LA LEÇON POUR APPRENDRE Patrick Beunard IA-IPR EPS Le thème choisi pour cette publication peut paraître banal, comparé aux évolutions pédagogiques qui se dessinent, du fait de la mise en place des réformes actuelles et du développement important des nouvelles technologies dans l’acte d’enseigner. Ces évolutions et changements seront, selon toute vraisemblance, à l’origine de la transformation du métier d’enseignant. Malgré tout, ce thème nous semble toujours d’actualité car la leçon constitue, plus que jamais dans cette effervescence, le moment de l’établissement des liens, des relations, des articulations des savoirs scolaires, le temps de l’émergence du sens des apprentissages pour les élèves. L’objectif de ce numéro 23 des Cahiers EPS de l’académie de Nantes n’est pas d’ajouter une pierre supplémentaire à l’édifice, déjà imposant, des modèles de présentation de la leçon au concours de l’agrégation d’EPS (même si les éléments de cette réflexion ne seront pas complètement inutiles aux futurs candidats), ni de proposer aux lecteurs le type même de la bonne leçon. Il nous a semblé nécessaire, à ce moment précis, de « raviver les couleurs d’un tissu » qui se ternit avec le temps dans les routines et habitudes professionnelles quotidiennes de chacun. Notre intention est de fournir aux enseignants d’Éducation physique des axes de réflexion et des arguments pour améliorer, s’il en est besoin, leur approche personnelle, toujours singulière, même si elle prend appui sur certains modèles théoriques, de l’acte d’enseignement. Il est bon de rappeler, en introduction, le principe essentiel qui va représenter le fil rouge de nos propos : la leçon est conçue, construite et conduite pour permettre aux élèves d’apprendre. Dans ce cadre, elle est à envisager comme un ensemble fini qui s’introduit, se développe et se conclut. Cet ensemble n’en est pas, pour autant, un atome libre dans l’univers de l’enseignement, c’est un événement qui s’inscrit dans le temps, dans un contexte disciplinaire, prend appui sur le passé et envisage, au travers du filtre des apprentissages fondamentaux, le futur des acteurs mêmes 4 de la leçon, individus appartenant à un groupe. C’est aussi un événement qui ne peut dévoiler tout son sens que s’il est perçu synchroniquement avec d’autres événements de même nature, d’autres leçons dans d’autres disciplines d’enseignement qui devraient, « idéalement », se combiner pour établir des synergies et ainsi favoriser des apprentissages fondamentaux qui, alors, dépassent le cadre des disciplines tout en les traversant. La leçon est le moment et le lieu de cristallisation et de révélation (au sens photographique du terme) de nombreux facteurs constitutifs de Les cahiers EPS de l'académie de Nantes n° 23 - décembre 2000 l’enseignement (philosophies, modèles de référence, conceptions, projets…) appréhendé comme un acte individuel (c’est la réalité actuelle de l’enseignement en France) dépendant, en principe, d’autres actes individuels réunis, dans le meilleur des cas, par une logique de projet d’équipe pédagogique. Si la leçon est, pour les élèves, le temps des apprentissages et/ou des déclenchements d’apprentissages (la durée est à prendre en compte dans ce phénomène) et de projets, les représentations qu’ils s’en font tiennent, pour l’essentiel, de leurs histoires personnelles (âge, maturi- té, vécu, mentalités, acquis, projets…) tant scolaires (réussites, échecs…) qu’extra-scolaires (milieu social, activités extérieures…). La leçon, c’est aussi et surtout un temps et un lieu de rencontre entre un adulte qui a pour fonction d’enseigner et des élèves réunis en classe pour apprendre. Il revient à l’enseignant, au regard du profil particulier de ses élèves, de leurs personnalités, d’instaurer le climat le plus propice au développement des apprentissages, d’établir une relation d’empathie pour mobiliser les énergies indispensables à ces apprentissages. L’entrée en matière dans cette réflexion ne semble pas aisée. Par où commencer ? Car de la poule ou de l’œuf… Plusieurs options sont défendables. Pour la clarté de la présentation, j’ai choisi de regarder, dans un premier temps, vers l’événement lui-même ou, tout du moins, sa partie émergente (la leçon), puis, dans un second temps, d’analyser les tenants de cet acte, ses causes, ses raisons, ses motifs (l’avant leçon) pour enfin, lors d’un troisième temps, en saisir les conséquences, les aboutissants (l’après leçon). Assurément, ce découpage du temps n’est pas à comprendre dans sa linéarité car ces différentes périodes s’entrecroisent, s’enchevêtrent et sont indéniablement dépendantes l’une de l’autre. La leçon : entre théâtralité et authenticité Du point de vue du professeur Son intervention en présence des élèves se situe aux confins de trois rôles, ceux de l’auteur, du metteur en scène et de l’acteur, sans pour autant oublier sa personnalité (qui il est), ni les objectifs de sa fonction (ce qu’il cherche à atteindre). Le rôle d’auteur, il le tient essentiellement avant la leçon, au moment de sa préparation, sa planification. Il le tient aussi pendant la leçon ellemême, car tout n’est pas écrit ; la part de l’improvisation, de l’adaptation, de l’ajustement doit rester réelle pour pouvoir répondre à l’hétérogénéité des élèves et à la diversité de leurs réponses. La mise en scène incombe également au professeur qui se doit tout d’abord de planter le décor, chaque leçon nécessitant la recréation d’un certain univers, environnement, état d’esprit, de relations, susceptibles de susciter l’adhésion des élèves, d’éveiller leur curiosité, en un mot de les intéresser. Son imagination, son inventivité, seront sollicitées pour faire de la surprise et de la nouveauté le balancier indispensable de la récurrence et de la répétition imposées pour produire des apprentissages. Il est aussi acteur, car enseigner, c’est exercer une influence favorable, c’est peser sur la situation pour faire naître les apprentissages. Mais ce rôle, il le partage également avec les élèves dont on dit qu’ils doivent être les acteurs de leurs apprentissages (le mot « acteur » est, dans ce cas, porteur de plusieurs sens, mais tous ont leur place ici, si certaines conditions de dévolution des responsabilités sont réunies par le professeur). Acteur, il l’est assurément. Pour ce faire, il va chercher à rendre opératoires les huit principes structurateurs de la didactique de l’EPS (énoncés par Michel Delaunay dans la revue EPS de l’Académie de Nantes, n° 6 en 1992) et devra s’atta- cher à respecter, comme le théâtre classique, la règle des trois unités : de temps, de lieu et d’action. – Unité de temps : la leçon représente, en effet, l’unité de temps des apprentissages, même si un apprentissage a besoin de plusieurs unités pour exister. – Unité de lieu : un apprentissage a besoin, pour éclore d’un contexte, d’un support, d’une discipline d’enseignement, d’une activité physique et sportive pour ce qui concerne l’EPS, même si (et ce devrait être toujours le cas), à moyen ou long terme, c’est la réutilisation dans un autre contexte, le réinvestissement de cet apprentissage, par opération de transfert, qui sont visés. L’unité de lieu peut aussi s’entendre, pour un enseignant d’EPS, dans une autre acception : celle qui renvoie à la sécurité des élèves et à la responsabilité du professeur qui doit pouvoir contrôler ce que font ses élèves pendant son cours. – Unité d’action : l’hétérogénéité des élèves impose une approche différenciée de l’enseignement. Mais cela ne signifie pas que l’enseignant doive choisir des objectifs d’apprentissages fondamentaux différents pour les élèves de la même classe ; cela le conduirait à diriger plusieurs cours en même temps, ce qui n’est pas souhaitable. Mais l’unité d’action n’exclut pas, au contraire, la diversité des expériences vécues par les élèves au sein de la même unité de temps d’apprentissage (la leçon) : c’est, en effet, la dialectique diversité – continuité qui doit être à la base de la conception des ateliers dans un cours d’EPS. La leçon est donc faite pour apprendre. À l’obligation de la mise en œuvre de ces principes et de ces règles, une certaine obligation de résultats est imposée à l’enseignant, résultats sans lesquels la leçon perdrait de sa pertinence et, en conséquence, de sa légitimité au profit d’une simple animation : l’enseignant perdrait en crédibilité. Ces résultats, il lui faudra bien les apprécier, les mesurer pour, d’une part, satisfaire à l’exigence institutionnelle et, d’autre part, bâtir la suite de son enseignement. Si l’on perçoit la nécessité de l’acte d’évaluation, on doit encore insister sur le fait qu’il prendra en compte ce qui est enseigné. Ici, le contexte institutionnel actuel, au moins au lycée, invite les enseignants à concevoir et organiser leurs contenus d’enseignement à partir de l’interaction permanente des composantes culturelles et méthodologiques des compétences choisies. Du point de vue des élèves Saisir le sens des apprentissages proposés, en percevoir l’unité et la continuité, voire la contiguïté (dans les APSA, au travers de l’EPS, mais également dans les relations que la discipline entretient, ou devrait entretenir, avec les autres disciplines), en comprendre les exploitations potentielles et les utiliser concrètement, sentir les effets de ces apprentissages, percevoir les transformations en cours et avoir conscience de progresser, éprouver de l’intérêt pour apprendre, avoir la possibilité d’échafauder et de mettre en œuvre ses propres projets, ressentir la confiance qui vous est faite par le professeur au travers des responsabilités qu’il vous donne et des Les cahiers EPS de l'académie de Nantes n° 23 - décembre 2000 5 décisions qu’il vous permet de prendre, sont les enjeux de transformation des élèves dans la succession des leçons tout au long d’une année scolaire. Avant la leçon Du point de vue du professeur Tous les ingrédients évoqués ci-dessus, qui vont, par une certaine alchimie dont il est difficile d’identifier les formules et les mécanismes, permettre à la leçon d’exister, résultent de la formation initiale et continue, de l’expérience de l’enseignant. Ils correspondent à une certaine personnalité, à sa philosophie, ses conceptions, sa culture générale et professionnelle, ses projets. Une séquence d’enseignement se prépare. Cette préparation fait l’objet d’une trace écrite plus ou moins importante selon les individus. Tout ne peut pas (et ne doit pas) être écrit. Cette anticipation doit laisser une grande place à l’improvisation « armée », à l’adaptation, aux alternatives, car, malgré l’expérience de l’enseignant et la connaissance qu’il a des élèves grâce aux différents bilans établis, l’incertitude de leurs réponses est toujours de mise. Ce qu’il me semble nécessaire de retenir, dans cette partie de la réflexion, c’est qu’il ne peut pas y avoir de préparation de leçon sans connaissance des élèves, sans anticipation de leurs possibles actions et, donc, sans traces (les bilans des leçons). Dans de nombreux cas, cet aspect de l’enseignement est survolé, trop rapidement et rarement formalisé. Or, c’est sans doute de cette perception cruciale que naîtra la pertinence des choix qui seront faits pour la prochaine leçon. Du point de vue des élèves Un élève qui vient assister à un cours d’EPS n’est jamais un élève neutre. Il a sa personnalité et il a de l’école, en général, et de l’Éducation physique, en particulier, une représentation qui s’est construite par la confrontation d’influences diverses venant de la société, du milieu familial d’origine, de l’expérience personnelle de l’individu dans le milieu scolaire, de son vécu antérieur dans la discipline, du cours qu’il vient de quitter, des rela- 6 tions qu’il pense avoir établies avec l’enseignant et les autres élèves… Cette complexité, l’enseignant ne peut l’ignorer, même s’il est particulièrement difficile de faire la part des choses et de rationaliser les effets de ces paramètres sur le déroulement d’une leçon. L’intuition a encore de l’avenir. Après la leçon Du point de vue du professeur Ce moment particulier est conditionné par l’attitude mentale dans laquelle l’enseignant se place pendant la leçon. La plus propice et la plus prometteuse est celle qui consiste à se distancier de l’action pour saisir, au travers d’indices bien discriminés (compétences, connaissances, principes, règles, obstacles rencontrés par tel ou tel élève…), toute une série d’instantanés qui l’aideront, en complément des évaluations menées par les élèves eux-mêmes, à établir un bilan circonstancié, qualitatif, personnalisé et collectif. Un suivi des élèves est donc à construire (cf. Les Cahiers EPS de l’académie de Nantes, n° 17, décembre 1997). C’est à cette seule condition, car la faculté d’oublier est une des caractéristiques qui touche tous les individus, y compris les enseignants d’EPS, que la leçon pourra s’échafauder en toute pertinence, assurer la continuité des apprentissages, et que les ajustements nécessaires du projet initial pourront se réaliser. Généraliser cette approche méthodique s’avérera indispensable dès lors qu’un enseignement transdisciplinaire deviendra effectif (travaux croisés en collège, TPE en lycée et PPCP en lycée professionnel). Les cahiers EPS de l'académie de Nantes n° 23 - décembre 2000 Du point de vue des élèves Les enseignants mesurent bien la difficulté qu’il faut vaincre pour aider les élèves à dépasser l’instantanéité du vécu et à se représenter le présent dans un continuum de temps (passé, présent, avenir) qui assure la cohérence et la continuité de l’histoire en matière d’apprentissage (et en bien d’autres choses encore). Il convient donc de tout entreprendre pour aider les élèves à mémoriser les apprentissages réalisés, les conditions dans lesquelles ils se sont développés (tâche source), mais également à envisager le réinvestissement possible (à quoi servent-ils ?) à court, moyen et long termes, dans des tâches cibles. Cette précaution vise à garantir, pour les élèves, la compréhension, le sens de ce qu’on leur propose d’apprendre, à saisir la continuité et la cohérence des apprentissages proposés et à entrevoir les articulations, croisements, convergences, cohérences des savoirs disciplinaires, en d’autres termes, à favoriser les transferts des apprentissages. Conclusion La leçon doit être une réponse à une question, disait J. Dewey. Cette affirmation est capitale. C’est, en effet, de la connaissance de l’élève, des élèves, des questions qu’ils posent (ou se posent) lorsqu’ils sont confrontés aux apprentissages attendus, espérés, que vont dépendre la pertinence et l’adéquation de l’offre d’enseignement. Dans la plupart des cas, il va donc falloir que les enseignants inversent les priorités qu’ils se donnent et fassent des bilans les objets essentiels de leur enseignement. Connaître ses élèves est donc un élément premier pour choisir les contenus qui seront enseignés, mais pas seulement car, pour qu’un message émis soit perçu, il faut que l’émetteur et le récepteur soient en phase. C’est ce qui justifie tout le travail de présentation (metteur en scène, acteur) que l’enseignant doit entreprendre pour rendre audible et « digeste » le message qu’il pense devoir faire passer, pour motiver les élèves, leur permettre de construire et réaliser des projets et les rendre acteurs de leurs apprentissages.