des techniques spécialisées
-
la porosité des frontières et l’utilisation des routes de contrebande
-
la présence d’une guerre ou d’une guérilla au sein du pays
-
la possibilité de rentrer en contact avec une base de recrutement potentielle
S’opère donc un choix rationnel de la part de l’acteur terroriste avant de se lancer dans
une coopération économique avec un OCT. Les alliances et autres « mariages d’intérêt » se
créent d’abord selon des considérations pragmatiques : si une coopération a lieu entre les deux
acteurs, elle se fait surtout sur la base de l’intérêt mutuel c'est à dire qu’une organisation
397
Résolution 1373 (2001) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4385e séance le 28 septembre 2001.
http://www.un.org/french/docs/sc/2001/res1373f.pdf
398
SANDERSON T.M. (2004), Transnational Terror and Organized Crime : Blurring the Lines, SAIS Review
XXIV, no.1 : 49-61
399
SCHMID A.P. (2005), Links between Terrorism and Drug Trafficking: A Case of ‘Narco-terrorism’ ? et
SCHMID A.P. (2004), Links between Terrorist and Organized Crime Networks : Emerging Patterns and Trends,
Milan, ISPAC
146
désire quelque chose que l’autre possède et est prête à payer pour l’obtenir400. La plupart du
temps, ces alliances sont enracinées purement dans des considérations commerciales et
économiques. Dès lors, il faut s’intéresser aux théories sur la « convergence d’intérêt » entre
OCT et groupes terroristes (I) pour montrer que les divergences entre les acteurs ne
permettent pas de créer des alliances objectives entre les deux (II).
I – Vers une « convergence d’intérêt » entre terroristes et OCT ?
Avant le 11 Septembre, la littérature sur les relations internationales illicites décrivait
les liens entre OCT et groupes terroristes selon la maxime « methods, not motives »401,
signifiant que même si les deux acteurs partagent les mêmes méthodes pour réaliser leurs
buts, leurs divergences en termes organisationnels et motivationnels sont trop importants pour
mener à une quelconque coopération commune. Les attentats du 11 Septembre ont en quelque
sorte « activé » la peur d’une alliance entre les acteurs illégaux, ce qui a conduit à l’explosion
du nombre de publications fournissant des éléments de preuve sur des liens de coopération
voire de convergence entre OCT et groupes terroristes dans le monde. Les premières relations
entre OCT et groupes terroristes remontent aux années 1980 principalement en Amérique du
Sud entre les groupes terroristes du FARC et du Sentier Lumineux avec les narcotrafiquants
de Medellin et de Cali : en échange de la fourniture d’un service de sécurité aux cartels au
sein des plantations de coca, les groupes terroristes prélevaient une « taxe » sur les
narcoprofits. Ce qui ressemble à une simple interaction serait allé plus loin dans les années
1990 quand le cartel de Medellin aurait engagé l’ELN afin de mener une campagne d’attentats
à la voiture piégée en 1993402. Une situation similaire aurait émergé en Asie du sud-est dans
les années 1980 lorsque le LTTE aurait établi des liens avec la criminalité organisée indienne
pour vendre de la drogue en échange d’armes.
400
WILLIAMS P. (2005), Terrorist Financing and Organized Crime Nexus of Relationships, Appropriation of
Methods or Both ? in BIERSTEKER, T. and ECKERT, S. (eds), Financing Global Terrorism, New York :
Routledge
401
SHELLEY L.I. et al. (2005a), Methods and Motives: Exploring Links between Transnational Organized
Crime & International Terrorism, U.S. Department of Justice, June 13, 2005 et SHELLEY L.I. et PICARELLI
J.T. (2002), Methods not Motives: Implications of the Convergence of International Organized Crime and
Terrorism, Police Practice and Research Vol 3. No 4, 2002 pp 305-318, Washington D.C. : Taylor & Francis
Group
402
MAKARENKO T. (2004a), The Crime–Terror Continuum : Tracing the Interplay between Transnational
Organised Crime and Terrorism, Routeledge : Taylor and Francis Group, Global Crime, Vol. 6, No. 1, February
2004, pp. 129–145 et MAKARENKO T. (2004b), Terrorism and transnational organized crime. Tracing the
crime-terror nexus in Southeast Asia, in SMITH P., Terrorism and violence in Southeast Asia, M.E. Sharpe
147
Mais les relations entre les deux acteurs ne se formeraient que selon les contraintes des
marchés illégaux : les relations entre OCT et groupes terroristes existeraient le long d’un
« continuum » dynamique d’interactions organisationnelles et opérationnelles entre les deux
acteurs403 et ce sur plusieurs plans. D’abord à travers la création d’alliances entre les deux
acteurs ; ensuite à travers l’utilisation de tactiques terroristes par le crime organisé et vice
versa et enfin à travers la convergence des deux acteurs vers une organisation « hybride ». Les
différentes théories du « crime-terror nexus » impliquent des relations réelles et profondes
entre les deux acteurs (A) qui mènent le plus souvent à une transformation des groupes
criminels et terroristes en des entités « hybrides » qu’il conviendra de caractériser (B).
A. Les théories du « crime-terror nexus »
Tous les éléments caractéristiques des zones grises comme la porosité des frontières,
la faiblesse des autorités, la corruption des agents de l’État, la multiplication des États faibles
et faillis et l’explosion des filières illicites seraient autant d’éléments catalyseurs de relations
entre les deux acteurs. La nature des relations entre OCT et terroristes varie en terme de
longévité et de profondeur : ces relations vont d’une simple interaction ad hoc à des alliances
stratégiques sur le long terme. En théorie, la coopération apporte des bénéfices significatifs
aux deux acteurs en terme de connaissances, d’expertise technique, d’apprentissages et
d’interactions au sein des réseaux illégaux. La nature du régime aurait une influence cruciale
sur la profondeur des interactions entre les deux acteurs : celles-ci étant difficile à mettre en
place dans les pays politiquement stables, les relations entre OCT et groupes terroristes se
développent naturellement plus dans les zones grises, plus particulièrement dans les États
faibles et faillis, espaces dans lesquels les contraintes étatiques sont inexistantes et
représentant un danger accru de coopération. Il est vrai qu’aucune organisation illégale
n’existe de façon indépendante de son environnement, surtout au sein des zones grises et
encore plus spécifiquement dans les États faibles et faillis.
1. Les différentes théories de la convergence d’intérêt
La raison principale de la coopération entre OCT et groupes terroristes serait la
conduite d’alliances stratégiques afin de se fournir mutuellement des biens et services
403
Ibid.
148
illégaux : ainsi la mafia russe collaborerait avec le FARC dans des échanges armes contre
drogue dans une simple logique d’acquisition d’un produit illégal que l’autre est en mesure de
fournir. Au Mexique, le Hezbollah aurait noué des contacts avec différents cartels afin de
participer au trafic d'êtres humains et de drogues transitant vers les Etats-Unis. En dehors de
l'intérêt financier que cela représente pour le mouvement terroriste, le Hezbollah en profiterait
pour introduire clandestinement des activistes sur le sol américain et en échange, les cartels
mexicains recevraient armes et entraînements pour ses membres404. De la même manière, une
coopération croissante existerait entre les FARC et la mafia russe : les narcoterroristes
auraient développé un circuit d’échanges avec celle-ci depuis le début des années 1990 en
construisant un système de canalisation en Colombie, permettant d’introduire des milliers
d'armes et des tonnes d'approvisionnements afin d’aider les FARC à mener leur guerre contre
le gouvernement colombien.
Certains auteurs parlent d’une « tendance irréversible » vers la convergence entre
OCT et terroristes405. D’autres parlent d’un « partenariat naturel » entre les deux acteurs.
D’autres encore estiment que les deux acteurs se livrent à des « mariages d’intérêts »406.
Enfin, des auteurs parlent d’un « brouillage des frontières » entre les deux mondes407. Si les
termes changent, tous s’accordent pour montrer que les liens entre OCT et groupes terroristes
sont bels et biens réels et qu’une convergence profonde entre les intérêts des deux acteurs
s’opère aujourd’hui dans le monde de façon régulière. Louise Shelley montre que
l’interconnexion des deux mondes au sein des zones grises implique que s’attaquer à un
problème revient à s’attaquer aux deux tant OCT et terroristes sont impliqués au sein des
zones anomiques. Ainsi le « nexus » entre groupes terroristes et OCT serait fondé sur une
relation « symbiotique » entre eux, sorte de dynamique profitant économiquement et
idéologiquement aux deux acteurs. Cette convergence incluant des relations à plus ou moins
long terme utiliserait des échanges d’expertise (sur le blanchiment, la fabrication de
bombes…) contre un support opérationnel (accès aux routes de contrebande, refuges,
404
RODIER A. (2009b), Les trafics de drogue du Hezbollah en Amérique Latine, note d’actualité n°168, Centre
Français de Recherche sur le Renseignement
405
WILLIAMS P. et SAVONA U. (1995), Problems and Dangers Posed by Organized Crime in the Various
Regions of the World, Transnational Organized Crime, Vol. 1 n°3, Automne 1995
406
CURTIS G.E. et KARACAN T. (2002), The Nexus Among Terrorists, Narcotics Traffickers, Weapons
Prolificators, and Organised Crime Networks in Western Europe, A Study Prepared by the Federal Research
Division, Library of Congress under an Interagency Agreement with the United States Government, December
2002
407
« Blurring of boundaries » in CILLUFO F. (2000)
149
contacts…). Pour Curtis et al., la plupart des groupes terroristes utiliseraient des activités
criminelles pour se financer mais chaque acteur resterait dans sa logique propre408.
Selon Mincheva et al., l’existence de trois facteurs permettent l’alliance entre OCT et
groupes terroristes : l’existence de mouvements nationalistes, ethniques ou religieux transétatiques ; l’existence d’un conflit armé au sein du territoire national dans lequel les acteurs se
territorialisent et enfin des échanges de commodités et de produits illégaux409. C’est surtout
dans les États en déliquescence que l’on retrouve ces composantes. La porosité des frontières
entre ces pays permet également d’accroître la possibilité de liens : la demande en armes et en
munitions ainsi qu’en drogues étant plus importante qu’ailleurs, le circuit de l’offre et de la
demande y est plus présent, les liens économiques plus nombreux et plus forts.
L’auteure Louise Shelley, spécialiste des relations internationales illicites, a mis en
place un modèle démontrant l’existence de douze points de contact lorsque qu’une OCT et un
groupe terroristes collaborent. Ces « watch points » couvrent une vaste gamme d’habitudes et
de modes opératoires que les deux acteurs sont censés partager lorsqu’ils coopèrent et forment
des alliances d’intérêt410. Parmi les points de contact les plus intéressants, on trouve le partage
de « nœuds » communs c'est à dire que les deux acteurs se livrent tous les deux à des activités
illégales et recourent aux mêmes méthodes criminelles, notamment le trafic de drogues,
l’utilisation de faux papiers, l’insertion dans les circuits des armes ou encore l’utilisation
d’experts pour rationaliser le financement. L’usage de la corruption comme moyen de
parvenir à ses fins est un autre point de contact commun entre les deux acteurs : ce point
commun pose la question de savoir si la coopération entre OCT et groupes terroristes permet
de maximiser l’impact de la corruption sur le gouvernement central voire même opérer une
sorte de « division du travail » entre les deux acteurs.
2. Le « crime-terror continuum »
Dans ses travaux, Tamara Makarenko s’attache a expliquer les relations entre OCT et
groupes terroristes à travers le modèle du « crime-terror continuum » qui illustre différentes
formes de liens entre les acteurs allant de la simple coopération mutuelle vers une totale
convergence des motivations criminelles et terroristes, sorte de « point focal » dans lequel
408
CURTIS G.E. et KARACAN T. (2002)
MINCHEVA, LYUBOC et GURR (2006), Unholy Alliances ? How Trans-state Terrorism and International
Crime Make Common Cause, Paper presented at the Annual Meeting of the International Studies Association,
Panel on Comparative Perspectives on States, Terrorism, and Crime - San Diego, March 24, 2006
410
SHELLEY L.I. et al. (2005a)
409
150
terrorisme et criminalité ne font plus qu’un. En recherchant des alliances, les acteurs
apprennent l’un de l’autre en terme d’activités (nouveaux débouchés par exemple) et de
dynamique organisationnelle : c’est la raison pour laquelle les deux acteurs tendent à se
ressembler de plus en plus dans leurs structures et dans leurs activités illégales411. Selon elle,
il est possible d’identifier des facteurs qui peuvent encourager un groupe terroriste à envisager
une alliance – quelle que soit sa nature – avec le crime organisé : l’accès à des ressources
financières supplémentaires, la possibilité de construire une base économique compensant la
perte de revenus étatiques, l’accès à une expertise et des effets d’apprentissages criminels, la
conduite facilitée d’opérations transfrontalières illégales ou encore l’accès à des sources de
recrutements supplémentaires412. Groupes terroristes et OCT, en plus de partager des
similitudes opérationnelles et organisationnelles, apprendraient l’un de l’autre et réaliseraient
des effets d’apprentissage selon les succès et échecs de l’autre. Les relations entre les deux
acteurs se placent le long d’un « continuum » précisément car OCT et groupes terroristes
oscillent en permanence entre les bornes de cet espace, c'est à dire entre ce que l’on appelle
traditionnellement le crime organisé et le terrorisme, dépendamment de l’environnement dans
lequel l’acteur opère. Quelle que soit la position d’un acteur le long du continuum, celui-ci
s’implique dans tous les cas dans des activités criminelles plus ou moins variées et
importantes. Terrorisme et OCT existent donc sur un même plan dans ce modèle et peuvent
donc tout deux se diriger vers une convergence totale de leurs opérations au centre du
continuum pour créer une entité « hybride » (voir Annexe 24).
Il est possible d’établir trois types de relation entre OCT et groupes terroristes. Le
premier type de relation correspondrait à une alliance tactique entre les deux acteurs : la
présence des deux types d’acteurs au sein des différentes zones grises dans le monde
faciliterait la coopération, notamment au regard des trafic transnationaux et des sources
d’approvisionnement en produits illégaux. L’alliance peut être sporadique ou bien basée sur le
long terme selon les besoins tactiques de chaque acteur. L’exemple le plus cité est l’alliance
entre le cartel de Medellin et l’ELN en 1993 ou encore avec le FARC. En plus de ces relations
purement commerciales de fourniture de produits et de services, des relations plus
sophistiquées auraient émergé entre les deux acteurs par exemple lorsque l’IMU ouzbek a
entrepris un partenariat stratégique avec les narcotrafiquants afghans et asiatiques afin de
411
MAKARENKO T. (2004a) ; MAKARENKO T. (2004b) ; MAKARENKO T. (2006), Criminal and terrorist
networks : gauging interaction and the resultant impact on counter-terrorism, Center for Transatlantic Relations
412
SCHMID A.P. (2004) ; SCHMID A.P. (1996), The Links Between Transnational Organized Crime and
Terrorist Crimes, Transnational Organized Crime, Vol. 2, No. 4, pp. 40-82
151
sécuriser les transports d’héroïne vers la Russie et les Balkans. On peut également citer la
relation existante entre l’Armée de Libération du Kosovo (KLA) et la mafia albanophone en
matière de trafic de drogues, les deux organisations travaillant ensemble dans la filière
balkanique de la drogue.
Le second type de relation correspond à des motivations opérationnelles entre les deux
acteurs : durant les années 1990, chaque acteur aurait transformé sa structure
organisationnelle afin de faciliter l’utilisation de méthodes criminelles et terroristes. Le
narcoterrorisme serait une forme de transformation des groupes terroristes pour accueillir plus
facilement la logique économique du crime organisé. La gangstérisation du terrorisme serait
le point focal de cette relation entre les deux acteurs.
Le dernier type de relation est la convergence totale entre OCT et terroristes sous la
forme d’entités hybrides « terroristes le jour et criminelles la nuit » qui se développeraient
pour concurrencer l’État et le remplacer. En contrôlant les secteurs économiques et financiers
d’un État faible, ces entités finissent par prendre le contrôle politique de l’État et mettent en
place une économie de prédation. La mafia albanophone serait l’archétype de l’organisation
hybride possédant un contrôle à la fois politique et économique sur un territoire,
principalement au Kosovo et en Albanie.
Tamara Makarenko a étiré au maximum la notion de convergence entre les deux
acteurs en théorisant l’existence du syndrome du « trou noir »413 dans lequel des groupes
terroristes et criminels se livreraient à des opérations à la fois terroristes et criminelles pour
maintenir leur place à la tête d’États faillis comme l’Afghanistan, la Sierra Leone, la Somalie
ou le Liberia mais également dans des régions entières comme les Balkans. Des « zones
d’ombres » se créent, permettant aux deux acteurs d’agir en toute impunité loin des regards de
la communauté internationale et la convergence entre les deux acteurs est à son maximum.
Ainsi l’Afghanistan serait un « État trou noir » depuis le retrait soviétique en 1989 en raison
des liens existants entre les talibans, les organisations terroristes régionales, les
narcotrafiquants et les filières de contrebande des produits illégaux. Le syndrome du « trou
noir » n’apparaît que quand deux éléments sont réunis :
-
l’État doit être contrôlé par le crime organisé ou un groupe terroriste et
-
la motivation première des acteurs engagés dans cet État doit être criminelle et non
idéologique.
413
MAKARENKO T. (2003a), A Model of Terrorist-Criminal Relations, Jane’s Intelligence Review, 1, 30 July,
2003
152
Du point de vue de l’impact des groupes terroristes sur un État failli, les travaux de
Goredema permettent de mettre en évidence trois phases au cours desquelles un groupe
terroriste va progressivement « phagocyter » l’économie d’un Etat414 :
-
première phase : le groupe n’agit que dans une zone limitée et son but est de
discréditer l’appareil politique en s’attaquant directement aux hommes politiques et
aux structures d’État ;
-
seconde phase : phase d’expansion territoriale durant laquelle se fait la mise en place
d’une économie illégale parallèle. Le groupe terroriste s’infiltre dans toutes les
structures économiques du pays (équipements, industrie…) afin de faire partir les
capitaux étrangers, provoquant une hausse de l’inflation et du chômage ;
-
troisième et dernière phase : l’État est exclu des sphères de pouvoir, l’économie
parallèle est en place et fonctionne. Ainsi, le groupe terroriste « devient » un État à
part entière : afin de s’assurer une économie stable, l’État commerce également avec
le crime organisé et les autres groupes terroristes régionaux.
Certaines théories supposent aujourd’hui l’existence accrue d’un « continuum » entre
crime organisé et violence terroriste au travers des trafics illégaux à tel point que la distinction
entre les OCT et terroristes devient difficile voire impossible dans les Etats faibles et faillis et
les proto-Etats criminels.
B. Vers une « hybridation » des acteurs ?
Beaucoup d’auteurs supposant l’existence du « continuum » entre crime organisé et
violence terroriste au travers des trafics illégaux dans la mesure où les deux types d’acteurs
dépendent des mêmes fournisseurs en produits illégaux, des mêmes moyens de transport,
infrastructures et des mêmes sources de revenus415, à tel point que la frontière entre monde
criminel pur et financement du terrorisme deviendrait poreuse416. Selon Louise Shelley, les
liens opérationnels entre les deux acteurs sont beaucoup plus forts que les liens idéologiques,
rendant la distinction entre les deux difficile voire impossible dans les Etats faibles et faillis et
414
GOREDEMA C. (2005), Organised crime and terrorism : Observations from Southern Africa, Journal of
Contemporary Criminal Justice, Vol.17, No.3, 243-258
415
MAKARENKO T. (2004b) ; SHELLEY L.I. et PICARELLI J.T. (2002) ; SCHMID A.P. (2004) ;
416
MILI H. (2006), Tangled Webs : Terrorist and Organized Crime Groups, Terrorism Monitor, Vol. IV, Issue
1, January 12, 2006
153
les proto-Etats criminels417 : aujourd’hui l’utilisation des marchés illégaux dans les zones
grises ne permettrait plus de faire la différence entre un acteur criminel et un terroriste.
1. La transformation des acteurs
Certaines thèses prophétisent depuis quelques années l’apparition de « forces
criminelles transnationales hybrides » ou d’entités « mutantes », formant une « seule figure
entre le criminel et le guérillero »418 : cette analogie biologique mal choisie ne permet pas de
rendre compte objectivement de l’existence réelle ou non de liens objectifs entre groupes
terroristes et OCT. Ainsi la littérature américaine sur le sujet tend à démontrer la progression
vers des « organisations hybrides » à la fois entités terroristes et criminelles voire même
l’existence d’un « trou noir » entre les deux mondes. Pour ces auteurs, les objectifs, les
méthodes et les structures organisationnelles des terroristes et des OCT deviendraient
progressivement identiques. Bovenkerk et Chakra vont dans le même sens et proposent
l’existence de connexions entre les deux acteurs selon un modèle allant de la simple
association à la « symbiose » entre les deux car selon les auteurs, les développements
politiques et économiques post-Guerre froide ont rassemblé OCT et groupes terroristes au
sein du même territoire de l’illégal, ce que nous appelons les zones grises419, et toujours en
dehors de la sphère juridique traditionnelle420. Les similitudes dans les structures
organisationnelles et opérationnelles entre les deux acteurs ne font que renforcer ce constat.
Mincheva et Gurr ont créé une typologie reconnue de la transformation du terrorisme
selon les motivations et circonstances qui poussent les groupes terroristes à entreprendre un
« changement d’agenda »421 auprès du crime organisé. Le lien idéologique représente le
premier niveau de cette relation entre OCT et groupes terroristes et s’attache à l’utilisation de
méthodes criminelles par le terrorisme sans qu’il y ait perte de l’idéologie. Ainsi pour ces
417
SHELLEY L.I. et PICARELLI J.T. (2005), The Diversity of the Crime-Terror Interaction, International
Annals of Criminology Vol 43-1/2 ; SHELLEY L.I. (2005b), The Unholy Trinity : Transnational Crime,
Corruption and Terrorism, Brown Journal of World Affairs, Vol.IX n°2 et SHELLEY L.I. et MELZER S.
(2008), The Nexus of Organized Crime and Terrorism: Two Case Studies in Cigarette Smuggling, International
Journal of comparative and applied criminal justice, Spring 2008, Vol. 32 n°1
418
RAUFER X. (2002), Guerre, hostilité, chaos au début du XXIème siécle : défis et définitions, Département de
recherche sur les menaces criminelles contemporaines
419
BOVENKERK F. et CHAKRA B.A. (2004), Terrorism and Organised Crime, Forum on Crime and Society,
Vol.4 No1&2
420
SANDERSON T.M. (2004), Transnational Terror and Organized Crime : Blurring the Lines, SAIS Review
XXIV, no.1 : 49-61
421
MINCHEVA, LYUBOC et GURR (2006)
154
auteurs, le financement du terrorisme par l’intermédiaire du crime implique forcément un lien
stratégique entre les deux acteurs. Le second niveau est le lien pragmatique dans lequel
l’agenda terroriste entreprend un décalage « pragmatique » vers une criminalisation accrue du
groupe. Le FARC serait un exemple de ce lien. Le lien de prédation est le troisième type de
relation qui correspond à la perte totale d’objectifs politiques de la part du groupe terroriste au
profit d’activités criminelles pures. Le quatrième et dernier niveau dans la relation est
l’« interdépendance opportuniste » dans lequel objectifs politiques et économiques coexistent sur un pied d’égalité dans l’agenda du groupe terroriste, créant ainsi des acteurs
« hybrides » comme ce serait le cas avec la mafia albanophone. Les mouvements identitaires
transfrontaliers faciliteraient l’apparition de ces groupes hybrides.
Ainsi dans des zones grises comme la TBA ou les Balkans, les intérêts entre OCT et
groupes terroristes convergeraient totalement : la structure organisationnelle, les objectifs et la
réalisation d’activités criminelles tendraient à se ressembler et ne faire plus qu’un.
2. La politisation du crime organisé, facteur de transformation des OCT
Le cas inverse de la « gangstérisation » d’un groupe terroriste est la « politisation » du
crime organisé, phénomène rare qui reste à l’heure actuelle très peu documenté. L’une des
raison principale de cette transformation est la volonté de déstabiliser les institutions
politiques d’un pays ou d’une région422 : le crime organisé va réaliser des attaques proches des
méthodes « terroristes » contre un État afin d’intimider des agents de l’Etat ou bien créer un
environnement plus propice aux activités criminelles423. Il est difficile de savoir qui sert les
intérêts de l’autre : le crime organisé réalise-t-il ces actes terroristes par volonté idéologique
ou par simple implication criminelle ? Il semble que la base idéologique ne soit qu’une
tactique dont le but premier est la déstabilisation des institutions424. Les idéaux-types de la
« politisation » sont les cartels de la drogue colombiens et la Mafia Italienne. En Colombie,
les narcotrafiquants n’hésitent pas à réaliser des attaques qualifiées de « terroristes » dans le
seul but d’empêcher une réponse efficace du système de justice pénal et pour fragiliser le
422
MAKARENKO T. (2006), Criminal and terrorist networks : gauging interaction and the resultant impact on
counter-terrorism, Center for Transatlantic Relations
423
WILLIAMS P. et SAVONA U. (1995)
424
DANDURAND Y (2004), Terrorism and Organised Crime : Reflections on an Illusive Link and its
Implication for Criminal Law Reform, International Society for Criminal Law Reform, Annual Meeting, August
8, 2004
155
pouvoir en place425. La mafia italienne n’hésite pas à assassiner politiciens, juges, policiers et
même des journalistes afin d’altérer le cours de la justice et créer un climat constant de peur.
L’utilisation de moyens terroristes sert de façon pragmatique les intérêts du crime organisé
mais ne représente pas une réelle implication idéologique.
Au final le concept de « nexus » entre le terrorisme et le crime organisé est
relativement flou et surtout instrumentalisé au gré des besoins sécuritaires mondiaux. Au sens
premier du terme, un groupe terroriste échangeant des produits illégaux avec un OCT ne
constitue pas un « lien » à proprement parler : pour être signifiant, le lien devrait impliquer
une certaine consistance dans le temps et le partage explicite d’objectifs. En ce sens, aucun
« lien » n’a encore été observé entre groupes terroristes et OCT. De la même manière, l’idée
de plus en plus répandue que les activités des criminels et celles des terroristes tendent à
converger est également fausse, comme on vient de le voir : on observe au mieux une
similarité entre certaines activités mais une « convergence » entre les techniques criminelles
des terroristes et des OCT n’est pas (encore) à l’ordre du jour. Au final les « similitudes »
entre le terrorisme et le crime organisé doivent toutes être nuancées, sont passagères ou
tiennent de la coïncidence et en général se situent surtout en surface : ce sont des similitudes
qui tiennent davantage de l’interprétation erronée des observateurs que de caractéristiques
fondamentales des acteurs illégaux. A tel point que Leman-Langlois fait remarquer que « le
requin est impossible à distinguer du dauphin : les deux sont gris, vivent dans un milieu
aquatique et se nourrissent de poisson »426. Malgré l’absence de coopération entre les deux
acteurs, il ne faut pas croire que ceux-ci ne sont pas inter-reliés : le fait que groupes terroristes
et OCT prolifèrent dans les zones grises tend à imposer l’idée que la lutte contre l’un ne peut
plus souffrir l’absence de la lutte contre l’autre. Si l’on commence à s’intéresser à un type
d’acteur dans une zone grise, le second n’est jamais bien loin. Dès lors, il faut démontrer la
réalité des liens entre OCT et groupes terroristes.
425
DANDURAND Y. et CHIN V. (2004), Links between Terrorism and Other Forms of Crime, A Report
submitted to : Foreign Affairs Canada and The United Nations Office on Drugs and Crime, International Centre
for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy, April 2004
426
LEMAN-LANGLOIS S. (2007), Terrorisme et crime organisé, contrastes et similitudes, École de
criminologie, Université de Montréal
156
II – Peut-on vraiment parler de liens entre OCT et groupes
terroristes ?
Similitudes dans les méthodes de financement des acteurs ne veut pas dire
coopération : les interactions entre les deux acteurs sont en réalité temporaires, sporadiques et
uniquement basées sur un intérêt mutuel et ne s’appuient pas sur une convergence d’intérêt.
Des différences majeures en ce qui concerne la gestion des richesses, la présence d'une
idéologie ainsi que l'utilisation de la violence font en sorte que « les terroristes et le crime
organisé ne sont pas des partenaires naturels »427. S’intéresser aux différences de nature et
d’intérêt entre les deux acteurs (A) permet de caractériser la réalité des liens entre OCT et
organisations terroristes au sein des zones grises (B).
A. Une divergence de nature et d’intérêt totale entre les acteurs
Il est nécessaire de séparer radicalement les deux entités par leur fondement même : le
profit pour le profit contre le profit pour l'idéologie c'est à dire que les motifs du crime
organisé diffèrent de ceux des groupes terroristes à travers l'optimisation du capital. Les
terroristes quant à eux se servent du profit généré pour promouvoir leurs idées dans l'optique
d'avoir un poids politique et de financer leurs opérations et la survie du groupe428. Le fossé
idéologique qui sépare les groupes terroristes des groupes criminels les empêchera
généralement de collaborer429 : à la base, la différence principale se trouve au niveau des
intentions des acteurs.
1. Des divergences dans la raison d’être des acteurs
Le contraste le plus important entre les deux acteurs tient à leurs intentions : l’objectif
ultime du terroriste est politique alors que celui du membre d’une organisation criminelle est
427
WANNENBURG G. (2003), Links Between Organised Crime and al-Quaeda, South African Journal of
International Affairs, Vol.10 Issue 2, Spring 2003
428
STANISLAWSKI et al. (2004), Transnational Organized Crime, Terrorism, and WMD, Discussion paper
prepared for the Conference on Non-State Actors, Terrorism, and Weapons of Mass Destruction. Center for
International Development and Conflict Management, University of Maryland, 15 Octobre 2004 et CASTEEL S
(2003), Narco-Terrorism: International Drug Trafficking and Terrorism - A Dangerous Mix, Testimony of the
Assistant Administrator for Intelligence, US Drug Enforcement Administration, Hearing before the U.S. Senate
Judiciary Committee, 20 May 2003
429
SCHMID A.P. (2004) et SCHMID A.P. (2005)
157
économique. Cette différence n’est pas une simple question de contenu idéologique car si les
finalités politiques peuvent être satisfaites, la fin en soi qui constitue à s’enrichir ne peut
jamais être définitivement réalisée. En réalité, le but d’une organisation criminelle est de
continuer d’exister, alors que le groupe terroriste vise à devenir inutile le plus rapidement
possible. La maximisation du profit et la réduction des risques sont les motifs façonnant le
comportement des OCT alors que la poursuite d’objectifs idéologiques et politiques sont la
raison d’être du terrorisme430. Pour Gayraud, le terrorisme est un phénomène de surface,
« irritant mais visible » alors que la criminalité organisée, surtout le phénomène mafieux, est
« discret et indolore »431. Le terrorisme est par essence clandestin et subversif, il éclot dans sa
dimension politique de contestation et se confronte au système par des éruptions de violence :
il s’agit donc d’un phénomène de surface dépendant de la conjoncture politique. A l’inverse,
la criminalité organisée est essentiellement parasitaire et dissimulée, elle ne se révèle jamais
au grand jour et sa dissimulation permanente est une question de survie face à la répression
étatique : la criminalité organisée s’intègre donc au système mais de manière souterraine.
Les objectifs des deux acteurs sont également opposés : déstabilisation politique voire
prise de pouvoir pour le terrorisme, profit économique et financier maximal pour les OCT. Le
terrorisme vise la destruction du système et s’affirme comme extérieur à lui alors que la
criminalité organisée vit dans ce système au point d’en constituer un rouage. La clandestinité
et la négation de l’existence sont la raison d’être des OCT alors qu’elles ne sont qu’une
parenthèse entre deux apparitions pour le terroriste puisque sa raison d’être est d’émerger de
temps à autre lors d’une éruption de violence.
Le rapport au territoire n’est fondamentalement pas le même entre les deux acteurs :
les territoires où les terroristes prolifèrent sont des espaces chaotiques alors que les territoires
sous influence mafieuse (Hong Kong, Sicile) sont des havres de prospérité. Malgré tout, les
Etats faibles et faillis composent un terreau fertile pour les deux acteurs. Les deux types
d’organisations se différencient également par la nature de leur relation avec l’État : le groupe
terroriste, par son action, cherche à détruire la capacité de l’État à gouverner, à démontrer son
incompétence ou impuissance alors que « l’environnement maximisant l’efficacité des
organisations criminelles consiste en une administration politique stable »432 et surtout des
infrastructures capables de soutenir des activités commerciales légales ou non. Le crime
430
MINCHEVA, LYUBOC et GURR (2006)
Les deux acteurs ont autant de différence qu’entre une « maladie de peau et un cancer » in GAYRAUD J.-F.
(2005)
432
LEMAN-LANGLOIS S. (2007)
431
158
organisé ayant une relation parasitaire avec l’Etat, une alliance avec un groupe terroriste
désirant mettre à mal l’organisation étatique semble exclue433 : ainsi l’organisation terroriste
met en cause la légitimité de l’Etat auquel elle s’attaque alors que la criminalité organisée
cherche à exercer une forme de « souveraineté parallèle » qui s’accommode du pouvoir en
place434. Pour un groupe terroriste, s’associer au crime organisé est la meilleure façon de
perdre une partie de son soutien politique ou populaire voire même devenir un élément
atypique pour les autres groupes terroristes.
La question de la confiance entre les acteurs opérant des transactions est topique de la
logique de non-coopération qui semble irriguer la réalité des liens entre groupes terroristes et
crime organisé transnational : se faire confiance au sein d’un marché clandestin ne semble pas
facile et reste un obstacle majeur à la coopération entre les deux acteurs.
Quant à la nature des objectifs des organisations terroristes, elle est maintenue par un
fond purement idéologique : certains groupes terroristes se mêlent au trafic de stupéfiants
mais uniquement à des fins stratégiques. Ils pensent alors affaiblir leurs ennemis en
introduisant des drogues à propriétés dépendogènes au sein de la population : le Hezbollah en
est un exemple frappant car le groupe terroriste justifie sa participation dans ce type de trafic
comme moyen d'encourager les percées de l'Islam en alimentant le marché de l'Occident435.
2. Des divergences d’intérêts
Il est évident que les deux acteurs génèrent du profit à travers leurs activités de
financement mais « à l'inverse du crime organisé, le principal souci des groupes armés n'est
pas l'accumulation des richesses, mais sa dissimulation et sa redistribution »436. En ce qui
concerne le financement du terrorisme, l’argent n’est pas une fin en soi mais un moyen
d’obtenir une finalité idéologique violente : les groupes terroristes font en sorte que les
revenus demeurent en circulation dans leur réseau et les dépensent ou les répartissent à la
manière d'un État. Les organisations criminelles organisées, quant à elles, se consacrent plutôt
à l’accumulation pure et simple du profit. Pour le crime organisé, l’accès régulier aux
fournisseurs (de drogues, d'armes, etc.) ainsi qu'aux zones de transit est une question de
survie437 : ainsi, il est de mise de ne pas attirer l'attention des autorités pour préserver la
433
SCHMID A.P. (2004) et SCHMID A.P. (2005)
CHOQUET C. (2003), Terrorisme et criminalité organisée, Sécurité et Société – l’Harmattan
435
CLUTTERBACK R. (1994), Terrorism in an Unstable World, Routeledge
436
NAPOLEONI L. (2004)
437
STANISLAWSKI et al. (2004)
434
159
continuité de leurs activités car même une courte association avec des terroristes risque
d’attirer le regard des forces de l’ordre438. Les groupes terroristes visent l'inverse c'est à dire la
visibilité par l’intermédiaire d’actions provoquant la peur et le choc moral439. Si coopération il
y a, l’entrée d’un groupe terroriste dans la sphère économique ressemblera plus à de la
compétition qu’à une réelle coopération : une relation « parasitaire » se met en place440.
L’usage de la violence ne possède pas le même rôle entre OCT et groupe terroriste :
même si le terroriste va utiliser la violence pour effectuer un certain contrôle social, l’usage
systématique d’une violence directement appliquée au changement politique caractérise
seulement le terrorisme. Ainsi les terroristes utilisent la violence autant que possible, alors que
les groupes criminels l’utilisent aussi peu que possible. Une organisation criminelle qui utilise
trop de violence risque de maximiser ses chances d’être repérée, ce qui nuirait à la rentabilité
économique du groupe. Extérieure et revendiquée pour les terroristes, la violence est au
contraire interne et invisible pour la criminalité organisée.
En général, les deux acteurs possèdent trop de différences dans les objectifs à atteindre
pour mener une coopération économique stable et construite. Le crime organisé possédant
déjà tous les moyens nécessaires pour mener ses propres activités criminelles, de nombreux
groupes criminels bien implantés coupent les ponts avec ceux qu’ils soupçonnent de préférer
le terrorisme au profit. Par exemple, dans les années 1980, le cartel de Medellin en Colombie
a refusé de poursuivre les communications et la collaboration avec le FARC et l’Armée de
libération nationale colombienne (ELN). Il en est de même entre la Mafia italienne et AlQaïda après le 11 Septembre441.
B. La réalité des liens entre OCT et groupes terroristes
Il est vrai que terroristes et OCT partagent des points communs en terme
d’organisation442, de réseaux transfrontaliers, de méthodes mais ces similitudes ne
correspondent pas automatiquement à une coopération entre les deux acteurs. On ne le
rappellera jamais assez, les différences motivationnelles entre OCT et groupes terroristes sont
438
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2007), A Crime-Terror Nexus ? Thinking on the Links Between
Terrorism and Criminality, Studies in Conflict & Terrorism, Volume 30 Issue 12 December 2007
439
CASTEEL S (2003)
440
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2007)
441
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2006), Le Terrorisme et la Criminalité : Liens Réels et Potentiels,
Canadian Centre for Intelligence and Security Studies, The Norman Paterson School of International Affairs,
Carleton University, Vol. 2006-5
442
SHELLEY L.I. et PICARELLI J.T. (2002)
160
majeures : motivation financière et matérielle d’un côté contre motivation politique et
idéologique de l’autre443. Même si les groupes terroristes utilisent bel et bien les filières des
produits illégaux pour se financer, cela ne veut pas dire qu’il y ait coopération avec les
« propriétaires » de ces filières, à savoir les OCT transnationaux. Existence sur un plan
parallèle voire même inter-relations entre les acteurs ne veut pas dire coopération. Les
interactions entre OCT et groupes terroristes sont beaucoup moins fréquentes que la littérature
sur le sujet le laisse penser et la menace de groupes « hybrides » relève plus d’une futurologie
déplacée que de la réalité des acteurs illégaux actuels.
1. Des alliances sporadiques et ponctuelles
Les alliances entre les groupes criminels et les groupes terroristes sont rares : en
général, les groupes criminels organisés sont jaloux de leur territoire et réticents à courir le
risque d’attirer l’attention des autorités en collaborant avec des groupes terroristes. Par
ailleurs, les groupes terroristes qui empiètent sur les activités et les profits des organisations
criminelles risquent d’être perçus comme des rivaux : les groupes criminels organisés n’ont
donc pas intérêt à collaborer avec des terroristes qui menacent la stabilité du pays ou de leur
marché. Les relations entre OCT et groupes terroristes sont essentiellement intéressées :
subsistance pour les uns et nouveaux débouchés pour les autres, les deux acteurs restant
malgré tout indépendants l’un de l’autre444. Collusions et interpénétrations peuvent intervenir
pour des périodes plus ou moins longues mais elles ne perdurent que tant que les intérêts des
deux organisations le justifient, dans un contexte de concurrence d’autant plus sensible que
les groupes terroristes tendent à se criminaliser de plus en plus aujourd’hui.
Pour Schmid, la coopération entre les deux acteurs est plus l’exception que la règle à
l’heure actuelle étant donné le risque qu’une telle alliance entraîne pour les deux acteurs :
perte de soutien politique pour le terroriste et visibilité accrue pour le crime organisé. Si lien il
y a, certains auteurs montrent qu’il s’agit d’échanges purement commerciaux, logistiques et
financiers. Dishman montre le désintérêt que présente le crime organisé à s’allier au terroriste
en terme de gain : si coopération il y a, celle-ci n’est qu’épisodique et non permanente445 et
443
SCHMID A.P. (1996), The Links Between Transnational Organized Crime and Terrorist Crimes,
Transnational Organized Crime, Vol. 2, No. 4, pp. 40-82
444
CHOQUET C. (2003)
445
DISHMAN C. (2005), The Leaderless Nexus : When Crime and Terror Converge, Studies in Conflict and
Terrorism n°28, p. 237-252
161
relève de ce que Williams appelle un « one-spot linkage »446. Ce constat de « non-coopération
naturelle » semble représenter la réalité des liens entre OCT et groupes terroristes et tout
laisse à penser que les tendances actuelles dans les deux mondes ne pousse pas à une
coopération accrue.
Au contraire de la coopération au sein d’une filière ou d’un marché illégal dans une
zone grise, les deux acteurs ont plus de chance de rentrer en compétition pour la maîtrise de la
filière que de s’allier pour profiter ensemble des bénéfices. De ce point de vue là, le crime
organisé possède une situation beaucoup plus avantageuse que l’organisation terroriste qui
tenterait d’entrer dans la filière illégale, avec les coûts que cela implique : dans la plupart des
cas, le crime organisé est le seul acteur à avoir mis en place la filière et la dirige totalement
sans que l’entrée d’un nouvel arrivant ne soit possible. A part dans les situations où le groupe
terroriste règne en maître sur la filière illégale dans une zone grise, le crime organisé reste
l’acteur incontesté des marchés illégaux au sein des zones grises. Dans le même sens, Chris
Dishman de la Commission américaine sur la sécurité nationale montre que les différences en
terme de motivations et d’objectifs entre OCT et groupes terroristes sont telles que toute
coopération est le plus souvent impensable et non souhaitable : en ce sens, il vaudrait mieux
observer des cas où les deux acteurs rentrent en compétition dans une zone grise pour le
contrôle d’un marché ou d’une filière que de chercher des exemples de coopération ou
d’alliances447. Dans ses nombreux travaux sur la question de la convergence entre les deux
acteurs, Williams finit par conclure qu’un cycle de coopération/non-coopération sur le court
terme correspond le mieux à la réalité des liens entre OCT et groupes terroristes que d’une
réelle convergence d’intérêt ou même d’une simple alliance. Beaucoup d’auteurs tenant des
thèses de convergence ou de « nexus » reconnaissent le plus souvent que des obstacles
majeurs empêchent la création de liens réels et profonds entre les deux mondes448 : chacun
opérant dans l’ombre, OCT et groupes terroristes ne franchissent que rarement la frontière car
une alliance fait courir autant de risques aux terroristes qu’aux groupes criminels organisés.
Très souvent, les groupes criminels organisés voient les terroristes organisés qui
mènent les mêmes activités comme des rivaux qui font diminuer leurs revenus : la plupart du
446
WILLIAMS P. (2005), Terrorist Financing and Organized Crime Nexus of Relationships, Appropriation of
Methods or Both ? in BIERSTEKER, T. and ECKERT, S. (eds), Financing Global Terrorism, New York :
Routledge
447
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2007)
448
SANDERSON T.M. (2004)
162
temps, les groupes du crime organisé connaissent mieux les méthodes et les techniques
utilisées pour tirer un revenu constant d’une activité illicite, par exemple la monopolisation du
marché noir, la création d’une économie parallèle ou l’exploitation des infrastructures de
l’État. Pour O’Malley, il est primordial de faire la différence entre les groupes terroristes à la
structure organisationnelle éphémère et ceux dont la structure réticulaire est plus développée.
En effet, les groupes terroristes se livrant à des actes criminels sporadiques pour se financer
n’auront pas besoin de s’insérer au cœur des filières des produits illégaux et ne feront jamais
appel au crime organisé pour des raisons économiques et financières. Même en cas de
bénéfice mutuel, un groupe terroriste à faible besoin de financement ne tentera certainement
jamais une alliance ou même un rapprochement avec le crime organisé : une attaque « oneoff » type attentat suicide ne demande pas une levée de fond nécessitant la coopération d’un
OCT car il n’a pas besoin de nouer des relations durables avec des groupes ou des personnes «
de l’extérieur » ni de s’assurer un revenu constant. Par exemple les attentats de Madrid en
2005 ont été perpétrés par l’intermédiaire d’explosifs fournis par des cellules terroristes
locales et non par l’intermédiaire du crime organisé. A l’inverse, les groupes terroristes
possédant un besoin de financement plus important pour maintenir à flot une organisation
réticulaire transnationale pourront tenter des rapprochements avec les OCT mais toujours dans
un but purement lucratif, sporadique et sur une base ad hoc.
Il semble tout aussi improbable que les groupes criminels aient une raison de
collaborer avec les terroristes : en effet, même une courte association avec des terroristes
risque d’attirer le regard des forces de l’ordre. En général, les risques pour la sécurité de leurs
opérations l’emportent sur les bénéfices qu’ils tireraient d’une collaboration. La mafia
traditionnelle et les narcotrafiquants ont besoin d’un système étatique et économique stable
pour prospérer alors que les nouveaux groupes criminels nés à la fin de la Guerre froide
comme les gangs nigérians ou la mafia albanophone s’épanouissent dans le chaos laissé par le
vide politique d’un État failli : ces groupes possèdent une rationalité et un rapport au risque
différents par rapport aux réseaux mafieux implantés dans des États politiquement et
économiquement forts. Ces nouveaux groupes criminels auraient une propension
supplémentaire à s’allier avec un groupe terroriste au sein des zones grises : ces OCT d’un
genre nouveau n’auraient pas l’intention de collaborer idéologiquement avec le terrorisme
mais s’en servirait pour déstabiliser de façon accrue le peu d’autorité étatique restante et parce
163
que l’inexistence d’un cadre politique construit leur permet de proliférer. Une relation
mutuellement bénéficiaire se mettrait donc en place449.
Sur le terrain, les réseaux terroristes et criminels sont autonomes et bien différenciés,
chaque acteur appartenant à un monde de professionnels restant entre eux. Les liens entre les
deux acteurs sont purement logistiques et financiers et ne dénotent par l’existence d’une
coopération accrue : la coopération entre les deux acteurs relève au final plus de l’anecdote et
de l’exception que de la « pointe de l’iceberg » d’une coopération d’intérêt entre OCT et
groupes terroristes devenus des acteurs « hybrides ».
2. Les Etats faibles et faillis comme catalyseurs des relations entre acteurs
La littérature spécialisée sur les relations internationales illicites assimile souvent
l’implantation de groupes terroristes dans des proto-Etats criminels à une alliance implicite
entre les deux acteurs450 or en réalité, cette implantation territoriale est « normale » dans le
sens où les organisations terroristes, acteurs à besoin de financement, ont besoin de se
territorialiser au sein d’une zone grise afin de réaliser le financement de leurs activités. Dès
lors, quoi de plus adéquate qu’une zone grise pour prospérer : l’implantation territoriale au
sein d’un proto-Etat criminel n’a donc rien d’une coopération objective entre les deux acteurs
mais répond plus à une logique économique de la part des terroristes. Il existe des éléments
apportant des indices d’une coopération entre OCT et groupes terroristes dans des
circonstances « exceptionnelles » dans les Etats faibles et faillis et sur les marchés illicites
compétitifs qui sont dirigés par des groupes criminels organisés. Le plus souvent, de telles
alliances sont temporaires et parasitaires où l’un vit aux dépens de l’autre plutôt que
symbiotiques et sont changeantes et de courte durée. De tels échanges ne donnent pas lieu à la
création de liens systématiques entre le terrorisme et le crime organisé : la conclusion la plus
importante à tirer est que les groupes terroristes organisés ont déjà tous les moyens
nécessaires pour mener leurs propres activités criminelles organisées.
Les groupes terroristes organisés qui désirent percer les marchés illicites sous
l’emprise d’organisations criminelles n’ont d’autre choix que de former des alliances avec
elles, plus particulièrement dans les régions de l’Afrique, de l’Asie centrale, de l’ex-Union
soviétique et des Balkans. Tel est aussi le cas dans les pays comme l’Afghanistan, le
449
SHELLEY L.I. et PICARELLI J.T. (2002)
CORNELL S.E. (2006), The Narcotics Threat in Greater Central Asia : from Crime-Terror Nexus to State
Infiltration ?, China and Eurasia Forum Quaterly, Vol.4 No1, p37-67
450
164
Myanmar et la Colombie où quelques groupes criminels organisés exercent un pouvoir
considérable sur les marchés illicites451. Par exemple, le FARC et le Sentier Lumineux
apportent une protection armée à certains narcotrafiquants : en échange de larges sommes
d’argent ou même de drogues, les organisations terroristes fournissent une protection des
espaces de production et d’acheminement de la drogue contrôlés par les narcotrafiquants. Le
LTTE se serait engagé dans des activités similaires dans le Triangle d’Or.
Du fait de nombreux obstacles, la réalité des alliances entre groupes terroristes et
crime organisé transnational reflète donc en général une non-coopération452 car quand
coopération il y a, celle-ci est temporaire, exceptionnelle et basée sur le profit mutuel le temps
pour les acteurs d’amasser des fonds. La plupart du temps, il s’agit d’une relation parasitaire
dans laquelle l’organisation terroriste se « nourri » de l’OCT pour se financer mais cette
relation dure tant que les deux acteurs ont un intérêt à collaborer. Aucuns cas de relation
« symbiotique » entre les deux acteurs n’ont été démontrées au travers de l’histoire. Les liens
économiques entre groupes terroristes et crime organisé transnational sont donc plus
l’exception que la règle : la réalité de l’interconnexion entre OCT et groupes terroristes peut
se résumer au titre de l’article de Louise Shelley « methods, not motives »453. La crainte d’une
« menace hybride ne semble donc pas crédible à l’heure actuelle ni dans un futur proche.
451
O’MALLEY P. et HUTCHINSON S. (2007)
DANDURAND Y. et CHIN V. (2004)
453
SHELLEY L.I. et PICARELLI J.T. (2002)
452
165
L’interconnexion entre la sphère criminelle transnationale, la réalisation de
trafics illégaux empruntant des réseaux de plus en plus professionnalisés et le monde terroriste
rend la lutte et la répression contre les relations internationales illicites complexe : en effet les
différentes mesures mises en place par les gouvernements nationaux ne font que transformer
les manières de faire des acteurs travaillant au sein des zones grises sans pour autant
s’attaquer à la source du mal. On l’a vu, l’aspect économique est primordial dans la
compréhension du phénomène des zones grises car sans le commerce de biens illégaux, les
relations internationales illicites ne pourraient obtenir d’assise territoriale et donc s’inscrire
dans le paysage international actuel. A l’heure où ces lignes sont écrites, les réseaux illégaux
transnationaux prolifèrent toujours en marge du système économique et financier légal et les
zones grises anomiques s’étendent à mesure que la mondialisation financière progresse et
renforce le phénomène des relations internationales illicites. A cause de la rentrée des
capitaux illégaux dans la sphère économique et financière « blanche », il est aujourd’hui à
craindre un phénomène d’émergence publique des zones grises dans le sens où l’existence de
« proto-États » laisse sous-entendre une capacité de se porter sur la scène internationale et
faire valoir des revendications. A quand des Etats ouvertement revendiqués comme criminels
qui sauront jouer de leur influence dans la sphère inter-étatique ? Il en est de l’avenir de la
scène internationale telle que nous la connaissons actuellement, mélange de cette vieille garde
étatique westphalienne et de nouveaux phénomènes transnationaux.
A travers la création d’une typologie novatrice, l’auteur espère que ce travail permettra
une prise de conscience sur le phénomène des zones grises pouvant mener à une étude plus
approfondie – de terrain cette fois – sur la territorialisation des relations internationales
illicites et l’interconnexion entre le monde criminel et terroriste. Comprendre les phénomènes
de l’intérieur est un pré-requis nécessaire pour lutter contre eux.
166
- ANNEXES -
p. 168 Annexe 1 – Evolution des hectares de cocaïers plantés en Amérique andine
entre 1990 et 2006
p. 169 Annexe 2 – Aires de production de la cocaïne en Amérique Andine
p. 170 Annexe 3 – Evolution des hectares de pavot à opium plantés dans le monde
entre 1990 et 2007
p. 171 Annexe 4 – Production d’opium dans le monde de 1990 à 2007
p. 172 Annexe 5 – Espaces géographiques du Triangle d’Or et du Croissant d’Or
p. 173 Annexe 6 – Répartition des pays producteurs de cannabis dans le monde
p. 174 Annexe 7 – Les principales routes de la drogue dans le monde
p. 175 Annexe 8 – Représentation schématique de la Route des Balkans
p. 176 Annexe 9 – Routes de la cocaïne dans l’arc des Caraïbes
p. 177 Annexe 10 – Routes de la cocaïne dans les Balkans
p. 178 Annexe 11 – Routes de l’opium et de l’héroïne en Asie
p. 179 Annexe 12 – Routes de l’opium et de l’héroïne depuis l’Afghanistan
p. 180 Annexe 13 – Routes empruntés pour le trafic d’êtres humains dans les Balkans
p. 181 Annexe 14 – Routes empruntés pour le trafic d’êtres humains en Afrique
p. 182 Annexe 15 – Zones tribales pakistanaise – North West Frontier Province
p. 183 Annexe 16 – Zone de la Tri-frontière – Tri-Border Area (TBA)
p. 184 Annexe 17 – Zones de production de l’opium dans le Triangle d’Or
p. 185 Annexe 18 – La zone démilitarisée (« despeje ») en Colombie
p. 185 Annexe 19 – Zones de production de l’opium en Afghanistan
p. 186 Annexe 20 – Représentation de la zone grise d’Afrique de l’Ouest
p. 186 Annexe 21 – Routes de la drogue en Afrique vers l’Europe
p. 187 Annexe 22 – Implantation territoriale des OCT en Europe
p. 187 Annexe 23 – Principales activités criminelles menées par les groupes
terroristes et des coûts d’entrées relatifs à ces activités
p. 188 Annexe 24 – Le Crime-Terror Continuum de Makarenko
167
Annexe 1 – Evolution des hectares de cocaïers plantés en Amérique andine
entre 1990 et 2006
Source : Drug Enforcement Administration (DEA)
168
Annexe 2 – Aires de production de la cocaïne en Amérique Andine
Source : Drug Enforcement Administration (DEA)
169
Annexe 3 – Evolution des hectares de pavot à opium plantés dans le
monde entre 1990 et 2007
Source : UNODC
170
Annexe 4 – Production d’opium dans le monde de 1990 à 2007
Source : UNODC
171
Annexe 5 – Espaces géographiques du Triangle d’Or et du Croissant d’Or
Source : Pierre-Arnaud Chouvy
172
Annexe 6 – Répartition des pays producteurs de cannabis dans le monde
Source : Drug Enforcement Administration (DEA)
173
Annexe 7 – Les principales routes de la drogue dans le monde
Source : CHALIAND G. (2003), Atlas du nouvel ordre mondial, Robert Laffont
174
Annexe 8 – Représentation schématique de la Route des Balkans
Source : TraCCC
175
Annexe 9 – Routes de la cocaïne dans l’arc des Caraïbes
Source : Atelier de cartographie de Sciences Po
176
Annexe 10 – Routes de la cocaïne dans les Balkans
Source : UNODC
177
Annexe 11 – Routes de l’opium et de l’héroïne en Asie
Source : Pierre-Arnaud Chouvy
178
Annexe 12 – Routes de l’opium et de l’héroïne depuis l’Afghanistan
179
Annexe 13 – Routes empruntés pour le trafic d’êtres humains dans les
Balkans
Source : UNODC
180
Annexe 14 – Routes empruntés pour le trafic d’êtres humains en Afrique
181
Annexe 15 – Zones tribales pakistanaise – North West Frontier Province
Source : Central Intelligence Agency
182
Annexe 16 – Zone de la Tri-frontière – Tri-Border Area (TBA)
183
Annexe 17 – Zones de production de l’opium dans le Triangle d’Or
Source : UNODC
184
Annexe 18 – La zone démilitarisée (« despeje ») en Colombie
Annexe 19 – Zones de production de l’opium en Afghanistan
Source : UNODC
185
Annexe 20 – Représentation de la zone grise d’Afrique de l’Ouest
Annexe 21 – Routes de la drogue en Afrique vers l’Europe
186
Annexe 22 – Implantation territoriale des OCT en Europe
Annexe 23 – Principales activités criminelles menées par les groupes terroristes
et des coûts d’entrées relatifs à ces activités
Source : GIRALDO J.K. et TRINKUNAS H. A. (2007), Terrorism Financing and State
Response : A Comparative Perspective, Standford University Press
CRIMES
CAPABILITIES
ENTRY COSTS
Expertise required for
production but little to Likely barriers due to
Narcotics smuggling no expertise required
high competition
for transportation or
distribution
Goods smugling
Little expertise
required
Low though some
types of goods might
require some financial
187
OPPORTUNITIES
Limited for
production of
agriculturally-based
drugs. Open for
transportation and
distribution
Nearly unlimited
Commodity
smuggling
Little expertise
required
Migrant smuggling
Some knowledge of
border controls
required
outlays or present
competition barriers
Moderate to aquire
commodities
Expertise required in
Trafficking in persons the recruitment and
exploitation
Extortion
Kidnapping
Counterfeiting
Fraud
Credit card theft
Armed robbery
Little expertise
required
Little expertise
required
Moderate expertise
required, depends on
instruments used
Little expertise
required
Little expertise
required
Little expertise
required
Limited markets and
opportunities to
access resources
Low though some Somewhat limited due
borders might require to the nature of global
access to fraudulent
migratory flows
documents or bribery
Moderate costs and
barriers depending on
Nearly unlimited
the form of
exploitation
Low costs and few
Nearly unlimited,
barriers
better in weak or
failed states
Low costs and few
Nearly unlimited
barriers
Moderate to high
Limited by the quality
costs for access to
of the instruments
technology
used
Low costs and few
Limited by the
barriers
prevalence of targets
for the fraud
Low costs and few
Nearly unlimited
barriers
Costs related to
Limited to the range
defeating security
of potential victimes
measures
in the area of
operation
Annexe 24 – Le Crime-Terror Continuum de Makarenko
Source : MAKARENKO T. (2003a), A Model of Terrorist-Criminal Relations, Jane’s
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188
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209
- TABLE DES MATIERES INTRODUCTION……………………………………………………………………………..8
Chapitre 1 – Les zones grises infra-étatiques…………………………………………16
Section 1 – Géopolitique mondiale de l’offre de drogues……………………………….……17
I – Les espaces de production des drogues dans le monde……………………………….20
A. Les aires de production de la cocaïne………………………………………………...21
1. Historique de la filière de production de cocaïne……………………………..21
2. La production de cocaïne en Amérique Latine……………………………….23
B. Les aires de production de l’opium et de l’héroïne…………………………………...23
1. Production d’héroïne dans le Triangle d'Or et le Croissant d’Or……………..25
2. Production d’opium et d’héroïne dans le reste du monde…………………….27
C. Les aires de production du cannabis et des drogues de synthèse……………………..28
1. La production de cannabis……………………………………………………28
2. Les aires de production des ATS……………………………………………..30
II – Les routes de la drogue et les réseaux de distribution des stupéfiants……………….32
A. La Route des Balkans : l’itinéraire historique au cœur de l’Europe………………….33
1. La structuration d’une route de la drogue particulière………………………..33
2. Les itinéraires utilisés le long de la Route des Balkans………………………34
B. Les routes de la cocaïne depuis l’Amérique Latine…………………………………..36
1. Les routes d’acheminement vers les Etats-Unis………………………………36
2. Les routes d’acheminement de la cocaïne vers l’Afrique et l’Europe………..38
C. Les routes des stupéfiants depuis l’Asie et le Moyen-Orient…………………………39
1. Les routes de l’héroïne à partir du Triangle d'Or……………………………..39
2. Les routes de l’héroïne à partir du Croissant d'Or……………………………40
Section 2 – Géopolitique de l’offre d’armes à feu illégales et zones grises du trafic d’êtres
humains……………………………………………………………………………………….42
I – Le trafic d’ALPC dans le monde……………………………………………………...42
A. Le marché noir et la contrebande d’armes dans le monde……………………………44
1. L’ex-URSS : vaste entrepôt d’armes à l’abandon et point d’origine des routes
de contrebande………………………………………………………………..45
2. La contrebande d’armes à feu dans le monde………………………………...47
B. Les nouvelles tendances dans l’offre d’armes illégales………………………………48
1. Une offre d’ALPC renouvelée………………………………………………..48
2. Les nouvelles formes de trafic d’armes………………………………………50
II – Le trafic et la contrebande illégale d’être humains…………………………………..52
A. Le fonctionnement de la filière du trafic d’être humains……………………………..55
1. La logique économique du trafic d’êtres humains……………………………55
2. Les acteurs et les modalités du trafic d’êtres humains………………………..57
B. Les routes du trafic d’êtres humains………………………………………………….59
1. Les routes d’Europe de l’Est et du Moyen-Orient vers l’Europe de l’Ouest et
les Etats-Unis…………………………………………………………………59
2. Les routes d’Afrique et du Maghreb vers l’Europe…………………………..61
210
Chapitre 2 – Les zones grises supra-étatiques………………………………………..63
Section 1 – Les « Zones de Libre Échange illégales »………………………………………..65
I – La zone de la tri-frontière…………………………………………………………………66
A. Le paradis du trafiquant………………………………………………………………68
1. Trafics, contrebande et commerce illégal…………………………………….68
2. La TBA comme place financière illégale internationale……………………..69
B. La prolifération des acteurs illégaux………………………………………………….69
1. La présence de nombreux acteurs illégaux…………………………………...70
2. Le cas particulier des groupes terroristes islamistes dans la TBA……………70
II – Les ZLE de l’opium : le Triangle d'Or et le Croissant d'Or……………………………...71
A. Des espaces géopolitiques mouvants et particuliers………………………………….72
1. Des espaces en recomposition permanente…………………………………...73
2. Des routes de trafic et des itinéraires adaptables……………………………..74
B. Des espaces hétérogènes mais tellement similaires…………………………………..75
1. Des espaces politiques et géographiques similaires…………………………..75
2. Des espaces politiquement inaboutis…………………………………………76
Section 2 – Les narco-Etats : quand une entité étatique devient une zone grise……………...77
I – La Colombie est-elle toujours l’archétype du « narco-Etat » ?…………………………...79
A. Le processus d’implantation territoriale des narcotrafiquants en Colombie…………80
1. Les cartels de narcotrafiquants en Colombie…………………………………80
2. Le poids de l’illégal sur l’Etat central………………………………………...83
B. L’existence d’un proto-État criminel colombien……………………………………..84
1. L’assise territoriale des FARC : un État dans l’État………………………….85
2. Vers la faillite d’un Etat faible ?……………………………………………...87
II – L’Afghanistan : un Etat faillis financé par la drogue……………………………………89
A. La désagrégation politique d’un État…………………………………………………90
1. Une zone grise d’ampleur nationale………………………………………….90
2. Marché noir et économie de guerre en Afghanistan………………………….92
B. L’Afghanistan est-il un narco-État ?………………………………………………….93
1. La culture du pavot à opium en Afghanistan…………………………………93
2. Les talibans et le narcotrafic………………………………………………….95
Section 3 – Les regroupements d’États : les zones grises poly-étatiques…………………….97
I – La zone grise poly-étatique des Balkans…………………………………………………..98
A. Caractéristiques de la zone grise des Balkans………………………………………...99
1. L’existence d’une économie parallèle de guerre et de subsistance………….100
2. Une plaque tournante internationale de tous les trafics……………………..102
B. La mafia albanophone……………………………………………………………….104
1. La structuration d’une mafia atypique………………………………………105
2. L’implantation territoriale de la mafia albanophone………………………..107
II – La zone grise poly-étatique d’Afrique de l’Ouest………………………………………109
A. Etat des lieux de la zone grise d’Afrique de l’Ouest………………………………...110
1. Trafics et économie informelle en Afrique de l’Ouest………………………111
2. La prolifération d’acteurs illégaux et la structuration des gangs nigérians….113
B. L’Afrique de l’Ouest comme nouvelle plaque tournante internationale du trafic de
drogues………………………………………………………………………………117
1. Evaluation de l’ampleur du trafic de drogues en Afrique…………………...118
2. La place du commerce de drogues dans la société africaine………………...120
211
Chapitre 3 – Les interactions entre les acteurs et le financement des activités
illégales dans les zones grises………………………………………………………….123
Section 1 – Financement des OCT et des groupesterroristes………………………………..124
I – La rationalité économique des OCT et les techniques financières criminelles………….125
A. La rationalité économique des OCT………………………………………………...126
1. Le fonctionnement économique et entrepreneurial des OCT……………….127
2. Territorialisation des OCT et proto-Etats criminels…………………………129
B. Les techniques économiques et financières criminelles……………………………..130
1. Le blanchiment d’argent…………………………………………………….130
2. Les autres techniques économiques criminelles…………………………….132
II – Le financement du terrorisme au sein des zones grises…………………………………134
A. Le financement du terrorisme au travers d’activités criminelles……………………135
1. La dépendance aux caractéristiques organisationnelles……………………..136
2. La « gangstérisation » du terrorisme………………………………………...138
B. L’utilisation de réseaux économiques et financiers alternatifs……………………...140
1. Le « noircissement » des fonds et les réseaux financiers parallèles………...140
2. Le « narcoterrorisme »………………………………………………………143
Section 2 – Les relations entre acteurs illégaux présents dans les zones grises……………..145
I – Vers une « convergence d’intérêt » entre terroristes et OCT ?…………………………..147
A. Les théories du « crime-terror nexus »………………………………………………148
1. Les différentes théories de la convergence d’intérêt………………………...148
2. Le « crime-terror continuum »………………………………………………150
B. Vers une « hybridation » des acteurs ?……………………………………………...154
1. La transformation des acteurs……………………………………………….154
2. La politisation du crime organisé, facteur de transformation des OCT……..155
II – Peut-on vraiment parler de liens entre OCT et groupes terroristes ?…………………...157
A. Une divergence de nature et d’intérêt totale entre les acteurs………………………157
1. Des divergences dans la raison d’être des acteurs…………………………..158
2. Des divergences d’intérêt……………………………………………………159
B. La réalité des liens entre OCT et groupes terroristes………………………………..161
1. Des alliances sporadiques et ponctuelles……………………………………161
2. Les Etats faibles et faillis comme catalyseurs des relations entre acteurs…..164
CONCLUSION……………………………………………………………………………...166
ANNEXES…………………………………………………………………………………..167
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..189
SITOGRAPHIE……………………………………………………………………………..209
TABLES DES MATIERES…………………………………………………………………210
QUATRIEME DE COUVERTURE………………………………………………………...213
212
- QUATRIEME DE COUVERTURE -
Résumé du mémoire
Depuis quelques années, le champ universitaire des relations internationales tend à faire une
place de plus en plus importante à l’étude des « zones grises », ces espaces de non-droit dans
lesquels prolifèrent trafics transnationaux de biens illicites et acteurs illégaux. Cette étude sur
la territorialisation des zones grises propose d’étudier le phénomène des relations
internationales illicites en dressant une typologie originale prenant en compte les différents
éléments constitutifs des zones grises afin de montrer que chaque zone anomique rentre dans
une catégorie spécifique selon sa « nuance de gris » c'est à dire l’étendue des trafics et des
espaces de production des produits illégaux ainsi que de l’implantation territoriale de la zone
grise au sein des espaces infra- et trans-étatiques. On distinguera ainsi les zones grises infraétatiques des zones grises supra-étatiques. A partir de cette typologie, il sera possible de
montrer comment les acteurs illégaux – principalement les Organismes Criminels
Transnationaux et les groupes terroristes internationalisés – implantés dans les zones grises
interagissent entre eux pour faire littéralement « vivre » les zones grises au gré des trafics par
l’intermédiaire d’échanges rationnels qu’il conviendra d’étudier sans le sens d’un marché
économique de plus en plus intégré et ayant des répercussions importantes sur la sphère
économique et financière légale.
Mots clés
Zone grise – Trafics illégaux – Terrorisme – Criminalité transnationale – États faibles et
faillis
213
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