Hausses de taux de la BCE - Credit Agricole, Etudes Economiques

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Apériodique – n°08/11 – 12 avril 2011
Hausses de taux de la BCE : le coup de grâce pour
les pays de la périphérie ?
 La question n’est pas tant de savoir si les
hausses de taux de la Banque centrale
européenne vont ou non avoir un impact
négatif
sur
les
économies
de
la
« périphérie » de la zone euro – elles en
auront certainement un – mais plutôt quelle
en sera l’importance et quels autres facteurs
pourraient contribuer à en atténuer les effets
sur la croissance.
 Les modèles macroéconomiques suggèrent
que l’impact agrégé sur le PIB de la zone
euro des trois hausses de taux que nous
prévoyons pour 2011 sera gérable et étalé
sur le temps : à hauteur de 0,2 % du PIB sur
un an et de 0,6 % sur trois ans.
 Nous tablons par ailleurs sur une dépréciation de l’euro de l’ordre de 5 % en termes
effectifs cette année, ce qui pourrait
Impact des hausses de taux sur la
périphérie : et si l’on s’écartait des
classiques ?
Une hausse des taux d’intérêt à court terme
affecte l’économie réelle via plusieurs canaux,
mais l’impact final sur chaque pays dépend de ses
spécificités structurelles. Dans le contexte actuel,
marqué par des tensions sur les marchés
financiers, des contraintes pesant sur le crédit
bancaire ainsi d’un processus de désendettement
dans le secteur privé, les mécanismes habituels
de transmission de la politique monétaire
seront probablement affaiblis. En particulier, les
banques commerciales pourraient hésiter à
répercuter les hausses de taux directeurs sur
les taux bancaires de détail dans la mesure où la
compression des spreads de crédit bancaire va
probablement se poursuivre à terme. De plus, la
politique monétaire ne va pas devenir restrictive
soutenir la croissance du PIB de la zone
euro à hauteur de 1 % sur un an.
 L’impact des hausses de taux sur l’Irlande,
le Portugal et l’Espagne sera probablement
plus prononcé que ne le prévoient les
modèles en raison du niveau élevé de dette
privée, en particulier les prêts immobiliers
assortis de taux variables et de courtes
périodes de réajustement.
 Selon nos estimations, le resserrement
monétaire envisagé par la BCE pourrait
amputer la consommation en Espagne de
0,2 point de pourcentage en 2011 et de
0,5 point en 2012. L’impact resterait donc
gérable, en ligne avec nos prévisions de
croissance.
dans l’immédiat. Elle sera seulement de moins en
moins accommodante.
Néanmoins, on peut raisonnablement penser
qu’une hausse des taux, aussi faible soit-elle, n’est
pas la bienvenue pour les pays vulnérables de la
« périphérie ». Selon notre analyse, l’Espagne et
le Portugal seraient les plus exposés, compte
tenu du niveau élevé de leur dette privée. Nous
estimons, cependant, que l’impact final des
hausses de taux devrait rester gérable dans
notre hypothèse centrale de dépréciation de
l’euro et de resserrement des spreads souverains.
Il convient de rappeler, en particulier, que la
transmission de la politique monétaire est un
processus de long terme. En règle générale,
l’impact d’une hausse des taux sur l’économie
réelle se fait pleinement sentir après deux à trois
ans ; il y a notamment un décalage entre
Frederik DUCROZET
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Bénédicte KUKLA
Axelle LACAN
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l’ajustement par les banques de leurs taux d’intérêt
sur les prêts et la réaction de la demande privée.
Or d’ici à deux ans, nous pensons que les pays
périphériques, et l’Espagne en particulier, seront
dans une situation moins fragile qu’aujourd’hui.
Nous avons choisi de centrer notre étude sur le
secteur privé plutôt que sur la dynamique du
secteur public. En effet, les hausses de taux
directeur n’auront probablement pas un impact
majeur sur les spreads souverains à long terme,
qui restent très volatils et, en grande partie,
tributaires du sentiment du marché et de l’évolution
des finances publiques dans les pays de la
périphérie. Dans notre scénario central, les primes
de risque souverain vont pour la plupart diminuer
cette année en réponse aux mesures de soutien
mises en œuvre à l’échelle de l’UE ainsi qu’aux
réformes fiscales et structurelles annoncées par
les Etats-membres.
Dans une première partie, nous estimons à l’aide
de modèles quantitatifs l’impact potentiel des
hausses de taux de la BCE sur la croissance de la
zone euro dans son ensemble et sur les pays de la
périphérie. Dans une deuxième partie, nous
étudions plus en détail l’impact sur le bilan des
ménages et des entreprises espagnols selon
diverses hypothèses.
Ainsi, l’impact sur le PIB d’une dépréciation de 5 %
du taux de change effectif nominal (TCEN) de
l’euro – ce qui correspond plus ou moins à notre
scénario pour les douze mois à venir – serait
environ deux fois supérieur à celui de la hausse
prévue des taux courts.
Impact d’une hausse des taux BCE de 100 pdb
sur le PIB de la zone euro
0
-0,1
-0,2
-0,3
-0,4
-0,5
-0,6
-0,7
-0,8
%
à1 an
à 2 ans
à 3 ans
Modèle BCE
Modèle OCDE
Source : BCE, OCDE, Crédit Agricole CIB
Impact d’une baisse de 5 % du TCEN
sur le PIB de la zone euro
1,4
%
1,2
1,0
0,8
0,6
0,4
Faible impact selon les modèles macroéconométriques et les Indices des
Conditions Monétaires (ICM)
Les modèles macroéconomiques fournissent une
estimation approximative de l’impact théorique du
durcissement monétaire sur l’économie réelle,
avec toutes les précautions d’usage liées aux
incertitudes entourant ces estimations et aux
changements structurels des canaux de transmission monétaire depuis la création de l’UEM.
D’après des études de la BCE 1 et de l’OCDE 2 ,
l’impact agrégé d’une hausse des taux BCE de
100 pdb sur le PIB de la zone euro semble
plutôt gérable et étalé sur le temps. L’effet sur la
croissance serait inférieur à 0,3 % du PIB la
première année et 0,75 % sur trois ans. Dans
notre scénario central, nous prévoyons trois hausses de taux de 25 pdb en 2011 et un resserrement
monétaire cumulé de 150 pdb d’ici au troisième
trimestre 2012, sachant que l’impact économique
devrait dans ce cas s’étaler jusqu’à la fin 2014.
0,2
0,0
à 1 an
à 2 ans
à 3 ans
Modèle BCE
Modèle OCDE
Source : BCE, OCDE, Crédit Agricole CIB
Les modèles de la BCE donnent également une
estimation de la réaction du PIB au resserrement
monétaire dans chaque pays de la zone euro ; ils
suggèrent notamment que la Grèce, l’Italie,
l’Espagne, le Portugal et l’Irlande seraient les
plus exposés (dans cet ordre). Il convient
néanmoins de ne pas prendre ces estimations au
pied de la lettre ; ces modèles sont, en effet, basés
sur des données historiques allant jusqu’à 2001,
c’est-à-dire avant le début du processus
d’endettement rapide du secteur privé dans
plusieurs pays de la périphérie.
De façon cruciale, les variations de change
devraient avoir un impact bien plus marqué
que celui lié à la hausse des taux d’intérêt.
1
“Monetary policy transmission in the Euro area - Where do we
stand?”, document de travail de la BCE (janvier 2002).
2
“The OCDE’s new global model”, document de travail de
l’OCDE (mai 2010).
N°08/11 – 12 avril 2011
2
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Pour cette raison, nous considérons un autre
indicateur quantitatif – un Indice des Conditions Monétaires (ICM) – pour évaluer l’orientation de la politique monétaire en tenant
compte à la fois des canaux des taux d’intérêt
et des taux de change. Les ICM, développés à
l’origine par la Banque du Canada dans les
années 1990, ont pu servir d’instrument pour
apprécier le degré d’accommodation de la politique
monétaire. Il existe de nombreuses méthodes de
construction de ces indices, mais un ICM est
habituellement établi à partir de la moyenne
pondérée des taux courts, des taux longs et des
taux de change effectifs nominaux ou réels. Toutes
les variables sont normalisées par rapport à une
période de référence et les cœfficients reflètent la
sensibilité de l’ICM aux variations de chaque
composante. Ils sont habituellement estimés à
l’aide de modèles économétriques simples avec
régression du PIB sur l’ensemble de l’échantillon
de variables financières, tout en contrôlant par
d’autres variables comme le PIB mondial à titre de
proxy de la demande externe.
Indice des conditions monétaires et financières
dans la zone euro
Ecart
type
3
Composante taux d’intérêt (3 mois, 10 ans)
Composante taux de change
ICM réel
2
restrictive
1
0
-1
-2
accom m odante
-3
99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12
Source : Eurostat, BCE, FMI, Crédit Agricole CIB
ICM de la zone euro selon diverses trajectoires de taux de
change et de taux d’intérêt
Ecarttype
2
1
EUR/USD
stable à 1,38
restrictive
0
-1
-2
accom m odante
Pas de relèvement
des taux BCE
-3
Une augmentation de l’ICM indique un
resserrement des conditions monétaires (avec
un impact négatif probable sur la croissance
du PIB) et une baisse de l’ICM, un assouplissement (avec un impact positif sur la
3
croissance) . Nous commençons par calculer un
ICM réel à l’échelle de la zone euro à l’aide
d’estimations de cœfficients empruntées aux
modèles de l’OCDE et de l’INSEE 4 . D’après nos
estimations relatives aux taux BCE (hausse
cumulée de 150 pdb d’ici au quatrième trimestre
2012), aux taux à long terme (augmentation
progressive du rendement du bund à dix ans à
4,25 % au T4 2012) et aux taux de change
(fléchissement de l’EUR/USD à 1,18 d’ici au T4
2012, qui devrait se traduire par une dépréciation
de 8-10 % de l’euro en termes effectifs nominaux),
nos simulations confirment que malgré le
resserrement prévu, l’orientation globale de la
politique monétaire dans la zone euro resterait
très accommodante dans les deux prochaines
années. L’ICM s’établirait à fin 2012 à des niveaux
similaires à ceux observés à la fin 2005, avant le
début du précédent cycle de resserrement.
Cependant, ce résultat ne vaudrait que dans le
cadre de notre hypothèse principale d’un
fléchissement de l’euro en termes effectifs.
3
S’agissant de la règle de Taylor, les ICM ne sont pas à l’abri
de défauts méthodologiques et statistiques et doivent, par
conséquent, être utilisés avec précaution. Cela dit, les ICM
constituent un bon moyen de comparer les conditions
monétaires et financières actuelles aux données passées, et de
faire des prévisions basées sur nos anticipations de taux
d’intérêt et de taux de change.
4
« Les conditions monétaires et financières courantes et
passées dans la zone euro et aux Etats-Unis », DPAE Minefi
(Juin 2005).
N°08/11 – 12 avril 2011
-4
99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12
Scénario central (hausses des taux de 150 pdb,
EUR/USD à 1,20 d’ici à 2012)
Source : Eurostat, BCE, FMI, Crédit Agricole CIB
Nous calculons ensuite les ICM nationaux pour
illustrer de manière plus détaillée l’idée selon
laquelle l’impact du resserrement monétaire sera
très variable d’un pays à l’autre. Pour aboutir au
modèle le plus robuste possible, nous avons choisi
de procéder à une régression conjointe de la
croissance du PIB dans les pays « périphériques »
(Espagne, Italie, Irlande, Grèce, Portugal et
Belgique) sur le même ensemble de variables
explicatives (taux à court terme et à long terme,
TCEN et PIB mondial). Seuls les taux à long terme
et les taux de change effectifs varient d’un pays à
l’autre.
Conditions monétaires toujours accommodantes à la
périphérie à l’exception de la Grèce
2,5
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
-0,5
-1,0
-1,5
Ecart-type
99
00 01 02
Espagne
Irlande
03
04
05 06
Portugal
Italie
07
08
09 10 11
Belgique
Grèce
Source : Eurostat, BCE, FMI, Crédit Agricole CIB
3
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Les résultats montrent qu’à l’exception de la
Grèce, les conditions monétaires dans les pays
périphériques ne sont pas encore devenues
très restrictives car des taux très bas à court
terme et un TCEN plus ou moins neutre ont
contribué à compenser l’impact de l’élargissement
des spreads souverains. Là encore, selon nos
hypothèses centrales pour ces variables, le
durcissement attendu des conditions monétaires devrait rester dans l’ensemble limité à
l’horizon des prévisions, sachant toutefois que
les ICM reviendront probablement en territoire
restrictif à un moment ou à un autre en 2011,
comme ce fut le cas en 2006.
Outre les variations passées et futures des ICM
nationaux, il convient de souligner deux résultats
intéressants. Tout d’abord, les pondérations du
taux d’intérêt à trois mois (32 %) et du taux de
change effectif nominal de l’EUR (63 %) dans les
ICM nationaux sont nettement supérieures à la
pondération du taux d’intérêt à dix ans (5 %). De
toute évidence, la conclusion aurait été différente
si nous avions privilégié la dynamique de la dette
publique. Ensuite, les ICM montrent que les taux
d’intérêt et les taux de change ont un impact
décalé de dix à seize mois sur la croissance du
PIB tandis que le PIB mondial a un effet notable
sur celui des pays de la zone euro avec un
décalage de trois mois.
Pourquoi la problématique des pays
périphériques est-elle différente ? –
Le point sur la dette du secteur privé
Fragilité du crédit immobilier dans les pays de
la périphérie
L’impact que pourrait avoir une hausse de taux sur
les remboursements de prêts hypothécaires est le
facteur le plus fragilisant pour les pays de la
périphérie. Comme le montre le graphique cidessous, la majorité des prêts immobiliers
dans les pays de la périphérie ont été établis
sur la base de taux variables, avec de courtes
périodes de réajustement. Au Portugal comme
en Espagne, les taux sont liés, respectivement, à
l’Euribor six et douze mois. En Grèce et en Irlande,
les taux sont ajustés par rapport au taux de
refinancement principal. Cependant, la part des
taux variables a nettement diminué pour la Grèce
entre 2005 et 2007, probablement sous l’effet de la
faiblesse des taux d’intérêt en 2005. Dans les pays
du noyau dur, en revanche, les prêts immobiliers
sont essentiellement accordés à taux fixes : la
fixation à long terme des taux d’intérêt est la
pratique habituelle dans le secteur du crédit
immobilier en Allemagne et aux Pays-Bas (entre
cinq et dix ans), ainsi qu’en France et en Belgique
(plus de dix ans en règle générale).
N°08/11 – 12 avril 2011
UEM : caractéristiques des prêts pour l’achat de logements
Type de taux d’intérêt
prévalant
Part des prêts à
taux variable
Indice d’ajustement des
taux d’intérêt variables
(en % du total des
nouveaux prêts*)
2007
BE
Taux fixe (plus de 10
ans)
10
DE
Taux fixe
(plus de <5, >10 ans)
15
IR
Variable
67
Echéance
type
(années)
GR
Variable
28
Bons du trésor (12 mois),
obligations (1-10 ans)
Taux du marché LT, taux de
refinancement principal
BCE
Euribor 3 mois, taux de
refinancement principal
BCE
Euribor 3 mois
SP
Variable
91
Euribor 12 mois
FR
Taux fixe
(plus de 10 ans)
15
Euribor 12 mois
19
IT
Variable
47
Euribor 3 mois
22
LX
Variable
90
ECB main refi rate
20 <
NL
Taux fixe (plus de <5,
>10 ans)
18
Taux du marché LT
30
AT
Variable
61
Euribor 3 mois
30
PT
Variable
99
Euribor 6 mois
30-40
EMU
-
43
-
-
20
25-30
31-35
15-20
30
Source : Questionnaire de la BCE auprès des banques, statistiques MFI sur les taux d’intérêt, Crédit Agricole S
* part des prêts avec période de réajustement pouvant aller jusqu’à un an par rapport au volume total des
nouveaux prêts pour les achats de logements en 2007.
Au regard de ces observations, le Portugal,
l’Irlande et l’Espagne sont les trois pays les
plus vulnérables à un relèvement des taux.
Le cas de l’Espagne
Nous avons essayé de quantifier l’impact d’une
hausse des taux de 100 pdb sur les ménages
d’après les données disponibles dans les comptes
nationaux espagnols 5 . Comme le montre le
graphique ci-dessous, les versements d’intérêts en
pourcentage du revenu disponible ont atteint un
point culminant en Espagne en 2008. Les
versements d’intérêts ont ensuite nettement reculé
en lien avec la baisse des taux à des niveaux
exceptionnellement bas pendant la crise, et du
ralentissement de l’endettement des ménages.
D’après nos estimations approximatives, une
hausse des taux d’intérêt de 100 pdb sur une
période d’un an augmenterait la charge des
intérêts pour les ménages espagnols d’environ
6 Mds €, portant la part des intérêts versés
dans leur revenu disponible des ménages de
2,2 % à 3,3 % (hypothèse d’un encours de dette
stable en 2011). A l’évidence, le ratio reste
nettement inférieur à son point culminant de 2008,
mais le climat économique en Espagne est
nettement plus fragile aujourd’hui qu’il y a trois
ans.
5
Les versements d’intérêts par les ménages sont comptabilisés
dans les “revenus immobiliers, exigibilités” des les comptes non
financiers dans les Comptes nationaux.
4
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Espagne : versements des intérêts par les ménages
6%
Revenu immobilier (passif)
en % du revenu disponible
Avec une
hausse des
taux de 100 pdb
5%
4%
3%
2%
1%
0%
00
01
02
03
04
05
06
07
08
09
10
11
Source : INE, Crédit Agricole CIB
Espagne : Charge des taux d’intérêt
Milliers
EUR
50
40
30
20
10
0
2004
%
Revenu immobilier (passif)
Taux d’intérêt des prêts aux ménages (éch. dr.)
40
Encours des prêts (a/a, éch. dr.)
35
30
25
20
15
10
5
0
-5
2005
2006
2007 2008
2009
2010
et en Irlande (-1,1 %), et demeurer très faible en
Espagne (+0,1 % en 2011 contre +1,3 % en 2010).
Outre l’impact sur les ménages, la hausse des
taux d’intérêt fait également peser des risques
sur le secteur bancaire et celui du logement.
Les banques des pays périphériques ont d’ores et
déjà commencé à réduire leur bilan, car les
emprunteurs qui auraient été à même de rembourser leurs prêts ont dû engager un processus
douloureux de désendettement ; quant aux prêts
accordés aux emprunteurs défaillants, ils ont été
reclassés dans les créances douteuses. Cependant, eu égard à l’importance de l’endettement
dans le secteur privé avant la crise, le nombre de
créances douteuses pourrait fort bien continuer à
grimper, en raison des difficultés que rencontrent
les ménages à bas revenu pour rembourser leurs
6
prêts hypothécaires . Enfin, compte tenu de
l’accès limité au crédit et de l’offre excédentaire
grandissante de logements, le redressement dans
le secteur de la construction n’est pas à attendre à
court terme. Dans les trois pays susmentionnés,
nous prévoyons une poursuite de la contraction
des investissements dans ce secteur.
Prêts bancaires non productifs par rapport au total des
prêts
Source : ESI, BCE, Crédit Agricole CIB
En réalité, l’impact du relèvement des taux de la
BCE ne sera pas totalement perçu en 2011 ; le
surcroît de charge d’intérêts devrait, en effet,
s’étaler sur plusieurs trimestres. De manière
générale, l’impact d’une hausse des taux sur
l’activité économique s’étale sur une période
d’environ dix-huit mois en Espagne ; de plus, les
hausses devraient être progressives. Dans ces
conditions, l’impact négatif sur la consommation
sera également graduel. En considérant un impact
du relèvement des taux sur le revenu disponible
sur les deux prochaines années (un trimestre en
2011 et trois trimestres en 2012), la consommation
devrait être réduite de 0,2 point de pourcentage en
2011 et de 0,5 point de pourcentage en 2012. Il
convient de garder présent à l’esprit que les
calculs ci-dessus sont des approximations qui ne
tiennent pas compte de l’impact que la hausse des
taux pourrait avoir sur le taux d’épargne.
12
%
10
8
6
4
2
0
2005
France
2006
Grèce
2007
Irlande
2008
2009
Portugal
2010
Espagne
Source : Autorités nationales, FMI, Crédit Agricole CIB
Le tour de vis monétaire va peser sur la
consommation et fragiliser les bilans
Une chose est sûre, néanmoins, pour l’Espagne et
les autres pays de la périphérie, le relèvement des
taux qui s’annonce se produit à un moment où les
ménages sont déjà dans une situation très difficile.
Le chômage atteint des sommets historiques et les
revenus pâtissent des mesures d’austérité budgétaire. Sous l’effet conjugué de ces facteurs, la
consommation privée va, selon notre analyse,
continuer à décevoir dans ces pays. En 2011, elle
devrait se contracter au Portugal (-2,6 % en g.a.)
N°08/11 – 12 avril 2011
6
Comme indiqué dans un document publié par la Banque
d’Espagne, l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur la
charge de la dette des ménages doit également être évalué par
segment de revenu, et pas uniquement sur la base
d’indicateurs agrégés. Contrairement aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni, le ratio de la dette des ménages espagnols est
inversement proportionnel à leur niveau de revenu. Il faut
s’attendre à ce que les faibles revenus soient plus sensibles
aux variations des taux d’intérêt que les ménages aux revenus
plus élevés.
5
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Conclusion : un obstacle à la
« re-convergence » de l’UEM
Si l’impact cumulé du resserrement monétaire sur
la croissance économique semble gérable pour la
zone euro dans notre scénario central (150 pdb de
relèvement cumulé des taux par la BCE dans les
dix-huit prochains mois parallèlement à un
affaiblissement de l’EUR/USD à 1,18 au T4 2012),
l’impact défavorable sur la périphérie sera probablement plus marqué pour des raisons de différences structurelles.
Dans l’ensemble, la situation dans les pays de la
périphérie ne s’est pas encore stabilisée ; aussi la
hausse des taux d’intérêt quoique modeste, va-telle constituer un nouvel obstacle à la croissance
du PIB dans ces économies déjà affaiblies. Le
pouvoir d’achat des ménages, en particulier,
devrait s’en ressentir, l’augmentation des taux
variables entravant la croissance du revenu disponible. De plus, la hausse des coûts de financement
et l’accroissement probable des prêts immobiliers
non productifs constituent des risques non négligeables pour le secteur bancaire.
N°08/11 – 12 avril 2011
Dans un tel contexte, on voit mal comment la
divergence entre les économies de la zone euro
pourrait rapidement se réduire. Au mieux, le
processus de « re-convergence » semble appelé à rester très graduel, d’où la nécessité accrue
pour les pays du noyau dur de la zone euro de
soutenir les petits pays de la périphérie et de
surveiller de près l’évolution de la situation en
Espagne, en particulier.
Re-convergence du PIB réel dans la zone euro :
la route est encore longue
105
PIB réel,
T1 07=100
100
95
90
85
07
GE
08
IT
09
SP
10
PT
11
GR
IR
Source : Eurostat, Crédit Agricole CIB
6
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Annexe : mécanismes théoriques de
transmission d’une hausse de taux à
l’économie réelle
En théorie, le niveau et les variations du taux de
refinancement de la BCE influencent l’économie
par le biais de deux principaux canaux de
transmission : le canal des taux d’intérêt et le canal
du crédit. La hausse du taux de refinancement de
la BCE va dans un premier temps impacter
l’environnement monétaire et financier et, in fine, la
croissance du PIB.
Impact de la hausse du taux de refinancement
de la BCE sur l’environnement monétaire et
financier
L’augmentation des taux de la BCE va entraîner
un ajustement des autres taux d’intérêt, des taux
de change et des prix des actifs. Cet ajustement
découle des opportunités d’arbitrage des
investisseurs :
a) L’impact sur les taux d’intérêt à long terme
devrait rester modeste. Certes, une hausse des
taux à court terme peut avoir un « effet de
portefeuille », les investisseurs redirigeant leurs
capitaux vers des instruments du marché
monétaire à court terme devenus plus attractifs.
Toutefois, si les marchés sont convaincus que les
risques d’inflation future sont écartés par la mise
en œuvre d’une politique monétaire plus
restrictive, la composante inflationniste des taux
d’intérêt à long terme sera réduite (Effet Fisher).
à des taux élevés. La politique monétaire a donc
un impact simultané sur les conditions et le volume
de crédit distribué au sein de l’économie. Un
impact défavorable peut, par ailleurs, être observé
sur le marché immobilier.
Impact de ce nouvel environnement monétaire
et financier sur la croissance du PIB
Ce nouvel environnement monétaire et financier,
caractérisé par des taux à long terme plus élevés,
une baisse des prix des actifs, une appréciation de
l’euro et un accès plus restreint au crédit, va à son
tour impacter l’économie réelle par plusieurs biais :
a) Effet de substitution : La hausse des taux
d’intérêt va inciter les ménages, mais aussi les
entreprises, à revoir l‘arbitrage entre leur consommation immédiate et leur épargne, désormais
devenue plus attractive.
b) Effet de revenu : La hausse des taux d’intérêt
a un impact direct sur les flux d’intérêts perçus par
les créanciers et les charges d’intérêts versées par
les débiteurs. L’ampleur de cet effet dépend de la
taille et de la composition du bilan des agents.
c) Effet de richesse défavorable : L’impact
défavorable de la hausse des taux sur les prix des
actifs financiers comme immobiliers peut amener
les ménages à percevoir une diminution de la
valeur de leur patrimoine. S’ils la jugent durable,
leur revenu permanent recule, et ils peuvent être
tentés de limiter leurs dépenses de consommation.
c) L’euro devrait s’apprécier (toutes choses
égales par ailleurs) : la monnaie devient plus
attractive (augmentation des différentiels de taux
d’intérêt) et génère des afflux de capitaux.
d) Détérioration des bilans dans le secteur
privé : En alourdissant les charges financières des
prêts à taux variable et des nouveaux financements, la hausse des taux d’intérêt entraîne une
dégradation de la situation financière des agents.
Ainsi, la demande de crédit, des entreprises
comme des ménages, va probablement freiner. De
plus, les banques auront tendance à se montrer
plus vigilantes dans l’octroi des prêts. Ce surcroît
de prudence va amplifier les conditions restrictives
de l’offre de crédit, déjà engendrées par le
renchérissement des coûts de financement
évoqué précédemment.
d) La hausse du coût du financement à court
terme, outre son impact sur les marchés, a
également des répercussions sur le secteur
bancaire. Les taux d’intérêt déterminent les coûts
de financement des banques, à la fois sur les
marchés monétaires et financiers. Or, plus leurs
coûts de financement sont élevés, moins les
banques sont incitées à prêter, et plus elles prêtent
e) Effets de change : L’appréciation de l’euro
devrait entraîner une diminution de la demande
extérieure pour les produits européens, et une
augmentation de la demande de biens étrangers
en zone euro, compromettant ainsi le redressement des exportations nettes. L’efficacité de ce
canal de transmission dépend du degré d’ouverture des économies au commerce international.
b) Un impact défavorable sur le cours des
actions est susceptible d’être observé, le prix
d'une action pouvant être perçu comme la valeur
actualisée des dividendes futurs. Il existe un autre
canal, celui de la prise de risque : l’augmentation
du rendement des actifs sans risque peut, en effet,
détourner les investisseurs des actifs risqués.
N°08/11 – 12 avril 2011
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Frederik DUCROZET
[email protected]
Bénédicte KUKLA
Axelle LACAN
[email protected]
[email protected]
Sous l'effet du ralentissement conjugué de la
consommation des ménages, de la demande
d'investissement des entreprises et des exportations nettes, la progression de la demande globale
devrait fléchir, puis le taux de croissance de la
production effective. Toutefois, il est à noter que si
les modifications apportées par la BCE au taux du
financement à un jour ont presque toujours des
effets immédiats sur le taux de change et les taux
d'intérêt (voire anticipés), selon les estimations
actuelles, il faut compter de douze à dix-huit mois
pour que la plus grande partie des retombées
d'une mesure de politique monétaire sur la production globale soit observée. 
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Secrétariat de rédaction : Fabienne Pesty
Contact: [email protected]
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