Pulmonaire officinale. PHOTO PIERRE CHENNEBAULT NATURE Bord de mer, chemins, prés, bois, marais... recèlent des plantes aux propriétés étonnantes ! Pierre CHENNEBAULT* PHOTO MG Citadelle de Fouras. . À l’écoute des plantes … du côté de Fouras C onnaissez-vous la « théorie des signatures » ? Ce principe essentiel de la médecine médiévale repose sur la règle similia similibus curantur, c’est-à-dire « les semblables soignent les semblables ». L’exemple de la noix fait référence en la matière : les deux cerneaux de son amande ressemblent si bien aux circonvolutions du cerveau humain que les Anciens ont pensé qu’elle devait être bénéfique à celui-ci... Et en effet, les études scientifiques valident cette observation : la noix étant riche en sérotonine, un neurotransmetteur indispensable au fonctionnement de certaines fonctions cérébrales, elle est recommandée pour stimuler lesdites fonctions. Les exemples abondent, la médecine moderne jase... Soigner, croquer, parfumer… LA ROCHELLE Observons plutôt la pulmonaire repérée au bord d’un chemin longeant la côte de Fouras... Ce sont les taches blanchâtres de la feuille qui, évoquant celles d’un poumon malade, ont décidé en son temps de son utilisation pour les affections… pulmonaires. Et ce sont ses racines qu’on utilisait pour soigner ce type de maladie. Aujourd’hui, la plante soulagerait toux, bronchites et autres maux de gorge... Observer, montrer, démontrer, voilà les principes d’Anne Richard 1, notre guide de « haute nature ». Et c’est dans cet esprit que nous partons à la découverte des diverses plantes poussant aux quatre coins du pays Rochefortais : bord de mer, chemins, prés, bois, marais... On apprend ainsi à connaître, reconnaître, | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | 1 # Fouras * [email protected] 1. Anne Richard, botaniste et passionnée de nature, anime des conférences et des stages sur la reconnaissance et l’utilisation des plantes sauvages. Voir son blog : http://afleurdemaree.blogspot.com C’est qu’elle est goûteuse, la nature, crue, cuite, en salade, en gratin... Il faut savourer les jeunes pousses du tamier, croquer la carotte sauvage, ne pas confondre la petite oseille sauvage au goût acidulé avec les jeunes pousses d’arum toxique, discerner mâche et épilobe... Place à la découverte… PHOTO PIERRE CHENNEBAULT La bette maritime Obione. 2. Avec autorisation de cueillir car il faut ménager les espèces rares... Bette maritime. utiliser. Ici, on croque une feuille d’obione couverte de cristaux de sel, là, on déniche l’étonnante petite fleur de fragon, plus loin on cueille2 quelques fleurs de sureau qui serviront à parfumer un apéritif... La quête s’effectue au pied des carrelets, sur les remparts du fort Vauban, sur l’île Madame, sur l’île d’Aix, dans les marais du Liron... Voilà la salicorne, tiens, une petite pimprenelle, oh le bel adonis goutte de sang... Chemin faisant, on goûte les trouvailles cueillies à fleur de sable, à fleur de mer, à fleur de terre. La nature sauvage se mange avec élégance, voire un rien de préciosité. C’est l’ancêtre de nos betteraves. Ses feuilles sont tendres, fondantes et, bien que la plante pousse à profusion à proximité de la mer, leur saveur n’est pourtant que légèrement salée. Elles se mangent crues en salade, cuites comme des épinards ou même en dessert dans des tartes sucrées. Les racines se préparent à la façon des betteraves du commerce – à l’eau, sous la cendre, au four... Les nombreuses recettes proposées autour de la bette indiquent son intérêt : salade de moules et saumon fumé aux bettes marines, foie de lotte en papillote avec chutney de racine de bette marine, farci aux sept plantes, soufflé chaud à la bette marine, joues de lotte en habits verts de bettes marines, maigrette de l’estuaire farcie aux bettes marines et crevettes, tartare de bar sur une feuille de bette, abats d’agneau en brochettes de fenouil avec feuilles et côtes de bettes, tarte aux pommes au thé et à la bette marine confite... De quoi mettre l’eau – de mer – à la bouche ! PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Vol au-dessus d’un arum Salade de moules et saumon fumé aux bettes maritimes Ouvrir les moules avec du vin blanc et des échalotes. Décoquiller, mariner avec de huile d’olive et une pointe de Tabasco – à réaliser la veille. Faire une citronnette avec l’huile de la marinade, BAULT CHENNE PIERRE fleur de sel et jus de citron. PHOTO Choisir des feuilles – de jeunes pousses, petites et vert pâle – bien fraîches. Mélanger avec les moules égouttées et la citronnette. Dresser en dôme sur une assiette, parsemer les champignons émincés et le saumon taillé en lanières. Décorer avec quelques coquilles de moules. 2 | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | Au printemps, l’arum ouvre délicatement sa robe verte en forme de cornet, dévoilant l’arrondi de son corps et l’élégance de sa tenue tendrement vanillée. On en mangerait si on était de l’espèce qui en mange, de l’espèce qui s’y laisse prendre… Justement, en voilà un ! Un de l’espèce qui s’y laisse prendre : un puceron ailé. Un insecte qui, par l’odeur alléché, plonge étourdi dans le joli décolleté. Quand il comprend le danger, il est trop tard et la bestiole, ne trouvant aucune prise où s’accrocher, dégringole au fond de la gaine végétale. Au-dessus, une couronne d’épines dorées s’est dressée, lui interdisant toute sortie. L’insecte se retrouve ainsi prisonnier dans la « chambre des fleurs » où il tourne, bruissant furieusement des ailes... et semant à son insu, le pollen qu’un autre arum piégeur a déjà déposé sur son dos. Suit le miracle de la fécondation... Sitôt les fleurs fertilisées, la couronne dorée se dessèche, libérant la porte de la chambre. S’en avisant, le puceron file sans barguigner vers la sortie, bousculant au passage les fleurs mâles de la plante... qui le chargent d’un nouveau pollen. Enfin libéré, on l’entend vrombir au dessus de l’arum, jurant qu’on ne l’y prendra plus. Il s’y fera pourtant reprendre, foi d’arum ! PHOTO JEAN-PIERRE LALOT PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Arum. La sauge des prés Cigogne blanche, marais du Liron. Sauge des prés. PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Elle tient sa gueule grande ouverte au soleil. Quand un insecte volant vient la visiter, un ingénieux système de levier fait basculer la tête de ses étamines sur le dos de l’intrus qui repart « la besace » couverte de pollen. Notre guide nous en fait la démonstration : elle cueille une tige d’herbe et simule l’arrivée de l’insecte en l’introduisant délicatement dans la fleur. Abusées, les étamines se courbent jusqu’à venir toucher la brindille. Nous voilà convaincus. Tout de même, le brin d’herbe à peine lâché, on s’étonne de le voir s’envoler en bourdonnant... L’orchidée abeille Comment ne pas s’y laisser prendre ? On dirait véritablement une abeille occupée à butiner la fleur ! Et le promeneur de s’extasier un long moment devant cet étonnant mimétisme. Cependant, à peine tourne-t-il le dos, que l’abeille se détache de la fleur pour s’en aller butiner un peu plus loin... une autre orchidée... qui ressemble alors comme une sœur à celle qu’elle vient de quitter. Et le touriste que nous sommes de s’étonner une nouvelle fois devant ce prodige de la nature. Une orchidée, l’ophrys abeille. Le plantain lancéolé PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Couper la tige à sa base et former une boucle venant s’enrouler autour de la hampe. En imprimant un coup sec sur celle-ci, la boucle vient buter sur la tête de la fleur qui, brusquement éjectée, part comme une flèche. Avec un peu d’adresse, on décoche ainsi de jolies banderilles porteuses de sourire. Olé ! | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | 3 PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Arbousier. PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Arracheur de dent Cardère. Le cabaret des oiseaux La cardère sauvage est une plante bisannuelle pouvant atteindre 1,50 mètre de hauteur. Les propriétés agrippantes de sa fleur épineuse étaient autrefois utilisées pour carder la laine. Ses feuilles opposées soudées deux à deux autour de la tige forment une espèce de cuvette où s’accumule l’eau de pluie. … Et les oiseaux de venir s’abreuver3 dans ce petit étang, en sifflotant les dernières trilles à la mode. Tous les goûts sont dans la nature. Et les parfums aussi. Ainsi retrouve-t-on les fragrances subtiles de l’abricot en froissant une feuille de primevère ou celles de l’ananas en chiffonnant l’inflorescence de la camomille suave. La feuille de la grande berce rappelle le parfum de la mandarine, celle de la criste marine le goût du citron... Et c’est en pelant une racine de la benoîte commune que l’arôme du clou de girofle remonte aux papilles – et rappelle les soins dentaires, car son pouvoir anesthésiant est utilisé par les chirurgiens-dentistes... Le navet du diable La bryone dioïque est une plante de la famille des courges – cucurbitacées. Son bourgeon ressemble assez curieusement à un caméléon... Il faut remarquer « l’agilité » de ses vrilles qui lui permettent d’évoluer dans son environnement. Elles s’accrochent et s’enroulent en hélice autour des branches en formant deux boucles de sens contraire... Et si ce bourgeon était un caméléon déguisé en bryone ! Cela ne serait pas la première fois que l’animal troquerait son vêtement contre un autre... PHOTO PIERRE CHENNEBAULT Criste marine. 3. Version « poétique »... et peu crédible. 4 | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | HOTO PIERRE CHENNEBAULT & LISE ROLLAND PHOTO MG Quand la bryone dioïque joue au caméléon. L’arbre aux fraises Ces fruits orangés qui virent au rouge vif quand ils parviennent à maturité, semblent bien trop engageants pour être honnêtes. Pourtant, la nature, qui nous a appris à être méfiants, joue cette fois-ci « cartes sur table » – ou plutôt « couleurs sur table » – : les fraises des arbres, dont le goût rappelle celui de l’abricot, font d’excellentes confitures, compotes ou autres marmelades. On peut aussi les distiller pour produire une eau-de-vie et ses feuilles sont même utilisées en décoction. Quant aux racines, leur infusion est utile pour lutter contre l’hypertension artérielle... Carrelet devant le fort de l’Aiguille, Fouras. Collier de perles fines • Articles de presse d’Agnès Lanoëlle, J.-L. Richard (SudOuest) et AN (Le Phare de Ré). On connaît l’huître perlière. Mais connaissez-vous l’herbe aux perles ? Sa fleur est d’un charmant bleu cobalt... Ne vous arrêtez pas au bleu : allez fourrager dans les feuilles de la plante et découvrez ses fruits... De jolies perles blanches qu’il sera, hélas, difficile de monter en collier... Bibliographie et sources • Anne Richard, Pierre Vaillant, Cuisiner avec les plantes sauvages, Geste éditions, 2010. • W. Lippert, D. Podlech, Gros plan sur les fleurs, Nathan, 2009. • Pierre et Délia Vignes, L’Herbier des plantes sauvages, Larousse, 2007. La nature est notre jardin Comme on le voit, il n’est pas nécessaire d’aller dans une réserve naturelle pour trouver des plantes étonnantes. Inutile non plus de courir à l’autre bout du monde : tout est là, autour de nous... Le littoral du 4. Propos attribués au grand chef indien Seattle de la tribu des Duwanish. Vin de fleurs de sureau Il faut utiliser du sureau noir, Sambucus nigra. Sambucus, du latin sambuca, désignait un instrument de musique fait en bois de sureau – dans certaines contrées, le sureau est nommé hautbois... À faire en mai, époque de la floraison. Pour confectionner un litre de rosé : 20 g de fleurs de sureau (uniquement les petites fleurs, sans les pédoncules) ; 200 g de sucre ; 100 ml d’alcool à 40°. Mélanger le tout. Agiter régulièrement pendant quarante jours. Filtrer, mettre en bouteille. Le vin de sureau est un délicieux apéritif qu’il convient de servir frais. PHOTO PIERRE CHENNEBAULT • Anne Richard, Pierre Vaillant, La cuisine des plantes sauvages, Geste éditions, 2007. Herbe aux perles. Poitou-Charentes offre une nature diverse et variée. Plantes odorantes, culinaires, médicinales, décoratives, mais quelquefois aussi... perfides. La salicorne, plante bizarre au goût venu d’ailleurs, dont le succès aurait tendance à occulter ses petites sœurs du peuple de l’herbe ; le maceron, tombé dans l’oubli – on le trouvait sur les marchés il n’y a pas si longtemps – ; la grande ciguë, poison « socratiquement » renommé ; la criste marine, plante grasse à l’odeur acidulée ; la soude, dont les cendres étaient jadis utilisées pour faire la lessive ; le tapis de ficaires, où se cachent parfois quelques morilles : les herbes folles pas si folles... Reconnaître les plantes, apprendre à les utiliser, comprendre les mécanismes ô combien ingénieux de la pollinisation, voilà une façon de se rapprocher de la terre, de raccourcir la distance entre l’homme et la nature. Développement durable, économie des ressources naturelles, respect de l’environnement... Loin d’être un pillage, les cueillettes sauvages modérées, « raisonnées », dans notre formidable région du Poitou-Charentes, permettent une réelle prise de conscience de la fragilité de notre planète en (re)tissant les liens homme-nature. « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous ■ l’empruntons à nos enfants4. » | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | 5