**Couverture+IV Couv 11/09 29/10/09 15:19 Page 1 SOMMAIRE J.L. RASTOIN Prospective alimentaire 1723 ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES N. CALANDRE, Les perceptions des risques nutritionnels N. BRICAS, L. SIRIEIX 1735 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX 1761 Éthique et acteurs du système alimentaire B. SIADOU-MARTIN, Impacts de la justice sur l’évaluation du service P. AURIER DOSSIER. CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES. APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL 1781 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.F. SOUFFLET Introduction à l’analyse de filières 1803 J.L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN La filière sucre dans l’économie de la Réunion 1815 P. MOUSTIER Performance des filières alimentaires au Vietnam 1835 P. GROUIEZ Quelles constructions de filières en Russie ? 1857 L. TROGNON Filière, supply chain et stratégie de distinction 1879 TOME XLIII N° 11 NOV 2009 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS SÉRIE « SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES » 1. ARTICLES 2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS L. TEMPLE, S.B. NGASSAM, G.B. NKAMLEU Filières d’approvisionnement en ignames de Douala 1899 P. HUGON Dynamique des filières cotonnières en Afrique 1913 J.M. TOUZARD Régulation et dynamiques agroalimentaires 1923 NOTE DE LECTURE RIODD, IFSAM CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro Shane Hamilton, « Analysing Commodity Chains : Linkages or Restraints ? » in « Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R. Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28) 1937 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été « Management environnemental et des agro-ressources », Amiens-Paris, 4-10 juillet 2010 1945 ISDA 2010, Symposium international « Innovation et Développement Durable dans l’Agriculture et l’Agroalimentaire », Montpellier, 28 juin-1er juillet 2010 1951 APPELS À CONTRIBUTIONS POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS - CAHIERS DE L'ISMÉA Tome XLIII, n° 11, novembre 2009, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31. Directeur de la Série : Jean-Louis Rastoin. ISSN 0013.05.67 CPPAP : n° 0909 K 81809 PRIX : 31 € AG 31 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS É. MONTAIGNE N° 11/2009 **Couverture+IV Couv 11/09 29/10/09 15:19 Page 1 SOMMAIRE J.L. RASTOIN Prospective alimentaire 1723 ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES N. CALANDRE, Les perceptions des risques nutritionnels N. BRICAS, L. SIRIEIX 1735 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX 1761 Éthique et acteurs du système alimentaire B. SIADOU-MARTIN, Impacts de la justice sur l’évaluation du service P. AURIER DOSSIER. CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES. APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL 1781 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.F. SOUFFLET Introduction à l’analyse de filières 1803 J.L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN La filière sucre dans l’économie de la Réunion 1815 P. MOUSTIER Performance des filières alimentaires au Vietnam 1835 P. GROUIEZ Quelles constructions de filières en Russie ? 1857 L. TROGNON Filière, supply chain et stratégie de distinction 1879 TOME XLIII N° 11 NOV 2009 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS SÉRIE « SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES » 1. ARTICLES 2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS L. TEMPLE, S.B. NGASSAM, G.B. NKAMLEU Filières d’approvisionnement en ignames de Douala 1899 P. HUGON Dynamique des filières cotonnières en Afrique 1913 J.M. TOUZARD Régulation et dynamiques agroalimentaires 1923 NOTE DE LECTURE RIODD, IFSAM CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro Shane Hamilton, « Analysing Commodity Chains : Linkages or Restraints ? » in « Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R. Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28) 1937 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été « Management environnemental et des agro-ressources », Amiens-Paris, 4-10 juillet 2010 1945 ISDA 2010, Symposium international « Innovation et Développement Durable dans l’Agriculture et l’Agroalimentaire », Montpellier, 28 juin-1er juillet 2010 1951 APPELS À CONTRIBUTIONS POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS - CAHIERS DE L'ISMÉA Tome XLIII, n° 11, novembre 2009, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31. Directeur de la Série : Jean-Louis Rastoin. ISSN 0013.05.67 CPPAP : n° 0909 K 81809 PRIX : 31 € AG 31 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS É. MONTAIGNE N° 11/2009 **p.II+III Couv 11/09 30/10/09 7:48 Page 1 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS CAHIERS DE L’ISMÉA Revue fondée en 1944 par François Perroux Comité de Direction Henri Bartoli (†), Gérard de Bernis, Président de l’Isméa, Rolande Borrelly (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Albert Broder (Université de Créteil), Jean-Marie Chevalier (Université Paris IX - Dauphine), Jean Coussy (EHESS), Jean-Claude Delaunay (Université de Marne-la-Vallée), Renato Di Ruzza (Université Aix-enProvence I), Pierre Duharcourt (Université de Marne-la-Vallée), Louis Fontvieille (Université Montpellier I), Bernard Gerbier (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Jérôme Lallement (Université Paris 5), Christian Le Bas (Université Lumières - Lyon II), Jacques Léonard (Université de Poitiers), François Michon (Université Paris I), Jean-Louis Rastoin (SupAgro, Montpellier), Jean-Claude Toutain (CNRS), Sylvain Wickham (Isméa). Secrétariat de la revue ISMÉA, 76 rue de Reuilly, 75012 Paris. Tél. : 33 (0) 1 55 07 43 82 - Fax : 33 (0) 1 55 07 43 97. e-mail : [email protected] Directeur de la Publication Gérard de Bernis, Président de l’ISMÉA Administration - Abonnements - Diffusion Les Presses de l’ISMÉA vous sont reconnaissantes de noter que, à partir de 1999, les abonnements aux revues Économie appliquée et Économies et Sociétés sont à souscrire auprès des « Presses de l’ISMÉA » dont l’adresse postale est : 38, rue Dunois 75013 Paris. Abonnement annuel à « Économies et Sociétés » (12 numéros) : France : 229 euros. Étranger : 245 euros (port avion en sus : 39 euros). Pour les numéros publiés avant 1968, s’adresser à Kraus Reprint, Millwood, New York, 10546 USA. Imprimerie PRÉSENCE GRAPHIQUE, 37260 Monts. Les sommaires de tous les numéros des revues Économie appliquée (à partir de 1970) et Économies et Sociétés (à partir de 1980) sont disponibles sur le Netsite : www.ismea.org La revue mensuelle Économies et Sociétés (Cahiers de l’Isméa) publie actuellement 13 séries (voir liste ci-après), dont douze couvrent un champ économique spécifique. Ces séries répondent aux exigences suivantes : – défricher les champs nouveaux de la connaissance dès qu’ils apparaissent comme réalité à interpréter ; – développer des méthodes propres et rigoureuses, adaptées à leur objet ; – insérer l’économie politique dans l’ensemble des sciences sociales afin qu’elle exerce sa fonction spécifique dans le dialogue pluridisciplinaire nécessaire. Chaque numéro est publié sous la responsabilité du Directeur de la série. Celui-ci assume toute la partie scientifique de la préparation du Cahier, et en particulier la désignation des référés. La même procédure s’applique aux textes présentés à des colloques. La Direction de l’ISMÉA peut, si le calendrier des diverses séries s’y prête, et si l’occasion le rend utile, publier un cahier Hors Série. La décision concernant cette publication est prise par un groupe de quatre membres du Comité de Direction choisis en fonction du secteur de leur compétence. Ce groupe assume alors les tâches et la responsabilité d’un Directeur de série. Liste des séries vivantes Socio-Économie du travail (AB), Histoire économique quantitative (AF), Systèmes agroalimentaires (AG), Économie et Gestion des Services (EGS), Économie de l’énergie (EN), Développement, croissance et progrès (F), Économie de l’entreprise (K), Philosophie et science de l’homme (M), Monnaie (ME), Relations économiques internationales (P), Histoire de la pensée économique (PE), Théorie de la régulation (R), Dynamique technologique et organisation (W), Hors série (HS). **p.II+III Couv 11/09 30/10/09 7:48 Page 1 ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS CAHIERS DE L’ISMÉA Revue fondée en 1944 par François Perroux Comité de Direction Henri Bartoli (†), Gérard de Bernis, Président de l’Isméa, Rolande Borrelly (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Albert Broder (Université de Créteil), Jean-Marie Chevalier (Université Paris IX - Dauphine), Jean Coussy (EHESS), Jean-Claude Delaunay (Université de Marne-la-Vallée), Renato Di Ruzza (Université Aix-enProvence I), Pierre Duharcourt (Université de Marne-la-Vallée), Louis Fontvieille (Université Montpellier I), Bernard Gerbier (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Jérôme Lallement (Université Paris 5), Christian Le Bas (Université Lumières - Lyon II), Jacques Léonard (Université de Poitiers), François Michon (Université Paris I), Jean-Louis Rastoin (SupAgro, Montpellier), Jean-Claude Toutain (CNRS), Sylvain Wickham (Isméa). Secrétariat de la revue ISMÉA, 76 rue de Reuilly, 75012 Paris. Tél. : 33 (0) 1 55 07 43 82 - Fax : 33 (0) 1 55 07 43 97. e-mail : [email protected] Directeur de la Publication Gérard de Bernis, Président de l’ISMÉA Administration - Abonnements - Diffusion Les Presses de l’ISMÉA vous sont reconnaissantes de noter que, à partir de 1999, les abonnements aux revues Économie appliquée et Économies et Sociétés sont à souscrire auprès des « Presses de l’ISMÉA » dont l’adresse postale est : 38, rue Dunois 75013 Paris. Abonnement annuel à « Économies et Sociétés » (12 numéros) : France : 229 euros. Étranger : 245 euros (port avion en sus : 39 euros). Pour les numéros publiés avant 1968, s’adresser à Kraus Reprint, Millwood, New York, 10546 USA. Imprimerie PRÉSENCE GRAPHIQUE, 37260 Monts. Les sommaires de tous les numéros des revues Économie appliquée (à partir de 1970) et Économies et Sociétés (à partir de 1980) sont disponibles sur le Netsite : www.ismea.org La revue mensuelle Économies et Sociétés (Cahiers de l’Isméa) publie actuellement 13 séries (voir liste ci-après), dont douze couvrent un champ économique spécifique. Ces séries répondent aux exigences suivantes : – défricher les champs nouveaux de la connaissance dès qu’ils apparaissent comme réalité à interpréter ; – développer des méthodes propres et rigoureuses, adaptées à leur objet ; – insérer l’économie politique dans l’ensemble des sciences sociales afin qu’elle exerce sa fonction spécifique dans le dialogue pluridisciplinaire nécessaire. Chaque numéro est publié sous la responsabilité du Directeur de la série. Celui-ci assume toute la partie scientifique de la préparation du Cahier, et en particulier la désignation des référés. La même procédure s’applique aux textes présentés à des colloques. La Direction de l’ISMÉA peut, si le calendrier des diverses séries s’y prête, et si l’occasion le rend utile, publier un cahier Hors Série. La décision concernant cette publication est prise par un groupe de quatre membres du Comité de Direction choisis en fonction du secteur de leur compétence. Ce groupe assume alors les tâches et la responsabilité d’un Directeur de série. Liste des séries vivantes Socio-Économie du travail (AB), Histoire économique quantitative (AF), Systèmes agroalimentaires (AG), Économie et Gestion des Services (EGS), Économie de l’énergie (EN), Développement, croissance et progrès (F), Économie de l’entreprise (K), Philosophie et science de l’homme (M), Monnaie (ME), Relations économiques internationales (P), Histoire de la pensée économique (PE), Théorie de la régulation (R), Dynamique technologique et organisation (W), Hors série (HS). 01•Prem.Page.11/09 29/10/09 15:20 Page I ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS Éditorial Économie, filières et marchés agroalimentaires Dossier. Concepts et méthodes en analyse de filières. Application à l’agriculture, aux agro-industries et à l’espace rural 1. Articles 2. Expertises et libres propos Note de lecture Manifestations scientifiques Appels à contributions Politique éditoriale et note aux auteurs Cahiers de l’ISMÉA Série « Systèmes agroalimentaires », A.G., n° 31 Novembre 2009 01•Prem.Page.11/09 29/10/09 15:20 Page II Série « Systèmes agroalimentaires » Comité scientifique – Pr Michael Besch (Technische Universität München) – Pra Felisa Cena (universidad de Córdoba) – Pr Jean Cordier (École nationale supérieure agronomique, Rennes) – Dr Pierre Combris (INRA, Ivry) – Pr Roberto Fanfani (università di Bologna) – Pr Hervé Fenneteau (université Montpellier III) – Pr Istvan Feher (université de Gödöllö) – Dr Philippe Marchenay (CNRS, Bourg-en-Bresse) – Pr Michel Marchesnay (université Montpellier I) – Pr Claude Ménard (université Paris I) – Pr Thomas Reardon (Michigan State University) – Pr Denis Requier-Desjardins (université de St-Quentin-en-Yvelines) – Pr Jacques Viaene (université de Gand) – Pr Decio Zilbersztajn (universidade de São Paulo) Comité de rédaction – Dr Céline Bignebat (INRA, Montpellier) – Dr Jean-Marie Codron (INRA, Montpellier) – Pr François d’Hauteville (Montpellier SupAgro) – Pr Gilles Paché (université Aix-Marseille II) – Dr Martine Padilla (Ciheam-Iam, Montpellier) – Pr Roland Pérez (université Montpellier I) – Pr Jean-Louis Rastoin (Montpellier SupAgro), directeur de la Série – Dr Pierre Sans (ENV, Toulouse) (en cours d’élargissement) Secrétariat Myriam Haider [email protected] 02•Remerciements 11/09 29/10/09 15:22 Page III Remerciements Le comité de rédaction de la Série « Systèmes agroalimentaires » remercie vivement les spécialistes qui ont bien voulu apporter leur contribution à la réalisation de ce numéro de la revue Économies et Sociétés : Jean-Marie BOISSON Jean-Pierre BOUTONNET Geneviève CAZES-VALETTE Didier CHABAUD Emmanuelle CHEYNS Franck COCHOY Jacques COLIN Françoise DE BRY Marion DEMOSSIER Johny EGG Nathalie FABBE-COSTES Alain FALQUE Geneviève GARCIA-PAPET Mariette GERBER David GOTTELAND Jean-Jacques HERVÉ Florence JACQUET Pierre-Benoît JOLY Raymond JUSSAUME Michel LABONNE Dominique LASSARRE Laurent LIVOLSI Claude MÉNARD Florence PALPACUER Pascal PETIT Alain POULIQUEN Denis REQUIER-DESJARDINS Loïc SAUVÉE Francis TALLEC 02•Remerciements 11/09 29/10/09 15:22 Page IV 03•Sommaire 11/09 27/10/09 7:50 Page V SOMMAIRE J.L. RASTOIN Prospective alimentaire 1723 ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX Comment les mères perçoivent-elles les risques nutritionnels de leurs enfants ? Une approche par le paradigme psychométrique au Vietnam 1735 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX L’éthique, un enjeu pour les acteurs du système alimentaire ? 1761 B. SIADOUMARTIN, P. AURIER Sentiments de justice et impacts sur l’évaluation du service : le vendredi soir au restaurant avec des amis 1781 DOSSIER : CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.F. SOUFFLET Introduction aux concepts et méthodes d’analyse de filières agricoles et agro-industrielles 1803 1. ARTICLES Les effets économiques d’une filière de producJ.L. FUSILLIER, tion évalués par une matrice de comptabilité L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, sociale : le cas du sucre à l’île de la Réunion 1815 H. BASQUIN P. MOUSTIER Organisation et performance des filières alimentaires : évolution des cadres conceptuels et application au Vietnam 1835 P. GROUIEZ Quelles constructions de filières dans l’agriculture russe ? L’exemple d’Orel 1857 L. TROGNON Filière, supply chain et stratégies : de la différenciation à la distinction 1879 2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS L. TEMPLE, S.B. NGASSAM, G.B. NKAMLEU Filières d’approvisionnement en ignames de Douala et changements technologiques 1899 P. HUGON Dynamique des filières cotonnières en Afrique 1913 03•Sommaire 11/09 27/10/09 J.M. TOUZARD 7:50 Page VI Théorie de la régulation et transformations agro-alimentaires actuelles : perspectives ouvertes par l’ouvrage de Catherine Laurent et Christian du Tertre « Secteurs et territoires dans les régulations émergentes » 1923 NOTE DE LECTURE É. MONTAIGNE Shane Hamilton, « Analysing Commodity Chains : Linkages or Restraints ? » in « Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R. Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28) 1937 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES RIODD, IFSAM EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été « Management environnemental et des agro-ressources », Amiens-Paris, 04-10/07/2010 1945 CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro ISDA 2010, Symposium international « Innovation et Développement Durable dans l’Agriculture et l’Agroalimentaire », Montpellier, 28/06 – 01/07/2010 1951 APPELS À CONTRIBUTIONS POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS 04•Contents 11/09 27/10/09 7:46 Page VII CONTENTS Food Forecast J.L. RASTOIN 1723 ECONOMIC, AGRO-FOOD CHAINS AND MARKETS N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX How do mothers perceive nutritional risks for their child? A psychometric approach in Vietnam 1735 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX Is ethics a significant issue for the food system actors? 1761 B. SIADOUMARTIN, P. AURIER A Friday evening at restaurant with friends: perceived justice and its impacts on service evaluation 1781 SPECIAL ISSUE: CONCEPTS AND METHODS IN COMMODITY ANALYSIS APPLICATION TO AGRICULTURE, AGRO-INDUSTRIES AND RURAL AREAS L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.F. SOUFFLET Introduction to the concepts and methods of agricultural and agroindustrial commodity chain analysis 1803 1. ARTICLES The economic effects of a commodity chain J.L. FUSILLIER, assessed with a social accounting matrix : the L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, case of sugar in Reunion island 1815 H. BASQUIN P. MOUSTIER Governance and performance of food chains in Vietnam 1835 P. GROUIEZ What kind of agro-food industries in the Russian agriculture ? The case of Orel 1857 L. TROGNON Food Chain, Supply Chain and Strategies: from Differentiation to Distinction 1879 2. SECTORIAL NOTES AND COMMENTARIES L. TEMPLE, S.B. NGASSAM, G.B. NKAMLEU Douala Yam Supply Chain and Technological Changes 1899 P. HUGON Dynamics of cotton chain value in Africa 1913 04•Contents 11/09 27/10/09 J.M. TOUZARD 7:46 Page VIII Regulation theory and current agrifood transformations. Perspectives open by Catherine Laurent’s and Christian Du Tertre’s book “Sectors and territories in emerging regulations” 1923 BOOK REVIEW É. MONTAIGNE Shane Hamilton, “Analysing Commodity Chains : Linkages or Restraints ?” in “Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart” / W. Belasco and R. Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28) 1937 SCIENTIFIC MEETINGS RIODD, IFSAM EDIEMAR 2010, International doctoral summer school “Environmental and agro-resources management”, Amiens-Paris, 04-10/07/2010 1945 CIRAD, INRA, Montpellier SupAgro ISDA 2010, International Symposium “Facing the Crisis and Growing Uncertainties: Can Science and Societies Reinvent Agricultural and Food Systems to Achieve Sustainability?”, Montpellier, 28/06 – 01/07/2010 1951 CALLS FOR PAPERS 05•Editorial 29/10/09 15:23 Page 1723 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1723-1732 Éditorial. Prospective alimentaire Jean-Louis Rastoin Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa Le nombre de sous-alimentés est passé d’environ 30 % de la population mondiale autour de 1930 à 14 % au début des années 2000, ce qui témoigne d’un progrès relatif, même si les chiffres en valeur absolue montrent une augmentation sensible du fait de la croissance démographique. Par ailleurs, le pourcentage fatidique de la faim est remonté à un peu plus de 15 % en 2009 en franchissant la borne emblématique d’un milliard de personnes en raison de la flambée des prix observée en 2007-2008. Enfin, la population du globe doit encore progresser de 40 % entre 2010 et 2050. On doit donc s’interroger sur l’avenir alimentaire de la planète. Pour cela, on peut utiliser la méthode de la prospective qui consiste à envisager des futurs possibles à l’aide de scénarios destinés à éclairer les choix d’acteurs. Dans un but pédagogique, nous simplifierons un exercice qui peut s’avérer très complexe en raison du nombre considérable de variables et d’hypothèses en jeu, en ne retenant que deux scénarios. Le premier, classique, consiste à envisager un prolongement des tendances passées et s’intitule généralement « scénario au fil de l’eau ». Le second part du constat d’impasses ou d’interrogations majeures sur les conséquences du premier et propose donc des ruptures dialectiques et peut être nommé « scénario alternatif ». Ce scénario est aussi normatif, dans la mesure où il va proposer des objectifs suggérés par des considérations de développement durable 1. En ce sens, le concept de développement durable 1 Un programme de recherche récent mené par des équipes de l’Inra et du Cirad et intitulé « Agrimonde » a utilisé une telle méthode en la fondant sur une base de données quantitative comportant des bilans alimentaires ressources/emplois sur 6 macro-régions du monde [Chaumet et al. (2009)]. 05•Editorial 29/10/09 1724 15:23 Page 1724 J.-L. RASTOIN « authentique » implique une équité planétaire dont les quelques chiffres donnés plus haut montrent bien qu’elle est encore loin d’exister. LE SYSTÈME ALIMENTAIRE AGRO-INDUSTRIEL : ÉTAT DES LIEUX Le système alimentaire peut s’analyser à travers, d’une part, la structure et les pratiques de consommation, d’autre part, le modèle technico-économique de production et de commercialisation des aliments [Rastoin et Ghersi (2010)]. Ce qui caractérise aujourd’hui tant la consommation que la production alimentaire, c’est la tendance à la généralisation d’un modèle industrialisé de masse qui se « tertiarise ». La consommation et la production de masse sont le résultat de la diffusion du processus d’industrialisation à l’ensemble des filières qui composent le système alimentaire. La tertiarisation signifie que le contenu en services des produits alimentaires devient plus important que la base agricole et que le processus de transformation des matières premières issue de cette base. Ainsi, en France, le prix final d’un aliment se décompose en 20 % pour l’agriculture, 35 % pour l’énergie et les industries, 45 % pour le secteur tertiaire (principalement la logistique et la communication). Ce modèle agro-industriel tertiarisé (MAIT) est piloté par la grande distribution. Les spécialistes estiment qu’à partir de 5 000 dollars de revenu par tête en pouvoir d’achat local peut démarrer la consommation de masse de produits industrialisés vendables dans les supermarchés. Sur la base de ce critère, le MAIT concerne aujourd’hui environ la moitié de la population mondiale : la totalité des pays à haut revenu (35 000 dollars en parité de pouvoir d’achat par tête en moyenne 20052007 selon la Banque mondiale), soit un peu plus d’un milliard de personnes, 45 % de la population des pays à revenu moyen, c’est-à-dire les classes moyennes et riches de ces pays (plus de 6 800 dollars par tête), soit un peu moins de 2 milliards de personnes et 5 % de la population des pays à faible revenu (classes aisées uniquement), soit environ 25 millions d’individus. Au total, ces clients du MAIT sont au nombre de 3 milliards 2. Il s’agit essentiellement d’urbains. L’autre moitié de la population mondiale est rurale et se trouve encore dans l’âge agricole et dans la pauvreté. Dans la trajectoire économique mondiale, on se situe donc à un moment singulier de l’histoire et la ques2 Estimations réalisées à partir de la base de données WDI de la Banque Mondiale. 05•Editorial 29/10/09 ÉDITORIAL 15:23 Page 1725 1725 tion posée est bien celle du « basculement du monde » : va-t-on observer une généralisation du système alimentaire agro-industriel tertiarisé (scénario de continuité) ou, au contraire, une stagnation de ce modèle et l’émergence d’un autre (scénario de rupture) ? Du point de vue de la consommation, le MAIT se caractérise par la convergence mondiale des paniers de produits achetés, avec, d’une part, des produits globaux adaptés à la marge au plan sensoriel (visuel et gustatif) aux préférences locales (par exemple, le steak haché de bœuf, les morceaux de poulet, la pizza, les yaourts, les sodas du type Coca Cola ou les eaux embouteillées) et, d’autre part, des produits régionaux industrialisés (riz en Asie, couscous dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, pommes de terre en Europe, etc.). Tous ces produits ont pour caractéristique d’être standardisés et marketés, en vue d’une utilisation rapide nécessitée par la croissance du travail féminin hors domicile (précuisinage et conditionnement sous emballage) et d’une promotion publicitaire (utilisation de marques). Ces produits partagent une autre caractéristique, pour des raisons d’attractivité par l’appétence ou pour des raisons techniques (transformation et conservation) : le surdosage en sel, sucre, corps gras et certains dérivés des céréales 3. Cette composition en fait souvent des aliments à « calories vides », très énergétiques, mais carencés en nutriments et oligoéléments essentiels à la santé. D’un autre coté, ces produits sont bon marché du fait de leur industrialisation (économies d’échelle permettant de réduire les coûts fixes unitaires) et hygiéniquement sûrs car soumis à des contrôles de qualité rigoureux. Ces contrôles, très onéreux, sont imposés par des règlements sanitaires publics et des normes privées créées par les grandes firmes en vue d’éviter des accidents désastreux pour leur image de marque. On se trouve donc aujourd’hui dans une situation paradoxale avec des denrées alimentaires hygiéniquement bien supérieures à que produisait autrefois le système agricole et artisanal, mais, en contrepartie, génératrices de maladies d’origine alimentaire en forte croissance (obésité, pathologies cardio-vasculaires, certains cancers, diabète). Au total, la situation alimentaire mondiale est loin d’être satisfaisante aujourd’hui, avec, selon les relevés de la Fao, plus de 2 milliards d’individus souffrant de carences énergétiques, protéiques ou en oligoélements et 1 milliard affecté par des pathologies liées à une diète déséquilibrée (surcharge en calories et en nutriments néfastes), soit au 3 Certaines politiques agricoles, notamment en Europe et en Amérique du Nord ont favorisé cette pratique en subventionnant massivement ces produits, ce qui en a réduit le coût pour les industriels de l’agroalimentaire. 05•Editorial 29/10/09 1726 15:23 Page 1726 J.-L. RASTOIN total près de la moitié de la population du globe. Certes le MAIT ne peut être tenu comme seul responsable de ce « désordre alimentaire », de multiples causes économiques, sociales et institutionnelles étant à l’œuvre. Le MAIT y contribue cependant de façon majeure, soit directement, à travers une offre de produits nutritionnellement peu satisfaisants et une pression commerciale lancinante, soit indirectement, du fait de son caractère hégémonique sur les marchés qui conduit à une captation croissante de ressources matérielles (notamment la terre et l’eau) et immatérielles (en particulier la R&D et la formation) et à une marginalisation de producteurs et de consommateurs essentiellement dans les PVD. Un autre aspect négatif du modèle de consommation agro-industriel est l’énorme gaspillage qu’il génère. Une étude britannique a calculé que, en 2005, le tiers de la nourriture achetée était jetée, ce qui représente 10 milliards de £ ou l’équivalent de l’alimentation de 10 millions de personnes [Ventour (2008)]. Du point de vue de l’offre, le MAIT se caractérise par son intensification, sa spécialisation et sa concentration, sa financiarisation et sa globalisation. La spécialisation (par produit et filière) est dictée par l’impératif des économies d’échelle. Elle s’accompagne d’une intensification (haut niveau d’intrants naturels, chimiques et énergétiques conduisant à des rendements élevés, par exemple 15 t de blé à l’hectare ou 1 million d’euros de chiffre d’affaires par employé dans l’industrie des corps gras), d’une concentration des entreprises (exode rural entraînant une diminution du nombre d’exploitations agricoles) et d’une tendance à l’oligopolisation dans l’industrie et le commerce : par exemple, une douzaine de firmes leaders de l’agrofourniture contrôle 50 % du marché mondial des engrais, des semences et des pesticides). La financiarisation résulte des énormes besoins en capitaux exigés par la croissance interne et externe des entreprises, condition de leur survie sur des marchés de masse. Les fonds internationaux d’investissement assurant aujourd’hui une part prépondérante du financement des grandes entreprises conduisent à des stratégies court-termistes et spéculatives pilotées par la valeur actionnariale. La globalisation se manifeste par la construction progressive d’un « grand marché » (les produits deviennent mondiaux et les activités des grandes firmes sont segmentées et localisées sur différents sites géographiques au niveau planétaire). Le MAIT est fondé sur des stratégies d’envergure (le mode de production se caractérise par la recherche permanente de gains de productivité par la substitution capital/travail). En conséquence, les entreprises dominantes sont des firmes multinationales de grande taille 05•Editorial 29/10/09 15:23 Page 1727 ÉDITORIAL 1727 spécialisées dans l’agrofourniture, l’industrie agroalimentaire ou la distribution. Ces caractéristiques font que le MAIT a permis de réduire fortement le prix réel des produits alimentaires, de les acheminer rapidement vers les consommateurs et d’améliorer leur praticité. En même temps, ce modèle va générer des externalités négatives, c’est-à-dire des nuisances ou des dysfonctionnements dont il n’assume pas actuellement les coûts et qui donc pèsent encore peu dans les décisions stratégiques des acteurs dominants. On peut mentionner sous cette rubrique l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation des paysages, l’hyperspécialisation des unités de production et l’hypersegmentation artificielle des produits qui augmentent leur prix et aggravent les disparités économiques entre entreprises et entre consommateurs. Par ailleurs, la libéralisation commerciale internationale et le faible coût des transports de marchandises induisent des délocalisations d’activités vers des sites avantagés par les coûts comparatifs, à partir desquels les produits sont exportés dans le monde entier. Par exemple, le poulet congelé standard produit aux États-Unis ou au Brésil à moins d’un dollar vient concurrencer la volaille indigène au Maroc ou en Afrique au sud du Sahara, détruisant des petits producteurs locaux qui vont grossir les bataillons de sans emplois des mégalopoles, mais altérant aussi la typicité organoleptique des préparations traditionnelles et, à terme, faisant disparaître le patrimoine culinaire régional. Enfin, le modèle agro-industriel, du fait de la concentration de ses unités de production (notamment dans le secteur animal « hors-sol »), présente une vulnérabilité élevée aux pandémies comme on a pu le constater lors de la crise de l’ESB, à la fin des années 90, ou de la grippe aviaire, en 2006. DEUX SCÉNARIOS CONTRASTÉS À L’HORIZON DE DEUX GÉNÉRATIONS La prospective consiste à croiser des variables-clefs et des stratégies d’acteurs. Les variables de changement qui vont conditionner les scénarios de la prospective alimentaire à l’horizon 2050 ont été identifiées et analysées dans une abondante littérature depuis l’ouvrage pionnier de Philippe Collomb (1999), en particulier dans les travaux de Louis Malassis (2006) et Michel Griffon (2006). On peut les lister de la façon suivante : – croissance démographique (3 millions de bouches supplémentaires à nourrir, principalement en Afrique et en Asie), 05•Editorial 29/10/09 15:23 Page 1728 1728 J.-L. RASTOIN – changement climatique déplaçant les écosystèmes sur plusieurs centaines de km, – pression foncière accrue du fait de l’urbanisation, des usages non agricoles de la terre et de la dégradation des sols, – moins d’eau, – moins de biodiversité, – moins d’énergie fossile et de certaines matières premières (phosphates, par exemple), – moins de main-d’œuvre dans l’agriculture et l’industrie, notamment agroalimentaire. Les stratégies d’acteurs dépendent très fortement des forces en présence. Elles sont conditionnées, d’une part, par le cadre politique et institutionnel national, régional et international et, d’autre part, par les entreprises constituant, dans la grande majorité des secteurs économiques, un oligopole dominant. Pour le système alimentaire, l’OMC et les politiques agricoles nationales ou communes (cas de l’Union européenne) définissent le cadre et les multinationales l’oligopole. La crise qui a débuté en 2007-2008 va probablement marquer, pour une période de 20 à 30 ans, un ralentissement de la dérégulation généralisée lancée par Reagan et Thatcher à la fin des années 1970 au profit du marché et un retour de l’encadrement de la sphère économique et financière sous de nouvelles formes. Cette inflexion pourrait s’accompagner d’une certaine atténuation du pouvoir des multinationales et d’un rééquilibrage en faveur d’entreprises de taille plus modeste et d’un développement local. La combinaison de la pression des variables de changement et des inflexions dans les cadres politiques et stratégiques crédibilise les deux scénarios en les situant, a priori, dans un contexte de développement durable qui s’impose désormais à tous, à travers quatre composantes interdépendantes : – la performance économique, – la préservation écologique, – l’équité sociale, – la gouvernance participative. Le premier scénario, « au fil de l’eau », s’inscrit dans la continuité du MAIT. Au regard des quatre critères du développement durable, le scénario tendanciel présente les caractéristiques suivantes : 05•Editorial 29/10/09 ÉDITORIAL 15:23 Page 1729 1729 – Économie : production de masse globalisée, aliments « médicalisés », filières longues, échanges internationaux intenses et instables, très grandes entreprises. – Écologie : fortes exigences énergétiques, bilan carbone souvent défavorable (GES), épuisement des ressources naturelles (terres, eau). – Équité : bilan mitigé en termes de santé publique, avec une difficulté à réduire la sous-alimentation, une sûreté sanitaire accrue, mais une progression inquiétante des maladies d’origine alimentaire et une plus grande vulnérabilité du fait de la concentration de la production ; au plan social, on observe des délocalisations et une amplification des disparités entre pays. – Gouvernance : elle est principalement le fait du marché, avec un poids considérable des FMN et de leurs lobbies. LE SCÉNARIO ALTERNATIF : UN SYSTÈME ALIMENTAIRE DE PROXIMITÉ Ce schéma, que l’on peut qualifier de modèle alimentaire de proximité (MAP, par opposition au modèle précédent fondé sur l’envergure), présente les caractéristiques suivantes : – des chaînes de production dans lesquelles les distances entre producteurs de matières premières et transformateurs sont réduites (Systèmes de production localisés, SPL ou clusters), – des produits répondant aux différents critères organoleptiques (et notamment le goût, alors que, dans le modèle agro-industriel, les produits sont sélectionnés principalement sur le critère visuel) et à contenu culturel lié à un territoire (produits de terroir pour lesquels on est en mesure d’indiquer une origine), – des technologies adaptées à des formats d’usine réduits, – des formes d’organisation fondées sur le partage de ressources et de compétences à travers des réseaux d’entreprises de manière à dégager des synergies entre acteurs, – des circuits commerciaux multiples (GMS, vente directe, points de vente collectifs de TPE/PME, canaux spécialisés du type bio, etc.). Cependant, cette approche n’intègre ni le calcul économique ni la notion de temps. Un schéma productif basé sur de petites unités de production agricole et artisanale, malgré l’empathie qu’il peut susciter 05•Editorial 29/10/09 1730 15:23 Page 1730 J.-L. RASTOIN dans un contexte de gigantisme des firmes agro-industrielles et agrotertiaires, signifierait immanquablement une forte baisse de la productivité du travail (et même de la terre et des équipements pour des raisons techniques et économiques). Or, il faut savoir qu’aujourd’hui un agriculteur français nourrit près de 80 personnes dont 70 sur le territoire national, et qu’un employé de l’agroalimentaire approvisionne 125 consommateurs dont 100 en France. En d’autres termes, moins de 5 % de la population active sont engagés dans la production d’aliments dans les pays riches. De plus, dans de nombreux pays, le système alimentaire est fortement intégré au marché international, ce qui signifie que d’importantes et parfois vitales recettes financières proviennent de l’étranger. En conséquence, une baisse des capacités d’exportation du fait d’une moindre compétitivité internationale serait préjudiciable à la croissance économique et à l’emploi. Ces évolutions marqueraient une rupture avec les tendances observées depuis plus d’un siècle dans la majorité des pays du monde. D’autres changements seraient nécessaires qui posent également des problèmes : investir davantage de temps dans la préparation des repas (plutôt que d’utiliser du « prêt à manger »), utiliser de nouveaux modes de commercialisation des produits (circuits courts). C’est pourquoi certains auteurs qualifient « d’alternatif » un tel modèle pour signifier des ruptures par rapport au modèle dominant, tout en indiquant que le modèle alternatif serait en réalité une combinaison de schémas et non pas une formule unique. Au regard des critères du développement durable, les impacts du modèle de proximité sont les suivants : – Économie : production diversifiée, alimentation « naturelle », filières courtes, plus d’autosuffisance, occupation équilibrée du territoire par un tissu dense de PME/TPE. – Écologie : respect de la biodiversité, meilleure gestion des ressources renouvelables, bilan énergétique amélioré. – Équité : objectif de santé publique atteint par un modèle de consommation plus satisfaisant en termes nutritionnel et social, contribution au développement local et à l’emploi. – Gouvernance : de type mixte, marché et régulation par un renforcement des politiques publiques. Finalement, la prospective du système alimentaire structurée autour de deux scénarios contrastés permet d’avancer que le système alimentaire mondial agro-industriel tertiarisé ne répond pas de façon satisfaisante aux préconisations du développement durable. S’il parvient, globalement, à fournir des denrées à bas prix (efficacité économique), 05•Editorial 29/10/09 15:23 Page 1731 ÉDITORIAL 1731 c’est souvent au détriment de l’environnement naturel (externalités négatives) et en générant des injustices sociales entre pays et, au sein des pays, entre acteurs des filières qu’ils soient producteurs, commerçants ou consommateurs. En même temps, le scénario alternatif, s’il satisfait à trois des exigences du développement durable, pose problème en ce qui concerne la compétitivité économique et l’aptitude à fournir des aliments à bas prix. VERS UN MODÈLE « HYBRIDE » DE TRANSITION ? Le modèle quantitatif Agrimonde permet de tirer une conclusion très importante : dans deux scénarios contrastés (c’est-à-dire dont les hypothèses sont sensiblement différentes), les ressources en biomasse agricole potentiellement mobilisables dans le monde permettent de satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Par ailleurs, la plateforme Agrimonde, si elle permet de vérifier la robustesse du modèle utilisé, à travers la démonstration de la cohérence des deux scénarios en interne et entre eux, ne prend pas en compte des externalités susceptibles de modifier certaines conclusions. Par exemple, le coût de l’énergie fossile devrait inciter à revoir les fonctions de production et le coût, en termes de santé publique, du scénario tendanciel devrait pénaliser son modèle de consommation. Dans ces conditions, il est indispensable de réfléchir à la façon d’organiser la transition vers un nouveau modèle de développement alimentaire « durable », c’est-à-dire respectant les 3 objectifs d’équité sociale, de viabilité économique et écologique. Ce modèle ne peut avoir qu’une forme hybride, combinant, selon les espaces géographiques, les mentalités et les comportements, des configurations modernes (basées sur la globalisation) et post-modernes (basées sur l’ancrage territorial), du fait de l’extrême diversité des situations observées. Pour cela, on ne peut tabler sur une régulation par le seul marché. Une véritable politique alimentaire doit être mise en place, qui n’est consistante dans aucun pays du monde à ce jour. Le système alimentaire pourrait ainsi constituer un domaine à privilégier pour amorcer les indispensables mutations dont dépend la qualité de notre avenir, comme le suggère la remarque très actuelle d’un visionnaire du système alimentaire, Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) : « La destinée des Nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ». 05•Editorial 29/10/09 15:23 Page 1732 1732 J.-L. RASTOIN RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CHAUMET J.M., DELPEUCH F., DORIN B., GHERSI G., HUBERT B., LE COTTY T., PAILLARD S., PETIT M., RASTOIN J.L., RONZON T., TREYER S. [2009], Agricultures et alimentations du monde en 2050 : Scénarios et défis pour un développement durable, Inra-Cirad, Paris, 202 p. COLLOMB P. [1999], Une voie étroite pour la sécurité alimentaire à l’horizon 2050, Economica et Fao. GRIFFON M. [2006], Nourrir la planète : Pour une révolution doublement verte, O. Jacob, Paris, 455 p. MALASSIS L. [2006], Ils vous nourriront tous, les paysans du monde, si..., Quae, Versailles, 462 p. RASTOIN J.L., GHERSI G. [2010], Le système alimentaire mondial : concepts, méthodes et dynamiques, Quae (à paraître) REMESY C. [2005], Que mangerons-nous demain ?, O. Jacob, Paris, 304 p. VENTOUR L. [2008], The food we waste, Food waste report v2, Wastes and Resources Action Programme, WRAP, Banbury, 237 p. 06•Intercalaire I 30/10/09 7:23 Page 1733 Économie, filières et marchés agroalimentaires 06•Intercalaire I 30/10/09 7:23 Page 1734 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1735 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1735-1760 Comment les mères perçoivent-elles les risques nutritionnels de leurs enfants ? Une approche par le paradigme psychométrique au Vietnam Natacha Calandre, EHESS, IIAC-Centre Edgar Morin Nicolas Bricas, CIRAD, UMR 1110 Moisa Lucie Sirieix, Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa L’article présente plusieurs approches théoriques des relations entre risques et comportement puis les résultats d’une application du paradigme psychométrique à l’étude de la perception des risques nutritionnels pour leurs enfants par des mères au Vietnam. En moyenne, les risques de malnutrition par carence ou d’obésité sont perçus de façon assez similaire, considérés graves mais pourtant peu craints. L’hétérogénéité des perceptions selon les mères montre les limites d’une communication nutritionnelle non « ciblée ». Une typologie des perceptions est proposée dans ce sens. First the paper reviews theoretical approaches of the relation between risk and behaviour. Then it gives the results of a survey in Vietnam based on a psychometric approach applied to children nutritional risk perception by mothers. Characteristics of malnutrition risk are perceived quite similar to obesity ones, serious but however little feared. The heterogeneity of perceptions according to the mothers shows the need for a “targeted” nutritional communication. A typology of perceptions is proposed in this direction. Remerciements : Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un doctorat encadré par Lucie Sirieix et Nicolas Bricas. Les enquêtes ont été faites au Vietnam au sein du Consortium de recherche Malica (Market and Agriculture Linkages for Cities in Asia) avec l’appui scientifique de Muriel Figuié. 07•Calandre 27/10/09 1736 8:00 Page 1736 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX INTRODUCTION Les risques de maladies liées à une malnutrition sont des priorités de santé publique dans tous les pays compte tenu des coûts économiques et sociaux qu’ils engendrent. Dans les pays pauvres et surtout les pays « en transition », caractérisés par une urbanisation rapide et l’augmentation du niveau de vie de certains groupes de leur population, ces risques de morbidité sont liés à des situations de carences alimentaires mais aussi de « pléthore » [Popkin (2004)]. Dans tous les cas, l’intervention publique cherche à corriger les déséquilibres entre apports nutritionnels et modes de vie en informant, sensibilisant, éduquant les consommateurs. Dans les pays en transition, ces interventions sont rendues plus compliquées par le fait que co-existent, parfois jusqu’au sein d’une même famille, des malnutritions résultant d’un déficit ou d’un excès pondéral [Maire et Delpeuch (2000)]. De nombreux travaux montrent néanmoins que les impacts de telles actions visant à changer les comportements sont insignifiants. L’objet principal de cet article est de passer en revue, au travers de plusieurs approches théoriques, les causes possibles de cette faible mise en pratique des recommandations nutritionnelles par les consommateurs. Dans une première partie, nous présentons plusieurs approches possibles du risque. À partir de la théorie microéconomique de la décision, le risque est évalué dans une perspective rationnelle, dont découlent les modèles d’éducation et de comportement. Les travaux en psychologie économique et sociale permettent de modérer l’hypothèse de maximisation du critère d’utilité. Enfin, la sociologie du risque et le paradigme psychométrique offrent un cadre d’analyse et un outil méthodologique intéressants pour caractériser et légitimer les perceptions « profanes » du risque. Dans une deuxième partie, nous présentons les résultats d’une étude menée à Hanoi (Vietnam), pour comparer la perception du risque de malnutrition (par carences) et du risque d’obésité par les mères d’enfants en âge scolaire, sur la base d’un questionnaire psychométrique adapté aux risques nutritionnels. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1737 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1737 I. – DU MODÈLE STANDARD D’ANALYSE DES RISQUES AU PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE I.1. Évaluation du risque selon la théorie de la décision et le critère d’utilité subjective espérée Dans le modèle d’analyse des risques standard 1, dit « positiviste », le risque est apprécié par les « experts » chargés de son évaluation selon la théorie microéconomique de la décision, en particulier la théorie de l’utilité subjective espérée [Von Neuman et Morgenstern (1944) ; Savage (1954)]. Dans cette perspective de rationalité instrumentale (maximisation de la fonction d’utilité), le risque pour la santé est une mesure d’utilité exprimant l’importance du risque (gravité en termes de morts, dommages et/ou blessures) pondérée par la probabilité (incertitude) d’occurrence de la conséquence (perte) : ! Risque = n (gravité *pi ) n : nombre de conséquences potentielles négatives pour la santé La perception du risque est envisagée comme une composante inhérente à la formation de l’attitude (prédisposition positive ou négative) envers le risque. Cette analyse scientifique permet des estimations comparées des risques servant à définir des recommandations ; un risque à faible probabilité, ayant de graves conséquences, peut être comparé à un risque à haute probabilité mais à conséquences (coûts) plus limitées. Parmi les mesures envisagées par les pouvoirs publics pour prévenir et lutter contre les problèmes nutritionnels, la communication et l’éducation nutritionnelles sont à la base des actions menées. I.2. Communication sur les risques et présupposés théoriques Sur cette base conceptuelle du risque, les interventions à visée éducative auprès de la population générale ou de groupes sensibles (femmes, mères enceintes) visent à réduire la distorsion entre la perception « irrationnelle » du risque par le citoyen et sa perception « objective », « réelle » par les experts (modèle du déficit de connaissance [Hansen et al. (2003)]). 1 Qui procède d’une analyse linéaire en trois phases : évaluation scientifique, gestion et communication sur les risques. 07•Calandre 27/10/09 1738 8:00 Page 1738 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX Le modèle d’éducation dominant est le modèle KABP 2 (connaissance, attitudes, croyances, pratiques), promu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1989 (figure 1). Ce modèle fait l’hypothèse qu’un apport d’information en amont permettra, par une augmentation du stock de connaissance personnelle, une modification des croyances et des attitudes, l’amélioration des pratiques alimentaires et donc de l’état nutritionnel. Les recherches en sciences sociales, notamment les enquêtes KABP sur la santé, ont montré que s’il est facile d’établir des relations entre connaissances (de la nature du risque et des moyens de prévention et de contrôle) et croyances ou attitudes face à la maladie [Moatti et al. (1993)], les connaissances et les attitudes sont peu cohérentes avec les comportements déclarés ou observés [Redmond et Griffith (2003)]. Alors que les messages sur la santé et la nutrition sont de plus en plus massivement diffusés, de nombreuses études témoignent de l’impact limité des politiques de santé publique basées sur la communication nutritionnelle [Doak et al. (2006)] et du décalage entre connaissance des prescriptions sur l’alimentation et l’activité physique et les pratiques [Campbell et al. (2001)]. Une amélioration du niveau d’information n’est donc pas une condition suffisante pour modifier les comportements. Plusieurs modèles sous-tendant le modèle KABP ont tenté de rechercher les facteurs déterminants et les mécanismes explicatifs de cette contradiction entre le savoir et l’agir. Ces modèles relient les croyances, l’attitude, l’intention de comportement et le comportement en décomposant l’utilité espérée [Edwards (1954)]. Ils ont été développés pour rendre compte de comportements généraux (théorie de l’action raisonnée [Fishbein et Ajzen (1975)], ou du comportement planifié [Ajzen (1985)]), ou de comportements spécifiques à la santé (modèles de croyance sur la santé ou Health Belief Model [Rosenstock (1974)], modèle transthéorique de changement [Prochaska et DiClemente (1982)] ou théorie de la motivation de protection [Rogers (1983)]). Ces modélisations ont permis d’identifier un certain nombre de facteurs liés aux conduites d’exposition au risque dont ils proposent des combinaisons spécifiques. 2 Knowledge, Attitudes, Beliefs, Practices Connaissances transmises Attitudes modifiées Comportements changés Amélioration dans l'état de santé et nutrition 8:00 Information Education Ressources socioéconomiques, quantité et qualité des aliments disponibles 27/10/09 Croyances, représentations sur l'alimentation et la santé FIGURE 1 Modèle « KABP » [OMS, 1989] 07•Calandre Page 1739 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1739 07•Calandre 27/10/09 1740 8:00 Page 1740 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX I.3. Insuffisances des modèles psychosociologiques de comportement : une vision linéaire et utilitariste du comportement Si ces modèles ont montré leur validité et une certaine robustesse pour prédire des comportements spécifiques de prise de risque dans le domaine de la consommation et de la santé, les corrélations entre attitudes et comportement restent très variables et les coûts de mise en œuvre de ces modèles sont élevés [Conner et Armitage (2002)]. De plus, ils souffrent d’insuffisances. Le rapport au risque est réduit à une relation linéaire et mécaniste selon laquelle la connaissance déterminerait les attitudes, les croyances et les comportements ; or, ces composantes s’inscriraient plutôt dans un système interactif et dynamique, qui va caractériser différentes rationalités correspondant à des stratégies variées de gestion des risques, voire de déni du risque [Calvez (2004)]. De plus, ces modèles ancrés dans une logique rationaliste font l’hypothèse qu’un agent, confronté à des choix, va agir conformément à ses préférences en recherchant comme but final l’amélioration de sa santé. Or, le modèle de Moatti et al. (1993) démontre que certaines logiques peuvent conduire l’individu à faire des choix « rationnels » de non-protection en situation de risque de transmission sexuelle du VIH 3. Ces modèles font l’impasse sur l’aspect social et identitaire de l’agir humain. Certains individus tendraient à être naturellement averses au risque en cherchant à l’éviter (« averses au risque » ou risks avoiders) alors que d’autres le rechercheraient (« preneurs de risques » ou risk takers) [Arrow (1965)], par défi ou fuite des conventions sociales, par recherche de plaisir et de sensation, comme moyen d’intégration sociale, d’affirmation identitaire ou de désinhibition (prise de drogue, alcoolisme, sports à haut risque, etc. [Wibberley et Price (2000)]). Le risque n’est donc pas uniquement un moyen d’obtenir le résultat (de santé) le meilleur possible ; il peut être un bien recherché pour luimême, une fin en soi. Finalement, si les modèles psychosociologiques comportementaux permettent d’améliorer la prédiction des théories de la décision, ils restent attachés à une vision rationnelle, linéaire d’un comportement potentiellement déviant. 3 Virus de l’immunodéficience humaine. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1741 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1741 I.4. Contributions de la psychologie et de la sociologie du risque à l’étude de l’évaluation des risques I.4.1. Dimensions psychologiques du processus de décision : l’existence de biais cognitifs et de biais d’optimisme Les années 70 et 80 ont été des périodes de réflexion critique sur la validité et la pertinence du modèle d’utilité espérée et de la notion de risque. Les sciences humaines et sociales se sont intéressées à la logique des actions individuelles en univers incertain et indéterminé, au concept de rationalité limitée (Simon) et procédurale (Boudon), à l’aménagement du critère d’utilité espérée (existence de « paradoxes » : Allais ; Ellsberg), à l’évaluation des probabilités [Kahneman et Tversky (1972, 1979)], à la formation des croyances, et aux influences interpersonnelles entre agents. Certains travaux en psychologie cognitive et expérimentale ont mis en évidence la présence d’heuristiques (mécanismes de résolution rapide de problème en situations d’incertitude), qui seraient à l’origine de biais cognitifs pendant la phase d’évaluation des probabilités et des alternatives [Tversky et Kahneman (1974)]. Weinstein (1980, 1989) a montré de son côté que des biais d’optimisme 4 pouvaient entraîner une illusion de contrôle des risques. Les individus seraient moins susceptibles d’adopter des comportements d’auto-protection de leur santé [DeJoy (1996)]. Certains auteurs les analysent comme des mécanismes particuliers de dénégation et de mise à distance du risque [Peretti-Watel (2000)], perçu comme spécifique à un groupe donné, auquel l’individu n’a pas le sentiment d’appartenir, s’estimant peu ou pas concerné [Douglas et Wildavsky (1982)]. Si ces travaux soulignent la subjectivité des perceptions du risque, ils restent engagés dans une approche utilitariste et probabiliste du risque, privilégiant la nature de la fonction d’utilité et le calcul de probabilités. Or, cette logique analytique impliquant la capacité individuelle à penser en termes probabilistes est contre-intuitive, non naturelle [Raufaste et Hilton (1999)]. De plus, le jugement individuel est conçu en termes d’écarts par rapport au raisonnement scientifique de 4 Ou « optimisme irréaliste » qui se réfère au fait que les individus se considèrent moins susceptibles de faire l’expérience d’évènements négatifs et plus susceptibles de faire l’expérience d’évènements positifs, par rapport aux autres. Pour une présentation plus complète des différents biais d’optimisme, voir Kouabénan (2006), p. 147-162. 07•Calandre 27/10/09 1742 8:00 Page 1742 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX référence. Les individus estimeraient le niveau de risque non pas selon une rationalité scientifique et des critères purement techniques mais selon des impressions subjectives, obéissant à des constantes anthropologiques, psychologiques, reflétant des valeurs, une idéologie [Weinstein (1989) ; Slovic et al. (1981) ; Marris (1999)]. I.4.2. Le paradigme psychométrique Une explication au non suivi des recommandations de santé serait l’existence d’un décalage entre la façon dont « experts » et consommateurs « profanes » perçoivent et acceptent les risques [Slovic et al. (1980)]. Dans les années 1980, le risque est devenu un enjeu politique du fait de l’importance des coûts sociaux et économiques inhérents à ces divergences de perception (par exemple sur les nouvelles technologies et la manipulation génétique) et au non changement de comportement [Kirk et al. (2002)]. La compréhension de la perception du risque par le public est apparue nécessaire pour déterminer des seuils d’acceptabilité sociale et concevoir des mesures appropriées. La psychologie s’est intéressée aux dimensions de la perception de différents risques ; la sociologie et l’anthropologie mettent l’accent sur l’ancrage socioculturel de l’évaluation du risque (biais sociaux, conceptions du corps et de la vulnérabilité physique), et la confiance développée par le public envers les institutions qui émettent l’information [théorie culturelle de Douglas et Wildavsky (1982)]. Le paradigme psychométrique [Fischhoff et al. (1978) ; Slovic et al. (1979, 1981)] a été le plus mobilisé et validé pour l’étude des déterminants des perceptions des risques, dans des domaines généraux [Slovic (1987)] et spécifiques à l’alimentation [Sparks et Shepherd (1994) ; Fife-Shaw et Rowe (1996) ; Kirk et al. (2002)]. Il a eu un large succès du fait de sa vision proche du « sens commun », de sa robustesse et de son opérationnalité pour la comparaison d’une large gamme de risques [Fife-Shaw et Rowe (2000)]. Cette approche suggère une perception multidimensionnelle du risque incluant des caractéristiques psychologiques, sociales, institutionnelles et culturelles ; les citoyens classeraient les risques en définissant leur « valeur » comme un ensemble d’attributs qualitatifs ou propriétés psychométriques. Fischhoff et al. (1978) et Slovic et al. (1981) ont identifié dix-huit attributs que prend en compte le profane pour évaluer une gamme de risques et juger de son acceptabilité ; ils peuvent être regroupés en trois composantes principales : la crainte, l’inconnu et l’étendue du risque 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1743 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1743 [Slovic (1987)] (cf. tableau 1). Plus les scores du facteur de crainte et d’inconnu sont élevés, plus le risque est jugé important et inacceptable ; plus les individus sont alors prêts à prendre des mesures pour les réduire et sont en faveur d’une régulation stricte [Sjöberg et al. (2004)]. Cette approche représente une piste intéressante pour expliquer l’inefficacité des politiques de santé, en élargissant la conception technique et normative du risque et de l’information transmise. Elle semble plus pertinente que l’approche en termes d’assimilation (vraie ou TABLEAU 1 Détermination du niveau de risque perçu à partir des caractéristiques psychométriques du risque ACCEPTABILITÉ ÉLEVÉE ACCEPTABILITÉ FAIBLE Exemple : tabagisme, alcoolisme Exemple : déchets radioactifs, génie génétique Risque faible Risque élevé RISQUE PEU CRAINT FACTEUR « CRAINTE » RISQUE CRAINT Individuellement contrôlable Incontrôlable Réversible Irréversible Potentiel global non catastrophique Potentiel catastrophique global Pas effrayant Effrayant Conséquences non fatales Conséquences fatales Équitable Inéquitable Individuel Collectif Naturel Dû à l’action humaine À faible risque pour les générations À haut risque pour les générations futures futures Exposition réductible Exposition non réductible Décroissant Croissant Exposition volontaire Exposition involontaire RISQUE CONNU RISQUE INCONNU Pas observable Inconnu de ceux qui y sont exposés Effets différés Nouveau risque - non familier Risque inconnu de la science Risque fortement médiatisé FACTEUR : « CONNAISSANCE » Observable Connu de ceux qui y sont exposés Effets immédiats Risque ancien - familier Risque connu de la science Risque faiblement médiatisé FACTEUR : « ÉTENDUE DU RISQUE » Peu de personnes exposées Beaucoup de personnes exposées Sources : Slovic (1987), Sparks et Shepherd (1994), Fife-Shaw et Rowe (1996). 07•Calandre 27/10/09 8:00 1744 Page 1744 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX fausse) de l’information et considère que les sujets ne sont pas « irrationnels » et ignorants mais qu’ils ont une rationalité plus complexe et qualitative que les spécialistes. Dans la deuxième partie de cet article, nous présentons les résultats d’une étude exploratoire s’appuyant sur l’approche psychométrique, pour éclairer l’écart existant entre le degré d’information nutritionnelle et les comportements alimentaires. L’étude a été menée dans un pays en transition nutritionnelle, le Vietnam, auprès de mères d’enfants en âge scolaire, les recherches mobilisant les méthodes psychométriques ayant été, jusqu’à présent, surtout menées en Occident. II. – APPLICATION DU PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE À L’ÉTUDE COMPARATIVE DE DEUX RISQUES NUTRITIONNELS (MALNUTRITION PAR CARENCES, OBÉSITÉ) AU VIETNAM : MÉTHODOLOGIE II.1. Risques étudiés, zone d’enquête et échantillonnage Cette étude, menée à Hanoi en 2004, compare la perception de deux types de risques nutritionnels par les mères : les risques de malnutrition 5 et d’obésité 6 liés à l’alimentation, chez les enfants de 6 à 10 ans, risques supposés à forte acceptabilité par les profanes (ici les mères) et à faible acceptabilité par les experts (politiques, professionnels de la santé). La malnutrition infantile et juvénile reste fréquente : la prévalence de l’insuffisance pondérale chez les enfants de 6-14 ans est de 32,8 % au niveau national [NIN (2003)] et de 11,3 % chez les enfants de 7-12 ans à Hanoi [NIN (2004)]. Le choix du risque d’obésité est lié à son évolution significative en milieu urbain ; 2,4 % des 6-10 ans sont en excès de poids au niveau national [NIN (2003)] et 10,4 % des enfants de 7-12 ans à Hanoi [NIN (2004)]. Au total, 253 mères ont été interrogées. L’échantillon a été raisonné en fonction de l’état nutritionnel des enfants 7 : enfants en sous-poids (84), en état nutritionnel « normal » (98) et en surcharge pondérale (71). 5 La malnutrition étant définie comme une croissance anormale se caractérisant par une insuffisance pondérale par rapport à l’âge. 6 L’OMS définit l’obésité comme « une accumulation anormale ou excessive de graisses dans les tissus adipeux jusqu’à un degré tel que cela peut nuire à la santé » [OMS, 1998]. 7 Évalué selon les courbes de croissance du CDC (US Center for Disease Control and Prevention), développées par le NCHS (National Center for Health Statistics) pour les enfants de 2 à 20 ans : un IMC_âge ≤ 5ème percentile correspond au seuil de malnutrition ; un IMC_âge compris entre le 85ème et le 95ème percentiles à un risque de surpoids et un IMC_âge ≥ 95ème percentile à un surpoids ou une obésité [Bellizzi et Dietz (1999)]. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1745 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1745 II.2. Enquête par questionnaire La démarche a consisté en des entretiens approfondis auprès des mères sur la base d’un questionnaire comportant des échelles et des questions ouvertes. II.2.1. Les dimensions déterminantes de la perception des risques selon le type de risque La première partie de cette recherche (non présentée ici) confirme l’insuffisance du modèle de risque de base [Peretti-Watel (2000)] ; une régression de type Logit montre que la crainte perçue de la malnutrition (par carences) chez l’enfant est expliquée par la gravité perçue du risque alors que, dans le cas de l’obésité, la crainte n’est expliquée ni par la gravité du risque ni par son occurrence. Il y a donc d’autres variables explicatives de la crainte [Calandre (2006)]. Les deux risques nutritionnels ciblés ont été déclinés en un certain nombre de caractéristiques perçues, dont la pertinence a été testée au préalable (10 entretiens individuels) : gravité, fréquence, évolution, crainte suscitée (vulnérabilité perçue de l’enfant), possibilité de réduire le risque, contrôle, efficacité (personnelle et des actions préventives), réversibilité, visibilité, caractère équitable, temporalité des conséquences (immédiates versus différées), responsabilité, information (médiatisation, incertitude des experts, connaissance personnelle). La mise en questionnaire de la grille s’est inspirée des travaux de Kirk et al. (2002). Les études utilisant l’approche psychométrique demandent traditionnellement aux individus de noter le degré avec lequel une gamme de risque possède les différentes caractéristiques proposées [Fischhoff et al. (1978) ; Slovic et al. (1980)] ; dans cette recherche, chaque attribut a été mesuré sur une échelle d’intervalles de Thurstone à 4 points (en dehors de l’évolution – 3 points – et du caractère équitable – 2 points –). II.2.2. Développement d’un questionnaire de connaissance Un test de connaissance sur les causes, conséquences et recommandations en matière de malnutrition 8 et d’obésité a été développé. Un score de connaissance a été calculé selon le nombre de réponses « fausses » ou « vraies », sur un total de 30 points. Excepté une mère, toutes ont obtenu une note supérieure à la moyenne (21/30 ; minimum : 14 ; maximum : 27). 8 Inspiré des travaux du Dr Pham Van Phu. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1746 1746 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX Les mères ont cité leurs principales sources d’information en classant hiérarchiquement les trois majeures ; elles devaient ensuite noter, parmi toutes les sources cochées, les trois envers lesquelles elles avaient le plus confiance. II.2.3. Mesure de l’état nutritionnel L’état nutritionnel des mères et des enfants a été objectivé à partir de mesures anthropométriques (poids et taille), permettant de calculer les indices de masses corporelles (IMC) pour les enfants et les mères. Selon la classification du NIN 9 (2003), les taux de mères en surpoids et obèses sont respectivement de 14,9 % et 7,1 % ; le pourcentage des mères de l’échantillon présentant une carence énergétique chronique (malnutrition) est de 12 % ; 30,4 % des enfants présentent un souspoids, 17,9 % un risque de surpoids et 14,2 % sont en surpoids ou obèses. Les classes d’IMC des mères et d’IMC_âge des enfants sont significativement liées (p < 0,01). L’information sur les données sociodémographiques a été finalement collectée : âge des mères et des enfants, sexe de l’enfant, niveau d’éducation de la mère, revenu du ménage par unité de consommation [INSEE (2000)]. L’échantillon est composé de 95,4 % de femmes mariées ; 82,6 % sont originaires de Hanoi. L’âge moyen des interviewées est de 35,5 ans, celui des enfants de 7,9 ; 48,0 % des enfants de l’échantillon sont des filles. Le revenu mensuel moyen du foyer s’élève à 2.997.000 VND 10 (minimum : 600.000 ; maximum : 22.000.000). II.3. Traitement des données Le questionnaire a fait l’objet d’une double traduction ; il a été testé auprès de 10 mères à Hanoi puis réajusté. Les réponses ont été codifiées, saisies et traitées à l’aide du logiciel SPSS (Statistical Package for Social Sciences) 11.0. Les scores moyens de chacun des items (dimensions psychométriques) ont été 9 L’IMC a été classé selon les critères de l’OMS revus par le NIN pour les adultes vietnamiens de plus de 20 ans : malnutrition : IMC ≤ 18,5 kg/m2 ; normal : IMC = 18,522,9 ; surpoids : IMC = 23-24,9 ; obésité : IMC ≥ 25 [NIN, 2003]. 10 dongs vietnamiens (1 euro = 19326.42 dongs vietnamiens – taux de conversion du 09-01-2006 –, soit 155 euros environ). Trois classes de revenus (bas – 31,1% –, moyen – 31,6% –, élevé – 37,3% –) ont été définies à partir de la distribution du revenu total mensuel par unité de consommation dans notre échantillon. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1747 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1747 calculés et la réalisation de tests T a permis d’identifier les différences de moyenne entre caractéristiques (au seuil de 95 % de confiance). Notre analyse intègre l’étude des différences individuelles dans la perception des risques selon le niveau de revenu des mères (seule variable socio-économique significative), leur niveau de connaissance et l’état nutritionnel des mères et des enfants. À partir des notes moyennes de chaque caractéristique, une analyse en composantes principales (ACP) avec une rotation oblimin et varimax a été effectuée pour extraire les facteurs principaux et identifier les variables les plus saillantes du risque perçu. Nous avons ensuite projeté non plus les risques mais les individus sur les composantes principales du modèle, pour les discriminer entre eux et identifier les variables significatives de différenciation ; une classification hiérarchique par la méthode de Ward a permis le regroupement des observations en classes et l’identification des profils de mères pour chacun des risques pris séparément et selon le type de risque (pris ensemble dans l’analyse). Une analyse manuelle de discours a permis d’opérer des regroupements par thèmes des données qualitatives. III. – PRINCIPAUX RÉSULTATS III.1. Analyse descriptive globale de chaque risque nutritionnel Les caractéristiques perçues des risques sont assez proches, mais les tests T font apparaître des différences significatives entre la malnutrition et l’obésité en particulier pour l’évolution de ces pathologies (valeur de T la plus élevée de – 31,9) : la malnutrition est jugée comme un risque décroissant (« il y a de moins en moins d’enfants vietnamiens de 6-10 ans qui sont malnutris ») contrairement à l’obésité, pathologie croissante. Ces risques sont considérés comme connus des spécialistes (3,5/4), et connus dans leurs causes et conséquences (2,6 à 2,8/4), les causes de l’obésité étant moins connues que celles de la malnutrition, alors que les conséquences sont plus connues pour l’obésité. La malnutrition est jugée plus difficile à reconnaître avec des conséquences sur la santé différées (quelques mois), alors que l’obésité est jugée plus facile à reconnaître et aux effets plus immédiats (quelques semaines). Celles-ci sont évaluées globalement comme « plutôt graves » (3,0/4 pour la malnutrition et 3,1/4 pour l’obésité, sans différence significative) bien que réversibles. Au final, les mères les craignent peu ou pas (1,9 pour la malnutrition et 1,7 pour l’obésité, sans différence 07•Calandre 27/10/09 1748 8:00 Page 1748 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX significative) ; presque 2/3 des femmes ayant un enfant malnutri (58,9 %) ou en surpoids ou obèses (65,4 %) ne s’en inquiètent pas, versus 71,7 % et 84,8 % des mères qui ont un enfant en bon état de nutrition. Cette faible crainte, malgré une prévalence qui reste objectivement élevée et une gravité reconnue, pourrait s’expliquer par un sentiment de contrôle personnel (3,1/4 pour la malnutrition et 3,2/4 pour l’obésité) : les mères s’estiment les premières responsables de la prévention des risques nutritionnels. Elles trouvent leurs pratiques alimentaires efficaces pour lutter contre ces risques jugés facilement réductibles. Il faut dire que les recommandations pour la maîtrise de ces risques sont jugées assez connues (2,6/4 pour la malnutrition et 2,4/4 pour l’obésité), faciles à mettre en œuvre et efficaces. On constate aussi qu’une grande majorité des mères accordent de la confiance aux sources officielles d’information sur la nutrition, les trois principales mentionnées étant la télévision (75,5 %), les magazines/journaux (41,5 %) et les professionnels de la santé (21,3 %), en qui 91,7 %, 71,9 % et 39,2 % des mères ont respectivement confiance. Les autorités qui contrôlent les médias et les acteurs de la santé semblent ainsi bénéficier d’une grande légitimité et crédibilité auprès des mères vietnamiennes. Si l’on s’en tient à la faible crainte déclarée des mères, on pourrait conclure d’après le paradigme psychométrique que les deux risques nutritionnels étudiés sont perçus peu élevés et bien acceptés ; or ils sont évalués différemment sur certains attributs. Ces moyennes cachent en outre des différences inter-individuelles. III.2. Analyse factorielle des dimensions perçues du risque III.2.1. Dimensions discriminant la perception du risque d’obésité L’ACP à partir des 10 variables retenues 11 conduit à trois composantes principales expliquant 60,4 % de la variance (n = 245 ; Indice Kaiser-Meyer-Olkin – KMO – = 0,686 ; test de Bartlett = 770,191 – sig = 0,000 ; même structure avec rotation oblimin) : – facteur 1 « inconnu » (variance expliquée : 27,7 %), – facteur 2 « crainte » (variance : 20,8 %), 11 L’examen du graphique des valeurs propres et des contributions des variables aux facteurs a conduit à éliminer les variables de gravité, reconnaissance, responsabilité et connaissance des spécialistes. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1749 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1749 – et facteur 3 « comportement » (variance : 11,9 %). On retrouve les deux composantes « inconnu » et « crainte » conformément au paradigme psychométrique. Le troisième facteur renvoie à la possibilité d’agir sur le risque et d’influencer son évolution par un changement de comportement (variables « réversibilité » et « possibilité d’agir »). Lorsqu’on force l’ACP à deux composantes, la variable « possibilité d’agir » est rattachée au facteur « crainte » (48,5 % de la variance), comme ce qui était attendu par la théorie. La classification hiérarchique des mères à partir des trois composantes principales distingue quatre classes relativement homogènes. Le facteur « inconnu » oppose (cf. graphe 1) d’un côté les groupes 2 (40 mères) et 3 (48), rassemblant les mères qui estiment faibles leurs connaissances sur l’obésité, de l’autre, les groupes 1 (93) et 4 (64), qui ont le sentiment d’en avoir une bonne à parfaite connaissance. Un risque fortement médiatisé n’engendre pas forcément un sentiment de connaissance personnelle élevée (groupe 1 versus 3). Sur la composante « crainte », la peur de l’obésité chez l’enfant est plus forte lorsque les mères perçoivent un contrôle et une auto-efficacité faibles (groupes 1 et 2), et des conséquences rapides (groupe 2). À l’opposé, lorsqu’elles perçoivent un contrôle et une efficacité élevés et des conséquences à long terme (groupe 3), les mères ne craignent pas ou peu l’obésité (groupes 3 et 4). Ces résultats confirment le lien inverse entre contrôle perçu et niveau de crainte des mères, et la relation confuse entre crainte et connaissance du risque ; si la crainte du risque peut être positivement liée à sa connaissance (groupe 1 et 3), elle peut être forte, même lorsque le risque est peu connu (groupe 2). On observe aussi que la relation entre médiatisation de l’obésité et peur du risque peut être négative (groupe 3) ou positive (groupe 1). Concernant le facteur 3 « comportement », on remarque que les mères qui perçoivent une plus grande possibilité d’action craignent le plus le risque pour leur enfant (groupe 1), contrairement à celles (groupe 4) qui perçoivent une faible marge de manœuvre et une irréversibilité de l’obésité. Il semble ainsi que le sentiment de pouvoir faire quelque chose au niveau individuel contre l’obésité et donc d’avoir une responsabilité puisse être anxiogène. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1750 1750 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX « Inconnu » obésité » Groupe 1 (93 mères) Crainte ++++ Contrôle ++ Auto-efficacité ++ Conséq ds tps +++ Groupe 4 (64) Crainte ++ Contrôle +++ Auto-efficacité +++ Conséq ds tps ++ Conn causes ++++ Conn conséq ++++ Conn recomm ++++ Médiatisation ++++ Conn causes +++ Conn conséq +++ Conn recomm +++ Médiatisation ++ Poss d’agir ++++ Réversibilité ++++ Poss d’agir + Réversibilité + Groupe 2 (40) Group e 3 (48) Crainte +++ Contrôle + Auto-efficacité + Conséq ds tps + Crainte + Contrôle ++++ AutoConséq ds tps ++++ Conn causes ++ Conn conséq ++ Conn recomm ++ Médiatisation + Conn causes + Conn conséq + Conn recomm + Médiatisation +++ Poss d’agir ++ Réversibilité +++ Poss d’agir +++ Réversibilité ++ « Crainte » obésité GRAPHE 1 Projection des classes de mères sur les composantes « inconnu » et « crainte » de l’obésité III.2.2. Dimensions discriminant la perception du risque de malnutrition Pour le risque de malnutrition 12, on retrouve aussi les deux premières composantes définies par Slovic et al. : les facteurs « inconnu » (mais n’intégrant pas la médiatisation perçue) et « crainte » qui 12 L’ACP réalisée à partir des 9 items issus d’une ACP préliminaire (élimination des facteurs : possibilité d’agir, responsabilité, médiatisation, gravité et conséquences dans le temps) montre 3 facteurs indépendants expliquant 65,1% de la variance totale (n = 244 mères). Ces facteurs ont été labellisés : le facteur 1 « unknown » (connaissance) (expliquant 30,2 % de la variance), le facteur 2 « dread » (crainte et variables de contrôle) (22,0 %) et le facteur 3 « observabilité » (12,9 %). Lorsque l’on force l’ACP à deux composantes, le troisième facteur « observabilité » se retrouve attaché au facteur « inconnu », conformément au paradigme psychométrique. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1751 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1751 englobe la réversibilité de la malnutrition (versus conséquences dans le temps pour l’obésité). Le troisième facteur renvoie à la visibilité et l’« observabilité » du risque (reconnaissance, incertitude scientifique). Sur cette composante, il n’y a pas de lien univoque avec la crainte pour l’enfant. Ce n’est pas parce que les mères estiment que le risque est connu de la science qu’elles craindront moins la malnutrition ou auront un sentiment de connaissance personnelle plus élevée ; par contre, les mères jugeront ce risque plus facilement observable ou reconnaissable. Si on reconnaît à travers les ACP les mêmes facteurs indépendants de connaissance et de crainte, quelle que soit la nature du risque, la visibilité du risque et l’incertitude scientifique sont discriminantes seulement pour la malnutrition ; peut-être du fait de la plus grande difficulté à déceler les carences de la « malnutrition cachée » [UNICEF (2004)]. Il est cependant étonnant que la connaissance scientifique liée à l’obésité pèse moins dans son évaluation alors que ce risque est jugé croissant, plus récent et moins familier que la malnutrition. La médiatisation est en contraste plus déterminante de la perception du risque d’obésité. On peut faire l’hypothèse que les mères se préoccupent en premier lieu de savoir ce qu’est l’obésité et quelles conséquences elle peut avoir, avant de s’intéresser aux moyens de son contrôle et à leur fiabilité scientifique. Elles chercheraient d’abord à connaître s’il est possible d’agir à leur niveau avant d’envisager des actions. Les variables de contrôle et d’efficacité personnels sont ainsi centrales dans la perception du risque nutritionnel et sa crainte. Conformément au paradigme psychométrique, plus le risque sera perçu contrôlable notamment par des pratiques jugées efficaces, moins la mère s’en inquiétera. Mais le sentiment de pouvoir agir peut être anxiogène (notamment pour l’obésité) ou au contraire rassurer (réversibilité de la malnutrition). Par contre, l’hypothèse selon laquelle l’individu craindrait d’autant moins le risque qu’il a le sentiment de connaître n’est pas vérifiée ici. En outre, ce n’est pas parce que les mères pensent bien connaître le risque qu’elles auront un sentiment de contrôle supérieur. III.2.3. Analyse factorielle prenant en compte les dimensions perçues des deux risques et les variables individuelles L’ACP finale intégrant les deux risques montre que les 13 dimensions retenues peuvent être résumées par 4 composantes principales 13, expliquant 69,2 % de la variance totale (245 réponses valides). 13 Indice KMO = 0,730 ; test de Bartlett = 1526,354 – sig = 0,000 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1752 1752 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX On retrouve une nouvelle fois les deux facteurs « dread » et « unknown » relatifs aux deux risques : les composantes 1 (31,0 % de la variance) et 2 (18,2 % de la variance) représentent les facteurs « crainte » et « inconnu » pour la malnutrition et les composantes 3 (11,4 % de la variance) et 4 (8,6 % de la variance) représentent les facteurs « crainte » et « inconnu » pour l’obésité. Quatre classes de mères se différencient. L’appartenance à la classe est significativement liée aux classes d’IMC des mères (p < 0,01), des enfants (p < 0,001), aux classes de revenus (p < 0,001) et de connaissance (p < 0,05). Cet espace à deux dimensions fait apparaître que les mères qui craignent le plus la malnutrition sont celles qui craignent le moins l’obésité (groupe 2) et vice-versa (groupe 4). Néanmoins, le groupe 1 s’in- « Crainte » malnutrition (M) Groupe 4 (71 mères) Groupe 3 (54) Craint e M + Contrôle M ++++ Auto-efficacité ++++ Réversibilité M ++++ Auto-efficacité ++++ Craint e Ob ++++ Contrôle Ob + Auto-efficacité Ob + Crainte M ++ Contrôle M +++ Auto-efficacité ++++ Réversibilité M +++ IMC -âge enfant ++++ IMC mère ++++ Revenu ++++ Groupe 1 (65) Craint e M +++ Contrôle M ++ Auto-efficacité M ++ Réversibilité M ++ Craint e Ob +++ Contrôle Ob ++ Auto-efficacité Ob ++ IMC -âge enfant +++ IMC mère ++ Revenu ++ Crainte Ob ++ Contrôle Ob ++++ Auto-efficacité ++++ IMC -âge enfant ++ IMC mère +++ Revenu +++ Groupe 2 (55) Crainte M ++++ Contrôle M + Auto-efficacité M + Réversibilité M + Crainte Ob + Contrôle Ob +++ Auto-efficacité Ob +++ IMC-âge enfant + IMC mère + Revenu + « Crainte » obésité (Ob) GRAPHE 2 Projection des classes de mères sur les composantes « crainte » de la malnutrition et de l’obésité 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1753 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1753 quiète des risques nutritionnels quels qu’ils soient, alors que le groupe 3 s’en préoccupe peu. Les femmes qui craignent le plus l’obésité sont celles qui ont les IMC les plus élevés (groupe 4) et les enfants aux plus forts IMC_âge, et donc potentiellement susceptibles d’être affectés par un surpoids ou une obésité. Les mères se déclarant les plus inquiètes par la malnutrition sont plus vulnérables aux carences (les plus maigres), de même que leurs enfants (aux IMC_âge les plus bas) (groupe 2). Les classes d’IMC des mères et d’IMC_âge des enfants étant positivement liées au revenu par unité de consommation du ménage (p < 0,05), la peur du risque est liée de la même façon au niveau de revenu. Les mères ont ainsi conscience de la vulnérabilité de l’enfant : vis-à-vis de la malnutrition pour les femmes qui vivent dans des conditions de vie modestes, et vis-à-vis de l’obésité pour celles issues de milieux aisés. Ceux qui craignent le moins les risques ont des enfants répondant aux normes corporelles standards (groupe 3). Bien que les risques soient perçus, il n’est cependant pas évident que les mères mettent en œuvre de stratégies préventives ou curatives, par sentiment de maîtrise ; la crainte des risques est inversement associée au sentiment de contrôle et d’efficacité de ses propres pratiques. En termes de connaissances non plus perçues mais « objectives », les résultats révèlent que les femmes qui ont la connaissance la plus faible ont des enfants pouvant présenter des problèmes de malnutrition, alors que celles qui ont les scores de connaissance les plus élevés sont davantage susceptibles d’avoir des enfants en excès pondéral. Le niveau de connaissance des risques n’est ainsi pas suffisant pour prédire un « bon » état nutritionnel chez l’enfant, ces deux variables (classes de connaissance et d’IMC_âge des enfants) sont très faiblement associées (p < 0,05). Si certaines mères sous-évaluent leur connaissance notamment en matière de malnutrition, les mères d’enfants potentiellement en surcharge pondérale peuvent être sujettes à un biais d’optimisme, pensant en savoir plus qu’elles ne le savent selon le test. En conclusion, il existe des différences dans la perception des risques nutritionnels selon les variables anthropométriques et économiques ; les mères étant elles-mêmes exposées ou ayant des enfants à risque nutritionnel le perçoivent et s’en inquiètent ; on rencontre des femmes anxieuses vis-à-vis des deux risques même si elles ont des revenus limités ; d’autres ne montrent pas d’inquiétude, peut-être du fait qu’elles ont les moyens pour s’en prémunir. Les variables de contrôle (contrôle et efficacité personnelle et de la réponse) s’avèrent 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1754 1754 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX essentielles et sont négativement corrélées à la crainte perçue. La décision s’effectuerait avant tout au niveau individuel ; les entretiens qualitatifs révèlent que la responsabilité individuelle perçue est plus forte dans le cas de la prévention de l’obésité que de la malnutrition. Il peut exister des biais de connaissance qui ne sont pas de même nature suivant le risque : optimisme dans le cas de l’obésité pouvant s’exprimer par un déni de l’information et sous-évaluation dans le cas de la malnutrition pouvant se traduire par une moindre réceptivité aux messages transmis. DISCUSSION ET CONCLUSION : APPORTS ET LIMITES DE L’APPROCHE PSYCHOMÉTRIQUE ET PROPOSITIONS DE PROLONGEMENT Nos résultats confirment que l’état nutritionnel des enfants n’est pas positivement lié à la connaissance que les mères ont des risques. Bien qu’elles aient une bonne, voire très bonne connaissance de l’obésité, leur enfant peut être exposé à ce risque. Le paradigme psychométrique s’est montré un bon outil méthodologique pour décomposer les caractéristiques psychologiques et sociales influençant la perception individuelle des risques nutritionnels. Les résultats mettent en évidence qu’il existe peu de différences dans les attributs perçus entre les deux risques étudiés. Il est possible que la malnutrition, jugée plus ancienne que l’obésité, en diminution, et aux effets différés, ne soit pas une source d’inquiétude pour les mères qui ont des préférences pour le présent (contextes de pauvreté et de précarité, de faible espérance de vie) ; l’obésité pourra au contraire faire l’objet de plus d’attention, du fait de ses effets perçus plus immédiats. Inversement, les mères qui ont un horizon temporel à plus long terme (sécurité matérielle assurée au présent) chercheront plus à se prémunir contre des risques affectant le futur [Peretti-Watel (2000)]. En termes de communication, ces résultats, attestant de la complexité des représentations alimentaires, ont plusieurs implications. La perception des risques nutritionnels est hétérogène et on peut donc s’attendre à un effet limité d’une communication générique, massive, adressée à toute la population ; il est en effet possible d’établir quatre grands profils de mères en fonction de leur perception du risque, du type de risque, selon leur corpulence et celle de leur enfant et selon leur niveau de revenu. Il semble ainsi nécessaire de « cibler » les actions en fonction des particularités de chaque groupe de la popula- 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1755 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1755 tion. Des interventions locales, avec des structures proches des réalités, permettraient leur adaptation aux contextes de vie des familles. Par ailleurs, l’approche psychométrique amène à remettre en question la nature des informations à transmettre. Celles-ci doivent être multidimensionnelles, intégrant par exemple des éléments de jugement de l’efficacité de ses pratiques alimentaires. Si les techniques psychométriques semblent bien convenir pour identifier les similarités et différences d’attitudes vis-à-vis du risque entre les groupes, le modèle se heurte à certaines limites : en décomposant le risque en attributs hiérarchisés, renvoie à l’approche microéconomique lancastérienne, selon laquelle l’Homo oeconomicus réalise son choix de biens à partir d’une décomposition consciente du bien en attributs de qualité. Or, les réponses individuelles dans des situations habituelles risquées (comme l’alimentation) sont plus le résultat d’habitudes apprises qui sont automatiques et contrôlées par la connaissance tacite que d’un travail interprétatif constant. Par ailleurs, le paradigme psychométrique fait l’hypothèse que tous les individus évaluent et acceptent le risque selon les mêmes caractéristiques universellement partagées [Marris et al. (1997)], issues des résultats d’études dans d’autres domaines de risques ou dans d’autres contextes socioculturels. Or, tels que mesurés, les attributs du risque ne reflètent probablement pas exactement ceux que les mères vietnamiennes utilisent dans leur quotidien ou ceux qui ont le plus d’importance pour elles. En somme, le modèle psychométrique ne tient pas suffisamment compte de la construction sociale et culturelle du risque. D’autres modèles, comme le modèle du comportement interpersonnel de Triandis, identifient les facteurs psychosociaux influençant le comportement des individus, en particulier les croyances normatives, les pressions ressenties et la croyance en l’existence de rôles sociaux spécifiques [Kouabénan et al. (2006), p. 259-289]. En postulant que les individus peuvent avoir un contrôle sur leur comportement (contrôle, efficacité, possibilité de réduire le risque, réversibilité), cette approche les positionne en outre dans une situation de choix délibéré et de responsabilité individuelle. Les discours maternels s’inscrivent effectivement dans ce modèle de rationalité. Or, c’est « la société moderne » qui « crée de l’obésité » [OMS (2006) 14] ; l’obésité est autant un problème d’environnement (offre alimentaire de plus en plus abondante et de mauvaise qualité nutritionnelle) que rele- 14 Conférence ministérielle européenne de l’OMS sur la lutte contre l’obésité, Istanbul, 15-18 nov. 2006. 07•Calandre 27/10/09 1756 8:00 Page 1756 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX vant d’une décision personnelle. De même que la malnutrition reflète plus le résultat d’inégalités d’accès au marché et aux systèmes de santé que d’une volonté individuelle. Si, dans les années 90, les politiques ont tenté d’intégrer les perceptions individuelles dans leur évaluation et leur gestion 15, la perception du risque est toujours vue comme un obstacle à la prise de décision rationnelle attribuable à des écarts aux normes scientifiques. Elle est un enjeu politique et sert à légitimer les interventions. Le problème reste de savoir comment modifier les comportements en intégrant des facteurs psychologiques et socioculturels sur lesquels on peut avoir une influence ; communiquer, informer l’opinion pour rendre le risque et les mesures préventives acceptables [Peretti-Watel (2000)]. L’évaluation et la gestion du risque restent construites par les seuls « experts ». Se posent donc toujours les questions du rééquilibrage des rôles des différents acteurs – scientifiques, politiques, annonceurs, industriels (etc.) et mangeurs – dans la gestion des risques, et de la remise en question de la pensée dominante d’une responsabilité avant tout d’ordre individuel. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES AJZEN I. [1985], « From Intentions to Actions: a Theory of Planned Behavior », in Action Control: from Cognition to Behavior / Kuhl J. et Beckmann J. (eds), Springer, Berlin, 286 p. (Springer Series in Social Psychology) ARROW K.J. [1965], Aspects of the Theory of Risk-Bearing, Yrjö Hahnsson Foundation, Helsinki. BELLIZZI M.C., DIETZ W.H. [1999], Workshop on childhood obesity: summary of the discussion. Am. J. Clin. Nutr., vol. 70, 1, Part 2, p. 173S-175S. CALVEZ M. [2004], La prévention du Sida : les sciences sociales et la définition des risques, Presses Universitaires de Rennes, 196 p. (Des sociétés). CAMPBELL K., WATERS E., O’MEARA S., SUMMERBELL C. [2001], « Interventions for preventing obesity in childhood. A systematic review », Obes. Rev., vol. 2, p. 149-157. CONNER M., ARMITAGE C.J. [2002], The social psychology of food. Applying social psychology, Stephen Sutton Ed., Open University Press, 175 p. DEJOY D.M. [1996], « Theoretical models of health behavior and workplace self-protective behavior », Journal of Safety Research, vol. 27, n° 2, p. 6172. 15 Exemple de la « conférence citoyenne » ou « conférence de consensus » organisée en France sur les plantes transgéniques en juin 1998. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1757 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1757 DOAK C.M., VISSCHER T.L.S., RENDERS C.M., SEIDELL J.C. [2006], « The prevention of overweight and obesity in children and adolescents: a review of interventions and programmes », Obes. Rev., vol. 7, p. 111-136. DOUGLAS M., WILDAVSKY A. [1982], Risk and culture, University of California Press, Berkeley. EDWARDS W. [1954], « The theory of decision making », Psychological Bulletin, vol. 51, p. 380-417. FIFE-SHAW C., ROWE G. [1996], « Public perceptions of everyday food hazards: A psychometric study », Risk Analysis, vol. 16, p. 487-500. FIFE-SHAW C., ROWE G. [2000], « Research note. Extending the application of the psychometric approach for assessing public perceptions of food risk: some methodological considerations », Journal of Risk Research, vol. 3, n° 2, p. 167-179. FISCHHOFF B., SLOVIC P., LICHTENSTEIN S., READ S., COMBS B. [1978], « How safe is safe enough? A psychometric study of attitudes towards technological risks and benefits », Policy Sciences, vol. 9, p. 127-152. FISHBEIN M., AJZEN I. [1975], Belief, Attitude, Intention and Behaviour: An Introduction to Theory and Research, Addison-Wesley, Reading. HANSEN J., HOLM L., FREWER L., ROBINSON P., SANDOE P. [2003], « Beyond the knowledge deficit: recent research into lay and expert attitudes to food risks », Appetite, vol. 41, n° 2, p. 111-121. KAHNEMAN D., TVERSKY A. [1972], « Subjective probability: A judgment of representativeness », Cognitive Psychology, vol. 3, p. 430-454. KAHNEMAN D., TVERSKY A. [1979], « Prospect Theory: an analysis of decision under risk », Econometrica, vol. 47, n° 2, p. 263-291. KIRK S.F.L., GREENWOOD D., CADE J.E., PEARMAN A.D. [2002], « Public perception of a range of potential food risks in the United Kingdom », Appetite, vol. 38, feb., p. 189-197. KOUABÉNAN D., CADET B., HERMAND D., MUNOZ SASTRE M.T. [2006], Psychologie du risque, De Boeck, Bruxelles. MAIRE B., DELPEUCH F. [2000], « Nutrition et alimentation en Afrique au sud du Sahara. Les défis du 21e siècle », Afrique contemporaine, vol. 195, p. 56-171. MARRIS C. [1999], « OGM : comment analyser les risques ? », Biofutur, vol. 195, déc., p. 44-47. MARRIS C., LANGFORD I.H., SAUNDERSON T., O’RIORDAN T. [1997], « Exploring the psychometric paradigm: comparisons between aggregate and individual analyses », Risk Analysis, vol. 17, n° 3, p. 303-312. MOATTI J.P., BELTZER N., DAB W. [1993], « Les modèles d’analyse des comportements à risque face à l’infection à VIH : une conception trop étroite de la rationalité », Population, n° 5, p. 1505-1534. NIN (National Institute of Nutrition) [2003], General Nutrition Survey 2000, Medical publishing house (Rapport). NIN [2004], « Situation du surpoids et de l’obésité des enfants de 7-12 ans à Hanoi – Étude des éléments concernés et évaluation des solutions utilisées », Présentation orale et Powerpoint. 07•Calandre 27/10/09 1758 8:00 Page 1758 N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX OMS (Organisation Mondiale de la Santé) [1989], Research package. Knowledge, attitudes, beliefs and practices on aids, Global program on Aids, Social and Behavioral unit. PERETTI-WATEL P. [2000], Sociologie du risque, A. Colin, 286 p. POPKIN B.M. [2004], « The nutrition transition: an overview of world patterns of change », Nutrition Reviews, vol. 62, n° 7, p. S140-143. PROCHASKA J.O., DICLEMENTE C.C. [1982], « Transtheorical therapy toward a more integrative model of change », Psychotherapy: Theory, Research and Practice, vol. 19, n° 3, p. 276-287. RAUFASTE É., HILTON D.J. [1999], « Les mécanismes de la décision face au risque », Risques, vol. 39, p. 79-86. REDMOND E.C., GRIFFITH C.J. [2003], « Consumer Food Handling in the Home: A review of food safety studies », Journal of Food Protection, vol. 66, n° 19, p. 130-161. ROGERS R.W. [1983], « Cognitive and psychological processes in fear appeals and attitude change: A revised theory of protection motivation », in Social psychophysiology / J.T. Cacioppo et R.E. Petty (eds.), Guilford Press, New York, p. 153-176. ROSENSTOCK I.M. [1974], « Historical origins of the Health Belief Model », Health Education Monographs, vol. 2, p. 328-335. SAVAGE L.J. [1954], « The Foundations of statistics », J. Wiley, New York. SJÖBERG L., MOEN B.E., RUNDMO T. [2004], Explaining risk perception. An evaluation of the psychometric paradigm in risk perception research, Trondheim, Rotunde Publikasjoner n° 84, 39 p. SLOVIC P. [1987], « Perception of risk », Science, n° 236, p. 280-285. SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1979], « Rating the risks », Environment, vol. 21, n° 3, p. 14-20, p. 36-39. SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1980], « Facts and Fears: understanding perceived risk », in Societal Risk Assessment: How Safe is Safe Enough? / R.C. Schwing et W.A. Albers (eds), Plenum Press, New York, p. 181-216. SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1981], « Perceived risk: psychological factors and social implications », in The assessment and perception of risk / F. Warner & D. H. Slater (eds), Londres, p. 17-34. SPARKS P., SHEPHERD R. [1994], « Public perceptions of the potential hazards associated with food production and food consumption: an empirical study », Risk Analysis, vol. 14, p. 799-806. TVERSKY A., KAHNEMAN D. [1974], « Judgment under uncertainty: Heuristics and biases », Science, vol. 185, p. 1124-1131. UNICEF [2004], Carences en vitamines et en minéraux, Rapport, mars. VON NEUMAN J., MORGENSTERN O. [1944], Theory of Games and Economic Behavior, Princeton University Press. WEINSTEIN N.D. [1980], « Unrealistic optimism about future life events », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 39, p. 806-820. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1759 LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS 1759 WEINSTEIN N.D. [1989], « Optimistic biases about personal risks », Science, n° 246, p. 1232-1233. WIBBERLEY C., PRICE J. [2000], « Young People’s Drug Use: facts and feelings – implications for the normalization debate », Drugs: education, prevention and policy, vol. 7, n° 2, p. 147-162. 07•Calandre 27/10/09 8:00 Page 1760 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1761 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1761-1780 L’éthique, un enjeu pour les acteurs du système alimentaire ? * Patricia Gurviez, AgroParisTech, UPSP 1401 CEPAL Lucie Sirieix, Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa La filière alimentaire est particulièrement sensible à la réduction des risques. En effet, l’aliment est ingéré par le consommateur, ce qui accroît la perception des risques. Les travaux présentés dans l’article portent sur la notion d’éthique, régulièrement mobilisée par les professionnels et par les consommateurs, et s’interrogent sur sa capacité à réduire la perception des risques alimentaires pour ces derniers. Au final, les auteurs proposent une réflexion et des recommandations pour la filière afin d’améliorer la co-construction de la gestion des risques. Food channel is particularly sensitive to risks reduction. The fact that eating means body ingestion increases risks perception. Our research deals with ethics, addressed both by professionals and consumers, as a mean to reduce food perceived risks for consumers. At the end, the authors propose recommendations for the channel to better share risk management between the different actors. * Cet article s’appuie en partie sur les résultats d’un programme AQS (Aliment Qualité Sécurité) : « La prise en compte des aspects éthiques dans la compréhension de la perception psychologique et sociale des risques alimentaires ». Les auteurs remercient les collègues qui ont contribué à ce programme. 08•Gurviez 30/10/09 1762 7:23 Page 1762 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX L’agroalimentaire représente l’un des enjeux les plus cruciaux de la compréhension des mécanismes de perception du risque, car au travers des récentes et importantes crises alimentaires, cette filière a montré combien la gestion et la communication des risques ne pouvaient se cantonner à une approche technicienne. Se pencher sur la question du risque alimentaire perçu conduit rapidement à considérer que sa mesure, fondée sur la probabilité d’occurrence et l’estimation de la gravité de ses conséquences ne suffit pas à l’appréhender totalement. Enquêtes et littérature sur le sujet incitent à définir le risque au-delà de sa dimension sanitaire [Brunel (2000)], pour prendre en compte ses dimensions sociales, psychologiques ou symboliques, afin d’aller audelà de l’apparent paradoxe de l’anxiété alimentaire : des conditions d’alimentation de plus en plus sûres mais des individus de plus en plus sensibles au risque. La question du recours au concept d’éthique pour diminuer la perception des risques liés à l’alimentation a été au centre des recherches présentées dans cet article. Les professionnels de l’agroalimentaire communiquent de plus en plus leur volonté d’avoir un comportement « éthique », au travers d’engagements vis-à-vis de leurs différentes parties prenantes. Ces préoccupations éthiques des acteurs professionnels rencontrent-elles les dimensions éthiques de la perception des risques par le consommateur ? Les conceptions en matière d’éthique des consommateurs ne sont pas encore vraiment cernées. La plupart des enquêtes des instituts d’études reprennent les grandes composantes de l’éthique telles qu’elles sont définies par les institutions ou les ONG : préservation de l’environnement et responsabilité sociale (respect des droits de l’homme, non travail des enfants, etc.). Il nous a donc semblé nécessaire de procéder à une étude exploratoire des composantes éthiques du risque alimentaire perçu, en privilégiant une méthodologie qualitative propre à faire émerger de grandes tendances à partir des données issues des différents discours. Cette recherche s’est appuyée sur une revue de la littérature s’attachant en priorité aux préoccupations des consommateurs liées au risque alimentaire et à l’éthique, présentée dans la partie 1. Nos choix méthodologiques et les résultats obtenus lors de la phase d’enquête qualitative seront présentés dans la partie II. Enfin, les résultats de l’expérimentation mise en œuvre seront présentés et discutés dans la partie III. En conclusion, nous proposerons nos réflexions et recommandations concernant les opportunités que pourrait offrir une vision rapprochée de l’éthique entre les différents acteurs de la filière agroalimentaire. 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1763 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1763 I. – LES PRÉOCCUPATIONS DES CONSOMMATEURS LIÉES AU RISQUE ALIMENTAIRE ET À L’ÉTHIQUE Le rapport des consommateurs avec leur alimentation est forcément complexe, tant manger est un acte engageant au niveau corporel (ingestion) mais aussi au niveau symbolique. I.1. Les fondements psychologiques et sociaux de la perception des risques alimentaires L’anxiété alimentaire constatée chez les consommateurs ne peut pas s’analyser sans référence au raffinement grandissant des outils permettant de repérer les risques. Ce phénomène s’accompagne d’une montée de l’inquiétude sociale au fur et à mesure que les risques sanitaires s’amenuisent. Certains parlent de « malentendu de la qualité », où le consommateur voit une confirmation et une légitimation de ses soupçons dans les déclarations de multiplication de contrôles bactériologiques censés répondre à ses inquiétudes naissantes [Cochoy (2001)]. L’affaiblissement des contraintes sociales pesant sur le mangeur (individualisme croissant s’opposant au « dogme » du système culinaire traditionnel) renforce également le contexte d’anxiété alimentaire [Poulain (2002)]. Les règles régissant l’alimentation moderne se sont considérablement assouplies, mais cette liberté nouvelle s’accompagne logiquement d’une certaine perte de repères, notamment collectifs. Ainsi les modifications des pratiques alimentaires quotidiennes, liées à la modernisation de la société, sont souvent vécues ou verbalisées comme dégradation ou déstructuration par rapport à une « bonne alimentation ». Le consommateur perplexe chercherait alors à retrouver un sens dans l’alimentation à travers des indicateurs parfois concrets mais toujours à haut potentiel symbolique : la provenance (le « mythe des origines », symbole de pureté et de simplicité), la simplicité des ingrédients « naturels » et, enfin, la morale attribuée aux acteurs qui ont participé à l’élaboration du produit. La dimension symbolique des aliments ne doit donc pas être sous-estimée, même et surtout pour des produits industrialisés. Ces apports théoriques permettent de relativiser l’apparente irrationalité de la perception des risques alimentaires par les consommateurs : celle-ci se structure dans la juxtaposition des croyances des individus quant aux modèles alimentaires, de leur situation personnelle et de leur confiance dans les compétences – techniques et éthiques – des autres acteurs de la filière agroalimentaire. 08•Gurviez 30/10/09 1764 7:23 Page 1764 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX I.2. Les préoccupations éthiques des consommateurs Au-delà des risques sanitaires, c’est donc bien toute une dimension morale ou éthique du risque qui émerge à l’occasion des crises alimentaires : à l’argument bien connu du nombre énorme de décès par accidents de la route opposé au petit nombre des victimes de l’ESB, les médias et le public opposent la transgression d’un ordre naturel qui, dans une logique de profit, a rendu les vaches cannibales : à un risque qu’ils pensent maîtriser individuellement, ils opposent un risque qu’on leur a fait prendre à leur insu. On retrouve les caractéristiques qualitatives des risques mises en évidence par Slovic (1987) pour expliquer les variations entre l’analyse des risques par les experts et les profanes. On y retrouve aussi les dimensions de l’ « éthique moderne de la nourriture » décrites par Zwart (2000). Les produits sont rejetés parce qu’ils sont contaminés, pas au sens physique mais au sens moral. Après les formes anciennes de rejet liées aux croyances et pratiques religieuses, les oppositions actuelles à certains produits tels que les OGM sont guidées par des considérations éthiques de refus de manipulation du vivant. Les consommateurs par leurs choix et la réflexivité qu’ils développent quant à leur choix affirment leur préférence pour des produits ayant « une identité morale » au-delà des qualités sanitaires et nutritionnelles. Pour autant, la littérature montre l’ambiguïté de la relation des consommateurs à l’éthique [Pontier et Sirieix (2003)]. En effet, si la dimension éthique prend de l’importance, celle-ci ne doit pas être surestimée. Verbeke et Veimer (2006) insistent ainsi sur la différence entre les consommateurs engagés, peu nombreux, qui se sentent responsables vis-à-vis de la société et les consommateurs « réflexifs » qui s’inscrivent plus dans un mouvement de société et dans une norme sociale. Les préoccupations éthiques du consommateur sont donc à considérer avec précaution : s’ils se déclarent de plus en plus concernés par les problèmes environnementaux ou sociétaux, ces préoccupations ne se répercutent pas forcément dans leurs comportements [Sirieix et Codron (2003)]. II. – ÉTHIQUE ET RISQUES ALIMENTAIRES : LES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS, DES TRANSFORMATEURS ET DES DISTRIBUTEURS L’objectif général de notre enquête auprès des acteurs du système alimentaire français nous a conduit à d’abord interroger séparément chacun des 3 groupes d’acteurs que nous avions identifiés : les 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1765 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1765 consommateurs, les distributeurs et les transformateurs, en excluant les producteurs de notre champ d’investigation. II.1. Méthodologie de l’étude auprès des consommateurs et des professionnels Le sujet des préoccupations éthiques présentant une forte désirabilité sociale, le fossé entre attitudes déclarées et comportement risque d’être particulièrement important [Hermann et al. (1998)]. Afin de minimiser ce biais, nous avons opté pour une méthodologie qualitative, fondée sur l’analyse du discours des acteurs et non pas sur un recueil de données à partir de réponses à un questionnaire. Si ce choix ne débouche pas sur des données statistiquement représentatives, il offre la possibilité, face à un domaine encore très mal défini, d’atteindre un niveau de profondeur et de richesse d’informations qui fait défaut à des techniques plus quantitatives. Nous avons procédé à l’analyse de ce discours à travers le croisement de plusieurs méthodes (analyse de contenu et analyse textuelle à l’aide du logiciel Alceste) et la mise en oeuvre du principe de saturation lors de la collecte. Nous avons d’abord effectué 45 entretiens semi-directifs et 6 entretiens de groupe avec des consommateurs profanes (Paris et province) qui ont permis de dégager plusieurs thèmes autour d’oppositions : – l’éthique opposée à la quête du profit, – l’éthique opposée à la masse et au volume (« les petits [producteurs, commerçants] » vs « les gros [industriels, distributeurs] »), – l’éthique réservée aux plus riches des consommateurs qui, seuls, ont le choix économique. Afin d’approfondir les liens entre la perception des risques alimentaires et l’éthique, nous avons ensuite réuni un premier focus group de consommateurs engagés (7 personnes recrutées pour leurs activités militantes dans le domaine de l’environnement, du commerce équitable ou de la protection des consommateurs et 4 consommateurs de produits biologiques), puis organisé deux focus groups de consommateurs « naïfs » à Paris et à Annecy, recrutés de manière à obtenir des groupes hétérogènes en termes de sexe, d’âge et de revenus. L’étude auprès des professionnels s’est articulée autour de : – deux focus groups transformateurs, – 28 entretiens semi-directifs de transformateurs, – 18 entretiens semi-directifs au sein de quatre enseignes de la grande distribution. 08•Gurviez 30/10/09 1766 7:23 Page 1766 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX La préoccupation sur le risque alimentaire apparaît comme une préoccupation transversale, présente chez l’ensemble des acteurs de la filière. Si l’analyse des responsabilités n’est pas toujours partagée, celle de la reconnaissance d’un risque ne fait de doute pour personne. II.2. Résultats : des définitions différentes du risque alimentaire pour les acteurs Deux approches complémentaires se dégagent entre les professionnels, d’une part, et les consommateurs, naïfs ou engagés, d’autre part. II.2.1. Une préoccupation dominante pour les professionnels : le risque physique Pour les professionnels, la définition du risque alimentaire passe surtout par la protection de la santé du consommateur. La préoccupation concerne des produits pouvant contenir des contaminants (physiques, chimiques, micro-biologiques) dangereux pour le consommateur. Sont mis en avant les problèmes liés au produit, à sa fabrication et provenant d’un manque de précaution. Les professionnels ont par ailleurs une vision idéalisée de justicier du risque : « Le professionnel, c’est celui qui par sa vision maîtrise son monde et livre à ses clients des produits sans risque ». II.2.2. Deux types de risque perçus par le consommateur : risque physique, risque symbolique Le discours des consommateurs est paradoxal : face à un risque reconnu comme de plus en plus faible dans l’alimentaire, le consommateur développe des peurs diffuses liées à la symbolique de l’alimentation et à l’allongement de la chaîne logistique de productionfabrication-distribution. Les arguments développés par les consommateurs sont en fait de plusieurs types, en cohérence avec la revue de la littérature : – Une visibilité croissante des risques : le consommateur voit une confirmation ou une légitimation de ses soupçons dans la déclaration des multiples contrôles bactériologiques. – Une perception différente du risque entre experts (des risques alimentaires) qui ont une approche rationnelle du risque et profanes (les consommateurs) qui ont un « contrôle social interprétatif » quelque peu différent des précédents. 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1767 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1767 – Une symbolique de l’alimentation qui repose sur la « pensée magique » du consommateur (on devient ce que l’on mange) et qui constitue une invariance de l’anxiété alimentaire. – Une chaîne logistique allongée, perçue comme opaque et potentiellement porteuse de risque. Les consommateurs – naïfs et engagés confondus – perçoivent des risques dans l’alimentation et attribuent davantage la responsabilité des risques alimentaires à la filière qu’au produit lui-même. L’analyse permet de mettre en valeur les composantes symboliques des risques perçus, et, parmi celles-ci, une composante qui interroge la compétence éthique des acteurs de la filière. En effet, selon les interviewés, dès qu’ils sont en présence d’un produit alimentaire, il y a risque. Ce risque s’accroît lorsque l’aliment est transformé par l’industrie. Mais davantage que sur les produits eux-mêmes, pour lesquels les contrôles et l’État jouent un rôle de réassurance, c’est sur la filière agroalimentaire que des inquiétudes s’expriment. La vision de la filière va en se dégradant d’amont en aval, d’un agriculteur « otage » à un distributeur dénué de valeurs morales. Les « intermédiaires » sont vivement critiqués, même si les interviewés n’arrivent pas à les identifier. II.2.3. Du risque symbolique à la perte de sens On voit ainsi émerger des risques perçus d’ordre symbolique, qui reposent sur des interrogations éthiques : – le risque que fait peser une alimentation industrialisée, standardisée, – le risque d’une perte de son autonomie. Risque d’une alimentation standardisée : Les consommateurs font preuve d’une grande méfiance envers la marchandisation, l’industrialisation et la standardisation de l’alimentation et survalorisent le « naturel » comme indicateur d’un bon aliment. « Un bon produit, c’est un produit naturel et simple » ; « il faudrait revenir aux produits que consommaient nos grand-mères ». Ils expriment donc leur attachement à des produits inscrits dans une tradition culinaire et culturelle et revendiquent la variété dans les produits agricoles cultivés, qui leur paraît menacée : « ils ont supprimé des variétés de pommes, parce qu’elles ne rapportaient pas assez ». Ce souhait de produits « authentiques » fait le succès actuel des produits du terroir, qui offrent aux consommateurs, à travers leur consom- 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1768 1768 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX mation, l’accès à des produits véhiculant du sens et du symbole. Dans la nostalgie des mangeurs s’exprime un besoin de construire -ou de renouer- un lien avec ce qui a fait le produit qu’ils ingèrent : les ingrédients et les hommes. Le produit alimentaire valorise l’identité du consommateur s’il lui permet de se sentir relié à un groupe (les producteurs, les fabricants, les petits commerçants) qu’il associe à l’esprit d’un métier bien fait, ou encore à des ingrédients « naturels ». À l’inverse, les produits industriels comme les plats préparés sont suspects, d’une part parce qu’ils se ressemblent tous, et d’autre part parce qu’ils ont perdu leur « naturalité » car « l’ajout d’étapes supplémentaires de préparation augmente la méconnaissance des produits ». Ils sont entachés d’un aspect impersonnel et standardisé dont l’ingestion risque, en vertu du principe de contagion, de précipiter symboliquement le consommateur, lui aussi, vers un aspect standardisé : la crainte d’une espèce humaine déshumanisée se profile derrière le discours des consommateurs. Le non-respect de l’autonomie de la personne : Cette crainte symbolique va de pair avec la crainte d’une restriction de la liberté de choix, évoquée sous deux aspects : – l’absence de choix, liée au nombre restreint de variétés de produits proposés par les professionnels de l’agroalimentaire, – des facteurs externes, comme la manipulation par la publicité et d’autres contraintes telles que le temps et les revenus disponibles pour exercer son choix. Pour les consommateurs, les produits proposés par les industriels sont davantage choisis en fonction de leur rentabilité que des préférences des clients : « J’ai pas envie que [mon enfant] soit formaté à manger ce que le marché économique impose, parce que c’est ce produit-là qui rapporte et pas un autre ». La diversité de l’alimentation est également considérée comme un patrimoine à léguer aux générations futures. Cependant, les consommateurs remarquent qu’eux-mêmes ne sont pas pour rien dans cette uniformisation de l’alimentation : en étant particulièrement influencés par la publicité et impliqués dans des phénomènes de mode de la consommation, ils se laissent manipuler. L’éthique peut apparaître alors comme l’une des réponses à la perception de ce risque symbolique de perte d’autonomie individuelle. Elle a un rôle à jouer dans l’industrie alimentaire, celui d’un « gardefou » incitant les industriels à « ne pas faire n’importe quoi », à se soucier avant tout de la qualité des produits qu’ils proposent. 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1769 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1769 II.3. Une filière trop opaque, mais reconnue comme gestionnaire du risque sanitaire Que ce soit les consommateurs ou les professionnels, chacun juge la filière comme particulièrement complexe et génératrice de risques non contrôlables. Les préoccupations liées à la complexité de la filière sont d’autant plus fortes qu’elles s’inscrivent dans un schéma de globalisation des marchés et d’éloignement des lieux de production et de transformation. Pour les consommateurs, la filière est décrite par un certain nombre de caractéristiques essentiellement négatives, avec des images comme celles de « victimes » (le consommateur qui a du mal à avoir l’information et l’agriculteur, soumis à la pression des transformateurs), ou encore de « loups » (le distributeur qui par sa puissance écrase les autres intervenants et le transformateur qui dicte sa loi au producteur). Les relations amont-aval sont également jugées complexes et opaques par les professionnels : – Opacité des modes de fabrication (non transparence des process). – Toute puissance des distributeurs et opacité de leurs pratiques (négociations commerciales, contraintes imposées aux fabricants ou producteurs). Cependant, les consommateurs déclarent être relativement rassurés sur le risque sanitaire. Ils sont sensibles à l’ensemble des contrôles menés par des tiers neutres tout le long de la chaîne agro-alimentaire et souvent instaurés par la filière elle-même. Ils sont rassurés par des signes forts de réassurance: les signes officiels de qualité, la provenance, la proximité du producteur ou du distributeur. – Les professionnels, quant à eux, sont depuis longtemps déjà actifs et attentifs à la protection du consommateur contre le risque alimentaire. Ils sont nombreux à citer la démarche qualité et le principe de précaution comme moyens pour éviter toute conséquence néfaste pour le consommateur. II.4. Une sensibilisation générale des acteurs à l’éthique, comme moyen de redonner du sens au produit alimentaire Une définition consensuelle émerge, à partir des verbatim des différentes catégories d’acteurs, comme le principe qui permet de « rechercher la bonne manière d’agir ou d’être face à la conscience d’un risque physique ou symbolique ». L’éthique apparaît comme un moyen de 08•Gurviez 30/10/09 1770 7:23 Page 1770 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX redonner du sens au produit pour les consommateurs. Quant aux professionnels de la filière, l’éthique leur évoque un ensemble de processus aboutissant au respect du consommateur. Elle permet de « donner du sens à l’action » en rappelant les principes moraux qui doivent la gouverner. Même si la prise en compte de l’éthique apparaît à certains comme opportuniste « On fait du business, pas de l’éthique », l’éthique n’est cependant pas sans effet : – elle renforce la crédibilité interne de l’entreprise, – elle améliore l’image de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes, – même si elle a un coût, elle rapporte puisqu’elle renforce la confiance des consommateurs. Cependant, l’éthique apparaît pour beaucoup de consommateurs et de professionnels comme un positionnement de niche. En effet, pour les acteurs interrogés, l’éthique ne suffit pas à donner une raison d’achat : donner du sens ne fait pas forcément vendre, il s’agit d’un positionnement destiné à certains mais pas au plus grand nombre, car le prix domine généralement dans les arbitrages du consommateur. Cette affirmation pessimiste sur le rôle de l’éthique dans le comportement du consommateur est surtout portée par les consommateurs euxmêmes et les responsables de magasins qui, en ce sens, rejoignent les PME, révélant, de fait, un décalage de perception entre les sièges des grosses sociétés et le terrain, entre grosses et petites structures. Apparaît alors ici un effet taille (grosse entreprise vs PME) et un effet fonction (cadre du siège vs homme de terrain). Il convient cependant de retenir que l’éthique génère pas mal de doute quant à sa prise en compte réelle dans le comportement d’achat. La mise en avant d’un décalage important entre le dire et le faire est particulièrement soulignée. Même si les consommateurs dans leur ensemble considèrent que chacun doit avoir le courage de privilégier des produits intégrants des principes éthiques, seuls les consommateurs engagés apparaissent comme étant capables de payer un surcoût pour ce type de produits. Enfin, certains facteurs ont une incidence sur l’acceptation de l’éthique par les professionnels : – le facteur taille : l’éthique c’est plutôt pour les grandes entreprises ; – le facteur fragilité économique : l’éthique peut facilement être remise en cause dans le cas où la fragilité financière est particulièrement alarmante. 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1771 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1771 Au final, les principaux apports de la phase exploratoire nous renseignent sur le fait que, sans aucun doute, l’éthique apparaît comme un moyen de maîtriser le risque alimentaire. Mais au-delà de cette convergence des points de vue, il semble que les différents acteurs n’ont pas la même approche du risque alimentaire et, en conséquence, de l’éthique en action. Les transformateurs, investis dans le maintien de la santé du consommateur, sont très sensibles à la notion de protection contre le risque physique et rattachent essentiellement l’éthique au respect des process et des règles. Les distributeurs, conscients du peu de transparence de la filière, état de fait auquel ils participent largement, envisagent l’éthique comme moyen de normaliser les relations dans la filière afin de lutter contre ce que nous avons défini comme risque symbolique, la perte de sens du produit. Le consommateur, lui, plutôt confiant dans les signes de réassurance mis en place pour prévenir les risques physiques, voit dans l’éthique un moyen de lutter contre la perte de sens du produit : « L’éthique c’est un produit qui a du sens, en liaison avec un professionnel qui exerce bien son métier et la nature qui procure les ingrédients ». III. – LES RÉACTIONS DES CONSOMMATEURS ET DES PROFESSIONNELS FACE À UNE QUESTION LIÉE À L’ÉTHIQUE En collaboration avec une entreprise agroalimentaire, nous avons pu identifier des questions d’ordre éthique adressées au service consommateurs. Nous avons alors construit des scénarios multi-acteurs comportant le descriptif d’une situation posant un problème éthique et les différents comportements envisageables pour gérer la situation [Lavorata, Nillès et Pontier (2005)]. Ceci nous a permis de confronter directement les réponses de consommateurs et de professionnels à des questions éthiques communes, afin de mettre en évidence les décalages et les similitudes de vision entre ces deux groupes d’acteurs. III.1. Méthodologie des scénarios Un scénario présente, d’une part, le contexte de la décision et, d’autre part, les différentes options qui se présentent aux décideurs. Les personnes interrogées doivent se placer en position de prendre une décision et de donner leur point de vue. 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1772 1772 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX L’étude a été menée auprès de 16 personnes travaillant dans l’entreprise partenaire et 15 consommateurs des produits de l’entreprise. Les personnes devaient pour chaque décision : 1. donner une valeur éthique à cette décision (de 1 à 5, avec 1 = décision injustifiable et 5 = décision idéale) selon ce qui leur paraissait souhaitable, en dehors de toute contrainte organisationnelle et justifier leur réponse ; 2. dire si, selon elles, il existait une autre décision possible à laquelle nous n’aurions pas pensé et, si oui, la présenter. Les professionnels devaient en plus attribuer une valeur à la décision en fonction de la probabilité que le responsable adopte ce comportement (de 1 à 5, avec 1 = décision impossible et 5 = décision qu’il va prendre sans aucun doute) et justifier leur réponse. Au total, 3 scénarios ont été utilisés ; nous ne présenterons ici qu’un scénario faisant référence à l’origine de la gélatine utilisée dans les produits de l’entreprise. III.2. Résultats obtenus Pour déterminer les priorités en termes d’éthique des consommateurs et des professionnels, nous avons analysé puis comparé les différentes décisions choisies par les professionnels et les consommateurs (tableau 1) ainsi que leurs perceptions de l’éthique sur ces problématiques, à partir des verbatim recueillis. Ces données nous permettent de comprendre comment les répondants justifient les décisions qu’ils ont prises. Les notes recueillies ont été analysées essentiellement de manière qualitative compte tenu du faible nombre de répondants. Le tableau 1 fait apparaître le texte du scénario « gélatine » ainsi que les choix proposés pour la décision conjointement aux consommateurs et aux professionnels, enfin la probabilité que cette décision soit effectivement choisie par l’entreprise (uniquement pour les professionnels). La valeur éthique, comme la probabilité de choix, est donnée par la note attribuée à chaque décision. Parmi les professionnels, la décision 1 est celle qui recueille le meilleur score. Viennent ensuite les décisions 2 et 3 puis la décision 4, globalement la plus rejetée. Pour les consommateurs, c’est d’abord la décision 2 qui est choisie, puis les décisions 1 et 3, et comme pour les professionnels, la décision 4 est rejetée. Cependant, compte tenu du faible nombre de répondants, les écarts entre les réponses 2, 1 et 3 ne sont pas vraiment significatifs. C’est également cette décision qui, 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1773 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1773 TABLEAU 1 Scénario Utilisation de gélatine : Valeur éthique des décisions Pour créer la texture de certains produits, un responsable qualité des produits laitiers frais dans une entreprise agroalimentaire, doit utiliser de la gélatine. Il doit choisir entre : – De la gélatine bovine parfaitement sûre à l’heure actuelle mais pour laquelle certains produits présentent des défauts de formulation – De la gélatine porcine que certaines communautés ne peuvent consommer pour des raisons religieuses, mais qui en revanche donne un produit fini qui présente toutes les qualités organoleptiques requises – De la gélatine de poisson qui présente un risque allergène Seule la gélatine de poisson sera mentionnée sur l’emballage dans les produits allergènes. L’origine de la gélatine n’est pas précisée, dans les 2 autres cas (toutes les mentions spécifiques propres aux restrictions alimentaires de l’ensemble des consommateurs ne peuvent être indiquées sur les emballages). Décisions 1 Le responsable qualité utilise de la gélatine bovine autant que possible et réserve la gélatine porcine aux situations dans lesquelles la formulation à partir de gélatine bovine est impossible 2 Pour ne pas léser la communauté musulmane, il décide de ne pas utiliser de gélatine porcine. Ainsi, il n’utilise que de la gélatine bovine et abandonne les produits qui nécessitent l’utilisation de gélatine porcine 3 Lorsque des contraintes technologiques empêchent l’utilisation de gélatine bovine, il utilise de la gélatine de poisson, qui de toute façon apparaît dans la liste des allergènes, ce qui lui évite de supprimer des produits de la gamme des PLF 4 Il utilise la gélatine qui offre le meilleur rapport qualité/ prix note éthique conso. professionnels probabilité entreprise De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 De 1 à 5 d’après les professionnels, a le plus de chances d’être adoptée par le responsable car elle met en avant le respect de la sécurité alimentaire. La décision 1 (gélatine bovine privilégiée et recours à la gélatine por- 08•Gurviez 30/10/09 1774 7:23 Page 1774 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX cine seulement si c’est nécessaire) pose le dilemme entre le respect des interdits religieux d’une partie de la population et la garantie de proposer des produits à la fois sains et bons. Les professionnels expriment cette tension mais, dans leur grande majorité, ajoutent un élément pour la résoudre : il « suffirait » que l’étiquetage informe clairement les consommateurs concernés par l’interdiction du porc pour que cette décision soit plébiscitée : « C’est très bien d’un point de vue de l’exigence de la qualité. D’un point de vue éthique, pour que ce soit irréprochable, il faudrait des indications sur l’emballage ». L’exigence de transparence renvoie à un engagement de vérité de l’entreprise vis-àvis de ses clients, ce qui apparaît également dans l’appréciation sur les probabilités que le responsable adopte cette position : elles sont plutôt bonnes, car la grande majorité des répondants met l’accent sur la qualité des produits et les objectifs du marketing. Les consommateurs sont partagés face à cette décision ; s’ils s’accordent sur la nécessité de respecter les consommateurs et leurs convictions, de mettre les produits à la disposition du plus grand nombre, d’assurer la qualité des produits et d’être transparent, la question de la transparence et de l’étiquetage les divise. Pour certains, « à partir du moment où c’est marqué sur l’emballage, tout est possible. Le responsable met la gélatine qu’il veut et le consommateur prend ses responsabilités » alors que d’autres s’inquiètent du manque possible d’information : « Que le produit contienne de la gélatine, même très peu, rend sa consommation impossible aux musulmans ; qu’ils n’en soient pas informés est encore plus inacceptable ! ». La décision 2 (gélatine bovine, sinon abandon de certains produits) fait l’objet de réponses très contrastées, avec des choix aux deux extrêmes mais 10 réponses sur 16 très positives. La justification de ce choix repose sur le respect de tous les consommateurs et le rappel de l’importance numérique de la communauté musulmane en France. Une tension s’exprime entre le respect d’une norme culturelle du pays (ici, la laïcité) et le respect des individus. Cette tension entraîne une estimation faible de la probabilité de choisir cette décision, pour les risques financiers qu’elle ferait courir en lésant une majorité de consommateurs privés de leurs produits (« ça m’étonnerait qu’on le fasse car ce n’est pas gérable économiquement ») à quoi s’ajoute une réprobation morale (« On n’a pas à priver les autres gens car certains ont des coutumes. Les coutumes ne doivent pas devenir la règle »). La probabilité d’adoption de la décision 2 est très faible. L’entreprise ne pourrait pas supporter financièrement la suppression de produits de leur gamme ; à cela s’ajoutent des remarques sur le fait que l’entreprise 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1775 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1775 ne peut pas prendre le parti de favoriser une communauté au détriment du reste de la population. Sur la décision 2, les perceptions des consommateurs sont assez proches de celles des professionnels ; toutefois, contrairement aux remarques des professionnels rejetant une décision jugée trop communautariste, la majorité considère que cette décision permet de respecter les convictions religieuses de certaines communautés. Cependant, cette décision est jugée parfois trop radicale et susceptible de léser le reste des consommateurs (« On n’est pas obligé d’aller aussi loin... ». « Les convictions priment alors sur la santé de toute la population »). La décision 3 (gélatine bovine et gélatine de poisson) recueille également des réponses très mitigées. La tension entre la responsabilité individuelle des consommateurs éventuellement concernés et la responsabilité de l’entreprise est très fortement ressentie et justifie les choix extrêmes, selon l’angle privilégié par les répondants. Ainsi, cette décision peut être perçue comme éthique, parce qu’elle informe et que c’est donc au consommateur de prendre ses responsabilités (« Cette décision est préférable au niveau du consommateur parce que le responsable tend à n’utiliser que de la gélatine bovine et que le consommateur allergique fera attention. ». Au contraire, cette même tension conduit à rejeter cette décision (« Je préfère la gélatine porcine parce que, même si c’est écrit, les problèmes d’allergies viennent très vite »). L’éthique est très souvent requise pour justifier la faible probabilité d’adoption à la fois par le risque santé mais aussi par le risque pour l’image de marque, d’autant plus que « le respect des allergiques est un engagement stratégique de l’entreprise ». L’éthique et les affaires se rejoignent : « C’est trop risqué. C’est une catastrophe pour l’image de marque ». Les consommateurs interrogés sont également partagés sur la décision 3. Alors que certains estiment que cette décision, « claire » et « transparente » en raison de l’étiquetage, permet de respecter tous les consommateurs quelles que soient leurs convictions alimentaires ou leurs allergies, d’autres considèrent qu’il est injustifiable voire immoral de prendre un tel risque santé en toute connaissance de cause : « Si c’est marqué en gros c’est bon mais il y a un danger si on n’est pas bien renseigné. C’est idiot d’attraper quelque chose de grave à cause d’un yaourt ». La décision 4 mettait en jeu le dilemme entre éthique et recherche du profit. C’est la plus rejetée à la fois dans sa valeur éthique et dans sa probabilité d’être adoptée. Globalement, elle est jugée incomplète voire amorale et ne plaît pas du tout : « ça veut dire que je me moque 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1776 1776 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX du consommateur ». Comme les professionnels, les consommateurs blâment le manque de considérations éthiques dans la décision 4. Si deux consommateurs reconnaissent que le rapport qualité-prix est important, tous les autres condamnent un responsable qui ne prend en compte que des considérations économiques, n’est pas attentif aux attentes des consommateurs et ne répond pas à ses devoirs : « Ils ne prennent pas en compte les consommateurs et les prennent pour des machines à acheter ». III.2.2. Décision idéale selon les consommateurs et les professionnels Nous avons enfin demandé aux consommateurs et aux professionnels de définir eux-mêmes la décision qu’ils estiment idéale. TABLEAU 2 Décision idéale selon les consommateurs et les professionnels Décision idéale selon les consommateurs Scénario : – utiliser des substituts chimiques ou végétaux (déveGélatine lopper la recherche sur de nouveaux procédés) – étiqueter toutes les gélatines et en particulier la gélatine de porc, pour que le consommateur sache ce qu’il mange et qu’il puisse choisir – développer une stratégie d’information sur les risques et les avantages de la gélatine : il faut une information claire de la part des grandes entreprises, sans quoi le consommateur les suspecte. selon les professionnels Assurer – La transparence avec un étiquetage de la gélatine porcine – Le respect des communautés – La recherche de solution pour écarter les problèmes liés aux restrictions alimentaires des consommateurs (convictions religieuses, allergies) en créant par exemple une gamme de produits destinés à la communauté musulmane ou encore en abandonnant les gélatines (animales) au profit de gélifiants (végétaux) De façon un peu surprenante, les professionnels mettent cependant plus l’accent sur les qualités d’une décision idéale, alors que les consommateurs proposent plus de solutions concrètes. Au final, les perceptions éthiques des professionnels et des consommateurs sont globalement assez proches. Consommateurs et professionnels mettent en avant la nécessité de respecter le consommateur (convictions religieuses et restrictions alimentaires liées aux allergies) 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1777 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1777 tout en mettant sur le marché des produits destinés au plus grand nombre, de produire des aliments sûrs et bons, enfin d’être clair et transparent. Les professionnels semblent avoir une vision très proche de celle émise par les professionnels de la première étude : l’éthique est liée aux affaires par l’amélioration de l’image de marque et de la confiance des consommateurs ; le risque sanitaire est vu comme plus important que le risque symbolique (« avec la gélatine porcine, le produit reste consommable et bon »). Les consommateurs s’attachent surtout à l’honnêteté de la réponse : ils détestent le mensonge et estiment que, lorsqu’il le peut, le responsable doit assumer ses responsabilités et se donner les moyens de répondre au consommateur. Si un certain consensus apparaît donc sur l’éthique comme valeur, des divergences apparaissent entre consommateurs et professionnels quant à sa traduction concrète dans la gestion de la filière agro-alimentaire. CONCLUSION Un des points importants soulevés par notre recherche concerne la définition et la mise en œuvre de ce que pourrait être l’éthique dans la filière agroalimentaire. Il y a, chez les consommateurs rencontrés, une attirance certaine pour l’éthique, comme un recours face à la perte de sens qu’ils ressentent dans leurs pratiques de consommation. Cette demande d’éthique découle de la grande sensibilité des interviewés à un dilemme, perçu fortement, entre la recherche du profit et le bien commun. Les risques qui préoccupent le plus les consommateurs ont un caractère plus symbolique que tangible : risques mal identifiés à l’instar des OGM, et surtout risques symboliques qui pourraient altérer l’autonomie de choix du consommateur et son identité, tels que le non respect des pratiques religieuses mis en évidence dans l’expérimentation par scénario. Les consommateurs aspirent donc à un développement de l’éthique pour réduire ces risques, mais cela leur paraît difficile car en opposition avec la loi d’airain du « tout profit ». En même temps, ils expriment leur crainte d’une « alimentation à deux vitesses », l’une, éthique, étant réservée à ceux qui pourront en payer le prix. Quant à leur propre comportement éthique, les consommateurs reconnaissent qu’il s’agit d’un idéal de comportement qu’ils ne mettent pas souvent en application, tant il paraît réservé à des individus particulièrement militants. Une majorité des personnes interrogées se considèrent comme « victimisées », sans grand pouvoir d’action et 08•Gurviez 30/10/09 1778 7:23 Page 1778 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX donc sans responsabilité dans les éventuelles dérives non éthiques de la filière. En conclusion, ce qu’attendent avant tout les consommateurs de l’éthique (des autres), c’est une disposition : « fabriquer [des produits alimentaires] comme si c’était pour soi. » Les transformateurs interrogés mettent en avant le lien entre éthique et maîtrise des risques sanitaires. L’éthique passe par le respect de la réglementation et va au-delà (principe de précaution), elle est liée à la responsabilité vis-à-vis des consommateurs pour se prémunir contre un risque non identifié. Alors que les consommateurs insistent sur l’éthique comme disposition d’esprit, les transformateurs privilégient donc un dispositif reposant fortement sur la formalisation des process. Les distributeurs interrogés mettent en avant moins le processus de formalisation technique que des règles de pratique et voient l’éthique comme outil d’arbitrage face aux comportements des acteurs de la filière. Enfin, tous les professionnels mettent l’accent sur le nécessaire consentement des consommateurs à payer plus pour des produits plus éthiques... alors que les consommateurs, dans leur majorité, n’ont pas exprimé ce consentement à payer plus. Les représentations sont donc sensiblement différentes chez les acteurs de la filière agroalimentaire. Certes, le concept d’éthique est pertinent pour les IAA car il semble pouvoir être l’un des éléments susceptibles de peser sur la réduction de la perception des risques. Néanmoins, nous avons observé un déficit d’adéquation entre les attentes des consommateurs quant à l’attention à porter aux risques symboliques des produits alimentaires et les réponses de la plupart des entreprises, beaucoup plus orientées vers l’information sur les attributs tangibles des produits et sur la formalisation de règles comme garantie de la sécurité alimentaire. Cet écart rend problématique l’appropriation par la majorité des consommateurs du processus engagé par les entreprises vers un développement durable. Ce concept est sans doute plus porteur de sens pour les entreprises que pour les consommateurs en l’état actuel des représentations exprimées par chacun des groupes. Il y a là un risque de conflit qu’il conviendrait d’anticiper. Si les consommateurs sont relativement conscients des efforts des professionnels pour garantir l’aspect sain des produits de la filière, les entreprises sont perçues comme peu transparentes et il existe des suspicions de manipulation de leur part. En outre, les consommateurs développent une attitude de « victimisation » qui les déresponsabilise : se considérant comme sans pouvoir dans la régulation de la filière 08•Gurviez 30/10/09 7:23 Page 1779 ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE 1779 (sauf pour la minorité militante qui s’exprime), ils adoptent des positions qu’on peut qualifier de déception silencieuse [Hirschmann (1995)]. Cette situation est potentiellement dangereuse pour les entreprises car elle n’offre pas de possibilité d’entendre les craintes des consommateurs ni de mobiliser leur parole pour co-construire avec eux la gestion des risques de la filière. Le processus passe sans doute par une plus grande cohérence entre les discours aux parties prenantes ; le consommateur est aussi un citoyen, un salarié, voire un actionnaire. Les discours qui lui sont adressés sont-ils cohérents ? C’est dans les entreprises qu’il faut commencer par donner du sens au produit car les salariés sont les premiers acteurs concernés par ce processus. Les consommateurs prêts à prendre la parole, même s’ils sont minoritaires, peuvent être aussi des acteurs susceptibles de coopérer pour bâtir un réseau participatif. Enfin, il nous semble important de transformer ce qui pourrait rester comme une injonction d’éthique à un niveau global et managérial en une concrétisation dans une action locale et impliquante, alors que l’éthique et plus généralement le développement durable se décrètent bien souvent top-down. La aussi, la cohérence entre les actions et les discours vis-à-vis de tous les acteurs de la filière reste primordiale. Les consommateurs pourraient être enclins à mieux accepter la reconnaissance assumée d’une responsabilité vis-à-vis des risques de la part des entreprises. Les dispositifs de communication sont une pièce importante dans ce processus : il s’agit, pour les entreprises, de faire comprendre ce qu’elles et leurs produits ou services apportent et de ne pas paraître l’imposer. Pour terminer, les résultats de notre recherche sont limités par le principe même de l’utilisation de méthodes qualitatives et ne sauraient donc prétendre à la généralisation. Ces résultats indicatifs nécessiteraient d’être validés par des réplications sur de plus vastes échantillons, voire par le passage à des méthodes quantitatives. De plus, le thème étudié prête le flan au biais de désirabilité sociale qui influence les répondants, notamment en situation de groupe. Ceci accentue encore l’écart probable entre le déclaratif et l’observé, la représentation et le comportement. Cependant, le lien entre éthique et perception des risques semble clairement posé par l’ensemble des données recueillies. 08•Gurviez 30/10/09 1780 7:23 Page 1780 P. GURVIEZ, L. SIRIEIX RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BRUNEL O. [2000], « La perception du risque alimentaire, pour une vision interdisciplinaire du mangeur », Actes du 1er atelier Percevoir, identifier et gérer les risques en marketing, ateliers de recherche Université Paris1, juin, p. 185-196. COCHOY F. [2001], « Les effets d’un trop-plein de traçabilité », La recherche, n° 339, p. 66-68. HERMANN R., STERNGOLD A., WARLAND R. [1998], « Comparing Alternative question Forms for Assessing Consumer Concerns », The Journal of Consumer Affairs, n° 32, p. 13-29. LAVORATA L., NILLES J.J., PONTIER S. [2005], « La méthode des scénarios : une méthode qualitative innovante pour le marketing. Application au comportement éthique du vendeur en B to B », Décisions Marketing, n° 37, janv.mars, p. 67-75. POULAIN J.P. [2002], Manger aujourd’hui : attitudes, normes et pratiques, Privat, Toulouse. PONTIER S., SIRIEIX L. [2003], « Les préoccupations éthiques des consommateurs et leur expression dans la consommation de produits biologiques », Actes du 19e Congrès de l’Association Française de Marketing, Tunis, p. 60-74. SIRIEIX L., CODRON J.M. [2003] « Environmental and ethical consumers’ concerns for food products », Association for Consumer Research Conference, 9-12 Oct., Toronto, in B.E. Kahn and M.F. Luce (eds), Advances in Consumer Research, vol. 31. VERMEIR I., VERBEKE W. [2006], « Sustainable food consumption among young adults in Belgium: Theory of planned behavior and the role of confidence and values », Biotechnologies, Agronomy, Society and Environment, 10 [3], p. 237-249. ZWART H. [2000], « A Short Story of Food Ethics », Journal of Agriculture and Environmental Ethics, 12, p. 113-126. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1781 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1781-1800 Le vendredi soir au restaurant avec des amis : sentiments de justice et impacts sur l’évaluation du service Béatrice Siadou-Martin, Philippe Aurier Université Montpellier 2, CR2M Dans une expérimentation scénarisée (repas au restaurant), nous manipulons les trois composantes de la justice (distributive, procédurale, interactionnelle) afin d’étudier leurs impacts sur le processus d’évaluation d’une expérience de service (qualité, valeur et satisfaction). Grâce à ce dispositif, nous observons des impacts directs sur la qualité, la valeur et la satisfaction, les effets les plus forts concernant la qualité perçue et non la satisfaction, contrairement aux résultats antérieurs. La quasi-absence d’effets d’interactions suggère aussi des effets simplement additifs. Thanks to a screenplay in an experiment (dinner at the restaurant), we manipulate distributive, procedural and interactional justice perceptions to study their impact on service experience evaluation (quality, value, satisfaction). On this basis, we establish direct impacts of justice on quality, value and satisfaction. The most important effects concern perceived quality and not satisfaction, contrary to the literature. The very limited impacts of interactions between components of justice characterize additive effects. 09•Siadou-Martin 27/10/09 1782 8:04 Page 1782 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER INTRODUCTION Représentant 33 milliards d’euros et plus de 150 000 entreprises 1, la restauration traditionnelle ne bénéficiera de la croissance de la consommation hors foyer qu’en répondant aux inquiétudes des consommateurs. Prix jugés trop élevés (50 %), rythme et qualité du service (24 %), préoccupations nutritionnelles (23 %) 2 sont les trois principales raisons qui la freinent. Par ailleurs, selon le baromètre des plaintes des consommateurs instauré par la DGCCRF 3 4, le secteur « hôtellerie, restauration, tourisme » appartient aux 12 secteurs d’activité concentrant le plus de réclamations (5,5 % des 65 624 réclamations reçues au second semestre 2007). Celles-ci concernent principalement, tous secteurs confondus, l’inexécution de la prestation (totale ou partielle, 15 %), la publicité mensongère (8 %), les problèmes de livraison (7 %), les problèmes de facturation (contestation du prix, 6 %). En conséquence, la recherche d’un équilibre entre partenaires commerciaux est liée au résultat obtenu (prix payé, qualité obtenue... au regard d’autres possibilités), aux politiques commerciales des entreprises et aux interactions sociales entre personnel et clients. Ainsi, la justice perçue ou le « fair-play » commercial permet la poursuite des relations en conciliant les notions de réciprocité, de comparaisons interpersonnelles et de processus relationnels ; et ce d’autant plus dans les services, de par leur intangibilité, l’interaction clientemployé et l’imprévisibilité de leur performance [Berry et al. (1994)]. La littérature conceptualise la justice à travers trois composantes – le résultat de l’échange ou justice distributive, les procédures ou justice procédurale et les interactions interpersonnelles ou justice interpersonnelle – et suggère deux résultats essentiels. D’une part, la justice semble un antécédent majeur de la satisfaction, comme le processus de disconfirmation des attentes [Martinez-Tur et al. (2006)] et par suite de la fidélité [Clemmer (1993) ; Holbrook et Kulik (2001)]. D’autre part, une gestion « juste » des réclamations conduit le consommateur à 1 Source : INSEE, Enquête annuelle d’entreprise 2004. Données issues du rapport « Innover, créer, faire rêver : les défis de l’hôtellerie-restauration » / Thierry Costes avec le concours du Centre d’analyse stratégique, La documentation française, 2007. 2 Étude qualitative du Gira Sic Conseil : entretiens semi-directifs de 635 personnes représentatives de la population française âgées de 15 ans et plus. Résultats issus de l’article « L’avenir est aux repas confort et plaisir », L’Hôtellerie-Restauration, 10 avril 2008. 3 Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. 4 Données issues du site du Ministère de l’Économie, des finances et de l’emploi. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1783 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1783 adopter à l’égard de l’entreprise des comportements favorables tels que le ré-achat ou la recommandation et à se détourner des comportements défavorables comme le bouche-à-oreille négatif ou la réclamation. Notre revue de littérature souligne néanmoins trois limites auxquelles cet article propose de contribuer. Tout d’abord, l’essentiel des travaux se focalise sur la gestion des plaintes dans lesquelles le rôle de la satisfaction est central [Martinez-Tur et al. (2006)]. Nous nous centrerons ici sur l’expérience de consommation, situation de référence, bien plus courante et fréquente et dans laquelle l’attente de justice devrait être aussi prégnante. Par ailleurs, certaines recherches n’intègrent pas les trois composantes de la justice (distributive, procédurale et interactionnelle), rendant possible la confusion, au plan statistique, de leurs impacts respectifs. Enfin, bien que la littérature ait souligné la nécessité d’appréhender l’évaluation des services en termes de processus et d’intégrer les concepts de qualité perçue, valeur et satisfaction [Cronin et al. (2000)], aucune recherche, à notre connaissance, n’intègre et étudie simultanément l’impact de la justice sur l’évaluation de service considérée dans sa globalité, à savoir la qualité perçue (ellemême décomposée en trois composantes), la valeur et la satisfaction. Cet article souhaite ainsi contribuer à l’analyse du rôle du sentiment d’injustice ressenti par les clients dans le cadre de leurs expériences de consommation courantes, en étudiant l’impact de ses trois composantes (distributive, procédurale, interactionnelle) sur le processus d’évaluation d’un service appréhendé par ses trois composantes majeures : qualité perçue, valeur et satisfaction. I. – FONDEMENTS THÉORIQUES Les recherches en marketing considèrent les aspects distributifs, procéduraux et interactionnels pour former leurs perceptions de justice aussi bien dans la récupération de service [Blodgett et al. (1997) ; Sabadie et al. (2006) ; Sparks et McColl-Kennedy (2001) ; Tax et al. (1998)] que dans l’expérience de consommation [Clemmer (1993)]. La justice distributive s’intéresse au résultat obtenu [Adams (1963)]. Si plusieurs critères de justice distributive (égalité, besoins des individus) ont été proposés, l’équité demeure prépondérante en gestion. Elle définit un processus en deux phases : élaboration du ratio contributions/rétributions, comparaison au ratio d’autrui. La justice procédurale concerne les moyens utilisés pour atteindre ce résultat (politiques, procédures et critères de distribution). Ainsi, les 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1784 1784 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER individus accepteraient plus facilement une décision de justice défavorable suite à une procédure juste [Thibaut et Walker (1978)], c’est-àdire cohérente, sans biais, bien documentée, impartiale et éthique [Leventhal (1976)]. Bies et Moag (1986) proposent d’étudier les aspects humains et sociaux présents dans tout processus via la justice interactionnelle : « la qualité du traitement interpersonnel que les individus reçoivent durant la mise en œuvre des procédures organisationnelles ». À ce stade, étudier l’impact de (in)justice ressentie lors d’une expérience de service apparaît nécessaire pour mieux comprendre le processus d’évaluation. Par ailleurs, certains aspects de ces dimensions ont reçu une attention particulière : comme la réactivité et la flexibilité d’une entreprise dans la gestion des réclamations, la qualité de l’interaction clients-vendeurs, etc. II. – MODÈLE THÉORIQUE ET HYPOTHÈSES Cet article étudie l’impact de la justice perçue sur l’évaluation d’une expérience de service (figure 1). En s’appuyant sur une synthèse des recherches sur les services et sur une étude menée dans six secteurs d’activité, Cronin et al. (2000) soulignent la nécessité de considérer simultanément les trois composantes de l’évaluation d’une service (qualité perçue, valeur et satisfaction). De plus, les deux principaux déterminants de la satisfaction sont la qualité (directement et indirectement via la valeur) et la valeur. Ces concepts étant largement débattus dans la littérature, l’encadré ci-dessous les présente succinctement. Comment un consommateur évalue-t-il une expérience de consommation ? Qualité, valeur et satisfaction sont indissociables de l’expérience de consommation et s’appuient sur la perception du consommateur. La qualité perçue représente « le jugement par le consommateur de l’excellence ou de la supériorité globale du produit », notamment par rapport aux attentes du client [Zeithaml (1988)]. Dans les services, la qualité perçue est couramment décomposée en 1) qualité du résultat (qualité technique, « cœur » de service), 2) qualité de l’interaction (qualité fonctionnelle) qui caractérise la manière dont le cœur de service est délivré et notamment l’interaction physique entre client et personnel en contact et enfin, 3) qualité de l’environnement dans lequel a lieu l’interaction de service [Brady et Cronin (2001) ; Rust et Oliver (1994)]. Ainsi, la qualité perçue du restaurant sera 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1785 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1785 appréhendée respectivement sur la base de la qualité du repas servi, de l’interaction avec le personnel en salle et, enfin, de l’atmosphère générale régnant dans la salle. La valeur perçue évalue globalement l’utilité d’un produit à partir des perceptions des bénéfices reçus lors de l’expérience de consommation (bénéfices fonctionnels, sociaux, hédonistes) et des ressources engagées (prix payé, efforts, temps passé) [Zeithaml (1988)]. Au restaurant, la valeur est donc un calcul d’utilité entre les bénéfices du plaisir de déguster les plats ou de passer du temps avec ses amis et les sacrifices consentis, tels que le risque perçu, le prix, l’énergie consacrée, etc. La satisfaction décrit l’état du consommateur résultant de son évaluation de l’expérience de consommation, en référence à un standard d’attentes basé sur le passé, l’équitable, le minimum acceptable ou l’idéal [Évrard (1993)]. Un client satisfait est ainsi plus fidèle, même en cas de hausses des prix, intensifie ses relations d’affaires avec l’entreprise, utilise de nouveaux produits ou services et recommande l’entreprise autour de lui. Les relations entre qualité-valeur et satisfaction, non formulées en hypothèses mais intégrées à notre modèle, nous assurent de sa validité nomologique (figure 1). Qualité Justice Justice interaction. H1d Qualité interacti H1c Justice procédurale H1b Qualité résultat H1a Qualité environn Justice distributive H2a,b,c Valeur H3a,b,c FIGURE 1 Modèle général de la recherche Satis faction 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 1786 Page 1786 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER II.1. Justice et qualité Peu étudiée en marketing, la justice est néanmoins un important déterminant de la qualité de service [Andaleeb et Basu (1994)]. Sabadie et al. (2006) suggèrent que la justice distributive permettrait aux consommateurs de se forger une idée quant à l’exactitude et l’excellence du cœur de service ou qualité du résultat. La justice procédurale donne une place importante à la notion de processus. Les organisations établissent des principes formels garantissant un traitement « juste » entre clients et fournisseurs et illustrant la flexibilité, l’adaptabilité et la rapidité de l’entreprise. Ces critères sont des antécédents du cœur de service [Bitner et al. (1990) ; Berry et al. (1994)]. Par ailleurs, les travaux en marketing des services, avec notamment le développement de l’échelle de qualité du service SERVQUAL [Parasuraman et al. (1988)], montrent que les procédures de l’entreprise et le comportement du personnel en contact (empathie) sont des antécédents essentiels de la qualité fonctionnelle. Nous proposons donc : H1(a.b.) Les composantes distributive (a) et procédurale (b) de la justice ont un impact direct positif sur la qualité du résultat. H1(c.d.) Les composantes procédurale (c) et interactionnelle (d) de la justice ont un impact direct positif sur la qualité de l’interaction. En revanche, notre analyse théorique ne permet pas de justifier un lien causal entre justice interactionnelle et qualité du résultat ou entre justice distributive et qualité de l’interaction. De même, la qualité de l’environnement (atmosphère de l’expérience de service) apparaît indépendante des composantes de la justice. Nous postulons donc des absences de lien. II.2. Justice et valeur Valeur et justice distributive s’appuient sur la construction individuelle d’un ratio, respectivement bénéfices/sacrifices et contributions/rétributions. Néanmoins, la justice distributive introduit la comparaison à des référents. Oliver et Swan (1989) ont cependant conclu que les acheteurs se servent de l’équité pour évaluer leurs expériences de consommation et la qualité de la relation entretenue avec les vendeurs. La justice distributive semble donc ici un déterminant logique de la valeur globale perçue par les consommateurs. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1787 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1787 La gestion des délais ou du temps d’attente et l’adaptation à des demandes particulières du client sont aussi des sources de valorisation d’une expérience de service. La justice procédurale, en amenant les consommateurs à inférer des jugements quant aux procédés et procédures établis par l’entreprise, influencerait la valeur perçue. Enfin, les bénéfices sociaux étant une composante essentielle de la valorisation d’une expérience de consommation, nous nous attendons aussi à un impact de la justice interactionnelle sur la valeur. Ainsi, nous proposons : H2(a.b.c.) Les composantes distributive (a), procédurale (b) et interactionnelle (c) de la justice ont un impact direct positif sur la valeur globale perçue. II.3. Justice et satisfaction Bien que Sabadie et al. (2006) proposent des effets asymétriques de la justice sur la satisfaction et l’insatisfaction, la justice semble influencer la satisfaction éprouvée envers le personnel en contact ou envers l’organisation [Blodgett et al. (1997) ; Clemmer (1993) ; Hocutt et al. (1997)] dans l’expérience de consommation ou de réclamation. Nous pouvons citer les travaux de Hocutt et al. (1997) ainsi que ceux de Tax et al. (1998) pour la justice distributive. De même, la satisfaction serait aussi influencée par la justice procédurale, considérée globalement [Blodgett et al. (1997)] ou via certains aspects comme l’attente [Taylor (1994)], la rapidité de résolution d’un incident [Gilly et Gelb (1982)]. La justice interactionnelle, dérivée notamment de la communication entre clients-employés, influence la satisfaction [Clemmer (1993) ; Blodgett et al. (1997) ; Hocutt et al. (1995)]. Nous proposons donc : H3(a.b.c.) Les composantes distributive (a), procédurale (b) et interactionnelle (c) de la justice ont un impact direct positif sur la satisfaction vis-à-vis de l’expérience de service. III. – MÉTHODOLOGIE Après avoir détaillé l’expérimentation scénarisée, nous détaillons la collecte des données et les outils de mesure utilisés. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1788 1788 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER III.1. Une expérimentation scénarisée L’expérimentation offre à évaluer une expérience de service fictive : un repas festif et socialisé, le vendredi soir entre amis, dans un restaurant traditionnel. La méthode des scénarios fictifs permet de contrôler les facteurs manipulés, de minimiser les effets de désirabilité sociale et présente une bonne validité externe [Bendapudi et Leone (2003)]. Pour construire les scénarios, nous avons fixé le cadre spatio-temporel et choisi une situation impliquante : « c’est vous qui avez organisé la sortie et vous avez choisi un restaurant... ». Ensuite, nous avons consulté les sites Internet où les consommateurs laissent leur opinion sur des restaurants. Enfin, les scénarios ont été soumis plusieurs fois et successivement à des consommateurs et à des experts. Chaque composante de la justice (distributive, procédurale, interactionnelle) est manipulée selon deux niveaux (juste/injuste), au sein d’un plan factoriel complet comprenant 2 x 2 x 2 = 8 situations expérimentales. Dans chaque scénario, la qualité du résultat (les mets et leur préparation) et la qualité de l’environnement (atmosphère) sont maintenues constantes et d’un niveau élevé pour limiter les effets de halo possibles entre justice et qualité. Une question filtre dans laquelle les répondants déclaraient avoir vécu une expérience similaire dans les 6 mois précédents débutait le questionnaire. Suivait le scénario : un texte et deux photographies présentant un restaurant traditionnel. Chaque répondant était affecté, aléatoirement, à l’évaluation d’un seul scénario. Puis étaient mesurées la justice, l’évaluation de service et les caractéristiques sociodémographiques. III.2. Collecte des données Un pré-test mené sur un échantillon de convenance (188 étudiants) garantit l’efficacité des manipulations et la qualité des outils de mesure. Sur 2 200 questionnaires administrés en suivant la méthode des collecteurs de données, 945 ont été récupérés et 878 étaient exploitables ; soit un taux de réponse effectif proche de 40 %. Pour limiter les biais de sélection, le plan de collecte a été orthogonalisé selon le type de scénario, l’âge, le sexe du répondant, et les collecteurs de données. L’échantillon est composé de 396 hommes et 482 femmes. Les analyses statistiques (tests de Chi-deux) menées a posteriori ne montrent aucune différence significative entre les groupes au niveau du sexe, de l’âge, du niveau d’étude, de l’activité professionnelle, du collecteur de données. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1789 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1789 III.3. Développement des mesures Les mesures des trois composantes de la qualité perçue sont adaptées des travaux de Grönroos (1993), Rust et Oliver (1994), Brady et Cronin (2001). La valeur correspond au ratio entre les bénéfices retirés et les sacrifices consentis [Zeithaml (1988)]. Nous avons adapté l’échelle de satisfaction proposée par Oliver (1980). Toutes les échelles, présentées en annexe 1, sont constituées d’items au format Likert à 5 degrés. Le pré-test a conduit à une première épuration des construits. Les analyses factorielles confirmatoires menées sur l’échantillon final (878 participants) comprennent des analyses des construits pris isolément, puis deux à deux, etc. et finalement tous les cinq simultanément, ceci en suivant la procédure développée par Anderson et al. (1987). La qualité d’ajustement du modèle de mesure final à cinq construits est satisfaisante (AGFI = 0,915 ; RMSEA = 0,064 [0,058 ; 0,069] ; SRMR = 0,045 ; CFI = 0,967), démontrant ainsi l’unidimensionnalité des construits. Sur ces bases, nous observons que les construits montrent de bonnes qualités psychométriques (tableau 1) et un bon degré de validité convergente et discriminante. Ainsi, les coefficients de fiabilité composite (similaires au coefficient alpha de Cronbach) sont compris entre 0,57et 0,83, les indicateurs de variance moyenne extraite (Rho de Joreskög) sont égaux ou supérieurs à 0.80 (validité convergente) et les racines carrées de ces indicateurs sont toutes supérieures aux corrélations interconstruits correspondantes (validité discriminante). TABLEAU 1 Corrélations et qualités psychométriques des construits (CFA à 5 facteurs) En diagonale : coefficient de fiabilité / Rhô de Joreskög / Variance partagée Qualité interaction 3 items Qualité environ. 3 items Qualité résultat 2 items Valeur 4 items Qualité 0,93 /0,93 / 0,278 0,197 0,521 interaction 0,83 Qualité 0,79 / 0,80 / 0,633 0,430 environnement 0,57 Qualité résultat 0,88 / 0,89 / 0,415 0,80 Valeur 0,91 / 0,91 / 0,73 Satisfaction - Satisfaction 5 items 0,609 0,397 0,408 0,798 0,92 / 0,92 / 0,71 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1790 1790 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER III.4. Vérification de la qualité du dispositif expérimental Les justices distributive, procédurale et interactionnelle, manipulées dans les scénarios sont mesurées pour vérifier le succès des manipulations. Les tests de différences de moyenne sur les scores de ces construits sont significatifs pour les justices distributive (t = – 16,49 ; ddl = 876 ; p = 0,000), procédurale (t = – 17,24 ; ddl = 876 ; p = 0,000) et interactionnelle (t = – 25,92 ; ddl = 876 ; p = 0,000). Nous concluons ainsi à l’efficacité de nos manipulations. De plus, l’examen des scores moyens des construits de qualité, valeur et satisfaction montre que la situation expérimentale dans laquelle les trois composantes manipulées sont « justes » (donc le « meilleur » des scénarios) est significativement la mieux évaluée. En revanche, dans le « pire » des scénarios (trois composantes « injustes »), l’évaluation est la moins favorable. Par ailleurs, nous avons évalué la vraisemblance perçue des scénarios (2 items, 5 degrés). Les moyennes du construit varient entre 3,93 et 4,10. Nous avons également évalué l’imagerie mentale (3 items, 5 degrés) adaptée de l’échelle de Lacher et Mizerski (1995). Les moyennes du construit variant entre 3,60 et 3,82. Les scénarios sont crédibles et permettent d’imaginer raisonnablement la scène décrite. Le dispositif expérimental exige des répondants de se projeter dans les situations décrites. L’imagerie mentale apprécie le pouvoir évocateur du scénario à travers la réaction imaginative des répondants, c’est-à-dire les images, les souvenirs, les situations passées que le stimulus suggère dans la mémoire du répondant. IV. – RÉSULTATS ET DISCUSSION Nous exposons la méthode statistique utilisée et les relations qualité-valeur-satisfaction, puis commentons les effets de la justice sur ces trois concepts. IV.1. Spécification du modèle Le modèle a été testé grâce à une analyse de covariance, en suivant une procédure hiérarchique en trois étapes. Premièrement, nous avons successivement modélisé chaque composante de la qualité perçue en fonction de six facteurs fixes, les trois facteurs de justice manipulés (distributive, procédurale, interactionnelle ; codés juste/injuste) ainsi que leurs trois interactions d’ordre 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1791 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1791 deux. Nous avons également intégré des facteurs de contrôle : les caractéristiques individuelles des participants (sexe, âge) et les construits caractérisant la relation cumulée avec la catégorie d’expérience étudiée (repas au restaurant le soir entre amis) : familiarité, implication, expertise, et macro-justice cumulée. Cette dernière caractérise le secteur d’activité dans son ensemble – ici la restauration traditionnelle (3 items) – et émane du cumul des expériences du participant. Elle a été caractérisée dans le domaine de l’équité des prix [Bolton et al. (2003)]. Ici, l’essentiel de ces facteurs démontre des effets non significatifs ou très faibles. La deuxième étape explique la valeur perçue en utilisant le modèle précédent auquel s’ajoute la qualité perçue comme facteur de contrôle. Dans une troisième étape, pour expliquer la satisfaction, nous avons ajouté au modèle de l’étape 2 la valeur perçue comme facteur de contrôle. TABLEAU 2 Résultats des analyses de covariance (R2 partiel en %) Variable expliquée → Justice distributive Justice procédurale Justice interactionnelle Justice distributive x Justice procédurale Justice distributive x Justice interactionnelle Justice procédurale x Justice interactionnelle Qualité interaction Qualité environnement Qualité résultat Valeur Satisfaction Macro-justice cumulée Implication Expertise Familiarité Age Sexe R2 (%) Qualité Qualité Qualité résultat interaction environ Valeur Satisfac -tion 3,9 0,7 n.s. n.s. 17,7 56,2 n.s. 0,6 n.s. 8,3 4,1 1,2 5,5 7,5 n.s. n.s. n.s. n.s. n.s. n.s. n.s. 0,5 n.s. n.s. n.s. n.s. 1,1 0,8 0,3 n.s. 0,6 n.s. 13,2 2,9 1,7 n.s. n.s. n.s. 1,2 n.s. 62,1 n.s. 2,1 0,5 n.s. 0,5 n.s. 0,6 11,2 n.s. 13,7 3,0 1,9 n.s. n.s. 0,5 n.s. n.s. n.s. 48,3 n.s. 3,5 n.s. 0,6 32,6 n.s. n.s. n.s. n.s. 1,0 n.s. 68,7 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 1792 Page 1792 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER IV.2. Validité nomologique Les liens entre qualité valeur satisfaction, largement débattus antérieurement et non intégrés comme hypothèses, témoignent de la validité nomologique de notre modèle. Ainsi, l’impact positif des trois composantes de la qualité (résultat, interaction, environnement) sur la valeur est vérifié (R2 partiel = 1,9 %, 13,6 %, 3,0 % respectivement). L’effet de l’interaction de service est largement le plus élevé, puisque nous étudions un service éminemment expérientiel. Nous observons les effets directs significatifs, mais modérés, de la qualité du résultat et de la qualité de l’interaction, sur la satisfaction et le facteur principal explicatif de la satisfaction est bien la valeur perçue, (R2 partiel = 32,6 %), conformément à la littérature [Cronin et al. (2000) ; Aurier et al. (2001)]. L’impact de la qualité perçue sur la satisfaction est donc essentiellement indirect, médiatisé par la valeur et suit la voie de la forte chaîne relationnelle unissant qualité, valeur et satisfaction [Aurier et al. (2001)]. IV.3. Impact de la justice sur la qualité du résultat du service Les justices distributive et procédurale ont un effet significatif sur la qualité du résultat, c’est-à-dire la perception du menu (H1a et H1b ; R2 partiel = 3,9 % et 0,7 % respectivement). Pour limiter la confusion entre justice distributive et qualité du résultat, le dispositif expérimental maintenait constante cette dernière. Malgré cela, la qualité du résultat est influencée par les justices distributive et procédurale, modérément mais significativement. Vivre une expérience de consommation considérée comme « injuste », notamment en termes de résultat de l’échange (avoir un plat moins joli que celui de son voisin de table, par exemple), vient donc dévaloriser la qualité perçue, même si maintenue à un niveau élevé. Le résultat du service et l’interaction de service sont donc appréciés en fonction de ces deux critères de justice. Comme attendu, la justice interactionnelle n’influence pas la qualité du résultat. IV.4. Impact de la justice sur la qualité de l’interaction de service La qualité de l’interaction est influencée par la justice procédurale (H1c, R2 partiel = 17,7 %) et fortement par la justice interactionnelle (H1d, R2 partiel = 56,2 %). Ainsi, la justice affecte essentiellement la qualité de l’interaction, conformément à la littérature sur les services qui considère cette dimension centrale car source de satisfaction, par 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1793 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1793 opposition à la qualité du résultat (ou cœur de service) constituant un simple facteur d’hygiène [Bendapudi et Leone (2003)]. Nous observons une influence significative, mais très faible, des interactions d’ordre deux « justices distributive x interactionnelle » et « justices procédurale x interactionnelle » (R2 partiel = 0,5 % et 2,9 % respectivement). Par ailleurs, comme attendu, nous n’observons pas d’impact de la justice distributive sur la qualité de l’interaction. Comme supposé, la justice n’influence pas la qualité de l’environnement. IV.5. Impact de la justice sur la valeur perçue de l’expérience de service Justices distributive et procédurale (H2a et H2b, R2 partiel = 8,3 % et 4,2 %, respectivement) influencent la valeur perçue qui est le ratio entre bénéfices et sacrifices. Il apparaît que le caractère équitable de ce qui est reçu (justice distributive) et son mode d’allocation (justice procédurale) influencent la valeur perçue. Nous relevons également un effet significatif (R2 partiel = 1,2 %) de la justice interactionnelle (H2c). Justices distributive, procédurale et interactionnelle apparaissent ainsi comme des antécédents à la valorisation d’une expérience de consommation. Malgré cela, aucune interaction significative n’est observée. Ainsi, les entreprises aperçoivent des perspectives pour pallier, par exemple, les expériences de consommation demandant des ressources importantes aux consommateurs. Néanmoins, le caractère modeste de ces effets montre que l’effet de la justice sur la valeur est largement médiatisé par la qualité perçue. IV.6. Impact de la justice sur la satisfaction avec l’expérience de service Justices distributive et procédurale (respectivement, R2 partiel = 5,5 % et 7,5 %) ont un effet significatif sur la satisfaction (H3a, H3b). Néanmoins, l’absence d’impact direct significatif de la justice interactionnelle sur la satisfaction conduit à rejeter l’hypothèse H3c. En effet, cet impact n’est qu’indirect, via la qualité de l’interaction : la justice affecte directement la qualité de l’interaction (impact très fort) qui ellemême affecte ensuite la satisfaction. Là encore, l’impact direct de la justice demeure limité, bien que significatif, car il passe essentiellement par la qualité perçue (et, à un moindre niveau, la valeur) qui en médiatise les effets sur la satisfaction. L’effet de la justice sur la satis- 09•Siadou-Martin 1794 27/10/09 8:04 Page 1794 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER faction est essentiellement un effet indirect, via la qualité et la valeur, et emprunte donc la voie de la chaîne relationnelle forte qui unit qualité, valeur et satisfaction [Aurier et al. (2001)]. V. – DISCUSSION, LIMITES ET VOIES DE RECHERCHE Cette recherche étudie l’impact de la justice sur l’évaluation d’une expérience de consommation et propose trois contributions. Premièrement, l’étude de la justice s’étend aux expériences de consommation, contrairement à l’essentiel des recherches qui portent sur le « service recovery ». La justice a ainsi un impact direct sur la totalité du processus d’évaluation d’un service : la justice distributive influence qualité du résultat, valeur et satisfaction. De même, la justice procédurale a des impacts directs sur les trois composantes de la qualité (notamment sur la qualité de l’interaction), sur la valeur et la satisfaction. La justice interactionnelle impacte fortement la qualité de l’interaction, modérément la valeur et pas la satisfaction. Les travaux antérieurs sur la relation justice-qualité [Andaleeb et Basu (1994)], justice-valeur [Oliver et Swan (1989)] et justice-satisfaction [Blodgett et al. (1997) ; Clemmer (1993)] sont consolidés par notre recherche qui considère simultanément les trois composantes de la justice et les trois composantes de l’évaluation d’un service. Deuxièmement, les effets directs de la justice sur la satisfaction semblent modérés, comparativement aux recherches antérieures qui ont probablement surévalué cette relation en omettant la qualité et la valeur, antécédents essentiels de la satisfaction mais aussi en se centrant essentiellement sur des expériences de réclamations (service recovery). Notre troisième contribution concerne l’absence quasi totale d’effets d’interactions entre les composantes de la justice contrairement à la littérature [Thibaut et Walker (1978)]. Seule la qualité de l’interaction est faiblement influencée par les interactions « justices distributive x interactionnelle » et « justices procédurale x interactionnelle ». Ainsi, les impacts de la justice seraient essentiellement additifs et donc indépendants les uns des autres. Cette recherche comporte plusieurs limites, à commencer par un manque de validité externe dû au recours à l’expérimentation scénarisée et à l’application à un seul service expérientiel (le restaurant). S’appuyant sur les aspects cognitifs du processus d’évaluation, notre modèle fait partiellement abstraction des aspects affectifs, et notam- 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1795 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1795 ment des émotions consécutives à l’(in)justice et pourrait ainsi s’enrichir. Par ailleurs, comme le modèle qualité-satisfaction intégrant l’expérience passée et notamment la confiance envers la marque proposé par Sirieix et Dubois (1999), les pratiques managériales répandues dans un secteur d’activité constituant le contrat psychologique éthique [Ballet et De Bry (2008)] pourraient être étudiées comme un sentiment de justice préexistant à toute interaction marchande. Nos résultats apportent quelques jalons supplémentaires à la considération de la justice perçue dans la gestion des services, d’autant plus que la justice affecte la totalité du processus d’évaluation d’un service (qualité perçue, valeur et satisfaction). La justice distributive, au-delà des stratégies basées sur la qualité perçue, suggère que les entreprises peuvent aussi communiquer sur les contributions et rétributions des partenaires. Ainsi, la promesse de « rembourser la différence si vous trouvez moins cher ailleurs » sousentend une contribution déséquilibrée du client comparativement au partenaire, qui justifie le dédommagement. Face à des modifications importantes de leur politique de prix, les entreprises devraient mieux évaluer l’impact négatif potentiel en matière d’injustice perçue pour les clients. Par exemple, la baisse de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) au 1er juillet 2009 modifie les ratios d’équité des deux parties et constitue un challenge en termes de justice distributive pour ne pas apparaître comme une autre technique d’inflation des prix 5. Composante essentielle, seule la justice procédurale influence les trois composantes du processus d’évaluation d’un service (qualité, valeur et satisfaction). Sa gestion devrait inciter les entreprises à élaborer des procédures plus équitables et plus transparentes et à les communiquer, et d’autant plus fortement en cas d’asymétrie informationnelle au bénéfice du prestataire. Ainsi, pour la livraison de plats cuisinés à domicile, certaines entreprises définissent le délai de livraison maximum au-delà duquel elles diminuent le prix de vente supporté par le consommateur. Nos résultats concernant la justice interactionnelle qui influence fortement la qualité de l’interaction suggèrent de recruter et former le personnel. Ainsi, les pratiques de gestion des ressources humaines affectent les employés mais aussi (indirectement) les clients, par un effet de « débordement » (spill over effect) [Maxham III et Netemeyer 5 Évolution de l’indice des prix de la restauration depuis 2000 : 27 % (issu de « Une baisse de la TVA à toutes les sauces »), Challenges, 2 juillet 2009. 09•Siadou-Martin 1796 27/10/09 8:04 Page 1796 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER (2003)]. Il s’agit d’identifier et de renforcer les compétences fondamentales du personnel en contact au moment du recrutement, de l’évaluation du personnel et de la formation professionnelle. L’entreprise doit spécifier les marges de manœuvre de ses employés afin de régler, de manière transparente et rapide, les litiges de faible importance. La quasi-absence d’effets d’interaction entre les composantes de la justice caractérise des effets essentiellement additifs, donc relativement indépendants dans leur gestion, ce qui est un atout intéressant. Les managers peuvent s’appuyer alternativement sur une, plusieurs ou toute combinaison des trois composantes de la justice, pour améliorer l’évaluation de l’expérience de service. Cela permet aux entreprises de se positionner, à leur gré, selon une ou plusieurs de ces composantes pour valoriser leur savoir-faire et leur accès aux ressources. Ainsi, une chaîne de restaurant associée à une enseigne de la grande distribution, ayant de fait un accès privilégié à une matière première de qualité à moindre coût (exemple la viande ou le poisson), pourra mieux se positionner en matière de justice distributive en communiquant sur le poids et la qualité de la matière première participant à un plat. En revanche, une chaîne de restauration rapide pourra développer la justice procédurale, en s’appuyant sur son expérience développée dans l’ensemble de ses points de vente. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ADAMS J.S. [1963], « Toward an Understanding of Inequity », Journal of Abnormal and Social Psychology, 67, 5, p. 422-436. ANDALEEB S.S., BASU A.K. [1994], « Technical Complexity and Consumer Knowledge as Moderators of Service Quality Evaluation in the Automobile Service Industry », Journal of Retailing, 70, 4, p. 367-381. ANDERSON J.C., GERBING D.W., HUNTER J.E. [1987], « On the Assessment of Unidimensional Measurement: Internal and External Consistency, and Overall Consistency Criteria », Journal of Marketing Research, 24, 4, p. 432-437. AURIER P., BENAVENT C., N’GOALA G. [2001], « Validité discriminante et prédictive des composantes de la relation à la marque », Association Française de Marketing, Deauville, Cd-Rom. BALLET J., DE BRY F. [2008], « La responsabilité de l’entreprise comme contrat psychologique éthique », Économies et Sociétés, W. 10, janvier, p. 83-110. BENDAPUDI N., LEONE R.P. [2003], « Psychological Implications of Customer Participation in Co-Production », Journal of Marketing, 67, 1, p. 14-28. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1797 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1797 BERRY L.L., PARASURAMAN A., ZEITHAML V.A. [1994], « Improving Service Quality in America: Lessons Learned », Academy of Management Executive, 8, 2, p. 32-52. BIES R. J., MOAG J.S. [1986], « Interactional Justice: Communication Criteria of Fairness », in Research on Negociation in Organizations / Lewicki, Sheppard et Bazerman (eds), Greenwich Press, p. 43-55. BLODGETT J.G., GRANBOIS D.H., WALTERS R.G. [1993], « The Effect of Perceived Justice on Complainants’ Negative Word-of-Mouth Behavior and Repatronage Intentions », Journal of Retailing, 69, 4, p. 399-428. BLODGETT J.G., HILL D.J., TAX S.S. [1997], « The Effects of Distributive, Procedural, and Interactional Justice on Postcomplaint Behavior », Journal of Retailing, 73, 2, p. 185-210. BOLTON L.E., WARLOP L., ALBA J.W. [2003], « Consumer Perceptions of Price (Un)fairness », Journal of Consumer Research, 29, 4, p. 474-491. BRADY M.K., CRONIN J.J. [2001], « Some New Thoughts on Conceptualizing Perceived Service Quality: A Hierarchical Approach », Journal of Marketing, 65, 3, p. 34-49. CLEMMER E.C. [1993], « An Investigation into the Relationship of Fairness and Customer Satisfaction with Services », in Justice in the Workplace: Approaching Fairness in Human Resource Management / Cropanzano R. (ed.), L. Erlbaum, p. 193-207. CRONIN J.J., BRADY M.K., HULT G.T.M. [2000], « Assessing the Effects of Quality, Value and Customer Satisfaction on Consumer Behavioral Intentions in Service Environments », Journal of Retailing, 76, 2, p. 193-218. EVRARD Y. [1993], « La satisfaction des consommateurs : état des recherches », Revue Française du Marketing, 144-145, 4-5, p. 53-65. GILLY M.C., GELB B.D. [1982], « Post-Purchase Consumer Processes and the Complaining Consumer », Journal of Consumer Research, 9, 3, p. 323-328. GRÖNROOS C. [1993], « Toward a Third Phase in Service-Quality Research: Challenges and Future Directions », in Advances in Services Marketing and Management / Swartz, Bowen et Brown (eds), JAI Press Inc., Greenwich, p. 177-206. HOCUTT M.A., CHAKRABORTY G., MOWEN J.C. [1997], « The Impact of Perceived Justice on Customer Satisfaction and Intention to Complain in a Service Recovery », Advances in Consumer Research, 24, 1, p. 457-463. HOLBROOK R.L., KULIK C.T. [2001], « Customer Perceptions of Justice in Service Transactions: The Effects of Strong and Weak Ties », Journal of Organizational Behavior, 22, 7, p. 743-757. LACHER K.T., MIZERSKI R. [1995], « Une étude exploratoire des réactions et des relations associées à l’évaluation et l’intention d’achat de la musique rock », Recherche et Applications en Marketing, 10, 4, p. 77-96. LEVENTHAL G.S. [1976], « The Distribution of Rewards and Resources in Groups and Organizations », in Equity Theory: Toward a General Theory of Social Interaction / Berkowitz et Walster (eds), Academic Press, New York, p. 92-131. 09•Siadou-Martin 1798 27/10/09 8:04 Page 1798 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER MAXHAM III J.G., NETEMEYER R.G. [2003], « Firms Reap What They Sow: The Effects of Shared Values and Perceived Organizational Justice on Customers’ Evaluations of Complaint Handling », Journal of Marketing, 67, 1, p. 46-62. MARTINEZ-TURZ V., PEIR J.M., RAMOS J., MOLINER C. [2006], « Justice Perceptions as Predictors of Customer Satisfaction: The Impact of Distributive, Procedural, and Interactional Justice », Journal of Applied Social Psychology, 36, 1, p. 100-119. OLIVER R.L. [1980], « A Cognitive Model of the Antecedents and Consequences of Satisfaction Decisions », Journal of Marketing Research, 17, 4, p. 460-469. OLIVER R.L., SWAN J.E. [1989], « Consumer Perceptions of Interpersonal Equity and Satisfaction in Transactions: A Field Survey Approach », Journal of Marketing, 53, 2, p. 21-35. RUST R.T., OLIVER R.L. [1994], « Service Quality: Insights and Managerial Implications from the Frontier », in Service Quality: New Directions in Theory and Practice / Rust et Oliver (eds), Sage Publications, Thousand Oaks, p. 1-19. SABADIE W., PRIM-ALLAZ I., LLOSA S. [2006], « Contribution des éléments de gestion des réclamations à la satisfaction : les apports de la théorie de la justice », Recherche et Applications en Marketing, 21, 3, p. 47-64. SIRIEIX L., DUBOIS P.L. [1999], « Vers un modèle qualité-satisfaction intégrant la confiance ? », Recherche et Applications en Marketing, 14, 3, p. 1-22. SPARKS B.A., MCCOLL-KENNEDY J.R. [2001], « Justice Strategy Options for Increased Customer Satisfaction in a Services Recovery Setting », Journal of Business Research, 54, 3, p. 209-218. TAX S.S., BROWN S.W., CHANDRASHEKARAN M. [1998], « Customer Evaluations of Service Complaint Experiences: Implications for Relationship Marketing », Journal of Marketing, 62, 2, p. 60-76. TAYLOR S. [1994], « Waiting for Service: The relationship between Delays and Evaluations of Service », Journal of Marketing, 58, 2, p. 56-69. THIBAUT J., WALKER L. [1978], « A Theory of Procedure », California Law Review, 66, 3, p. 541-566. ZEITHAML V.A. [1988], « Consumer Perceptions of Price, Quality, and Value: A Means-End Model and Synthesis of Evidence », Journal of Marketing, 52, 3, p. 2-22. ANNEXE 1 : LISTE DES ITEMS UTILISÉS POUR L’ENQUÊTE FINALE Qualité de l’interaction Le serveur de ce restaurant me semble sympathique. Je dirais que la qualité de ma relation avec les employés de ce restaurant est bonne. Le serveur de ce restaurant me paraît professionnel. 09•Siadou-Martin 27/10/09 8:04 Page 1799 IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE 1799 Qualité du résultat Les plats de ce restaurant semblent de bonne qualité. La présentation des plats me paraît de bonne qualité. Qualité de l’environnement La salle de ce restaurant paraît bien décorée. L’ambiance de ce restaurant est vraiment super. Les clients qui fréquentent ce restaurant sont agréables. Valeur Je considère que cette soirée valait bien l’énergie que j’y ai consacrée. Cette soirée, ça vaut bien les sacrifices que j’y ai consenti. Je considère qu’aller dans ce restaurant, ça vaut bien le temps et l’argent que j’y ai consacré. Je considère que cette soirée, ça m’a apporté plus que cela m’a coûté. Satisfaction Je suis satisfait de la soirée que j’ai passée. Aller dans ce restaurant fut un bon choix. Si je devais refaire mon choix, je choisirais un autre restaurant. Je ne suis pas content de ce repas. Aller dans ce restaurant était une bonne chose. Imagerie mentale La scène décrite a créé une image claire dans mon esprit. L’événement décrit m’a rappelé quelque chose de précis. La scène décrite m’a suggéré des images concrètes. Vraisemblance du scénario La scène décrite est vraisemblable. Ce type de scénario est probable. Justice distributive Le repas proposé par ce restaurant était tout à fait équitable. Au regard de ce que j’ai obtenu et de que j’ai donné par rapport aux autres clients, je ne me sens pas perdant dans cet échange. Je pense que d’autres clients n’ont pas été mieux traités que moi. Justice procédurale Ce restaurant ne fait pas attendre inutilement les clients, entre chaque plat. Ce restaurant essaye d’être aussi clair que possible en matière de choix et de tarifs. Ce restaurant sait s’adapter aux demandes de ses clients. 09•Siadou-Martin 1800 27/10/09 8:04 Page 1800 B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER Justice interactionnelle Le serveur a écouté attentivement ce que j’avais à dire. J’ai été traité avec respect par le personnel. Le serveur m’a servi avec courtoisie. 10•Intercalaire II 29/10/09 15:24 Page 1801 Dossier. Concepts et méthodes en analyse de filières. Application à l’agriculture, aux agro-industries et à l’espace rural 10•Intercalaire II 29/10/09 15:24 Page 1802 11•Temple 27/10/09 8:06 Page 1803 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1803-1812 Introduction aux concepts et méthodes d’analyse de filières agricoles et agro-industrielles Ludovic Temple, CIRAD, UMR 1110 Moisa Frédéric Lançon, CIRAD, UR Arena Étienne Montaigne, CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa Jean-François Soufflet, ENESAD, UMR 1041 Cesaer Une référence étymologique du mot filière renvoie aux filatures qui transformaient la matière première agricole (laine, coton) en un produit intermédiaire industriel. Historiquement, cette démarche a structuré l’économie des relations verticales. Elle s’est constituée par le croisement entre des travaux issus de l’économie agricole et agroalimentaire [Bénard (1936) ; Milhaud (1954) ; Goldberg (1957) ; Malassis (1973)] et de l’économie industrielle [De Bandt (1985) ; Perroux (1973) ; Morvan et Marchesnay (1979) ; Foray et Garouste (1985)]. En écho à un dossier thématique de la revue Économies et Sociétés en 1983 [Lauret (1983)] et une école chercheur organisée par le Cirad [Soufflet (2008)], cette introduction rappelle les différents champs d’application de l’économie des filières pour s’interroger sur l’actualité de cette démarche et sur les éclairages conceptuels et méthodologiques qu’apportent les travaux contemporains. UN CADRE D’ANALYSE À L’ÉPREUVE DES MUTATIONS DES SYSTÈMES PRODUCTIFS L’analyse de filière a été un outil largement mobilisé pour la formulation des politiques publiques aussi bien dans les pays développés [Jacquemin et Rainelli (1984)] que dans les pays du sud [Fabre (1994)]. Elle a d’abord été appliquée à l’étude du fonctionnement des structures industrielles dans un grand nombre de secteurs, avec une portée particulière pour la compréhension des liens entre les produc- 11•Temple 27/10/09 1804 8:06 Page 1804 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET tions agricoles et leurs différentes utilisations dans les systèmes alimentaires et agro-industriels [Goldberg (1957) ; Malassis (1973)]. Ces analyses se sont initialement focalisées sur l’aide à la définition des stratégies d’intervention publiques pour des produits agricoles (lait, viande, céréales, coton, banane, maraîchage, café, riz, sucre) présentant des enjeux particuliers pour les pouvoirs publics (balance commerciale, sécurité alimentaire, développement rural, réduction de la pauvreté, changements technologiques, compétitivité). Leurs capacités heuristiques ont dû faire face aux mutations qui ont marqué les systèmes agroalimentaires durant les dernières décennies. D’abord, la libéralisation des échanges commerciaux puis la globalisation des systèmes agroalimentaires ont modifié le rôle des pouvoirs publics dont l’action se concentre dorénavant plus sur les variables macro-économiques et l’environnement juridique et institutionnel et beaucoup moins sur l’intervention directe (privatisation, abandon des offices, des organisations de marché, des interventions) plutôt que sur la formulation d’actions d’appui et d’accompagnement à des filières spécifiques. L’impact des changements des modes de régulation sur les systèmes agroalimentaires privilégie d’autres échelles d’analyse, considérées comme plus pertinentes, pour comprendre le fonctionnement des systèmes productifs [Kaplinsky (2000)]. Ainsi, la compréhension des transformations de l’agriculture et de l’agroalimentaire mobilise de plus en plus des approches globales, internationales [Raiker et al. (2000)] ou, inversement, plus territorialisées [Muchnik et al. (2007)]. Par ailleurs, la complexification croissante des systèmes alimentaires [Allaire (1995) ; Rastoin (2006)] en relation avec l’urbanisation des modes de vie (évolution des styles alimentaires, segmentation des marchés autour de la qualité) a modifié les entrées privilégiées pour comprendre les mutations en cours et, partant, la formulation et le contenu des politiques d’accompagnement. Enfin, les effets de la libéralisation ayant révélé les limites de la régulation par le marché, les interrogations ont porté de plus en plus sur les processus de coordination [Williamson (1985)], les stratégies entre acteurs (développement des interprofessions, renforcement du partenariat public privé, émergence des grandes surfaces) plutôt que sur les performances technico-économiques des systèmes productifs dans leur ensemble. En corollaire, les entreprises privées doivent s’adapter à ces évolutions de l’environnement, ce qui nécessite de nouveaux schémas organisationnels reposant de plus en plus sur les travaux des sciences de gestion [Pérez (1983)]. 11•Temple 27/10/09 8:06 Page 1805 INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES 1805 UN CADRE D’ANALYSE EN COURS DE RÉNOVATION Ce changement graduel de paradigme (changement d’échelle, axe d’entrée, nouvelles préoccupations) s’est traduit par la rénovation du cadre analytique dans le champ de l’économie des relations verticales appliqué à l’analyse des systèmes agroalimentaires par l’intégration progressive de nouveaux référentiels. On peut distinguer, notamment, les travaux portant sur les chaînes globales de produits (commodities) [Hopkins et Wallerstein (1977)] qui évolueront vers la chaîne globale de valeur [Gereffi et al. (2005)], en mettant l’accent sur la compréhension des processus de globalisation des économies [Palpacuer et al. (2005) ; Daviron et Gibbon (2002) ; Gibbon et Ponte (2005)]. Ils se focalisent de manière croissante sur leur incidence concernant les mécanismes de délocalisation et d’intensification des filières longues (commerce international des fruits et des légumes) et les conditions sociales de production. D’autre part, les travaux de Porter sur les sources de l’avantage concurrentiel des entreprises viennent enrichir les cadres de référence de l’analyse de filière [Porter (1985)]. Ces travaux complètent les approches en termes de « supply chain » (chaîne d’approvisionnement) qui utilisent des d’outils d’aide à la décision stratégique relevant des sciences de gestion [Paché (2008) ; Stassart et Mormont (2008)]. D’autres renouvellements sont apportés par l’économie néo-institutionnelle qui se concentre sur l’analyse des transactions (contrats formels ou informels, marché ou hiérarchie / intégration). Cette approche fournit un cadre théorique complet sur les relations particulières entre deux « maillons » de la filière. Elle réalise, par exemple, des études du design des contrats qui remettent en cause la seule nature conflictuelle des relations entre les acteurs par l’analyse de la quasi-rente contractuelle. L’approche évolutionniste vient également renouveler, avec ses concepts de paradigme technologique et de trajectoire technologique, la compréhension des processus de genèse des innovations technologiques en agriculture et dans l’industrie agroalimentaire. Elle retrouve la dimension de la théorie générale des systèmes [Lemoigne (1977)] en développant le concept de filière d’innovation [Montaigne (1992)]. Ces référentiels diversifient aujourd’hui les déclinaisons de l’économie des filières. Néanmoins, au-delà des questions auxquelles ils cherchent à répondre, ces référentiels ont de nombreux points communs avec l’analyse de filière proposée par les précurseurs (champ sectoriel, approche systémique, référence à un processus d’élaboration 11•Temple 27/10/09 1806 8:06 Page 1806 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET de produits, prise en compte de plusieurs acteurs, formalisation et modélisation dans les démarches, etc.). De plus, en dépit de la moindre importance accordée aux politiques d’accompagnement sur des filières spécifiques, on constate un maintien de la demande des pouvoirs publics pour la réalisation d’analyses de filières, celles-ci étant toujours considérées comme un cadre de cohérence des évaluations d’impacts qui permet de pallier les déficiences de connaissances sur les mutations en cours. L’élaboration de systèmes d’information centrés sur les produits, participe également de la même logique [Galtier et Egg (2003)]. Les récentes demandes sur l’évaluation des externalités associées aux fonctionnements des systèmes productifs en termes de qualité des produits, d’environnement (analyses de cycle de vie), de bilans énergétiques ou sociaux conduisent aussi à étendre l’économie des relations verticales à de nouveaux domaines. Dans le contexte des pays du Sud, l’analyse des filières a été particulièrement sollicitée, compte tenu de la nécessité d’appréhender des changements rapides des systèmes agroalimentaires, de répondre à des enjeux de développement majeurs sur la sécurité alimentaire ou la compétitivité [Couty (1981) ; Hugon (1985) ; Lançon (1989) ; Moustier (1994) ; Bencharif et Rastoin (2007) ; Temple (2008)]. Elle constitue une démarche efficace pour structurer l’analyse dans des contextes de fragilité des environnements institutionnels et de défaillance des systèmes d’informations statistiques. Alors que l’analyse de filière ne fait plus, en apparence, l’objet d’investissements scientifiques importants, elle reste, ou redevient, un outil d’aide à la décision pour les décideurs publics, les organisations professionnelles, les entreprises privées. De plus, les nouvelles références analytiques pour comprendre les systèmes agroalimentaires présentent de nombreux éléments communs sur un plan méthodologique. Ce double phénomène incite à reposer la question de la dimension heuristique du concept de filière en tant que sujet de recherche et à réfléchir sur son potentiel en tant qu’outil de développement. DES CHAMPS D’APPLICATIONS MULTIPLES QUI CONTRIBUENT À LA RÉNOVATION DES RÉFÉRENTIELS MÉTHDOLOGIQUES Ce numéro d’Économies et Sociétés réunit des contributions qui mettent en perspective les différents référentiels analytiques afin de mieux identifier les recoupements et les divergences, sur le plan de leurs fondements théoriques, avec les approches filières. Pour cela, il 11•Temple 27/10/09 8:06 Page 1807 INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES 1807 souligne l’existence ou l’absence d’éventuelles filiations en s’appuyant sur des applications dans le champ de l’agroalimentaire. À travers les différentes communications, il rend compte de l’actualité de cette approche dans sa contribution à la compréhension des mécanismes du développement. Trois types de communications peuvent être différenciés au regard des interrogations posées. Un premier ensemble de travaux concerne le prolongement d’une trajectoire d’utilisation de cette démarche [Lauret et Pérez (1992) ; Valceschini (1992)] pour comprendre les changements, les transformations des activités productives dans l’agriculture, l’agroalimentaire, l’espace rural et leurs interactions : – Ainsi, la communication de Ph. Hugon rappelle les fondamentaux systémiques de l’économie de filières qui orientent l’analyse économique vers la compréhension des articulations (interactions) entre les stratégies d’acteurs, les modes de coordination et de régulation. En illustrant son propos sur le coton en Afrique subsaharienne, l’auteur montre en quoi l’approche en termes de filière est constitutive du programme de recherche méso-analytique situant les niveaux intermédiaires de structuration des activités économiques entre le micro et le macro et conduisant à reintégrer le temps, l’espace, la technologie dans l’analyse économique. – Dans la même ligne, P. Grouiez montre comment, en Russie, les spécificités territoriales régionales activent la spécialisation sectorielle et conduisent à expliquer l’insertion des agricultures dans des logiques agro-industrielles. – La contribution de J.M. Touzard souligne en quoi le renouvellement du programme de recherche régulationniste a besoin d’expliciter les déterminants méso-analytiques des activités productives dans l’articulation entre des logiques de gouvernance sectorielle et territoriale. – Enfin J.L. Fusillier, par l’utilisation originale d’une matrice de comptabilité sociale dans le contexte spécifique du secteur sucrier de l’île de la Réunion, démontre l’utilité de cette démarche mésoanalytique pour évaluer les externalités sociales d’une spécialisation agricole. Un deuxième ensemble de communications, dans la filiation des travaux du Cirad sur la sécurité alimentaire des pays du Sud [Griffon (1994)], montre l’actualité des démarches de filières pour analyser les conditions d’approvisionnement des marchés régionaux et urbains 11•Temple 27/10/09 1808 8:06 Page 1808 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET polarisés par la croissance des villes en Afrique sub-saharienne et en Asie. – P. Moustier, en mobilisant conjointement le cadre d’analyse de l’économie des chaînes de valeur et celui de la nouvelle économie institutionnelle (coûts de transaction), réalise ainsi une analyse comparative du point de vue de la création de valeur et de sa répartition entre les formes d’organisation des filières horticoles et vivrières qui approvisionnent Hanoï et Ho Chi Minh. Ce travail montre combien la démarche de filière reste un élément structurant et complémentaire des analyses néo-institutionnelles contemporaines. – À un autre niveau, Temple et al., en caractérisant les systèmes d’approvisionnement en ignames au Cameroun, explicitent en quoi l’intensité de la demande marchande urbaine se répercute peu aux producteurs et, par voie de conséquence, pourquoi les processus d’innovations techniques ne sont pas mis en œuvre dans les systèmes productifs. Un troisième ensemble de travaux mobilise l’analyse de filière pour organiser l’information et la connaissance dans un objectif plus opérationnel d’aide à la décision privée. Ainsi L. Trognon apporte, dans une première partie, une discussion méthodologique essentielle en repérant les proximités, les similitudes et les différences entre l’approche en termes de supply chain et l’approche filière. Sa réflexion conclut sur des niveaux d’analyse différents : l’entreprise d’un côté, le « méso-système », de l’autre. Il applique cette distinction au cas des produits viticoles ou des fromages d’appellation. Il montre comment, du point de vue des sciences de gestion, l’analyse des relations verticales reste un élément stratégique. CONCLUSION Ces articles montrent que l’approche filière s’est progressivement enrichie de nouveaux référentiels pour mieux rendre compte des changements qui marquent les systèmes agro-industriels et les décisions publiques ou privées que doivent prendre les agents. La dilution de cette démarche méthodologique dans son utilisation pour l’orientation des politiques publiques (globalisation, internationalisation des entreprises, constitution de groupes multinationaux multi-produits, désengagement de l’État en matière de protection des industries nationales) 11•Temple 27/10/09 8:06 Page 1809 INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES 1809 conduit surtout à un renouvellement des problématiques auxquelles doit répondre le champ de l’économie des relations verticales en termes d’enjeux et d’adaptation des référentiels conceptuels et méthodologiques. De fait, les approches de filières se diversifient sur deux axes qui interagissent du point de vue des cadres méthodologiques mobilisés (l’économie des relations verticales), des référentiels conceptuels donc des hypothèses de recherches qu’ils mobilisent. Ils se différencient du point de vue des questionnements empiriques auxquels ils répondent. Le premier axe concerne l’accompagnement des décisions des acteurs privés ou collectifs, qu’il s’agisse d’entreprises dans leurs stratégies de captation de la valeur ou de collectifs dans leur positionnement au sein de systèmes hiérarchisés. Il concerne dans cette orientation à la fois des travaux sur les outils opérationnels de la gestion stratégique portés par les sciences de gestion (chaînes d’approvisionnement, par exemple) et des approches sur les coordinations entre les acteurs et les formes organisationnelles les plus efficaces du point de vue de l’inclusion des différents acteurs dans le partage de la valeur créée. Le deuxième axe renvoie plus à la filiation originelle de l’économie de filière qui est centrée sur l’accompagnement des décisions publiques dans l’analyse des processus de globalisation des économies et des productions conduisant à comprendre les mécanismes de délocalisations de la production, à mesurer leurs effets sur le contrôle de la valeur et les conditions de mobilisation du travail à l’échelle mondiale. Ceci afin d’expliciter comment naissent de nouveaux modes de régulation des marchés et des systèmes agro-alimentaires. Nécessairement incomplet, ce dossier, d’une certaine manière, appelle également à repositionner la démarche méthodologique de l’analyse de filières par rapport aux nouveaux enjeux mondiaux qu’ouvre la crise sociale et environnementale générée par les trajectoires technologiques portées par les modèles de développement des pays industriels. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALLAIRE G., BOYER R. [1995], La grande transformation de l’agriculture : lectures conventionnalistes et régulationnistes, Economica-INRA, Paris. BENARD A. [1936], Du producteur au consommateur, fruits et légumes, Sirey, Paris. BENCHARIF A., RASTOIN J.L. [2007], « Concepts et méthodes d’analyse de filières agro-alimentaires : application par la chaîne globale de valeur au cas 11•Temple 27/10/09 1810 8:06 Page 1810 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET des blés en Algérie », Working Paper n° 7/2007, UMR Moisa, Montpellier, 23 p. COUTY P. [1981], « Filières de production et circuits commerciaux », Actes du Séminaire GERDAT ORSTOM, Montpellier, p. 33-41. DAVIRON B., GIBBON P. [2002], « Global commodity chains and African export agriculture », Journal of Agrarian Change, vol. 2, n° 2, p. 137-162. DE BANDT J. [1985], « Quelques remarques sur la notion de filière de production », Cahier du CERNEA, n° 16, Paris. FABRE P. [1994], Note de méthodologie générale sur l’analyse de filière : utilisation de l’analyse de filière pour l’analyse économique des politiques, Document de formation pour la planification agricole n° 35, FAO, Rome. FORAY D., GARROUSTE P. [1985], « Concept d’industrie et critère de politique industrielle », in Les politiques industrielles / J. De Bandt (éd.), Economica, Paris, p. 51-65. GALTIER F., EGG J. [2003], « Le ‘paradoxe’ des systèmes d’information de marché (SIM): une clef de lecture issue de l’économie institutionnelle et de la théorie de la communication », Économies et Sociétés, Série F Développement, vol. 41, n° 7-8. GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The governance of global value chains », Review of International Political Economy, vol. 12, n° 1, p. 78-104. GIBBON P., PONTE S. [2005], Trading down : Africa, value chains, and the global economy, Temple University Press, Philadelphia (PA). GOLDBERG R. [1957], A concept of agribusiness, Harvard University Press, Boston (MA). GRIFFON M. [1994], « Analyse de filière et analyse de compétitivité », in Économie des politiques agricoles dans les pays en développement. Tome 1 : Les conditions internationales / M. Benoit-Cattin, M. Griffon, P. Guillaumont (éds), Revue Française d’Économie, Paris, p. 153-169. HOPKINS T., WALLERSTEIN I. [1977], « Patterns of development in the modern world-system », Review, vol. 1, n° 2, p. 111-145. HUGON Ph. [1985], « Dépendance alimentaire et urbanisation en Afrique : un essai d’analyse méso-dynamique en termes de filières », in Nourrir les villes en Afrique sub-saharienne / N. Bricas, G. Courade, J. Coussy (éds), L’Harmattan, Paris, p. 23-46. JACQUEMIN A., RAINELLI M. [1984], « Filières de la nation et filières de l’entreprise », Revue Économique, vol. 35, n° 2, p. 379-392. KAPLINSKY R. [2000], « Globalisation and unequalization : what can be learned from value chain analysis ? », Journal of Development Studies, vol. 37, n° 2, p. 117-146. LANÇON F. [1989], « Centres urbains secondaires et commercialisation des produits vivriers au Togo », Économie Rurale, n° 190, p. 33-39. LAURET F. [1983], « Sur les études de filières agroalimentaires », Économies et Sociétés, Série Progrès et Agriculture, n° 17, p. 722-740. 11•Temple 27/10/09 8:06 Page 1811 INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES 1811 LAURET F., PEREZ R. [1992], « Mésoanalyse et économie agroalimentaire », Économies et Sociétés, Série Développement agroalimentaire, n° 21, p. 99-118. LEMOIGNE J.L. [1977], La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation, PUF, Paris (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994). MALASSIS L. [1973], Économie agroalimentaire. Économie de la consommation et de la production agroalimentaire, Cujas, Paris. MILHAU J. [1954], Traité d’économie rurale, PUF, Paris. MONTAIGNE E. [1992], « Les techniques à membranes en oenologie : une approche évolutionniste ? », Économie et sociologie rurales : Actes et Communications, n ° 8, p. 127-140 (n° spécial : Innovation, changement technique et agro-alimentaire). MORVAN Y., MARCHESNAY M. [1979], « Micro, macro, méso », Revue d’Économie Industrielle, n° 8, p. 99-103. MOUSTIER P. [1994], « L’économie des filières pour la recherche agronomique et le développement : le cas des légumes frais en Afrique », Fruits, vol. 49, n° 4, p. 315-322. MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007], « Les Systèmes agroalimentaires localisés », Économies et Sociétés, Série AG, n° 29, p. 1465-1484. PACHÉ G. [2008], « Perspectives in food e-tailing. Is logistical performance always essential to develop a sustainable competitive advantage ? », Timisoara Journal of Economics, vol. 1, n° 2, p. 163-176. PALPACUER F., GIBBON P., THOMPSEN L. [2005], « New challenges for developing country suppliers in global clothing chains : a comparative European perspective », World Development, vol. 33, n° 3, p. 409-430. PEREZ R. [1983], « Introduction méthodologique sur l’articulation filières stratégies », in L’analyse de filière / ADEFI, Economica, Paris, p. 69-74. PERROUX F. [1973], « L’effet d’entraînement : de l’analyse au repérage quantitatif », Économie Appliquée, vol. 26, n° 2-3-4, p. 647-674. PORTER M. [1985], Competitive advantage : creating and sustaining superior performance, The Free Press, New York. RAIKES P., JENSEN M., PONTE S. [2000], « Global commodity chain analysis and the French filière approach : comparison and critique », Economy & Society, vol. 29, n° 3, p. 390-417. RASTOIN J.L. [2006], « De la complexité des marchés alimentaires », Économies et Sociétés, Série AG, n° 28, p. 575-582. SOUFFLET J.F. [2008], « Concepts et méthodes en économie des filières : application au pays du Sud. Synthèse et perspectives », Actes de l’Atelier Concepts et méthodes en économie des filières, CIRAD, Montpellier, p. 1-60 (CD-rom). STASSART P.M., MORMONT M. [2008], « La recherche intervention pour la viabilité d’une filière », Économie Rurale, n° 306, p. 8-21. TEMPLE L., MARIE P., BAKRY F. [2008], « Les déterminants de la compétitivité des filières bananes de Martinique et Guadeloupe », Économie Rurale, n° 308, p. 36-54. 11•Temple 27/10/09 1812 8:06 Page 1812 L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET VALCESCHINI E. [1990], « Exploitation, filière et méso-système », in Modélisation systémique et système agraire / J. Brossier, B. Vissac, J.L. Le Moigne (éds), INRA-SAD, Paris, p. 269-282. WILLIAMSON O. [1985], The economic institutions of capitalism : firms, markets and relational contracting, The Free Press, New York. 12•Intercalaire III 30/10/09 7:24 Page 1813 1. Articles 12•Intercalaire III 30/10/09 7:24 Page 1814 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1815 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1815-1834 Les effets économiques d’une filière agricole évalués par une matrice de comptabilité sociale : le cas du sucre à l’île de la Réunion Jean-Louis Fusillier, Laurent Parrot, Michel Benoit-Cattin, Hélène Basquin, CIRAD L’article présente l’évaluation économique de la filière sucre de l’Île de la Réunion basée sur l’utilisation d’une matrice de comptabilité sociale. Ceci permet de représenter l’insertion de la filière dans l’économie locale et d’évaluer ses effets d’entraînement par le calcul de coefficients multiplicateurs. Alors que la valeur ajoutée directe créée par la filière apparaît très modeste, son avantage, dans un contexte marqué par un fort taux de chômage, tient à ses effets directs et indirects en termes de distribution de revenus et d’emplois générés. This paper presents an economic assessment of the sugar chain in the Reunion island based on a social accounting matrix. This allows a global representation of the commodity chain linkages and its multiplier effects within the local economy. The total direct value added by the sugar industry may appear very low, but this study reveals the importance of its indirect effects in particular its positive contribution to income and employment. 13•Fusillier 29/10/09 1816 15:25 Page 1816 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN INTRODUCTION Dans de nombreux territoires soumis à de fortes contraintes du milieu physique, comme les départements français d’outre-mer, le maintien de l’activité agricole peut apparaître souhaitable et mobilise alors un niveau élevé de soutiens publics. Ces soutiens peuvent prendre la forme d’aides compensatoires aux productions agricoles, de dispositifs de protection et de régulation des marchés, ou encore de primes à des pratiques culturales bénéfiques pour l’environnement. La justification de ces soutiens publics fait l’objet d’une attention croissante et invite à une meilleure connaissance des bénéfices attendus de l’activité agricole dans les divers registres économiques, sociaux ou écologiques. L’évaluation des effets économiques renvoie à une analyse en termes de filière de production lorsque des secteurs amont de fournitures et aval de transformation des produits sont interdépendants de la production agricole soutenue. Il est bien connu que le développement économique général et l’industrialisation du secteur agro-alimentaire entraînent un déplacement de la valeur ajoutée, depuis la production primaire vers les maillons amont et aval des filières. Ce processus d’intégration de l’agriculture dans une filière locale et au-delà dans le reste de l’économie contribue à accroître les effets indirects de l’activité agricole et élargit donc les retombées économiques des soutiens. Cet article présente la démarche et les résultats d’une évaluation des effets économiques de la principale filière de production agricole de l’île de la Réunion, la filière sucre. L’avenir de cette filière a été au cœur des débats de politique agricole et d’aménagement du territoire de l’île au début des années 2000, lors de la négociation du renouvellement des aides à l’agriculture et de la réforme de l’organisation du marché européen du sucre. La production de sucre de canne constitue une activité emblématique de l’île, en tant que base historique de sa mise en valeur. Alors que l’économie s’est fortement diversifiée et tertiarisée ces quarante dernières années, la filière sucre garde une certaine importance. Elle concerne environ la moitié des exploitants agricoles et de la surface cultivée de l’île et fournit toujours la majorité des exportations. Mais la pérennité de cette filière héritée du passé colonial repose sur un soutien public croissant à travers diverses aides accordées aux planteurs et aux usiniers. Elle mobilise ainsi l’essentiel des aides à l’agriculture locale. La remise en cause, en Europe, des politiques productivistes fondée sur un couplage des aides aux productions agricoles a fragilisé la position de la filière sucre et relancé la question de l’intérêt de son soutien. Cette question a motivé la présente évalua- 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1817 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1817 tion axée sur la contribution de la filière sucre à l’économie insulaire en termes de richesse créée, de revenus distribués et d’emplois générés. La recherche des effets d’entraînement de la filière, intégrant les effets indirects, nous a orientés vers une approche par la matrice de comptabilité sociale. En exprimant la circulation de l’ensemble des flux monétaires entre les diverses entités d’une économie, la matrice apparaît un outil pertinent pour saisir l’articulation de la filière avec les autres secteurs économiques et notamment les enchaînements de demandes intermédiaires. Dans une première partie seront présentés les principes de construction d’une matrice de comptabilité sociale et la portée des indicateurs qui peuvent en être tirés. Puis, on verra les spécifications de la matrice pour l’analyse des effets de la filière sucre réunionnaise. Enfin, seront discutés les résultats sur les effets directs de la filière, les effets d’entraînement globaux et les effets de distribution de revenus auprès des diverses catégories d’institutions. I. – L’OUTIL « MATRICE DE COMPTABILITÉ SOCIALE » ET LA MÉTHODE D’ÉVALUATION DES EFFETS La matrice de comptabilité sociale (MCS) constitue un instrument privilégié pour l’analyse du fonctionnement d’une économie régionale et de l’impact des politiques publiques [Bell, Hazell et Slade (1982)] ; [Lewis et Thorbecke (1992)] mais aussi pour l’analyse de secteurs productifs particuliers, notamment en agriculture [Sadoulet et de Janvry (1995)] ; [Benoit-Cattin et al. (1998)] ; [Bélières et Touré (1999)] ; [Parrot et Ayiwoue (2008)]. La MCS est particulièrement adaptée pour mettre en évidence l’articulation d’un secteur productif donné au reste de l’économie. Elle fournit en effet une image statique des interdépendances d’une économie régionale ou nationale en intégrant, dans un même cadre, la structure de la production, les liens intersectoriels, la répartition de la valeur ajoutée, les transferts publics, l’utilisation des revenus et les échanges avec l’extérieur. Ce sont ainsi quatre fonctions fondamentales de l’économie – production, répartition, consommation et accumulation – qui sont couvertes par la MCS. Un autre intérêt de la MCS tient à la mise en cohérence des données car la matrice est construite suivant une structure carrée en respectant les équilibres macro-économiques entre emplois et ressources des produits, ainsi qu’entre dépenses et recettes des institutions. La MCS correspond au plan conceptuel à la synthèse du tableau entrée-sortie (TES) et du tableau économique d’ensemble (TEE) du 13•Fusillier 29/10/09 1818 15:25 Page 1818 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN système de comptabilité nationale. Elle se présente sous la forme d’un tableau carré à double entrée regroupant une série de comptes où, pour une année de base déterminée, sont enregistrés les flux comptables des recettes et des dépenses de l’économie étudiée. Par convention, les recettes sont données en ligne et les dépenses en colonne. La structure de base contient généralement cinq groupes de comptes (cf. schéma cidessous) : – les activités de production : ces comptes lus en colonne fournissent la structure de la production domestique décomposée en consommations intermédiaires et en éléments de valeur ajoutée qui rémunèrent les facteurs de production ; en ligne figurent les recettes tirées des ventes de biens et des subventions d’exploitation ; – les biens et services : ces comptes retracent en colonne les ressources mobilisées (production domestique et importations) et en ligne les emplois des productions domestiques ; – les facteurs de production : travail, terre, capital à l’origine de la valeur ajoutée ; – les institutions : ménages, entreprises, administrations publiques. Ces comptes détaillent la distribution de la valeur ajoutée et son utilisation ainsi que les transferts réalisés par les administrations publiques ; – l’accumulation de capital qui mesure les flux d’épargne et d’investissement ; – le reste du monde où sont décrits les échanges extérieurs. Ces lignes et colonnes peuvent être désagrégées en fonction des analyses conduites et dans la limite des informations disponibles. L’étude d’une filière repose sur l’individualisation des comptes des activités, des biens et services et des institutions concernées. Les effets directs liés au fonctionnement des activités sont tirés d’une simple lecture en colonne des comptes d’activités : il s’agit de la demande en biens et services intermédiaires qui fournit une indication des relations intersectorielles, et de la valeur ajoutée brute qui rémunère le travail, le capital, le foncier et l’État. La valeur ajoutée correspond à la création de richesse dans l’économie et constitue donc le critère fondamental d’analyse d’impact économique. Les effets directs issus des investissements d’une activité apparaissent en détaillant les comptes d’accumulation du capital. Reste du monde TOTAL Facteurs Travail Capital Terre Institutions Ménages Entreprises Ad. publiques Accumulation de capital Production domestique après subvention Masse salariale RBE Foncier Taxes Ressources en B&S Importations Taxes s/produits Transferts Épargne totale des comptes courants Épargne domestique Balance des paiements Revenus provenant de l’extérieur Transferts, Impôts Exportations Reste du Monde Versement Dépenses Investissement Total des facteurs des institutions total des exportations Salaires RBE Ch. sociales DEPENSES Institutions Accumulation Facteurs résidentes de Capital Subventions aux activités Consommations Investissement finales (formation de Importations totales Revenus des institutions Recettes Emplois des B&S capital fixe) Revenus des facteurs TOTAL 15:25 R E C E E T T E S Consommations intermédiaires Biens & services Production domestique 29/10/09 Biens & services Activités Activités de production TABLEAU 1 Structure de base d’une Matrice de comptabilité sociale (adaptation de Thorbecke, 1985) 13•Fusillier Page 1819 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1819 13•Fusillier 29/10/09 1820 15:25 Page 1820 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN Pour caractériser les effets induits par un ensemble d’activités, on peut retenir les deux catégories proposées par la méthode des effets [Chervel et Le Gall (1989)] 1 : – les effets amont (appelés aussi effets primaires indirects) qui sont liés à la demande de biens intermédiaires et diffusent dans les secteurs fournisseurs. Une décomposition itérative des consommations intermédiaires par remontée des chaînes de production aboutit à évaluer une valeur ajoutée indirecte et les fuites pour l’économie locale que représentent les importations ; – les effets liés à la dépense des revenus distribués, notamment aux ménages (ou effets secondaires) qui vont stimuler la production locale et engendrer de nouvelles valeurs ajoutées ainsi que des importations induites. Les effets globaux directs et indirects résultant de ces enchaînements de demande peuvent être appréhendés par des calculs matriciels grâce aux propriétés de la MCS (structure carrée et équilibrage des lignes et colonnes) ou par des méthodes de programmation par processus algorithmique sur tableurs [Ayiwoue et Parrot (2008)]. Le mode opératoire consiste à transformer la MCS brute [Xij] en une matrice des coefficients techniques A [aij = Xij/X.j] puis à inverser la matrice I-A pour obtenir une matrice des multiplicateurs qui incorporent les effets induits. Les revenus directs et indirects induits par la production d’un bien sont donnés par les coefficients multiplicateurs au croisement de la colonne du « bien » considéré avec les lignes des institutions, ménages, entreprises, administrations publiques. Les importations induites apparaissent au croisement avec la ligne « Reste du monde ». Calculés sur une année de référence, ces coefficients peuvent aussi être utilisés pour simuler l’effet d’un changement de niveau de production, résultant par exemple d’un facteur exogène comme un nouveau débouché à l’exportation. Mais une telle approche est soumise à des conditions très restrictives : des prix fixes, une absence de substitution entre facteurs de production et des capacités de production sous-utilisées. Ces hypothèses peuvent être satisfaites pour des changements à court terme portant sur des variations réduites des productions. 1 La méthode des effets comme les matrices de comptabilité sociale (Social Accounting Matrix) ont été imaginées de façon indépendante dans les années 70 pour évaluer des actions de développement. Les calculs matriciels réalisés sont très similaires mais l’avantage des SAM ou MCS est qu’elles rassemblent tous les comptes dans une seule matrice carrée. Ces méthodes ont rarement été appliquées à des filières. La construction de MCS tend à se généraliser car elles sont nécessaires pour étalonner les modèles d’équilibre général. 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1821 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1821 Si la MCS rend compte de flux économiques en valeur, il est possible d’en déduire des effets en termes d’emplois à partir des revenus distribués aux ménages et de références sectorielles sur les rémunérations moyennes par employé. Cela revient à raisonner sur des « équivalents actifs à plein temps rémunérés au niveau moyen du secteur ». II. – STRUCTURATION DE LA FILIÈRE SUCRE À LA RÉUNION ET SPÉCIFICATION DE LA MCS La filière sucre réunionnaise est composée de trois segments d’activités : la culture de canne à sucre, la fabrication du sucre (brut ou raffiné) et la distillerie de rhum qui valorise un sous-produit du sucre, la mélasse. Cette délimitation de la filière est basée sur l’interdépendance d’activités autour du produit canne à sucre cultivé localement. Ces activités sont organiquement liées car, pour les industries du sucre ou du rhum, la matière première de base canne à sucre n’est pas substituable et, pour les planteurs, la sucrerie constitue le seul débouché. Ce périmètre de filière ne recouvre pas exactement la filière au sens institutionnel de l’interprofession, représentée par la Commission paritaire canne-sucre. L’interprofession rassemble les exploitants agricoles, planteurs de canne et les industriels du sucre, sous la tutelle de l’État. Elle exerce une mission de concertation pour organiser l’approvisionnement des sucreries en canne et, notamment, pour établir la convention pluriannuelle qui fixe le barème du prix de la canne et la répartition des aides publiques dont l’importance confère un important pouvoir d’arbitrage à l’État. La convention canne actuelle (2006-2015) s’inscrit dans la continuité avec le maintien du principe d’aides couplées à la production. Elle entérine le régime dérogatoire à la réforme de la politique sucrière européenne avec la compensation des baisses de prix garantis du sucre, accordée aux DOM en 2005. Un organisme technique est associé à l’interprofession (le Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre) pour le contrôle de la qualité des livraisons de canne. Nous sommes donc en présence d’une filière agro-industrielle structurée de façon classique par un segment de production de matière première agricole très atomisé, avec 4 800 planteurs en 2000, et un segment industriel concentré qui compte deux sucreries et trois distilleries. Les dernières décennies ont été marquées par un regroupement de l’appareil industriel en deux usines pour atteindre une dimension compétitive avec une capacité de broyage amenée à plus de 1 mil- 13•Fusillier 29/10/09 1822 15:25 Page 1822 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN lion de tonnes de canne par usine. La configuration de l’île, avec ses deux bassins de production Nord et Sud difficilement connectables, ne permet pas de pousser plus loin la concentration industrielle. Le défi majeur pour la filière, imposé par le caractère industriel et l’importance des économies d’échelle, est de sécuriser un approvisionnement en canne à sucre suffisant pour chaque usine. En effet, alors que les débouchés du sucre sont sécurisés par un quota à prix garantis sur le marché européen, au moins jusqu’en 2013, la production de canne, quant à elle, reste largement en dessous des capacités des usines. Un effet de seuil de production menace ainsi la pérennité de la filière. La production de canne à sucre a connu dans les années 1990 un déclin en raison principalement de l’urbanisation des terres agricoles. Les modestes gains de rendements de la culture 2 et une politique plus volontariste de protection du foncier agricole 3 ont permis de stabiliser la production un peu en dessous de 2 millions de tonnes mais ce redressement est fragile. Une majorité d’exploitations de canne ont une taille très réduite qui compromet la rentabilité de la production et limite les possibilités d’intensification. Malgré ces difficultés, la plupart des exploitations conservent la canne en quasi monoculture car cette dernière offre une sécurité de débouché et s’avère l’une des productions les moins risquées sur un plan agronomique. La spécification de la matrice de comptabilité sociale pour prendre en compte la filière étudiée revient à désagréger les comptes des activités, des biens et des institutions liées ou connexes à la production de sucre. Le découpage adopté reprend la structuration de la chaîne technique de la filière sucre avec ses trois niveaux (cf. graphe ci-dessous) : – L’activité « plantation de canne à sucre » qui fournit le bien canne à sucre. Elle est assurée par les planteurs qui relèvent dans la MCS de l’ « institution ménages exploitants agricoles », catégorie particulière d’entrepreneurs individuels. – L’activité sucrerie fournit le bien sucre et trois co-produits : la bagasse, la mélasse et les écumes. Ce dernier co-produit n’étant pas valorisé mais restitué gratuitement aux planteurs est donc négligé pour la MCS. Le raffinage de sucre est intégré à l’activité sucrerie. La bagasse est valorisée en énergie électrique par des centrales thermiques qui sont considérées comme des activités 2 Rendement moyen en canne de 66 t/ha pour la période 1988-95 à 71 t/ha en 19962004. 3 Le schéma d’aménagement régional décidé en 1996 retient un objectif de 30000 ha de canne. 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1823 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1823 connexes à la filière sucre, donc non incluses dans le périmètre de cette dernière. La bagasse fournit un quart de l’électricité de l’île en 2000. – L’activité distillerie qui produit des rhums à partir de mélasse. Les différentes qualités de rhum (rhum traditionnel destiné au marché local ou à l’exportation, rhum déclassé en alcool cru de canne destiné aux liquoristes) tout comme celles des sucres ne sont pas spécifiées en autant de biens dans la MCS, mais leur valorisation différenciée est bien prise en compte au niveau de chaque utilisation. En termes d’institutions, la sucrerie et la distillerie sont des activités intégrées au sein des mêmes groupes industriels, les deux groupes sucriers Quartier Français et Union SDA (devenu Tereos, troisième producteur mondial de sucre). Ainsi la valorisation de la mélasse s’effectue à des prix de cession interne relevant de stratégies d’entreprise qui peuvent s’éloigner de critères purement économiques. Il existe dans la distillerie un troisième opérateur indépendant. Ces activités industrielles mettent en jeu deux catégories institutionnelles, les entreprises et les ménages salariés. Les activités amont spécifiées dans la MCS concernent les principaux biens et services intermédiaires : intrants agricoles, travaux de récolte, aménagements fonciers, énergie, eau, transport, maintenance, emballages. Les activités en aval qui valorisent les produits issus de la filière comprennent : l’alimentation animale pour la mélasse ; les centrales thermiques qui convertissent la bagasse en vapeur et électricité avec, là encore, des prix de cession internes aux entreprises puisque ces centrales sont en fait intégrées aux groupes sucriers ; la liquoristerie qui s’approvisionne en rhum déclassé. Les comptes de facteurs de production ne sont pas repris dans la MCS, à l’exception du facteur terre, dans la mesure où la séparation des facteurs travail et capital n’apparaît pas pertinente dans une agriculture à dominante familiale. La MCS est renseignée pour l’année 1998 compte tenu des informations disponibles. Les sources mobilisées sont l’enquête annuelle d’entreprise de l’INSEE, les comptes de l’agriculture de la DAF, des référentiels technico-économiques « canne à sucre » de la Chambre d’agriculture et du CIRAD et, enfin, les comptes économiques de la Réunion qui fournissent les données macro-économiques de cadrage de la MCS. L’année 1998 présente, avec 1,67 millions de tonnes, un niveau de production de canne à sucre inférieur de 7 % à la moyenne 13•Fusillier 29/10/09 1824 15:25 Page 1824 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN décennale et très en dessous de l’objectif de deux millions de tonnes affiché par la profession. Une simulation des effets d’entraînement pour ce niveau de 2 Mt est toutefois envisageable à partir des coefficients multiplicateurs fixes dans la mesure où les hypothèses de fixité des prix et de sous-emplois des capacités de production paraissent acceptables dans le contexte réunionnais. Activités, opérateurs et flux de produits Approvisionnemen ts eau année 2000 en tonnes et hectolitres Al cool Pur sources : CTICS, Douanes, Syndicat des fabricants de sucre Prestation s de travaux combustibles engrais phytosanitaires aménagements transport maintenance Plantation 4 800 planteurs Périmètre de filière canne à sucre 1 820 000 t Sucrerie & raffinage énergie Electricité Bagasse Ecumes Sucre 540 000 t 64 000 t 200 000 t 2 industriels Groupe Quartier Français Union SD A Mélasse 6 000 t Alimen tation animale 56 0 00 t Distellerie brut conditionné 140 000 t 40 000 t 20 000 t 48 000 Hl Expo rt Rhums 11 000 Hl Marché local Quartier Français Union SDA Ets Isautier 6 000 Hl Liquoristes FIGURE 1 Structure de la filière sucre à la Réunion 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1825 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1825 III. – LES EFFETS DIRECTS DE LA FILIÈRE SUCRE III.1 La contribution directe au revenu et à l’emploi de l’économie locale La production globale dégagée par la filière sucre s’établit entre 145 et 170 millions d’euros (M€) à la fin des années 1990 et début 2000 marquées par d’importantes fluctuations des productions de canne (de 1,67 en 1998 à 1,94 millions de tonnes en 1999) et de la richesse en sucre. À titre de comparaison, ce produit brut avoisine le chiffre d’affaires des industries de la viande et du lait orientées vers l’approvisionnement du marché local [Fusillier, Dalphin et Nef (2001)]. Les sucres représentent toujours la part essentielle du produit brut de la filière, avec plus de 80 % . Près de 40 % du volume est constitué de sucres roux spéciaux à plus forte valeur. Les rhums en revanche ne se positionnent pas sur des marchés « haut de gamme » très rémunérateurs ; leur part reste ainsi confinée à 10 % du produit brut global de la filière. Contrairement aux sucres essentiellement exportés, près de la moitié des ventes de rhums, en valeur, sont effectuées sur le marché local. Quant aux co-produits bagasse et mélasse non consommée par la distillerie, qui font l’objet d’efforts de valorisation, leurs retombées économiques sont encore limitées avec seulement 6 % du produit global. La valeur de la production ne rend pas compte de la richesse créée directement par la filière, il convient de raisonner sur la valeur ajoutée. La valeur ajoutée considérée ici est brute d’amortissement car notre approche se limite aux effets liés au fonctionnement de la filière sans prendre en compte l’investissement. C’est aussi une valeur ajoutée nette de subvention au produit car les effets liés aux subventions ne sont pas générés par les ressources propres de la filière. Le point de vue de l’évaluation économique diffère donc de celui de la comptabilité nationale qui est préoccupée d’équilibre des flux et intègre les subventions au produit dans la valeur ajoutée. Pour une production de canne à sucre fluctuant, de 1995 à 2001, entre 66 et 81 M€ (au prix d’achat industriel hors subvention au planteur), la valeur ajoutée brute de l’activité de plantation se situe entre 34 et 46 M€. Avec un taux de consommations intermédiaires par rapport au produit brut variant de 40 à 50 %, on voit que l’effet d’entraînement sur les secteurs amont de l’agro-fourniture et des services est loin d’être négligeable. Toutefois, la culture de canne à sucre présente une moindre dépendance vis-à-vis de l’agro-fourniture que d’autres secteurs comme l’élevage où le taux de consommations intermédiaires atteint 60 %. 13•Fusillier 29/10/09 1826 15:25 Page 1826 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN L’industrie sucrière se caractérise par de lourdes immobilisations et un faible taux de valeur ajoutée (moins de 15 %). L’achat de canne à sucre représente à lui seul près de la moitié du produit brut. La valeur ajoutée varie de 18 à 23 M€. La distillerie présente un plus fort taux de valeur ajoutée (27 %) car elle tire sa matière première – la mélasse – d’un sous-produit du sucre faiblement valorisé (3,5 à 4 M€). La valeur ajoutée de la distillerie se situe autour de 4,5 M€. La valeur ajoutée consolidée de la filière s’inscrit donc dans une fourchette de 56 M€ en année de basse production comme 1998 à 70 M€ pour une campagne cannière faste comme 1999. La contribution directe de la filière sucre à la création de revenu dans l’économie réunionnaise apparaît donc très modeste. La valeur ajoutée de la filière représente en effet, en année favorable, 1 % du produit intérieur brut de la Réunion et 1,6 % du PIB marchand. Ces chiffres contrastent avec l’importance de la canne dans le paysage agricole de l’île ou avec l’idée d’une économie dépendant d’une monoculture. En termes d’emplois, la production de canne à sucre occupe 4 800 planteurs dont 3 200 à plein temps d’après le RGA 2000, auxquels s’ajoutent environ 2 000 salariés saisonniers sur la base d’une hypothèse de 60 % du tonnage de canne récolté manuellement par des salariés 4. L’activité de plantation représente ainsi l’équivalent de 4 500 emplois à temps complet. Les effectifs salariés des industries sont de 450 dans les sucreries et 60 dans les distilleries, d’après les données ASSEDIC de fin 1998. Les emplois directs de la filière sucre peuvent donc être estimés autour de 5 000 équivalents plein temps, soit un peu moins de 3 % de l’ensemble des emplois de la Réunion. III.2 La distribution des revenus de la filière sucre Les revenus distribués par la filière dépassent de beaucoup la répartition de la valeur ajoutée compte tenu des importantes subventions versées par l’État, les fonds européens et les collectivités locales. La production de canne à sucre distribue ainsi 70 M€ de revenus en 1998, pour une valeur ajoutée de seulement 35 M€. Le revenu brut restant aux exploitants, après les versements de salaires (12 M€), cotisations sociales et impôts (5,6 M€), frais financiers et assurances (3,3 M€) et fermages (2,7 M€) est d’environ 46 M€. Les subventions 4 80 % de la sole cannière est coupée à la main en 2004 d’après le CTICS mais, en termes de production, la part manuelle peut être ramenée à 60 % car la coupe mécanique est réalisée sur les terres à plus forte productivité. 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1827 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1827 (28,5 M€ d’aide au prix de la canne et 6,7 M€ d’aides structurelles ICHN et replantation) représentent plus des trois quarts du revenu brut des planteurs. La part des subventions dans les recettes totales des planteurs a doublé entre 1980 et 2000, passant de 16 % à 33 %. Cette augmentation des aides répond à un engagement de l’État de maintenir le prix de la canne à sucre en valeur constante mais elle ne compense pas la hausse du coût des intrants et de la main-d’oeuvre. Les industries sucrières distribuent une importante masse salariale (20 M€). Les revenus des entreprises sont contrastés en 1998. Les résultats de la sucrerie paraissent très affectés par le faible approvisionnement en canne, ils frôlent le déficit malgré d’importantes subventions de l’OCM sucre pour l’exportation vers l’Europe (6,5 M€). Les distilleries, en revanche, dégagent un revenu brut de 3 M€ : c’est le segment rentable de l’industrie. Le bilan des revenus distribués par la filière sucre en 1998 montre que les ménages exploitants agricoles sont les principaux bénéficiaires avec 46 M€. Ce revenu représente près de 30 % de l’ensemble des revenus allant aux ménages agricoles réunionnais. Avec 27,4 M€ de rémunération brute, les autres ménages salariés tirent également des FIGURE 2 Effets directs de la filière sucre Réunion 13•Fusillier 29/10/09 1828 15:25 Page 1828 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN bénéfices importants de la filière. Les pouvoirs publics versent 42 M€ de subventions à la filière en 1998 (hors aides aux investissements et dotations des services de recherche et d’appui technique) mais le bilan sur les finances publiques doit tenir compte des taxes sur les activités et les produits et des cotisations sociales perçues. Le déficit net pour la collectivité s’élève alors autour de 23 M€. IV. – LES EFFETS D’ENTRAÎNEMENT ET REDISTRIBUTIFS DE LA FILIÈRE SUCRE La filière sucre achète en 1998 pour 96 M€ de consommations intermédiaires, intra-consommations de canne et mélasse non comprises. La part fournie localement par les secteurs énergie, transport, maintenance, eau, travaux d’aménagement, commerce induit une valeur ajoutée indirecte incorporée dans le calcul du multiplicateur de la MCS. Ce dernier mesure la part totale de la valeur ajoutée de l’économie réunionnaise imputable à la filière sucre. Il intègre les valeurs ajoutées directe et indirecte. Les multiplicateurs issus de la MCS, hors subvention 1998, pour les flux versés aux institutions par les productions des sucreries et des distilleries, sont respectivement de 0,617 et 0,459. Appliqués aux valeurs totales des productions, ces multiplicateurs donnent, pour 1998, une valeur ajoutée directe et indirecte de la filière d’environ 90 M€ soit 1,6 fois la valeur ajoutée directe. Pour une valeur de production correspondant au niveau de 2 millions de t de canne, l’effet d’entraînement sur l’économie atteint 110 M€ ; la filière sucre représente alors 1,6 % du PIB réunionnais et 2,4 % du PIB marchand. Les importations directes et indirectes induites par le fonctionnement de la filière atteignent 58 M€ en 1998. Ce montant représente la moitié de la valeur des exportations de sucre et de rhum. Bien que les importations liées aux investissements n’aient pas été pris en compte dans notre approche, la filière sucre, avec ses 115 M€ d’exportation, apporte toujours une contribution majeure à la balance commerciale de l’île. On a vu que les effets d’entraînement par l’amont sont limités (les importations induites directes et indirectes représentent 60 % de la valeur des consommations intermédiaires de la filière), ce qui paraît logique dans le contexte d’une petite économie insulaire relativement ouverte aux échanges internationaux. Les effets redistributifs de la filière ont une autre ampleur car ils intègrent les effets des subventions (cf. tableau 2). 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1829 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1829 Les revenus indirects induits par la filière sont estimés à 38 M€ pour 1998. L’effet distributif global atteint 137 M€. Les revenus indirects se composent pour 40 % de salaires bruts distribués aux ménages. Ainsi la filière distribue, de façon directe et indirecte, pratiquement autant de revenus aux ménages salariés qu’aux ménages exploitants agricoles (respectivement 43 et 46 M€ en 1998). L’effet sur l’emploi est important, les 90 M€ distribués en 1998 aux ménages représentent l’équivalent de 7 000 emplois à temps plein rémunérés au SMIC, soit 4 % de l’ensemble des emplois à la Réunion. Une récolte de 2 Mt de canne induirait environ 8 500 emplois directs et indirects. La collectivité (État et organismes sociaux) bénéficie également de retombées significatives, les taxes et cotisations perçues sont évaluées à un peu plus de 30 M€. Le bilan pour les finances publiques et sociales n’est donc pas aussi déséquilibré que le laissaient paraître les seuls effets directs. La contribution nette des fonds publics et sociaux à la filière (hors prestations sociales versées) est estimée à 10 M€. Cette contribution paraît finalement modeste au regard des emplois créés par la filière. Dans un contexte de DOM marqué par l’importance du chômage et la faiblesse des opportunités de nouvelles productions 5, un soutien à l’activité économique ciblé sur la principale filière d’exportation apparaît une forme d’intervention publique socialement pertinente pour conforter les revenus des ménages, notamment si l’on considère que la principale alternative serait la distribution de revenus sociaux de type RMI sans contrepartie productive. CONCLUSION ET PERSPECTIVES Le recours au cadre de la matrice de comptabilité sociale pour décrire de façon quantitative l’économie du sucre à la Réunion s’est révélé très efficace : il a permis de mobiliser des informations d’origines différentes tout en obligeant à les rendre cohérentes entre elles. De plus, les calculs des effets économiques imputables à la chaîne des 5 On considère qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de culture de substitution à la canne à sucre, notamment capable d’occuper une surface de 25 000 ha et que la déprise et l’urbanisation diffuse seraient les réponses les plus probables des producteurs à un arrêt des soutiens à la canne. Les productions légumières et fruitières destinées au marché local sont déjà proches de la saturation et aucune production agricole ne présente une compétitivité qui permettrait une exportation à grande échelle. Les fourrages, principale culture en expansion, sont contraints par le manque de compétitivité des productions bovines face aux importations. La poursuite du développement des filières bovines dépend, comme la canne à sucre, du maintien d’un niveau élevé de soutien public. 13•Fusillier 29/10/09 1830 15:25 Page 1830 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN TABLEAU 2 Effets de la filière sucre (planteurs, sucreries et distilleries) Réunion en millions d’euros Effets directs Effets directs + indirects référence 1998 hypothèse référence 1998 hypothèse 1,67 Mt canne 2 Mt canne 1,67 Mt canne 2 Mt canne Effets d’entraînement Produit brut hors subventions Valeur Ajoutée brute Importations 149 56 177 70 Subventions 42 49 Effets distributifs avec subventions Ménages agricoles 45,7 Ménages salariés 27,4 Entreprises 2,7 Institutions financières 5,8 État – collectivités 9,1 Organismes sociaux 7,6 Total Effets distributifs 98,5 55,6 30,5 5,3 6,4 10,7 8,4 116,9 91 58 110 69 45,7 43,0 9,6 6,1 19,8 12,3 136,6 55,6 50,9 12,2 7,2 23,2 14,6 163,7 Sources : INSEE, DAF, calculs MCS 1998 CIRAD consommations intermédiaires comme à la dépense des revenus distribués découlent des propriétés matricielles de la MCS. Les résultats des calculs montrent, d’une part, que la filière sucre tient une place beaucoup plus modeste que ce que l’on pourrait croire a priori dans l’économie de l’ile, mais que, d’autre part, elle joue un rôle clé dans la politique de soutien à l’activité économique et aux revenus des ménages. La méthode trouve ses limites quand il s’agit d’évaluer des changements de politique économique ou agricole. Ainsi les incertitudes au niveau de l’Union européenne en matière d’aide publique à l’agriculture au-delà de 2015 constituent une menace sérieuse pour la pérennité de la filière sucre de la Réunion. La profession axe sa stratégie de développement sur deux orientations. Une orientation productiviste pour réaliser des économies d’échelle et dépasser le seuil de rentabilité des sucreries. Des gains de productivité sont attendus à tous les niveaux de la filière afin, notamment, de compenser la baisse anticipée des aides publiques. Une autre orientation est la diversification des débouchés à travers une valorisation plus poussée des co-produits du sucre pour la production d’énergies (électricité ou biocarburants), la canne à sucre ayant l’avantage d’être l’une des plantes les plus productives en biomasse. La recherche d’un compromis entre l’objectif économique de compétitivité de la filière et l’objectif social de préser- 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1831 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1831 ver les emplois s’avère un défi difficile à résoudre. En effet, les marges de progrès existantes se situent surtout au niveau de la production de canne, elles concernent la mécanisation de la culture et son intensification par l’irrigation, l’amélioration variétale et les replantations plus fréquentes. Or, la mise en œuvre de ces techniques passera essentiellement par un agrandissement des exploitations donc une concentration du secteur avec un impact négatif sur l’emploi. Quels seraient précisément les impacts des options de développement futur de la filière ? Dans quelle mesure les effets redistributifs de la filière pourraient être remis en cause par la restructuration des exploitations agricoles ? Nous avons utilisé la MCS pour mettre en évidence les effets directs et indirects de la filière dans sa configuration actuelle. Pour traiter les questions précédentes, on peut envisager de conduire une approche, cette fois prospective de la filière, en utilisant la MCS comme outil de simulation. Une telle approche implique de lever les hypothèses restrictives de la MCS sur la fixité des coefficients techniques et la linéarité des processus. La prise en compte de changements structurels de l’économie nécessite en effet d’enrichir la matrice en intégrant des prix de biens et facteurs de production, des élasticités de production et de consommation, des possibilités de substitution et plafonnement des ressources, ou encore des planchers de production exprimant des seuils de rentabilité d’activités. Bien qu’il implique une grande complexification de la MCS, le passage d’une approche d’évaluation statique des effets d’une filière à une prospective par la simulation reste envisageable dans des contextes bien informés dotés d’un appareil statistique étendu, comme c’est le cas à l’île de la Réunion. La solution est alors de construire un modèle d’équilibre général aussi détaillé que la MCS, mais pour lequel on aura spécifié le comportement de tous les acteurs essentiellement sous forme d’élasticités. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES AYIWOUE E., PARROT L. [2008], « La méthode de programmation par processus algorithmique : application sur une matrice de comptabilité sociale », in Agricultures et développement urbain en Afrique subsaharienne. Gouvernance et approvisionnement des villes / Parrot L., Njoya A., Temple L., Assogba-Komlan F., Kahane R., Ba Diao M., Havard M. (eds), L’Harmattan, Paris, p. 85-99. BASQUIN H. [2002], La matrice de comptabilité sociale sous Access : conception, utilisation et méthodologie d’exploitation, Document de travail CIRAD, Montpellier. 13•Fusillier 29/10/09 1832 15:25 Page 1832 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN BELIERES J.F., TOURE H.A. [1999], Impact de l’ajustement structurel sur l’agriculture irriguée du delta du Sénégal, Thèse ENSAM, Montpellier. BELL C., HAZELL P., SLADE R. [1982], Project evaluation in regional perspective, World Bank, J. Hopkins University Press, Baltimore. BENOIT-CATTIN M., BELIERES J.F., TOURE H.A. [1998], « La matrice de comptabilité rurale, outil de mobilisation des connaissances technico-économiques pour la décision de politique de développement régional : exemple du delta du fleuve Sénégal », Communication au Symposium international de l’Association Ouest et Centre Africaine de Recherche sur les systèmes de production et la gestion des ressources naturelles, 21-25 sept., Bamako (Mali). CHERVEL M., LE GALL M. [1989], Manuel d’évaluation économique des projets. La méthode des effets, Ministère de la coopération et du développement (Méthodologie). FUSILLIER J.L., DALPHIN A., NEF A. [2001], L’agro-alimentaire : des industries dynamiques confrontées aux importations, INSEE Économie de la Réunion, n° 107,1er trim. FUSILLIER J.L., JEAN-PIERRE P. [2002], Canne à sucre, état des lieux. Une filière aidée qui redistribue largement, INSEE Économie de la Réunion, n° 114, 4e trim. INSEE [2002], Comptes économiques des départements d’outre-mer 19932002. LEWIS B., THORBECKE E. [1992], « District level economic linkages in Kenya. Evidence based on a small regional social accounting matrix», World Development, vol. 20, n° 6, p. 881-897. NEVEU C. [2001], Conception d’une matrice de comptabilité sociale pour évaluer la contribution des secteurs agricole et agro-alimentaire à l’économie réunionnaise, Document de travail CIRAD-TERA, n° 72/01. PARROT L., AYIWOUE E. [2008], « Effets d’entraînement des activités économiques d’une économie locale : le cas de la ville de Muea au Cameroun », in Agricultures et développement urbain en Afrique subsaharienne. Gouvernance et approvisionnement des villes / Parrot L., Njoya A., Temple L., Assogba-Komlan F., Kahane R., Ba Diao M., Havard M. (eds), L’Harmattan, Paris, p. 101-113. SADOULET E., DE JANVRY A. [1995], Quantitative development policy analysis, J. Hopkins University Press. THORBECKE E. [1985], « The social accounting matrix and consistency type planning models », in Social accounting matrices. A basis for planning / Pyatt G. et Round J.I., World Bank, Washington. 13•Fusillier 29/10/09 15:25 Page 1833 LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION 1833 ANNEXE Extraits de la Matrice de comptabilité filière sucre Réunion 1998 - Millions Euros Sources : INSEE Enquête annuelle entreprises et Comptes économiques régionaux, BOCCRF, DAF statistiques agricoles, CIRAD référentiel canne à sucre DÉPENSES RECETTES ACTIVITES BIENS & SERVICES Facteur INSTITUTIONS ACCUMU LATION CAPITAL Plantati on Canne à sucre Sucrerie Distillerie Liquoriste rie Comm erce Canne à sucre Sucre Mélasse Bagasse Rhum Autres Produits Agricoles& Alimentaires Semences, plants Engrais Phytosanitaires Autres produits chimiques Produits pét roliers Eau Électricité Emballages Équipements agricoles Autres Biens d'Equipement Service Entretien, mainte nance Service Travaux agricoles Service Transport Services Non Marchands Autres Biens & Services marchands Terre Entreprises Administrations Publiques Organismes Sociaux Exploitants agricoles Autres ménages Institutions Financières Reste du Monde Accum. Plante urs Accum. Indu stries sucre Accum. Autres Activités TOTAL colonn e MCS ACTIVITÉS Plantati on Autres canne Sucrerie Distillerie Liquoriste rie IAA 0,0 0,0 0,0 0,0 Energie 66,3 3,0 0,9 3,2 7,6 0,8 0,6 289,6 0,3 6,4 2,4 6,1 2,7 4,6 3,8 5,0 2,7 6,1 0,6 3,0 7,6 1,5 0,3 0,3 0,9 1,5 0,3 0,3 0,9 1,5 12,0 3,1 2,8 4,3 15,2 9,1 6,1 1,2 1,1 0,6 0,6 1,6 3,5 8,4 0,6 0,5 4,9 13,7 2,3 1,5 89,0 30,5 10,7 3,0 1,5 1,5 3,8 46,5 12,2 3,4 0,03 3,6 4,0 2,6 0,5 0,3 3,5 0,6 0,5 63,4 14,0 17,9 30,5 18,3 10,7 14,4 2,5 1,1 0,0 1,8 0,0 72,6 3,1 21,3 101,5 147,1 15,9 14,0 601,1 134,1 29/10/09 J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN BIENS & SERVICES INSTITUTIONS ACCUMUL Terre Entre prises Adm Pub Org Sociaux Exploitants Autre s mén IF RDMonde Accu Plant Accu Indust Accu Autres TOTAL colonne MCS 0,8 1,5 14,0 747 5,5 0,0 0,0 10,7 109,0 0,2 13,1 1095 7,3 26,2 0,0 0,0 0,0 0,0 0,1 191,8 33,5 64,0 337,7 0,1 0,1 30,0 4,6 3,8 76,2 3,7 3315 0,0 0,8 3,8 320 2588 3,0 0,0 202,3 0,0 12,2 123 4,3 7,6 21,2 0,0 59,5 1082 6895 2,4 291,9 140,5 0,0 9,6 0,7 211,2 66,3 5,4 3848 0,0 0,0 4826 185,3 17,5 78,7 total ligne MCS 35,2 6,4 0,1 Kal sucrerie 7,6 15,9 Kal Planteurs 7,6 RDM Bagasse 4,3 66,3 Ménages Mélasse 121 Admin Publiq Sucre ACTIVITES Plantation Sucrerie Distillerie Liquo rist Comm erce Cann e Sucre Mélasse Bagasse Rhum Autre s PAA Semences E ngrais Phytosan Aut Pchimi P pétroliers Eau Electricité Emballages Equip agri Autre s BE Entretien Trav agri Transport ServNMarch Autre s B&S Canne RECETTES ACCUMUL DE CAPITAL INSTITUTIONS B&S BIENS & SERVICES DEPENSES Fac teur Page 1834 Autres 1834 15:25 Rhum 13•Fusillier 101,5 147,1 15,9 14,0 1238,9 66,3 122,7 4,3 7,6 21,2 1580,9 1,8 8,4 9,8 100,5 375,9 49,0 145,0 80,8 10,7 1067,1 30,9 8,4 104,9 3325,4 6506,2 4,6 2433,8 1335,6 1152,6 169,4 6193,7 102,9 2443,7 19,2 10,7 240,2 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1835 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1835-1856 Gouvernance et performance des filières alimentaires au Vietnam Paule Moustier, CIRAD, UMR 1110 Moisa Au Vietnam, les petits producteurs peuvent-ils profiter du développement de la grande distribution? Nous avons étudié la gouvernance de filières alimentaires et leurs résultats en termes de distribution de revenus. Des enquêtes ont été menées auprès d’un échantillon de producteurs et commerçants dans les filières de légumes à destination de Hanoï et Ho Chi Minh Ville, de riz parfumé et de litchis à destination de Hanoï. Les résultats montrent une plus grande intégration des filières caractérisées par des labels de qualité et des revenus plus élevés pour les producteurs que dans les filières peu intégrées. Can the small Vietnamese farmers benefit from the development of modern distribution? We studied the governance of food chains and their results in terms of income distribution. Surveys have been conducted on a sample of farmers and traders in the vegetable chains supplying Hanoï and Ho Chi Minh City, in aromatic rice and litchi chains supplying Hanoï. The results show that chains with quality labels are more integrated and generate higher incomes for farmers than chains with little integration. 14•Moustier 30/10/09 1836 7:25 Page 1836 P. MOUSTIER INTRODUCTION De nombreux pays d’Asie du Sud-Est font l’objet d’une croissance rapide. Les marchés intérieurs, notamment ceux des villes, peuvent représenter des opportunités de revenus pour les agriculteurs. Ainsi, au Vietnam, les villes sont en croissance régulière. Elles concentrent le quart de la population et 40 % du PIB [Moustier et al. (2003)]. Les revenus de la population augmentent, la croissance dépassant 7 % par an sur la période 2000-2006 (même si elle ralentit avec la crise financière internationale). Les consommateurs accordent de plus en plus d’importance à la qualité des produits alimentaires. Ils sont attachés à la qualité gustative des aliments qu’ils associent à des terroirs de production spécialisés. Ils se préoccupent aussi de la qualité sanitaire, surtout des pesticides dans les légumes et des résidus d’hormones dans les viandes [Figuié et al. (2004)]. Une segmentation du marché et des chaînes de distribution est en train de se développer. Comme dans de nombreux autres pays en développement [Reardon et al. (2003)], la grande distribution augmente rapidement (15 % de croissance par an), soutenue par les investissements publics et privés. Les entreprises tentent d’attirer une clientèle aisée en basant leur communication sur une qualité supérieure des produits vendus. Cependant la majeure partie de la population se ravitaille toujours dans les marchés de détail de proximité, et auprès des vendeurs de rue [Moustier et al. (2006)]. Malgré une forte croissance, le taux de pauvreté s’élevait toujours à 20 % en 2004. Il concerne surtout les agriculteurs des zones rurales qui cultivent une moyenne de 0,7 ha (données de l’office national de statistiques pour 2006). Dans ce contexte de changements de la demande et de la distribution des aliments, nous nous demandons comment les petits producteurs peuvent augmenter leurs revenus en ciblant les débouchés les plus rémunérateurs. Pour répondre à ces questions, l’analyse de filière semble pertinente. La notion de filière, comme celle plus récente de chaîne de valeur, invite à un découpage du champ économique (ou agroalimentaire) en différents sous-systèmes productifs où l’ensemble des étapes de fabrication et de distribution d’un produit est considéré, ce qui est pertinent pour comprendre les difficultés d’ajustement entre l’offre et la demande d’un produit [Hugon (1985)]. Ce découpage est également nécessaire pour évaluer les impacts économiques directs et indirects du développement d’un secteur agricole. Nous nous interrogeons ici sur les déterminants de la performance des filières, particulièrement en termes de formation de la qualité et 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1837 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1837 des revenus. Nous présenterons tout d’abord de façon synthétique comment la gouvernance des filières est mise en relation avec leur performance. Puis, nous illustrerons ces mises en relation par le cas de la gouvernance et la performance en termes de qualité et revenus des filières d’approvisionnement des supermarchés au Vietnam. I. – ÉTAT DE L’ART Nous considérons ici deux approches récentes : les chaînes de valeur et l’économie des coûts de transaction. Les similitudes et différences entre ces approches sont résumées dans le tableau 1 et développées ci-après. Ces approches considèrent le contrôle de l’information et des décisions concernant les transactions comme un élément clé des flux de produits et des résultats économiques. Cependant, il existe des différences importantes dans l’évaluation de ce contrôle, comme dans le type de performance considérée. TABLEAU 1 Différences dans les variables d’organisation et de performance des analyses de filières Variables d’organisation Étapes techniques Information Relations et dépendances (capital-travail) Droits de propriété Incitations Compétences Variables de performance Coûts et prix Revenus Équité Innovation-qualité Économie des coûts de transaction Chaînes de valeur x x x x x x x x x x x x x Pour l’économie des coûts de transaction, la performance de l’organisation de l’échange (ou de sa gouvernance) est évaluée par rapport à la capacité de diminuer les coûts de transaction, c’est-à-dire l’ensemble des coûts d’information, de recherche des partenaires, de négociation, de suivi et d’exécution du bon déroulement de la transaction [Williamson (1987)]. Les principales organisations prises en compte par l’économie des coûts de transaction sont : le marché spot, les 14•Moustier 30/10/09 1838 7:25 Page 1838 P. MOUSTIER contrats et l’intégration verticale (« faire faire » plutôt que « faire soimême »). Ces organisations se distinguent par le degré d’autonomie des décisions entre les acteurs et la distribution des droits de propriété. La rationalité du choix d’une de ses alternatives dépend à la fois des coûts de production et des coûts de transaction qui leur sont associés. Les mécanismes d’incitation, la centralisation des décisions et des droits de propriété réduisent les coûts de transaction. En revanche, le marché peut conduire à des économies d’échelle sur les coûts de production par rapport à des organisations plus bureaucratiques [Williamson (1991)]. Il n’est pas possible d’évaluer directement les coûts de transaction (CT) mais trois attributs des transactions sont déterminants sur leur nature et leur niveau : la spécificité des actifs (qui est l’attribut qui pèse le plus dans les CT), la fréquence des transactions et l’incertitude. La spécificité des actifs est la difficulté à utiliser les ressources engagées dans l’échange pour des transactions alternatives : ils sont particulièrement élevés lorsque l’entreprise doit s’assurer la fourniture d’un produit ou service d’une qualité spécifique. Les analyses de la gouvernance dans les chaînes de valeur globales (Global Value Chains : GVCs) se basent sur l’économie des coûts de transaction. Mais par rapport à l’ECT, elles introduisent l’importance de la répartition des compétences entre les acteurs, ainsi que les innovations en termes de qualité des produits. Alors que l’ECT définit la gouvernance des transactions (ou les modes de coordination) selon la distribution des droits de propriété et l’autonomie de décision dans les étapes de fabrication et d’échange du bien, la gouvernance des chaînes de valeur fait référence au système qui régit la division du travail et des responsabilités le long des entreprises dans la chaîne de valeur. Un accent particulier est donc mis sur le travail (sa mobilisation et sa qualité). Par ailleurs, la principale notion de performance considérée est la compétitivité sur le marché international en termes de coût et d’innovation. C’est souvent par l’innovation en termes de qualité que les entreprises des chaînes de valeur peuvent se « mettre à niveau » (upgrade) par rapport aux filières internationales avec lesquelles elles sont en concurrence. Cette mise à niveau permet une meilleure part dans la valeur totale de la chaîne pour l’entreprise innovante. Deux typologies de la gouvernance sont proposées par Gereffi et al. (2003). La première dépend de l’acteur contrôlant les investissements dans les filières, distinguant les chaînes pilotées par les producteurs (« producer-driven chains ») et les chaînes pilotées par les acheteurs (« buyer-driven chains »). L’allongement des chaînes de distribution alimentaire avec une augmentation des services ajoutant de la valeur, 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1839 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1839 concentrée au niveau de grandes entreprises agroalimentaires mondialisées, localisées dans les centres de consommation à hauts revenus, est souligné par Bencharif et Rastoin (2007) et par Soufflet (2008). Une autre typologie de Gereffi et al. (2003) est fondée sur la possibilité de changement d’acheteur et l’adaptation du produit à l’acheteur, définissant la gouvernance marchande, modulaire, relationnelle, captive et hiérarchique (voir tableau 2). L’efficacité de ces formes de gouvernance dépend de la complexité des transactions, de la capacité à codifier les transactions et de la compétence du fournisseur (voir tableau 3). L’économie des chaînes de valeur rejoint l’ECT dans la prédiction que les chaînes plus intégrées sont mieux à même de traiter les problèmes de transactions complexes, difficiles à codifier, ce qui est le cas lorsque les produits sont d’une qualité difficile à mesurer. Mais si les fournisseurs peuvent développer les compétences nécessaires, les chaînes pourront passer de formes hiérarchiques aux formes captives ou modulaires, ce qui permet une diminution des coûts de production et des risques à l’investissement de l’acheteur [Gereffi et Korzeniewicz (1994)]. TABLEAU 2 Typologie de la gouvernance des chaînes de valeur Marchande Modulaire Relationnelle Captive Possible changement d’acheteur + + ≈ – Adaptation du produit à l’acheteur – + ≈ + Source : Gereffi, Humphrey and Sturgeon (2003) TABLEAU 3 Efficacité de la gouvernance selon les transactions Marchande Modulaire Relationnelle Captive Hiérarchique Complexité des transactions Abilité à codifier les transactions Compétence du fournisseur – + + + + + + – + – + + + – – Source : Gereffi, Humphrey and Sturgeon (2003) 14•Moustier 30/10/09 1840 7:25 Page 1840 P. MOUSTIER En résumé, la littérature permet de dresser une typologie de la gouvernance des filières selon leur degré d’intégration. La caractérisation de l’intégration s’appuie sur les variables suivantes (croissantes avec le degré d’intégration) : le contrôle des droits de propriété sur les produits (ECT) ; le contrôle des décisions sur les produits (CV et ECT) ; l’adaptation du produit à l’acheteur (CV) ou la spécificité des actifs (ECT), qui sont des notions proches ; le partage de l’information entre fournisseurs et acheteurs, en particulier sur la demande de qualité des consommateurs finaux et en termes de flux de marchandises. La forme la moins intégrée est la forme marchande ; la forme la plus intégrée est la forme hiérarchique. Cette terminologie est commune à l’ECT et aux CV. Entre les deux, se définissent pour l’ECT des contrats, pour les CV des formes de relations modulaires ou captives. Les contrats se définissent par des engagements des partenaires sur différentes caractéristiques des transactions. Pour l’analyse des chaînes de valeur comme pour l’économie des coûts de transaction, plus les chaînes sont intégrées, plus elles sont efficaces pour réduire les coûts liés aux incertitudes sur la qualité des produits. L’intégration peut également répondre à une asymétrie de compétences au bénéfice de l’acheteur (selon l’analyse des chaînes de valeur). Par contre, l’intégration des filières augmente les coûts de production et les risques à l’investissement des acheteurs. Nous testerons les hypothèses suivantes tirées de la revue de la littérature. Tout d’abord, plus les transactions mettent en jeu des attributs de qualité complexes, plus la gouvernance des filières présente des caractéristiques d’intégration. Deuxièmement, une typologie de filières peut être établie selon leur gouvernance plus ou moins intégrée, caractérisée par l’adaptation du produit à l’acheteur, la capacité à changer d’acheteur ou de fournisseur, et la nature des engagements contractuels entre les partenaires. Enfin, la compétitivité (hors prix) est supérieure et les revenus plus importants, pour les acteurs qui innovent et investissent dans des domaines à fortes barrières à l’entrée, comme de nouveaux produits, une qualité nouvelle, des labels, et des stratégies d’intégration dans la chaîne. L’État a un rôle à jouer pour développer les capacités financières et techniques des acteurs qui sont les perdants dans les chaînes intégrées, en général situés en amont des chaînes globalisées [Kaplinsky (2000)]. Pour tester ces hypothèses sur les filières alimentaires au Vietnam, nous caractériserons leur gouvernance ainsi que leurs résultats relatifs à la qualité des produits, aux revenus des acteurs et à la compétitivité en termes d’accès aux supermarchés. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1841 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1841 II. – APPLICATION À LA PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM II.1 Méthode Des études de cas ont été menées sur quatre chaînes de distribution alimentaires : celle des légumes à Hanoï et Ho Chi Minh Ville ; des litchis et du riz parfumé à destination de Hanoï. Les sites de production se trouvent, pour les legumes, dans certains districts périurbains de Hanoï et Ho Chi Minh Ville et dans les hauts plateaux tempérés (provinces de Son La et de Lam Dong), pour les litchis, dans la province de Hai Duong et, pour le riz parfumé, dans la province de Nam Dinh. Les denrées ont été sélectionnées parce qu’elles concernent de petits agriculteurs (moins de 0,5 ha) dont certains fournissent les supermarchés. Dans les villes du Vietnam, le riz est le premier produit alimentaire consommé, suivi par les légumes puis les fruits [Ali et al. (2006) ; Moustier et al. (2003)]. Les fruits et légumes sont des denrées périssables dont l’offre est saisonnière et instable. Leur sécurité sanitaire préoccupe les consommateurs. Au contraire, le riz peut être stocké, l’offre est plus facile à prévoir et les inquiétudes des consommateurs par rapport à la sécurité du riz sont limitées. Cependant, la filière du riz, comme celle des fruits et des légumes, est caractérisée par des incertitudes sur la qualité en termes de goût et sur son origine (le riz du district de Hai Hau étant le plus apprécié, mais rarement labellisé). L’étude a été menée entre juin 2004 et juin 2005. Des données secondaires ont été utilisées sur l’origine et la nature des intermédiaires dans les filières traditionnelles de riz, légumes et fruits, sur la base d’un échantillon représentatif de commerçants [Moustier et al. (2003 et 2004) ; Van Wijk et al. (2005)]. Des entretiens ont été conduits avec un échantillon de responsables de rayons alimentaires de supermarchés à Hanoï et Ho Chi Minh Ville, ainsi qu’un échantillon de vendeurs traditionnels sur les marchés formels et de rue (cf. tableau 4). Les entretiens ont permis d’identifier la chaîne de grossistes, de collecteurs et d’agriculteurs fournissant ces points de vente. Ils ont aussi fourni des données financières sur les prix d’achat et de revente, les coûts de mise en marché, les quantités distribuées. Ensuite, des entretiens ont été menés avec un échantillon de ces fournisseurs dans les régions de production. Les grossistes et collecteurs ont été sélectionnés de façon aléatoire à partir d’une liste fournie par les supermarchés et d’autres vendeurs. Les agriculteurs membres d’organisations approvisionnant les supermarchés ont été sélectionnés de la même façon à partir d’une liste fournie par les chefs de village (ou les collecteurs dans le cas des 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1842 1842 P. MOUSTIER légumes) tandis que les agriculteurs non membres d’organisations ont été tirés d’une liste fournie par les mêmes informateurs pour les agriculteurs situés dans les districts voisins et présentant des caractérisTABLEAU 4 Échantillon pour les enquêtes auprès des producteurs et commerçants Acteurs Responsables d’achat des supermarchés (1) Grossistes (2) Détaillants de marché (3) Vendeurs de magasins (2) Vendeurs de rue Collecteurs (2) Producteurs Litchis, Nord Produits Légumes, Nord Légumes, Sud 13 3 13 4 8 4 19 6 grossistes Hanoï 3 compagnies alimentaires 20 grossistes 6 8 6 10 6 6 3 Province de Bac Giang 80 dans le district de Luc Ngan (choix aléatoire à partir d’une liste fournie par les collecteurs) Province de Hai duong : Le chef et cinq autres responsables de l’association de litchi de Thanh Ha ; 30 producteurs de Thanh Ha hors de l’association, 30 dans l’association 11 12 5 Province de Son La, district de Moc Chau : 32 (choix aléatoire à partir d’une liste fournie par les collecteurs) Le chef de l’association des producteurs de Moc Chau et cinq autres responsables Province de Hanoï, district de Soc Son : 4 producteurs de groupes fournissant les supermarchés, 12 en dehors des groupes Province de Hanoï, district de Dong Anh : le chef de l’association de producteurs fournissant un supermarché (Van Noi) 4 Province de Lam Dong : 3 responsables d’organisations de producteurs, 120 producteurs, dont le tiers sont members d’organisations Province de Ho Chi Minh Ville, district de Cu Chi : 2 chefs d’organisations de producteurs 5 membres de l’organisation, 5 hors de l’organisation (1) soit 80 % du total des supermarchés vendant ces produits (2) soit 30 % du total des vendeurs de ces produits Riz parfumé dit tam xoan, Nord 10 10 13 District de Hai Hau, province de Nam Dinh : 44 producteurs de 2 communes (choix aléatoire à partir d’une liste fournie par les autorités locales, dont 24 dans l’association et 20 en dehors de l’association Chef de l’association 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1843 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1843 tiques de taille et d’éducation similaires. Les entretiens ont permis de collecter des données financières ainsi que des informations qualitatives concernant le choix des points de vente et la participation aux organisations d’agriculteurs. Pour tenir compte des fluctuations saisonnières, nous avons demandé les valeurs minimales, maximales et moyennes, ce qui a permis de vérifier la fiabilité des valeurs moyennes déclarées. Le principe d’entretiens en cascade nous a permis de vérifier la valeur des prix d’achat par rapport aux prix de vente. Nous n’avons pas pu obtenir les coûts des supermarchés, donc nous présenterons seulement leurs marges, c’est-à-dire les différences entre les prix d’achat et prix de vente. Malgré toutes les mesures prises, il faut traiter ces données avec précaution, notamment du fait du caractère saisonnier des denrées concernées, de la réticence des agriculteurs et commerçants à fournir des données financières et de la petite taille de l’échantillon. Néanmoins, nous les estimons suffisamment fiables pour une analyse comparative. II.2 Résultats Gouvernance des filières Nous avons mis en évidence trois formes de gouvernance pour les filières étudiées : la gouvernance marchande pour les filières traditionnelles ; la gouvernance contractuelle pilotée par les supermarchés ; la gouvernance contractuelle pilotée par les organisations de producteurs. Nous détaillons ci-dessous l’organisation des filières pour ces trois types de gouvernance. Gouvernance marchande et relationnelle : Les légumes comme les litchis sont distribués à plus de 95 % par des détaillants sur les marchés ou des vendeurs de rue. Ces détaillants s’approvisionnent sur des marchés de gros situés aux principales portes de la ville. Selon la localisation des zones de production, ces marchés de gros sont ravitaillés directement par les producteurs à mobylette ou bien par des collecteurs (dont certains sont des producteurs), à mobylette ou en camionnette (cf. figure 1). Des grossistes peuvent intervenir comme intermédiaires entre les collecteurs et les détaillants et effectuer un stockage de courte durée. Les collecteurs achètent dans les champs auprès des producteurs, ou sur la route à des points de collecte. Certains de ces collecteurs approvisionnement éga- 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1844 1844 P. MOUSTIER lement les supermarchés qui les contactent en appoint de leurs fournisseurs privilégiés. Pour le riz, les détaillants, qui exercent sur les marchés ou dans des magasins, s’approvisionnent chez des grossistes individuels souvent impliqués dans la transformation. Producteurs Collecteurs Grossistes Détaillants Consommat eurs FIGURE 1 Organisation des chaînes traditionnelles de légumes, litchi et riz parfumé vers Hanoï et Ho Chi Minh Ville (gouvernance marchande) Les filières traditionnelles sont caractérisées par un grand nombre de producteurs, collecteurs, grossistes, détaillants (plus de mille à chaque stade pour les fruits et légumes ; une cinquantaine de grossistes dans le cas du riz parfumé), commercialisant de manière individuelle. Les ajustements entre la production et la consommation s’opèrent principalement par le biais des prix. Des relations personnalisées peuvent unir les partenaires, principalement basées sur la durée de fréquentation, mais sans engagement spécifique sur les transactions. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1845 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1845 Gouvernance modulaire contractuelle pilotée par les OP et les supermarchés : En ce qui concerne les légumes, nous avons estimé que les supermarchés à Hanoï sont approvisionnés à 80 % par cinq coopératives situées dans deux districts périurbains rassemblant moins de 450 exploitations pour une superficie de 50 ha (figure 2). À Ho Chi Minh Ville, les supermarchés sont approvisionnés en légumes tempérés par cinq à dix coopératives et associations. Les légumes-feuilles sont fournis par une association et une coopérative dans le district de Cu Chi. Producteurs des coopératives ou associations Collecteurs Grossistes Supermarchés Cantines Consommateurs FIGURE 2 Organisation des chaînes de légumes et litchi vers les supermarchés et magasins de Hanoï et Ho Chi Minh Ville (gouvernance modulaire contractuelle) Pour le litchi, seize supermarchés s’approvisionnent chez l’Association des agriculteurs de Thanh Ha et chez un certain nombre d’agriculteurs-collecteurs. Contrairement aux filières traditionnelles, ces litchis sont emballés et étiquetés, avec indication du lieu de production. Au moment de l’enquête, l’Association de litchis de Thanh Ha représentait 75 % des approvisionnements aux supermarchés de Hanoï et moins de 5 % des achats des vendeurs traditionnels. En plus des 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1846 1846 P. MOUSTIER ventes aux supermarchés, l’association vend ses litchis à 50 points de vente au détail à Hanoï ainsi qu’aux clients directs par le biais de son propre magasin à Hanoï et de la vente sur la route. Depuis 2003, une association d’agriculteurs fournit les supermarchés en riz parfumé à travers deux compagnies alimentaires dédiées (figure 3). Elle représente 16 % du volume du riz parfumé vendu en supermarché, tandis que sa part sur le marché traditionnel ne représente que 1,5 %. Elle approvisionne 16 supermarchés (30 % des supermarchés à Hanoï) et 20 magasins dans 7 des 9 districts de Hanoï. Le riz vendu par l’association est conditionné et étiqueté avec le nom et l’adresse de l’association. Il s’agit à 100 % du riz parfumé de la variété originaire de Hai Hau, alors que le riz vendu à l’extérieur de l’association est souvent mélangé par les grossistes et les entreprises alimentaires à d’autres types de riz. Producteurs dans l'association de Hai Hau Compagnies alimentaires sous contrat avec l'association Supermarchés Détaillants Consommat eurs FIGURE 3 Organisation de la filière de riz parfumé pilotée par l’association (gouvernance modulaire contractuelle) En général, la coopérative engage un employé chargé de la commercialisation. Elle paie à l’agriculteur le prix de revente moins une commission qui couvre les frais administratifs, de transport, de tri et de conditionnement. Pour les associations de légumes en zone périur- 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1847 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1847 baine, chaque membre est responsable de son point de vente, mais l’organisation intervient pour la négociation des contrats et, également, l’emballage et la labellisation des produits portant l’indication de l’association. Par ailleurs, les organisations permettent aux producteurs de mener un certain nombre d’activités et d’investissements communs dans le domaine de la qualité des produits : formations des producteurs (organisées par des programmes publics ou des ONG) pour respecter un cahier des charges assurant la qualité sanitaire et gustative des produits (en liaison avec les pratiques d’utilisation de produits chimiques, le choix des variétés, la localisation du terrain). Toutes les organisations étudiées ont un contrat avec des supermarchés (ou, dans le cas de Hai Hau, avec les compagnies alimentaires). Pour 80 % des supermarchés, ces contrats sont écrits. Ils précisent la fréquence de livraison, les conditions de paiement, les conditions de qualité et la fréquence des négociations sur les prix. Les caractéristiques de qualité ont trait à l’emballage, à certains critères visuels et également à la délivrance de certificats de qualité sanitaire par les administrations en charge de ces documents. Les spécifications de prix et quantités sont laissées ouvertes. Les contrats n’ont pas de statut légal et il n’existe aucune administration juridique pour les faire respecter mais aucun litige relatif au contrat n’a été signalé, que ce soit de la part des groupes d’agriculteurs ou des directeurs de supermarché qui affirment que la menace d’une rupture de la relation est une incitation suffisante pour respecter le contrat. Gouvernance relationnelle modulaire pilotée par les compagnies et les supermarchés : Cette situation est illustrée par l’approvisionnement en riz parfumé des supermarchés et, également, pour l’approvisionnement en légumes tempérés de certains d’entre eux. Pour le riz parfumé, les supermarchés s’approvisionnent auprès de compagnies alimentaires, au nombre de sept, qui sont d’anciennes sociétés étatiques privatisées (figure 4). Ces compagnies achètent les denrées d’un réseau de grossistes qui s’approvisionnent à leur tour chez des collecteurs. Elles participent à la collecte, à la transformation, au conditionnement et à la distribution du riz. Chacune d’entre elles a entre 30 et 40 employés. Elles ont le plus grand contrôle de décision dans la chaîne, en particulier en termes de qualité du produit final. Dans cette chaîne, le riz parfumé est mélangé à 70 % avec d’autres types de riz. Le pourcentage de mélange est de 30 % dans la chaîne marchande, il est nul pour la chaîne contractuelle. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1848 1848 P. MOUSTIER Producteurs individuels Collecteurs locaux Grossistes locaux Compagnies alimen taires en ville Supermarchés Détaillants Consommateurs Note : les flèches représentent les opérations d’achat et vente, avec transferts de droits de propriété. FIGURE 4 Organisation des filières de riz parfumé pilotées par les supermarchés et les compagnies Résultats économiques Les producteurs obtiennent plus de profit par kilo de produit vendu lorsqu’ils appartiennent à des organisations qui approvisionnent les supermarchés et magasins que lorsqu’ils vendent à des collecteurs pour les marchés traditionnels (voir les figures 5 et 6 pour les cas des filières des litchis et du riz parfumé). Ceci est dû à un prix de vente plus élevé, lié à la reconnaissance par l’acheteur d’une qualité spécifique liée à l’origine du produit et à son mode de production. Il s’agit aussi d’une « prime » à la fidélisation du fournisseur. Par ailleurs, la répartition des profits est équilibrée entre les agents des filières, ou à l’avantage des producteurs, pour les chaînes marchandes comme contractuelles. Dans le cas du riz parfumé, la chaîne modulaire, pilotée par les compagnies alimentaires, est celle qui génère le moins de profit pour les producteurs. Cependant, les supermarchés et magasins représentent toujours une part minoritaire du marché (moins de 5 %) et les producteurs diversi- 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1849 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 10000 12000 Marge du supermarché 8000 6000 1000 4000 2000 0 1849 574 2567 933 Chaîne marchande de lichi de Thanh Ha 10000 2000 Marge du supermarché Profit du collecteur 8000 1810 Profit du collecteur Coût du collecteur 6000 2690 Coût du collecteur Profit du producteur 4000 Coût de production 2000 0 3545 Profit du producteur Coût de production 933 Chaîne de lichi de Thanh Ha pilotée par l'association FIGURE 5 Répartition des coûts et profits entre les acteurs des filières du litchi (en VND/ kilo de produit final) fient les types de débouchés (supermarchés, magasins, cantine, marché traditionnel) ; l’utilité de cette « hybridation » a été montrée par Brousseau et Codron (1998). Par ailleurs, la vente aux supermarchés représente un certains nombre de contraintes : difficultés d’approche ; délais de paiement de deux semaines ; nécessité de disposer d’un compte bancaire et de pouvoir émettre des factures ; invendus à la charge du producteur pour certaines enseignes. III. – DISCUSSION L’étude a permis de mettre en évidence trois types de gouvernance des filières avec des niveaux d’intégration variable (tableau 5) : la chaîne à gouvernance marchande, où les activités de production et de commerce sont indépendantes ; la chaîne à gouvernance modulaire, pilotée par les compagnies alimentaires, avec des relations de fidélisation entre les compagnies et les supermarchés, mais pas de contrats ; et la chaîne à gouvernance contractuelle, pilotée par les supermarchés et les organisations de producteurs. Les contrats entre les supermarchés et les organisations de producteurs (ou les organisations de producteurs et les compagnies alimentaires) représentent une forme d’implication des acheteurs dans le processus de production, surtout par la spécification de critères de qualité. Cependant, cette intégration est limitée. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1850 1850 P. MOUSTIER 16000 Profit du détaillant 16000 Marge du SM 14000 Profit de la compagnie Coût de la compagnie 14000 Coût du détaillant 12000 Profit du grossiste urbain 12000 10000 Coût du grossiste urbain 10000 8000 6000 700 404 1225 Profit du grossiste local 8000 Coût du grossiste local 6000 560 773 Profit du collecteur 4000 2196 Coût du collecteur 2000 4000 2000 1983 Chaîne marchande 1766 Coût du grossiste local 1263 Profit du collecteur Coût du collecteur Profit du producteur 0 Profit du grossiste local 0 Coût de production 3464 950 Profit du producteur Coût de production 886 Chaîne modulaire pour les SM 16000 2700 14000 1030 270 448 1111 Marge du SM 12000 10000 2125 Coût de la compagnie Coût de l'association 8000 6000 5442 0 Profit du transformateur Coût du transformateu r 4000 2000 Profit de la compagnie 3231 Profit du producteur Coût de production Chaîne de riz parfumé pour les SM pilotée par l'association FIGURE 6 Répartition des coûts et profits entre les acteurs des filières du riz parfumé (en VND/ kilo de produit final) – SM = Supermarché Ainsi, les contrats laissent ouvertes les conditions de prix, de quantités ou encore de sources des intrants. Par ailleurs, les acheteurs ne s’impliquent pas dans le contrôle de la qualité sanitaire, se fiant plutôt aux certificats délivrés par l’administration. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1851 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1851 TABLEAU 5 Gouvernance des filières alimentaires sélectionnées Type de gouvernance Caractéristiques Détails sur les modes de coorde qualité dination entre les acteurs transactions atomisées, regroupées par les marchés de gros (légumes, litchi) ou des grossistes (riz parfumé) transactions régies par des contrats flexibles (entre Pilotage par les organisamembres des organisations de tions de producteurs et les supermarchés, gouver- qualité labellisée producteurs pour respecter un cahier des charges; entre les nance modulaire contracorganisations de producteurs tuelle et les acheteurs) Pilotage par les supermartransactions atomisées regrouchés et les compagnies qualité labellisée pées par des grossistes dédiés alimentaires, gouvernance relationnelle modulaire Gouvernance marchande (et/ou relationnelle) qualité non différenciée Les résultats montrent que l’intégration des filières correspond à une plus forte valeur ajoutée pour les acteurs des filières et à la valorisation d’une qualité spécifique, en comparaison des filières marchandes où il n’existe pas d’indication ni de rémunération de la qualité. Nous pouvons donner plusieurs explications au fait que l’intégration soit limitée à des contrats incomplets. D’une part, les acheteurs font confiance aux compétences des fournisseurs en termes de qualité des produits, à la fois gustative et sanitaire. D’autre part, les prix sont très fluctuants, du fait des changements rapides des conditions climatiques comme macro-économiques. Les contrats incomplets permettent de combiner les avantages de flexibilité et de coût apportés par la coordination marchande, et les avantages de sécurité apportés par les contrats [Brousseau et Fares (2000)]. Un apport original de notre étude est relatif au rôle des organisations de producteurs dans la gouvernance de filières innovantes en termes de qualité. Les organisations de producteurs et les institutions publiques qui les appuient sont les initiatrices des démarches de qualité et sont motrices dans la définition des critères de qualité, même si les supermarchés exercent une pression sur ces mêmes critères. Les filières sont à la fois pilotées par les organisations de producteurs et par les supermarchés, alors que les études de chaînes de valeur présentent un « pilote » unique, généralement le détaillant, une limite soulignée par Raikes et al. (2000). 14•Moustier 30/10/09 1852 7:25 Page 1852 P. MOUSTIER Les analyses sur les résultats financiers se heurtent au problème de variabilité temporelle des prix et des quantités. Deux ans après notre recherche sur la filière du litchi, l’association était confrontée à des pertes importantes du fait de surproduction de litchis dans le pays. Par ailleurs, des comportements classiques de « passager clandestin » commencent à être observés dans les associations de litchis comme de riz parfumé, tous les membres ne s’impliquant pas avec les mêmes efforts dans le respect des cahiers des charges de qualité, ce qui apporte une décote dans le prix du produit vendu. Enfin, disposer de l’information la plus fiable possible sur les questions délicates de résultats financiers, a été réalisé aux dépens de la taille de l’échantillon, dans un contexte de budget contraint. Cette taille limitée empêche les analyses statistiques et économétriques. Le cadre de la GVC met l’accent sur les résultats de « mise à niveau » de filières de différents rayonnements géographiques, donc de compétitivité des filières dans le marché international. Mais nous ne sommes pas dans une situation de concurrence internationale dans le cas étudié. Nous pouvons cependant conclure à une plus grande compétitivité des filières à gouvernance modulaire avec OP par rapport aux filières à gouvernance marchande pour l’accès aux supermarchés. CONCLUSION Notre étude a montré la pertinence de l’analyse des chaînes de valeur afin d’identifier des sources de gains de compétitivité et de revenus pour les petits producteurs agricoles du Vietnam. Elle confirme partiellement nos hypothèses de départ. Ainsi, nous trouvons plus d’intégration dans les filières où des caractéristiques complexes de qualité font l’objet des transactions (qualité sanitaire et gustative). Par ailleurs, nous trouvons une diversité de formes de gouvernance des filières, que nous avons pu décrire en utilisant la typologie de Gereffi et al. (2003), complétée par la caractérisation des engagements contractuels. Enfin, nous avons trouvé que les producteurs ne sont pas nécessairement les perdants dans les filières intégrées caractérisées par des labels de qualité. Lorsqu’ils participent à des organisations de producteurs, ils peuvent accéder aux supermarchés et obtenir des profits plus importants que dans les formes marchandes, et même supérieurs aux acteurs de l’aval. Ces gains sont liés aux innovations des responsables des organisations de producteurs en termes de qualité, de transformation et de labellisation des produits, couplés à des relations régulières et à des 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1853 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1853 engagements entre les acteurs de la production et du commerce. Les organisations gouvernementales et non gouvernementales ont joué un rôle important de formation et d’appui financier pour faciliter ces innovations. Le pilotage des filières par les organisations de producteurs est peu pris en compte dans la littérature sur les chaînes de valeur ou l’économie des coûts de transaction et sa mise en évidence constitue un apport original de notre étude. Le fonctionnement actuel des filières est cependant fragile et une régulation par l’État est justifiée. Pour les filières d’approvisionnement des supermarchés, des entretiens menés avec les responsables de la grande distribution montrent que ceux-ci envisagent d’imposer des normes de qualité plus contraignantes, afin d’attirer les consommateurs dans un contexte de forte concurrence entre les enseignes. Les distributeurs n’envisagent cependant pas de s’impliquer financièrement dans le processus et le contrôle de la production. Ceci peut conduire à une exclusion des producteurs qui ne peuvent financer le coût de la certification (par exemple, 1 000 dollars par hectare pour la certification Vietgap, basée sur les principes Haccp). Par ailleurs, l’approvisionnement des supermarchés représente toujours un marché de niche, même s’il est en forte augmentation. Nous recommandons que l’État favorise l’accès des petits producteurs à d’autres formes de distribution où leurs efforts de qualité peuvent être valorisés, comme la vente directe sur des marchés paysans ou dans des magasins. L’État doit également être le garant de la qualité sanitaire pour l’ensemble des filières de distribution, avec des contrôles rigoureux et réguliers assortis de sanctions effectives en cas de détection de produits toxiques, ce qui n’est pas réalisé à l’heure actuelle. L’État a aussi un rôle à jouer pour suivre l’évolution des conditions proposées par la grande distribution aux organisations de producteurs, vérifier qu’elles sont équitables et favoriser des codes de bonne conduite. Enfin, différentes recherches complémentaires seraient utiles. Afin de mieux comprendre les forces et fragilités des organisations de producteurs, il serait intéressant de mobiliser les théories de l’action collective. Il serait également important de disposer de plus d’applications empiriques comparant l’effet de différents modes de gouvernance d’organisations de producteurs et de filières sur les résultats financiers et les capacités d’innovation dans les filières. Des filières avec organisations de producteurs et contrats entre OP et distributeurs pourraient être comparées avec des filières intégrées sans organisation de producteurs en termes de construction de critères de qualité créateurs de valeur ajoutée et de distribution des revenus entre les acteurs des filières. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1854 1854 P. MOUSTIER RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALI M., NGUYEN T.Q., NGO V.N. [2006], An analysis of food demand patterns in Hanoï: predicting the structural and qualitative changes, AVRDC, Taiwan (Technical Bulletin ; 35). BARDHAN P. [1989], The economic theory of agrarian institutions, Clarendon Paperbacks, Oxford. BENCHARIF A., RASTOIN J.L. [2007], Concepts et méthodes de l’analyse des filières agro-alimentaires: application par la chaîne globale de valeur au cas des blés en Algérie, ENSAM, IAMM, Montpellier (Working paper Moisa ; 7). BROUSSEAU E., FARES M. [2000], « The Incomplete Contract Theory and the New-Institutional Economics Approaches to Contracts: Substitutes or Complements? », in Institutions, Contracts, Organizations, Perspectives from New-Institutional Economics / C. Ménard (ed.), E. Elgar. BROUSSEAU E., CODRON J.M. [1998], « La complémentarité en formes de gouvernance : le cas de l’approvisionnement des grandes surfaces en fruits de contre saison », Économie Rurale, n° 245-246 « La grande distribution alimentaire », p. 75-83. FIGUIÉ M., BRICAS N., NGUYEN DUC TRUYEN, VU PHAM NGUYEN THANH [2004], « Hanoï consumers’ point of view regarding food safety risks: An approach in terms of social representation », Vietnam Social Sciences, vol. 3, n° 101, p. 63-72. GEREFFI G., KORZENIEWICZ M. (eds) [1994], Commodity chains and global capitalism, Greenwood Press, Wesport. GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2003], « The governance of global value chains », Review of International Political Economy, vol. 12, n° 1, p. 78-104. HUGON P. [1985], « Le miroir sans tain. Dépendance alimentaire et urbanisation en Afrique: un essai d’analyse en termes de filières », in Nourrir les villes / Altersial, CERED & MSA (eds), L’Harmattan, p. 9-46. KAPLINSKY R., MORRIS M. [2001], A Handbook for Value Chain Research, Working Paper Prepared for the IDRC, Institute for Development Studies, Brighton (UK). KAPLINSKY R. [2000], « Globalization and unequalisation. What can be learned from value chain analysis? », Journal of Development Studies, vol. 37, n° 2, p. 117-146. MOUSTIER M., DAO The Anh, HOANG Bang An, VU Trong Binh, FIGUIÉ M., NGUYEN Thi Tan Loc, PHAN Thi Giac Tam (éds) [2006], Supermarkets and the Poor in Vietnam, CIRAD/ADB, Cartographic Publishing House, Hanoï. MOUSTIER P., DAO The Anh, FIGUIÉ M. [2003], Marché alimentaire et développement agricole au Vietnam, MALICA, The Gioi Publishers, Hanoï. MOUSTIER P., VAGNERON I., BUI THI THAI [2004], « Organisation et efficience des marchés de légumes approvisionnant Hanoï (Vietnam) », Cahiers Agricultures, vol. 3, p. 142-148. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1855 PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM 1855 RAIKES P., FRIIS JENSEN M., PONTE S. [2000], « Global commodity chain analysis and the French filière approach: comparison and critique », CDR working paper, Copenhagen. REARDON T., TIMMER C.P., BARRETT C.B., BERDEGUE J. [2003], « The rise of supermarkets in Africa, Asia, and Latin America », American Journal of Agricultural Economics, vol. 85, n° 5, p. 1140-1146. SOUFFLET J.F. [2008], Concepts et méthodes en économie des filières. Application au pays du Sud : Synthèse et perspectives, CIRAD, Montpellier. VAN WIJK M.S., TRAHUU C., TRU N.A., GIA B.T., HOI P.V. [2005], « The traditional vegetable retail marketing system of Hanoï and the possible impacts of supermarkets », Acta Horticulturae, vol. 699, p. 465-477. WILLIAMSON O.E. [1987], The economic institutions of capitalism, The Free Press, Collier Macmillan Publishers. WILLIAMSON O.E. [1991], « Comparative Economic Organization: the Analysis of Discrete Structural. Alternatives », Administrative Science Quarterly, vol. 36, p. 269-296. 14•Moustier 30/10/09 7:25 Page 1856 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1857 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1857-1878 Quelles constructions de filières dans l’agriculture russe ? L’exemple d’Orel Pascal Grouiez, Université de Reims – Champagne-Ardenne, Laboratoire OMI En prenant exemple sur la région d’Orel, nous interrogeons les modalités de reproduction du secteur agroalimentaire russe d’après 1992. Notre description en termes de filière permet de questionner la place de l’agriculture dans la dynamique sectorielle. L’intérêt de la région pour le contrôle de cette dynamique atteste de son attention pour la sécurité alimentaire. Elle favorise l’intégration de certaines exploitations dans un complexe agro-industriel. Ces dispositifs organisent la filière afin notamment de reproduire le territoire en mobilisant des patrimoines collectifs. This contribution aims at underlying the way the agro-food industry survived after 1992. We chose a “path-oriented” bias in order to question the role of agriculture in this sector’s dynamics. Indeed, Orel’s region appears very much interested in these dynamics, and thus committed to food security. Consequently, it promotes the integration of some farms into the agro-industry. These measures organise the agrofood industry and put into practice various collective legacies in order for the territories to survive. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1858 1858 P. GROUIEZ INTRODUCTION Dans l’histoire de la Russie, 1992 marquera la mise en place de la « thérapie de choc » 1. Basée sur le consensus de Washington 2 et assumée par le pouvoir central russe de l’époque, elle visait la construction du marché, dans une logique normative. Dans le secteur agroalimentaire, elle devait se traduire par la privatisation des exploitations agricoles et des entreprises de transformation agroalimentaire. Un rapport de l’OCDE 3 [Kwiecinski (1998)] la justifiait par la nécessité de placer l’agriculture russe sur ses avantages comparatifs dans un contexte de globalisation du « marché » agroalimentaire. Les auteurs de ce rapport hésitaient entre le soutien à un système agro-industriel intégré sous la forme de grandes exploitations capitalistes et le recours à l’exploitation familiale insérée dans le marché, car ils n’arrivaient pas à discerner quel type de firme était capable d’auto-renforcer les règles de marché. Ce corps de doctrine laissait de côté un aspect essentiel de toute économie décentralisée [Sapir (1992)] : quelles logiques, dans le cadre d’une division du travail et de décomposition en unités autonomes, viennent assurer la recomposition des coordinations des systèmes productifs et sociaux et avec quels objectifs ? L’idée que l’observation des seuls effets de déploiement du marché suffirait à expliquer les dynamiques sectorielles observables est donc tout à fait discutable. Une autre stratégie de recherche semble s’imposer : G. Allaire (1995) envisage le secteur de production comme un espace de concurrence institutionnellement construit, gérant les tensions sociales liées à l’accumulation du capital. Poursuivant ce raisonnement, M. Nieddu (1998) a montré dans le cas français que la croissance très rapide de l’agriculture des Trente Glorieuses ne pouvait être expliquée indépendamment de trois éléments : le paradoxe de dispositifs institutionnels productivistes portés par les nécessités de la reproduction de l’exploitation familiale « productive » ; des modalités d’écoulement de la production qui affaiblissaient la concurrence de marché ; l’élimination des acteurs « non productivistes » grâce à des normes administratives et non des mécanismes « économiques ». L’agriculture moyenne a ainsi imposé son modèle de développement en définissant une logique de filière et un système agro-industriel qui lui était favorable. 1 2 3 Voir Magnin (1999). Idem. Paru avant la crise financière russe de 1998. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1859 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1859 La méthode de l’analyse de filière offre précisément la possibilité de décrire l’espace que des acteurs cherchent à reproduire et la façon dont est réalisée cette reproduction. Il s’agit d’identifier les dispositifs déployés sans avoir d’a priori sur ce que l’on cherche à réguler et la façon dont on le régule. Le schéma linéaire de cette méthode – organisation séquentielle d’une production, de la matière première au produit final – donne à voir la façon dont des acteurs jouent sur les propriétés de modularité des systèmes économiques ou s’ajustent à des contraintes systémiques [Nieddu (1998)]. Cette démarche inductive pourrait être documentée par une analyse des statistiques des produits en volume et en valeur. Si celle-ci se prête à la description des filières agroalimentaires françaises, elle se heurte, en Russie, au peu de fiabilité et à la nature des informations disponibles. Souvent incomplètes, ne proposant que des données en quantité physique, les statistiques russes ne sont exploitables qu’en tant que forme de représentation politique de l’organisation du secteur. Pour cette raison, nous avons choisi de privilégier des entretiens qualitatifs et en avons réalisé une trentaine entre 2004 et 2009 avec des exploitants dans la région d’Orel 4. Cette méthode permet de décrire la prise en charge des tensions sociales et les logiques stratégiques. Une analyse régionale permet de comprendre les dispositifs régulateurs réels et de relativiser les discours normatifs tenus au niveau central sur l’ouverture au marché. Dès 1994, les autorités régionales d’Orel ont promu une politique d’intégration des acteurs pour différents produits. La justification avancée est la problématique de sécurité alimentaire et donc une question de reproduction sociale. Nous l’aborderons sous l’angle analytique de l’économie des patrimoines collectifs 5 [Barrère et al. (2005)]. Cela nous permettra de montrer qu’en raison du caractère multifonctionnel de l’agriculture, l’absence d’un désencastrement de la communauté dans le processus de production garantit l’existence de compétences partagées pour assurer la sécurité alimentaire. Les groupes sociaux façonnent selon cette logique de patrimoines collectifs les configurations productives 6 déterminantes de la dynamique sectorielle. 4 Les questions posées visaient à déterminer les choix des acteurs en matière de collaboration avec autrui et à définir la façon dont ils s’inséraient sur les marchés. 5 Les patrimoines collectifs étant ici compris comme des actifs permettant de définir l’identité d’une communauté et de lui donner les moyens d’agir sur son environnement. 6 Non aborderons cette notion à partir de la conception de M. Nieddu (1998) qui définit la configuration productive comme « un outil d’investigation de l’hétérogénéité interne en termes de solutions d’organisation économique, qui caractérise la sphère 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1860 1860 P. GROUIEZ Dans un premier temps, nous identifierons les obstacles au régime concurrentiel 7, ce qui nous permettra d’identifier les éléments de cohérence qui relient les acteurs entre eux. Nous montrerons ensuite que le secteur agricole russe est caractérisé par une hétérogénéité des acteurs qui conduit à deux formes de configuration productive. La première met l’accent sur la sécurité alimentaire, justifiant la préservation de patrimoines collectifs définissant des « professionnels » de l’agriculture. La reconnaissance de ces professionnels structure les filières et permet de garantir la reproduction du territoire. La seconde vise à assurer la reproduction d’une agriculture familiale indépendante de son aval, dont l’insertion sur le marché ne passe pas par les canaux régionaux. I. – LES SPÉCIFICITÉS DE L’AGRICULTURE RUSSE SUR LONGUE PÉRIODE : DÉCOMPOSITION DU SYSTÈME PRODUCTIF ET ÉLÉMENTS DE COHÉRENCE SECTORIELLE La politique agricole instaurée à la chute du système soviétique devait offrir, selon le modèle normatif en vigueur, les conditions structurelles d’une mise en concurrence des acteurs. La diminution drastique du soutien à l’agriculture et le démantèlement des kolkhozes et sovkhozes auraient dû, en peu de temps, produire les logiques de sélection de la production par le marché considérées comme efficaces. Or, cette politique a surtout entraîné la décomposition du système productif qu’il a fallu gérer. Une analyse des facteurs de cohérence interne à la production agricole russe permet de donner un sens aux stratégies déployées par les acteurs pour faire face à la crise systémique. agroalimentaire : cette hétérogénéité relève de choix de valorisation des capitaux différents, qu’il convient d’expliciter » (p. 165). Or, L’hypothèse la plus vraisemblable, celle de l’hétérogénéité des configurations productives, conduit à considérer la régulation comme régulation multiple du fait de la diversité des agents économiques réalisant leur articulation à l’économie globale et des solutions qu’ils élaborent. La notion de configuration productive repose sur la même combinaison de trois logiques économiques (production, échange, consommation) que celle du régime économique de fonctionnement, mais elle se différencie de celui-ci en ce qu’elle n’assure pas nécessairement la régulation des trois logiques, mais peut constituer l’espace de la régulation d’une des trois logiques. 7 Ils ne conditionnent pas l’absence de toute forme de concurrence. Il existe, et nous le montrerons, une concurrence sur l’espace à reproduire qui conduit les acteurs à développer des stratégies, sinon contradictoires, du moins conflictuelles. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1861 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1861 I.1. La décomposition du système productif russe L’agriculture soviétique se caractérisait par deux formes de production agricole. Les kolkhozes et sovkhozes assuraient l’essentiel de la production suivant le Plan tandis que le lopin était une activité accordée par le régime aux kolkhoziens et sovkhoziens en vue d’assurer leur autoconsommation. Une partie de cette production pouvait être vendue sur le marché, non sans contrôle sur les quantités et les prix [Kerblay (1968)]. La fin du régime soviétique a marqué l’abandon des aides accordées aux kolkhozes et sovkhozes. Cette politique, basée sur l’idée d’une sélection par le marché des exploitations les plus viables, a surtout provoqué l’insolvabilité de nombre de ces exploitations 8. Entre 1990 et 1995, l’estimation du soutien aux producteurs 9 est passée de 80 % des recettes de l’agriculture à – 3 % [OCDE (2000)], ce qui signifie que les agriculteurs étaient soumis à une taxe implicite. Pour faire face à leurs obligations, de nombreuses entreprises ont dû profondément modifier leur activité. Ainsi, le cheptel russe collectif (concentré) a presque disparu durant les premières années de la réforme 10. Parallèlement, de nouvelles exploitations ont été promues : les fermes. Largement subventionnées entre 1992 et 1995, ces exploitations ont ensuite été livrées à elles-mêmes. Après 1995, leur nombre a diminué mais leur surface a augmenté. Paradoxalement, leur dotation en capital est restée faible. Ainsi, le soutien initial entre 1992 et 1995 leur a surtout permis d’accéder à la terre [Grouiez (2008)]. En revanche, leur capital se limite à quelques tracteurs, souvent défectueux, hérités des exploitations collectives. A partir d’une étude menée dans la région de Tambov, M. et Mme Sazonov montrent que l’accès aux machines agricoles est de 30 à 40 % inférieur aux normes pour ce type d’exploitation et qu’elles ont entre 8 et 10 ans. De plus, l’étude confirme que l’essentiel des investissements ont été réalisés entre 1992 et 1995 lorsque des crédits ont été accordés à ces fermiers. 8 V. Uzun (2008) estime à partir d’une étude statistique basée sur le niveau du profit et de l’endettement que 52 % des « organisations agricoles » (voir encadré 1 pour une définition du terme) sont en situation d’insolvabilité, dont 27 % en procédure de faillite. 9 Cet indicateur de l’OCDE reste l’objet de controverses. Il ne mesure que les principaux produits agricoles et ne prend pas en compte les soutiens indirects, ce qui rend les comparaisons entre pays problématiques. C’est pourquoi nous ne l’utiliserons que comme un indicateur de l’évolution des aides en Russie. 10 L’OCDE (2000) estimait le niveau de l’élevage en Russie en 1999 à 40 % du niveau de 1990. 15•Grouiez 29/10/09 1862 15:26 Page 1862 P. GROUIEZ Les lopins ont accentué leur pression parasite sur l’exploitation collective, au point que certains auteurs considèrent que les premières années de la réforme ont marqué l’institutionnalisation du vol dans ces structures [Yefimov (2003)]. Cette rapide description des acteurs montre que les exploitations collectives restructurées sont en grande difficulté économique 11. Cette situation met en doute leur capacité d’existence sur la base de critères marchands. D’ailleurs, il est assez difficile, d’un point de vue normatif, d’expliquer la présence de 52 % d’exploitations insolvables tant d’années après la réforme. La lecture statistique que nous allons mener permettra de repérer plus en détail les logiques de production des différentes exploitations. Si l’existence d’entreprises économiquement peu viables contredit la logique concurrentielle a priori à l’œuvre, nous allons tenter de déterminer dans les choix de production les signes d’une validation des règles de marché (basées sur la notion d’avantages comparatifs) ou d’une irrégularité dans ces dernières, qui tendrait à prouver que l’orientation de la production est d’un autre ordre. I.2. Une logique de marché repérable dans les statistiques russes ? Les statistiques du Goskomstat montrent une forte spécialisation des acteurs dans leur production agricole. Encadré 1 – Les catégories d’exploitations agricoles dans les statistiques du Goskomstat Le secteur agricole est statistiquement représenté par trois formes d’exploitations distinctes. La première, les organisations agricoles, regroupe l’ensemble des exploitations issues du démantèlement des kolkhozes et sovkhozes. Il ne s’agit pas d’une catégorie juridique à proprement parler puisque ces exploitations ont des statuts juridiques divers. Il ne s’agit que partiellement d’une réalité économique. Elles disposent d’une taille d’exploitation assez élevée (environ 24 000 hectares) mais leur relation de dépendance vis-à-vis de l’aval est très différente d’une exploitation à l’autre. Il s’agit donc d’une catégorie « fourre-tout » symbole d’une réalité sociale qui résiste au changement : celle du kolkhoze. La catégorie des fermiers est plus récente. Elle correspond à la forme d’exploitation juridique issue du démantèlement de certains kolkhozes et sovkhozes. Cette catégorie est donc juridiquement bien définie mais de nombreux exploitants 11 Pour une description détaillée de la situation économique des exploitations agricoles du point de vue de la dotation en capital, en travail et en terre, nous renvoyons à la lecture de Zvi Lerman (éd.) (2008). 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1863 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1863 mènent leur activité sans enregistrement officiel. La taille de ces fermes varie de 50 à 2500 hectares. La dernière catégorie est celle des lopins qui regroupe un ensemble de formes juridiques d’exploitations (a priori non professionnelles) qui ont pour point commun d’être destinées à une production d’autoconsommation. La taille de l’exploitation est autour d’un hectare. La définition statistique des formes d’exploitation est problématique. Les critères retenus varient d’une exploitation à l’autre et la possibilité de mener une activité agricole sans enregistrement officiel rend les frontières entre catégories d’exploitations opaques. Un fermier non enregistré entre-t-il dans la catégorie du lopin ? Reste-t-il au contraire ignoré des statistiques ? L’impossibilité de connaître avec certitude les méthodes utilisées par les statisticiens russes invite à beaucoup de prudence dans la manipulation des données chiffrées. La catégorie des « organisations agricoles » et celle des « fermiers » semblent orientées dans la production de céréales et de betteraves. Les « lopins » concentrent la majorité de la production maraîchère. D’un point de vue purement statistique, les exploitations agricoles apparaissent nettement spécialisées en fonction de leur catégorie statistique. 100% 1,8 0,9 6,8 90% 19,8 80% 0,5 70% 60% 50% 92,2 fermes lopins de terre organisations agricoles 97,1 93,2 40% 79,7 30% 20% 10% 0% 6 légumes 2 pommes de terre betteraves à sucre céréales GRAPHIQUE 1 Structure de la production végétale (en quantité) pour différentes catégories de végétaux selon la nature de l’exploitation [Rosstat (2006), p. 33] 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1864 1864 P. GROUIEZ Cette spécialisation est également observée au niveau de l’élevage, comme le montre le graphique 2. 100% 1,8 2,2 3 6 0,5 90% 23,3 33,1 80% 46,8 70% 70,9 60% 40% fermes 86,2 50% lop ins de terre organisations agricoles 74,9 64,7 30% 50,2 20% 28,6 10% 7,8 0% dont vaches gros bé tail corné chèvres et moutons po rcs volaille GRAPHIQUE 2 Structure du bétail et de la volaille (par tête) selon les catégories d’exploitation au 1er septembre 2006 [Rosstat (2006), p. 35] Les « organisations agricoles » élèvent du gros bétail et des porcs, tandis que les « lopins » s’occupent de volaille, de chèvres et de moutons. Cette spécialisation est interprétée chez Ciman, Pokrovicak et Drabik (2007) par un choix des acteurs de se placer sur leurs avantages comparatifs. Tout se passe comme si les caractéristiques de l’exploitation déterminaient la nature de sa production. Les auteurs de cette étude considèrent que les grandes exploitations bénéficient d’un avantage sur les productions nécessitant une forte intensité en capital, une faible intensité en travail et une spécialisation de la main-d’oeuvre. Les petites exploitations bénéficieraient au contraire d’un avantage sur les productions nécessitant beaucoup de main-d’œuvre. À partir de ces hypothèses, ils expliquent la spécialisation de la grande exploitation dans la production de céréales puisque cette dernière nécessite peu de main d’œuvre mais une forte intensité du capital. En revanche, le rapport capital/travail dans la petite exploitation l’orienterait naturellement vers la production maraîchère gourmande en main d’œuvre agricole. Au vu des statistiques de la Région d’Orel et à partir de la grille de lecture de Ciman et al., seuls les lopins seraient caractérisés par une 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1865 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1865 forte intensité en facteur travail. La catégorie du fermier présente donc l’anomalie d’être peu dotée en capital mais orientée dans des productions à forte intensité capitalistique. À la lecture de ces statistiques, les agriculteurs apparaissent indépendants les uns des autres et guidés par un simple rapport coût/bénéfice qui caractérise le modèle de concurrence 12. Cependant, des irrégularités dans le modèle apparaissent concernant le comportement des fermiers. I.3. Statistiques officielles versus statistiques alternatives ? Les statistiques du Goskomstat fournissent des données essentiellement quantitatives. Tout est fait comme si les prix étaient identiques quelle que soit la filière d’écoulement de la marchandise (dans l’hypothèse où chacune des trois formes d’exploitations est insérée dans un marché). Si la forte spécialisation des exploitations laisse supposer une faible variété des réseaux d’écoulement, cette absence de donnée « prix » montre que le Goskomstat ne raisonne pas en termes de marché mais en termes de quantité produite sur le territoire. Pour poursuivre l’analyse du mode de représentation des statistiques russes, il faut noter qu’il existe une statistique privée dans le domaine agricole, le rating « agro-300 ». Cotation des 300 exploitations les plus performantes de Russie initiée par l’Institut russe des problèmes agraires et de l’informatique, le rating propose une série de tableaux mesurant la performance d’entreprises agricoles pour différents produits alimentaires. Il classe les entreprises selon le niveau de la production (en valeur) et les profits réalisés pour différents produits. Au vu des critères de classification, le rating « Agro-300 » semble plus orienté vers une logique marchande que son homologue étatique (information sur le prix). Toutefois, l’accent est mis sur le « produit » plus que sur la nature de la firme. Ainsi, des entreprises figurent dans plusieurs tableaux sans que ce fait ne soit vraiment analysé. Seule l’existence d’agroholdings, soulignée en annexe, informe sur le niveau d’intégration des exploitations et le fonctionnement des filières mais ne donne pas d’information sur la façon dont les acteurs s’organisent. 12 Il n’est pas certain que cette argumentation soit reprise par les partisans d’une logique marchande eux-mêmes. Il ressort plus souvent que l’agriculture ne peut pratiquer une forte division du travail et ne peut donc bénéficier des économies d’échelle du fait des comportements opportunistes. La petite exploitation est donc souvent présentée comme l’exploitation la mieux adaptée à la logique concurrentielle dans ce secteur d’activités. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1866 1866 P. GROUIEZ Si les biens alimentaires sont clairement distingués (dans une logique de branche), rien n’est dit quant à la façon dont les acteurs s’organisent pour les produire et en assurer les débouchés 13. Il est donc impossible d’exploiter les statistiques disponibles pour déterminer les raisons pour lesquelles une entreprise s’oriente vers tel ou tel produit (fait-on des céréales pour les vendre ou pour nourrir la volaille ?). L’interrogation soulevée par les statistiques demande d’analyser le modèle de concurrence présenté plus haut afin, d’une part, de mieux comprendre les déterminants des stratégies des acteurs (notamment d’insertion sur le marché) et, d’autre part, de mieux caractériser les acteurs eux-mêmes. Pour cela, il faut identifier les éléments de cohérence sectorielle reliant les acteurs entre eux. I.3.1. Poids de l’histoire et crise démographique : analyse des éléments de cohérence sectorielle Le modèle des kolkhozes et des sovkhozes pose la question des frontières de la firme. Ces exploitations jouaient un rôle social avec lequel les modèles occidentaux de firmes agricoles sont peu familiarisés. Les problèmes démographiques de la Russie post-soviétique obligent les formes nouvelles d’exploitations à reconnaître ces prérogatives à l’image des agroholdings 14 récemment apparus. I.3.1.1. Le rôle socio-économique des exploitations soviétiques Comme le rappelle M.C. Maurel (1980), les exploitations agricoles soviétiques étaient plus que de simples entreprises. Elles géraient le parc immobilier du territoire sur lequel elles étaient installées. Elles 13 Nous distinguons ici la logique de branche, privilégiée par « Agro-300 », de celle de l’analyse filière que nous menons dans cet article. Si la logique de branche fait vivre un produit, de façon autonome, sans s’intéresser aux restes des biens et acteurs participant à son élaboration, l’analyse filière étudie au contraire les relations étroites et complémentaires qui conduisent à une interdépendance des activités entre différentes branches et permettent d’assurer les débouchés de produits plus ou moins élaborés. 14 Dmitri Rylko, Irina Khramova, Vasilii Uzun et Robert Jolly (2008) les présentent comme une forme d’organisation permettant de pallier temporairement les imperfections du marché notamment en matière d’accès aux crédits, aux inputs et aux services. Trois autres points sont caractéristiques de ces exploitations : 1/ les agroholdings réalisent des investissements significatifs dans le domaine des technologies améliorant la production ; 2/ les fondateurs des agroholdings travaillent en collaboration avec les autorités administratives dans le domaine du développement et de la gestion de leur activité ; 3/ leur stratégie peut avoir des conséquences sociales (augmentation des licenciements), cependant les firmes essaient de garantir un niveau de salaire compétitif et certaines s’orientent vers le développement de services sociaux anciennement assurés par les formes collectives d’exploitation. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1867 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1867 offraient à tous les habitants du village l’accès aux soins dans des polycliniques et remplissaient des fonctions dépassant le simple cadre de la production agroalimentaire. Pourtant recommandé pour rendre les exploitations compétitives, le transfert de ces prérogatives vers des structures distinctes est difficile à réaliser [Lapina (2006) ; Lefèvre (2003)]. Ce rôle social est fondamental pour le monde rural. Il permet, en assurant l’accès aux crèches, aux écoles de limiter l’exode rural et de conserver une main-d’œuvre agricole. Les ruraux, pour la plupart propriétaires de lopins, sont également liés aux exploitations du territoire sur lequel ils vivent. Une complémentarité s’instaure entre les « organisations agricoles » et les « lopins ». Cette coopération, que nous analyserons dans notre deuxième partie, est d’autant plus essentielle et le démantèlement des exploitations collectives et le risque de voir disparaître les prérogatives sociales qu’elles remplissent sont d’autant plus problématiques que le monde rural connaît une crise démographique importante. I.3.1.2. Une crise démographique qui touche la population active rurale Le tableau 1 met en évidence la crise démographique dans la région d’Orel (crise que subit la Russie en général). Entre 1989 et 2002, la population des hommes actifs à la campagne a diminué de plus de 9 000 hommes. La population de jeunes est également en forte baisse. Se pose inévitablement la question du renouvellement de la population active. Le développement supposé de la concurrence, dans le secteur agroalimentaire, se heurte à la question de la relation entre la croissance économique et les conditions de vie à la campagne. Le facteur démographique et le rôle social des firmes agricoles russes constituent deux éléments de cohérence du secteur avec lequel les acteurs doivent composer (ou qu’ils peuvent exploiter !). Si, comme nous l’avons formulé dans notre introduction, il est possible de comprendre la dynamique sectorielle à partir de l’hypothèse que les acteurs du secteur dessinent des configurations productives assurant leur reproduction, il convient alors d’identifier qui sont les acteurs exploitant les éléments de cohérence que nous venons d’identifier et comment ils les exploitent. C’est ce qu’une lecture en termes de filière devrait nous permettre de démontrer. 1868 15:26 15 La catégorie des jeunes inactifs comprend les jeunes de 0 à 15 ans. La population active comprend les hommes de 16 à 59 ans et les femmes de 16 à 54 ans. Enfin, la catégorie des retraités comprend les hommes de plus de 60 ans et les femmes de plus de 55 ans. 29/10/09 Source : d’après le tableau 08 du tome 14 du recensement de la population de la Fédération de Russie de 2002 disponible sur internet à l’adresse www.gks.ru, consulté le 20 mars 2009 TABLEAU 1 Population de la région d’Orel selon le sexe, le groupe d’âge 15 et le lieu de résidence 15•Grouiez Page 1868 P. GROUIEZ 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1869 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1869 I.4. La reconfiguration des filières : intégration des acteurs et préservation du patrimoine collectif en vue de reproduire un territoire La crise sociale consécutive à la fin du système soviétique et les difficultés démographiques du monde rural russe ont permis de légitimer l’intervention régionale dans le domaine agricole. La Région d’Orel a mis en place une série de mesures visant à soutenir ce secteur d’activité via l’intégration de certains acteurs. I.4.1. Une politique publique d’intégration du secteur dans une perspective de sécurité alimentaire Le gouvernement de la région d’Orel a créé en 1994 un agroholding, « Orlovskaâ Niva ». Cette structure visait officiellement 16 à maintenir des exploitations collectives en faillite. Les exploitations intégrées dans la structure disposaient de crédits sous la forme de prêts de matériel agricole et d’engrais en échange de la remise de tout ou partie de leur production. Après la crise de 1999, un second agroholding a été créé, « Agrokombinat » 17. La création de ces deux firmes, dont 100% des actions sont détenues par la Région d’Orel, a permis l’intégration des acteurs du secteur dans des entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires. Les deux structures regroupent l’ensemble des activités agricoles et agro-industrielles nécessaires aux besoins alimentaires régionaux, comme nous le montre cette représentation schématisée de « Orlovskaâ Niva » : 16 La structure a également permis le détournement de fonds publics à des fins privées. Toutefois, le nouveau gouverneur de la région a annoncé un déficit de 1,3 milliards de roubles pour Orlovskaâ Niva. Un tel déficit ne peut être expliqué sans une volonté de maintenir en place des structures en faillite pour d’autres raisons que le simple détournement de fonds. 17 En ce qui concerne Agrokombinat, il a fait faillite en 2006, ce que nous décrivons n’est donc valable en totalité qu’entre 1999 et 2006. En revanche, Orlovskaâ Niva existe toujours et poursuit son extension avec un investissement récent dans une usine d’élevage de volailles. Toutefois, nous avons choisi de décrire la logique filière de la région d’Orel en y incluant Agrokombinat car la disparition de la structure juridique ne remet pas en cause l’intégration qu’elle a contribué à mettre en place. Le procès qui vient de donner raison à la Région d’Orel contre une entreprise privée en est la preuve. La Région d’Orel reprochait à cette entreprise d’avoir détourné les actions de la OAO Minskaâ (qui appartenaient à l’agroholding) après le démantèlement d’Agrokombinat. Agrokombinat disparu, la Région n’en reste pas moins propriétaire des actifs des entreprises qui le composaient, ce que confirme le tribunal de commerce de la région. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1870 1870 P. GROUIEZ OAO Orlovskaâ Niva Centre de production Pain Viande Agrofirmes -Hlebnaâ Baza -Niva -Verhov'e -Orlovskij -Niva - Zalegos' Mâsokombinat N°36 -Oreloblhleb -Pokrovskaâ Niva -Zmievskij -Orlovvskoe Mâcokombinat -Glazun ovskoe poles'e -Verhovskij - hlebop riemnoe -Niva -Kromy Mâcokombinat predpriâtie -Hotyneckaâ Niva Zivotnovadcesk (HPP) -Maloarhang el'skaâ ie komplekcy -Bolhovskoe HPP MTC -Hlebozavod -Niva -Bolhov (Verhovye) -Niva Sablykino -Orlovskij -Niva Zmievka HPP -Niva -Korsakovo -Hotyneckoe -Saburovo HPP -Niva Kolos -Kolpnânskij -Dmitrovskij èlevator Kristall -OAO Hiva -Zarâ Hleb -Pokrovskaâ Hiva2 -Luc -Livny -Niva -Nikol'skoe -Zanerussovskaâ -Kromy Emigrés rentrés à Orel Fonds « Slavânskie dans 18 raïons de la région Korni » Centre de service Centre de comm ercialisation Transformation Approvisionnement Commercialisation -Proizvod ctvennyj -OAO Niva Servis Centre Torgovyj Kompleks (PTK) -Orelsel'hozimiâ « Orlovskaâ Hiva Supermarket -Zoovet snab Niva » [marché Orlovskagropromsn couvert, ndt] -Orelkonditer Maslosyrkombinat ab -Niva keramika -OAO Kpictall Réseau inte r -Agropromhimiâ régional de - Molocnyj -Agrosnaby kombinat supermarchés -Volodarskoe RTP « Orlovskij » -Remontno -Livenskij Marché de vente tehiceskie c'ûzavod de produits pour predpriâtiâ -Molokozavody les organismes - Pisekombinaty -Avtotransportnyj d' État (crèches, predpriâtiâ écoles, hôpitaux...) Marché de gros Magasins de vente au détail dans les villes et à la campagne GRAPHIQUE 3 Le complexe agroalimentaire de l’OAO Orlovskaâ Niva [MCX (2001), p. 22] Comme indiqué dans le graphique 3, pour compléter la structure, Orlovskaâ Niva dispose d’un marché physique à Orel 18, qui assure un débouché pour les produits alimentaires de l’agroholding. D’autres lieux de commercialisation existent dans la région. Des formes d’exploitations qui ne sont ni d’anciens kolkhozes ou sovkhozes, ni d’anciennes entreprises de transformation agroalimentaire, viennent complexifier la structure. Ainsi, un fermier de la région d’Orel, interrogé en 2005, expliquait : « Ma principale activité est la culture céréalière. J’ai passé un accord avec la Région. Je remets une partie de ma production à Orlovskaâ Niva. Le prix de la tonne de blé est fixé à l’avance avec un tarif qui n’est pas toujours 18 Le centre administratif de la région qui regroupe plus du tiers de la population régionale. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1871 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1871 avantageux. Mais je dois dire que la Région nous a soutenus pour la reconstruction de notre maison ». L’organisation englobe certaines fermes qui bénéficient d’un soutien matériel. Orlovskaâ Niva apparaît comme un goulet d’étranglement pour ces fermiers et permet aux entreprises de transformation de sécuriser leur approvisionnement. Dans le même temps, elle offre aux exploitations agricoles un soutien nécessaire à leur production et à leur maintien sur le territoire. L’accès au logement dont bénéficie le fermier interrogé représente une innovation importante. C’est Orlovskaâ Niva qui prend en charge une partie du financement de la maison. En intégrant la structure, ce fermier bénéficie du rôle anciennement attribué aux kolkhozes et sovkhozes. Or, ce système s’étend à la troisième catégorie d’exploitation : les lopins. Le fonds « Slavânskie Korni » (voir graphique 3) est géré par l’OAO Orlvskaâ Niva qui donne accès à un logement et à une parcelle de terre aux Russes originaires des anciennes républiques soviétiques. En contrepartie, les familles doivent remettre une partie de leur production à Orlovskaâ Niva. Ce dispositif permet à l’agroholding d’accéder à la plupart des produits alimentaires, du fait de l’importante spécialisation des acteurs du secteur (voir notre première partie). In fine, le complexe assure la sécurité alimentaire de la région. Ainsi, lors d’un entretien, la comptable du marché d’Orlovskaâ Niva nous a expliqué : « Sur ce marché, la charcuterie vient essentiellement des usines de transformation dont dispose l’agroholding. En revanche la viande provient, pour l’essentiel, de contrats passés avec des fermiers. On peut donc tout acheter sur notre marché mais l’origine des produits est diverse ». Ce témoignage montre que l’objectif d’approvisionnement alimentaire de la région est bien présent. Pour assurer cet accès aux produits correspondant au panier moyen de biens alimentaires d’un habitant de la région (pain, lait, volaille, légumes, pommes de terre), le pouvoir exécutif d’Orel a privilégié la construction des filières agroalimentaires de ces produits par la création d’agroholdings. Les filières-produits ainsi constituées permettent aux différentes marchandises d’atteindre le marché physique des différents villes de la région. L’intégration de certains fermiers et lopins dans le dispositif assure la pérennité du système. Mais rien ne permet d’affirmer que les acteurs intégrés n’ont pas participé à la construction de ces filières. Ainsi, « l’organisation agricole » (voir encadré 2), en valorisant son « rôle social », a pu justifier de la nécessité de son maintien alors même qu’à partir des critères mar- 15•Grouiez 29/10/09 1872 15:26 Page 1872 P. GROUIEZ chands, sa situation de faillite aurait dû la condamner à disparaître. Dans la théorie des patrimoines collectifs, l’accès aux logements, aux écoles, aux hôpitaux apparaissent comme des fonctions patrimoniales que ces exploitations ont mobilisées pour assurer leur reproduction. Pour ce faire, elles ont accepté de modifier leur frontière. Intégrée dans Orlovskaâ Niva, elles ont transmis leur patrimoine au holding luimême. Leur intégration a permis, sinon l’effacement, du moins le gel de leur dette tout en maintenant leur identité. Ces prérogatives « sociales », constituées en patrimoines, ont offert à certains fermiers et lopins les raisons d’intégrer à leur tour le holding. Pour assurer leur reproduction, certains fermiers ont préféré abandonner leur insertion dans le marché au profit du canal régional. Leur forte spécialisation leur a permis d’obtenir le statut de professionnels de l’agriculture 19 qu’ils ont utilisé pour obtenir l’accès à un logement, comme nous l’a rappelé un interviewé 20. En contrepartie, ces exploitations deviennent des composantes de l’agroholding, perdant les bénéfices du système marchand (en termes de prix), mais aussi ses inconvénients (en termes de volatilité). Les lopins ont pratiqué une logique similaire. Jouant sur la spécificité de leur production (viande, lait, légumes), certains d’entre eux ont utilisé le programme régional pour se développer. L’administration d’Orel a, quant à elle, porté à 50 ha la limite de surface des lopins alors qu’elle est habituellement fixée à 2 ha 21. Dans le même temps, ce processus apporte une solution aux difficultés démographiques. L’existence de configurations productives alternatives mises en place par certains lopins et fermiers prouve que l’intégration régionale peut être analysée en termes de stratégies d’acteurs. 19 Cette analyse patrimoniale du savoir-faire des professionnels de l’agriculture a été proposée pour la première fois par Barthélemy (2005) dans le cas du passage d’un modèle paysan à un modèle d’agriculteurs professionnels. 20 La notion de professionnels de l’agriculture est devenue, en Russie, un critère pour obtenir l’autorisation d’exercer le métier d’agriculteur. Les jeunes qui souhaitent s’installer doivent, pour bénéficier des aides au logement, justifier d’un diplôme. La notion de « professionnel » a également été utilisée par les propriétaires de parcelles de terre pour sélectionner les fermiers avec lesquels ils ont passé des contrats de location [Grouiez (2008)]. 21 La loi indique la nécessité de fixer un maximum à la SAU des lopins, charge aux sujets de la Fédération de le définir. Cet élargissement s’accompagne d’une reconnaissance du professionnalisme de ces lopins. Deux chercheurs de la Région d’Orel mettent l’accent sur le rôle économique que remplissaient les lopins : « produire et permettre l’approvisionnement des entreprises de transformation de matières premières et garantir à la population urbaine l’accès aux produits alimentaires pour recevoir, en contrepartie, un revenu stable qui constitue l’essentiel et souvent la seule ressource du foyer » [Cugunova et al. (2004), p. 352-353]. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1873 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1873 Encadré 2 – Qui sont les entreprises de la catégories des « organisations agricoles » ? La catégorie statistique des « organisations agricoles » comprend actuellement : 1) Des exploitations restructurées (en majorité des SA ou des SARL) intégrées dans des holdings régionaux. Généralement en difficultés financières, elles doivent leur survie aux programmes promouvant la sécurité alimentaire du territoire (elles représentent environ 15 % de cette catégorie statistique dans la région d’Orel et sont intégrées dans Orlovskaâ Niva). 2) Des exploitations restructurées (en majorité des SA ou des SARL) intégrées dans des holdings privés. Certaines de ces entreprises étaient auparavant dans le holding régional à Orel. Les holdings les contrôlant valorisent l’intégration verticale permettant d’assurer l’approvisionnement de leurs entreprises de transformation. La logique de sécurité alimentaire n’est pas leur priorité puisque la commercialisation de leurs produits se fait essentiellement à Moscou. Les exploitations intégrées dans ces holdings représentent 15 % de la catégorie des organisations agricoles dans la Région d’Orel (aspect non développé dans cet article). 3) Des exploitations restructurées indépendantes (avec des statuts juridiques divers : SA, SARL, exploitations coopératives, etc.) assurant l’écoulement de leurs productions par divers canaux (entreprises de transformation). Leur situation financière est très variable d’une exploitation à l’autre et dépend beaucoup de la personne qui dirige l’exploitation. La part de leur production dans la production totale est faible en comparaison du poids qu’elles pèsent dans le total des exploitations de cette catégories [Lerman (éd.) (2008)] (70 % à Orel ; aspect non développé dans cet article). I.4.2. Des filières concurrentes à la logique de reproduction territoriale Comme nous l’avons rappelé dans la première partie, les fermiers ont rapidement cessé d’être subventionnés et les nouveaux dispositifs de crédits mis en place après 2005 au niveau fédéral n’ont pas été favorables à ce type d’exploitation 22. Dans la région d’Orel, certains fermiers ont cependant adopté des stratégies différentes de celle consistant à intégrer l’agroholding régional pour poursuivre leur activité. Ils ont privilégié leur indépendance en construisant des filières-produits courtes. Ainsi un fermier expliquait en 2006 : 22 Les conditions d’accès aux crédits du programme national de développement du secteur agro-industriel n’empêchent pas les fermiers d’y prétendre. Dans les faits, de nombreux témoignages soulignent que les banques exigent des conditions en termes de SAU qui limitent de facto l’accès aux crédits aux plus grandes exploitations. 15•Grouiez 29/10/09 1874 15:26 Page 1874 P. GROUIEZ « Je produis de la pomme de terre, 250 tonnes/an. Je vis uniquement de cette activité [...]. J’ai privilégié deux moyens pour les vendre. Au début je les vendais sur les marchés. Puis j’ai passé des accords avec des grandsmères afin d’éviter de perdre du temps. Aujourd’hui je vends la majorité de ma production à des » spéculants » 23. La négociation des prix n’est pas à mon avantage mais depuis que je travaille comme cela je ne m’occupe plus de chercher des débouchés ». Cette filière courte permet à ce fermier de s’insérer sur les marchés sans avoir à entretenir une quelconque relation avec les autorités régionales, via la délégation de la vente à un acteur extérieur. D’autre fermiers adoptent une stratégie similaire sans passer par des intermédiaires. Dans le cas de la production de viande rouge, de nombreux fermiers vendent directement leurs produits sur les marchés de la ville d’Orel. Cela a permis le développement de fermiers qui se tournent désormais vers une coopération avec des lopins. Un fermier, rencontré en 2006 expliquait : « J’ai mis en place une coopérative de crédit dans mon village mais les propriétaires de lopins étaient assez réticents. J’ai dû beaucoup m’engager à les soutenir, mais leur aide m’est précieuse. Mon activité est spécialisée dans l’élevage porcin, et je trouve dans ma coopération avec eux un moyen de sécuriser mon approvisionnement en nourriture. En échange je leur remets environ 10 % de ce que je produis ». Par ailleurs, ce fermier nous a dit fournir gratuitement des services vétérinaires aux propriétaires de lopins pour leur bétail. Ce type de coopération entre les fermiers et les lopins se développe aujourd’hui comme le rapporte J.J. Hervé (2007, p. 132-133). Les lopins s’appuient sur leur savoir-faire spécifique et sur le contrôle du patrimoine que constitue la terre dont ils sont les propriétaires [Grouiez (2008)] pour s’insérer sur les marchés sans avoir à passer par les canaux régionaux. Cette filière alternative que nous venons de mettre en évidence est le reflet d’une configuration productive mise en place par certains fermiers pour assurer leur reproduction. Cette configuration accorde une place importante à l’insertion sur le marché de produits à faible valeur 23 Terme péjoratif, le mot « spéculant » désigne des intermédiaires qui parcourent la Russie pour acheter les produits alimentaires des fermiers. Le plus souvent d’origine caucasienne, ces acteurs du secteur agricole souffrent d’une mauvaise image. Ils achètent à des prix considérés comme faibles par les agriculteurs et revendent au prix fort sur les marchés moscovites. Ils présentent cependant l’avantage de prendre à leur charge les soucis de la commercialisation des produits jusqu’aux marchés des grandes villes. Leur connaissance du fonctionnement des marchés épargne aux agriculteurs les lourdeurs administratives et la corruption liées au transport et à la vente sur les marchés. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1875 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1875 ajoutée, c’est-à-dire ayant subi peu, voire aucune transformation. Par ailleurs, la viande rouge n’étant pas constitutive du panier de bien minimal d’un habitant de la région, les fermiers spécialisés dans ce type de production ne s’exposent pas à la concurrence de la configuration productive mise en place par la région, ce qui garantit leur indépendance. Sans approfondir plus avant une réflexion qui n’est pas directement l’objet de cet article, nous voyons que cette analyse filière rend difficile la définition des acteurs du secteur agroalimentaire russe. Il semble erroné de parler dans les mêmes termes des fermiers insérés dans l’agroholding régional et de ceux qui ont privilégié les filière courtes. Il en va de même pour les lopins. De plus, la frontière entre le lopin et la ferme devient floue lorsque le propriétaire de lopin cherche également à s’insérer sur les marchés pour vivre de son activité. Les statistiques du Goskomstat, en se bornant à ces catégories, verrouillent les possibilités de description de la réalité. Sans une approche par entretiens qualitatifs, il serait difficile de rendre compte des configurations productives et de la dynamique sectorielle en termes de stratégies adoptées par les acteurs eux-mêmes. Si les statistiques abordent d’emblée l’hétérogénéité des acteurs, elles ne permettent de proposer aucune tendance quant à l’évolution de cette hétérogénéité. CONCLUSION Cet article rend compte de la difficulté d’aborder le secteur agricole russe comme un secteur où les entreprises se placeraient sur leurs avantages comparatifs. Une approche en termes d’analyse filières permet de comprendre pourquoi on a valorisé l’insertion des différents acteurs au sein du même processus de production de marchandises. La région d’Orel a, pendant une courte période, abandonné l’agriculture au libéralisme. La logique systémique du secteur s’étant rappelée à elle, elle a dû reprendre en main l’organisation de la filière. En s’appuyant sur un patrimoine collectif, les différents acteurs ont porté en exergue leur spécialisation et la nécessité de développer des mesures sociales (logement, accès aux soins) que nous avons qualifiées de fonctions patrimoniales et qui ont permis de maintenir sur place certaines exploitations tout en axant la dynamique sectorielle sur la sécurité alimentaire du territoire. Cette dynamique entre en concurrence avec la logique de reproduction de l’exploitation familiale indépendante. Pour assurer leur reproduction, certaines d’entre elles ont préféré dévelop- 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1876 1876 P. GROUIEZ per des filières produits courtes, difficilement contrôlables. Ainsi, l’analyse filières permet de rendre compte, comme le décrit Soufflet (1988), des contraintes et des opportunités qui influencent la stratégie des entreprises. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALLAIRE G. [1995], « Croissance et crise dans l’agriculture », in La grande transformation de l’agriculture / R. Boyer et Y. Saillard (éds), Economica, INRA, p. 341-349. BARRÈRE C., BARTHÉLÉMY D., NIEDDU M., VIVIEN F.D. (éds) [2005], Réinventer le patrimoine de la culture à l’économie, une nouvelle pensée du patrimoine, L’Harmattan, Paris. BARTHÉLÉMY D. [2005], « L’institution d’un patrimoine agricole professionnel », in Réinventer le patrimoine, L’Harmattan, Paris, p. 197-211. CIMAN P., POKROVICAK A., DRABIK D. [2007], « The Economics of Farm Organization in Transition Countries », Beyond Transition, July-Sept., p. 12. CUGUNOVA N.V., MINAKOVA I.V. [2004], « Licnye podsobnye hozâjstva v sel’skom hozâjstve Orlovskoj oblasti = La place des lopins de terre dans l’agriculture de la région d’Orel », in Èkonomiceskie osnovy, vozmoznosti i napravleniâ razvitiâ licnogo podsobnogo hozâjstva, GNU, p. 352-357. GAIGNETTE A., NIEDDU M. [1996], « Une lecture d’économie industrielle des approches régulationnistes en agriculture et agroalimentaire », Économies et Sociétés, Théorie de la régulation, Série R, n° 9, 6/1996, p. 193-211. GROUIEZ P. [2008], « Libéralisation et régulation non marchande du patrimoine foncier agricole russe (1991-2006) », Autrepart, n° 46, p. 31-50. HERVÉ J.J. [2007], L’Agriculture russe. Du kolkhoze à l’hypermarché, L’Harmattan, Paris. KERBLAY B. [1968], Les marchés paysans en U.R.S.S., Mouton, Paris. KWIECINSKI A. [1998], OCDE examen des politiques agricoles, Fédération de Russie, éditions de l’OCDE, Paris. LAPINA [2006], « Le rôle social des entreprises russes », Le courrier des pays de l’Est, n° 1055, p. 68-77. LEFEVRE [2003], « Système de protection sociale et entreprises en Russie, héritages et transformations 1987-2001 », thèse soutenue en 2003 à l’EHESS. LERMAN Z. (ed) [2008], Russia’s Agriculture in Transition, Lexington Books, USA. MAGNIN E. [1999], Les transformations économiques en Europe de l’Est depuis 1989, Dunod, Paris. MAUREL M.C. [1980], La campagne collectivisée, société et espace rural en Russie, Anthropos, Paris. MCX [2001], Ob integrirovanii agropromyslennyh struktur v orlovskoj oblasti [= À propos de l’intégration du complexe agro-industriel dans la région 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1877 QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ? 1877 d’Orel], Ministerstvo Sel’skogo Hozâjstva Rossijskoj Federacii (éd.), Moscou. NIEDDU M. [1998], Dynamiques de longue période dans l’agriculture productiviste et mutations du système agro-industriel français contemporain, thèse pour le doctorat ès sciences économiques, Reims. OCDE [2000], Politiques agricoles : économies émergentes et pays en transition, édition de l’OCDE, Paris. ROSSTAT [2006], Social’no-èkonomiceskoe polozenie orlovskoj oblasti za 2005 god (la situation socio-économique de la région d’Orel pour l’année 2005), Orel. RYLKO D., KHRAMOVA I., UZUN V., JOLLY R. [2008], « Agroholdings: Russia’s New Agricultural Operators », in Russia’s Agriculture in Transition, Zvi Lerman (ed.), p. 95-133. SAPIR J. [1992], L’approche par la régulation, les économies de type soviétique et la transition, lettre de la régulation n°4. SOUFFLET [1988], La filière bétail et viande bovine, fonctionnement et évolution de 1960 à 1985 : perspective 1990. Essai sur la dynamique des structures et des comportements, thèse pour le doctorat d’État en économie, Montpellier I, juin 1988. UZUN V. [2008], « Large and Small Business in Russian Agriculture », in Russia’s Agriculture in Transition, Zvi Lerman (ed.), p. 11-56. YEFIMOV Vladimir [2003], Économie institutionnelle des transformations agraires en Russie, L’Harmattan, Paris. 15•Grouiez 29/10/09 15:26 Page 1878 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1879 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1879-1896 Filière, supply chain et stratégies : de la différenciation à la distinction Laurent Trognon, AgroParisTech-Engref Cet article traite de similitudes, différences et complémentarités entre les notions de filière et de supply chain (SC), en particulier dans leurs contributions à l’analyse stratégique. Ce faisant, à la lumière de l’approche fondée sur les ressources, il interroge la notion de stratégie de différenciation, propose celle de stratégie de distinction et enrichit l’outil SC. Comme facteur de distinction, la SC mérite d’être pilotée, y compris par les petites entreprises. Comme outil d’analyse, elle permet d’appréhender des ressources distinctives. This paper deals about similarities, differences and complementarities of food chain and supply chain (SC) notions, especially in their contributions to the strategy analysis. On the way and in the light of the Resource-Based View, it examines the notion of differentiation strategy, suggests the notion of distinction strategy, and enriches the SC tool. As distinction factor, the SC is worth piloting, included by SMEs. As analysis tool, it allows to grasp distinctive resources. 16•Trognon 27/10/09 1880 8:12 Page 1880 L. TROGNON INTRODUCTION Le système agroalimentaire (SAA) et la dynamique des entreprises qui le composent sont particulièrement marqués par deux facteurs : la nature et la dimension sociale des produits élaborés et distribués, d’une part, et, de l’autre, l’organisation en réseaux des acteurs économiques concourant à la production de matières premières, à l’élaboration et à la distribution de ces produits. L’infinie variété des produits est un levier essentiel de la différenciation des offres et donc des entreprises qui les proposent. Que ce soit au sein des filières ou des supply chains (SC), la variété des modes d’organisation des réseaux auxquels une entreprise appartient est également pour elle une source de différenciation, qui rejaillit sur la différenciation de ses produits. Cependant, à un certain niveau d’analyse, la notion de SC peut se confondre avec celle de filière et la notion de différenciation peut paraître bien confuse. Il nous a été permis d’approfondir ces notions et leurs interrelations lors d’un projet de recherche européen 1 dont l’objectif était de contribuer à l’identification de facteurs de compétitivité des petites entreprises agroalimentaires (PEAA) situées dans les zones rurales en difficulté. L’originalité du projet tenait à une approche systémique par la supply chain. Il s’agissait d’étudier dans une démarche abductive « la SC des PEAA comme un réseau constitué par les entreprises qui participent à la chaîne d’approvisionnement et de distribution de ces PEAA. [Cette SC englobant] à la fois les flux de produits (logistique), les flux financiers et les flux d’information contribue à la création de valeur sous forme de produits et services destinés au consommateur » [Lagrange et al. (2006)]. En France, six études de cas de SC de PEAA ont été élaborées à partir d’entretiens semi-directifs d’un terrain composé de quarante PEAA localisées dans le Massif central, trente-cinq de leurs intermédiaires, quarante de leurs clients finaux, et quinze institutions de leur environnement. Issu de cette recherche, cet article ne vise cependant pas à en présenter les résultats. Son but est la formulation d’une proposition théorique susceptible d’inspirer la communauté agro-industrielle. Dans cette optique, il étudie les principales similitudes, différences et complémentarités entre les notions de filière et de SC, en particulier dans 1 SUPPLIERS – « Supply Chains Linking Food SMEs in Europe’s Lagging Rural Region » ; 1/02/2001-1/03/2004 ; contrat : QLK5-CT-2000-00841 – http://suppliers.econ.upatras.gr 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1881 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1881 leurs contributions à l’analyse stratégique. Ce faisant, il interroge la notion de stratégie de différenciation et propose celle de stratégie de distinction pour compléter la boîte à outil du stratège. Pour cela, il reprend une littérature relativement ancienne pour montrer que, même si elles décrivent des sous-systèmes d’acteurs économiques potentiellement superposés, filière et SC se distinguent (§I). Leurs contributions à l’analyse stratégique sont ensuite abordées, notamment leurs déclinaisons de la stratégie de différenciation et la prégnance du modèle portérien du positionnement (§II). Enfin, après avoir proposé un paradigme stratégique alternatif, il est montré que celui-ci enrichit l’apport potentiel d’une approche stratégique par la SC, et que le pilotage de la SC est source de distinction (§III). I. – FILIÈRE ET SC COMME SOUS-SYSTÈMES L’objet de cette partie est de montrer qu’en dépit de similarités fortes entre filière et SC, ces deux notions ne devraient pas être confondues. Leurs principales différences qui tiennent à l’échelle, l’objet et les applications de leurs analyses sont liées à leur genèse disciplinaire et méthodologique. I.1. Des définitions similaires pour des objets et des applications d’échelles différentes La notion de SC provient de problématiques logistiques traitées par les sciences de gestion. Née avec l’extension de l’approche logistique de l’entreprise à l’ensemble de ses partenaires amont et aval, elle constitue l’espace de la coordination de la chaîne de valeur étendue [Roy et al. (2006)]. La question de l’intégration y est centrale et combine une variété d’éléments à intégrer (flux, processus et activités, systèmes et technologies, acteurs) et de niveaux d’intégration (intra-organisationnelle, inter-organisationnelle limitée, inter-organisationnelle étendue, sociétale) [Fabbe-Costes (2007)]. Bien qu’utilisée dans le secteur agroalimentaire depuis les années 90, l’étude de l’environnement des entreprises agroalimentaires, en particulier leurs relations amont-aval, mobilise toujours l’approche filière. Ce concept, développé dans les sciences économiques, décrit un sous-système du système agroalimentaire qui rend compte des connexions entre agriculture, industrie agroalimentaire, distribution et consommateur. Il délimite un sous-système d’acteurs réunis autour d’un même produit. 16•Trognon 27/10/09 1882 8:12 Page 1882 L. TROGNON Plus précisément, « la filière se rapporte à l’itinéraire suivi par un produit (ou groupes de produits) au sein de l’appareil agro-alimentaire ; elle concerne l’ensemble des agents (entreprises et administrations) et des opérations (de production, de répartition, de financement) qui concourent à la formation et au transfert du produit jusqu’à son stade final d’utilisation, ainsi que les mécanismes d’ajustement des flux des facteurs et des produits le long de la filière jusqu’à son stade final » [Malassis et Ghersi (1992)]. Définie ainsi, la notion de filière est proche de celle de SC. Avant l’avènement de la notion même de SC, les logisticiens s’interrogeaient déjà sur le rapport Filière-Chaîne 2. Tixier et al. (1983, p. 235) notent ainsi des points clés d’opposition relatifs à la nature de leur représentation, de la gestion des opérations dans le réseau, de la marchandise et du processus de son traitement. Notre approche, complémentaire, cherchant à différencier ces concepts afin de les exploiter dans les conditions appropriées, identifie trois ambiguïtés majeures de leur synonymie qu’il convient de discuter et de lever. La première est liée à l’itinéraire suivi par le produit. Remarquons en effet, avec Malassis et Ghersi, que les filières lait et fromage sont distinctes ; l’une part d’une matière première potentielle, l’autre d’un produit fini. Ajoutons que dans une approche SC, ce sont les flux, en amont et en aval de l’entreprise, qui importent. Alors que l’approche filière est marquée par une vision amont du système productif, l’approche SC s’est construite sur une problématique d’approvisionnement de l’aval. La seconde ambiguïté tient au fait qu’un produit peut exprimer, à la fois, une catégorie (comme dans le cas de la filière saint-nectaire) ou un objet concret, spécimen de la catégorie (le saint-nectaire de la ferme Unetelle par exemple). Les analyses de filière traitent généralement de produit-catégorie, alors que le produit-spécimen relève fondamentalement du domaine de la SC. Enfin, la troisième ambiguïté est un corollaire des précédentes. Elle pose la question des acteurs effectivement concernés. Si, par exemple, l’ensemble des vignerons de telle AOC (appellation d’origine contrôlée) appartiennent à la filière constituée par cette appellation, seuls quelques-uns pourront éventuellement appartenir à la SC de tel négociant. Les définitions du terme filière abordent rarement la question des flux informationnels. C’est là également une différence fondamentale avec la SC qui nécessite la prise en compte systématique des flux 2 Cet ouvrage centré sur la logistique de l’entreprise porte les linéaments du SC management. Cf. son analyse de formes innovantes d’intégration reposant sur l’idée de famille logistique. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1883 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1883 informationnels en plus des flux physiques et financiers. Au cours de la décennie passée, le concept de SC s’est d’ailleurs particulièrement développé en liaison avec les progrès des technologies de l’information et de la communication dans le domaine de la logistique [Paché (2000)]. I.2. Genèses disciplinaires et méthodologiques différentes Le concept de filière est marqué par la discipline scientifique qui, dans les années 70, l’a introduit dans sa boîte à outils et développé en France, en réponse aux interpellations des pouvoirs publics. La macroéconomie le conçoit comme un outil de représentation du système productif, que Laganier (1988, p. 184) définit comme « l’ensemble des agents économiques concourant à la production et des relations qu’ils entretiennent, dans un espace déterminé ». Son large développement, en France, s’explique par sa pertinence pour préparer et évaluer les politiques industrielles par branche. Nombre d’auteurs ont d’ailleurs considéré le concept de filière intraduisible en anglais. Pour Boss et Boudon (1981), son lien à une politique de planification explique son non-développement dans les pays à économie plus libérale. Toutefois, dans les écrits d’auteurs anglophones, food chain correspond sensiblement à la notion de filière agroalimentaire et n’est pas confondu avec celui de SC [Commins et al. (2001)]. Traduire filière par supply chain est donc une erreur, même si l’idée renvoie à la notion de « filière d’approvisionnement » qui, dans les travaux d’Arena et al. (1988), est associée à une approche privilégiant l’aval de la filière, plus que ne le ferait une approche en termes de « filière de production ». De son côté, l’expression SC est souvent employée en français et parfois traduite par chaîne ou canal logistique ou encore par chaîne d’approvisionnement et de distribution. Le champ de la SC est en effet d’abord celui de la logistique. Une notion qui ne se limite pas au transport de marchandises mais fait référence aux données de la situation et à un ensemble de flux internes et externes à l’entreprise. La filière, par son approche synthétique des sous-ensembles du système agroalimentaire, qui privilégie l’identification des itinéraires suivis par les produits, et les agents économiques de la « fourche à la fourchette », est un concept séduisant pour le logisticien. Celui-ci pourrait d’ailleurs le confondre avec la SC et n’y voir, comme le suggère Montigaud (1989), « qu’une délimitation, à un moment donné d’un champ d’investigation qui va permettre à l’observateur en fonction de sa problématique d’effectuer un travail d’analyse avec les outils qui lui 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1884 1884 L. TROGNON paraissent les plus appropriés » et non « un outil d’analyse économique ». Toutefois, en tant que concept de l’économie industrielle, son emploi tendra davantage à chercher quelles sont les connexions entre acteurs définis comme catégories, que la dynamique de ces connexions entre entreprises considérées individuellement et dans leurs interrelations au sein d’une chaîne logistique. Tixier et al. (1983) opposent la « complémentarité théorique d’acteurs », représentée par la filière, au « fonctionnement réel d’un acteur » décrit par la chaîne. Ainsi, la genèse de ces deux concepts diffère aux plans disciplinaire et méthodologique. Initialement la filière est une conception théorique dont certaines applications ont pu être développées par et pour les acteurs impliqués dans le flux du produit. Tandis que la SC est d’abord le réseau effectif de clients et fournisseurs d’une entreprise, dont la théorisation a enrichi la compréhension et le management, et permis d’étendre le champ d’application. II. – FILIÈRE ET SC : OUTILS D’ANALYSE STRATÉGIQUE Les notions de filière et de SC n’ont pas été conçues originellement pour traiter de la stratégie des acteurs économiques. Leur contribution à l’analyse stratégique est liée à leurs développements théoriques dans le cadre du paradigme de l’école du positionnement. La filière, concept de l’économie industrielle, apparaît ainsi comme espace de la différenciation, tandis que la SC, analysée comme chaîne de valeur étendue, devient un vecteur de sur-différenciation au sein de la filière, permettant aux acteurs de distinguer leur offre. II.1. Filière : une affiliation naturelle à l’école du positionnement La filière est un espace de stratégies [Morvan (1985) ; Rainelli (1988)], celles d’agents économiques en relations de concurrence/coopération ou dans des problématiques d’intégration vers l’amont ou vers l’aval. Abordée globalement ou au plan de chacun des acteurs qui la composent, elle s’analyse dans le cadre et avec les outils de l’économie industrielle (dont ceux de stratégie développés par Porter, père de l’école du positionnement). Au plan global, on s’intéresse à la dynamique de la filière. La stratégie de filière est une question de coordination et de choix collectifs des acteurs du système pour la production ou/et l’offre d’un produit différencié. En tant que système, la filière permet de rendre compte de 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1885 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1885 l’interdépendance des agents. Ces relations peuvent être de complémentarité (division technique du travail entre les opérateurs, construction de la chaîne de valeur), de solidarité (attitude vis-à-vis des pouvoirs publics) ou/et de concurrence (appropriation des marchés en amont ou en aval, répartition de la valeur ajoutée, contrôle du pilotage de la filière, etc.). L’analyse de filière s’intéresse notamment à deux types de points stratégiques particuliers : les nœuds stratégiques et les goulets d’étranglement. Le premier type concerne les points d’interconnexion entre filières, des points de rencontre « de relations technico-socio-économiques [...] elles impliquent à la fois le processus descendant et ascendant, la circulation de la marchandise (approvisionnement, écoulement), le service lié, les flux de paiement, l’information ». Aussi sont-ils l’enjeu de conquêtes de la part des firmes [Koulytchizky (1985) ; Morvan (1985)]. Le deuxième type, les goulets d’étranglement, sont des points de faiblesse de la filière autour desquels peuvent se créer des positions stratégiques. Ils concernent principalement les processus matériels de production ou d’écoulement, mais aussi les flux financiers (politique de prix abusive) et d’information [ Koulytchizky (1985)]. Il en résulte que la connaissance de la stratégie des acteurs est indispensable pour comprendre la dynamique de l’ensemble de la filière. Cette dynamique sera d’ailleurs qualifiée de stratégique dès lors qu’elle résultera d’une volonté collective ou du pilotage par un ou quelques acteurs. L’élaboration d’un cahier des charges définissant le produit et ses conditions de production et de distribution, contenant parfois des clauses très restrictives, en est l’exemple le plus abouti (cas par exemple des filières sous SIQO 3). Il en découle une concurrence inter-filières. Au plan individuel, la filière permet d’étudier l’environnement de l’entreprise (concurrents, réseaux amont et aval) et de préciser son positionnement par rapport aux cinq forces de la concurrence [Porter (1986)] : rivalité entre les entreprises présentes dans la même industrie ; pouvoir de négociation des fournisseurs ; pouvoir de négociation des clients ; menaces des produits de substitution ; menaces de nouveaux entrants. Conformément au paradigme SCP (structure-comportement-performance) 4, ces forces déterminent les facteurs clés du succès d’une industrie, c’est-à-dire « les éléments sur lesquels se fonde en priorité la concurrence, correspondant aux compétences qu’il est nécessaire de maîtriser pour être performant » [Strategor (1993)]. 3 4 Signe d’identification de la qualité et de l’origine : AOC ; label rouge, etc. Modèle selon lequel la structure du marché influence le comportement et les performances des entreprises. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1886 1886 L. TROGNON Implicitement, cela suppose la préexistence de ces facteurs et que ceux-ci s’appliquent à toutes les entreprises appartenant à l’industrie concernée. Dans cette approche, l’entreprise est vue à l’extrême comme une entité sélectionnée par son environnement. Le degré de liberté d’une entreprise, bien que limité, réside dans son choix de se positionner sur des marchés dont elle juge les structures favorables, et ses tentatives pour influencer son environnement, en particulier sur les conditions de la concurrence dans l’industrie. De fait, au sein d’un secteur, la même stratégie peut être suivie par plusieurs entreprises et l’ensemble qu’elles constituent forme un groupe stratégique. L’école du positionnement définit deux stratégies génériques possibles. L’une, la stratégie de domination par les coûts, repose sur les concepts de courbe d’expérience et d’économie d’échelle et consiste à offrir des produits au meilleur prix du marché. L’autre, la stratégie de différenciation, ne se focalise pas sur la réduction des coûts mais consiste à valoriser des spécificités recherchées par les consommateurs pour échapper, au moins en partie, à la concurrence en développant une situation de monopole sur des segments de marché. II.2. Supply chain : une chaîne de valeur étendue pour se distinguer À la différence de la filière, la SC n’est pas à l’origine une conception systémique théorique mais un outil opérationnel ; elle consiste en l’identification pratique par une entreprise de sa chaîne logistique. En revanche, par sa réification, la SC est devenue un objet dynamique sur lequel les acteurs économiques qu’elle implique peuvent agir. C’est l’idée du Supply Chain Management (SCM), défini comme « une fonction intégratrice dont la principale responsabilité est de relier les fonctions et processus clés au niveau intra- et inter- organisationnel pour former un business model cohérent et hautement performant » (CSCMP, 2007 5). De multiples autres définitions existent, expressions des préoccupations disciplinaires, notamment logistique, marketing, achats, management des opérations [Livolsi (2009)]. Certaines mettent l’accent sur les processus qui lient fournisseurs et clients ou sur les fonctions à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise qui permettent à la chaîne de valeur de fabriquer les produits et de fournir des services au consommateur final. Cette dernière approche, via l’ouvrage de 5 Council of Supply Chain Management Professionals (http://www.cscmp.org), traduction de N. Fabbe-Costes (2007). 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1887 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1887 Christopher (1998), a significativement influencé notre réflexion car elle fait de la conception d’une « chaîne de valeur étendue », incorporant les chaînes de valeur de ses fournisseurs et clients, une condition clé de succès du SCM. Cette vision globale, qui relève à part entière de la stratégie, conserve néanmoins une dimension opérationnelle très prégnante. Ainsi, l’optimisation de la SC consistera à planifier et manager l’activité de l’entreprise, les achats, la production, les stocks et la distribution des produits en se calant sur la demande des clients. Son objectif sera de fournir le bon produit (aspects logistique et marketing) au bon moment, au bon prix et au bon client, de manière toujours profitable. L’évaluation de sa performance se résumera aux critères définissant la capacité à fournir un produit et service satisfaisant le client, à un coût bas, et la réactivité à la demande [Christopher (1998) ; Paché (2000)]. Cependant, la conception de la chaîne de valeur étendue ouvre une autre perspective de la stratégie ; nombre d’auteurs considèrent en effet que la concurrence inter-SC se substitue à celle qui oppose les entreprises. La SC serait le nouveau terrain de la compétition [Christopher (1998)]. Cela conduit à s’intéresser à la coopération intra-SC et à la coordination de la SC, voire à son pilotage. La prise de conscience et l’intégration dans les pratiques de cette approche touchent plutôt les entreprises appartenant aux grands groupes notamment de distribution. Pourtant, en particulier dans le cadre des produits bénéficiant d’un SIQO, c’est-à-dire de produits hautement différenciés sur le marché, une certaine maîtrise de la chaîne d’approvisionnement et une certaine influence sur la chaîne de distribution pourraient constituer des facteurs de compétitivité. Cette concurrence inter-SC prend toute sa dimension dès lors qu’il s’agit pour une entreprise agroalimentaire d’accéder à des marchés éloignés. Les grandes entreprises de distribution, qui souvent coordonnent les SC, s’inscrivent déjà dans cette perspective de compétition inter-SC et profitent de la situation de concurrence interentreprises pour bénéficier des meilleurs coûts d’approvisionnement. Cette pratique a cependant comme limite forte les comportements opportunistes des partenaires de la SC [Paché et Bacus-Montfort (2002)]. La concurrence inter-SC n’exclut cependant pas d’autres formes d’interactions entre SC, comme la coopération. Le réseau de SC interreliées, décrit par la notion de Supply Chain Network Economy [Zhang et al. (2003)], présente des similitudes avec la notion de filière. Les relations collaboratives peuvent se lire, par exemple, dans la construction, la défense et la valorisation d’une AOC, tandis que la compétition s’observe dans le développement de certaines SC et de leurs producteurs au sein de l’AOC. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1888 1888 L. TROGNON Ces conceptions de la SC et leurs applications ont principalement été dédiées aux problématiques d’entreprise de grande taille pour des marchés de produits de grande consommation. Nos travaux empiriques montrent cependant qu’ils mériteraient d’être étendus aux SC des plus petites entreprises agroalimentaires, en particulier celles qui offrent des produits fortement différenciés [Trognon (2005)]. Certaines d’ailleurs, bien que ne connaissant pas le concept de SC, ont su développer intuitivement des pratiques qui leur permettent d’échapper partiellement à la concurrence inter-entreprises en faisant de la coordination de leurs réseaux d’approvisionnement et de distribution un facteur clé de leur compétitivité. Cette approche plus fine du système agroalimentaire permet en outre d’enrichir la compréhension de la construction de la sur-différenciation. Filière et SC sont devenus des outils d’analyse stratégique complémentaires. Le premier permet d’étudier le cadre d’une stratégie de différenciation et de concurrence inter-filières. Le deuxième, grâce à son regard sur les relations clients-fournisseurs, affine significativement l’analyse de la dynamique des acteurs au sein des filières et mériterait d’être promu auprès des petites entreprises. Il recommande en effet de concevoir la concurrence au niveau inter-SC, siège d’une « sur-différenciation » de l’offre. Ce constat positif amène cependant à s’interroger sur le foisonnement des différenciations produites ou annoncées. Ne pourrait-on parler de distinction ? III. – PILOTAGE DE LA SC ET DISTINCTION : UNE PERSPECTIVE DE LA RESOURCE-BASED VIEW L’idée de « sur-différenciation » considère, pour un produit donné, l’addition d’expressions de différenciation ajoutées par les membres de la filière-SC qui offrent ce produit. Les emballages de fromage en sont des supports courants : marque de la fromagerie, AOC, caractère fermier, marque ou message du distributeur affirmant sa sélection des fournisseurs, etc. Si bien qu’au sein d’une AOC qui se veut espace de coordination d’une différenciation, foisonnent les « sur-différenciations ». Substituer distinction à « sur-différenciation » serait superficiel sans paradigme alternatif pour le justifier car, « faute de conceptualisation adéquate, les singularités, perdues au sein des produits différenciés, ne peuvent que rester invisibles » [Karpik (2007)]. L’approche théorique fondée sur les ressources [Arrègle et Quelin (2001)] propose un 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1889 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1889 modèle alternatif à l’école du positionnement qui reconnaît l’existence de ressources distinctives et permet de requalifier certaines stratégies dites de différenciation en stratégie de distinction [Marchesnay (2003) ; Trognon (2005)]. Un tel cadre enrichit l’apport potentiel d’une approche stratégique par la SC ; le pilotage de la SC devient un facteur de distinction. III.1 Vers un autre paradigme : de la différenciation à la distinction Pour Porter (1986), une stratégie de différenciation repose sur une offre dont le client perçoit un caractère unique. Pourtant, l’observation montre qu’il s’agit moins de création d’une offre inédite que d’une certaine copie d’un modèle qui « marche » et dont on aura modifié quelques éléments pour le dire différent. Les produits de grande consommation comme les yaourts en sont de formidables exemples. La même conclusion s’impose pour une AOC étudiée dans une approche filière et l’on considérera que cette filière suit une stratégie de différenciation. Cependant, lorsque l’on s’intéresse aux entreprises et à leurs SC au sein de telles filières, des niveaux supplémentaires de différenciation s’ajoutent et cette sur-différenciation intègre, à des degrés plus ou moins élevés, une certaine singularité fondée sur des ressources spécifiques. S’agit-il d’épiphénomènes ou de faits méritant toute notre attention ? Par ailleurs, peut-on qualifier du même mot (différenciation) une démarche globale, de niveau filière (interprofessionnelle), qui vise à inscrire une offre dans une catégorie ou à positionner une catégorie dans une meta-catégorie, et une démarche individuelle d’entreprise qui conduit une offre à prendre une place singulière au sein de cette catégorie ? L’approche théorique fondée sur les ressources (AFR) est un modèle alternatif qui propose des pistes de réponse à ces questions et des applications intéressantes [Trognon (2005)]. Sa critique initiale à l’égard de l’école du positionnement (EP) tient à la nature, à l’accessibilité et au rôle que celle-ci donne aux ressources. Selon l’EP, les firmes d’une même industrie doivent contrôler des ressources identiques pour fonder leur performance. Dit autrement, l’appartenance à un groupe stratégique implique une perspective commune sur la manière d’être compétitif. Une entreprise qui décide d’entrer dans une industrie, car elle présente une « structure attractive », devra donc identifier les actifs nécessaires et les acquérir si elle ne les possède pas encore. L’AFR rejette cette conception car, pour elle, certains actifs, 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1890 1890 L. TROGNON idiosyncratiques, ne peuvent s’acheter et d’autres sont particulièrement difficiles à imiter. Aussi considère-t-elle et préconise-t-elle qu’une entreprise qui souhaite entrer dans une industrie commence par identifier ses ressources propres puis, dans un second temps, recherche le marché qui lui permettra le mieux de les valoriser [Teece et al. (1997)]. Illustrons ces deux conceptions de la stratégie avec les deux exemples suivants. Un entrepreneur qui dispose de ressources financières, de ses propres compétences et de celles qu’il peut louer, peut décider de s’installer dans un terroir particulier car le secteur économique lui semble attractif. Il devra alors s’interroger sur l’ensemble des actifs indispensables pour faire sa place dans ce petit monde local et sur les marchés qu’il visera, et les acquérir. Le cas Mondavi [Torrès (2005)] en est une illustration. Une autre démarche, relativement courante dans le secteur agricole et alimentaire est celle d’entrepreneurs qui partent des ressources qu’ils possèdent déjà pour envisager une autre ou une meilleure valorisation. Par exemple, un éleveur laitier localisé en zone d’AOC peut décider de se lancer dans la production du fromage AOC correspondant ou/et d’ouvrir une table d’hôtes. Il pourra alors construire et faire valoir, notamment par le choix d’une SC adaptée, la spécificité de ses ressources et la singularité de son offre qui, ce faisant, deviendra distinctive sur un marché fortement différencié. La notion de ressources distinctives et la recherche de rentes fondées sur elles ont conduit à l’émergence de la notion de stratégie de distinction [Marchesnay (2003)]. Considérant que faire valoir sa singularité n’implique pas nécessairement sortir de tout référentiel, la notion de stratégie de distinction incorpore donc largement l’idée d’une empreinte singulière profonde et claire comme expression de ressources et de compétences propres à l’entreprise [Trognon (2005)]. L’observation des fondements de la distinction d’une entreprise et de son offre montre en quoi cette notion vient opportunément affiner la connaissance du champ qui, jadis, était exclusivement abordé en termes de différenciation. Ainsi, chaque entreprise peut se distinguer par la singularité de son histoire, de son encastrement social et économique dans ses réseaux (en particulier les réseaux de proximité géographique ou/et d’activités) et de ses représentations et logiques d’action propres. III.2 Piloter sa SC pour construire sa distinction Ici peut être évoquée l’une des études de cas de SC de PEAA élaborées dans notre projet de recherche, VinGoude. Cette SC implique 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1891 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1891 une SARL viticole, son fournisseur (le domaine familial) et quatre de ses clients (deux restaurateurs, un négociant-caviste et un crémier). Des résultats de son analyse, mentionnons deux domaines où une approche par la SC s’est révélée particulièrement pertinente : la SC comme espace de distinction et le territoire comme facteur de distinction. – La SC comme espace de distinction Bien que reposant sur une appellation d’origine, VinGoude se distingue par l’atypicité de ses vins qu’elle construit et affirme et dont sa SC assure la valorisation et poursuit la construction. C’est le cas, par exemple, du restaurateur qui met en scène la bouteille et le vin pour offrir au consommateur une expérience singulière 6. Ainsi, si la filière est l’espace de la différenciation, la SC est celui de la distinction. Un choix judicieux et cohérent des chaînes d’approvisionnement et de distribution ainsi que leur coordination sont des facteurs clés d’une stratégie de distinction. Plus précisément, la SC peut constituer une organisation singulière pour véhiculer l’essence de la valeur produite par les acteurs d’amont et incorporer celle construite par les acteurs d’aval et, ce faisant, être elle-même facteur de distinction. La coordination de SC par une PEAA est rare mais renforce significativement la singularité de l’offre et donc la distinction des acteurs impliqués. Elle est facilitée par des circuits courts et l’encastrement social du produit et des acteurs qui le construisent tout au long de la SC car ceux-là maintiennent une proximité entre producteur et consommateurs. Restaurateurs et détaillants savent en effet parler des produits et de leur origine (terroir, histoire, producteur, etc.) et incorporer leur contribution à l’offre sans la dénaturer. Les relations qui se tissent entre les acteurs économiques donnent à l’offre une valeur particulière ; on comprend d’ailleurs que dans cette situation, l’offre ne se réduit pas au produit per se, aussi typique soit-il. Marsden et al. (2000) font également cette observation. Pour eux, dans le domaine agroalimentaire, le caractère unique et distinctif de l’offre doit être maintenu et assuré du point de production au point de consommation, et cela peut être assuré par des SC courtes. Toutefois, leur définition de SC courtes ne considère ni le nombre de séquences fournisseur-client ni la distance géographique producteur-consommateur, mais la capacité de la SC à permettre au produit d’atteindre le consommateur « avec l’information intégrée ». Pour eux, le rôle des relations du producteur au consommateur dans la construction de la valeur et du sens importe plus que les considérations 6 Cf. travaux de Pine et al.. (1999). 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1892 1892 L. TROGNON techniques du produit. In fine, on pourra dire que cet encastrement social des acteurs et du produit, composante clé d’une stratégie de distinction, fonde sa rareté sur le marché. Les pratiques du restaurateur parisien de VinGoude (très éloigné de l’aire d’appellation) en sont une illustration. – Se distinguer par le territoire Des approches combinant territoire et filière ont été développées dans les travaux relatifs au district industriel et ses prolongements sous la dénomination de système productif localisé et de système agroalimentaire localisé (SYAL) [Moity-Maïzi et al. (2001) ; Muchnik et al. (2007)]. Cependant, l’écueil de la définition d’une unité spatiale pertinente pour l’analyse de filière, tant au plan social qu’économique, a souvent amené les auteurs à privilégier l’approche « par le marché et le produit, entrée ‘verticale’, délibérément économique » à l’approche « horizontale » par l’espace [Valceschini (1991)]. Cela tient peut-être au fait que le territoire sous-entendu est rarement univoque, continu et superposable à des espaces évidents pour l’analyste (voir notamment les manières d’aborder le territoire dans les travaux sur les SYAL [Muchnik et al. (2007)]). Dans le cas des produits de terroir bénéficiant d’une indication géographique, des filières territorialisées existent et font du territoire un critère clé de différenciation. Toutefois, le territoire en question concerne, le plus souvent, tous les acteurs de l’amont ; ceux-là se différenciant ainsi des producteurs de produits similaires ne bénéficiant pas de l’appellation (exemple producteurs AOC vs producteurs hors AOC ou dont les produits sont déclassés). Pour la SC, en revanche, la question territoriale est essentielle. La logistique, évidemment, ne peut se départir des conditions et paramètres géographiques. Mais les observations montrent qu’au sein d’une même filière, il est possible de distinguer différents territoires d’entreprise et de SC et surtout, que ceux-là contribuent à la distinction même de ces entreprises et SC et à la formation de la richesse de leur offre sur le marché. VinGoude se distingue notamment ainsi de la SC d’un vigneron concurrent dont la grande distribution est le principal client. Cette organisation infra-filière, dépassant les frontières du bassin de production et répondant à d’autres logiques que celles de la filière, a sans doute une influence sur la performance des organisations collectives de filières sous SIQO 7. Le viniculteur de VinGoude 7 Cf. travaux de D. Barjolle (2007). 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1893 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1893 influence en effet les pratiques de ses concurrents (élevage des vins) et défend ses positions dans le syndicat. Ces quelques résultats illustrent l’intérêt méthodologique d’une approche plus fine des filières agroalimentaires par l’analyse des SC qui les composent. Ces apports résultent notamment de la focale mise sur la relation clients-fournisseurs et la prise en compte systématique de paramètres comme le territoire considéré. CONCLUSION Filière et SC permettent de décrire et de conceptualiser des soussystèmes du système agroalimentaire. Marquées par des genèses disciplinaires et méthodologiques différentes, elles se distinguent principalement par l’échelle, l’objet et les applications de leurs analyses. Leur intérêt méthodologique, comme outils d’analyse stratégique, d’entreprise ou de sous-systèmes d’acteurs, s’est développé et enrichi au cours du temps. Dans ce domaine, elles s’inscrivent pleinement dans le modèle de la stratégie défendue par l’école du positionnement. La filière partage avec ce modèle une origine commune, les travaux d’économie industrielle, tandis que la SC, définie comme chaîne de valeur étendue, puise dans ce modèle un concept clé élaboré pour l’entreprise. De plus, les approches filière et SC se proposent de contribuer à la définition de stratégies de différenciation, voire de sur-différenciation, dans des relations de concurrence inter-filières et inter-SC. La remise en question de ce modèle de la stratégie par l’approche fondée sur les ressources ouvre de nombreuses perspectives. L’introduction des notions de singularité et de distinction permet tout d’abord d’éclaircir l’espace concurrentiel que la notion de différenciation semblait épuiser. Ainsi, alors que la différenciation vise un positionnement relatif, la distinction procède de l’art de cultiver sa propre différence sans se marginaliser. Elle se concrétise sous la forme d’une empreinte singulière, profonde et claire, comme expression de ressources et de compétences propres. Dans cette dynamique, la SC n’est plus seulement un canal véhiculant la distinction mais devient un facteur de distinction. Cette prise de conscience, voire le pilotage de la SC, devient un enjeu fort, y compris pour les plus petites entreprises. Ce cadre théorique accroît l’intérêt méthodologique de la SC comme outil d’analyse stratégique car il permet d’appréhender pleinement la relation clients-fournisseurs, pierre angulaire de toute SC, ou encore le potentiel de distinction offert par la localisation des acteurs, le territoire. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1894 1894 L. TROGNON RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ARENA R., RAINELLI M. et al. [1988], « Filières et découpages productifs », in Traité d’économie industrielle, Economica, Paris, p. 249-261. ARREGLE J.L., QUELIN B. [2001], « L’approche fondée sur les ressources », in Stratégie. Actualité et futur de la recherche / Martinet A.C., Thiétart R.A. (eds.), Vuibert, Paris, p. 273-288. BARJOLLE D., REVIRON S., SYLVANDER B. [2007], Création et distribution de valeur économique dans les filières de fromages AOP, Économies et Sociétés, AG, n° 29, 9/2007, p. 1507-1524 BOSS J.F., BOUDON A. [1981], Les études filières : éléments de synthèse, Coopération-Distribution-Consommation. CHRISTOPHER M. [1998], Logistics and Supply Chain Management, Strategies for Reducing Cost and Improving Service, 2nd ed., Financial Times, Prentice Hall COMMINS P. et al. [2001], Literature review and theoretical framework. Report 1, SUPPLIERS – EU Fifth Framework Research Programme Contrat QLKCT-2000-00841, Teagasc, Dublin FABBE-COSTES N. [2007], « La gestion des chaînes logistiques multi-acteurs : les dimensions organisationnelles d’une gestion lean et agile », in Gestion des chaînes logistiques multi-acteurs : perspectives stratégiques / Paché G., Spalanzani A. (eds.), PUG, Grenoble, p. 19-42 KARPIK L. [2007], L’économie des singularités, Gallimard, Paris KOULYTCHIZKY S. [1985], « Analyse et stratégies de filière. Une approche nouvelle en agro-alimentaire, apports, dangers à surmonter », in L’analyse de filière, Colloque organisé par le Centre de Recherches et d’Études Appliquées du Groupe École Supérieure de Commerce de Nantes, Economica, Paris, p. 131-141. LAGANIER J. [1988], « Le système productif et ses représentations », in Traité d’économie industrielle, Economica, Paris, p. 182-232. LAGRANGE L., TROGNON L., DESSAUX L. [2006], « La supply chain des petites entreprises agroalimentaires : des enjeux sous-évalués. Le cas de la France », in Sustainable Development and Globalisation of Agri-Food Markets, AIEA2, Université Laval, Québec, p. 169-189. LIVOLSI L. [2009], « Le Supply Chain Management. Synthèse et propositions », Colloque AIMS 2009, http://www.aims2009.org/ MALASSIS L., GHERSI G. [1992], Initiation à l’économie agro-alimentaire, Hatier, Paris. MARCHESNAY M. [2003], De la rente de différenciation à la rente de singularité, Atelier Entrepreneuriat Grand Sud, ESC Toulouse, mai 2003. MARSDEN T., BANKS J. et al. [2000], « Food Supply Chain Approaches: Exploring their Role in Rural Development », Sociologia Ruralis, vol. 40, 4, p. 424-438. MOITY-MAÏZI P., DE SAINTE MARIE C. et al. (ed.) [2001], Systèmes agroalimentaires localisés : terroirs, savoir-faire, innovations, INRA, Paris. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1895 FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION 1895 MONTIGAUD J.C. [1989], « Les filières de fruits et légumes et la grande distribution : méthodes d’analyse et résultats », in Économie des filières des régions chaudes. Actes du 10e séminaire d’économie et sociologie, Montpellier. MORVAN Y. [1985], « Analyse de filière et économie industrielle », in L’analyse de filière, Economica, Paris. MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007], « Introduction : Les systèmes agroalimentaires localisés (SYAL) », Économies et Sociétés, AG, n° 29, 9/2007, p. 1465-1484. PACHÉ G. [2000], « Repérer les évolutions du canal logistique : quelques enjeux majeurs dans une perspective marketing », Convegno « Le tendenze del marketing in Europa », Università Ca’ Foscari Venezia, 24 nov. 2000. PACHÉ G., BACUS-MONTFORT I. [2002], « Fédérer des entreprises autour d’un projet productif commun : management logistique intégré et choix de partenaires », Économie et SociétéS, série « Économie de l’entreprise », « réactivée », K, n° 12, mai, p. 821-843. PINE J., GILMORE J. [1999], The Experience Economy, Harvard Business School Press, Boston. PORTER M. [1986], L’avantage concurrentiel, InterEditions, Paris. RAINELLI M. [1988], « Les filières », in Traité d’économie industrielle, Economica, Paris, p.233-237. ROY J., LANDRY S., BEAULIEU M. [2006], « Collaborer dans la chaîne logistique : où en sommes-nous ? », Revue Internationale de Gestion, vol. 31, n° 3. STRATEGOR [1993], Stratégie, Structure, Décision, Identité. Politique générale de l’entreprise, 2e éd., InterEditions, Paris. TEECE D.J., PISANO G. et al. [1997], « Dynamic Capabilities and Strategic Management », Strategic Management Journal, 18, 7, p. 509-533. TIXIER D., MATHE H., COLIN J. [1983], La logistique au service de l’entreprise. Moyens, mécanismes et enjeux, Dunod, Paris. TORRÈS O., YAOUANC D. [2005], La guerre des vins : l’affaire Mondavi – Mondialisation et terroirs, Dunod, Paris. TROGNON L. [2005], Contribution à l’étude des stratégies de la petite entreprise agro-alimentaire. Stratégie de distinction par la construction de la typicité, Thèse Sciences de gestion, Université de Montpellier I, ENITA Clermont. http://halshs.archives-ouvertes.fr/ VALCESCHINI E. [1991], « Exploitation, Filière et Méso-Système », in Modélisation systémique et système agraire / Brossier J., Vissac B., Le Moigne J.L., Hubert B., Osty P.L., Valceschini E., INRA, Paris, p. 269-282. ZHANG D., DONG J., NAGURNEY A. [2003], « A supply chain network economy: Modeling and qualitative analysis », in Innovations in Financial and Economic Networks / Nagurney A. (ed.), E. Elgar, Cheltenham, p. 195-211. 16•Trognon 27/10/09 8:12 Page 1896 17•Intercalaire IV 30/10/09 7:26 Page 1897 2. Expertises et libres propos 17•Intercalaire IV 30/10/09 7:26 Page 1898 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1899 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1899-1912 Filières d’approvisionnement en ignames de Douala et changements technologiques Ludovic Temple, CIRAD, UMR 1110 Moisa Sylvain Bertelet Ngassam, Université de Dschang (Cameroun) Guy Blaise Nkamleu, Banque Africaine de Développement, Tunis Cette étude teste l’hypothèse selon laquelle les conditions d’accès aux marchés sont suffisamment incitatives pour encourager les transformations techniques de l’agriculture vivrière concernant l’igname au Cameroun. Elle mobilise une démarche d’analyse de filière dans un contexte de sources d’informations hétérogènes. Elle révèle des dysfonctionnements dans l’augmentation des coûts et des marges commerciales en période de pénurie saisonnière. Elle démontre en quoi ces dysfonctionnements expliquent pour partie l’inertie technologique des systèmes productifs. The main hypothesis of this study is that market access conditions are incentive enough to develop the technical transformation of yam food production in Cameroon. The study is carried out using supply chain analysis in a context of heterogeneous sources of informations. It reveals dysfunctions in the increase of costs and commercial margins in the period of seasonal shortage. It shows how these dysfunctions are partially responsible of technological inertia of production systems. 18•Temple, Bertelet 1900 27/10/09 8:15 Page 1900 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU INTRODUCTION L’agriculture vivrière des pays moins avancés (PMA) est soumise à plusieurs sollicitations qui vont s’accroître dans les décennies à venir [World Bank (2007)]. La première porte sur la nécessité d’augmenter ses performances productives pour répondre aux objectifs de sécurité alimentaire et de démographie exponentielle. La deuxième implique de réaliser cet accroissement de productivité par des innovations technologiques différentes des trajectoires d’intensification en intrants chimiques et d’énergie 1. La troisième renvoie aux contributions de cette agriculture à la lutte contre la pauvreté par la création de revenus dans les zones rurales et dans l’approvisionnement alimentaire des populations urbaines. Cette agriculture vivrière en Afrique centrale est fondée sur les amylacées tropicaux : les plantains, bananes à cuire [Temple et al. (1996)] et les tubercules : manioc, macabo, igname. Elle mobilise une fonction technique de production caractérisée par une efficacité faible de ses performances techniques [Nyemeck et al. (2006)]. Plusieurs hypothèses sont posées pour expliquer cette inertie technologique dont la mauvaise répercussion des incitations de marché aux producteurs. Nous testons cette hypothèse sur l’igname au Cameroun qui présente des potentialités dans sa contribution à la lutte contre la pauvreté [Bricas et al. (2003)]. L’igname qui fait l’objet de nombreuses recherches techniques [Ngeve (1998) ; Soro et al. (2003)] est en effet oubliée des recherches en sciences sociales [Dumont et al. (1994)]. Dans un contexte d’incomplétude des statistiques mobilisables, nous retenons une démarche de filière [Lauret et al. (1992)] qui pose pour hypothèse structurante que le découpage méso-analytique du réel autour d’un produit fait suffisamment sens du point de vue systémique. Cette acception finalise l’analyse sur l’économie des relations verticales concernant un produit, sur un marché cible. Elle met en complémentarité différents diagnostics pour créer une connaissance systémique sur les facteurs limitants, les opportunités dont la réalisation permettrait d’améliorer les capacités d’ajustement de la production aux sollicitations de la demande. Elle conduit à caractériser les coordinations entre les acteurs des filières et à analyser leurs performances comparées du point de vue de la répercussion de la demande urbaine aux producteurs. Cette démarche spatialise en premier lieu un système d’approvisionnement polarisé par un marché urbain à partir du recou1 Les conditions d’obtention de ces intrants sont de plus en plus coûteuses et les externalités environnementales de leurs utilisations (pollution, effet de serre, raréfaction des ressources) de plus en plus contestées. 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1901 FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 1901 pement de données secondaires : Institut national de la statistique (INS) au Cameroun, FAO, Programme national de développement des racines et tubercules (PNDRT). Nous y caractériserons les systèmes productifs dans lesquels s’insère la production d’igname. Dans un deuxième temps, nous analyserons le fonctionnement de cette filière à partir d’une enquête en face à face conduite 2 entre mars et août 2007 sur un échantillon de 60 acteurs de la commercialisation dans les provinces du littoral et du Sud-Ouest. I. – DU DIAGNOSTIC GLOBAL AUX STRUCTURES DE LA FILIÈRE IGNAME Une demande explosive, mais des systèmes productifs « atones » Le Cameroun connaît depuis plus d’une décennie une forte augmentation de sa population urbaine : la ville de Douala a un rythme d’accroissement parmi les plus élevés d’Afrique centrale. L’igname étant un bien alimentaire à élasticité-revenu positive, la demande est en constante augmentation. Ces deux observations, selon certains auteurs [Cour (2004)], remplissent les conditions nécessaires à une transformation des systèmes de production vivriers par une intensification qui accroît la productivité. Les statistiques mobilisables révèlent (tableau 1) une augmentation de la production vivrière mais surtout d’ignames, non proportionnelle à celle de la population. La disponibilité en ignames par habitant a diminué significativement (28 kg en 1999, 16 kg en 2005). Pourtant les superficies cultivées (28 000 ha en 2000) ont augmenté depuis 2005 à un taux annuel moyen de 6,6 % supérieur à celui de la production. Ces observations montrent le maintien du caractère extensif des systèmes de production avec une stabilisation des rendements autour de 7 tonnes à l’hectare [MINADER (2005)]. Les expérimentations agronomiques en station [IITA (2005)] permettent d’obtenir jusqu’à 30 tonnes/ha. Selon ces observations, la révolution verte n’a pas eu lieu sur l’igname au Cameroun. Des évolutions de prix instables qui interrogent l’efficacité des filières L’analyse chronologique des séries de prix [Temple et al. (2003)] sur les marchés de Douala révèle une forte saisonnalité des prix (figure 1) avec une période de prix élevés entre les mois de janvier et de juin 2 Enquêtes menées dans le cadre du projet IFAD finance par l’IITA et le PNDRT. 18•Temple, Bertelet 1902 27/10/09 8:15 Page 1902 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU TABLEAU 1 Structure de la production des ignames au Cameroun Années 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Production* en tonnes 261650 262610 (0,37) 311353 (18,56) 280330 (–9,96) 286494 (2,20) 292796 (2,20) Superficie* Rendement Disponibilités en Pression en hectares tonnes/ha kg/habitant [1]fiscal 28038 35175 (25) 35877 (2) 36595 (2) 37327 (2) 38059 (1,9) 9,33 7,46 8,67 7,66 7,67 7,69 17,1 16,7 19,3 16,9 16,8 16,7 16,4 18,0 18,2 17,0 18,0 18,6 * les données entre parenthèses représentent les taux de croissance annuels moyens Source : Données de base PNDRT 2005, antenne de Douala, calculs auteurs. (période de pénurie) et de prix bas entre juillet et décembre (période d’abondance). Elle montre aussi une instabilité des prix plus forte pendant les périodes de pénuries saisonnières 3 (figure 2). Cet accroissement de l’instabilité dans les périodes de baisse saisonnière des prix est aussi constaté sur les marchés internationaux [Geronimi et al. (2007)]. Au Cameroun, des travaux sur les amylacées soulignent une augmentation du différentiel de prix entre la production et la consommation liée à la croissance des coûts de commercialisation et des marges commerciales [Nkendah et al. (2007)]. Ces marges sont par hypothèse explicatives de l’accroissement de l’instabilité des prix. Or de nombreux auteurs démontrent que cette instabilité génère des risques pour les producteurs qui investissent peu dans les adaptations technologiques d’intensification de la production [Boussard et al. (2006)]. Structures du système d’approvisionnement en ignames de Douala En utilisant les enquêtes de consommation, on peut extrapoler les volumes qui approvisionnent la ville de Douala à environ 15 000 tonnes. Le Sud-Ouest et le littoral sont les principales provinces d’approvisionnement de Douala [Hatcheu (2003)]. Les transactions se réalisent sur différents lieux : bords champs, bordure des axes routiers, 3 Les écarts types des prix sont plus élevés en période de pénurie et les différences de moyennes des prix sont significatives entre les deux périodes (tests de Fisher, Levene, Batlet) sur la majorité des années observées entre 2001 et 2007. Nous remercions V. Meuriot (Cirad) pour son appui à la réalisation des tests. Prix Fcfa/kg 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 01/12/1993 01/12/1994 01/12/1995 Source Données : INS, Graphique auteurs. FIGURE 1 Tendance et instabilité prix igname frais au Cameroun 01/12/1996 01/12/1997 01/12/1998 01/12/1999 01/12/2000 01/12/2001 01/12/2002 01/12/2003 01/12/2004 01/12/2005 01/12/2006 01/12/2007 Yaoundé Garoua Douala Bamenda FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 1903 Page 1903 Indice saisonnalité prix igname à Douala 60 70 t Da e Ja ie nv r ie vr é F r ril Av ai M n i Ju t lle i Ju t ou A e br em pt Se FIGURE 2 Saisonnalité des prix de l’igname à Douala s ar M t Oc re ob m ve No e br m ce Dé e br 8:15 80 90 27/10/09 100 110 1904 120 130 140 18•Temple, Bertelet Page 1904 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1905 FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 1905 marchés physiques. Les acteurs qui interviennent dans l’acheminement du produit des champs aux consommateurs concernent : – Les producteurs qui vendent directement aux demi grossistes, aux grossistes, ou aux détaillants dans la première ou deuxième mise en marché. – Les demi-grossistes à l’interface producteur-grossiste qui collectent des petites quantités pour les revendre aux grossistes sur les marchés de gros terminaux ou secondaires. – Les courtiers qui travaillent conjointement pour des grossistes et des producteurs en leur fournissant les informations sur les disponibilités et les prix. – Les collecteurs qui travaillent pour les grossistes qui leur confient argent et emballages pour l’achat des produits qu’ils peuvent transporter eux-mêmes ou se faire livrer. – Les grossistes qui, en période d’abondance, s’approvisionnement sur les marchés physiques et, en période de pénurie, à travers des réseaux marchands. – Les détaillants (75 % de femmes) qui achètent soit auprès des grossistes en période de pénurie, soit aux producteurs en période d’abondance et revendent aux consommateurs. – Les transporteurs et chargeurs : du champ au lieu de rassemblement du produit, des marchés villageois aux marchés de gros ; des marchés de gros en zone rurale aux marchés de gros urbains. Ce système se schématise par deux circuits en interactions. Un circuit dans lequel la production commercialisée transite par les marchés de production. Les détaillantes des marchés urbains, les grossistes achètent sur ces marchés qui sont approvisionnés soit directement par les producteurs soit par des courtiers. Un circuit plus opaque d’approvisionnement des grossistes urbains par des réseaux de demi grossistes, courtiers sans transfert de la production sur les marchés physiques. En période d’abondance saisonnière de l’offre, le premier circuit fonctionne de manière dominante. En période de pénurie saisonnière, la raréfaction des disponibilités sur les marchés physiques augmente les risques pour les détaillantes qui renoncent à s’approvisionner sur les marchés de production. Le deuxième circuit devient dominant et les marchés de production ne jouent qu’un rôle éventuel de transit des lots. Les transactions commerciales se réalisent majoritairement au sein des réseaux mis en place par les grossistes qui limitent les incertitudes transactionnelles liées à la rareté du produit. 18•Temple, Bertelet 1906 27/10/09 8:15 Page 1906 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU II. – FONCTIONNEMENT DE LA FILIÈRE : LES MODES DE COORDINATION DOMINANTS DES ACTEURS Les grossistes (8,6 % des acteurs) par qui transitent 80 % de la production commercialisée sont au centre du système de pilotage des approvisionnements. Leurs stratégies varient en fonction des périodes (abondance ou pénurie). Stratégies d’approvisionnement et de distribution des grossistes en ignames Les producteurs et les grossistes sont liés par des relations sociales complexes et accords commerciaux multiformes (tableau 2) mobilisant des contrats liés qui préfinancent la production (15,4 %), la vente à crédit (50 %), les quantités à livrer (76,9 %), la qualité 4 à livrer (84,6 %) et les prix de réalisation de la première mise en marché (57,7 %). TABLEAU 2 Typologie des accords entre producteurs et grossistes Types d’accords Préfinancement production Vente à crédit Quantités à livrer Qualités à livrer Prix de vente Effectifs % 8 26 40 44 30 15,4 50,0 76,9 84,6 57,7 Sources : PNDRT/IITA 2007 Ces contrats sécurisent les approvisionnements en diminuant les coûts de transaction dans la collecte des produits en période de pénurie. Ils assurent aux producteurs les débouchés dans une période où l’accès aux marchés physiques est plus difficile du fait de la saison des pluies qui culmine en juillet-août 5. Si les prix sont connus à l’avance par les producteurs, ils sont très inférieurs à ceux observés sur les marchés physiques. Le différentiel de prix moyen aux producteurs entre les transactions faisant intervenir des engagements contractuels (184 FCFA/kg) et les transactions sur les marchés physiques 4 Aspect physique du produit : tubercules sans blessure, facile à transporter et limitant les pertes lors du trajet. 5 De juin à fin août, les fortes pluies dégradent les pistes secondaires. 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1907 FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 1907 (258 FCFA/kg) atteint 40 %. Les grossistes, pour ces contrats, font souvent appel aux collecteurs compte tenu du caractère atomisé de la production d’ignames. Ils passent une commande à un négociant qui se charge de collecter et livrer le produit. Dans ces réseaux marchands, les relations personnelles et les obligations qui en découlent sont essentielles pour fidéliser les fournisseurs. Elles sont une barrière à l’entrée pour de nouveaux grossistes. Ces réseaux jouent aussi le rôle de systèmes d’information informels [Galtier et al. (2003)] qui fournissent une information sur mesure (précise, complète et en temps réel). Lorsque les détaillants ont suffisamment de capital et un espace de stockage, ils s’approvisionnent directement sur les marchés physiques (Penda Mboko) en période d’abondance. Majoritairement des femmes (84 %), faiblement dotées en capital nécessaire à l’acquisition des stocks et ne disposant pas d’emplacements de vente pour 80 % d’entre elles, ces détaillants peuvent bénéficier de la mise à disposition par les grossistes d’un espace et d’un stock de produits à un prix fixé à l’avance et qui sera payé une fois le produit vendu. Le détaillant qui reçoit « espace » et « produit » à crédit peut difficilement négocier les prix et diversifier ces sources d’approvisionnement. Ces marges sont en général réduites [Moustier (1998)]. Les grossistes, de par leurs stratégies, pilotent le système amont et aval de l’approvisionnement urbain à travers leurs emprises aussi bien sur les producteurs (achat à prix faible, fixé à l’avance, surtout en période d’abondance) que sur les détaillants (vente à prix élevé). Coûts et marges de commercialisation, un indicateur du fonctionnement des filières ? Une hypothèse retenue sur le faible ajustement des systèmes productifs aux sollicitations des marchés porte sur le fonctionnement du système de commercialisation qui génère des instabilités de prix. Ayant constaté une instabilité des prix plus forte en période de pénurie, nous avons analysé la structure des coûts de commercialisation puis comparé l’évolution des marges de commercialisation entre les périodes d’abondance et de pénurie sur deux années. L’évolution structurelle des coûts de commercialisation L’insuffisance des moyens de transport, la qualité des routes, la pression fiscale, les prix de l’essence en augmentation constante au Cameroun, les vignettes automobiles, les tracasseries policières 18•Temple, Bertelet 1908 27/10/09 8:15 Page 1908 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU conduisent à une augmentation continue des coûts de transport dans le commerce des vivriers [Dury et al. (2004)]. Nous vérifions cette observation sur l’igname, pendant la période étudiée (tableau 3). Les coûts de transport avec 43 % des coûts de commercialisation sont les plus importants, on note ensuite l’importance de l’augmentation des coûts induits par les taxes qui sont passés de 3 % du prix à 16 % en deux ans. Enfin le poste stockage et perte souligne les difficultés logistiques de la filière susceptible d’améliorations technologiques. TABLEAU 3 Structure et évolution des coûts de commercialisation par kg Dépenses Transport Ticket quai Manutention Stockage Nettoyage Taxes Pertes Total 2003 Montants (en FCFA) % 2005 Montants (en FCFA) % 18,4 4 3,4 12,3 0,3 1,8 9,1 49,3 37,3 8,1 6,9 25,0 0,6 3,7 18,5 100,0 23,3 2,14 2,14 8,57 0,29 8,57 8,13 53,14 44,0 4,0 4,0 16,0 1,0 16,0 15,0 100,0 Source : Données de base PNDRT 2005, antenne de Douala, calculs auteurs. Les pertes (qui pèsent sur les coûts de transport) varient entre 13 et 50 % selon les transactions (en fonction de la durée de conservation) du fait de l’état des routes et d’une logistique de stockage inexistante. La conservation de l’igname à même le sol expose le produit aux rongeurs et aux maladies. Elle est peu adaptée à la forte teneur en eau du produit. L’augmentation des coûts de commercialisation 6 explique pour partie une mauvaise répercussion des incitations de la demande urbaine dans les zones de production ; explique t-elle l’augmentation du différentiel des prix payés par le consommateur, avec ceux perçus par les producteurs ? Comparaison des marges commerciales entre les périodes de pénurie et d’abondance En calculant une moyenne entre les années 2003 et 2004, nous comparons entre la période de pénurie et la période d’abondance comment 6 Or l’accroissement des volumes commercialisés vers les villes est susceptible de permettre des économies d’échelle logistiques et diminuer les coûts de transport. 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1909 FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 1909 évoluent les marges commerciales et, par hypothèse, la répercussion des incitations de prix aux producteurs. L’analyse a porté sur les marges brutes sur la période considérée 7. Elle montre que la raréfaction saisonnière de la production se traduit par une augmentation du prix aux consommateurs (marché central de Douala) plus que proportionnelle aux producteurs (marché de Mbongue) du fait de l’accroissement important des marges de commercialisation (tableau 4). Nous avons vu qu’elle correspond à une augmentation de l’instabilité du marché en période de pénurie. TABLEAU 4 Structure des marges de commercialisation de l’igname par période à Douala Moyenne 2003-2005 Abondance Pénurie Différence Novembre-février Mars-octobre Cfa/kg Prix producteur Coûts de commercialisation Prix consommateur Marge commerciale Taux de marge 201 51 351 150 0,75 257 53 444 188 0,73 55 2 93 38 Sources : Auteurs à partir des données PNDRT Littoral (2005) Les goulets d’étranglement 8 de la filière Dans un contexte d’instabilité des prix, les producteurs d’ignames maintiennent leurs itinéraires techniques extensifs fondés sur la mise en valeur continue de nouvelles terres. Cette stratégie atteint cependant ses limites. Dans le Sud-Ouest et le littoral, qui approvisionnent majoritairement les villes de Douala, Buéa, Kumba, l’agriculture industrielle (banane, hévéa, palmier) et la pression démographique créent une concurrence de plus en plus forte sur les terres fertiles. Les producteurs d’ignames dans le Sud-Ouest, majoritairement allochtones (originaires des provinces du Nord-Ouest, Ouest et Nigeria) ont un 7 Un calcul en terme de « marge nette » prenant en compte les coûts fixes aurait impliqué de disposer des volumes annuels de transaction pour chaque type d’acteur, information non produite par l’enquête. 8 Un « goulet d’étranglement » localise un lieu organisationnel dans la filière où apparaît une pénurie (saisonnière ou structurelle) de la production qui oriente la recherche des facteurs limitants. 18•Temple, Bertelet 1910 27/10/09 8:15 Page 1910 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU accès difficile aux terres et se contentent de produire l’igname, à titre temporaire parfois, sur des anciennes bananeraies dont ils ne sont pas propriétaires 9. Suite au conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigeria, beaucoup de nigérians producteurs se sont vus déposséder des terres à cultiver. Enfin, beaucoup de travaux agronomiques soulignent le facteur limitant que pose l’accès à des semences saines. CONCLUSION Le fonctionnement de la filière igname se caractérise par l’augmentation des coûts de transport et un accroissement des marges de commercialisation en période de pénurie saisonnière. Plusieurs explications ont été identifiées, comme : l’atomisation spatiale et micro-économique de la production, la difficulté des marchés physiques à jouer leur rôle structurant d’organisation des transactions en période de pénurie, la structure oligopolistique qui caractérise la première mise en marché, l’augmentation de la taxation sur le transport des vivriers. Il s’ensuit des prix aux producteurs qui augmentent peu et une opacité en fonction des différentes formes de transaction. On note également une forte instabilité des prix au consommateur et une augmentation saisonnière importante qui pénalise la compétitivité de cette filière par rapport à des productions alimentaires importées (blé, riz). L’intensité de la demande étant peu perçue par les producteurs, ils sont peu incités à innover dans l’intensification de leurs systèmes de production qui induit une dépendance au marché. Or cette intensification (susceptible de diminuer les contraintes phytosanitaires) pourrait contribuer à une meilleure régularité de la production et à une diminution de l’instabilité des prix. Les systèmes productifs sur l’igname maintiennent un caractère extensif de la production et répondent difficilement à l’explosion de la demande urbaine régionale au Cameroun. Des innovations organisationnelles et techniques dans la commercialisation permettant de diminuer les coûts et les marges de commercialisation sont susceptibles d’accroître la rémunération des producteurs et d’accélérer l’innovation. Leur mise en place suppose de mieux expliciter les conditions dans lesquelles ces organisations sont susceptibles de réaliser des économies d’échelle dans un contexte d’atomisation forte de la production. Ce diagnostic devrait mieux hiérarchiser les 9 Des interrogations pèsent sur la pollution possible par la chloredecone des terres anciennement cultivées par la banane dans la province du Littoral qui concourt à près de 80 % à l’approvisionnement en ignames de Douala. 18•Temple, Bertelet 27/10/09 8:15 Page 1911 FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA 1911 autres déterminants des changements technologiques : accès à la terre, au travail, aux semences et aux connaissances pour la réalisation d’une intensification écologique. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BOUSSARD J.M., GÉRARD F., PIKETTY M.G., AYOUZ M., VOITURIEZ T. [2006], « Endogenous risk and long run effects of liberalization in a global analysis framework », Economic modelling, n° 3, vol. 23, p. 457-475. BRICAS N., NJOUENKEU R., KAMENI A., CERDAN C. [2003], « Manger l’igname autrement », in Savanes africaines : des espaces en mutation, des acteurs face à de nouveaux défis. Actes de colloque, Garoua, Cameroun. COUR J.M. [2004], « Peuplement, urbanisation et transformation de l’agriculture : un cadre d’analyse démo-économique et spatial », Cahiers Agricultures, vol. 13. n° 1, p. 158-165. DURY S., MEDOU J.C., FOUDJEM TITA D., NOLTE C. [2004], « Limites du système local d’approvisionnement alimentaire urbain en Afrique subsaharienne : le cas des féculents au Sud-Cameroun », Cahiers Agricultures, vol. 13, n° 1, p. 116-124. DUMONT R., HANON P., SEIGNOBOS C. [1994], Les ignames au Cameroun, Cirad-Ca Montpellier (Repères). GALTIER F., EGG J. [2003], Le paradoxe des systèmes d’information des marchés : une clef de lecture issue de l’économie institutionnelle et de la théorie de la communication, Working Paper UMR Moisa, n° 2. GERONIMI V., MATHIEU L., TARANCO A. [2007], « Les cours internationaux des produits agricoles : tendances et cycles », in La régulation des marchés agricoles internationaux / Boussard J.M., Delorme H., L’Harmattan, p. 44. HATCHEU E.T. [2003], L’approvisionnement et la distribution alimentaire à Douala (Cameroun) : logiques sociales et pratiques spatiales des acteurs, Thèse, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne. IITA [2005], Participatory Evaluation, Multiplication and Distribution of Improved varieties of Dioscorea Rotundata and D. Cayenensis in Cameroon, Rapport IITA, Cameroon. LAURET F., PEREZ R. [1992], « Méso analyse et économie agro-alimentaire », Économies et Sociétés, A.G. n° 21, p. 99-118. MINADER [2005], Document de Synthèse de l’étude de Base sur les Racines et Tubercules, Ministère de l’Agriculture, Programme National de Développement des Racines et Tubercules, Yaoundé (Cameroun). MOUSTIER P. [1998], « Offre vivrière et organisation des échanges : problématique générale », in Contrats et concertation entre acteurs des filières vivrières, Inter-Réseaux, Paris, p. 9-17. NKENDAH R., BEATRIC C., NZOUESSIM B.C., TEMPLE L. [2007], « Economic analysis of the spatial integration of plantain markets in Cameroon », African Journal of Economic Policy, n° 1, vol. 14, p. 57-83. 18•Temple, Bertelet 1912 27/10/09 8:15 Page 1912 L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU NGEVE J.M. [1998], « L’igname au Cameroun : contraintes de production, acquis de la recherche et perspectives pour l’avenir », in L’igname plante séculaire et culture d’avenir, Actes de séminaire international, Cirad, Montpellier. NYEMECK B.J., NKAMLEU G.B. [2006], « Potentiel de productivité et efficacité technique du secteur agricole en Afrique », Canadian Journal of Agricultural Economics, n° 3, vol. 54, p. 361-377. SORO D., DAO DAOUDA, CARSKY R., ASIEDU R., ASSA A. [2003], « Amélioration de la production de l’igname à travers la fertilisation minérale », in Savanes africaines, Actes de colloque, Université Ngaoundéré, Garoua, p. 7. TEMPLE L., DURY S. [2003], « Instabilité du prix des vivriers et sécurité alimentaire urbaine au Cameroun », Série Urbanisation, alimentation et filières vivrières, n° 6, Cirad, Montpellier, p. 21. TEMPLE L., CHATAIGNER J., KAMAJOU F. [1996], « Le marché du plantain au Cameroun, des dynamiques de l’offre du fonctionnement du système de commercialisation », Fruits, vol. 51. WORLD BANK [2007], L’agriculture au service du développement, Rapport sur le développement dans le monde, Banque Mondiale, Washington. 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1913 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1913-1922 Dynamique des filières cotonnières en Afrique Philippe Hugon, Université Paris X Nanterre La valeur heuristique de la filière ou de la méso-économie est controversée. La méthode proposée suppose de partir d’un découpage analytique pour comprendre les interdépendances systémiques. Cet article illustre cette problématique en prenant le cas des filières coton en Afrique. La démarche inductive décrit les dynamiques des filières coton en Afrique francophone (I) avant de les mettre à l’épreuve de plusieurs argumentaires permettant de comprendre les dynamiques des méso-systèmes (II). The heuristic value of commodity chain or meso-economy is debatable. The proposed method implies to depart from an analytical study in order to understand systemic interdependencies. This article illustrates this problem in the context of the cotton commodity chain in Africa. The inductive procedure describes the dynamics of cotton commodity chain in French Speaking Africa (I) before testing these evolutions by a meso-systemic approach (II). 19•Hugon 27/10/09 1914 8:17 Page 1914 P. HUGON La valeur heuristique de la filière ou de la méso-économie est aujourd’hui controversée. Certains considèrent qu’elle renvoie à une simple description de transformation de produits et non à une conceptualisation. D’autres y voient une représentation volontariste faisant abstraction des lois du marché, des interdépendances économiques (à la différence des MEGC) et justifiant des politiques publiques et interventionnistes de développement. Certains considèrent que les approches nord américaines en termes de global chain value ou de global commodity chain sont des substituts ; celles-ci analysent les systèmes industriels dans un contexte de mondialisation en partant des marchés du Nord et en se focalisant sur les questions de délocalisation, de décomposition des processus productifs industriels, de sous traitance dans un contexte global [Gereffi (1995) ; Bair (2005)]. Nous pensons, au contraire, que l’intérêt de l’approche filière est de prendre en compte les interdépendances entre les jeux d’acteurs disposant de pouvoirs asymétriques en référence à des relations intersectorielles hiérarchisées et à des institutions. Nous définissons la filière ou méso-système [Hugon (1989, 1994)] comme « un ensemble structuré de transformation de biens par des opérations d’acteurs, de modes de coordination (par les prix de marché, par les conventions, par les contrats, par les règles et réglementation), de modes de régulation (domestique, marchand, capitaliste, administré). Le déploiement des stratégies des acteurs (firmes, offices publics, paysanneries, pouvoirs publics) chargés des opérations se caractérise par une régulation du fonctionnement de la chaîne ; celle-ci est pilotée par une concertation entre plusieurs acteurs ou l’un d’entre eux ayant une position hégémonique ». Les filières se définissent selon un rapport espace/temps en fonction de leurs échelles (locale, régionale, nationale, internationale), de l’horizon temporel (court, long terme, viager, intergénérationnel) et selon leur mode spécifique de régulation. Notre démarche est inductive en partant des descriptions des dynamiques des filières coton en Afrique francophone (I) avant de les mettre à l’épreuve de plusieurs argumentaires analytiques permettant de comprendre les dynamiques de méso-systèmes (II). I. – LES FILIÈRES COTONNIÈRES AFRICAINES : DE L’INTÉGRATION À LA LIBÉRALISATION ET À DES COORDINATIONS MARCHANDES Le cas du coton en Afrique zone franc (AZF) est révélateur des enjeux économiques et géopolitiques et de la complexité de la filière de « l’or blanc ». 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1915 DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE 1915 I.1. L’organisation de la filière coton intégrée en Afrique zone franc I.1.1. Une réussite économique remarquable contrastant avec la marginalisation de l’Afrique Le coton africain a une importance stratégique pour de nombreuses économies nationales (Burkina Faso, Mali, Tchad) ou régionales (Nord Côte-d’Ivoire ou Nord Cameroun). Destinée principalement à l’exportation et vendue aux négociants et non aux filateurs (90 % de la production est consacrée à l’exportation), la culture de coton assure des revenus monétaires réguliers à la population rurale. La culture du coton, principale source des revenus des paysans en région sahélienne, est également un outil de modernisation, de diversification, de financement des activités sociales et de structuration du monde paysan. Elle assure une sécurité alimentaire et permet de financer les dépenses sociales tout en jouant un effet multiplicateur en milieu rural. La concurrence avec les cultures céréalières (sorgho, par ex.) ne concerne que certains facteurs (eau, terre voire travail). Au niveau macro économique, le coton apporte à l’État des recettes budgétaires et des devises. On peut parler de multifonctionnalité du coton dans les pays sahéliens. I.1.2. Une organisation en filière intégrée et administrée Les partisans de l’intégration de la filière mettent en avant les normes de qualité, la compétitivité et l’efficience du processus de production. D’autres fonctions résultent du prix unique (pan territorialité) jouant un rôle d’aménagement du territoire dans les zones cotonnières, des transactions liées entre l’accès aux intrants et aux pesticides et la vente garantie des produits à des prix déterminés ou de l’encadrement technique et la vulgarisation ont conduit à une grande réussite du coton. Celui-ci apparaît ainsi comme une culture sûre dans un environnement incertain. L’intégration industrielle des filières et la coordination administrative ex ante ont de nombreux avantages (efficacité des opérations, motivation des opérateurs, continuité des flux physiques et financiers, absence de risque pour le paysan et stabilité des prix et des flux d’achat et de vente). Elle permet ainsi la prévisibilité des prix et des flux et réduit le risque ou l’incertitude des producteurs. Elle réduit les coûts de transactions et de gestion. Elle assure un horizon temporel long pour que les agents puissent faire des anticipations raisonnables et avoir l’apprentissage de comportements productifs. La justification de la coordination administrative ou centralisée renvoie également aux défaillances du marché justifiant les produc- 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1916 1916 P. HUGON tions publiques (externalité) mais également à son incomplétude pour réaliser une allocation des ressources et une innovation technologique. L’organisation de la filière a ainsi conduit, notamment en Afrique francophone, à une internalisation par rapport au marché. Les sociétés d’intervention, avec l’appui des bailleurs de fonds, jouaient également un rôle central. Les filières coton ont historiquement fait l’objet de coordination centralisée sous le contrôle de la société d’État nationale et de la CFDT. Ce mode de coordination correspondait à un compromis institutionnel entre les producteurs disposant de revenus garantis et stabilisés, l’État bénéficiaire des recettes fiscales et des devises, les différents acteurs de la filière et la compagnie cotonnière ayant une position dominante de monopole. Ce système était en phase avec l’incomplétude des marchés et l’univers incertain. En revanche, il était protégé de la concurrence de nouveaux entrants et relativement déconnecté des prix mondiaux, d’où des déficits périodiques comblés par l’aide publique française. Ces filières ont également connu, régulièrement, d’importants dysfonctionnements sur le plan financier conduisant les bailleurs de fonds à des opérations régulières de sauvetage. La chute en longue période et la volatilité des cours ainsi que les dysfonctionnements internes de la filière coton, liés notamment aux coûts de fonctionnements et d’intermédiation mais aussi aux détournements des fonds de stabilisation, ont conduit à une crise financière obligeant à réformer les filières en les libéralisant, en les privatisant et en autonomisant leurs différents segments. I.2. Les enjeux de la libéralisation et de la privatisation De nombreuses réformes institutionnelles ont cherché à ouvrir le secteur à la concurrence internationale, à privilégier l’objectif de compétitivité, à accepter les signaux des prix du marché mondial, à privatiser et à décomposer les segments des filières. Les compromis institutionnels ont fait place à des arrangements contractuels conduisant à une situation de forte instabilité en liaison avec l’instabilité des marchés mondiaux. Les filières intégrées ont présenté des inconvénients tels que la confusion des fonctions de services publics (vulgarisation et formation) et des fonctions économiques, la rigidité liée à l’intervention de l’État ou la position dominante de la CFDT. Les différents acteurs de la filière, et notamment les organisations paysannes, ont peu voix au chapitre et l’organisation demeure hiérarchique. L’intégration, s’ajou- 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1917 DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE 1917 tant à l’absence d’alternative en zone cotonnière, réduit la flexibilité rendue nécessaire par l’environnement international. Dans la pratique, les fonds de stabilisation, au lieu de lisser les conjonctures, ont souvent servi à alimenter les caisses de l’État ou de certains intérêts. Les barèmes retenus ne reflétaient pas les coûts que qui tendaient à croître. Les liens politiques entre les sociétés cotonnières et les responsables politiques africains voire entre l’ex-CFDT, les sociétés cotonnières et les intérêts politiques français se sont ajoutés, selon des degrés divers, à la faiblesse de la transparence. « L’or blanc » constitue souvent une caisse noire à la discrétion des autorités politiques. Les modalités de la privatisation ont été multiples [Folk (2009)]. Des monopoles locaux ont été mis en œuvre au Burkina Faso ou en Côte-d’Ivoire alors que les sociétés d’égrenage étaient privatisées au Bénin ou au Togo. Les contextes internationaux de prix dépressifs en $ ou nationaux de faibles organisations paysannes ont joué. Dans l’ensemble, on note une baisse des rendements et des rentabilités. La privatisation a plutôt été une réussite au Burkina Faso (cession de parts aux producteurs, prix garantis liés aux prix mondiaux). Elle a peu réussi au Bénin ou en Côte-d’Ivoire. Elle suppose, en 2009, au Mali qui a retardé sa privatisation, une mise à niveau et un système limitant les risques de marginalisation des zones les moins rentables ou les déstructurations de filière. I.3. Les débats et limites de la privatisation Ces argumentaires théoriques, doctrinaux et politiques ont fait l’objet de débats et de contre-propositions de réformes de la part des pouvoirs publics africains et de la coopération française (MAE et AFD). Un débat interne à la Banque mondiale a également eu lieu [Lele (1988) ; Goreux et Macrae (2003)]. La privatisation connaît de grandes difficultés dans le cas d’États fragiles ou faillis (exemple du nord de la Côte-d’Ivoire) ou de conjoncture défavorable. Les difficultés de la société Dagris, prise dans les ciseaux des bas prix du marché et du niveau de l’euro ont conduit à son rachat par le consortium Advens et CMA/CMG. En 2008, le revenu brut annuel de la filière est passé en Afrique francophone de 790 millions à 505 millions de $. La valeur du passif est supérieure à celle des actifs, mais les repreneurs, anticipant une hausse des cours du coton, vont rationaliser la filière et lier le coton avec les huiles et les tourteaux. Cette disparition d’un fleuron de l’empire colonial conduit vraisemblablement à démanteler la filière cotonnière africaine et à insérer davantage certains segments rentables 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1918 1918 P. HUGON dans un contexte mondial. CMA/CGM, troisième armateur mondial, achemine la moitié du coton africain vers la Chine. Des compromis de langage politiquement correct ont favorisé le dialogue ; la stabilisation est devenue auto-assurance et les filières ont été dénommées chaînes de valeur ou coordination verticale. Ces contre-propositions visent à limiter la généralisation de ces mesures libérales tout en sachant la force de bulldozer de la Banque mondiale pour, in fine, faire aboutir son projet. Il importe, au-delà de ce constat empirique, de décomposer les divers arguments théoriques concernant la « filière » et de raisonner au plus près des questions [Daviron (2000)] en différenciant les questions d’asymétrie d’information, d’incomplétude des marchés, de pluralité des modes de coordination, de concurrence imparfaite et de spécificité des contextes africains. II. – LES FILIÈRES AU REGARD DES DIFFÉRENTS ARGUMENTAIRES THÉORIQUES L’analyse de la dynamique des filières ou méso-systèmes suppose de combiner trois approches : – l’approche micro qui part des acteurs, de leurs rationalités situées et de leurs stratégies, – l’approche économie politique internationale qui étudie l’impact de la concurrence déloyale et imparfaite – et l’approche méso-économique en termes de chaînes de valeur, de compromis institutionnels et de rapports de pouvoir entre acteurs publics et privés. II.1. La micro économie du développement Il s’agit de repérer à la fois la pluralité des acteurs intervenant au sein de la filière (des producteurs directs aux exportateurs en passant par les collecteurs, les distributeurs, les transporteurs, les industriels) et le fait que ces acteurs ont des actions non réductibles à la filière. Ainsi les paysans, producteurs de coton dans le cadre d’une agriculture familiale, pratiquent-ils des pluriactivités. Il s’agit de définir la pluralité des mobiles objectifs de ces acteurs : maximisation des profits, minimisation des risques, sécurité alimentaire ou de solidarité. Les acteurs qui interviennent au sein des filières sont pluriels et non réduc- 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1919 DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE 1919 tibles aux paysanneries. Ils connaissent des situations asymétriques, de pouvoir, d’information et visent des objectifs pluriels. De très nombreux tests empiriques relativisent les réactions « normales » de l’offre des producteurs face aux prix. En cas d’aversion au risque, le coût marginal diffère de l’espérance mathématique de l’utilité ; il est égal à l’équivalent certain du prix aléatoire. À défaut de marché d’assurance ou du risque, les producteurs ayant une aversion au risque « diversifient leurs portefeuilles » (polyactivité, diversification des spéculations agricoles ou des parcelles) ; ils optent pour l’extensivité des cultures ayant souvent des effets destructeurs sur l’environnement ou bien ajustent le travail, sa rémunération et les surfaces cultivées aux aléas extérieurs. Les élasticités prix à court terme sont asymétriques à la hausse des prix (effets rente) et à la baisse des prix (effets revenus) avec des possibilités de forte baisse en-deçà de seuils (cf. la grève des cotonculteurs maliens en 2000-2001 ou la chute de la production en 2008-2009). Mettre en place des systèmes d’assurances n’est possible que si l’environnement est risqué et non incertain. Dans un univers d’incertitude radicale, les producteurs font un arbitrage entre liquidité et incertitude et non entre rentabilité et risque. Ils préfèrent le court terme avec une forte valeur d’option, c’est-à-dire un prix accordé à la réversibilité d’une décision. Ils ont une forte préférence pour la liquidité et préfèrent des actifs monétaires ou financiers aux actifs physiques leur donnant un éventail de choix. Les modes de coordination et les choix organisationnels : Les filières peuvent être traitées en termes d’efficience, de capacité à réduire les coûts de transaction (coûts d’identification des partenaires, de négociation et de contrôle) ou de règles du jeu. Les arrangements institutionnels ou contractuels ont un fondement microéconomique dans le sens où l’on peut expliquer des choix organisationnels. La société cotonnière lie le préfinancement, l’accès aux intrants, les débouchés assurés, l’information et la création des savoirs. Le producteur à domicile reçoit les intrants, et la vente du produit est assurée. Le différentiel entre les prix du coton graine et celui des intrants inclut le coût du crédit. Les relations contractuelles de quasi-intégration entre producteurs, commerçants et industriels sont d’autant plus justifiées que les produits sont périssables ou ont un coût de stockage élevé, que la valeur par unité de poids et de volume est importante, que la culture est annuelle, que le produit est transformé et que l’industriel a un coût fixe et a un besoin de réguler les approvisionnements, que le label de qualité est déterminant dans la compétitivité [Goldsmith (1985)]. 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1920 1920 P. HUGON II.2. L’économie politique internationale et la concurrence imparfaite voire déloyale en aval de la filière À l’autre bout de la chaîne ou de la filière en aval dominent des logiques liées à la mondialisation des produits, à la compétitivité (prix, qualité), aux enjeux des subventions et des politiques publiques et aux politiques de change et aux pouvoirs de marché des opérateurs. L’environnement international est éloigné d’un marché de concurrence pure et parfaite. Les marchés internationaux du coton sont, ainsi, surréactifs du fait des fluctuations des surplus exportés, des importations de la part des grands pays consommateurs comme la Chine, des stockages spéculatifs et des placements des fonds de pension privés ou publics des pays émergents. La référence aux signaux des marchés mondiaux ne conduit à une allocation optimale des ressources que si ces prix expriment les raretés et ne sont pas manipulés. Les prix mondiaux ne peuvent être considérés comme des prix équilibrant à long terme l’offre et la demande et donnant ainsi aux producteurs des signaux d’une bonne spécialisation. Ces argumentaires sont complétés par des analyses d’économie politique prenant en compte les rapports de force entre les pouvoirs privés et publics au niveau international. L’univers cotonnier révèle les asymétries internationales. Le million de cotonculteurs sahéliens cultivant entre 2 et 3 ha et payés moins de 1$ par jour affronte la concurrence des 25 000 cotonculteurs américains (dont 8 000 touchent 90 % des 4 milliards de $ de subventions) disposant de 1 000 ha mais produisant à des coûts supérieurs de 50 %. II.3. Vers une méso-dynamique La prise en compte des interdépendances entre acteurs et institutions à propos d’activités productives est le nœud permettant de relier les approches microéconomiques et macrointernationales. Les institutions ne se réduisent pas à des règles du jeu, à des modes de coordination réductrices de coûts de transaction ou réductrices d’incertitude. Elles expriment des rapports de pouvoirs et des compromis socio-politiques. L’approche méso-dynamique veut intégrer les contraintes techniques de l’analyse en termes de filières, les stratégies des acteurs et les différents modes de coordination de l’économie des organisations et les liens entre les régimes d’accumulation et les configurations institutionnelles de la théorie de la régulation [De Bandt, Hugon (1988)]. Les filières regroupent des agents partageant des objectifs communs liés par un ensemble de règles hiérarchiques. La permanence des relations permet des dispositifs cognitifs collectifs. Les opérateurs déter- 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1921 DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE 1921 minent des règles et des contrats, notamment en ce qui concerne le partage de la valeur ajoutée au sein de la filière. Certains opérateurs jouent un rôle de leader. Les principales questions sont : les dynamiques viennent-elles de l’amont ou de l’aval de la filière ? Quels sont les goulets d’étranglement ? Quels sont les nœuds stratégiques et les lieux de valorisation ? Plusieurs éléments permettent ainsi de caractériser les filières: – les diverses technologies utilisées : traditionnelles, non artificialisées, artisanales, industrielles, – les espaces de référence : géographiques et socio-politiques (local, sous-régional, national, régional, mondial), – les modes de coordination : prix de marché libre ou garanti, franchise, contrats, hiérarchie, intégration, – les logiques des acteurs : comportements sécuritaires, spéculatifs, de rentabilité, – les régimes de concurrence : monopolistique, oligopolistique, – les droits de propriété : privée, publique, mixte avec participation au capital d’acteurs pluriels, – les modes de gouvernance selon les rapports de pouvoir entre les acteurs : marché modulaire (spécifications pour certains clients), relationnel (dépendance mutuelle), captif (relations asymétriques entre acteurs dominants et dominés), hiérarchique (intégration verticale) [Gereffi (2003)]. CONCLUSION Cet article a visé à ouvrir des pistes en mettant les dynamiques des filières coton au regard d’une pluralité d’éclairages. Il n’est pas évidemment sans poser des problèmes méthodologiques dès lors que les cadres théoriques mobilisés ne sont pas fondés sur les mêmes corpus d’hypothèses. Le défi analytique est de comprendre quelles sont les stratégies d’acteurs disposant de pouvoirs asymétriques et se situant à des échelles plurielles à propos d’interdépendances sectorielles hiérarchisées. Les dynamiques repérables à des niveaux méso sont caractérisées par des déplacements des nœuds stratégiques, des changements de localisation des segments de filière, un poids croissant du pilotage de l’amont par l’aval et un rôle croissant des signaux du marché mondial. Mais, en même temps, de nouveaux compromis institutionnels se nouent à des échelles régionales et nationales. 19•Hugon 27/10/09 8:17 Page 1922 1922 P. HUGON RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BAIR J. [2005], « Global capitalism and Commodity chains: looking back, going forward », Competition and Change, vol. 9, n° 2, june, p. 153-180. DE BANDT J., HUGON Ph. (eds) [I988], Les Tiers Nations en mal d’industrie, Economica- Cernea, Paris, 335 p. DAVIRON B. [2000], Dispositif de suivi des filières cotonnières en Afrique subsaharienne : proposition de cadre méthodologique, CIRAD, Montpellier, 13 p. FOK M. [2009], « Crisis in cotton of Francophone Africa: fatality or challenge for multidimension cooperation », in Trade Governance and economic Institutions: news Challenges in the 21st Century / M.N.G. Mavrotas (ed.), Palgrave Macmillan, London. GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The Governance of Global Value Chains », Review of International Political Economy, 1466-4526, vol. 12, n° 1, p. 78-104. GOLDSMITH A. [1985], « The private sector and rural development: can agribusiness help the small farmer? », World Development, vol. 13, n° 10-11, p. 1125-1138. GOREUX L., MACRAE J. [2003], Réformes des filières cotonnières en Afrique subsaharienne, Rapport Banque Mondiale, MAE, Paris, 71 p. HUGON Ph. [1994], « Filières agricoles et politiques macro-économiques en Afrique subsaharienne », in Économie des politiques agricoles dans les pays en développement. Tome 2 : Les aspects macro économiques / BenoitCattin M., Griffon M., Guillaumont P. (eds), Revue française d’économie, Paris. HUGON Ph. [2005], « Les filières cotonnières africaines au regard des enjeux nationaux et internationaux», Notes et études économiques, n° 23, sept., p. 87-112. LELE U. [1988], « Le coton en Afrique : une analyse des écarts de performance », Madia Discussion Paper, 7, Banque Mondiale, Washington DC. SHAFFER J.D. [1973], « On The Concept of Subsector Studies », American Journal of Agricultural Economics, vol. 55, n° 2, p. 333-335. 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1923 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1923-1934 Théorie de la régulation et transformations agroalimentaires actuelles Perspectives ouvertes par l’ouvrage de Catherine Laurent et Christian du Tertre « Secteurs et territoires dans les régulations émergentes » Jean-Marc Touzard, INRA, UMR 951 Innovation L’article fait le point sur les contributions possibles des travaux régulationnistes à l’analyse des dynamiques agroalimentaires actuelles, en s’appuyant sur la présentation d’un ouvrage édité par Catherine Laurent et Christian du Tertre. Les débats politiques sur l’agriculture et l’alimentation, tout comme la coexistence de différents modèles, offrent un cadre favorable pour redéfinir l’agenda de recherche régulationniste, en lien avec les travaux de prospective et le renouvellement de l’analyse des filières ou des systèmes agroalimentaires localisés. This article sets out “ regulation school ” contributions to the analysis of agrifood industry, discussing a book edited by Catherine Laurent and Christian du tertre. Current political debate on agriculture and food calls for a renewed regulationnist research agenda on institutions that regulate agricultural and agrifood systems, taking into account the evolution of territorial conditions of these activities. Such an agenda may also contribute to agrifood “ foresight study ” and to analysis of food chains or local agrifood systems. 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1924 1924 J.-M. TOUZARD INTRODUCTION Reconnus pour leurs contributions à l’analyse des régulations et crises du capitalisme, les travaux se référant à la théorie de la régulation (TR) ont connu en 2008 un regain d’intérêt indéniable, portés par une crise financière mondiale pour partie anticipée par les économistes issus de ce courant [Sapir (2008)]. Mais au-delà des transformations du capitalisme et de la crise de son modèle néolibéral, le programme régulationniste étudie aussi depuis la fin des années 1980 les dynamiques institutionnelles et économiques de systèmes infranationaux, secteurs et systèmes productifs régionaux pour l’essentiel [Boyer, Saillard (1995)]. L’agriculture et l’agroalimentaire ont constitué un domaine privilégié pour développer ces approches [Bartoli, Boulet (1989) ; Allaire, Boyer (1995)]. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les difficultés à dépasser une analyse sectorielle ex post ou l’atténuation apparente des spécificités des institutions agricoles ont-elles eu raison de l’engouement régulationniste pour ce secteur ? Au contraire, la prégnance de débats politiques questionnant la place de l’agriculture et des aliments dans la société, tout comme l’éclatement récent de « crises alimentaires » ne justifieraient-ils pas un réinvestissement de TR sur ce secteur ? La publication en 2008 d’un ouvrage de synthèse sur les régulations sectorielles et territoriales, coordonné par Catherine Laurent (Inra) et Christian du Tertre (Université Paris VII) est l’occasion de faire le point sur l’évolution des approches régulationnistes mésoéconomiques et de discuter de leur développement possible à l’échelle des filières et territoires agroalimentaires. I. – ÉTUDIER LES DYNAMIQUES SECTORIELLES ET TERRITORIALES POUR COMPRENDRE LES RÉGULATIONS ÉMERGENTES Cet ouvrage réunit douze contributions de participants au séminaire « Régulation-Secteur-Territoire » (RST), lié à l’association « Recherche et Régulation » 1 qui assure depuis une dizaine d’années la confrontation de travaux mobilisant TR à des échelles sectorielles et/ou territoriales. En partant d’études menées sur des terrains aussi différents que les services aux personnes, l’aéronautique, l’agriculture, l’éducation ou les nouvelles technologies, les contributeurs partagent donc les mêmes références théoriques et méthodologiques chères aux 1 Voir pages web de la « Revue de la Régulation » : http://regulation.revues.org/ 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1925 RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES 1925 régulationnistes. L’attention est ainsi systématiquement accordée aux temps longs, aux mouvements économiques et aux changements structurels et institutionnels qui marquent un secteur, en questionnant ses rapports à la fois aux transformations globales de la société et aux dynamiques territoriales. L’affaiblissement des régulations sectorielles issues de la période du fordisme et les modifications des frontières des secteurs sont signalés par tous mais les évolutions actuelles apparaissent aussi différentes d’une situation à l’autre : renforcement de régulations marchandes influencées par les stratégies des grandes firmes (énergie, communication) ; affirmation d’une gouvernance territoriale plutôt privée (cas de l’aéronautique à Toulouse) ou plutôt publique (services aux personnes, éducation) ; combinaison plus équilibrée entre gouvernance sectorielle et territoriale (agriculture), etc. L’enjeu est aussi de dépasser une analyse ex post pour s’interroger sur les formes émergentes de régulation qui peuvent se construire à travers de nouvelles articulations entre secteurs et territoires. La thèse que soustend l’ouvrage est que les changements économiques actuels sont certes influencés par la globalisation et l’évolution des formes institutionnelles nationales et internationales (en premier lieu la libéralisation financière et les négociations internationales sur les formes de concurrence), mais qu’ils se jouent aussi à travers une variété de nouveaux conflits, compromis, arrangements locaux ou sectoriels. On poursuit donc l’idée que les régulations sectorielles et territoriales peuvent à la fois exprimer les contraintes et opportunités du modèle de développement national et affirmer des spécificités structurelles [Boyer, Saillard (1995)]. Dans l’ouvrage, ces recompositions sectorielles et territoriales sont abordées à partir de l’analyse des principaux changements institutionnels : – En premier lieu, l’évolution des conditions du travail, de l’activité et de l’emploi est discutée par Catherine Laurent et Marie-Françoise Mouriaux, en proposant la notion de « rapport social d’activité » pour dépasser celle de « rapport salarial » très liée à la période fordiste. La construction de ce rapport conserve bien une variété selon les secteurs, mais il intègre globalement une plus grande diversification et mobilité des activités, une individualisation des compétences et une territorialisation de ses formes d’accompagnement (rôle des collectivités locales). C’est ce que confirment Jacques Perrat et Patrick Dieuaide en analysant l’évolution des dispositifs sectoriels et territoriaux chargés de la gestion de l’emploi, puis Thomas Lamarche en suivant l’évolution du 20•Touzard 27/10/09 1926 8:18 Page 1926 J.-M. TOUZARD système éducatif confronté à une triple logique de professionnalisation, de territorialisation et d’internationalisation. – Au-delà de la construction de nouveaux modèles d’emploi et des institutions qui les orientent, ce sont les investissements immatériels (R&D, formation, communication, évaluation, outils de gestion) qui sont au cœur des transformations productives actuelles. Christian du Tertre analyse ainsi les processus de construction de « patrimoines immatériels collectifs » qui supposent coopération et légitimation et peuvent relever de différentes articulations entre gouvernance territoriale et sectorielle, à l’image des clusters pour des PME et TPE. – Autre angle d’entrée, les nouvelles formes de l’action publique dans les secteurs sont étudiées à partir de l’exemple agricole (Marielle Berriet-Solliec, Christophe Déprés et Aurélie Trouvé), puis du développement aéronautique sur Toulouse (Yves Dupuis et Jean-Pierre Gilly). Dans ces deux cas, l’évolution de stratégie de l’État (national et européen) est déterminante et le rôle des pouvoirs publics locaux s’affirme. Mais ces derniers restent finalement « contenus » et leurs modes d’intervention diffèrent selon les cas : logique d’adaptation aux ressources locales, de négociation et de compensation des « défaillances de marché » pour l’agriculture ; stratégie d’accompagnement par une politique de soutien à la recherche et à l’innovation dans le cas de l’aéronautique, laissant place à l’affirmation d’une gouvernance industrielle privée. – Présente dans chaque chapitre, la question des formes de territorialisation des activités et entreprises est l’objet de contributions spécifiques, plus théoriques. La confrontation des approches de TR avec les travaux se référant à « l’économie de proximité » permet à Jean-Pierre Gilly et Yannick Lung de revisiter les arguments interactionnistes et institutionnalistes expliquant la diversité des configurations productives territoriales au sein d’une dialectique secteur-territoire. Ancrage territorial et mobilité des activités sont analysés plus spécifiquement par Gabriel Colletis en distinguant les stratégies spécifiques au groupe, à la firme et à l’établissement. Cette question renvoie à celle de la prise en compte par TR des stratégies des firmes dans les secteurs et territoires, ce que Yannick Lung présente en reprenant les articulations possibles entre modèles de firmes et formes du capitalisme. – Enfin la modification des rapports d’échange internationaux bouleverse les régimes d’accumulation nationaux et les frontières et 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1927 RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES 1927 structures des secteurs et territoires. C’est ce que précise Pascal Petit à partir de l’exemple des services d’intermédiations marchandes et des services aux entreprises, liés à la diffusion des NTIC. La tertiarisation des économies ouvre de nouveaux horizons de croissance locale et nationale, mais elle renforce aussi une régulation oligopolistique de firmes multinationales, rejoignant sur ce point les analyses des approches en terme de « Global Value Chain » [Gereffi (2005)]. L’ouvrage montre donc que l’analyse des dynamiques sectorielles et territoriales permet d’éclairer les changements institutionnels et économiques plus globaux, en suivant un questionnement permanent sur les relations entre ces différents espaces. Les recherches présentées restent néanmoins centrées sur la situation française et mériteraient une mise en perspective avec l’évolution des régulations observées dans d’autres pays. Par ailleurs, si les dispositifs institutionnels concernant les conditions du travail, les formes de concurrence ou l’action publique sont largement traités, il aurait été intéressant d’explorer la dimension monétaire ou financière de ces régulations (émergence de formes locales à l’image du micro-crédit ?) et de développer la question de leur insertion internationale. Enfin, on peut aussi regretter l’absence d’une synthèse finale qui aurait repris la diversité des évolutions sectorielles et territoriales, souligné de nouvelles questions et précisé les conditions de poursuite de ce programme de recherche. II. – RÉINVESTIR L’AGROALIMENTAIRE À PARTIR DE LA THÉORIE DE LA RÉGULATION La lecture de l’ouvrage coordonné par Catherine Laurent et Christian du Tertre amène alors à s’interroger sur les apports possibles de TR à l’analyse des transformations actuelles de l’agriculture et l’agroalimentaire. On peut d’ailleurs être surpris par la place assez modeste accordée à ce secteur, alors que le travail animé par Gilles Allaire et Robert Boyer (1995) avait ouvert la voie à une série de recherches approfondissant dans l’agroalimentaire les questions de la qualité [Allaire (2002)], de l’organisation du travail [Laurent, Mouriaux (1999)], de l’évolution des rapports à l’environnement [Lacroix, Mollard (1995)], de l’intégration territoriale [Nieddu, Gaignette (2000) ; Pecqueur (2001)] ou des dynamiques d’innovation [Touzard (2000)]. Des travaux se référant à TR ont aussi étudié les secteurs agroalimentaires de différents pays [Goodman et Watts (1997) ; Lopez, (2006)], 20•Touzard 27/10/09 1928 8:18 Page 1928 J.-M. TOUZARD mais sans déboucher réellement sur une synthèse comparative à l’échelle internationale. Sans chercher ici à expliquer les difficultés à capitaliser et prolonger ces recherches, on conviendra que le contexte actuel plaide pour une relance des travaux régulationnistes sur les systèmes agroalimentaires. En premier lieu, le secteur agroalimentaire s’est retrouvé sur la dernière décennie au cœur de nombreux débats politiques, du local à l’international, témoignant de tensions mettant en jeu des changements institutionnels et économiques importants. Les interrogations sur la place de l’agriculture familiale et des « petits producteurs », sur la légitimité et les formes du soutien public ou sur l’organisation des échanges internationaux sont toujours présentes dans les négociations internationales [Boussard, Delorme (2007)]. Mais elles sont maintenant associées à une médiatisation de controverses sur les biotechnologies (OGM), les contributions positives ou négatives de l’agriculture vis-à-vis de l’environnement ou de la santé humaine, les concurrences entre usages alimentaires et énergétiques, la sécurité ou souveraineté alimentaire et, plus largement, son rôle dans le développement durable [IASSTD (2008)]. Cette mise au jour de confrontations politiques pouvant influencer les dynamiques économiques agricoles fournit un terrain propice pour TR, mais suppose de dépasser la seule référence aux cinq formes institutionnelles canoniques, en spécifiant trois compromis institutionnels : la légitimité et l’usage des technologies, la construction de la qualité des produits alimentaires et le rapport au territoire [Muchnik et al. (2007)]. Ces débats politiques renvoient, de fait, à la coexistence de différents modèles de développement au sein même de la sphère agroalimentaire, au Nord comme au Sud. Qu’ils résultent de la persistance d’une diversité inhérente à l’agriculture ou de l’éclatement du modèle productiviste antérieur, ces modèles se distinguent par des combinaisons spécifiques entre un dispositif institutionnel (organisation du travail, forme de concurrence, rapport à l’État) et une dynamique économique, mais aussi des rapports spécifiques aux technologies, au territoire et à l’aliment : – un modèle salarial et financier « néoproductiviste » associé à un régime économique extensif s’est réaffirmé, notamment en Amérique du Sud autour du soja (OGM), du maïs, du blé, de la canne à sucre et de la poursuite de l’industrialisation alimentaire ; – une trajectoire agroalimentaire patrimoniale construite sur une rente de qualité territoriale (avec indications géographiques) tente 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1929 RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES 1929 de poursuivre sa croissance intensive, notamment dans le cadre des échanges internationaux ; – un modèle d’agriculture biologique (et éthique ?) en forte croissance (plutôt intensive en travail) construit une « rente écologique » et les dispositifs assurant son contrôle et sa légitimité ; – une agriculture de proximité, notamment périurbaine, trouve un écho notable en s’appuyant sur une relation directe producteurconsommateur et une gouvernance locale renforcée ; – un modèle agroalimentaire « familial multifonctionnel marchand », pouvant intégrer des orientations précédentes, combine une diversité d’activités dans le cadre d’une gouvernance sectorielle et territoriale associant soutien public et organisations plus ou moins contrôlées par les agriculteurs ; – enfin une agriculture domestique, peu insérée dans les marchés, subsiste dans de nombreuses régions du monde et semble retrouver de nouvelles perspectives à travers le développement de jardins familiaux et d’agricultures urbaines. La caractérisation plus précise de ces modèles et trajectoires agroalimentaires peut largement s’appuyer sur la méthode de TR [Touzard (2000)]. Leur coexistence dans la plupart des pays interroge en retour les approches sectorielles de la régulation, en posant notamment la question de leur articulation à l’échelle nationale. De fait, c’est la généralisation de cette coexistence qui semble un trait actuel de la mondialisation. Le repérage et l’analyse de ces modèles invite alors à revenir sur la question des spécificités de la sphère agroalimentaire, au regard des évolutions globales du capitalisme et des autres dynamiques sectorielles. Dans le prolongement des interrogations de l’ouvrage de Catherine Laurent et Christian du Tertre, il faut distinguer les évolutions qui expriment une convergence globale et celles qui semblent renouveler les bases de spécificités sectorielles. Les transformations générales du « rapport social d’activité » dans l’agriculture, la médiatisation et « responsabilisation » des filières agroalimentaires, l’effacement des politiques agricoles nationales, la financiarisation des activités sur les principales « commodities » et l’affirmation « compensatrice » de gouvernances territoriales sont des traits généralement partagés avec les autres secteurs. En même temps, les caractéristiques fondamentales de l’activité agricole et agroalimentaire (dépendance aux ressources et risques bioclimatiques, externalités territorialisées, structures productives familiales héritées, périssabilité 20•Touzard 27/10/09 1930 8:18 Page 1930 J.-M. TOUZARD des produits, dimension culturelle ou symbolique des aliments) maintiennent une série de problèmes et d’enjeux spécifiques et incitent à la pérennisation ou l’émergence d’arrangements institutionnels particuliers, par exemple dans la construction des « circuits agroalimentaires alternatifs » ou des négociations sur les « services environnementaux » de l’agriculture [Chiffoleau et al. (2008)]. C’est dans la combinaison de ces caractéristiques structurelles (jamais totalement exclusives au secteur) que se renouvelle une spécificité agroalimentaire, plus ou moins affirmée selon les modèles considérés. Par ailleurs, le développement en 2007 et 2008 de « crises alimentaires » (hausse des cours mondiaux, révoltes urbaines) et les perspectives de leur récurrence constituent en tant que tel un domaine de recherche privilégié pour TR. Quels sont les mécanismes et la nature de ces crises ? Comment s’articulent-elles aux crises du capitalisme néolibéral et à la crise climatique ? Comment s’agencent les processus dans les différents espaces de production et de consommation ? En quoi les différents modèles agroalimentaires sont-ils concernés ? Quelles stratégies politiques et économiques se dessinent et peuvent les influencer ? Les premiers travaux analytiques engagés permettent de repérer différents facteurs structurels et conjoncturels de cette crise [Bricas (2008)]. Ils soulignent précisément l’importance de l’évolution des régulations agroalimentaires (libéralisation des politiques agricoles au Nord et au Sud, basculement de la spéculation financière sur les marchés agricoles à terme, occidentalisation des modèles de consommation, paupérisation urbaine et perte de souveraineté alimentaire au Sud). Ils suggèrent alors la nécessité d’une réponse institutionnelle reprenant en compte l’enjeu stratégique et la spécificité agricole et agroalimentaire. C’est donc en quelque sorte dans la « désectorialisation » libérale de l’agriculture que les crises alimentaires trouveraient pour partie leur origine, et dans une « resectorialisation » plurielle (construite sur la coexistence des différents modèles évoqués) qu’elles pourraient être surmontées, en s’appuyant sur la redéfinition des rapports de cette activité au territoire, à l’alimentation et aux techniques. Voilà une question centrale pour les recherches sur les régulations sectorielles et territoriales. Le renouvellement des débats politiques autour de l’agroalimentaire, la diversité de ses modèles et trajectoires, les interrogations sur l’évolution des spécificités de ce secteur et sur ses crises offrent donc un contexte propice à un réinvestissement de TR. Au-delà de contributions permettant d’enrichir ce programme (notamment dans une perspective comparative interne et externe à l’agriculture), l’invitation est 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1931 RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES 1931 faite pour un usage pragmatique et politique de TR, en s’associant à des travaux mobilisant d’autres approches en économie ou sociologie politique : – Le dépassement d’un travail analytique et historique (important en soi) peut s’effectuer en participant à, ou même en animant, des travaux de prospective, souvent conceptuellement et méthodologiquement proches (démarches systémiques interrogeant les dynamiques économiques, les évolutions structurelles et technologiques, les options institutionnelles). Cet usage de TR peut apparaître risqué. Il est régulièrement invoqué [Boyer (2004)], mais n’a pas vraiment été conceptualisé et les expériences sont peu nombreuses, en particulier pour l’agroalimentaire. La plateforme Agrimonde [Hubert, Dorin (2007)] peut en offrir l’opportunité. – La mobilisation des analyses de filière et systèmes productifs locaux (travaux sur les SYAL, notamment) est susceptible de fournir et d’organiser un matériel empirique important, complétant les données macroéconomiques qui saisissent mal les spécificités des différents modèles de développement agroalimentaire. Au-delà d’une caractérisation de ces mésosystèmes, l’analyse des flux, relations et stratégies qui s’y construisent, tout comme le repérage des problèmes de coordination qui se posent, sont importants pour étudier les conditions endogènes du changement institutionnel [Touzard (2000)]. La coopération avec des approches institutionnalistes spécifiant les conditions des interactions au sein d’un système agroalimentaire apparaît alors judicieuse [EymardDuvernay (2006)]. – Enfin, l’analyse des conditions de construction politique des institutions économiques, que TR cherche à endogénéiser, peut conduire à développer les collaborations avec des recherches en sociologie économique ou en sociologie politique [Chiffoleau et al. (2008)]. Là aussi, les apports croisés avec TR sont potentiellement nombreux (contextualisation et économicisation vs spécification de séquences d’action pouvant conduire à une crise ou institutionnalisation) et permettent d’ouvrir l’analyse à des motivations non économiques [Touzard (2008)]. 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1932 1932 J.-M. TOUZARD CONCLUSION Pour un économiste, un gestionnaire ou un sociologue travaillant sur les systèmes agroalimentaires, la lecture de l’ouvrage de Catherine Laurent et Christian du Tertre permet de confronter son « terrain de recherche » aux évolutions d’autres secteurs et de le situer dans les transformations plus globales de la société. Sans forcément adhérer à l’ensemble des thèses régulationnistes, l’interrogation permanente que suscite cette approche sur les spécificités ou non des systèmes agroalimentaires, sur leurs transformations au regard de changements institutionnels et politiques englobants, mais aussi sur les formes de leur ancrage territorial, n’est alors pas un simple exercice intellectuel. Elle s’avère aujourd’hui importante pour comprendre les crises de ces systèmes et repenser leurs régulations afin d’assurer leur coexistence et leur adaptation dans le sens de la durabilité. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ALLAIRE G. [2002], « L’économie de la qualité en ses territoires, ses secteurs et ses mythes », Géographie, Économie et Société, n° 4 (2), p. 155-80. ALLAIRE G., BOYER R. (éds) [1995], La grande transformation de l’agriculture, INRA-Economica, Paris. BARTOLI P., BOULET D. [1989], Dynamique et régulation de la sphère agroalimentaire : l’exemple de la sphère viticole, Thèse d’État, Université Montpellier I, 3 vol. BOUSSARD J.M., DELORME H. [2007], La régulation des marchés agricoles internationaux, L’Harmattan, Paris. BOYER R. [2004], Une théorie du capitalisme est-elle possible ?, O. Jacob, Paris. BOYER R., SAILLARD Y. [1995], Théorie de la régulation : l’état des savoirs, La Découverte, Paris. BRICAS N. [2008], « Nourrir le monde : retour aux fondamentaux de l’humanité », Diplomatie, n° 33, p. 58-62. CHIFFOLEAU Y., DREYFUS F., TOUZARD J.M. (éds) [2008], Nouvelles figures des marchés agroalimentaires : apports croisés de la sociologie, de l’économie et de la gestion, Paris, Symposcience, éditions QUAE. HUBERT B., DORIN B. [2007], « La prospective Agrimonde », in Pour une recherche agronomique ouverte sur le monde / Caron P., Lasbenne F., Chabrol D. (éds), CIRAD, Montpellier. EYMARD-DUVERNAY F. [2006], « L’Économie des conventions : méthodes et résultats », La Découverte, Paris. GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The gouvernance of global value chain », Review of international political economics, n° 12, p. 78-104. 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1933 RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES 1933 GOODMAN D., WATTS M. [1997], Globalising food : agrarian questions and global restructuring, Routledge, London. IASSTD [2008], Rapport de synthèse, Johanesbourg, www.agassessment.org LACROIX A., MOLLARD A. [1995], Agriculture et gestion de l’environnement : du conflit au compromis, INRA ESR, Grenoble. LAURENT C., MOURIAUX M.F. [1999], « La multifonctionnalité agricole dans le champ de la pluriactivité », Lettre du Centre d’étude de l’emploi, n° 59, p. 1-10. LAURENT C., DU TERTRE C. [2008], Secteurs et territoires dans les régulations émergentes, L’Harmattan, Paris. LOPEZ M. [2006], « Regulation redux. regional studies and the sociologie of agriculture », Congrès de la Rural sociology society, Louisville, Kentucky, 10 août 2006. MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007], « Systèmes agroalimentaires localisés », Économies et Sociétés, AG, n° 29, p. 1465-1484. NIEDDU M., GAIGNETTE A. [2000], « L’agriculture française entre logique sectorielle et territoriale », Cahiers d’Économie et Sociologie Rurales, n° 54, p. 48-87. PECQUEUR B. [2001], « Gouvernance et régulation : un retour sur la nature du territoire », Géographie, Économie, Société, vol. 3, n° 2, p. 229-245. SAPIR J. [2008], « Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long », Revue de la régulation, n° 3/4. TOUZARD J.M. [1995], « Régulation sectorielle, dynamique régionale et transformation d’un système productif localisé », in La grande transformation de l’agriculture / Allaire G., Boyer R. (éds), INRA-Economica, p. 293-322. TOUZARD J.M. [2000], « Coordination locale, innovation et régulation : la transition vin de masse-vin de qualité », Revue d’Économie Régionale et Urbaine, n° 3, p. 589-605. TOUZARD J.M. [2008], « Construction des marchés et actions politiques : l’exemple de la reconversion viticole en Languedoc-Roussillon », Les cahiers du CEVIPOF, n° 48, p. 113-140. 20•Touzard 27/10/09 8:18 Page 1934 21•Intercalaire V 30/10/09 7:27 Page 1935 Note de lecture 21•Intercalaire V 30/10/09 7:27 Page 1936 22•Montaigne 29/10/09 15:27 Page 1937 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1937-1942 Analysing Commodity Chains : Linkages or Restraints ? Shane Hamilton in « Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R. Horowitz (eds.), Philadelphia, University of Pennsylvania Press, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28) Deux professeurs, ayant déjà publié sur l’histoire de l’alimentation, nous livrent un recueil de contributions regroupant une douzaine d’études de cas sur ce sujet, aux États-Unis. La plupart des rédacteurs sont historiens, mais deux auteurs sont anthropologues et l’une des contributrices, Catherine Grand Clément, est une sociologue française formée à l’École des Mines de Paris, chez Bruno Latour. Le fil conducteur de l’ouvrage est le suivant : avec les crises alimentaires, vache folle, risques hormonaux, clonages, contaminations diverses et OGM, le consommateur est de plus en plus intéressé à connaître ce qui se passe avant que l’aliment n’arrive dans son assiette et la perspective historique peut enrichir cette compréhension ; d’où la mobilisation du concept de food chain ou filière alimentaire. La référence aux ouvrages de Claude Fischler en France et Michael Pollan aux États-Unis avec « Le dilemme de l’omnivore » est très présente. Le chapitre de Shane Hamilton a retenu notre attention car il nous livre « une histoire de la pensée » sur la vision américaine de la notion de filière dans ce secteur. Ce point de vue est celui d’un historien de l’économie politique de l’agriculture industrielle. Nous y avons cherché des éléments pour tenter de comprendre pourquoi ce concept a eu tant de mal à franchir la barrière culturelle de la pensée économique anglo-saxonne, alors qu’il fut l’une des références majeures de l’école française d’économie rurale dans les années 1970-1990. 22•Montaigne 29/10/09 1938 15:27 Page 1938 É. MONTAIGNE Nous retrouvons bien, au fil du texte, les trois courants théoriques de base de l’analyse de filière [Lauret (1983)] 1 : la notion de circuit, la référence marxiste et l’analyse systémique, mais de façon fort dispersée et non structurante de l’exposé. La présentation s’attache plutôt aux auteurs marquants qui ont mobilisé ce concept dans les travaux appliqués à l’agriculture dans la deuxième moitié du XXe siècle. À ce titre, le lecteur trouvera de nombreuses références bibliographiques très pertinentes et qui ont le mérite d’y être rassemblées. Disons-le tout de suite, le concept de filière ou de chaîne de production (commodity chain) est mobilisé dans d’autres sciences sociales que l’économie, à savoir la sociologie principalement, mais également la géographie et l’anthropologie. Seule la référence à John H. Davis, de Harvard, en 1955 auquel il attribue la paternité du concept d’agribusiness, puis la référence aux « chaînes globales de valeur » de Hopkins et Wallerstein, reprise par Gary Gereffi, le repositionne dans l’économie politique de l’agriculture. Bref, ce qui importe pour les utilisateurs de la notion de filière, c’est beaucoup plus la question posée que le champ disciplinaire retenu. Ainsi l’auteur s’adresse-t-il aux historiens et autres intellectuels, intéressés par une approche interdisciplinaire de l’alimentation à travers la politique économique de l’agriculture, les sciences et les techniques, et la mondialisation. La création de l’analyse filière (Commodity Chain Analysis, CCA – Commodity System Analysis, CSA) appliquée à l’agriculture est attribuée à notre collègue et ami, William H. Friedland, professeur émérite au département de sociologie de l’université de Californie à Santa Cruz, pour ses travaux fondateurs sur la mécanisation de la récolte des tomates et des laitues Iceberg, en 1984. L’analyse filière apparaît ainsi comme un moyen de relancer la sociologie rurale, « emberlificotée » selon lui, dans l’étude de l’identité rurale face à l’urbanisation galopante. Il invite à revenir à la question de l’impact du système alimentaire sur la structuration de la vie des ruraux et la détermination de leurs moyens de subsistance. Il définit ainsi cinq composantes ou sujets d’étude de la CSA : les pratiques de production dans l’agriculture moderne, les organisations professionnelles, l’offre de travail et sa mise en oeuvre, la recherche scientifique et technique, le marketing et la distribution au-delà de la porte de l’exploitation. Son approche est volontairement empirique et systémique. Son appel a été entendu car suivi de nombreux travaux de sociologues, géographes et anthropologues apportant ainsi un regard neuf 1 LAURET F. [1983], « Sur les études de filières agroalimentaires », Économies et Sociétés, Tome XVII, n° 83, mai, p. 721-740. 22•Montaigne 29/10/09 NOTE DE LECTURE 15:27 Page 1939 1939 sur la « question agraire » définie par Karl Kaustsky en 1899 et s’interrogeant sur la soumission de la paysannerie au capitalisme industriel. Ces travaux sur les relations de pouvoir ont été affinés, notamment par Lawrence Busch, sur les relations entre les grandes ou les petites exploitations agricoles et les salariés, les industriels, les banques, les transformateurs, les distributeurs, le consommateur, l’État et l’environnement. Les anthropologues ont attiré l’attention, à l’autre bout de la chaîne, sur le rôle du consommateur dans la définition de la politique alimentaire. L’analyse filière (CCA) éclaire également le rôle des sciences et des techniques dans l’économie politique de l’agriculture. L’idée maîtresse reste que les nouvelles machines modifient les relations entre les agriculteurs, les industries agroalimentaires, le gouvernement, les institutions éducatives, le consommateur et la nature. L’éloignement des pratiques traditionnelles a transformé la vie des ruraux à travers le monde. Cette transformation des techniques de production par les scientifiques et les ingénieurs – citons l’industrialisation de l’élevage du poulet ou du bœuf, l’industrie du surgelé, les transports à longue distance et les biotechnologies – ont fait resurgir chez les consommateurs activistes européens la vision des expériences du Dr Frankenstein, ouvrant le débat sur les « Frankenfoods », en référence à l’ouvrage de 2005 de Hugh Gusterson. La sociologie de l’acteur réseau de Michel Callon (Actor Network Theory, ANT) apparaît ici comme une avancée déterminante en ce sens qu’elle donne une place équivalente, symétrique, à la technique ou à l’objet de la recherche (les coquilles Saint-Jacques en baie de SaintBrieuc) et aux chercheurs et autres acteurs impliqués. Cette approche remet en cause l’hypothèse fonctionnaliste et déterministe du rôle de la science qui piloterait les filières. L’étude de cas, réalisée par John Soluri, du rôle de la maladie de Panama sur la structuration de l’United Fruit Company vient renforcer l’intérêt de faire jouer le même rôle aux acteurs humains et non-humains. On peut dire que Michel Callon a réussi a endogénéiser ainsi, dans sa discipline, le rôle de la dynamique des technologies, tout comme l’a fait Giovanni Dosi en économie industrielle et de l’innovation par les concepts de paradigme et trajectoire technologiques. L’analyse filière a été également l’une des méthodes les plus fructueuses dans le renouvellement des études sur la mondialisation. Les travaux fondateurs de Hopkins et Wallerstein (1986) et leur concept de chaîne globale de production (Global Commodity Chain, GCC), repris par la suite par Gary Gereffi (ou Jennifer Bair), apparaît comme une 22•Montaigne 29/10/09 1940 15:27 Page 1940 É. MONTAIGNE ramification de l’analyse filière. Cette mobilisation de l’analyse filière dans l’étude des échanges internationaux a renouvelé la théorie du système monde et la théorie de la dépendance. Le retour à une vision « méso-économique » qui cherche à expliquer comment les liens se forment, où et par qui les matières premières sont transformées, comment sont délocalisées les productions, comment les entreprises réagissent à la demande du consommateur, non seulement éclaire la production mondiale, l’organisation du travail et les modèles de consommation, mais encore explique la construction d’inégalités au sein même d’un pays. L’application de cette approche renouvelle également l’économie politique de l’agriculture, cherchant à expliquer « la crise mondiale de l’agriculture » ou l’économie « sans amarres » des agricultures exportatrices des pays en développement. Ainsi, les travaux de la sociologue Harriet Friedmann expliquent cette crise par l’effort des États puissants, comme les États-Unis, pour saper l’autosuffisance des agriculteurs compétitifs des pays en développement. Les GCC expliqueraient la restructuration mondiale des agricultures, le rôle des firmes privées multinationales et des institutions agissant au niveau mondial, au-delà des États. Elles expliqueraient ainsi le coté « chaotique » de la géographie du capitalisme mondial. Shane Hamilton insiste sur deux difficultés inhérentes à l’analyse filière. Tout d’abord, comment choisir un découpage pertinent de ce qu’il est important d’étudier : où faut-il s’arrêter, à la ferme, au champ, au microbe ? La seconde difficulté porte sur l’infinité des études possibles dès lors que l’on s’intéresse aux réseaux agroalimentaires complexes. Selon nous, des réponses peuvent être apportées par les spécialistes de l’analyse des systèmes comme Jean-Louis Lemoigne 2 qui propose un nouveau paradigme scientifique ou discours de la méthode. L’auteur termine également sur les limites de l’analyse par la seule logique du marché et invite à revenir aux questions essentielles : qu’est-ce qui permet aux employés de l’agroalimentaire et aux agriculteurs de disposer de revenus décents, comment construire des filières « durables » écologiquement, comment limiter le pouvoir des monopoles dans l’agroalimentaire ? Les marchés sont incapables d’expliquer les caractéristiques et l’organisation des réseaux alimentaires modernes. L’analyse filière permet de prendre en compte les résistances, l’adaptation, les exceptions locales à la règle, les orientations 2 LEMOIGNE J.L. [1977], La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation, PUF, Paris (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994). 22•Montaigne 29/10/09 NOTE DE LECTURE 15:27 Page 1941 1941 alternatives. L’auteur invite enfin à développer des recherches empiriques sur les contingences, les complexités, les subtilités et ainsi faire passer l’alimentation d’une idée abstraite à la perception de ce qui se passe entre la fourche et la fourchette. Nous pouvons maintenant livrer quelques réflexions sur cette recension proposée par un jeune historien américain de l’alimentation (PhD au MIT en 2005). Tout d’abord cette vision classe nettement les travaux utilisant l’analyse filière dans le domaine des sciences humaines et sociales, sociologie principalement. Tous les travaux ayant eu pour référence l’économie industrielle (Market structure analysis) ou la stratégie, appliqués au système agroalimentaire sont pratiquement ignorés. En France, les synthèses sur l’économie des filières ont été clairement apportées par les économistes industriels (Morvan, De Bandt, etc.) et les chercheurs de l’INRA et de l’université les ont utilisés pour leurs études de cas dans le vin, les fruits et légumes, la filière avicole ou laitière. De même, la référence aux travaux de Goldberg sur l’agrobusiness dans les années 50 est absente. Notre cocorico dût-il en souffrir, la seule référence française citée est celle de « L’économie des filières en région chaude » publiée par le CIRAD sous la direction de Michel Griffon, en 1990. Mais l’article méthodologique cité est celui de Lawrence Busch. Peut-on reconquérir un réseau international de recherche mobilisant cette référence ? Cette recension ayant ignoré les références économiques, il y manque les nouveautés apportées à l’analyse filière par les courants majeurs de la pensée économique tels que la nouvelle économie institutionnelle (NEI) ou l’économie évolutionniste. La première affine la nature des relations contractuelles entre acteurs de la filière, étudie les dispositifs formels et informels indispensables à la compréhension des mécanismes transactionnels et de leur régulation. L’approche évolutionniste de l’étude des innovations technologiques qui, bien que restant dans l’économie industrielle et n’ayant pas recours à la définition du dispositif technique comme acteur réseau non-humain, n’en demeure pas moins proche des travaux de Callon sur la compréhension de la genèse des innovations technologiques, tant dans la méthode d’enquête que les explications proposées. Elle donne cependant une place centrale à l’entreprise et au processus de « sélection naturelle » des innovations par la confrontation au marché. In fine, la désaffection relative de cette référence chez les économistes ruraux français peut être attribuée aux limites présentées par Shane Hamilton : incertitude sur le découpage de la filière, objet complexe à l’étude toujours inachevée. La référence à l’analyse de filière 22•Montaigne 29/10/09 1942 15:27 Page 1942 É. MONTAIGNE réapparaît toutefois régulièrement dans les colloques internationaux du fait de ses dimensions descriptives, analytiques et explicatives sans pareil. Étienne Montaigne, CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa 23•Intercalaire VI 30/10/09 7:27 Page 1943 Manifestations scientifiques 23•Intercalaire VI 30/10/09 7:27 Page 1944 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1945 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1945-1950 École doctorale internationale d’été Management environnemental et des agro-ressources EDIEMEAR 2010 Amiens-Paris 4-10 juillet 2010 I. – CONTEXTE ET OBJET DU PROJET En juillet 2010, la France accueillera et organisera la 10th IFSAM World Conference. L’International Federation of Scholarly Associations of Management (IFSAM), créée en 1990, est une organisation internationale non gouvernementale regroupant les associations académiques en management d’un grand nombre de pays (notamment Allemagne, Australie, Canada, Chine, Espagne, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Scandinavie, USA…) ; soit un potentiel de membres représentant des dizaines de milliers d’enseignants et chercheurs en management, répartis sur les cinq continents ; l’IFSAM ayant l’ambition de devenir « The United Nations of the Academies of Management ». La 10th IFSAM World Conference se tiendra du 8 au 10 juillet 2010, à Paris, dans les locaux du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et d’institutions de la région parisienne associées au programme. Le thème directeur, retenu pour ce congrès mondial est « Justice and Sustainability in the Global Economy ». Les responsables de ce prochain congrès mondial ont souhaité permettre aux différentes associations académiques françaises/francophones concernées d’être plus présentes dans un univers managérial essentiellement anglo-saxon. 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1946 1946 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES Dans cette perpective, le RIODD propose des initiatives en cohérence avec son propre objet. Le RIODD – Réseau international de recherche sur les organisations et le développement durable – rassemble, depuis 2005, un certain nombre de chercheurs et groupes de recherches travaillant sur les thèmes du développement durable dans le champ des sciences humaines et sociales (économie et gestion, droitsciences politiques, sociologie, etc.). Ces chercheurs sont implantés principalement en France et dans les pays francophones (notamment Canada) avec une internationalisation progressive dans les autres aires linguistiques. Après les congrès de 2006 (Paris Est), 2007 (Montpellier), 2008 (Lyon), le 4e congrès vient de se tenir, en juin 2009, à Lille 1. Pour 2010, le RIODD a décidé de s’associer à la préparation de la 10th IFSAM World Conference, compte tenu de la proximité géographique, thématique et de l’ouverture internationale de cette manifestation. II. – PRÉSENTATION, OBJECTIFS, THÉMATIQUE > Présentation : L’École Doctorale Internationale d’été 2010 « Management environnemental et des agro-ressources » se tiendra à Amiens du 4 au 10 juillet 2010. Elle accueillera des jeunes chercheurs de toutes disciplines (principalement des sciences humaines et sociales mais aussi des autres disciplines scientifiques intéressées par le dialogue avec les SHS). L’École Doctorale Internationale d’été 2010 « Management environnemental et des agro-ressources » s’adosse au 10th IFSAM World Conference qui se tiendra du 8 au 10 juillet 2010, à Paris, dans les locaux du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et d’institutions de la région parisienne associées au programme. > Objectifs scientifiques : Le RIODD, depuis sa création, se caractérise par sa transdisciplinarité. Le thème de l’école doctorale 2010 (environnement et agro-ressources) renforce son aspect transdisciplinaire qui ne se limite plus aux seules sciences humaines et sociales, mais s’adresse à l’ensemble des secteurs scientifiques. L’école doctorale d’été offre l’occasion aux 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1947 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES 1947 jeunes chercheurs français et étranger de travailler avec des chercheurs confirmés sur les différentes thématiques, afin d’enrichir leurs propres travaux. Leur participation aux congrès RIODD-IFSAM, auxquels ils seront invités, sera l’occasion de rentrer dans un réseau de recherche international. > Problématique et thématique : Le programme de l’école doctorale d’été est bâti autour de la problématique et des thèmes suivants (liste provisoire) : – Spécificité des systèmes agro-alimentaire, relations marchandnon marchand, prise en compte des externalités (positives, négatives) – Instabilité des marchés, crise alimentaire et politiques agricoles dans un environnement mondial instable (choix des filières faisant l’objet d’intervention, protection des agriculteurs contre les risques, adaptation à l’instabilité des revenus...) – Management environnemental et gouvernance des organisations (management des unités compétitives vs reconversion des secteurs en décroissance). – Approche spatio-temporelle du management environnemental (approche globale vs locale) – Résilience des petites et très petites exploitations agricoles dans un contexte d’instabilité des marchés mondiaux et d’instabilité climatique (alternative sècheresse, inondations, limites d’exploitation des ressources en eau...) – Politique de développement rural permettant le maintien d’une population (sécurité alimentaire, revenu) ; liaison avec les politiques d’environnement – Crise énergétique et agro-ressources, le rôle des ACV – Concurrences et complémentarités entre valorisations alimentaire et non-alimentaire des agro-ressources dans une perspective de développement durable – KBBE « knowledge based bioeconomy » : dynamiques économiques reposant sur les investissements en recherche et développement sur l’ensemble des biotechnologies : (biofuel, OGM, chimie verte, valorisation énergétique des déchets...). Les sessions sont construites comme des séminaires doctoraux, sous la forme d’ateliers thématiques avec exposé de la problématique et travaux communs. Chacune de ces sessions d’une demi-journée sera portée par une école doctorale du pays d’accueil 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1948 1948 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES Les approches pluridisciplinaires et transdisciplinaires seront particulièrement mises en lumière ainsi que les contributions émanant de chercheurs nationaux et internationaux. En milieu de semaine, une « étude de cas » incluant des visites de sites et d’organismes pertinents est prévue. III. – MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE 1 – Public ciblé : étudiants avancés (doctorat ou post doctorat) et jeunes chercheurs, de divers pays, concernés par la thématique ; 40 places sont offertes. Les langues de communication sont le français et l’anglais (il n’est pas prévu de traduction/interprétariat). Le programme et le formulaire d’inscription sont accessibles en ligne (http://www.riodd.net/) en cliquant sur le logo « École doctorale Internationale d’été 2010 ». Attention : la date limite d’inscription est fixée au 31 janvier 2010. 2 – Durée L’EDIEMEAR se déroulera sur une semaine (du 4 au 10 juillet 2010), ainsi répartie – dimanche 4 après-midi et soir : accueil à Amiens – lundi 5 matin : ouverture et conférence invitée (une personnalité scientifique) – lundi 5 après-midi et mardi 6 matin : ateliers doctoraux – mardi 6 après-midi : table-ronde chercheurs/professionnels et conférence invitée – mercredi 7 : visite d’un site (matin) et voyage Amiens-Paris (après-midi) ; jonction avec congrès RIODD 2010 – jeudi 8 au samedi 10 : conférence internationale IFSAM au sein duquel l’EDIEMEAR se poursuivra sous la forme de « tracks » spécifiques. Cette organisation devrait permettre une bonne répartition des exposés et communications selon leur statut – la partie picarde pourrait être à la fois académique (au sens des séminaires doctoraux et jeunes chercheurs) et professionnelle (exposés et posters + la table-ronde du mardi 6 après-midi + visite terrain du 7) ; par ailleurs, elle aurait une tonalité transdisciplinaire marquée ; – la partie parisienne serait forcément plus classique (communications scientifiques – 3 par séance de 1h30 – comme dans tout congrès international). 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1949 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES 1949 3 – Logistique Les participants seront logés à Amiens, puis à Paris, dans une résidence universitaire (3 nuits dans chaque ville). Les autres aspects (repas, documentation congrès, activités socioculturelles) sont pris en charge par l’organisation picarde pour la première partie, par l’IFSAM pour la seconde. Conditions financières : Les 40 candidats retenus sur critères académiques par le comité scientifique, bénéficieront d’une bourse qui financera les frais d’hébergement, les repas de midi, les visites de sites touristiques, les frais d’inscription au colloque de l’IFSAM, et les frais pédagogiques. Les frais de voyage et les menues dépenses sont à la charge des participants. IV. – COMITÉS SCIENTIFIQUE ET D’ORGANISATION > Institutions organisatrices A – d’une part, le RIODD et l’IFSAM dont cette EDIE constituera une composante, associée puis intégrée aux activités 2010 dans les conditions décrites supra et infra, B – d’autre part, les établissements scientifiques concernés en région Picardie : UPJV Amiens (notamment l’IAE et l’équipe de recherche CRIISEA), UT Compiègne (notamment le laboratoire du Pr D. Thomas), d’autres institutions implantées en région (Institut de Beauvais). > Institutions associées : A – au plan régional : les collectivités territoriales concernées : Région Picardie, département Somme, ville et agglomération d’Amiens, Pôle de compétitivité IAR (industrie et agro-ressources), B – au plan national : INRA, CIRAD, Académie d’agriculture, Académie des technologies, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (DRIC), C – au plan international : AUF – Agence universitaire francophone (réseau environnement et développement durable), PNUD, FAO, diverses institutions, entreprises et fondations concernées (ex : Accademia dei Georgofili, Firenze ; Crédit agricole, FARM). 24•RIODD 30/10/09 7:28 Page 1950 1950 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES > Comité scientifique Le CS de l’EDIEMEAR est co-présidé par – Pr R. Pérez1, U. Montpellier, membre Académie agriculture, Président 2007-2009 du RIODD, délégué aux partenariats IFSAM 2010 – Pr D. Thomas, UT Compiègne, membre Académie des technologies, Président Pole compétitivité IAR (industrie et agro-ressources) Le CS comprend par ailleurs une dizaine de personnalités scientifiques (françaises et étrangères) concernées par cette manifestation, dont : – Pr F.-O. Baptista, U.T. Lisboa (Portugal) – Pr S. Bedrani, CREAP Alger (Algérie) – J.-M. Boussard, Académie d’agriculture (F) – Dr X. Calatrava, IFAPA, Junte Andalousia, Granada (Espagne) – Pr M. Capron, U. Paris Est, Pt du CS du RIODD – Pr B. Christophe, UPJV, Amiens (F) – Pr J. Pasquero, UQAM Montréal (Canada), Président RIODD – Pr J.-L. Rastoin, Supagro Montpellier (F) – Pr J. Richard, U. Paris Dauphine (F) – Pr Y. Tékélioglu, U. Antalya (Turquie) > Comité d’organisation : Un CO de l’EDIEMEAR est mis en place avec les représentants des différentes institutions organisatrices. Il est animé par le Pr B. Christophe, UPJV, Amiens2 1 2 Roland PEREZ, 06 73 24 39 28, [email protected] Bernard CHRISTOPHE, 06 03 10 36 04, [email protected] 25•ISDA 30/10/09 7:29 Page 1951 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1951-1953 Innovation § sustainable development in agriculture and food (ISDA) International Symposium “Facing the Crisis and Growing Uncertainties, Can Science and Societies Reinvent Agricultural and Food Systems to Achieve Sustainability?” Montpellier, France. 28 June - 1 July 2010 Organized by CIRAD, INRA and Montpellier SupAgro At a time of increasing global threats including climate change, the scarcity or degradation of resources, and population growth, the current economic crisis has triggered unpredictable short-term consequences. In the long term, the crisis may offer new opportunities, but in a global context, agriculture and the food sector face an uncertain future. How can we anticipate better and develop our capacity for resilience? Following the 1993 international symposium organized by CIRAD, INRA and ORSTOM on « Innovation and Societies: What kinds of agriculture? What kinds of innovation? », we would like to review changes in the way research contributes to innovation. Please join us to reflect collectively upon future choices, design appropriate scientific agendas, and help renew actions and policies so that innovation systems can better achieve sustainability. Researchers from all disciplines are welcome, as well as stakeholders and policy makers, from Northern and Southern countries. For more information about ISDA 2010, please visit: www.isda2010.net (in English, French, and Spanish). 25•ISDA 30/10/09 1952 7:29 Page 1952 MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES ISDA 2010 « Innovation et Développement Durable dans l’Agriculture et l’Agroalimentaire » Symposium International Face à la crise et aux incertitudes grandissantes, comment les sciences et les sociétés peuvent-elles réinventer les systèmes agricoles et agroalimentaires vers une plus grande durabilité ? Montpellier, du 28 juin au 1er juillet 2010. Organisation CIRAD-INRA-Montpellier SupAgro À une époque où différentes menaces globales se font plus pressantes, avec le changement climatique, la pénurie ou la dégradation des ressources et la croissance démographique, la crise économique a déclenché à court terme des conséquences imprévisibles. À long terme, la crise peut aussi offrir de nouvelles opportunités, mais dans ce contexte global, l’agriculture et l’agroalimentaire font face à un futur incertain. Comment mieux anticiper et augmenter notre capacité d’innovation? Suite au colloque international organisé en 1993 par le CIRAD, l’INRA et l’ORSTOM sur le thème « Innovation et Sociétés : Quelles agricultures ? Quelles innovations ? », nous proposons d’engager une réflexion sur la manière dont les systèmes d’innovation se sont transformés. Nous vous invitons à vous joindre à ce symposium pour faire émerger de nouvelles perspectives pour les agendas scientifiques et apporter des propositions concrètes pour l’action et les politiques. Les chercheurs de toutes disciplines sont les bienvenus, ainsi que les acteurs du développement et les responsables politiques, du Nord comme du Sud. Pour plus d’information sur ISDA 2010 : www.isda2010.net (en français, anglais et espagnol). 26•Intercalaire VII 30/10/09 7:29 Page 1953 Appels à contributions 26•Intercalaire VII 30/10/09 7:29 Page 1954 27•Appel à contribution 27/10/09 8:21 Page 1955 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1955-1957 Relations entre producteurs et grande distribution alimentaire Dossier thématique pour la revue « Économies et Sociétés », série « Systèmes agroalimentaires », n° 32, 2010 Appel à contributions Les relations entre producteurs et grande distribution alimentaire connaissent des évolutions majeures. Les réformes profondes du cadre juridique, notamment la loi LME (Loi de modernisation économique) du 4 août 2008, visent à améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs par une baisse des prix. Elles conduisent les distributeurs et les producteurs à développer de nouvelles stratégies et à faire évoluer leurs pratiques de négociation. Les distributeurs ne peuvent se focaliser uniquement sur la variable prix. Ils recherchent également une différenciation fondée sur l’originalité de leur assortiment. Cette stratégie peut se révéler propice au développement de relations de coopération entre fournisseurs et détaillants. Les marques de distributeurs comme vecteur de différenciation peuvent constituer un terrain favorable au rapprochement entre l’amont et l’aval. Ce secteur en pleine évolution est confronté à d’autres enjeux liés notamment au débat sur la responsabilité sociale des entreprises (commerce équitable, relations avec les PME), au renforcement de la sécurité alimentaire (traçabilité, normes ISO 22 000), au développement des nouvelles technologies de l’information (RFID, commerce électronique) et à l’internationalisation (global sourcing). Ces changements sont susceptibles de transformer les contours et les rapports à l’intérieur de la chaîne logistique (supply chain). Quelles méthodes mettre en œuvre pour faire face à ces nouveaux enjeux ? Du point de vue du champ géographique, on s’intéressera tant aux pays à haut revenu qui ont mis en place des filières agroindustrielles dans lesquelles la grande distribution occupe un rôle majeur au niveau 27•Appel à contribution 27/10/09 8:21 1956 Page 1956 APPEL À CONTRIBUTIONS des circuits de commercialisation alimentaires, qu’aux pays émergents dans lesquelles on observe une croissance rapide des implantations de super et d’hypermarchés. Champs disciplinaires : Ce dossier thématique de la série « Systèmes agroalimentaires » de la revue Économies et Sociétés vise à proposer des réponses à ces questions en adoptant une lecture plurielle. Différentes disciplines comme le droit, l’économie, la géographie, la gestion et la sociologie retiennent les relations entre producteurs et grande distribution alimentaire comme objet d’étude en partageant certains cadres théoriques comme la théorie des coûts de transaction ou la théorie de la justice sociale. Les contributions, qui pourront s’inscrire dans ces différentes disciplines, apporteront un éclairage complémentaire sur l’évolution du contexte et des pratiques. Thèmes des propositions (liste indicative et non exhaustive) : L’évolution du cadre juridique L’évolution des marques de distributeurs Les nouvelles conditions de la négociation commerciale La gestion des compétences de la force de vente La sécurité alimentaire, la traçabilité Le management de la chaîne logistique Le commerce équitable et le développement durable L’impact de la grande distribution sur la configuration des filières agricoles et agroalimentaires Le partage de la valeur dans les filières. Éditeurs scientifiques invités : Hervé Fenneteau, Professeur à l’Université Montpellier 1 Karim Messeghem, Professeur à l’Université Montpellier 1 Gilles Paché, Professeur à l’Université de la Méditerranée (Président du comité scientifique). 27•Appel à contribution 27/10/09 APPEL À CONTRIBUTIONS 8:21 Page 1957 1957 Votre proposition de contribution devra être conforme aux dispositions de la note concernant la politique éditoriale de la série et de la note aux auteurs sur les normes techniques à respecter (infra). Merci de l’adresser, en indiquant la rubrique choisie (article, expertise, note de lecture, compte rendu de colloque) et avant le 15 décembre 2009 à : [email protected] (fichier Word via messagerie électronique) 27•Appel à contribution 27/10/09 8:21 Page 1958 28•IFSAM 30/10/09 7:30 Page 1959 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 30, 11-12/2008, p. 1959-1962 Appel à contributions atelier PME et développement durable Jean-Marie Courrent, maître de conférences, Université de Perpignan Via Domitia Martine Spence, professeure agrégée, Université d’Ottawa, École de Gestion Leïla Temri, maître de conférences, Université Montpellier-1 Afin de bien comprendre l’enjeu que représente le développement durable (DD) en PME, il convient de rappeler le poids que représentent ces entreprises, dans tous les pays, tant en termes de valeur ajoutée que d’emploi. Forts de ce constat, les états axent souvent leur politique économique sur les PME, en y intégrant de plus en plus des dispositifs en faveur du DD. Or, l’offre abondante d’outils et de dispositifs DD ne semble pas avoir d’effets très probants sur les attitudes et les comportements des dirigeants de PME, la profusion des dispositifs ayant tendance à entraîner l’incertitude plus que l’adhésion des propriétaires-dirigeants de ces entreprises [Murillo and Lozano (2006) ; Roberts et al. (2006)]. Les travaux académiques se sont développés dans la dernière décennie, portant sur les déterminants de l’implication des PME dans le DD [Cabagnol and Le Bas (2006) ; Spence et al. (2007) ; Paradas (2007), sur des comparaisons entre petites et grandes entreprises en termes de 28•IFSAM 30/10/09 1960 7:30 Page 1960 APPEL À CONTRIBUTIONS comportements et de pratiques durables [Jenkins (2004) ; Perrini et al. (2007)], ainsi que sur les freins et motivations à l’engagement [DTI (2002) ; Longo et al. (2005)]. Ce champ de recherche reste néanmoins encore en construction, tant en termes de cadre théorique que d’opérationnalisation des concepts. Ainsi, de nombreuses questions demeurent en suspens et bien des voies restent à explorer : – En premier lieu, la plupart des travaux s’intéressent prioritairement au seul aspect environnemental. Or, cette approche est doublement réductrice, en ce sens qu’elle ne s’attache qu’à l’un des trois enjeux du développement durable et qu’elle évacue donc le problème fondamental de leur conciliation. – En second lieu, une dimension centrale reste souvent négligée : celle des représentations et stratégies des dirigeants de PME, dans la conduite de leur entreprise en général et vis-à-vis du développement durable plus particulièrement. L’un des enseignements essentiels de la recherche sur l’entrepreneuriat et sur les firmes de petite et moyenne dimension repose, en effet, sur le constat d’une très grande hétérogénéité des profils comme des conduites. Or, la connaissance des attitudes et des comportements durables en PME reste parcellaire, et donc insuffisante pour appréhender de façon fine (et opératoire) les freins et les déterminants de l’engagement. – En troisième lieu, le développement des travaux sur la mesure des niveaux d’engagement DD semble fondamental, si l’on souhaite aider les chercheurs, praticiens et organismes d’appui à proposer des mesures pratiques d’accompagnement des PME. Cet atelier accueillera donc des contributions empiriques et théoriques portant sur le développement durable en PME, qui s’intéressent notamment aux sujets suivants : – La conciliation des dimensions économique, sociale et environnementale – Les spécificités du management durable en PME – Le processus d’engagement de la PME dans le DD – L’existence d’effets de taille en matière de DD – Les motivations et freins des dirigeants – La mesure du degré d’engagement – L’entrepreneuriat « durable » – La dimension DD dans la transmission / reprise d’entreprise – La mesure de la performance durable 28•IFSAM 30/10/09 7:30 Page 1961 APPEL À CONTRIBUTIONS 1961 Les propositions de communications doivent être envoyées avant le 31 janvier 2010 ([email protected]) Normes de présentation des textes sur http://www.ifsam2010.org/tracks.htm • Jean-Marie COURRENT, maître de conférences Université de Perpignan Via Domitia E-Mail: [email protected] Jean-Marie Courrent enseigne le management stratégique, l’entrepreneuriat et la gestion de la PME à l’Université de Perpignan Via Domitia (France). Ses travaux de recherche portent sur l’éthique, la responsabilité sociale et le développement durable en contexte PME. • Martine SPENCE, professeure agrégée Université d’Ottawa, École de gestion Telfer E-mail: [email protected] Martine Spence enseigne l’entrepreneuriat, le marketing stratégique et le marketing international à l’Université d’Ottawa (Canada). Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat durable et l’internationalisation des PME. • Leïla TEMRI, maître de conférences Université de Montpellier (France) E-mail : [email protected] Leïla Temri enseigne le management stratégique à l’Université de Montpellier. Ses travaux de recherche sont centrés sur les processus d’innovation et le développement durable en PME. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CABAGNOLS A., LE BAS C. J.P. [2006], « Les déterminants du comportement de responsabilité sociale de l’entreprise. Une analyse économétrique à partir de nouvelles données d’enquête » (Determinants of firm’s social responsibility. An econometric analysis from new survey data), Premier congrès du RIODD Organisations et développement durable : dialogues interdisciplinaires, Créteil, France. Department of Trade and Industry (DTI) [2002], Engaging SMEs in Community and Social Issues, Research Report, London: DTI. JENKINS H. [2004], « A critique of conventional CSR theory: an SME perspective », Journal of General Management 9(4), p. 55-75. 28•IFSAM 30/10/09 1962 7:30 Page 1962 APPEL À CONTRIBUTIONS LARSON A. [2000], « Sustainable innovation through an entrepreneurship lens », Business Strategy and the Environment 9, p. 304-317. LONGO M., MURA M., BONOLI A. [2005], « Corporate social responsibility and corporate performance: the case of Italian SMEs », Corporate Governance 5(4), p. 28-42. MURILLO D., LOZANO, J. [2006], « SMEs and CSR: An approach to CSR in their own words », Journal of Business Ethics 67, p. 228-240. PARADAS A. [2007], « Le dirigeant comme levier de la RSE en TPE. Approche exploratoire basée sur l’utilisation de récits et d’une cartographie cognitive » (The owner-manager as driver of CSR in SMEs. An exploratory study based on discourse and cognitive mapping), Revue Internationale P.M.E. 20(3/4), p. 43-68. PERRINI F., RUSSO A., TENCATI A. [2007], « CSR strategies of SMEs and large firms. Evidence from Italy », Journal of Business Ethics 74, p. 285-300. ROBERTS S., LAWSON R., NICHOLLS J. [2006], « Generating regional-scale improvements in SME corporate responsibility performance: Lessons from responsibility Northwest », Journal of Business Ethics 67, p. 275-286. SPENCE M., BEN BOUBAKER GHERIB J., ONDOUA BIWOLÉ V. [2007], « Développement durable et PME : Une étude exploratoire des déterminants de leur engagement », Revue internationale PME, 20(3-4), p. 17-42. 29•Intercalaire VIII 30/10/09 7:31 Page 1963 Politique éditoriale et note aux auteurs 29•Intercalaire VIII 30/10/09 7:31 Page 1964 30•Politique éditoriale 30/10/09 7:32 Page 1965 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31, 11/2009, p. 1965-1966 Économies et Sociétés Série « Systèmes agroalimentaires » Politique éditoriale Économies et Sociétés est une revue scientifique à comité de lecture (RCL) référencée dans les bases de données bibliographiques « Econlit » et « IBSS » qui font autorité dans le domaine des sciences sociales. Elle comprend 12 séries actives publiées par la Fondation François Perroux et l’ISMÉA. La série « Systèmes agroalimentaires » est référencée dans la catégorie « Économie de l’agriculture, de l’environnement et de l’énergie » de la section 37 du CNRS, ainsi que dans la liste de revues scientifiques retenues par l’AERES en sciences sociales. La série « Systèmes agroalimentaires » a succédé, en 2000, à la série « Développement agro-alimentaire », dirigée par Louis Malassis de 1990 à 1999, qui elle-même prenait le relais de « Progrès et agriculture » (directeurs, de 1970 à 1989 : Michel Cépède, Louis Malassis et Joseph Klatzmann). Ce changement d’appellation témoigne de la dynamique d’une discipline scientifique qui accompagne les mutations de ses objets de recherche. Dans la continuité des séries précédentes, la série « Systèmes agroalimentaires » de la revue Économies et Sociétés a pour ambition d’accueillir des auteurs de disciplines scientifiques variées (économie, gestion, sociologie, etc.) s’intéressant à un objet empirique commun, le système agroalimentaire, dans la perspective du progrès de la connaissance et de l’aide à la décision. De nouvelles thématiques sont proposées aux chercheurs en agroalimentaire. On peut citer, à titre d’illustration : mondialisation et développement durable, modes de gouvernance du système alimentaire, nouvelles fonctionnalités de l’agriculture, de l’industrie et de la distribution alimentaire, sécurité alimentaire au Nord et au Sud, dynamiques de la consommation et durabilité, prix des aliments et itinéraires tech- 30•Politique éditoriale 1966 30/10/09 7:32 Page 1966 POLITIQUE ÉDITORIALE niques, rôle des normes et régulation des marchés, intermédiation dans les filières, configurations stratégiques des entreprises, relations entre territoires et acteurs privés et publics, politique alimentaire, etc. Le numéro 32 (à paraître à l’automne 2010) comportera un dossier spécial : « Les relations entre producteurs et grande distribution ». Différents types de textes pourront être publiés, avec des modalités d’évaluation interne (comité de rédaction – CR) et externe sous anonymat (membres du comité de lecture – CL) conformes au standard académique ambitionné par la série : – Articles scientifiques (5 à 6 000 mots, comprenant une revue de la littérature, une méthode d’analyse et un traitement empirique ou une proposition théorique) : évaluation par 2 membres du CR + 2 membres du CL. – Expertises et libres propos (2 à 3 000 mots, expertise/point de vue sur une filière, une entreprise, une question de politique publique, etc.), avec la réponse d’un « discutant », dans le même numéro ou dans le numéro suivant : évaluation par 2 membres du CR + 1 membre du CL, le cas échéant. – Notes de lecture sur un ouvrage scientifique récent ou republié (2 à 4 pages) : évaluation par un membre du CR. – Compte rendu de colloque (2 à 4 pages) : évaluation par un membre du CR. Les projets de publication sont reçus et traités en continu. Ils devront être expédiés au secrétariat de la revue ([email protected]) en précisant la formule retenue au sein de la liste précédente. Le comité de rédaction supervise l’ensemble du processus d’admission des publications et décide in fine de toute publication. Pour le Comité de rédaction, Jean-Louis Rastoin Le Comité de rédaction de la série « Systèmes agroalimentaires » de la revue Économies et Sociétés remercie l’UMR 1110 Moisa (Ciheam-Iamm, Cirad, Inra, Montpellier SupAgro) pour son appui humain, financier et logistique. 31•Note aux auteurs 30/10/09 7:32 Page 1967 In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 30, 11-12/2008, p. 1967-1970 REVUE ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS Série « Systèmes agroalimentaires » NOTE AUX AUTEURS Présentation des articles Toute contribution proposée doit être originale (non déjà publiée dans une autre revue française ou étrangère) et présentée en langue française, sous la forme technique suivante : 1 – Le volume des textes ne doit pas excéder : 5 à 6 000 mots pour un article scientifique, 2 à 3 000 mots pour un article proposé dans la rubrique Expertises et libres propos, 2 à 4 pages pour une note de lecture ou un compte rendu de colloque, y compris les annexes et notes de bas de page, et doit respecter les règles de forme suivantes : dactylographie au RECTO de la feuille uniquement, en caractère Times New Roman 12, interligne 1,5 ; marges de 2,5 cm et justification. – La numérotation des différentes parties et sous-parties du texte doit être décimale et en chiffres arabes uniquement (par exemple : 1, puis 1.1, puis 1.1.1, puis 1.1.2, puis 1.2, etc., 2, puis 2.1, puis 2.2, etc.) ; l’introduction et la conclusion ne seront pas numérotées. – Les passages du texte qui doivent être en italique doivent être présentés directement en italique, – Les citations doivent être clairement entre guillemets français (« ... »). 31•Note aux auteurs 30/10/09 7:32 Page 1968 1968 NOTE AUX AUTEURS 2 – La page UNE doit comporter : – le titre courant (c’est-à-dire ce qui figure dans la revue en haut des pages tout au long de l’article) : 50 signes au maximum, – le titre de l’article en anglais et en français, – le résumé de l’article (six lignes au maximum), en français et en anglais, – le nom de l’auteur (ou des auteurs) accompagné de son identification et de son adresse professionnelle, téléphone, fax et e-mail (publiables), ainsi que de son adresse personnelle, téléphone, fax et e-mail (non publiés), – le nom d’un auteur correspondant, dans le cas d’un article rédigé par plusieurs auteurs ; à défaut, c’est le premier auteur qui sera considéré comme correspondant. 3 – Les notes (notes d’éclaircissement nécessaire à l’intelligence du texte seulement) doivent figurer en bas de page, numérotées à la suite, graduellement, conformément aux appels de note, sur la même page (suite page(s) suivante(s) s’il y a lieu), numérotés à partir du corps du texte proprement dit seulement (en en-tête de l’article : astérisque(s)). 4 – Les références bibliographiques doivent figurer en fin d’article, classées par ordre alphabétique d’auteurs, et, pour chaque auteur, chronologiquement. Il est recommandé de limiter au strict minimum les autocitations. pour un article, ne pas dépasser une trentaine de références. Lorsque le texte renvoie à l’une de ces références, l’année de la publication est signalée à la suite du nom de l’auteur (entre crochets, en caractères normaux, avec l’indication de la page chaque fois que c’est nécessaire). Exemple : [Martin (1959), p. 54-59]. À la fin de l’article, les ouvrages ou articles sont présentés conformément aux normes et conventions professionnelles de l’édition scientifique des revues économiques : a) Pour un ouvrage : NOM initiale(s) du prénom, année de la publication [entre crochets], Titre de l’ouvrage en italique, Éditeur, Lieu de l’édition. exemple : DUPONT J. [1999], Économie générale, Éditions du Panthéon, Paris. 31•Note aux auteurs 30/10/09 NOTE AUX AUTEURS 7:32 Page 1969 1969 b) Pour un article : NOM initiale(s) du prénom, année de la publication [entre crochets], Titre de l’article « entre guillemets », Titre de la revue ou de l’ouvrage en italique, Série, numéro, tome, volume, mois, pages (un seul p.). exemple : DURAND F. [1982], « Marché et concurrence », Économie appliquée, tome XXXV, n° 2, p. 175-192. c) Pour Économies et Sociétés, il faut signaler le nom de la série et le n° dans la série ; exemple : DUBOIS J. [1992], « Les Pays de l’Est », Économies et Sociétés, G. 44, avril-mai, p. 40-61. 5 – Tous les éléments illustratifs (tableaux, figures, dessins, schémas, graphiques, etc.) doivent être fournis en même temps que l’article (c’est-à-dire insérés dans le corps de l’article ou dans les annexes s’il y a lieu) et séparément (c’est-à-dire sur des pages séparées, à distinguer des annexes) : – sous la forme d’un document ORIGINAL, de bonne qualité technique, – au format de la revue (13.5 x 21.5 cm maximum, moins les marges) et directement reproductible. N.B. : Le titre des tableaux figure au-dessus du tableau ; le titre des graphiques et autres illustrations figure en dessous. 6 – La qualité technique de présentation des manuscrits doit être respectée : • le texte doit être soigneusement rédigé, sans fautes d’orthographe ou d’accentuation (les capitales doivent être accentuées) ; • le secrétariat de la revue refusera tout texte dans lequel le nombre de fautes (orthographe, accents, ponctuation) est trop grand ou la présentation non conforme aux spécifications ci-dessus. 7 – Le texte doit nous être envoyé par fichier électronique (Word). Pour des raisons de coût et de délai, aucune correction d’auteur ne peut être admise au stade de l’imprimerie (l’imprimeur ne fournit pas d’épreuves). 31•Note aux auteurs 1970 30/10/09 7:32 Page 1970 NOTE AUX AUTEURS 8 – Les textes seront examinés par le comité de rédaction de la série. S’ils sont jugés conformes à la politique éditoriale de la revue, ils font alors l’objet d’une procédure classique d’évaluation par 1 ou 2 referees selon la formule retenue (cf. Politique éditoriale). Après navette éventuelle, le comité de rédaction décidera seul, en dernier ressort, de la publication de l’article. Jean-Louis Rastoin, Directeur de la série Merci d’adresser vos articles (fichier Word via messagerie électronique) à : Myriam Haider [email protected] 32•AdressesProf. 11/09 30/10/09 7:33 Page 1971 LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES DES AUTEURS Philippe AURIER Université Montpellier 2, CR2M place Eugène Bataillon 34095 Montpellier cedex 5 [email protected] Hélène BASQUIN CIRAD avenue Agropolis 34398 Montpellier Michel BENOIT-CATTIN CIRAD, UMR 1110 Moisa TA C-99/15 34398 Montpellier cedex 5 [email protected] Nicolas BRICAS CIRAD, UMR 1110 Moisa TA C-99/15 34398 Montpellier cedex 5 Natacha CALANDRE Centre Edgar Morin IIAC EHESS - CNRS 22 rue d’Athènes 75009 Paris [email protected] Jean-Louis FUSILLIER CIRAD avenue Agropolis 34398 Montpellier [email protected] Pascal GROUIEZ Université de Reims Champagne Ardenne OMI, bât. Recherche 57 bis rue Pierre Taittinger 51096 Reims cedex [email protected] Patricia GURVIEZ AgroParisTech 1 avenue des Olympiades 91744 Massy [email protected] Philippe HUGON Université Paris X Nanterre 200 avenue de la République 92000 Nanterre [email protected] 32•AdressesProf. 11/09 30/10/09 1972 7:33 Page 1972 LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES Frédéric LANÇON CIRAD, UR Arena TA C88/15 avenue d’Agropolis 34398 Montpellier cedex 5 [email protected] Étienne MONTAIGNE CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa 3191 route de Mende 34093 Montpellier cedex 5 [email protected] Paule MOUSTIER CIRAD, UMR 1110 Moisa TA C-99/15 34398 Montpellier cedex 5 [email protected] Sylvain Bertelet NGASSAM Université de Dschang BP 110 Dschang (Cameroun) [email protected] Guy Blaise NKAMLEU Banque Africaine de Développement BP 323 1002 Tunis-Belvédère (Tunisie) [email protected] Laurent PARROT CIRAD avenue Agropolis 34398 Montpellier [email protected] Jean-Louis RASTOIN Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa 2 place Pierre Viala 34060 Montpellier cedex 1 [email protected] Béatrice SIADOU-MARTIN Lucie SIRIEIX Université Montpellier 2, CR2M IUT de Montpellier place Eugène Bataillon 34095 Montpellier cedex 5 [email protected] Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa 2 place Pierre Viala 34060 Montpellier cedex 1 [email protected] 32•AdressesProf. 11/09 30/10/09 7:33 Page 1973 LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES Jean-François SOUFFLET 1973 ENESAD, UMR 1041 Cesaer 26 bd Docteur Petitjean 21000 Dijon Ludovic TEMPLE CIRAD, UMR 1110 Moisa TA C-99/15 34398 Montpellier cedex 5 [email protected] Jean-Marc TOUZARD INRA, UMR 951 Innovation 2 place Viala 34060 Montpellier cedex 1 [email protected] Laurent TROGNON AgroParisTech-Engref, centre de Clermont-Ferrand 24 av. des Landais - BP 90054 63171 Aubière cedex [email protected] 32•AdressesProf. 11/09 30/10/09 7:33 Page 1974