AG 31 - 2009 - CHAIRE-UNESCO Alimentations du monde

publicité
**Couverture+IV Couv 11/09
29/10/09
15:19
Page 1
SOMMAIRE
J.L. RASTOIN
Prospective alimentaire
1723
ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES
N. CALANDRE,
Les perceptions des risques nutritionnels
N. BRICAS, L. SIRIEIX
1735
P. GURVIEZ,
L. SIRIEIX
1761
Éthique et acteurs du système alimentaire
B. SIADOU-MARTIN, Impacts de la justice sur l’évaluation du service
P. AURIER
DOSSIER. CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES.
APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL
1781
L. TEMPLE,
F. LANÇON,
É. MONTAIGNE,
J.F. SOUFFLET
Introduction à l’analyse de filières
1803
J.L. FUSILLIER,
L. PARROT,
M. BENOIT-CATTIN,
H. BASQUIN
La filière sucre dans l’économie de la Réunion
1815
P. MOUSTIER
Performance des filières alimentaires au Vietnam
1835
P. GROUIEZ
Quelles constructions de filières en Russie ?
1857
L. TROGNON
Filière, supply chain et stratégie de distinction
1879
TOME
XLIII
N° 11
NOV
2009
ÉCONOMIES
ET SOCIÉTÉS
SÉRIE « SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES »
1. ARTICLES
2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS
L. TEMPLE,
S.B. NGASSAM,
G.B. NKAMLEU
Filières d’approvisionnement en ignames de Douala
1899
P. HUGON
Dynamique des filières cotonnières en Afrique
1913
J.M. TOUZARD
Régulation et dynamiques agroalimentaires
1923
NOTE DE LECTURE
RIODD, IFSAM
CIRAD, INRA,
Montpellier SupAgro
Shane Hamilton, « Analysing Commodity Chains :
Linkages or Restraints ? » in « Food Chains : from
Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R.
Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press,
Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28)
1937
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été
« Management environnemental et des agro-ressources », Amiens-Paris, 4-10 juillet 2010
1945
ISDA 2010, Symposium international « Innovation et
Développement Durable dans l’Agriculture et
l’Agroalimentaire », Montpellier, 28 juin-1er juillet 2010
1951
APPELS À CONTRIBUTIONS
POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS - CAHIERS DE L'ISMÉA
Tome XLIII, n° 11, novembre 2009,
Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31.
Directeur de la Série : Jean-Louis Rastoin.
ISSN 0013.05.67
CPPAP : n° 0909 K 81809
PRIX : 31 €
AG
31
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
É. MONTAIGNE
N° 11/2009
**Couverture+IV Couv 11/09
29/10/09
15:19
Page 1
SOMMAIRE
J.L. RASTOIN
Prospective alimentaire
1723
ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES
N. CALANDRE,
Les perceptions des risques nutritionnels
N. BRICAS, L. SIRIEIX
1735
P. GURVIEZ,
L. SIRIEIX
1761
Éthique et acteurs du système alimentaire
B. SIADOU-MARTIN, Impacts de la justice sur l’évaluation du service
P. AURIER
DOSSIER. CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES.
APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL
1781
L. TEMPLE,
F. LANÇON,
É. MONTAIGNE,
J.F. SOUFFLET
Introduction à l’analyse de filières
1803
J.L. FUSILLIER,
L. PARROT,
M. BENOIT-CATTIN,
H. BASQUIN
La filière sucre dans l’économie de la Réunion
1815
P. MOUSTIER
Performance des filières alimentaires au Vietnam
1835
P. GROUIEZ
Quelles constructions de filières en Russie ?
1857
L. TROGNON
Filière, supply chain et stratégie de distinction
1879
TOME
XLIII
N° 11
NOV
2009
ÉCONOMIES
ET SOCIÉTÉS
SÉRIE « SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES »
1. ARTICLES
2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS
L. TEMPLE,
S.B. NGASSAM,
G.B. NKAMLEU
Filières d’approvisionnement en ignames de Douala
1899
P. HUGON
Dynamique des filières cotonnières en Afrique
1913
J.M. TOUZARD
Régulation et dynamiques agroalimentaires
1923
NOTE DE LECTURE
RIODD, IFSAM
CIRAD, INRA,
Montpellier SupAgro
Shane Hamilton, « Analysing Commodity Chains :
Linkages or Restraints ? » in « Food Chains : from
Farmyard to Shopping Cart » / W. Belasco and R.
Horowitz (eds), University of Pennsylvania Press,
Philadelphia, dec. 2008, 296 p. (chap. 3, p. 16-28)
1937
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été
« Management environnemental et des agro-ressources », Amiens-Paris, 4-10 juillet 2010
1945
ISDA 2010, Symposium international « Innovation et
Développement Durable dans l’Agriculture et
l’Agroalimentaire », Montpellier, 28 juin-1er juillet 2010
1951
APPELS À CONTRIBUTIONS
POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS - CAHIERS DE L'ISMÉA
Tome XLIII, n° 11, novembre 2009,
Série « Systèmes agroalimentaires », AG, n° 31.
Directeur de la Série : Jean-Louis Rastoin.
ISSN 0013.05.67
CPPAP : n° 0909 K 81809
PRIX : 31 €
AG
31
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
É. MONTAIGNE
N° 11/2009
**p.II+III Couv 11/09
30/10/09
7:48
Page 1
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
CAHIERS DE L’ISMÉA
Revue fondée en 1944 par François Perroux
Comité de Direction
Henri Bartoli (†), Gérard de Bernis, Président de l’Isméa, Rolande
Borrelly (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Albert
Broder (Université de Créteil), Jean-Marie Chevalier (Université
Paris IX - Dauphine), Jean Coussy (EHESS), Jean-Claude Delaunay
(Université de Marne-la-Vallée), Renato Di Ruzza (Université Aix-enProvence I), Pierre Duharcourt (Université de Marne-la-Vallée), Louis
Fontvieille (Université Montpellier I), Bernard Gerbier (Université
Pierre Mendès France - Grenoble II), Jérôme Lallement (Université
Paris 5), Christian Le Bas (Université Lumières - Lyon II), Jacques
Léonard (Université de Poitiers), François Michon (Université
Paris I), Jean-Louis Rastoin (SupAgro, Montpellier), Jean-Claude
Toutain (CNRS), Sylvain Wickham (Isméa).
Secrétariat de la revue
ISMÉA, 76 rue de Reuilly, 75012 Paris.
Tél. : 33 (0) 1 55 07 43 82 - Fax : 33 (0) 1 55 07 43 97.
e-mail : [email protected]
Directeur de la Publication
Gérard de Bernis, Président de l’ISMÉA
Administration - Abonnements - Diffusion
Les Presses de l’ISMÉA vous sont reconnaissantes de noter que, à
partir de 1999, les abonnements aux revues Économie appliquée et
Économies et Sociétés sont à souscrire auprès des « Presses de
l’ISMÉA » dont l’adresse postale est : 38, rue Dunois 75013 Paris.
Abonnement annuel à « Économies et Sociétés »
(12 numéros) :
France : 229 euros.
Étranger : 245 euros (port avion en sus : 39 euros).
Pour les numéros publiés avant 1968, s’adresser à Kraus Reprint,
Millwood, New York, 10546 USA.
Imprimerie PRÉSENCE GRAPHIQUE, 37260 Monts.
Les sommaires de tous les numéros des revues Économie
appliquée (à partir de 1970) et Économies et Sociétés (à partir
de 1980) sont disponibles sur le Netsite : www.ismea.org
La revue mensuelle Économies et Sociétés (Cahiers de
l’Isméa) publie actuellement 13 séries (voir liste ci-après), dont
douze couvrent un champ économique spécifique.
Ces séries répondent aux exigences suivantes :
– défricher les champs nouveaux de la connaissance dès qu’ils
apparaissent comme réalité à interpréter ;
– développer des méthodes propres et rigoureuses, adaptées à
leur objet ;
– insérer l’économie politique dans l’ensemble des sciences
sociales afin qu’elle exerce sa fonction spécifique dans le dialogue
pluridisciplinaire nécessaire.
Chaque numéro est publié sous la responsabilité du Directeur de
la série. Celui-ci assume toute la partie scientifique de la préparation du Cahier, et en particulier la désignation des référés. La même
procédure s’applique aux textes présentés à des colloques.
La Direction de l’ISMÉA peut, si le calendrier des diverses séries
s’y prête, et si l’occasion le rend utile, publier un cahier Hors Série.
La décision concernant cette publication est prise par un groupe de
quatre membres du Comité de Direction choisis en fonction du secteur de leur compétence. Ce groupe assume alors les tâches et la
responsabilité d’un Directeur de série.
Liste des séries vivantes
Socio-Économie du travail (AB), Histoire économique quantitative
(AF), Systèmes agroalimentaires (AG), Économie et Gestion des
Services (EGS), Économie de l’énergie (EN), Développement, croissance et progrès (F), Économie de l’entreprise (K), Philosophie et
science de l’homme (M), Monnaie (ME), Relations économiques
internationales (P), Histoire de la pensée économique (PE), Théorie
de la régulation (R), Dynamique technologique et organisation (W),
Hors série (HS).
**p.II+III Couv 11/09
30/10/09
7:48
Page 1
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
CAHIERS DE L’ISMÉA
Revue fondée en 1944 par François Perroux
Comité de Direction
Henri Bartoli (†), Gérard de Bernis, Président de l’Isméa, Rolande
Borrelly (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), Albert
Broder (Université de Créteil), Jean-Marie Chevalier (Université
Paris IX - Dauphine), Jean Coussy (EHESS), Jean-Claude Delaunay
(Université de Marne-la-Vallée), Renato Di Ruzza (Université Aix-enProvence I), Pierre Duharcourt (Université de Marne-la-Vallée), Louis
Fontvieille (Université Montpellier I), Bernard Gerbier (Université
Pierre Mendès France - Grenoble II), Jérôme Lallement (Université
Paris 5), Christian Le Bas (Université Lumières - Lyon II), Jacques
Léonard (Université de Poitiers), François Michon (Université
Paris I), Jean-Louis Rastoin (SupAgro, Montpellier), Jean-Claude
Toutain (CNRS), Sylvain Wickham (Isméa).
Secrétariat de la revue
ISMÉA, 76 rue de Reuilly, 75012 Paris.
Tél. : 33 (0) 1 55 07 43 82 - Fax : 33 (0) 1 55 07 43 97.
e-mail : [email protected]
Directeur de la Publication
Gérard de Bernis, Président de l’ISMÉA
Administration - Abonnements - Diffusion
Les Presses de l’ISMÉA vous sont reconnaissantes de noter que, à
partir de 1999, les abonnements aux revues Économie appliquée et
Économies et Sociétés sont à souscrire auprès des « Presses de
l’ISMÉA » dont l’adresse postale est : 38, rue Dunois 75013 Paris.
Abonnement annuel à « Économies et Sociétés »
(12 numéros) :
France : 229 euros.
Étranger : 245 euros (port avion en sus : 39 euros).
Pour les numéros publiés avant 1968, s’adresser à Kraus Reprint,
Millwood, New York, 10546 USA.
Imprimerie PRÉSENCE GRAPHIQUE, 37260 Monts.
Les sommaires de tous les numéros des revues Économie
appliquée (à partir de 1970) et Économies et Sociétés (à partir
de 1980) sont disponibles sur le Netsite : www.ismea.org
La revue mensuelle Économies et Sociétés (Cahiers de
l’Isméa) publie actuellement 13 séries (voir liste ci-après), dont
douze couvrent un champ économique spécifique.
Ces séries répondent aux exigences suivantes :
– défricher les champs nouveaux de la connaissance dès qu’ils
apparaissent comme réalité à interpréter ;
– développer des méthodes propres et rigoureuses, adaptées à
leur objet ;
– insérer l’économie politique dans l’ensemble des sciences
sociales afin qu’elle exerce sa fonction spécifique dans le dialogue
pluridisciplinaire nécessaire.
Chaque numéro est publié sous la responsabilité du Directeur de
la série. Celui-ci assume toute la partie scientifique de la préparation du Cahier, et en particulier la désignation des référés. La même
procédure s’applique aux textes présentés à des colloques.
La Direction de l’ISMÉA peut, si le calendrier des diverses séries
s’y prête, et si l’occasion le rend utile, publier un cahier Hors Série.
La décision concernant cette publication est prise par un groupe de
quatre membres du Comité de Direction choisis en fonction du secteur de leur compétence. Ce groupe assume alors les tâches et la
responsabilité d’un Directeur de série.
Liste des séries vivantes
Socio-Économie du travail (AB), Histoire économique quantitative
(AF), Systèmes agroalimentaires (AG), Économie et Gestion des
Services (EGS), Économie de l’énergie (EN), Développement, croissance et progrès (F), Économie de l’entreprise (K), Philosophie et
science de l’homme (M), Monnaie (ME), Relations économiques
internationales (P), Histoire de la pensée économique (PE), Théorie
de la régulation (R), Dynamique technologique et organisation (W),
Hors série (HS).
01•Prem.Page.11/09
29/10/09
15:20
Page I
ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
Éditorial
Économie, filières
et marchés agroalimentaires
Dossier.
Concepts et méthodes en analyse de filières.
Application à l’agriculture,
aux agro-industries et à l’espace rural
1. Articles
2. Expertises et libres propos
Note de lecture
Manifestations scientifiques
Appels à contributions
Politique éditoriale et note aux auteurs
Cahiers de l’ISMÉA
Série « Systèmes agroalimentaires »,
A.G., n° 31
Novembre 2009
01•Prem.Page.11/09
29/10/09
15:20
Page II
Série « Systèmes agroalimentaires »
Comité scientifique
– Pr Michael Besch (Technische Universität München)
– Pra Felisa Cena (universidad de Córdoba)
– Pr Jean Cordier (École nationale supérieure agronomique, Rennes)
– Dr Pierre Combris (INRA, Ivry)
– Pr Roberto Fanfani (università di Bologna)
– Pr Hervé Fenneteau (université Montpellier III)
– Pr Istvan Feher (université de Gödöllö)
– Dr Philippe Marchenay (CNRS, Bourg-en-Bresse)
– Pr Michel Marchesnay (université Montpellier I)
– Pr Claude Ménard (université Paris I)
– Pr Thomas Reardon (Michigan State University)
– Pr Denis Requier-Desjardins (université
de St-Quentin-en-Yvelines)
– Pr Jacques Viaene (université de Gand)
– Pr Decio Zilbersztajn (universidade de São Paulo)
Comité de rédaction
– Dr Céline Bignebat (INRA, Montpellier)
– Dr Jean-Marie Codron (INRA, Montpellier)
– Pr François d’Hauteville (Montpellier SupAgro)
– Pr Gilles Paché (université Aix-Marseille II)
– Dr Martine Padilla (Ciheam-Iam, Montpellier)
– Pr Roland Pérez (université Montpellier I)
– Pr Jean-Louis Rastoin (Montpellier SupAgro), directeur de la Série
– Dr Pierre Sans (ENV, Toulouse)
(en cours d’élargissement)
Secrétariat
Myriam Haider
[email protected]
02•Remerciements 11/09
29/10/09
15:22
Page III
Remerciements
Le comité de rédaction de la Série « Systèmes agroalimentaires »
remercie vivement les spécialistes qui ont bien voulu apporter leur
contribution à la réalisation de ce numéro de la revue Économies et
Sociétés :
Jean-Marie BOISSON
Jean-Pierre BOUTONNET
Geneviève CAZES-VALETTE
Didier CHABAUD
Emmanuelle CHEYNS
Franck COCHOY
Jacques COLIN
Françoise DE BRY
Marion DEMOSSIER
Johny EGG
Nathalie FABBE-COSTES
Alain FALQUE
Geneviève GARCIA-PAPET
Mariette GERBER
David GOTTELAND
Jean-Jacques HERVÉ
Florence JACQUET
Pierre-Benoît JOLY
Raymond JUSSAUME
Michel LABONNE
Dominique LASSARRE
Laurent LIVOLSI
Claude MÉNARD
Florence PALPACUER
Pascal PETIT
Alain POULIQUEN
Denis REQUIER-DESJARDINS
Loïc SAUVÉE
Francis TALLEC
02•Remerciements 11/09
29/10/09
15:22
Page IV
03•Sommaire 11/09
27/10/09
7:50
Page V
SOMMAIRE
J.L. RASTOIN
Prospective alimentaire
1723
ÉCONOMIE, FILIÈRES ET MARCHÉS AGROALIMENTAIRES
N. CALANDRE,
N. BRICAS,
L. SIRIEIX
Comment les mères perçoivent-elles les risques
nutritionnels de leurs enfants ? Une approche
par le paradigme psychométrique au Vietnam
1735
P. GURVIEZ,
L. SIRIEIX
L’éthique, un enjeu pour les acteurs du système
alimentaire ?
1761
B. SIADOUMARTIN,
P. AURIER
Sentiments de justice et impacts sur l’évaluation
du service : le vendredi soir au restaurant avec
des amis
1781
DOSSIER : CONCEPTS ET MÉTHODES EN ANALYSE DE FILIÈRES
APPLICATION À L’AGRICULTURE, AUX AGRO-INDUSTRIES ET À L’ESPACE RURAL
L. TEMPLE,
F. LANÇON,
É. MONTAIGNE,
J.F. SOUFFLET
Introduction aux concepts et méthodes d’analyse de filières agricoles et agro-industrielles
1803
1. ARTICLES
Les effets économiques d’une filière de producJ.L. FUSILLIER,
tion évalués par une matrice de comptabilité
L. PARROT,
M. BENOIT-CATTIN, sociale : le cas du sucre à l’île de la Réunion
1815
H. BASQUIN
P. MOUSTIER
Organisation et performance des filières alimentaires : évolution des cadres conceptuels et
application au Vietnam
1835
P. GROUIEZ
Quelles constructions de filières dans l’agriculture russe ? L’exemple d’Orel
1857
L. TROGNON
Filière, supply chain et stratégies : de la différenciation à la distinction
1879
2. EXPERTISES ET LIBRES PROPOS
L. TEMPLE,
S.B. NGASSAM,
G.B. NKAMLEU
Filières d’approvisionnement en ignames de
Douala et changements technologiques
1899
P. HUGON
Dynamique des filières cotonnières en Afrique
1913
03•Sommaire 11/09
27/10/09
J.M. TOUZARD
7:50
Page VI
Théorie de la régulation et transformations
agro-alimentaires actuelles : perspectives
ouvertes par l’ouvrage de Catherine Laurent et
Christian du Tertre « Secteurs et territoires dans
les régulations émergentes »
1923
NOTE DE LECTURE
É. MONTAIGNE
Shane Hamilton, « Analysing Commodity
Chains : Linkages or Restraints ? » in « Food
Chains : from Farmyard to Shopping Cart » / W.
Belasco and R. Horowitz (eds), University of
Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008,
296 p. (chap. 3, p. 16-28)
1937
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
RIODD, IFSAM
EDIEMAR 2010, École doctorale internationale d’été « Management environnemental et des
agro-ressources », Amiens-Paris, 04-10/07/2010 1945
CIRAD, INRA,
Montpellier SupAgro
ISDA 2010, Symposium international « Innovation et Développement Durable dans
l’Agriculture et l’Agroalimentaire », Montpellier, 28/06 – 01/07/2010
1951
APPELS À CONTRIBUTIONS
POLITIQUE ÉDITORIALE ET NOTE AUX AUTEURS
04•Contents 11/09
27/10/09
7:46
Page VII
CONTENTS
Food Forecast
J.L. RASTOIN
1723
ECONOMIC, AGRO-FOOD CHAINS AND MARKETS
N. CALANDRE,
N. BRICAS,
L. SIRIEIX
How do mothers perceive nutritional risks for
their child? A psychometric approach in
Vietnam
1735
P. GURVIEZ,
L. SIRIEIX
Is ethics a significant issue for the food system
actors?
1761
B. SIADOUMARTIN,
P. AURIER
A Friday evening at restaurant with friends: perceived justice and its impacts on service evaluation
1781
SPECIAL ISSUE: CONCEPTS AND METHODS IN COMMODITY ANALYSIS
APPLICATION TO AGRICULTURE, AGRO-INDUSTRIES AND RURAL AREAS
L. TEMPLE,
F. LANÇON,
É. MONTAIGNE,
J.F. SOUFFLET
Introduction to the concepts and methods of
agricultural and agroindustrial commodity chain
analysis
1803
1. ARTICLES
The economic effects of a commodity chain
J.L. FUSILLIER,
assessed with a social accounting matrix : the
L. PARROT,
M. BENOIT-CATTIN, case of sugar in Reunion island
1815
H. BASQUIN
P. MOUSTIER
Governance and performance of food chains in
Vietnam
1835
P. GROUIEZ
What kind of agro-food industries in the
Russian agriculture ? The case of Orel
1857
L. TROGNON
Food Chain, Supply Chain and Strategies: from
Differentiation to Distinction
1879
2. SECTORIAL NOTES AND COMMENTARIES
L. TEMPLE,
S.B. NGASSAM,
G.B. NKAMLEU
Douala Yam Supply Chain and Technological
Changes
1899
P. HUGON
Dynamics of cotton chain value in Africa
1913
04•Contents 11/09
27/10/09
J.M. TOUZARD
7:46
Page VIII
Regulation theory and current agrifood transformations. Perspectives open by Catherine
Laurent’s and Christian Du Tertre’s book
“Sectors and territories in emerging regulations” 1923
BOOK REVIEW
É. MONTAIGNE
Shane Hamilton, “Analysing Commodity
Chains : Linkages or Restraints ?” in “Food
Chains : from Farmyard to Shopping Cart” / W.
Belasco and R. Horowitz (eds), University of
Pennsylvania Press, Philadelphia, dec. 2008,
296 p. (chap. 3, p. 16-28)
1937
SCIENTIFIC MEETINGS
RIODD, IFSAM
EDIEMAR 2010, International doctoral summer school “Environmental and agro-resources
management”, Amiens-Paris, 04-10/07/2010
1945
CIRAD, INRA,
Montpellier SupAgro
ISDA 2010, International Symposium “Facing
the Crisis and Growing Uncertainties: Can
Science and Societies Reinvent Agricultural and
Food Systems to Achieve Sustainability?”,
Montpellier, 28/06 – 01/07/2010
1951
CALLS FOR PAPERS
05•Editorial
29/10/09
15:23
Page 1723
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1723-1732
Éditorial.
Prospective alimentaire
Jean-Louis Rastoin
Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa
Le nombre de sous-alimentés est passé d’environ 30 % de la population mondiale autour de 1930 à 14 % au début des années 2000, ce
qui témoigne d’un progrès relatif, même si les chiffres en valeur absolue montrent une augmentation sensible du fait de la croissance démographique. Par ailleurs, le pourcentage fatidique de la faim est remonté
à un peu plus de 15 % en 2009 en franchissant la borne emblématique
d’un milliard de personnes en raison de la flambée des prix observée
en 2007-2008. Enfin, la population du globe doit encore progresser de
40 % entre 2010 et 2050. On doit donc s’interroger sur l’avenir alimentaire de la planète. Pour cela, on peut utiliser la méthode de la
prospective qui consiste à envisager des futurs possibles à l’aide de
scénarios destinés à éclairer les choix d’acteurs. Dans un but pédagogique, nous simplifierons un exercice qui peut s’avérer très complexe
en raison du nombre considérable de variables et d’hypothèses en jeu,
en ne retenant que deux scénarios. Le premier, classique, consiste à
envisager un prolongement des tendances passées et s’intitule généralement « scénario au fil de l’eau ». Le second part du constat d’impasses ou d’interrogations majeures sur les conséquences du premier
et propose donc des ruptures dialectiques et peut être nommé « scénario alternatif ». Ce scénario est aussi normatif, dans la mesure où il va
proposer des objectifs suggérés par des considérations de développement durable 1. En ce sens, le concept de développement durable
1 Un programme de recherche récent mené par des équipes de l’Inra et du Cirad et
intitulé « Agrimonde » a utilisé une telle méthode en la fondant sur une base de données
quantitative comportant des bilans alimentaires ressources/emplois sur 6 macro-régions
du monde [Chaumet et al. (2009)].
05•Editorial
29/10/09
1724
15:23
Page 1724
J.-L. RASTOIN
« authentique » implique une équité planétaire dont les quelques
chiffres donnés plus haut montrent bien qu’elle est encore loin
d’exister.
LE SYSTÈME ALIMENTAIRE AGRO-INDUSTRIEL : ÉTAT DES LIEUX
Le système alimentaire peut s’analyser à travers, d’une part, la
structure et les pratiques de consommation, d’autre part, le modèle
technico-économique de production et de commercialisation des aliments [Rastoin et Ghersi (2010)].
Ce qui caractérise aujourd’hui tant la consommation que la production alimentaire, c’est la tendance à la généralisation d’un modèle
industrialisé de masse qui se « tertiarise ». La consommation et la production de masse sont le résultat de la diffusion du processus d’industrialisation à l’ensemble des filières qui composent le système alimentaire. La tertiarisation signifie que le contenu en services des produits
alimentaires devient plus important que la base agricole et que le processus de transformation des matières premières issue de cette base.
Ainsi, en France, le prix final d’un aliment se décompose en 20 % pour
l’agriculture, 35 % pour l’énergie et les industries, 45 % pour le secteur tertiaire (principalement la logistique et la communication).
Ce modèle agro-industriel tertiarisé (MAIT) est piloté par la grande
distribution. Les spécialistes estiment qu’à partir de 5 000 dollars de
revenu par tête en pouvoir d’achat local peut démarrer la consommation de masse de produits industrialisés vendables dans les supermarchés. Sur la base de ce critère, le MAIT concerne aujourd’hui environ
la moitié de la population mondiale : la totalité des pays à haut revenu
(35 000 dollars en parité de pouvoir d’achat par tête en moyenne 20052007 selon la Banque mondiale), soit un peu plus d’un milliard de personnes, 45 % de la population des pays à revenu moyen, c’est-à-dire
les classes moyennes et riches de ces pays (plus de 6 800 dollars par
tête), soit un peu moins de 2 milliards de personnes et 5 % de la population des pays à faible revenu (classes aisées uniquement), soit environ 25 millions d’individus. Au total, ces clients du MAIT sont au
nombre de 3 milliards 2. Il s’agit essentiellement d’urbains. L’autre
moitié de la population mondiale est rurale et se trouve encore dans
l’âge agricole et dans la pauvreté. Dans la trajectoire économique mondiale, on se situe donc à un moment singulier de l’histoire et la ques2
Estimations réalisées à partir de la base de données WDI de la Banque Mondiale.
05•Editorial
29/10/09
ÉDITORIAL
15:23
Page 1725
1725
tion posée est bien celle du « basculement du monde » : va-t-on observer une généralisation du système alimentaire agro-industriel tertiarisé
(scénario de continuité) ou, au contraire, une stagnation de ce modèle
et l’émergence d’un autre (scénario de rupture) ?
Du point de vue de la consommation, le MAIT se caractérise par la
convergence mondiale des paniers de produits achetés, avec, d’une
part, des produits globaux adaptés à la marge au plan sensoriel (visuel
et gustatif) aux préférences locales (par exemple, le steak haché de
bœuf, les morceaux de poulet, la pizza, les yaourts, les sodas du type
Coca Cola ou les eaux embouteillées) et, d’autre part, des produits
régionaux industrialisés (riz en Asie, couscous dans les pays du sud et
de l’est de la Méditerranée, pommes de terre en Europe, etc.). Tous ces
produits ont pour caractéristique d’être standardisés et marketés, en
vue d’une utilisation rapide nécessitée par la croissance du travail
féminin hors domicile (précuisinage et conditionnement sous emballage) et d’une promotion publicitaire (utilisation de marques). Ces produits partagent une autre caractéristique, pour des raisons d’attractivité
par l’appétence ou pour des raisons techniques (transformation et
conservation) : le surdosage en sel, sucre, corps gras et certains dérivés
des céréales 3. Cette composition en fait souvent des aliments à « calories vides », très énergétiques, mais carencés en nutriments et oligoéléments essentiels à la santé. D’un autre coté, ces produits sont bon
marché du fait de leur industrialisation (économies d’échelle permettant de réduire les coûts fixes unitaires) et hygiéniquement sûrs car
soumis à des contrôles de qualité rigoureux. Ces contrôles, très onéreux, sont imposés par des règlements sanitaires publics et des normes
privées créées par les grandes firmes en vue d’éviter des accidents
désastreux pour leur image de marque.
On se trouve donc aujourd’hui dans une situation paradoxale avec
des denrées alimentaires hygiéniquement bien supérieures à que produisait autrefois le système agricole et artisanal, mais, en contrepartie,
génératrices de maladies d’origine alimentaire en forte croissance
(obésité, pathologies cardio-vasculaires, certains cancers, diabète).
Au total, la situation alimentaire mondiale est loin d’être satisfaisante aujourd’hui, avec, selon les relevés de la Fao, plus de 2 milliards
d’individus souffrant de carences énergétiques, protéiques ou en oligoélements et 1 milliard affecté par des pathologies liées à une diète
déséquilibrée (surcharge en calories et en nutriments néfastes), soit au
3 Certaines politiques agricoles, notamment en Europe et en Amérique du Nord ont
favorisé cette pratique en subventionnant massivement ces produits, ce qui en a réduit le
coût pour les industriels de l’agroalimentaire.
05•Editorial
29/10/09
1726
15:23
Page 1726
J.-L. RASTOIN
total près de la moitié de la population du globe. Certes le MAIT ne
peut être tenu comme seul responsable de ce « désordre alimentaire »,
de multiples causes économiques, sociales et institutionnelles étant à
l’œuvre. Le MAIT y contribue cependant de façon majeure, soit directement, à travers une offre de produits nutritionnellement peu satisfaisants et une pression commerciale lancinante, soit indirectement, du
fait de son caractère hégémonique sur les marchés qui conduit à une
captation croissante de ressources matérielles (notamment la terre et
l’eau) et immatérielles (en particulier la R&D et la formation) et à une
marginalisation de producteurs et de consommateurs essentiellement
dans les PVD. Un autre aspect négatif du modèle de consommation
agro-industriel est l’énorme gaspillage qu’il génère. Une étude britannique a calculé que, en 2005, le tiers de la nourriture achetée était jetée,
ce qui représente 10 milliards de £ ou l’équivalent de l’alimentation de
10 millions de personnes [Ventour (2008)].
Du point de vue de l’offre, le MAIT se caractérise par son intensification, sa spécialisation et sa concentration, sa financiarisation et sa
globalisation.
La spécialisation (par produit et filière) est dictée par l’impératif des
économies d’échelle. Elle s’accompagne d’une intensification (haut
niveau d’intrants naturels, chimiques et énergétiques conduisant à des
rendements élevés, par exemple 15 t de blé à l’hectare ou 1 million
d’euros de chiffre d’affaires par employé dans l’industrie des corps
gras), d’une concentration des entreprises (exode rural entraînant une
diminution du nombre d’exploitations agricoles) et d’une tendance à
l’oligopolisation dans l’industrie et le commerce : par exemple, une
douzaine de firmes leaders de l’agrofourniture contrôle 50 % du marché mondial des engrais, des semences et des pesticides). La financiarisation résulte des énormes besoins en capitaux exigés par la croissance interne et externe des entreprises, condition de leur survie sur
des marchés de masse. Les fonds internationaux d’investissement
assurant aujourd’hui une part prépondérante du financement des
grandes entreprises conduisent à des stratégies court-termistes et spéculatives pilotées par la valeur actionnariale. La globalisation se manifeste par la construction progressive d’un « grand marché » (les produits deviennent mondiaux et les activités des grandes firmes sont
segmentées et localisées sur différents sites géographiques au niveau
planétaire). Le MAIT est fondé sur des stratégies d’envergure (le mode
de production se caractérise par la recherche permanente de gains de
productivité par la substitution capital/travail). En conséquence, les
entreprises dominantes sont des firmes multinationales de grande taille
05•Editorial
29/10/09
15:23
Page 1727
ÉDITORIAL
1727
spécialisées dans l’agrofourniture, l’industrie agroalimentaire ou la
distribution.
Ces caractéristiques font que le MAIT a permis de réduire fortement
le prix réel des produits alimentaires, de les acheminer rapidement vers
les consommateurs et d’améliorer leur praticité. En même temps, ce
modèle va générer des externalités négatives, c’est-à-dire des nuisances ou des dysfonctionnements dont il n’assume pas actuellement
les coûts et qui donc pèsent encore peu dans les décisions stratégiques
des acteurs dominants. On peut mentionner sous cette rubrique l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation des paysages, l’hyperspécialisation des unités de production et l’hypersegmentation artificielle des produits qui augmentent leur prix et aggravent les
disparités économiques entre entreprises et entre consommateurs. Par
ailleurs, la libéralisation commerciale internationale et le faible coût
des transports de marchandises induisent des délocalisations d’activités vers des sites avantagés par les coûts comparatifs, à partir desquels
les produits sont exportés dans le monde entier. Par exemple, le poulet
congelé standard produit aux États-Unis ou au Brésil à moins d’un dollar vient concurrencer la volaille indigène au Maroc ou en Afrique au
sud du Sahara, détruisant des petits producteurs locaux qui vont grossir les bataillons de sans emplois des mégalopoles, mais altérant aussi
la typicité organoleptique des préparations traditionnelles et, à terme,
faisant disparaître le patrimoine culinaire régional. Enfin, le modèle
agro-industriel, du fait de la concentration de ses unités de production
(notamment dans le secteur animal « hors-sol »), présente une vulnérabilité élevée aux pandémies comme on a pu le constater lors de la
crise de l’ESB, à la fin des années 90, ou de la grippe aviaire, en 2006.
DEUX SCÉNARIOS CONTRASTÉS À L’HORIZON DE DEUX GÉNÉRATIONS
La prospective consiste à croiser des variables-clefs et des stratégies
d’acteurs.
Les variables de changement qui vont conditionner les scénarios de
la prospective alimentaire à l’horizon 2050 ont été identifiées et analysées dans une abondante littérature depuis l’ouvrage pionnier de Philippe Collomb (1999), en particulier dans les travaux de Louis Malassis (2006) et Michel Griffon (2006). On peut les lister de la façon
suivante :
– croissance démographique (3 millions de bouches supplémentaires à nourrir, principalement en Afrique et en Asie),
05•Editorial
29/10/09
15:23
Page 1728
1728
J.-L. RASTOIN
– changement climatique déplaçant les écosystèmes sur plusieurs
centaines de km,
– pression foncière accrue du fait de l’urbanisation, des usages non
agricoles de la terre et de la dégradation des sols,
– moins d’eau,
– moins de biodiversité,
– moins d’énergie fossile et de certaines matières premières (phosphates, par exemple),
– moins de main-d’œuvre dans l’agriculture et l’industrie, notamment agroalimentaire.
Les stratégies d’acteurs dépendent très fortement des forces en présence. Elles sont conditionnées, d’une part, par le cadre politique et
institutionnel national, régional et international et, d’autre part, par les
entreprises constituant, dans la grande majorité des secteurs économiques, un oligopole dominant. Pour le système alimentaire, l’OMC et
les politiques agricoles nationales ou communes (cas de l’Union européenne) définissent le cadre et les multinationales l’oligopole. La crise
qui a débuté en 2007-2008 va probablement marquer, pour une période
de 20 à 30 ans, un ralentissement de la dérégulation généralisée lancée
par Reagan et Thatcher à la fin des années 1970 au profit du marché et
un retour de l’encadrement de la sphère économique et financière sous
de nouvelles formes. Cette inflexion pourrait s’accompagner d’une
certaine atténuation du pouvoir des multinationales et d’un rééquilibrage en faveur d’entreprises de taille plus modeste et d’un développement local.
La combinaison de la pression des variables de changement et des
inflexions dans les cadres politiques et stratégiques crédibilise les deux
scénarios en les situant, a priori, dans un contexte de développement
durable qui s’impose désormais à tous, à travers quatre composantes
interdépendantes :
– la performance économique,
– la préservation écologique,
– l’équité sociale,
– la gouvernance participative.
Le premier scénario, « au fil de l’eau », s’inscrit dans la continuité
du MAIT. Au regard des quatre critères du développement durable, le
scénario tendanciel présente les caractéristiques suivantes :
05•Editorial
29/10/09
ÉDITORIAL
15:23
Page 1729
1729
– Économie : production de masse globalisée, aliments « médicalisés », filières longues, échanges internationaux intenses et
instables, très grandes entreprises.
– Écologie : fortes exigences énergétiques, bilan carbone souvent
défavorable (GES), épuisement des ressources naturelles (terres,
eau).
– Équité : bilan mitigé en termes de santé publique, avec une difficulté à réduire la sous-alimentation, une sûreté sanitaire accrue,
mais une progression inquiétante des maladies d’origine alimentaire et une plus grande vulnérabilité du fait de la concentration de
la production ; au plan social, on observe des délocalisations et
une amplification des disparités entre pays.
– Gouvernance : elle est principalement le fait du marché, avec un
poids considérable des FMN et de leurs lobbies.
LE SCÉNARIO ALTERNATIF : UN SYSTÈME ALIMENTAIRE DE PROXIMITÉ
Ce schéma, que l’on peut qualifier de modèle alimentaire de proximité (MAP, par opposition au modèle précédent fondé sur l’envergure), présente les caractéristiques suivantes :
– des chaînes de production dans lesquelles les distances entre producteurs de matières premières et transformateurs sont réduites
(Systèmes de production localisés, SPL ou clusters),
– des produits répondant aux différents critères organoleptiques (et
notamment le goût, alors que, dans le modèle agro-industriel, les
produits sont sélectionnés principalement sur le critère visuel) et
à contenu culturel lié à un territoire (produits de terroir pour lesquels on est en mesure d’indiquer une origine),
– des technologies adaptées à des formats d’usine réduits,
– des formes d’organisation fondées sur le partage de ressources et
de compétences à travers des réseaux d’entreprises de manière à
dégager des synergies entre acteurs,
– des circuits commerciaux multiples (GMS, vente directe, points
de vente collectifs de TPE/PME, canaux spécialisés du type bio,
etc.).
Cependant, cette approche n’intègre ni le calcul économique ni la
notion de temps. Un schéma productif basé sur de petites unités de production agricole et artisanale, malgré l’empathie qu’il peut susciter
05•Editorial
29/10/09
1730
15:23
Page 1730
J.-L. RASTOIN
dans un contexte de gigantisme des firmes agro-industrielles et agrotertiaires, signifierait immanquablement une forte baisse de la productivité du travail (et même de la terre et des équipements pour des raisons techniques et économiques). Or, il faut savoir qu’aujourd’hui un
agriculteur français nourrit près de 80 personnes dont 70 sur le territoire national, et qu’un employé de l’agroalimentaire approvisionne
125 consommateurs dont 100 en France. En d’autres termes, moins de
5 % de la population active sont engagés dans la production d’aliments
dans les pays riches. De plus, dans de nombreux pays, le système alimentaire est fortement intégré au marché international, ce qui signifie
que d’importantes et parfois vitales recettes financières proviennent de
l’étranger. En conséquence, une baisse des capacités d’exportation du
fait d’une moindre compétitivité internationale serait préjudiciable à la
croissance économique et à l’emploi. Ces évolutions marqueraient une
rupture avec les tendances observées depuis plus d’un siècle dans la
majorité des pays du monde. D’autres changements seraient nécessaires qui posent également des problèmes : investir davantage de
temps dans la préparation des repas (plutôt que d’utiliser du « prêt à
manger »), utiliser de nouveaux modes de commercialisation des produits (circuits courts). C’est pourquoi certains auteurs qualifient « d’alternatif » un tel modèle pour signifier des ruptures par rapport au
modèle dominant, tout en indiquant que le modèle alternatif serait en
réalité une combinaison de schémas et non pas une formule unique.
Au regard des critères du développement durable, les impacts du
modèle de proximité sont les suivants :
– Économie : production diversifiée, alimentation « naturelle »,
filières courtes, plus d’autosuffisance, occupation équilibrée du
territoire par un tissu dense de PME/TPE.
– Écologie : respect de la biodiversité, meilleure gestion des ressources renouvelables, bilan énergétique amélioré.
– Équité : objectif de santé publique atteint par un modèle de
consommation plus satisfaisant en termes nutritionnel et social,
contribution au développement local et à l’emploi.
– Gouvernance : de type mixte, marché et régulation par un renforcement des politiques publiques.
Finalement, la prospective du système alimentaire structurée autour
de deux scénarios contrastés permet d’avancer que le système alimentaire mondial agro-industriel tertiarisé ne répond pas de façon satisfaisante aux préconisations du développement durable. S’il parvient, globalement, à fournir des denrées à bas prix (efficacité économique),
05•Editorial
29/10/09
15:23
Page 1731
ÉDITORIAL
1731
c’est souvent au détriment de l’environnement naturel (externalités
négatives) et en générant des injustices sociales entre pays et, au sein
des pays, entre acteurs des filières qu’ils soient producteurs, commerçants ou consommateurs. En même temps, le scénario alternatif, s’il
satisfait à trois des exigences du développement durable, pose problème en ce qui concerne la compétitivité économique et l’aptitude à
fournir des aliments à bas prix.
VERS UN MODÈLE « HYBRIDE » DE TRANSITION ?
Le modèle quantitatif Agrimonde permet de tirer une conclusion
très importante : dans deux scénarios contrastés (c’est-à-dire dont les
hypothèses sont sensiblement différentes), les ressources en biomasse
agricole potentiellement mobilisables dans le monde permettent de
satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’habitants à l’horizon
2050. Par ailleurs, la plateforme Agrimonde, si elle permet de vérifier
la robustesse du modèle utilisé, à travers la démonstration de la cohérence des deux scénarios en interne et entre eux, ne prend pas en
compte des externalités susceptibles de modifier certaines conclusions.
Par exemple, le coût de l’énergie fossile devrait inciter à revoir les
fonctions de production et le coût, en termes de santé publique, du scénario tendanciel devrait pénaliser son modèle de consommation.
Dans ces conditions, il est indispensable de réfléchir à la façon d’organiser la transition vers un nouveau modèle de développement alimentaire « durable », c’est-à-dire respectant les 3 objectifs d’équité
sociale, de viabilité économique et écologique. Ce modèle ne peut
avoir qu’une forme hybride, combinant, selon les espaces géographiques, les mentalités et les comportements, des configurations
modernes (basées sur la globalisation) et post-modernes (basées sur
l’ancrage territorial), du fait de l’extrême diversité des situations observées. Pour cela, on ne peut tabler sur une régulation par le seul marché. Une véritable politique alimentaire doit être mise en place, qui
n’est consistante dans aucun pays du monde à ce jour.
Le système alimentaire pourrait ainsi constituer un domaine à privilégier pour amorcer les indispensables mutations dont dépend la qualité de notre avenir, comme le suggère la remarque très actuelle d’un
visionnaire du système alimentaire, Jean-Anthelme Brillat-Savarin
(1755-1826) : « La destinée des Nations dépend de la manière dont
elles se nourrissent ».
05•Editorial
29/10/09
15:23
Page 1732
1732
J.-L. RASTOIN
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAUMET J.M., DELPEUCH F., DORIN B., GHERSI G., HUBERT B., LE COTTY T.,
PAILLARD S., PETIT M., RASTOIN J.L., RONZON T., TREYER S. [2009], Agricultures et alimentations du monde en 2050 : Scénarios et défis pour un
développement durable, Inra-Cirad, Paris, 202 p.
COLLOMB P. [1999], Une voie étroite pour la sécurité alimentaire à l’horizon
2050, Economica et Fao.
GRIFFON M. [2006], Nourrir la planète : Pour une révolution doublement
verte, O. Jacob, Paris, 455 p.
MALASSIS L. [2006], Ils vous nourriront tous, les paysans du monde, si...,
Quae, Versailles, 462 p.
RASTOIN J.L., GHERSI G. [2010], Le système alimentaire mondial : concepts,
méthodes et dynamiques, Quae (à paraître)
REMESY C. [2005], Que mangerons-nous demain ?, O. Jacob, Paris, 304 p.
VENTOUR L. [2008], The food we waste, Food waste report v2, Wastes and
Resources Action Programme, WRAP, Banbury, 237 p.
06•Intercalaire I
30/10/09
7:23
Page 1733
Économie, filières
et marchés agroalimentaires
06•Intercalaire I
30/10/09
7:23
Page 1734
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1735
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1735-1760
Comment les mères perçoivent-elles
les risques nutritionnels de leurs enfants ?
Une approche par le paradigme psychométrique
au Vietnam
Natacha Calandre, EHESS, IIAC-Centre Edgar Morin
Nicolas Bricas, CIRAD, UMR 1110 Moisa
Lucie Sirieix, Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa
L’article présente plusieurs approches théoriques des relations
entre risques et comportement puis les résultats d’une application du
paradigme psychométrique à l’étude de la perception des risques
nutritionnels pour leurs enfants par des mères au Vietnam. En moyenne, les risques de malnutrition par carence ou d’obésité sont perçus de
façon assez similaire, considérés graves mais pourtant peu craints.
L’hétérogénéité des perceptions selon les mères montre les limites
d’une communication nutritionnelle non « ciblée ». Une typologie des
perceptions est proposée dans ce sens.
First the paper reviews theoretical approaches of the relation between risk and behaviour. Then it gives the results of a survey in
Vietnam based on a psychometric approach applied to children nutritional risk perception by mothers. Characteristics of malnutrition risk
are perceived quite similar to obesity ones, serious but however little
feared. The heterogeneity of perceptions according to the mothers
shows the need for a “targeted” nutritional communication. A typology of perceptions is proposed in this direction.
Remerciements : Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un doctorat encadré par
Lucie Sirieix et Nicolas Bricas. Les enquêtes ont été faites au Vietnam au sein du
Consortium de recherche Malica (Market and Agriculture Linkages for Cities in Asia)
avec l’appui scientifique de Muriel Figuié.
07•Calandre
27/10/09
1736
8:00
Page 1736
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
INTRODUCTION
Les risques de maladies liées à une malnutrition sont des priorités
de santé publique dans tous les pays compte tenu des coûts économiques et sociaux qu’ils engendrent. Dans les pays pauvres et surtout
les pays « en transition », caractérisés par une urbanisation rapide et
l’augmentation du niveau de vie de certains groupes de leur population, ces risques de morbidité sont liés à des situations de carences alimentaires mais aussi de « pléthore » [Popkin (2004)].
Dans tous les cas, l’intervention publique cherche à corriger les
déséquilibres entre apports nutritionnels et modes de vie en informant,
sensibilisant, éduquant les consommateurs. Dans les pays en transition, ces interventions sont rendues plus compliquées par le fait que
co-existent, parfois jusqu’au sein d’une même famille, des malnutritions résultant d’un déficit ou d’un excès pondéral [Maire et Delpeuch
(2000)].
De nombreux travaux montrent néanmoins que les impacts de telles
actions visant à changer les comportements sont insignifiants. L’objet
principal de cet article est de passer en revue, au travers de plusieurs
approches théoriques, les causes possibles de cette faible mise en pratique des recommandations nutritionnelles par les consommateurs.
Dans une première partie, nous présentons plusieurs approches possibles du risque. À partir de la théorie microéconomique de la décision,
le risque est évalué dans une perspective rationnelle, dont découlent les
modèles d’éducation et de comportement. Les travaux en psychologie
économique et sociale permettent de modérer l’hypothèse de maximisation du critère d’utilité. Enfin, la sociologie du risque et le paradigme
psychométrique offrent un cadre d’analyse et un outil méthodologique
intéressants pour caractériser et légitimer les perceptions « profanes »
du risque.
Dans une deuxième partie, nous présentons les résultats d’une étude
menée à Hanoi (Vietnam), pour comparer la perception du risque de
malnutrition (par carences) et du risque d’obésité par les mères d’enfants en âge scolaire, sur la base d’un questionnaire psychométrique
adapté aux risques nutritionnels.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1737
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1737
I. – DU MODÈLE STANDARD D’ANALYSE DES RISQUES
AU PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE
I.1. Évaluation du risque selon la théorie de la décision
et le critère d’utilité subjective espérée
Dans le modèle d’analyse des risques standard 1, dit « positiviste »,
le risque est apprécié par les « experts » chargés de son évaluation
selon la théorie microéconomique de la décision, en particulier la théorie de l’utilité subjective espérée [Von Neuman et Morgenstern
(1944) ; Savage (1954)]. Dans cette perspective de rationalité instrumentale (maximisation de la fonction d’utilité), le risque pour la santé
est une mesure d’utilité exprimant l’importance du risque (gravité en
termes de morts, dommages et/ou blessures) pondérée par la probabilité (incertitude) d’occurrence de la conséquence (perte) :
!
Risque = n (gravité *pi )
n : nombre de conséquences potentielles négatives pour la santé
La perception du risque est envisagée comme une composante inhérente à la formation de l’attitude (prédisposition positive ou négative)
envers le risque.
Cette analyse scientifique permet des estimations comparées des
risques servant à définir des recommandations ; un risque à faible probabilité, ayant de graves conséquences, peut être comparé à un risque
à haute probabilité mais à conséquences (coûts) plus limitées. Parmi
les mesures envisagées par les pouvoirs publics pour prévenir et lutter
contre les problèmes nutritionnels, la communication et l’éducation
nutritionnelles sont à la base des actions menées.
I.2. Communication sur les risques et présupposés théoriques
Sur cette base conceptuelle du risque, les interventions à visée éducative auprès de la population générale ou de groupes sensibles
(femmes, mères enceintes) visent à réduire la distorsion entre la perception « irrationnelle » du risque par le citoyen et sa perception
« objective », « réelle » par les experts (modèle du déficit de connaissance [Hansen et al. (2003)]).
1 Qui procède d’une analyse linéaire en trois phases : évaluation scientifique, gestion
et communication sur les risques.
07•Calandre
27/10/09
1738
8:00
Page 1738
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
Le modèle d’éducation dominant est le modèle KABP 2 (connaissance, attitudes, croyances, pratiques), promu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1989 (figure 1).
Ce modèle fait l’hypothèse qu’un apport d’information en amont
permettra, par une augmentation du stock de connaissance personnelle,
une modification des croyances et des attitudes, l’amélioration des pratiques alimentaires et donc de l’état nutritionnel.
Les recherches en sciences sociales, notamment les enquêtes KABP
sur la santé, ont montré que s’il est facile d’établir des relations entre
connaissances (de la nature du risque et des moyens de prévention et
de contrôle) et croyances ou attitudes face à la maladie [Moatti et al.
(1993)], les connaissances et les attitudes sont peu cohérentes avec les
comportements déclarés ou observés [Redmond et Griffith (2003)].
Alors que les messages sur la santé et la nutrition sont de plus en plus
massivement diffusés, de nombreuses études témoignent de l’impact
limité des politiques de santé publique basées sur la communication
nutritionnelle [Doak et al. (2006)] et du décalage entre connaissance
des prescriptions sur l’alimentation et l’activité physique et les pratiques [Campbell et al. (2001)]. Une amélioration du niveau d’information n’est donc pas une condition suffisante pour modifier les comportements.
Plusieurs modèles sous-tendant le modèle KABP ont tenté de
rechercher les facteurs déterminants et les mécanismes explicatifs de
cette contradiction entre le savoir et l’agir. Ces modèles relient les
croyances, l’attitude, l’intention de comportement et le comportement
en décomposant l’utilité espérée [Edwards (1954)]. Ils ont été développés pour rendre compte de comportements généraux (théorie de
l’action raisonnée [Fishbein et Ajzen (1975)], ou du comportement
planifié [Ajzen (1985)]), ou de comportements spécifiques à la santé
(modèles de croyance sur la santé ou Health Belief Model [Rosenstock
(1974)], modèle transthéorique de changement [Prochaska et DiClemente (1982)] ou théorie de la motivation de protection [Rogers
(1983)]). Ces modélisations ont permis d’identifier un certain nombre
de facteurs liés aux conduites d’exposition au risque dont ils proposent
des combinaisons spécifiques.
2
Knowledge, Attitudes, Beliefs, Practices
Connaissances
transmises
Attitudes
modifiées
Comportements
changés
Amélioration dans
l'état de santé et
nutrition
8:00
Information
Education
Ressources socioéconomiques, quantité
et qualité des aliments
disponibles
27/10/09
Croyances,
représentations sur
l'alimentation et la
santé
FIGURE 1
Modèle « KABP » [OMS, 1989]
07•Calandre
Page 1739
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1739
07•Calandre
27/10/09
1740
8:00
Page 1740
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
I.3. Insuffisances des modèles psychosociologiques de comportement :
une vision linéaire et utilitariste du comportement
Si ces modèles ont montré leur validité et une certaine robustesse
pour prédire des comportements spécifiques de prise de risque dans le
domaine de la consommation et de la santé, les corrélations entre attitudes et comportement restent très variables et les coûts de mise en
œuvre de ces modèles sont élevés [Conner et Armitage (2002)]. De
plus, ils souffrent d’insuffisances. Le rapport au risque est réduit à une
relation linéaire et mécaniste selon laquelle la connaissance déterminerait les attitudes, les croyances et les comportements ; or, ces composantes s’inscriraient plutôt dans un système interactif et dynamique,
qui va caractériser différentes rationalités correspondant à des stratégies variées de gestion des risques, voire de déni du risque [Calvez
(2004)].
De plus, ces modèles ancrés dans une logique rationaliste font l’hypothèse qu’un agent, confronté à des choix, va agir conformément à
ses préférences en recherchant comme but final l’amélioration de sa
santé. Or, le modèle de Moatti et al. (1993) démontre que certaines
logiques peuvent conduire l’individu à faire des choix « rationnels » de
non-protection en situation de risque de transmission sexuelle du
VIH 3.
Ces modèles font l’impasse sur l’aspect social et identitaire de l’agir
humain. Certains individus tendraient à être naturellement averses au
risque en cherchant à l’éviter (« averses au risque » ou risks avoiders)
alors que d’autres le rechercheraient (« preneurs de risques » ou risk
takers) [Arrow (1965)], par défi ou fuite des conventions sociales, par
recherche de plaisir et de sensation, comme moyen d’intégration
sociale, d’affirmation identitaire ou de désinhibition (prise de drogue,
alcoolisme, sports à haut risque, etc. [Wibberley et Price (2000)]). Le
risque n’est donc pas uniquement un moyen d’obtenir le résultat (de
santé) le meilleur possible ; il peut être un bien recherché pour luimême, une fin en soi.
Finalement, si les modèles psychosociologiques comportementaux
permettent d’améliorer la prédiction des théories de la décision, ils restent attachés à une vision rationnelle, linéaire d’un comportement
potentiellement déviant.
3
Virus de l’immunodéficience humaine.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1741
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1741
I.4. Contributions de la psychologie et de la sociologie du risque
à l’étude de l’évaluation des risques
I.4.1. Dimensions psychologiques du processus de décision :
l’existence de biais cognitifs et de biais d’optimisme
Les années 70 et 80 ont été des périodes de réflexion critique sur la
validité et la pertinence du modèle d’utilité espérée et de la notion de
risque.
Les sciences humaines et sociales se sont intéressées à la logique
des actions individuelles en univers incertain et indéterminé, au
concept de rationalité limitée (Simon) et procédurale (Boudon), à
l’aménagement du critère d’utilité espérée (existence de « paradoxes » : Allais ; Ellsberg), à l’évaluation des probabilités [Kahneman
et Tversky (1972, 1979)], à la formation des croyances, et aux
influences interpersonnelles entre agents.
Certains travaux en psychologie cognitive et expérimentale ont mis
en évidence la présence d’heuristiques (mécanismes de résolution
rapide de problème en situations d’incertitude), qui seraient à l’origine
de biais cognitifs pendant la phase d’évaluation des probabilités et des
alternatives [Tversky et Kahneman (1974)].
Weinstein (1980, 1989) a montré de son côté que des biais d’optimisme 4 pouvaient entraîner une illusion de contrôle des risques. Les
individus seraient moins susceptibles d’adopter des comportements
d’auto-protection de leur santé [DeJoy (1996)]. Certains auteurs les
analysent comme des mécanismes particuliers de dénégation et de
mise à distance du risque [Peretti-Watel (2000)], perçu comme spécifique à un groupe donné, auquel l’individu n’a pas le sentiment d’appartenir, s’estimant peu ou pas concerné [Douglas et Wildavsky
(1982)].
Si ces travaux soulignent la subjectivité des perceptions du risque,
ils restent engagés dans une approche utilitariste et probabiliste du
risque, privilégiant la nature de la fonction d’utilité et le calcul de probabilités. Or, cette logique analytique impliquant la capacité individuelle à penser en termes probabilistes est contre-intuitive, non naturelle [Raufaste et Hilton (1999)]. De plus, le jugement individuel est
conçu en termes d’écarts par rapport au raisonnement scientifique de
4 Ou « optimisme irréaliste » qui se réfère au fait que les individus se considèrent
moins susceptibles de faire l’expérience d’évènements négatifs et plus susceptibles de
faire l’expérience d’évènements positifs, par rapport aux autres. Pour une présentation
plus complète des différents biais d’optimisme, voir Kouabénan (2006), p. 147-162.
07•Calandre
27/10/09
1742
8:00
Page 1742
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
référence. Les individus estimeraient le niveau de risque non pas selon
une rationalité scientifique et des critères purement techniques mais
selon des impressions subjectives, obéissant à des constantes anthropologiques, psychologiques, reflétant des valeurs, une idéologie
[Weinstein (1989) ; Slovic et al. (1981) ; Marris (1999)].
I.4.2. Le paradigme psychométrique
Une explication au non suivi des recommandations de santé serait
l’existence d’un décalage entre la façon dont « experts » et consommateurs « profanes » perçoivent et acceptent les risques [Slovic et al.
(1980)]. Dans les années 1980, le risque est devenu un enjeu politique
du fait de l’importance des coûts sociaux et économiques inhérents à
ces divergences de perception (par exemple sur les nouvelles technologies et la manipulation génétique) et au non changement de comportement [Kirk et al. (2002)]. La compréhension de la perception du
risque par le public est apparue nécessaire pour déterminer des seuils
d’acceptabilité sociale et concevoir des mesures appropriées. La psychologie s’est intéressée aux dimensions de la perception de différents
risques ; la sociologie et l’anthropologie mettent l’accent sur l’ancrage
socioculturel de l’évaluation du risque (biais sociaux, conceptions du
corps et de la vulnérabilité physique), et la confiance développée par le
public envers les institutions qui émettent l’information [théorie culturelle de Douglas et Wildavsky (1982)].
Le paradigme psychométrique [Fischhoff et al. (1978) ; Slovic et al.
(1979, 1981)] a été le plus mobilisé et validé pour l’étude des déterminants des perceptions des risques, dans des domaines généraux [Slovic
(1987)] et spécifiques à l’alimentation [Sparks et Shepherd (1994) ;
Fife-Shaw et Rowe (1996) ; Kirk et al. (2002)]. Il a eu un large succès
du fait de sa vision proche du « sens commun », de sa robustesse et de
son opérationnalité pour la comparaison d’une large gamme de risques
[Fife-Shaw et Rowe (2000)].
Cette approche suggère une perception multidimensionnelle du
risque incluant des caractéristiques psychologiques, sociales, institutionnelles et culturelles ; les citoyens classeraient les risques en définissant leur « valeur » comme un ensemble d’attributs qualitatifs ou
propriétés psychométriques.
Fischhoff et al. (1978) et Slovic et al. (1981) ont identifié dix-huit
attributs que prend en compte le profane pour évaluer une gamme de
risques et juger de son acceptabilité ; ils peuvent être regroupés en trois
composantes principales : la crainte, l’inconnu et l’étendue du risque
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1743
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1743
[Slovic (1987)] (cf. tableau 1). Plus les scores du facteur de crainte et
d’inconnu sont élevés, plus le risque est jugé important et inacceptable ; plus les individus sont alors prêts à prendre des mesures pour les
réduire et sont en faveur d’une régulation stricte [Sjöberg et al.
(2004)].
Cette approche représente une piste intéressante pour expliquer l’inefficacité des politiques de santé, en élargissant la conception technique et normative du risque et de l’information transmise. Elle semble
plus pertinente que l’approche en termes d’assimilation (vraie ou
TABLEAU 1
Détermination du niveau de risque perçu
à partir des caractéristiques psychométriques du risque
ACCEPTABILITÉ ÉLEVÉE
ACCEPTABILITÉ FAIBLE
Exemple : tabagisme, alcoolisme
Exemple : déchets radioactifs,
génie génétique
Risque faible
Risque élevé
RISQUE PEU CRAINT FACTEUR « CRAINTE » RISQUE CRAINT
Individuellement contrôlable
Incontrôlable
Réversible
Irréversible
Potentiel global non catastrophique
Potentiel catastrophique global
Pas effrayant
Effrayant
Conséquences non fatales
Conséquences fatales
Équitable
Inéquitable
Individuel
Collectif
Naturel
Dû à l’action humaine
À faible risque pour les générations
À haut risque pour les générations
futures
futures
Exposition réductible
Exposition non réductible
Décroissant
Croissant
Exposition volontaire
Exposition involontaire
RISQUE CONNU
RISQUE
INCONNU
Pas observable
Inconnu de ceux qui y sont exposés
Effets différés
Nouveau risque - non familier
Risque inconnu de la science
Risque fortement médiatisé
FACTEUR : « CONNAISSANCE »
Observable
Connu de ceux qui y sont exposés
Effets immédiats
Risque ancien - familier
Risque connu de la science
Risque faiblement médiatisé
FACTEUR : « ÉTENDUE DU RISQUE »
Peu de personnes exposées
Beaucoup de personnes exposées
Sources : Slovic (1987), Sparks et Shepherd (1994), Fife-Shaw et Rowe (1996).
07•Calandre
27/10/09
8:00
1744
Page 1744
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
fausse) de l’information et considère que les sujets ne sont pas « irrationnels » et ignorants mais qu’ils ont une rationalité plus complexe et
qualitative que les spécialistes.
Dans la deuxième partie de cet article, nous présentons les résultats
d’une étude exploratoire s’appuyant sur l’approche psychométrique,
pour éclairer l’écart existant entre le degré d’information nutritionnelle
et les comportements alimentaires. L’étude a été menée dans un pays
en transition nutritionnelle, le Vietnam, auprès de mères d’enfants en
âge scolaire, les recherches mobilisant les méthodes psychométriques
ayant été, jusqu’à présent, surtout menées en Occident.
II. – APPLICATION DU PARADIGME PSYCHOMÉTRIQUE
À L’ÉTUDE COMPARATIVE DE DEUX RISQUES NUTRITIONNELS
(MALNUTRITION PAR CARENCES, OBÉSITÉ) AU VIETNAM :
MÉTHODOLOGIE
II.1. Risques étudiés, zone d’enquête et échantillonnage
Cette étude, menée à Hanoi en 2004, compare la perception de deux
types de risques nutritionnels par les mères : les risques de malnutrition 5 et d’obésité 6 liés à l’alimentation, chez les enfants de 6 à 10 ans,
risques supposés à forte acceptabilité par les profanes (ici les mères) et
à faible acceptabilité par les experts (politiques, professionnels de la
santé). La malnutrition infantile et juvénile reste fréquente : la prévalence de l’insuffisance pondérale chez les enfants de 6-14 ans est de
32,8 % au niveau national [NIN (2003)] et de 11,3 % chez les enfants
de 7-12 ans à Hanoi [NIN (2004)]. Le choix du risque d’obésité est lié
à son évolution significative en milieu urbain ; 2,4 % des 6-10 ans sont
en excès de poids au niveau national [NIN (2003)] et 10,4 % des
enfants de 7-12 ans à Hanoi [NIN (2004)].
Au total, 253 mères ont été interrogées. L’échantillon a été raisonné
en fonction de l’état nutritionnel des enfants 7 : enfants en sous-poids
(84), en état nutritionnel « normal » (98) et en surcharge pondérale (71).
5 La malnutrition étant définie comme une croissance anormale se caractérisant par
une insuffisance pondérale par rapport à l’âge.
6 L’OMS définit l’obésité comme « une accumulation anormale ou excessive de
graisses dans les tissus adipeux jusqu’à un degré tel que cela peut nuire à la santé »
[OMS, 1998].
7 Évalué selon les courbes de croissance du CDC (US Center for Disease Control and
Prevention), développées par le NCHS (National Center for Health Statistics) pour les
enfants de 2 à 20 ans : un IMC_âge ≤ 5ème percentile correspond au seuil de malnutrition ; un IMC_âge compris entre le 85ème et le 95ème percentiles à un risque de surpoids
et un IMC_âge ≥ 95ème percentile à un surpoids ou une obésité [Bellizzi et Dietz (1999)].
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1745
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1745
II.2. Enquête par questionnaire
La démarche a consisté en des entretiens approfondis auprès des
mères sur la base d’un questionnaire comportant des échelles et des
questions ouvertes.
II.2.1. Les dimensions déterminantes de la perception des risques
selon le type de risque
La première partie de cette recherche (non présentée ici) confirme
l’insuffisance du modèle de risque de base [Peretti-Watel (2000)] ; une
régression de type Logit montre que la crainte perçue de la malnutrition (par carences) chez l’enfant est expliquée par la gravité perçue du
risque alors que, dans le cas de l’obésité, la crainte n’est expliquée ni
par la gravité du risque ni par son occurrence. Il y a donc d’autres
variables explicatives de la crainte [Calandre (2006)].
Les deux risques nutritionnels ciblés ont été déclinés en un certain
nombre de caractéristiques perçues, dont la pertinence a été testée au
préalable (10 entretiens individuels) : gravité, fréquence, évolution,
crainte suscitée (vulnérabilité perçue de l’enfant), possibilité de
réduire le risque, contrôle, efficacité (personnelle et des actions préventives), réversibilité, visibilité, caractère équitable, temporalité des
conséquences (immédiates versus différées), responsabilité, information (médiatisation, incertitude des experts, connaissance personnelle).
La mise en questionnaire de la grille s’est inspirée des travaux de Kirk
et al. (2002). Les études utilisant l’approche psychométrique demandent traditionnellement aux individus de noter le degré avec lequel une
gamme de risque possède les différentes caractéristiques proposées
[Fischhoff et al. (1978) ; Slovic et al. (1980)] ; dans cette recherche,
chaque attribut a été mesuré sur une échelle d’intervalles de Thurstone
à 4 points (en dehors de l’évolution – 3 points – et du caractère équitable – 2 points –).
II.2.2. Développement d’un questionnaire de connaissance
Un test de connaissance sur les causes, conséquences et recommandations en matière de malnutrition 8 et d’obésité a été développé. Un
score de connaissance a été calculé selon le nombre de réponses
« fausses » ou « vraies », sur un total de 30 points. Excepté une mère,
toutes ont obtenu une note supérieure à la moyenne (21/30 ; minimum : 14 ; maximum : 27).
8
Inspiré des travaux du Dr Pham Van Phu.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1746
1746
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
Les mères ont cité leurs principales sources d’information en classant hiérarchiquement les trois majeures ; elles devaient ensuite noter,
parmi toutes les sources cochées, les trois envers lesquelles elles
avaient le plus confiance.
II.2.3. Mesure de l’état nutritionnel
L’état nutritionnel des mères et des enfants a été objectivé à partir
de mesures anthropométriques (poids et taille), permettant de calculer
les indices de masses corporelles (IMC) pour les enfants et les mères.
Selon la classification du NIN 9 (2003), les taux de mères en surpoids
et obèses sont respectivement de 14,9 % et 7,1 % ; le pourcentage des
mères de l’échantillon présentant une carence énergétique chronique
(malnutrition) est de 12 % ; 30,4 % des enfants présentent un souspoids, 17,9 % un risque de surpoids et 14,2 % sont en surpoids ou
obèses. Les classes d’IMC des mères et d’IMC_âge des enfants sont
significativement liées (p < 0,01).
L’information sur les données sociodémographiques a été finalement collectée : âge des mères et des enfants, sexe de l’enfant, niveau
d’éducation de la mère, revenu du ménage par unité de consommation
[INSEE (2000)]. L’échantillon est composé de 95,4 % de femmes
mariées ; 82,6 % sont originaires de Hanoi. L’âge moyen des interviewées est de 35,5 ans, celui des enfants de 7,9 ; 48,0 % des enfants
de l’échantillon sont des filles. Le revenu mensuel moyen du foyer
s’élève à 2.997.000 VND 10 (minimum : 600.000 ; maximum :
22.000.000).
II.3. Traitement des données
Le questionnaire a fait l’objet d’une double traduction ; il a été testé
auprès de 10 mères à Hanoi puis réajusté.
Les réponses ont été codifiées, saisies et traitées à l’aide du logiciel
SPSS (Statistical Package for Social Sciences) 11.0. Les scores
moyens de chacun des items (dimensions psychométriques) ont été
9 L’IMC a été classé selon les critères de l’OMS revus par le NIN pour les adultes
vietnamiens de plus de 20 ans : malnutrition : IMC ≤ 18,5 kg/m2 ; normal : IMC = 18,522,9 ; surpoids : IMC = 23-24,9 ; obésité : IMC ≥ 25 [NIN, 2003].
10 dongs vietnamiens (1 euro = 19326.42 dongs vietnamiens – taux de conversion du
09-01-2006 –, soit 155 euros environ). Trois classes de revenus (bas – 31,1% –, moyen
– 31,6% –, élevé – 37,3% –) ont été définies à partir de la distribution du revenu total
mensuel par unité de consommation dans notre échantillon.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1747
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1747
calculés et la réalisation de tests T a permis d’identifier les différences
de moyenne entre caractéristiques (au seuil de 95 % de confiance).
Notre analyse intègre l’étude des différences individuelles dans la
perception des risques selon le niveau de revenu des mères (seule
variable socio-économique significative), leur niveau de connaissance
et l’état nutritionnel des mères et des enfants. À partir des notes
moyennes de chaque caractéristique, une analyse en composantes principales (ACP) avec une rotation oblimin et varimax a été effectuée
pour extraire les facteurs principaux et identifier les variables les plus
saillantes du risque perçu. Nous avons ensuite projeté non plus les
risques mais les individus sur les composantes principales du modèle,
pour les discriminer entre eux et identifier les variables significatives
de différenciation ; une classification hiérarchique par la méthode de
Ward a permis le regroupement des observations en classes et l’identification des profils de mères pour chacun des risques pris séparément
et selon le type de risque (pris ensemble dans l’analyse).
Une analyse manuelle de discours a permis d’opérer des regroupements par thèmes des données qualitatives.
III. – PRINCIPAUX RÉSULTATS
III.1. Analyse descriptive globale de chaque risque nutritionnel
Les caractéristiques perçues des risques sont assez proches, mais les
tests T font apparaître des différences significatives entre la malnutrition et l’obésité en particulier pour l’évolution de ces pathologies
(valeur de T la plus élevée de – 31,9) : la malnutrition est jugée comme
un risque décroissant (« il y a de moins en moins d’enfants vietnamiens
de 6-10 ans qui sont malnutris ») contrairement à l’obésité, pathologie
croissante.
Ces risques sont considérés comme connus des spécialistes (3,5/4),
et connus dans leurs causes et conséquences (2,6 à 2,8/4), les causes de
l’obésité étant moins connues que celles de la malnutrition, alors que
les conséquences sont plus connues pour l’obésité. La malnutrition est
jugée plus difficile à reconnaître avec des conséquences sur la santé
différées (quelques mois), alors que l’obésité est jugée plus facile à
reconnaître et aux effets plus immédiats (quelques semaines).
Celles-ci sont évaluées globalement comme « plutôt graves »
(3,0/4 pour la malnutrition et 3,1/4 pour l’obésité, sans différence
significative) bien que réversibles. Au final, les mères les craignent peu
ou pas (1,9 pour la malnutrition et 1,7 pour l’obésité, sans différence
07•Calandre
27/10/09
1748
8:00
Page 1748
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
significative) ; presque 2/3 des femmes ayant un enfant malnutri
(58,9 %) ou en surpoids ou obèses (65,4 %) ne s’en inquiètent pas, versus 71,7 % et 84,8 % des mères qui ont un enfant en bon état de
nutrition.
Cette faible crainte, malgré une prévalence qui reste objectivement
élevée et une gravité reconnue, pourrait s’expliquer par un sentiment
de contrôle personnel (3,1/4 pour la malnutrition et 3,2/4 pour l’obésité) : les mères s’estiment les premières responsables de la prévention
des risques nutritionnels. Elles trouvent leurs pratiques alimentaires
efficaces pour lutter contre ces risques jugés facilement réductibles. Il
faut dire que les recommandations pour la maîtrise de ces risques sont
jugées assez connues (2,6/4 pour la malnutrition et 2,4/4 pour l’obésité), faciles à mettre en œuvre et efficaces.
On constate aussi qu’une grande majorité des mères accordent de la
confiance aux sources officielles d’information sur la nutrition, les
trois principales mentionnées étant la télévision (75,5 %), les magazines/journaux (41,5 %) et les professionnels de la santé (21,3 %), en
qui 91,7 %, 71,9 % et 39,2 % des mères ont respectivement confiance.
Les autorités qui contrôlent les médias et les acteurs de la santé semblent ainsi bénéficier d’une grande légitimité et crédibilité auprès des
mères vietnamiennes.
Si l’on s’en tient à la faible crainte déclarée des mères, on pourrait
conclure d’après le paradigme psychométrique que les deux risques
nutritionnels étudiés sont perçus peu élevés et bien acceptés ; or ils
sont évalués différemment sur certains attributs. Ces moyennes
cachent en outre des différences inter-individuelles.
III.2. Analyse factorielle des dimensions perçues du risque
III.2.1. Dimensions discriminant la perception du risque d’obésité
L’ACP à partir des 10 variables retenues 11 conduit à trois composantes principales expliquant 60,4 % de la variance (n = 245 ; Indice
Kaiser-Meyer-Olkin – KMO – = 0,686 ; test de Bartlett = 770,191 –
sig = 0,000 ; même structure avec rotation oblimin) :
– facteur 1 « inconnu » (variance expliquée : 27,7 %),
– facteur 2 « crainte » (variance : 20,8 %),
11 L’examen du graphique des valeurs propres et des contributions des variables aux
facteurs a conduit à éliminer les variables de gravité, reconnaissance, responsabilité et
connaissance des spécialistes.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1749
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1749
– et facteur 3 « comportement » (variance : 11,9 %).
On retrouve les deux composantes « inconnu » et « crainte » conformément au paradigme psychométrique. Le troisième facteur renvoie à
la possibilité d’agir sur le risque et d’influencer son évolution par un
changement de comportement (variables « réversibilité » et « possibilité d’agir »). Lorsqu’on force l’ACP à deux composantes, la variable
« possibilité d’agir » est rattachée au facteur « crainte » (48,5 % de la
variance), comme ce qui était attendu par la théorie.
La classification hiérarchique des mères à partir des trois composantes principales distingue quatre classes relativement homogènes.
Le facteur « inconnu » oppose (cf. graphe 1) d’un côté les groupes
2 (40 mères) et 3 (48), rassemblant les mères qui estiment faibles leurs
connaissances sur l’obésité, de l’autre, les groupes 1 (93) et 4 (64), qui
ont le sentiment d’en avoir une bonne à parfaite connaissance. Un
risque fortement médiatisé n’engendre pas forcément un sentiment de
connaissance personnelle élevée (groupe 1 versus 3).
Sur la composante « crainte », la peur de l’obésité chez l’enfant est
plus forte lorsque les mères perçoivent un contrôle et une auto-efficacité faibles (groupes 1 et 2), et des conséquences rapides (groupe 2). À
l’opposé, lorsqu’elles perçoivent un contrôle et une efficacité élevés et
des conséquences à long terme (groupe 3), les mères ne craignent pas
ou peu l’obésité (groupes 3 et 4).
Ces résultats confirment le lien inverse entre contrôle perçu et
niveau de crainte des mères, et la relation confuse entre crainte et
connaissance du risque ; si la crainte du risque peut être positivement
liée à sa connaissance (groupe 1 et 3), elle peut être forte, même
lorsque le risque est peu connu (groupe 2). On observe aussi que la
relation entre médiatisation de l’obésité et peur du risque peut être
négative (groupe 3) ou positive (groupe 1).
Concernant le facteur 3 « comportement », on remarque que les
mères qui perçoivent une plus grande possibilité d’action craignent le
plus le risque pour leur enfant (groupe 1), contrairement à celles
(groupe 4) qui perçoivent une faible marge de manœuvre et une irréversibilité de l’obésité. Il semble ainsi que le sentiment de pouvoir
faire quelque chose au niveau individuel contre l’obésité et donc
d’avoir une responsabilité puisse être anxiogène.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1750
1750
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
« Inconnu »
obésité »
Groupe 1 (93 mères)
Crainte ++++
Contrôle ++
Auto-efficacité ++
Conséq ds tps +++
Groupe 4 (64)
Crainte ++
Contrôle +++
Auto-efficacité +++
Conséq ds tps ++
Conn causes ++++
Conn conséq ++++
Conn recomm ++++
Médiatisation ++++
Conn causes +++
Conn conséq +++
Conn recomm +++
Médiatisation ++
Poss d’agir ++++
Réversibilité ++++
Poss d’agir +
Réversibilité +
Groupe 2 (40)
Group e 3 (48)
Crainte +++
Contrôle +
Auto-efficacité +
Conséq ds tps +
Crainte +
Contrôle ++++
AutoConséq ds tps ++++
Conn causes ++
Conn conséq ++
Conn recomm ++
Médiatisation +
Conn causes +
Conn conséq +
Conn recomm +
Médiatisation +++
Poss d’agir ++
Réversibilité +++
Poss d’agir +++
Réversibilité ++
« Crainte »
obésité
GRAPHE 1
Projection des classes de mères sur les composantes « inconnu »
et « crainte » de l’obésité
III.2.2. Dimensions discriminant la perception du risque
de malnutrition
Pour le risque de malnutrition 12, on retrouve aussi les deux premières composantes définies par Slovic et al. : les facteurs « inconnu »
(mais n’intégrant pas la médiatisation perçue) et « crainte » qui
12 L’ACP réalisée à partir des 9 items issus d’une ACP préliminaire (élimination des
facteurs : possibilité d’agir, responsabilité, médiatisation, gravité et conséquences dans
le temps) montre 3 facteurs indépendants expliquant 65,1% de la variance totale (n = 244
mères). Ces facteurs ont été labellisés : le facteur 1 « unknown » (connaissance) (expliquant 30,2 % de la variance), le facteur 2 « dread » (crainte et variables de contrôle)
(22,0 %) et le facteur 3 « observabilité » (12,9 %). Lorsque l’on force l’ACP à deux composantes, le troisième facteur « observabilité » se retrouve attaché au facteur
« inconnu », conformément au paradigme psychométrique.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1751
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1751
englobe la réversibilité de la malnutrition (versus conséquences dans le
temps pour l’obésité).
Le troisième facteur renvoie à la visibilité et l’« observabilité » du
risque (reconnaissance, incertitude scientifique). Sur cette composante, il n’y a pas de lien univoque avec la crainte pour l’enfant. Ce
n’est pas parce que les mères estiment que le risque est connu de la
science qu’elles craindront moins la malnutrition ou auront un sentiment de connaissance personnelle plus élevée ; par contre, les mères
jugeront ce risque plus facilement observable ou reconnaissable.
Si on reconnaît à travers les ACP les mêmes facteurs indépendants
de connaissance et de crainte, quelle que soit la nature du risque, la
visibilité du risque et l’incertitude scientifique sont discriminantes seulement pour la malnutrition ; peut-être du fait de la plus grande difficulté à déceler les carences de la « malnutrition cachée » [UNICEF
(2004)]. Il est cependant étonnant que la connaissance scientifique liée
à l’obésité pèse moins dans son évaluation alors que ce risque est jugé
croissant, plus récent et moins familier que la malnutrition.
La médiatisation est en contraste plus déterminante de la perception
du risque d’obésité. On peut faire l’hypothèse que les mères se préoccupent en premier lieu de savoir ce qu’est l’obésité et quelles conséquences
elle peut avoir, avant de s’intéresser aux moyens de son contrôle et à leur
fiabilité scientifique. Elles chercheraient d’abord à connaître s’il est possible d’agir à leur niveau avant d’envisager des actions. Les variables de
contrôle et d’efficacité personnels sont ainsi centrales dans la perception
du risque nutritionnel et sa crainte. Conformément au paradigme psychométrique, plus le risque sera perçu contrôlable notamment par des
pratiques jugées efficaces, moins la mère s’en inquiétera. Mais le sentiment de pouvoir agir peut être anxiogène (notamment pour l’obésité) ou
au contraire rassurer (réversibilité de la malnutrition).
Par contre, l’hypothèse selon laquelle l’individu craindrait d’autant
moins le risque qu’il a le sentiment de connaître n’est pas vérifiée ici.
En outre, ce n’est pas parce que les mères pensent bien connaître le
risque qu’elles auront un sentiment de contrôle supérieur.
III.2.3. Analyse factorielle prenant en compte les dimensions perçues
des deux risques et les variables individuelles
L’ACP finale intégrant les deux risques montre que les 13 dimensions retenues peuvent être résumées par 4 composantes principales 13,
expliquant 69,2 % de la variance totale (245 réponses valides).
13
Indice KMO = 0,730 ; test de Bartlett = 1526,354 – sig = 0,000
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1752
1752
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
On retrouve une nouvelle fois les deux facteurs « dread » et « unknown » relatifs aux deux risques : les composantes 1 (31,0 % de la
variance) et 2 (18,2 % de la variance) représentent les facteurs
« crainte » et « inconnu » pour la malnutrition et les composantes 3
(11,4 % de la variance) et 4 (8,6 % de la variance) représentent les facteurs « crainte » et « inconnu » pour l’obésité.
Quatre classes de mères se différencient. L’appartenance à la classe
est significativement liée aux classes d’IMC des mères (p < 0,01), des
enfants (p < 0,001), aux classes de revenus (p < 0,001) et de connaissance (p < 0,05).
Cet espace à deux dimensions fait apparaître que les mères qui craignent le plus la malnutrition sont celles qui craignent le moins l’obésité (groupe 2) et vice-versa (groupe 4). Néanmoins, le groupe 1 s’in-
« Crainte »
malnutrition (M)
Groupe 4 (71 mères)
Groupe 3 (54)
Craint e M +
Contrôle M ++++
Auto-efficacité ++++
Réversibilité M ++++
Auto-efficacité ++++
Craint e Ob ++++
Contrôle Ob +
Auto-efficacité Ob +
Crainte M ++
Contrôle M +++
Auto-efficacité ++++
Réversibilité M +++
IMC -âge enfant ++++
IMC mère ++++
Revenu ++++
Groupe 1 (65)
Craint e M +++
Contrôle M ++
Auto-efficacité M ++
Réversibilité M ++
Craint e Ob +++
Contrôle Ob ++
Auto-efficacité Ob ++
IMC -âge enfant +++
IMC mère ++
Revenu ++
Crainte Ob ++
Contrôle Ob ++++
Auto-efficacité ++++
IMC -âge enfant ++
IMC mère +++
Revenu +++
Groupe 2 (55)
Crainte M ++++
Contrôle M +
Auto-efficacité M +
Réversibilité M +
Crainte Ob +
Contrôle Ob +++
Auto-efficacité Ob +++
IMC-âge enfant +
IMC mère +
Revenu +
« Crainte »
obésité (Ob)
GRAPHE 2
Projection des classes de mères sur les composantes « crainte »
de la malnutrition et de l’obésité
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1753
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1753
quiète des risques nutritionnels quels qu’ils soient, alors que le groupe
3 s’en préoccupe peu.
Les femmes qui craignent le plus l’obésité sont celles qui ont les
IMC les plus élevés (groupe 4) et les enfants aux plus forts IMC_âge,
et donc potentiellement susceptibles d’être affectés par un surpoids ou
une obésité. Les mères se déclarant les plus inquiètes par la malnutrition sont plus vulnérables aux carences (les plus maigres), de même
que leurs enfants (aux IMC_âge les plus bas) (groupe 2). Les classes
d’IMC des mères et d’IMC_âge des enfants étant positivement liées au
revenu par unité de consommation du ménage (p < 0,05), la peur du
risque est liée de la même façon au niveau de revenu. Les mères ont
ainsi conscience de la vulnérabilité de l’enfant : vis-à-vis de la malnutrition pour les femmes qui vivent dans des conditions de vie modestes,
et vis-à-vis de l’obésité pour celles issues de milieux aisés. Ceux qui
craignent le moins les risques ont des enfants répondant aux normes
corporelles standards (groupe 3). Bien que les risques soient perçus, il
n’est cependant pas évident que les mères mettent en œuvre de stratégies préventives ou curatives, par sentiment de maîtrise ; la crainte des
risques est inversement associée au sentiment de contrôle et d’efficacité de ses propres pratiques.
En termes de connaissances non plus perçues mais « objectives »,
les résultats révèlent que les femmes qui ont la connaissance la plus
faible ont des enfants pouvant présenter des problèmes de malnutrition, alors que celles qui ont les scores de connaissance les plus élevés
sont davantage susceptibles d’avoir des enfants en excès pondéral. Le
niveau de connaissance des risques n’est ainsi pas suffisant pour prédire un « bon » état nutritionnel chez l’enfant, ces deux variables
(classes de connaissance et d’IMC_âge des enfants) sont très faiblement associées (p < 0,05).
Si certaines mères sous-évaluent leur connaissance notamment en
matière de malnutrition, les mères d’enfants potentiellement en surcharge pondérale peuvent être sujettes à un biais d’optimisme, pensant
en savoir plus qu’elles ne le savent selon le test.
En conclusion, il existe des différences dans la perception des
risques nutritionnels selon les variables anthropométriques et économiques ; les mères étant elles-mêmes exposées ou ayant des enfants à
risque nutritionnel le perçoivent et s’en inquiètent ; on rencontre des
femmes anxieuses vis-à-vis des deux risques même si elles ont des
revenus limités ; d’autres ne montrent pas d’inquiétude, peut-être du
fait qu’elles ont les moyens pour s’en prémunir. Les variables de
contrôle (contrôle et efficacité personnelle et de la réponse) s’avèrent
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1754
1754
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
essentielles et sont négativement corrélées à la crainte perçue. La décision s’effectuerait avant tout au niveau individuel ; les entretiens qualitatifs révèlent que la responsabilité individuelle perçue est plus forte
dans le cas de la prévention de l’obésité que de la malnutrition.
Il peut exister des biais de connaissance qui ne sont pas de même
nature suivant le risque : optimisme dans le cas de l’obésité pouvant
s’exprimer par un déni de l’information et sous-évaluation dans le cas
de la malnutrition pouvant se traduire par une moindre réceptivité aux
messages transmis.
DISCUSSION ET CONCLUSION :
APPORTS ET LIMITES DE L’APPROCHE PSYCHOMÉTRIQUE
ET PROPOSITIONS DE PROLONGEMENT
Nos résultats confirment que l’état nutritionnel des enfants n’est pas
positivement lié à la connaissance que les mères ont des risques. Bien
qu’elles aient une bonne, voire très bonne connaissance de l’obésité,
leur enfant peut être exposé à ce risque.
Le paradigme psychométrique s’est montré un bon outil méthodologique pour décomposer les caractéristiques psychologiques et
sociales influençant la perception individuelle des risques nutritionnels. Les résultats mettent en évidence qu’il existe peu de différences
dans les attributs perçus entre les deux risques étudiés. Il est possible
que la malnutrition, jugée plus ancienne que l’obésité, en diminution,
et aux effets différés, ne soit pas une source d’inquiétude pour les
mères qui ont des préférences pour le présent (contextes de pauvreté et
de précarité, de faible espérance de vie) ; l’obésité pourra au contraire
faire l’objet de plus d’attention, du fait de ses effets perçus plus immédiats. Inversement, les mères qui ont un horizon temporel à plus long
terme (sécurité matérielle assurée au présent) chercheront plus à se
prémunir contre des risques affectant le futur [Peretti-Watel (2000)].
En termes de communication, ces résultats, attestant de la complexité des représentations alimentaires, ont plusieurs implications. La
perception des risques nutritionnels est hétérogène et on peut donc
s’attendre à un effet limité d’une communication générique, massive,
adressée à toute la population ; il est en effet possible d’établir quatre
grands profils de mères en fonction de leur perception du risque, du
type de risque, selon leur corpulence et celle de leur enfant et selon
leur niveau de revenu. Il semble ainsi nécessaire de « cibler » les
actions en fonction des particularités de chaque groupe de la popula-
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1755
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1755
tion. Des interventions locales, avec des structures proches des réalités, permettraient leur adaptation aux contextes de vie des familles.
Par ailleurs, l’approche psychométrique amène à remettre en question la nature des informations à transmettre. Celles-ci doivent être
multidimensionnelles, intégrant par exemple des éléments de jugement
de l’efficacité de ses pratiques alimentaires.
Si les techniques psychométriques semblent bien convenir pour
identifier les similarités et différences d’attitudes vis-à-vis du risque
entre les groupes, le modèle se heurte à certaines limites : en décomposant le risque en attributs hiérarchisés, renvoie à l’approche microéconomique lancastérienne, selon laquelle l’Homo oeconomicus réalise
son choix de biens à partir d’une décomposition consciente du bien en
attributs de qualité. Or, les réponses individuelles dans des situations
habituelles risquées (comme l’alimentation) sont plus le résultat d’habitudes apprises qui sont automatiques et contrôlées par la connaissance tacite que d’un travail interprétatif constant.
Par ailleurs, le paradigme psychométrique fait l’hypothèse que tous
les individus évaluent et acceptent le risque selon les mêmes caractéristiques universellement partagées [Marris et al. (1997)], issues des
résultats d’études dans d’autres domaines de risques ou dans d’autres
contextes socioculturels. Or, tels que mesurés, les attributs du risque ne
reflètent probablement pas exactement ceux que les mères vietnamiennes utilisent dans leur quotidien ou ceux qui ont le plus d’importance pour elles. En somme, le modèle psychométrique ne tient pas
suffisamment compte de la construction sociale et culturelle du risque.
D’autres modèles, comme le modèle du comportement interpersonnel
de Triandis, identifient les facteurs psychosociaux influençant le comportement des individus, en particulier les croyances normatives, les
pressions ressenties et la croyance en l’existence de rôles sociaux spécifiques [Kouabénan et al. (2006), p. 259-289].
En postulant que les individus peuvent avoir un contrôle sur leur
comportement (contrôle, efficacité, possibilité de réduire le risque,
réversibilité), cette approche les positionne en outre dans une situation
de choix délibéré et de responsabilité individuelle. Les discours maternels s’inscrivent effectivement dans ce modèle de rationalité. Or, c’est
« la société moderne » qui « crée de l’obésité » [OMS (2006) 14] ;
l’obésité est autant un problème d’environnement (offre alimentaire de
plus en plus abondante et de mauvaise qualité nutritionnelle) que rele-
14 Conférence ministérielle européenne de l’OMS sur la lutte contre l’obésité, Istanbul, 15-18 nov. 2006.
07•Calandre
27/10/09
1756
8:00
Page 1756
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
vant d’une décision personnelle. De même que la malnutrition reflète
plus le résultat d’inégalités d’accès au marché et aux systèmes de santé
que d’une volonté individuelle.
Si, dans les années 90, les politiques ont tenté d’intégrer les perceptions individuelles dans leur évaluation et leur gestion 15, la perception du risque est toujours vue comme un obstacle à la prise de
décision rationnelle attribuable à des écarts aux normes scientifiques.
Elle est un enjeu politique et sert à légitimer les interventions. Le problème reste de savoir comment modifier les comportements en intégrant des facteurs psychologiques et socioculturels sur lesquels on peut
avoir une influence ; communiquer, informer l’opinion pour rendre le
risque et les mesures préventives acceptables [Peretti-Watel (2000)].
L’évaluation et la gestion du risque restent construites par les seuls
« experts ». Se posent donc toujours les questions du rééquilibrage des
rôles des différents acteurs – scientifiques, politiques, annonceurs,
industriels (etc.) et mangeurs – dans la gestion des risques, et de la
remise en question de la pensée dominante d’une responsabilité avant
tout d’ordre individuel.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AJZEN I. [1985], « From Intentions to Actions: a Theory of Planned Behavior », in Action Control: from Cognition to Behavior / Kuhl J. et Beckmann J. (eds), Springer, Berlin, 286 p. (Springer Series in Social Psychology)
ARROW K.J. [1965], Aspects of the Theory of Risk-Bearing, Yrjö Hahnsson
Foundation, Helsinki.
BELLIZZI M.C., DIETZ W.H. [1999], Workshop on childhood obesity: summary
of the discussion. Am. J. Clin. Nutr., vol. 70, 1, Part 2, p. 173S-175S.
CALVEZ M. [2004], La prévention du Sida : les sciences sociales et la définition des risques, Presses Universitaires de Rennes, 196 p. (Des sociétés).
CAMPBELL K., WATERS E., O’MEARA S., SUMMERBELL C. [2001], « Interventions for preventing obesity in childhood. A systematic review », Obes.
Rev., vol. 2, p. 149-157.
CONNER M., ARMITAGE C.J. [2002], The social psychology of food. Applying
social psychology, Stephen Sutton Ed., Open University Press, 175 p.
DEJOY D.M. [1996], « Theoretical models of health behavior and workplace
self-protective behavior », Journal of Safety Research, vol. 27, n° 2, p. 6172.
15 Exemple de la « conférence citoyenne » ou « conférence de consensus » organisée en France sur les plantes transgéniques en juin 1998.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1757
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1757
DOAK C.M., VISSCHER T.L.S., RENDERS C.M., SEIDELL J.C. [2006], « The prevention of overweight and obesity in children and adolescents: a review of
interventions and programmes », Obes. Rev., vol. 7, p. 111-136.
DOUGLAS M., WILDAVSKY A. [1982], Risk and culture, University of California Press, Berkeley.
EDWARDS W. [1954], « The theory of decision making », Psychological Bulletin, vol. 51, p. 380-417.
FIFE-SHAW C., ROWE G. [1996], « Public perceptions of everyday food
hazards: A psychometric study », Risk Analysis, vol. 16, p. 487-500.
FIFE-SHAW C., ROWE G. [2000], « Research note. Extending the application of
the psychometric approach for assessing public perceptions of food risk:
some methodological considerations », Journal of Risk Research, vol. 3,
n° 2, p. 167-179.
FISCHHOFF B., SLOVIC P., LICHTENSTEIN S., READ S., COMBS B. [1978], « How
safe is safe enough? A psychometric study of attitudes towards technological risks and benefits », Policy Sciences, vol. 9, p. 127-152.
FISHBEIN M., AJZEN I. [1975], Belief, Attitude, Intention and Behaviour: An
Introduction to Theory and Research, Addison-Wesley, Reading.
HANSEN J., HOLM L., FREWER L., ROBINSON P., SANDOE P. [2003], « Beyond
the knowledge deficit: recent research into lay and expert attitudes to food
risks », Appetite, vol. 41, n° 2, p. 111-121.
KAHNEMAN D., TVERSKY A. [1972], « Subjective probability: A judgment of
representativeness », Cognitive Psychology, vol. 3, p. 430-454.
KAHNEMAN D., TVERSKY A. [1979], « Prospect Theory: an analysis of decision
under risk », Econometrica, vol. 47, n° 2, p. 263-291.
KIRK S.F.L., GREENWOOD D., CADE J.E., PEARMAN A.D. [2002], « Public perception of a range of potential food risks in the United Kingdom », Appetite, vol. 38, feb., p. 189-197.
KOUABÉNAN D., CADET B., HERMAND D., MUNOZ SASTRE M.T. [2006], Psychologie du risque, De Boeck, Bruxelles.
MAIRE B., DELPEUCH F. [2000], « Nutrition et alimentation en Afrique au sud du
Sahara. Les défis du 21e siècle », Afrique contemporaine, vol. 195, p. 56-171.
MARRIS C. [1999], « OGM : comment analyser les risques ? », Biofutur,
vol. 195, déc., p. 44-47.
MARRIS C., LANGFORD I.H., SAUNDERSON T., O’RIORDAN T. [1997], « Exploring the psychometric paradigm: comparisons between aggregate and individual analyses », Risk Analysis, vol. 17, n° 3, p. 303-312.
MOATTI J.P., BELTZER N., DAB W. [1993], « Les modèles d’analyse des comportements à risque face à l’infection à VIH : une conception trop étroite de
la rationalité », Population, n° 5, p. 1505-1534.
NIN (National Institute of Nutrition) [2003], General Nutrition Survey 2000,
Medical publishing house (Rapport).
NIN [2004], « Situation du surpoids et de l’obésité des enfants de 7-12 ans à
Hanoi – Étude des éléments concernés et évaluation des solutions
utilisées », Présentation orale et Powerpoint.
07•Calandre
27/10/09
1758
8:00
Page 1758
N. CALANDRE, N. BRICAS, L. SIRIEIX
OMS (Organisation Mondiale de la Santé) [1989], Research package. Knowledge, attitudes, beliefs and practices on aids, Global program on Aids,
Social and Behavioral unit.
PERETTI-WATEL P. [2000], Sociologie du risque, A. Colin, 286 p.
POPKIN B.M. [2004], « The nutrition transition: an overview of world patterns
of change », Nutrition Reviews, vol. 62, n° 7, p. S140-143.
PROCHASKA J.O., DICLEMENTE C.C. [1982], « Transtheorical therapy toward a
more integrative model of change », Psychotherapy: Theory, Research and
Practice, vol. 19, n° 3, p. 276-287.
RAUFASTE É., HILTON D.J. [1999], « Les mécanismes de la décision face au
risque », Risques, vol. 39, p. 79-86.
REDMOND E.C., GRIFFITH C.J. [2003], « Consumer Food Handling in the
Home: A review of food safety studies », Journal of Food Protection, vol.
66, n° 19, p. 130-161.
ROGERS R.W. [1983], « Cognitive and psychological processes in fear appeals
and attitude change: A revised theory of protection motivation », in Social
psychophysiology / J.T. Cacioppo et R.E. Petty (eds.), Guilford Press, New
York, p. 153-176.
ROSENSTOCK I.M. [1974], « Historical origins of the Health Belief Model »,
Health Education Monographs, vol. 2, p. 328-335.
SAVAGE L.J. [1954], « The Foundations of statistics », J. Wiley, New York.
SJÖBERG L., MOEN B.E., RUNDMO T. [2004], Explaining risk perception. An
evaluation of the psychometric paradigm in risk perception research,
Trondheim, Rotunde Publikasjoner n° 84, 39 p.
SLOVIC P. [1987], « Perception of risk », Science, n° 236, p. 280-285.
SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1979], « Rating the risks », Environment, vol. 21, n° 3, p. 14-20, p. 36-39.
SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1980], « Facts and Fears: understanding perceived risk », in Societal Risk Assessment: How Safe is Safe
Enough? / R.C. Schwing et W.A. Albers (eds), Plenum Press, New York,
p. 181-216.
SLOVIC P., FISCHHOFF B., LICHTENSTEIN S. [1981], « Perceived risk: psychological factors and social implications », in The assessment and perception of
risk / F. Warner & D. H. Slater (eds), Londres, p. 17-34.
SPARKS P., SHEPHERD R. [1994], « Public perceptions of the potential hazards
associated with food production and food consumption: an empirical
study », Risk Analysis, vol. 14, p. 799-806.
TVERSKY A., KAHNEMAN D. [1974], « Judgment under uncertainty: Heuristics
and biases », Science, vol. 185, p. 1124-1131.
UNICEF [2004], Carences en vitamines et en minéraux, Rapport, mars.
VON NEUMAN J., MORGENSTERN O. [1944], Theory of Games and Economic
Behavior, Princeton University Press.
WEINSTEIN N.D. [1980], « Unrealistic optimism about future life events »,
Journal of Personality and Social Psychology, vol. 39, p. 806-820.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1759
LES PERCEPTIONS DES RISQUES NUTRITIONNELS
1759
WEINSTEIN N.D. [1989], « Optimistic biases about personal risks », Science,
n° 246, p. 1232-1233.
WIBBERLEY C., PRICE J. [2000], « Young People’s Drug Use: facts and feelings
– implications for the normalization debate », Drugs: education, prevention
and policy, vol. 7, n° 2, p. 147-162.
07•Calandre
27/10/09
8:00
Page 1760
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1761
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1761-1780
L’éthique,
un enjeu pour les acteurs du système alimentaire ? *
Patricia Gurviez,
AgroParisTech, UPSP 1401 CEPAL
Lucie Sirieix,
Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa
La filière alimentaire est particulièrement sensible à la réduction
des risques. En effet, l’aliment est ingéré par le consommateur, ce qui
accroît la perception des risques. Les travaux présentés dans l’article
portent sur la notion d’éthique, régulièrement mobilisée par les professionnels et par les consommateurs, et s’interrogent sur sa capacité
à réduire la perception des risques alimentaires pour ces derniers. Au
final, les auteurs proposent une réflexion et des recommandations pour
la filière afin d’améliorer la co-construction de la gestion des risques.
Food channel is particularly sensitive to risks reduction. The fact
that eating means body ingestion increases risks perception. Our
research deals with ethics, addressed both by professionals and consumers, as a mean to reduce food perceived risks for consumers. At the
end, the authors propose recommendations for the channel to better
share risk management between the different actors.
* Cet article s’appuie en partie sur les résultats d’un programme AQS (Aliment Qualité Sécurité) : « La prise en compte des aspects éthiques dans la compréhension de la
perception psychologique et sociale des risques alimentaires ». Les auteurs remercient
les collègues qui ont contribué à ce programme.
08•Gurviez
30/10/09
1762
7:23
Page 1762
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
L’agroalimentaire représente l’un des enjeux les plus cruciaux de la
compréhension des mécanismes de perception du risque, car au travers
des récentes et importantes crises alimentaires, cette filière a montré
combien la gestion et la communication des risques ne pouvaient se
cantonner à une approche technicienne. Se pencher sur la question du
risque alimentaire perçu conduit rapidement à considérer que sa
mesure, fondée sur la probabilité d’occurrence et l’estimation de la
gravité de ses conséquences ne suffit pas à l’appréhender totalement.
Enquêtes et littérature sur le sujet incitent à définir le risque au-delà de
sa dimension sanitaire [Brunel (2000)], pour prendre en compte ses
dimensions sociales, psychologiques ou symboliques, afin d’aller audelà de l’apparent paradoxe de l’anxiété alimentaire : des conditions
d’alimentation de plus en plus sûres mais des individus de plus en plus
sensibles au risque.
La question du recours au concept d’éthique pour diminuer la perception des risques liés à l’alimentation a été au centre des recherches
présentées dans cet article. Les professionnels de l’agroalimentaire
communiquent de plus en plus leur volonté d’avoir un comportement
« éthique », au travers d’engagements vis-à-vis de leurs différentes
parties prenantes. Ces préoccupations éthiques des acteurs professionnels rencontrent-elles les dimensions éthiques de la perception des
risques par le consommateur ? Les conceptions en matière d’éthique
des consommateurs ne sont pas encore vraiment cernées. La plupart
des enquêtes des instituts d’études reprennent les grandes composantes
de l’éthique telles qu’elles sont définies par les institutions ou les
ONG : préservation de l’environnement et responsabilité sociale (respect des droits de l’homme, non travail des enfants, etc.).
Il nous a donc semblé nécessaire de procéder à une étude exploratoire des composantes éthiques du risque alimentaire perçu, en privilégiant une méthodologie qualitative propre à faire émerger de grandes
tendances à partir des données issues des différents discours. Cette
recherche s’est appuyée sur une revue de la littérature s’attachant en
priorité aux préoccupations des consommateurs liées au risque alimentaire et à l’éthique, présentée dans la partie 1. Nos choix méthodologiques et les résultats obtenus lors de la phase d’enquête qualitative seront présentés dans la partie II. Enfin, les résultats de
l’expérimentation mise en œuvre seront présentés et discutés dans la
partie III. En conclusion, nous proposerons nos réflexions et recommandations concernant les opportunités que pourrait offrir une vision
rapprochée de l’éthique entre les différents acteurs de la filière agroalimentaire.
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1763
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1763
I. – LES PRÉOCCUPATIONS DES CONSOMMATEURS
LIÉES AU RISQUE ALIMENTAIRE ET À L’ÉTHIQUE
Le rapport des consommateurs avec leur alimentation est forcément
complexe, tant manger est un acte engageant au niveau corporel
(ingestion) mais aussi au niveau symbolique.
I.1. Les fondements psychologiques et sociaux
de la perception des risques alimentaires
L’anxiété alimentaire constatée chez les consommateurs ne peut pas
s’analyser sans référence au raffinement grandissant des outils permettant de repérer les risques. Ce phénomène s’accompagne d’une montée de l’inquiétude sociale au fur et à mesure que les risques sanitaires
s’amenuisent. Certains parlent de « malentendu de la qualité », où le
consommateur voit une confirmation et une légitimation de ses soupçons dans les déclarations de multiplication de contrôles bactériologiques censés répondre à ses inquiétudes naissantes [Cochoy (2001)].
L’affaiblissement des contraintes sociales pesant sur le mangeur
(individualisme croissant s’opposant au « dogme » du système culinaire traditionnel) renforce également le contexte d’anxiété alimentaire [Poulain (2002)]. Les règles régissant l’alimentation moderne se
sont considérablement assouplies, mais cette liberté nouvelle s’accompagne logiquement d’une certaine perte de repères, notamment collectifs. Ainsi les modifications des pratiques alimentaires quotidiennes,
liées à la modernisation de la société, sont souvent vécues ou verbalisées comme dégradation ou déstructuration par rapport à une « bonne
alimentation ».
Le consommateur perplexe chercherait alors à retrouver un sens
dans l’alimentation à travers des indicateurs parfois concrets mais toujours à haut potentiel symbolique : la provenance (le « mythe des origines », symbole de pureté et de simplicité), la simplicité des ingrédients « naturels » et, enfin, la morale attribuée aux acteurs qui ont
participé à l’élaboration du produit. La dimension symbolique des aliments ne doit donc pas être sous-estimée, même et surtout pour des
produits industrialisés.
Ces apports théoriques permettent de relativiser l’apparente irrationalité de la perception des risques alimentaires par les consommateurs : celle-ci se structure dans la juxtaposition des croyances des
individus quant aux modèles alimentaires, de leur situation personnelle
et de leur confiance dans les compétences – techniques et éthiques –
des autres acteurs de la filière agroalimentaire.
08•Gurviez
30/10/09
1764
7:23
Page 1764
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
I.2. Les préoccupations éthiques des consommateurs
Au-delà des risques sanitaires, c’est donc bien toute une dimension
morale ou éthique du risque qui émerge à l’occasion des crises alimentaires : à l’argument bien connu du nombre énorme de décès par
accidents de la route opposé au petit nombre des victimes de l’ESB, les
médias et le public opposent la transgression d’un ordre naturel qui,
dans une logique de profit, a rendu les vaches cannibales : à un risque
qu’ils pensent maîtriser individuellement, ils opposent un risque qu’on
leur a fait prendre à leur insu. On retrouve les caractéristiques qualitatives des risques mises en évidence par Slovic (1987) pour expliquer
les variations entre l’analyse des risques par les experts et les profanes.
On y retrouve aussi les dimensions de l’ « éthique moderne de la nourriture » décrites par Zwart (2000). Les produits sont rejetés parce qu’ils
sont contaminés, pas au sens physique mais au sens moral. Après les
formes anciennes de rejet liées aux croyances et pratiques religieuses,
les oppositions actuelles à certains produits tels que les OGM sont guidées par des considérations éthiques de refus de manipulation du
vivant. Les consommateurs par leurs choix et la réflexivité qu’ils développent quant à leur choix affirment leur préférence pour des produits
ayant « une identité morale » au-delà des qualités sanitaires et nutritionnelles.
Pour autant, la littérature montre l’ambiguïté de la relation des
consommateurs à l’éthique [Pontier et Sirieix (2003)]. En effet, si la
dimension éthique prend de l’importance, celle-ci ne doit pas être surestimée. Verbeke et Veimer (2006) insistent ainsi sur la différence entre
les consommateurs engagés, peu nombreux, qui se sentent responsables vis-à-vis de la société et les consommateurs « réflexifs » qui
s’inscrivent plus dans un mouvement de société et dans une norme
sociale. Les préoccupations éthiques du consommateur sont donc à
considérer avec précaution : s’ils se déclarent de plus en plus concernés par les problèmes environnementaux ou sociétaux, ces préoccupations ne se répercutent pas forcément dans leurs comportements
[Sirieix et Codron (2003)].
II. – ÉTHIQUE ET RISQUES ALIMENTAIRES : LES PERCEPTIONS
DES CONSOMMATEURS, DES TRANSFORMATEURS ET DES DISTRIBUTEURS
L’objectif général de notre enquête auprès des acteurs du système
alimentaire français nous a conduit à d’abord interroger séparément
chacun des 3 groupes d’acteurs que nous avions identifiés : les
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1765
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1765
consommateurs, les distributeurs et les transformateurs, en excluant les
producteurs de notre champ d’investigation.
II.1. Méthodologie de l’étude auprès des consommateurs et des
professionnels
Le sujet des préoccupations éthiques présentant une forte désirabilité sociale, le fossé entre attitudes déclarées et comportement risque
d’être particulièrement important [Hermann et al. (1998)]. Afin de
minimiser ce biais, nous avons opté pour une méthodologie qualitative,
fondée sur l’analyse du discours des acteurs et non pas sur un recueil
de données à partir de réponses à un questionnaire. Si ce choix ne
débouche pas sur des données statistiquement représentatives, il offre
la possibilité, face à un domaine encore très mal défini, d’atteindre un
niveau de profondeur et de richesse d’informations qui fait défaut à des
techniques plus quantitatives. Nous avons procédé à l’analyse de ce
discours à travers le croisement de plusieurs méthodes (analyse de
contenu et analyse textuelle à l’aide du logiciel Alceste) et la mise en
oeuvre du principe de saturation lors de la collecte.
Nous avons d’abord effectué 45 entretiens semi-directifs et 6 entretiens de groupe avec des consommateurs profanes (Paris et province)
qui ont permis de dégager plusieurs thèmes autour d’oppositions :
– l’éthique opposée à la quête du profit,
– l’éthique opposée à la masse et au volume (« les petits [producteurs, commerçants] » vs « les gros [industriels, distributeurs] »),
– l’éthique réservée aux plus riches des consommateurs qui, seuls,
ont le choix économique.
Afin d’approfondir les liens entre la perception des risques alimentaires et l’éthique, nous avons ensuite réuni un premier focus group de
consommateurs engagés (7 personnes recrutées pour leurs activités
militantes dans le domaine de l’environnement, du commerce équitable ou de la protection des consommateurs et 4 consommateurs de
produits biologiques), puis organisé deux focus groups de consommateurs « naïfs » à Paris et à Annecy, recrutés de manière à obtenir des
groupes hétérogènes en termes de sexe, d’âge et de revenus.
L’étude auprès des professionnels s’est articulée autour de :
– deux focus groups transformateurs,
– 28 entretiens semi-directifs de transformateurs,
– 18 entretiens semi-directifs au sein de quatre enseignes de la
grande distribution.
08•Gurviez
30/10/09
1766
7:23
Page 1766
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
La préoccupation sur le risque alimentaire apparaît comme une préoccupation transversale, présente chez l’ensemble des acteurs de la
filière. Si l’analyse des responsabilités n’est pas toujours partagée,
celle de la reconnaissance d’un risque ne fait de doute pour personne.
II.2. Résultats : des définitions différentes du risque alimentaire
pour les acteurs
Deux approches complémentaires se dégagent entre les professionnels, d’une part, et les consommateurs, naïfs ou engagés, d’autre part.
II.2.1. Une préoccupation dominante pour les professionnels :
le risque physique
Pour les professionnels, la définition du risque alimentaire passe
surtout par la protection de la santé du consommateur. La préoccupation concerne des produits pouvant contenir des contaminants (physiques, chimiques, micro-biologiques) dangereux pour le consommateur. Sont mis en avant les problèmes liés au produit, à sa fabrication
et provenant d’un manque de précaution.
Les professionnels ont par ailleurs une vision idéalisée de justicier
du risque : « Le professionnel, c’est celui qui par sa vision maîtrise son
monde et livre à ses clients des produits sans risque ».
II.2.2. Deux types de risque perçus par le consommateur :
risque physique, risque symbolique
Le discours des consommateurs est paradoxal : face à un risque
reconnu comme de plus en plus faible dans l’alimentaire, le consommateur développe des peurs diffuses liées à la symbolique de l’alimentation et à l’allongement de la chaîne logistique de productionfabrication-distribution. Les arguments développés par les
consommateurs sont en fait de plusieurs types, en cohérence avec la
revue de la littérature :
– Une visibilité croissante des risques : le consommateur voit une
confirmation ou une légitimation de ses soupçons dans la déclaration des multiples contrôles bactériologiques.
– Une perception différente du risque entre experts (des risques alimentaires) qui ont une approche rationnelle du risque et profanes
(les consommateurs) qui ont un « contrôle social interprétatif »
quelque peu différent des précédents.
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1767
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1767
– Une symbolique de l’alimentation qui repose sur la « pensée
magique » du consommateur (on devient ce que l’on mange) et
qui constitue une invariance de l’anxiété alimentaire.
– Une chaîne logistique allongée, perçue comme opaque et potentiellement porteuse de risque.
Les consommateurs – naïfs et engagés confondus – perçoivent des
risques dans l’alimentation et attribuent davantage la responsabilité des
risques alimentaires à la filière qu’au produit lui-même. L’analyse permet de mettre en valeur les composantes symboliques des risques perçus, et, parmi celles-ci, une composante qui interroge la compétence
éthique des acteurs de la filière. En effet, selon les interviewés, dès
qu’ils sont en présence d’un produit alimentaire, il y a risque. Ce
risque s’accroît lorsque l’aliment est transformé par l’industrie. Mais
davantage que sur les produits eux-mêmes, pour lesquels les contrôles
et l’État jouent un rôle de réassurance, c’est sur la filière agroalimentaire que des inquiétudes s’expriment. La vision de la filière va en se
dégradant d’amont en aval, d’un agriculteur « otage » à un distributeur
dénué de valeurs morales. Les « intermédiaires » sont vivement critiqués, même si les interviewés n’arrivent pas à les identifier.
II.2.3. Du risque symbolique à la perte de sens
On voit ainsi émerger des risques perçus d’ordre symbolique, qui
reposent sur des interrogations éthiques :
– le risque que fait peser une alimentation industrialisée, standardisée,
– le risque d’une perte de son autonomie.
Risque d’une alimentation standardisée :
Les consommateurs font preuve d’une grande méfiance envers la
marchandisation, l’industrialisation et la standardisation de l’alimentation et survalorisent le « naturel » comme indicateur d’un bon aliment.
« Un bon produit, c’est un produit naturel et simple » ; « il faudrait
revenir aux produits que consommaient nos grand-mères ». Ils expriment donc leur attachement à des produits inscrits dans une tradition
culinaire et culturelle et revendiquent la variété dans les produits agricoles cultivés, qui leur paraît menacée : « ils ont supprimé des variétés
de pommes, parce qu’elles ne rapportaient pas assez ».
Ce souhait de produits « authentiques » fait le succès actuel des produits du terroir, qui offrent aux consommateurs, à travers leur consom-
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1768
1768
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
mation, l’accès à des produits véhiculant du sens et du symbole. Dans
la nostalgie des mangeurs s’exprime un besoin de construire -ou de
renouer- un lien avec ce qui a fait le produit qu’ils ingèrent : les ingrédients et les hommes.
Le produit alimentaire valorise l’identité du consommateur s’il lui
permet de se sentir relié à un groupe (les producteurs, les fabricants,
les petits commerçants) qu’il associe à l’esprit d’un métier bien fait, ou
encore à des ingrédients « naturels ». À l’inverse, les produits industriels comme les plats préparés sont suspects, d’une part parce qu’ils se
ressemblent tous, et d’autre part parce qu’ils ont perdu leur « naturalité » car « l’ajout d’étapes supplémentaires de préparation augmente
la méconnaissance des produits ». Ils sont entachés d’un aspect impersonnel et standardisé dont l’ingestion risque, en vertu du principe de
contagion, de précipiter symboliquement le consommateur, lui aussi,
vers un aspect standardisé : la crainte d’une espèce humaine déshumanisée se profile derrière le discours des consommateurs.
Le non-respect de l’autonomie de la personne :
Cette crainte symbolique va de pair avec la crainte d’une restriction
de la liberté de choix, évoquée sous deux aspects :
– l’absence de choix, liée au nombre restreint de variétés de produits proposés par les professionnels de l’agroalimentaire,
– des facteurs externes, comme la manipulation par la publicité et
d’autres contraintes telles que le temps et les revenus disponibles
pour exercer son choix.
Pour les consommateurs, les produits proposés par les industriels sont
davantage choisis en fonction de leur rentabilité que des préférences des
clients : « J’ai pas envie que [mon enfant] soit formaté à manger ce que
le marché économique impose, parce que c’est ce produit-là qui rapporte et pas un autre ». La diversité de l’alimentation est également
considérée comme un patrimoine à léguer aux générations futures.
Cependant, les consommateurs remarquent qu’eux-mêmes ne sont
pas pour rien dans cette uniformisation de l’alimentation : en étant particulièrement influencés par la publicité et impliqués dans des phénomènes de mode de la consommation, ils se laissent manipuler.
L’éthique peut apparaître alors comme l’une des réponses à la perception de ce risque symbolique de perte d’autonomie individuelle.
Elle a un rôle à jouer dans l’industrie alimentaire, celui d’un « gardefou » incitant les industriels à « ne pas faire n’importe quoi », à se soucier avant tout de la qualité des produits qu’ils proposent.
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1769
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1769
II.3. Une filière trop opaque, mais reconnue comme gestionnaire
du risque sanitaire
Que ce soit les consommateurs ou les professionnels, chacun juge
la filière comme particulièrement complexe et génératrice de risques
non contrôlables. Les préoccupations liées à la complexité de la filière
sont d’autant plus fortes qu’elles s’inscrivent dans un schéma de globalisation des marchés et d’éloignement des lieux de production et de
transformation. Pour les consommateurs, la filière est décrite par un
certain nombre de caractéristiques essentiellement négatives, avec des
images comme celles de « victimes » (le consommateur qui a du mal
à avoir l’information et l’agriculteur, soumis à la pression des transformateurs), ou encore de « loups » (le distributeur qui par sa puissance écrase les autres intervenants et le transformateur qui dicte sa loi
au producteur).
Les relations amont-aval sont également jugées complexes et
opaques par les professionnels :
– Opacité des modes de fabrication (non transparence des process).
– Toute puissance des distributeurs et opacité de leurs pratiques
(négociations commerciales, contraintes imposées aux fabricants
ou producteurs). Cependant, les consommateurs déclarent être
relativement rassurés sur le risque sanitaire. Ils sont sensibles à
l’ensemble des contrôles menés par des tiers neutres tout le long
de la chaîne agro-alimentaire et souvent instaurés par la filière
elle-même. Ils sont rassurés par des signes forts de réassurance:
les signes officiels de qualité, la provenance, la proximité du producteur ou du distributeur.
– Les professionnels, quant à eux, sont depuis longtemps déjà actifs
et attentifs à la protection du consommateur contre le risque alimentaire. Ils sont nombreux à citer la démarche qualité et le principe de précaution comme moyens pour éviter toute conséquence
néfaste pour le consommateur.
II.4. Une sensibilisation générale des acteurs à l’éthique,
comme moyen de redonner du sens au produit alimentaire
Une définition consensuelle émerge, à partir des verbatim des différentes catégories d’acteurs, comme le principe qui permet de « rechercher la bonne manière d’agir ou d’être face à la conscience d’un risque
physique ou symbolique ». L’éthique apparaît comme un moyen de
08•Gurviez
30/10/09
1770
7:23
Page 1770
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
redonner du sens au produit pour les consommateurs. Quant aux professionnels de la filière, l’éthique leur évoque un ensemble de processus aboutissant au respect du consommateur. Elle permet de « donner
du sens à l’action » en rappelant les principes moraux qui doivent la
gouverner. Même si la prise en compte de l’éthique apparaît à certains
comme opportuniste « On fait du business, pas de l’éthique », l’éthique
n’est cependant pas sans effet :
– elle renforce la crédibilité interne de l’entreprise,
– elle améliore l’image de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes,
– même si elle a un coût, elle rapporte puisqu’elle renforce la
confiance des consommateurs.
Cependant, l’éthique apparaît pour beaucoup de consommateurs et
de professionnels comme un positionnement de niche. En effet, pour
les acteurs interrogés, l’éthique ne suffit pas à donner une raison
d’achat : donner du sens ne fait pas forcément vendre, il s’agit d’un
positionnement destiné à certains mais pas au plus grand nombre, car
le prix domine généralement dans les arbitrages du consommateur.
Cette affirmation pessimiste sur le rôle de l’éthique dans le comportement du consommateur est surtout portée par les consommateurs euxmêmes et les responsables de magasins qui, en ce sens, rejoignent les
PME, révélant, de fait, un décalage de perception entre les sièges des
grosses sociétés et le terrain, entre grosses et petites structures. Apparaît alors ici un effet taille (grosse entreprise vs PME) et un effet fonction (cadre du siège vs homme de terrain). Il convient cependant de
retenir que l’éthique génère pas mal de doute quant à sa prise en
compte réelle dans le comportement d’achat.
La mise en avant d’un décalage important entre le dire et le faire est
particulièrement soulignée. Même si les consommateurs dans leur
ensemble considèrent que chacun doit avoir le courage de privilégier
des produits intégrants des principes éthiques, seuls les consommateurs engagés apparaissent comme étant capables de payer un surcoût
pour ce type de produits.
Enfin, certains facteurs ont une incidence sur l’acceptation de
l’éthique par les professionnels :
– le facteur taille : l’éthique c’est plutôt pour les grandes entreprises ;
– le facteur fragilité économique : l’éthique peut facilement être
remise en cause dans le cas où la fragilité financière est particulièrement alarmante.
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1771
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1771
Au final, les principaux apports de la phase exploratoire nous renseignent sur le fait que, sans aucun doute, l’éthique apparaît comme un
moyen de maîtriser le risque alimentaire. Mais au-delà de cette convergence des points de vue, il semble que les différents acteurs n’ont pas
la même approche du risque alimentaire et, en conséquence, de
l’éthique en action.
Les transformateurs, investis dans le maintien de la santé du
consommateur, sont très sensibles à la notion de protection contre le
risque physique et rattachent essentiellement l’éthique au respect des
process et des règles.
Les distributeurs, conscients du peu de transparence de la filière,
état de fait auquel ils participent largement, envisagent l’éthique
comme moyen de normaliser les relations dans la filière afin de lutter
contre ce que nous avons défini comme risque symbolique, la perte de
sens du produit.
Le consommateur, lui, plutôt confiant dans les signes de réassurance
mis en place pour prévenir les risques physiques, voit dans l’éthique un
moyen de lutter contre la perte de sens du produit : « L’éthique c’est
un produit qui a du sens, en liaison avec un professionnel qui exerce
bien son métier et la nature qui procure les ingrédients ».
III. – LES RÉACTIONS DES CONSOMMATEURS ET DES PROFESSIONNELS
FACE À UNE QUESTION LIÉE À L’ÉTHIQUE
En collaboration avec une entreprise agroalimentaire, nous avons pu
identifier des questions d’ordre éthique adressées au service consommateurs. Nous avons alors construit des scénarios multi-acteurs comportant le descriptif d’une situation posant un problème éthique et les
différents comportements envisageables pour gérer la situation [Lavorata, Nillès et Pontier (2005)]. Ceci nous a permis de confronter directement les réponses de consommateurs et de professionnels à des questions éthiques communes, afin de mettre en évidence les décalages et
les similitudes de vision entre ces deux groupes d’acteurs.
III.1. Méthodologie des scénarios
Un scénario présente, d’une part, le contexte de la décision et,
d’autre part, les différentes options qui se présentent aux décideurs.
Les personnes interrogées doivent se placer en position de prendre une
décision et de donner leur point de vue.
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1772
1772
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
L’étude a été menée auprès de 16 personnes travaillant dans l’entreprise partenaire et 15 consommateurs des produits de l’entreprise. Les
personnes devaient pour chaque décision :
1. donner une valeur éthique à cette décision (de 1 à 5, avec 1 =
décision injustifiable et 5 = décision idéale) selon ce qui leur
paraissait souhaitable, en dehors de toute contrainte organisationnelle et justifier leur réponse ;
2. dire si, selon elles, il existait une autre décision possible à
laquelle nous n’aurions pas pensé et, si oui, la présenter.
Les professionnels devaient en plus attribuer une valeur à la décision en fonction de la probabilité que le responsable adopte ce comportement (de 1 à 5, avec 1 = décision impossible et 5 = décision qu’il
va prendre sans aucun doute) et justifier leur réponse.
Au total, 3 scénarios ont été utilisés ; nous ne présenterons ici qu’un
scénario faisant référence à l’origine de la gélatine utilisée dans les
produits de l’entreprise.
III.2. Résultats obtenus
Pour déterminer les priorités en termes d’éthique des consommateurs et des professionnels, nous avons analysé puis comparé les différentes décisions choisies par les professionnels et les consommateurs
(tableau 1) ainsi que leurs perceptions de l’éthique sur ces problématiques, à partir des verbatim recueillis. Ces données nous permettent de
comprendre comment les répondants justifient les décisions qu’ils ont
prises. Les notes recueillies ont été analysées essentiellement de
manière qualitative compte tenu du faible nombre de répondants.
Le tableau 1 fait apparaître le texte du scénario « gélatine » ainsi que
les choix proposés pour la décision conjointement aux consommateurs
et aux professionnels, enfin la probabilité que cette décision soit effectivement choisie par l’entreprise (uniquement pour les professionnels).
La valeur éthique, comme la probabilité de choix, est donnée par la
note attribuée à chaque décision.
Parmi les professionnels, la décision 1 est celle qui recueille le
meilleur score. Viennent ensuite les décisions 2 et 3 puis la décision 4,
globalement la plus rejetée. Pour les consommateurs, c’est d’abord la
décision 2 qui est choisie, puis les décisions 1 et 3, et comme pour les
professionnels, la décision 4 est rejetée. Cependant, compte tenu du
faible nombre de répondants, les écarts entre les réponses 2, 1 et 3 ne
sont pas vraiment significatifs. C’est également cette décision qui,
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1773
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1773
TABLEAU 1
Scénario Utilisation de gélatine : Valeur éthique des décisions
Pour créer la texture de certains produits, un responsable qualité des produits
laitiers frais dans une entreprise agroalimentaire, doit utiliser de la gélatine. Il
doit choisir entre :
– De la gélatine bovine parfaitement sûre à l’heure actuelle mais pour laquelle
certains produits présentent des défauts de formulation
– De la gélatine porcine que certaines communautés ne peuvent consommer
pour des raisons religieuses, mais qui en revanche donne un produit fini qui
présente toutes les qualités organoleptiques requises
– De la gélatine de poisson qui présente un risque allergène
Seule la gélatine de poisson sera mentionnée sur l’emballage dans les produits
allergènes. L’origine de la gélatine n’est pas précisée, dans les 2 autres cas
(toutes les mentions spécifiques propres aux restrictions alimentaires de l’ensemble des consommateurs ne peuvent être indiquées sur les emballages).
Décisions
1 Le responsable qualité utilise de la
gélatine bovine autant que possible
et réserve la gélatine porcine aux
situations dans lesquelles la formulation à partir de gélatine bovine est
impossible
2 Pour ne pas léser la communauté
musulmane, il décide de ne pas
utiliser de gélatine porcine. Ainsi, il
n’utilise que de la gélatine bovine et
abandonne les produits qui nécessitent
l’utilisation de gélatine porcine
3 Lorsque des contraintes technologiques empêchent l’utilisation de gélatine bovine, il utilise de la gélatine de
poisson, qui de toute façon apparaît
dans la liste des allergènes, ce qui lui
évite de supprimer des produits de la
gamme des PLF
4 Il utilise la gélatine qui offre le
meilleur rapport qualité/ prix
note éthique
conso.
professionnels
probabilité
entreprise
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
De 1 à 5
d’après les professionnels, a le plus de chances d’être adoptée par le
responsable car elle met en avant le respect de la sécurité alimentaire.
La décision 1 (gélatine bovine privilégiée et recours à la gélatine por-
08•Gurviez
30/10/09
1774
7:23
Page 1774
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
cine seulement si c’est nécessaire) pose le dilemme entre le respect des
interdits religieux d’une partie de la population et la garantie de proposer des produits à la fois sains et bons. Les professionnels expriment
cette tension mais, dans leur grande majorité, ajoutent un élément pour
la résoudre : il « suffirait » que l’étiquetage informe clairement les
consommateurs concernés par l’interdiction du porc pour que cette
décision soit plébiscitée : « C’est très bien d’un point de vue de l’exigence de la qualité. D’un point de vue éthique, pour que ce soit irréprochable, il faudrait des indications sur l’emballage ». L’exigence de
transparence renvoie à un engagement de vérité de l’entreprise vis-àvis de ses clients, ce qui apparaît également dans l’appréciation sur les
probabilités que le responsable adopte cette position : elles sont plutôt
bonnes, car la grande majorité des répondants met l’accent sur la qualité des produits et les objectifs du marketing. Les consommateurs sont
partagés face à cette décision ; s’ils s’accordent sur la nécessité de respecter les consommateurs et leurs convictions, de mettre les produits à
la disposition du plus grand nombre, d’assurer la qualité des produits
et d’être transparent, la question de la transparence et de l’étiquetage
les divise. Pour certains, « à partir du moment où c’est marqué sur
l’emballage, tout est possible. Le responsable met la gélatine qu’il veut
et le consommateur prend ses responsabilités » alors que d’autres s’inquiètent du manque possible d’information : « Que le produit
contienne de la gélatine, même très peu, rend sa consommation impossible aux musulmans ; qu’ils n’en soient pas informés est encore plus
inacceptable ! ».
La décision 2 (gélatine bovine, sinon abandon de certains produits)
fait l’objet de réponses très contrastées, avec des choix aux deux
extrêmes mais 10 réponses sur 16 très positives. La justification de ce
choix repose sur le respect de tous les consommateurs et le rappel de
l’importance numérique de la communauté musulmane en France. Une
tension s’exprime entre le respect d’une norme culturelle du pays (ici,
la laïcité) et le respect des individus. Cette tension entraîne une estimation faible de la probabilité de choisir cette décision, pour les
risques financiers qu’elle ferait courir en lésant une majorité de
consommateurs privés de leurs produits (« ça m’étonnerait qu’on le
fasse car ce n’est pas gérable économiquement ») à quoi s’ajoute une
réprobation morale (« On n’a pas à priver les autres gens car certains
ont des coutumes. Les coutumes ne doivent pas devenir la règle »). La
probabilité d’adoption de la décision 2 est très faible. L’entreprise ne
pourrait pas supporter financièrement la suppression de produits de
leur gamme ; à cela s’ajoutent des remarques sur le fait que l’entreprise
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1775
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1775
ne peut pas prendre le parti de favoriser une communauté au détriment
du reste de la population.
Sur la décision 2, les perceptions des consommateurs sont assez
proches de celles des professionnels ; toutefois, contrairement aux
remarques des professionnels rejetant une décision jugée trop communautariste, la majorité considère que cette décision permet de respecter
les convictions religieuses de certaines communautés. Cependant,
cette décision est jugée parfois trop radicale et susceptible de léser le
reste des consommateurs (« On n’est pas obligé d’aller aussi loin... ».
« Les convictions priment alors sur la santé de toute la population »).
La décision 3 (gélatine bovine et gélatine de poisson) recueille également des réponses très mitigées. La tension entre la responsabilité
individuelle des consommateurs éventuellement concernés et la responsabilité de l’entreprise est très fortement ressentie et justifie les
choix extrêmes, selon l’angle privilégié par les répondants. Ainsi, cette
décision peut être perçue comme éthique, parce qu’elle informe et que
c’est donc au consommateur de prendre ses responsabilités (« Cette
décision est préférable au niveau du consommateur parce que le responsable tend à n’utiliser que de la gélatine bovine et que le consommateur allergique fera attention. ». Au contraire, cette même tension
conduit à rejeter cette décision (« Je préfère la gélatine porcine parce
que, même si c’est écrit, les problèmes d’allergies viennent très vite »).
L’éthique est très souvent requise pour justifier la faible probabilité
d’adoption à la fois par le risque santé mais aussi par le risque pour
l’image de marque, d’autant plus que « le respect des allergiques est
un engagement stratégique de l’entreprise ». L’éthique et les affaires
se rejoignent : « C’est trop risqué. C’est une catastrophe pour l’image
de marque ».
Les consommateurs interrogés sont également partagés sur la décision 3. Alors que certains estiment que cette décision, « claire » et
« transparente » en raison de l’étiquetage, permet de respecter tous les
consommateurs quelles que soient leurs convictions alimentaires ou
leurs allergies, d’autres considèrent qu’il est injustifiable voire immoral de prendre un tel risque santé en toute connaissance de cause : « Si
c’est marqué en gros c’est bon mais il y a un danger si on n’est pas
bien renseigné. C’est idiot d’attraper quelque chose de grave à cause
d’un yaourt ».
La décision 4 mettait en jeu le dilemme entre éthique et recherche
du profit. C’est la plus rejetée à la fois dans sa valeur éthique et dans
sa probabilité d’être adoptée. Globalement, elle est jugée incomplète
voire amorale et ne plaît pas du tout : « ça veut dire que je me moque
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1776
1776
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
du consommateur ». Comme les professionnels, les consommateurs
blâment le manque de considérations éthiques dans la décision 4. Si
deux consommateurs reconnaissent que le rapport qualité-prix est
important, tous les autres condamnent un responsable qui ne prend en
compte que des considérations économiques, n’est pas attentif aux
attentes des consommateurs et ne répond pas à ses devoirs : « Ils ne
prennent pas en compte les consommateurs et les prennent pour des
machines à acheter ».
III.2.2. Décision idéale selon les consommateurs et les professionnels
Nous avons enfin demandé aux consommateurs et aux professionnels de définir eux-mêmes la décision qu’ils estiment idéale.
TABLEAU 2
Décision idéale selon les consommateurs et les professionnels
Décision
idéale
selon les consommateurs
Scénario : – utiliser des substituts chimiques ou végétaux (déveGélatine
lopper la recherche sur de
nouveaux procédés)
– étiqueter toutes les gélatines
et en particulier la gélatine de
porc, pour que le consommateur sache ce qu’il mange et
qu’il puisse choisir
– développer une stratégie
d’information sur les risques
et les avantages de la
gélatine : il faut une information claire de la part des
grandes entreprises, sans
quoi le consommateur les
suspecte.
selon les professionnels
Assurer
– La transparence avec un étiquetage de la gélatine porcine
– Le respect des communautés
– La recherche de solution pour
écarter les problèmes liés aux
restrictions alimentaires des
consommateurs (convictions
religieuses, allergies) en
créant par exemple une
gamme de produits destinés à
la communauté musulmane
ou encore en abandonnant les
gélatines (animales) au profit
de gélifiants (végétaux)
De façon un peu surprenante, les professionnels mettent cependant
plus l’accent sur les qualités d’une décision idéale, alors que les
consommateurs proposent plus de solutions concrètes.
Au final, les perceptions éthiques des professionnels et des consommateurs sont globalement assez proches. Consommateurs et professionnels mettent en avant la nécessité de respecter le consommateur
(convictions religieuses et restrictions alimentaires liées aux allergies)
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1777
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1777
tout en mettant sur le marché des produits destinés au plus grand
nombre, de produire des aliments sûrs et bons, enfin d’être clair et
transparent. Les professionnels semblent avoir une vision très proche
de celle émise par les professionnels de la première étude : l’éthique
est liée aux affaires par l’amélioration de l’image de marque et de la
confiance des consommateurs ; le risque sanitaire est vu comme plus
important que le risque symbolique (« avec la gélatine porcine, le produit reste consommable et bon »). Les consommateurs s’attachent surtout à l’honnêteté de la réponse : ils détestent le mensonge et estiment
que, lorsqu’il le peut, le responsable doit assumer ses responsabilités
et se donner les moyens de répondre au consommateur. Si un certain
consensus apparaît donc sur l’éthique comme valeur, des divergences
apparaissent entre consommateurs et professionnels quant à sa traduction concrète dans la gestion de la filière agro-alimentaire.
CONCLUSION
Un des points importants soulevés par notre recherche concerne la
définition et la mise en œuvre de ce que pourrait être l’éthique dans la
filière agroalimentaire.
Il y a, chez les consommateurs rencontrés, une attirance certaine
pour l’éthique, comme un recours face à la perte de sens qu’ils ressentent dans leurs pratiques de consommation. Cette demande d’éthique
découle de la grande sensibilité des interviewés à un dilemme, perçu
fortement, entre la recherche du profit et le bien commun.
Les risques qui préoccupent le plus les consommateurs ont un
caractère plus symbolique que tangible : risques mal identifiés à l’instar des OGM, et surtout risques symboliques qui pourraient altérer
l’autonomie de choix du consommateur et son identité, tels que le non
respect des pratiques religieuses mis en évidence dans l’expérimentation par scénario. Les consommateurs aspirent donc à un développement de l’éthique pour réduire ces risques, mais cela leur paraît difficile car en opposition avec la loi d’airain du « tout profit ». En même
temps, ils expriment leur crainte d’une « alimentation à deux
vitesses », l’une, éthique, étant réservée à ceux qui pourront en payer
le prix. Quant à leur propre comportement éthique, les consommateurs
reconnaissent qu’il s’agit d’un idéal de comportement qu’ils ne mettent pas souvent en application, tant il paraît réservé à des individus
particulièrement militants. Une majorité des personnes interrogées se
considèrent comme « victimisées », sans grand pouvoir d’action et
08•Gurviez
30/10/09
1778
7:23
Page 1778
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
donc sans responsabilité dans les éventuelles dérives non éthiques de
la filière. En conclusion, ce qu’attendent avant tout les consommateurs
de l’éthique (des autres), c’est une disposition : « fabriquer [des produits alimentaires] comme si c’était pour soi. »
Les transformateurs interrogés mettent en avant le lien entre éthique
et maîtrise des risques sanitaires. L’éthique passe par le respect de la
réglementation et va au-delà (principe de précaution), elle est liée à la
responsabilité vis-à-vis des consommateurs pour se prémunir contre un
risque non identifié. Alors que les consommateurs insistent sur
l’éthique comme disposition d’esprit, les transformateurs privilégient
donc un dispositif reposant fortement sur la formalisation des process.
Les distributeurs interrogés mettent en avant moins le processus de
formalisation technique que des règles de pratique et voient l’éthique
comme outil d’arbitrage face aux comportements des acteurs de la
filière.
Enfin, tous les professionnels mettent l’accent sur le nécessaire
consentement des consommateurs à payer plus pour des produits plus
éthiques... alors que les consommateurs, dans leur majorité, n’ont pas
exprimé ce consentement à payer plus.
Les représentations sont donc sensiblement différentes chez les
acteurs de la filière agroalimentaire. Certes, le concept d’éthique est
pertinent pour les IAA car il semble pouvoir être l’un des éléments susceptibles de peser sur la réduction de la perception des risques. Néanmoins, nous avons observé un déficit d’adéquation entre les attentes
des consommateurs quant à l’attention à porter aux risques symboliques des produits alimentaires et les réponses de la plupart des entreprises, beaucoup plus orientées vers l’information sur les attributs tangibles des produits et sur la formalisation de règles comme garantie de
la sécurité alimentaire.
Cet écart rend problématique l’appropriation par la majorité des
consommateurs du processus engagé par les entreprises vers un développement durable. Ce concept est sans doute plus porteur de sens pour
les entreprises que pour les consommateurs en l’état actuel des représentations exprimées par chacun des groupes. Il y a là un risque de
conflit qu’il conviendrait d’anticiper.
Si les consommateurs sont relativement conscients des efforts des
professionnels pour garantir l’aspect sain des produits de la filière, les
entreprises sont perçues comme peu transparentes et il existe des suspicions de manipulation de leur part. En outre, les consommateurs
développent une attitude de « victimisation » qui les déresponsabilise :
se considérant comme sans pouvoir dans la régulation de la filière
08•Gurviez
30/10/09
7:23
Page 1779
ÉTHIQUE ET ACTEURS DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
1779
(sauf pour la minorité militante qui s’exprime), ils adoptent des positions qu’on peut qualifier de déception silencieuse [Hirschmann
(1995)]. Cette situation est potentiellement dangereuse pour les entreprises car elle n’offre pas de possibilité d’entendre les craintes des
consommateurs ni de mobiliser leur parole pour co-construire avec eux
la gestion des risques de la filière.
Le processus passe sans doute par une plus grande cohérence entre
les discours aux parties prenantes ; le consommateur est aussi un
citoyen, un salarié, voire un actionnaire. Les discours qui lui sont
adressés sont-ils cohérents ? C’est dans les entreprises qu’il faut commencer par donner du sens au produit car les salariés sont les premiers
acteurs concernés par ce processus. Les consommateurs prêts à
prendre la parole, même s’ils sont minoritaires, peuvent être aussi des
acteurs susceptibles de coopérer pour bâtir un réseau participatif.
Enfin, il nous semble important de transformer ce qui pourrait rester comme une injonction d’éthique à un niveau global et managérial
en une concrétisation dans une action locale et impliquante, alors que
l’éthique et plus généralement le développement durable se décrètent
bien souvent top-down. La aussi, la cohérence entre les actions et les
discours vis-à-vis de tous les acteurs de la filière reste primordiale.
Les consommateurs pourraient être enclins à mieux accepter la
reconnaissance assumée d’une responsabilité vis-à-vis des risques de
la part des entreprises. Les dispositifs de communication sont une
pièce importante dans ce processus : il s’agit, pour les entreprises, de
faire comprendre ce qu’elles et leurs produits ou services apportent et
de ne pas paraître l’imposer.
Pour terminer, les résultats de notre recherche sont limités par le
principe même de l’utilisation de méthodes qualitatives et ne sauraient
donc prétendre à la généralisation. Ces résultats indicatifs nécessiteraient d’être validés par des réplications sur de plus vastes échantillons,
voire par le passage à des méthodes quantitatives. De plus, le thème
étudié prête le flan au biais de désirabilité sociale qui influence les
répondants, notamment en situation de groupe. Ceci accentue encore
l’écart probable entre le déclaratif et l’observé, la représentation et le
comportement. Cependant, le lien entre éthique et perception des
risques semble clairement posé par l’ensemble des données recueillies.
08•Gurviez
30/10/09
1780
7:23
Page 1780
P. GURVIEZ, L. SIRIEIX
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BRUNEL O. [2000], « La perception du risque alimentaire, pour une vision
interdisciplinaire du mangeur », Actes du 1er atelier Percevoir, identifier et
gérer les risques en marketing, ateliers de recherche Université Paris1, juin,
p. 185-196.
COCHOY F. [2001], « Les effets d’un trop-plein de traçabilité », La recherche,
n° 339, p. 66-68.
HERMANN R., STERNGOLD A., WARLAND R. [1998], « Comparing Alternative
question Forms for Assessing Consumer Concerns », The Journal of
Consumer Affairs, n° 32, p. 13-29.
LAVORATA L., NILLES J.J., PONTIER S. [2005], « La méthode des scénarios : une
méthode qualitative innovante pour le marketing. Application au comportement éthique du vendeur en B to B », Décisions Marketing, n° 37, janv.mars, p. 67-75.
POULAIN J.P. [2002], Manger aujourd’hui : attitudes, normes et pratiques,
Privat, Toulouse.
PONTIER S., SIRIEIX L. [2003], « Les préoccupations éthiques des consommateurs et leur expression dans la consommation de produits biologiques »,
Actes du 19e Congrès de l’Association Française de Marketing, Tunis,
p. 60-74.
SIRIEIX L., CODRON J.M. [2003] « Environmental and ethical consumers’
concerns for food products », Association for Consumer Research Conference, 9-12 Oct., Toronto, in B.E. Kahn and M.F. Luce (eds), Advances in
Consumer Research, vol. 31.
VERMEIR I., VERBEKE W. [2006], « Sustainable food consumption among
young adults in Belgium: Theory of planned behavior and the role of confidence and values », Biotechnologies, Agronomy, Society and Environment,
10 [3], p. 237-249.
ZWART H. [2000], « A Short Story of Food Ethics », Journal of Agriculture and
Environmental Ethics, 12, p. 113-126.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1781
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1781-1800
Le vendredi soir au restaurant avec des amis :
sentiments de justice
et impacts sur l’évaluation du service
Béatrice Siadou-Martin, Philippe Aurier
Université Montpellier 2, CR2M
Dans une expérimentation scénarisée (repas au restaurant), nous
manipulons les trois composantes de la justice (distributive, procédurale, interactionnelle) afin d’étudier leurs impacts sur le processus
d’évaluation d’une expérience de service (qualité, valeur et satisfaction). Grâce à ce dispositif, nous observons des impacts directs sur la
qualité, la valeur et la satisfaction, les effets les plus forts concernant
la qualité perçue et non la satisfaction, contrairement aux résultats
antérieurs. La quasi-absence d’effets d’interactions suggère aussi des
effets simplement additifs.
Thanks to a screenplay in an experiment (dinner at the restaurant),
we manipulate distributive, procedural and interactional justice perceptions to study their impact on service experience evaluation (quality, value, satisfaction). On this basis, we establish direct impacts of
justice on quality, value and satisfaction. The most important effects
concern perceived quality and not satisfaction, contrary to the literature. The very limited impacts of interactions between components of
justice characterize additive effects.
09•Siadou-Martin
27/10/09
1782
8:04
Page 1782
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
INTRODUCTION
Représentant 33 milliards d’euros et plus de 150 000 entreprises 1,
la restauration traditionnelle ne bénéficiera de la croissance de la
consommation hors foyer qu’en répondant aux inquiétudes des
consommateurs. Prix jugés trop élevés (50 %), rythme et qualité du
service (24 %), préoccupations nutritionnelles (23 %) 2 sont les trois
principales raisons qui la freinent.
Par ailleurs, selon le baromètre des plaintes des consommateurs instauré par la DGCCRF 3 4, le secteur « hôtellerie, restauration, tourisme » appartient aux 12 secteurs d’activité concentrant le plus de
réclamations (5,5 % des 65 624 réclamations reçues au second
semestre 2007). Celles-ci concernent principalement, tous secteurs
confondus, l’inexécution de la prestation (totale ou partielle, 15 %), la
publicité mensongère (8 %), les problèmes de livraison (7 %), les problèmes de facturation (contestation du prix, 6 %).
En conséquence, la recherche d’un équilibre entre partenaires commerciaux est liée au résultat obtenu (prix payé, qualité obtenue... au
regard d’autres possibilités), aux politiques commerciales des entreprises et aux interactions sociales entre personnel et clients.
Ainsi, la justice perçue ou le « fair-play » commercial permet la
poursuite des relations en conciliant les notions de réciprocité, de comparaisons interpersonnelles et de processus relationnels ; et ce d’autant
plus dans les services, de par leur intangibilité, l’interaction clientemployé et l’imprévisibilité de leur performance [Berry et al. (1994)].
La littérature conceptualise la justice à travers trois composantes
– le résultat de l’échange ou justice distributive, les procédures ou justice procédurale et les interactions interpersonnelles ou justice interpersonnelle – et suggère deux résultats essentiels. D’une part, la justice
semble un antécédent majeur de la satisfaction, comme le processus de
disconfirmation des attentes [Martinez-Tur et al. (2006)] et par suite de
la fidélité [Clemmer (1993) ; Holbrook et Kulik (2001)]. D’autre part,
une gestion « juste » des réclamations conduit le consommateur à
1 Source : INSEE, Enquête annuelle d’entreprise 2004. Données issues du rapport
« Innover, créer, faire rêver : les défis de l’hôtellerie-restauration » / Thierry Costes avec
le concours du Centre d’analyse stratégique, La documentation française, 2007.
2 Étude qualitative du Gira Sic Conseil : entretiens semi-directifs de 635 personnes
représentatives de la population française âgées de 15 ans et plus. Résultats issus de l’article « L’avenir est aux repas confort et plaisir », L’Hôtellerie-Restauration, 10 avril 2008.
3 Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des
fraudes.
4 Données issues du site du Ministère de l’Économie, des finances et de l’emploi.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1783
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1783
adopter à l’égard de l’entreprise des comportements favorables tels que
le ré-achat ou la recommandation et à se détourner des comportements
défavorables comme le bouche-à-oreille négatif ou la réclamation.
Notre revue de littérature souligne néanmoins trois limites auxquelles cet article propose de contribuer. Tout d’abord, l’essentiel des
travaux se focalise sur la gestion des plaintes dans lesquelles le rôle de
la satisfaction est central [Martinez-Tur et al. (2006)]. Nous nous centrerons ici sur l’expérience de consommation, situation de référence,
bien plus courante et fréquente et dans laquelle l’attente de justice
devrait être aussi prégnante. Par ailleurs, certaines recherches n’intègrent pas les trois composantes de la justice (distributive, procédurale
et interactionnelle), rendant possible la confusion, au plan statistique,
de leurs impacts respectifs. Enfin, bien que la littérature ait souligné la
nécessité d’appréhender l’évaluation des services en termes de processus et d’intégrer les concepts de qualité perçue, valeur et satisfaction
[Cronin et al. (2000)], aucune recherche, à notre connaissance, n’intègre et étudie simultanément l’impact de la justice sur l’évaluation de
service considérée dans sa globalité, à savoir la qualité perçue (ellemême décomposée en trois composantes), la valeur et la satisfaction.
Cet article souhaite ainsi contribuer à l’analyse du rôle du sentiment
d’injustice ressenti par les clients dans le cadre de leurs expériences de
consommation courantes, en étudiant l’impact de ses trois composantes (distributive, procédurale, interactionnelle) sur le processus
d’évaluation d’un service appréhendé par ses trois composantes
majeures : qualité perçue, valeur et satisfaction.
I. – FONDEMENTS THÉORIQUES
Les recherches en marketing considèrent les aspects distributifs,
procéduraux et interactionnels pour former leurs perceptions de justice
aussi bien dans la récupération de service [Blodgett et al. (1997) ;
Sabadie et al. (2006) ; Sparks et McColl-Kennedy (2001) ; Tax et al.
(1998)] que dans l’expérience de consommation [Clemmer (1993)].
La justice distributive s’intéresse au résultat obtenu [Adams
(1963)]. Si plusieurs critères de justice distributive (égalité, besoins
des individus) ont été proposés, l’équité demeure prépondérante en
gestion. Elle définit un processus en deux phases : élaboration du ratio
contributions/rétributions, comparaison au ratio d’autrui.
La justice procédurale concerne les moyens utilisés pour atteindre
ce résultat (politiques, procédures et critères de distribution). Ainsi, les
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1784
1784
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
individus accepteraient plus facilement une décision de justice défavorable suite à une procédure juste [Thibaut et Walker (1978)], c’est-àdire cohérente, sans biais, bien documentée, impartiale et éthique
[Leventhal (1976)].
Bies et Moag (1986) proposent d’étudier les aspects humains et
sociaux présents dans tout processus via la justice interactionnelle :
« la qualité du traitement interpersonnel que les individus reçoivent
durant la mise en œuvre des procédures organisationnelles ».
À ce stade, étudier l’impact de (in)justice ressentie lors d’une expérience de service apparaît nécessaire pour mieux comprendre le processus d’évaluation. Par ailleurs, certains aspects de ces dimensions
ont reçu une attention particulière : comme la réactivité et la flexibilité
d’une entreprise dans la gestion des réclamations, la qualité de l’interaction clients-vendeurs, etc.
II. – MODÈLE THÉORIQUE ET HYPOTHÈSES
Cet article étudie l’impact de la justice perçue sur l’évaluation d’une
expérience de service (figure 1). En s’appuyant sur une synthèse des
recherches sur les services et sur une étude menée dans six secteurs
d’activité, Cronin et al. (2000) soulignent la nécessité de considérer
simultanément les trois composantes de l’évaluation d’une service
(qualité perçue, valeur et satisfaction). De plus, les deux principaux
déterminants de la satisfaction sont la qualité (directement et indirectement via la valeur) et la valeur. Ces concepts étant largement débattus dans la littérature, l’encadré ci-dessous les présente succinctement.
Comment un consommateur
évalue-t-il une expérience de consommation ?
Qualité, valeur et satisfaction sont indissociables de l’expérience de
consommation et s’appuient sur la perception du consommateur.
La qualité perçue représente « le jugement par le consommateur de l’excellence ou de la supériorité globale du produit », notamment par rapport aux
attentes du client [Zeithaml (1988)]. Dans les services, la qualité perçue est
couramment décomposée en 1) qualité du résultat (qualité technique,
« cœur » de service), 2) qualité de l’interaction (qualité fonctionnelle) qui
caractérise la manière dont le cœur de service est délivré et notamment l’interaction physique entre client et personnel en contact et enfin, 3) qualité de
l’environnement dans lequel a lieu l’interaction de service [Brady et Cronin
(2001) ; Rust et Oliver (1994)]. Ainsi, la qualité perçue du restaurant sera
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1785
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1785
appréhendée respectivement sur la base de la qualité du repas servi, de l’interaction avec le personnel en salle et, enfin, de l’atmosphère générale
régnant dans la salle.
La valeur perçue évalue globalement l’utilité d’un produit à partir des
perceptions des bénéfices reçus lors de l’expérience de consommation (bénéfices fonctionnels, sociaux, hédonistes) et des ressources engagées (prix
payé, efforts, temps passé) [Zeithaml (1988)]. Au restaurant, la valeur est
donc un calcul d’utilité entre les bénéfices du plaisir de déguster les plats ou
de passer du temps avec ses amis et les sacrifices consentis, tels que le risque
perçu, le prix, l’énergie consacrée, etc.
La satisfaction décrit l’état du consommateur résultant de son évaluation
de l’expérience de consommation, en référence à un standard d’attentes basé
sur le passé, l’équitable, le minimum acceptable ou l’idéal [Évrard (1993)].
Un client satisfait est ainsi plus fidèle, même en cas de hausses des prix,
intensifie ses relations d’affaires avec l’entreprise, utilise de nouveaux produits ou services et recommande l’entreprise autour de lui.
Les relations entre qualité-valeur et satisfaction, non formulées en
hypothèses mais intégrées à notre modèle, nous assurent de sa validité
nomologique (figure 1).
Qualité
Justice
Justice
interaction.
H1d
Qualité
interacti
H1c
Justice
procédurale
H1b
Qualité
résultat
H1a
Qualité
environn
Justice
distributive
H2a,b,c
Valeur
H3a,b,c
FIGURE 1
Modèle général de la recherche
Satis
faction
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
1786
Page 1786
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
II.1. Justice et qualité
Peu étudiée en marketing, la justice est néanmoins un important
déterminant de la qualité de service [Andaleeb et Basu (1994)]. Sabadie et al. (2006) suggèrent que la justice distributive permettrait aux
consommateurs de se forger une idée quant à l’exactitude et l’excellence du cœur de service ou qualité du résultat.
La justice procédurale donne une place importante à la notion de
processus. Les organisations établissent des principes formels garantissant un traitement « juste » entre clients et fournisseurs et illustrant
la flexibilité, l’adaptabilité et la rapidité de l’entreprise. Ces critères
sont des antécédents du cœur de service [Bitner et al. (1990) ; Berry et
al. (1994)].
Par ailleurs, les travaux en marketing des services, avec notamment
le développement de l’échelle de qualité du service SERVQUAL
[Parasuraman et al. (1988)], montrent que les procédures de l’entreprise et le comportement du personnel en contact (empathie) sont des
antécédents essentiels de la qualité fonctionnelle. Nous proposons
donc :
H1(a.b.) Les composantes distributive (a) et procédurale (b) de la
justice ont un impact direct positif sur la qualité du résultat.
H1(c.d.) Les composantes procédurale (c) et interactionnelle (d) de
la justice ont un impact direct positif sur la qualité de l’interaction.
En revanche, notre analyse théorique ne permet pas de justifier un
lien causal entre justice interactionnelle et qualité du résultat ou entre
justice distributive et qualité de l’interaction. De même, la qualité de
l’environnement (atmosphère de l’expérience de service) apparaît
indépendante des composantes de la justice. Nous postulons donc des
absences de lien.
II.2. Justice et valeur
Valeur et justice distributive s’appuient sur la construction individuelle d’un ratio, respectivement bénéfices/sacrifices et contributions/rétributions. Néanmoins, la justice distributive introduit la comparaison à des référents. Oliver et Swan (1989) ont cependant conclu
que les acheteurs se servent de l’équité pour évaluer leurs expériences
de consommation et la qualité de la relation entretenue avec les vendeurs. La justice distributive semble donc ici un déterminant logique
de la valeur globale perçue par les consommateurs.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1787
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1787
La gestion des délais ou du temps d’attente et l’adaptation à des
demandes particulières du client sont aussi des sources de valorisation
d’une expérience de service. La justice procédurale, en amenant les
consommateurs à inférer des jugements quant aux procédés et procédures établis par l’entreprise, influencerait la valeur perçue. Enfin, les
bénéfices sociaux étant une composante essentielle de la valorisation
d’une expérience de consommation, nous nous attendons aussi à un
impact de la justice interactionnelle sur la valeur. Ainsi, nous proposons :
H2(a.b.c.) Les composantes distributive (a), procédurale (b) et
interactionnelle (c) de la justice ont un impact direct positif sur la
valeur globale perçue.
II.3. Justice et satisfaction
Bien que Sabadie et al. (2006) proposent des effets asymétriques de
la justice sur la satisfaction et l’insatisfaction, la justice semble
influencer la satisfaction éprouvée envers le personnel en contact ou
envers l’organisation [Blodgett et al. (1997) ; Clemmer (1993) ; Hocutt
et al. (1997)] dans l’expérience de consommation ou de réclamation.
Nous pouvons citer les travaux de Hocutt et al. (1997) ainsi que
ceux de Tax et al. (1998) pour la justice distributive. De même, la satisfaction serait aussi influencée par la justice procédurale, considérée
globalement [Blodgett et al. (1997)] ou via certains aspects comme
l’attente [Taylor (1994)], la rapidité de résolution d’un incident [Gilly
et Gelb (1982)]. La justice interactionnelle, dérivée notamment de la
communication entre clients-employés, influence la satisfaction
[Clemmer (1993) ; Blodgett et al. (1997) ; Hocutt et al. (1995)]. Nous
proposons donc :
H3(a.b.c.) Les composantes distributive (a), procédurale (b) et
interactionnelle (c) de la justice ont un impact direct positif sur la
satisfaction vis-à-vis de l’expérience de service.
III. – MÉTHODOLOGIE
Après avoir détaillé l’expérimentation scénarisée, nous détaillons la
collecte des données et les outils de mesure utilisés.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1788
1788
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
III.1. Une expérimentation scénarisée
L’expérimentation offre à évaluer une expérience de service fictive :
un repas festif et socialisé, le vendredi soir entre amis, dans un restaurant traditionnel. La méthode des scénarios fictifs permet de contrôler
les facteurs manipulés, de minimiser les effets de désirabilité sociale et
présente une bonne validité externe [Bendapudi et Leone (2003)].
Pour construire les scénarios, nous avons fixé le cadre spatio-temporel et choisi une situation impliquante : « c’est vous qui avez organisé la sortie et vous avez choisi un restaurant... ». Ensuite, nous avons
consulté les sites Internet où les consommateurs laissent leur opinion
sur des restaurants. Enfin, les scénarios ont été soumis plusieurs fois et
successivement à des consommateurs et à des experts.
Chaque composante de la justice (distributive, procédurale, interactionnelle) est manipulée selon deux niveaux (juste/injuste), au sein
d’un plan factoriel complet comprenant 2 x 2 x 2 = 8 situations expérimentales. Dans chaque scénario, la qualité du résultat (les mets et
leur préparation) et la qualité de l’environnement (atmosphère) sont
maintenues constantes et d’un niveau élevé pour limiter les effets de
halo possibles entre justice et qualité.
Une question filtre dans laquelle les répondants déclaraient avoir
vécu une expérience similaire dans les 6 mois précédents débutait le
questionnaire. Suivait le scénario : un texte et deux photographies présentant un restaurant traditionnel. Chaque répondant était affecté, aléatoirement, à l’évaluation d’un seul scénario. Puis étaient mesurées la
justice, l’évaluation de service et les caractéristiques sociodémographiques.
III.2. Collecte des données
Un pré-test mené sur un échantillon de convenance (188 étudiants)
garantit l’efficacité des manipulations et la qualité des outils de
mesure. Sur 2 200 questionnaires administrés en suivant la méthode
des collecteurs de données, 945 ont été récupérés et 878 étaient exploitables ; soit un taux de réponse effectif proche de 40 %.
Pour limiter les biais de sélection, le plan de collecte a été orthogonalisé selon le type de scénario, l’âge, le sexe du répondant, et les collecteurs de données. L’échantillon est composé de 396 hommes et
482 femmes. Les analyses statistiques (tests de Chi-deux) menées
a posteriori ne montrent aucune différence significative entre les
groupes au niveau du sexe, de l’âge, du niveau d’étude, de l’activité
professionnelle, du collecteur de données.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1789
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1789
III.3. Développement des mesures
Les mesures des trois composantes de la qualité perçue sont adaptées
des travaux de Grönroos (1993), Rust et Oliver (1994), Brady et Cronin
(2001). La valeur correspond au ratio entre les bénéfices retirés et les
sacrifices consentis [Zeithaml (1988)]. Nous avons adapté l’échelle de
satisfaction proposée par Oliver (1980). Toutes les échelles, présentées
en annexe 1, sont constituées d’items au format Likert à 5 degrés.
Le pré-test a conduit à une première épuration des construits. Les
analyses factorielles confirmatoires menées sur l’échantillon final (878
participants) comprennent des analyses des construits pris isolément,
puis deux à deux, etc. et finalement tous les cinq simultanément, ceci
en suivant la procédure développée par Anderson et al. (1987). La qualité d’ajustement du modèle de mesure final à cinq construits est satisfaisante (AGFI = 0,915 ; RMSEA = 0,064 [0,058 ; 0,069] ; SRMR =
0,045 ; CFI = 0,967), démontrant ainsi l’unidimensionnalité des
construits. Sur ces bases, nous observons que les construits montrent
de bonnes qualités psychométriques (tableau 1) et un bon degré de
validité convergente et discriminante. Ainsi, les coefficients de fiabilité
composite (similaires au coefficient alpha de Cronbach) sont compris
entre 0,57et 0,83, les indicateurs de variance moyenne extraite (Rho de
Joreskög) sont égaux ou supérieurs à 0.80 (validité convergente) et les
racines carrées de ces indicateurs sont toutes supérieures aux corrélations interconstruits correspondantes (validité discriminante).
TABLEAU 1
Corrélations et qualités psychométriques des construits
(CFA à 5 facteurs)
En diagonale :
coefficient de
fiabilité / Rhô
de Joreskög /
Variance
partagée
Qualité
interaction
3 items
Qualité
environ.
3 items
Qualité
résultat
2 items
Valeur
4 items
Qualité
0,93 /0,93 /
0,278
0,197
0,521
interaction
0,83
Qualité
0,79 / 0,80 /
0,633
0,430
environnement
0,57
Qualité résultat
0,88 / 0,89 /
0,415
0,80
Valeur
0,91 / 0,91 /
0,73
Satisfaction
-
Satisfaction
5 items
0,609
0,397
0,408
0,798
0,92 / 0,92 /
0,71
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1790
1790
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
III.4. Vérification de la qualité du dispositif expérimental
Les justices distributive, procédurale et interactionnelle, manipulées
dans les scénarios sont mesurées pour vérifier le succès des manipulations. Les tests de différences de moyenne sur les scores de ces
construits sont significatifs pour les justices distributive (t = – 16,49 ;
ddl = 876 ; p = 0,000), procédurale (t = – 17,24 ; ddl = 876 ; p = 0,000)
et interactionnelle (t = – 25,92 ; ddl = 876 ; p = 0,000). Nous concluons
ainsi à l’efficacité de nos manipulations. De plus, l’examen des scores
moyens des construits de qualité, valeur et satisfaction montre que la
situation expérimentale dans laquelle les trois composantes manipulées sont « justes » (donc le « meilleur » des scénarios) est significativement la mieux évaluée. En revanche, dans le « pire » des scénarios
(trois composantes « injustes »), l’évaluation est la moins favorable.
Par ailleurs, nous avons évalué la vraisemblance perçue des scénarios (2 items, 5 degrés). Les moyennes du construit varient entre 3,93
et 4,10. Nous avons également évalué l’imagerie mentale (3 items, 5
degrés) adaptée de l’échelle de Lacher et Mizerski (1995). Les
moyennes du construit variant entre 3,60 et 3,82. Les scénarios sont
crédibles et permettent d’imaginer raisonnablement la scène décrite.
Le dispositif expérimental exige des répondants de se projeter dans
les situations décrites. L’imagerie mentale apprécie le pouvoir évocateur du scénario à travers la réaction imaginative des répondants,
c’est-à-dire les images, les souvenirs, les situations passées que le stimulus suggère dans la mémoire du répondant.
IV. – RÉSULTATS ET DISCUSSION
Nous exposons la méthode statistique utilisée et les relations qualité-valeur-satisfaction, puis commentons les effets de la justice sur ces
trois concepts.
IV.1. Spécification du modèle
Le modèle a été testé grâce à une analyse de covariance, en suivant
une procédure hiérarchique en trois étapes.
Premièrement, nous avons successivement modélisé chaque composante de la qualité perçue en fonction de six facteurs fixes, les trois
facteurs de justice manipulés (distributive, procédurale, interactionnelle ; codés juste/injuste) ainsi que leurs trois interactions d’ordre
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1791
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1791
deux. Nous avons également intégré des facteurs de contrôle : les
caractéristiques individuelles des participants (sexe, âge) et les
construits caractérisant la relation cumulée avec la catégorie d’expérience étudiée (repas au restaurant le soir entre amis) : familiarité,
implication, expertise, et macro-justice cumulée. Cette dernière caractérise le secteur d’activité dans son ensemble – ici la restauration traditionnelle (3 items) – et émane du cumul des expériences du participant. Elle a été caractérisée dans le domaine de l’équité des prix
[Bolton et al. (2003)]. Ici, l’essentiel de ces facteurs démontre des
effets non significatifs ou très faibles.
La deuxième étape explique la valeur perçue en utilisant le modèle
précédent auquel s’ajoute la qualité perçue comme facteur de contrôle.
Dans une troisième étape, pour expliquer la satisfaction, nous avons
ajouté au modèle de l’étape 2 la valeur perçue comme facteur de
contrôle.
TABLEAU 2
Résultats des analyses de covariance (R2 partiel en %)
Variable expliquée →
Justice distributive
Justice procédurale
Justice interactionnelle
Justice distributive x
Justice procédurale
Justice distributive x
Justice interactionnelle
Justice procédurale x
Justice interactionnelle
Qualité interaction
Qualité environnement
Qualité résultat
Valeur
Satisfaction
Macro-justice cumulée
Implication
Expertise
Familiarité
Age
Sexe
R2 (%)
Qualité
Qualité Qualité
résultat interaction environ
Valeur
Satisfac
-tion
3,9
0,7
n.s.
n.s.
17,7
56,2
n.s.
0,6
n.s.
8,3
4,1
1,2
5,5
7,5
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
0,5
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
1,1
0,8
0,3
n.s.
0,6
n.s.
13,2
2,9
1,7
n.s.
n.s.
n.s.
1,2
n.s.
62,1
n.s.
2,1
0,5
n.s.
0,5
n.s.
0,6
11,2
n.s.
13,7
3,0
1,9
n.s.
n.s.
0,5
n.s.
n.s.
n.s.
48,3
n.s.
3,5
n.s.
0,6
32,6
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
1,0
n.s.
68,7
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
1792
Page 1792
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
IV.2. Validité nomologique
Les liens entre qualité valeur satisfaction, largement débattus antérieurement et non intégrés comme hypothèses, témoignent de la validité nomologique de notre modèle. Ainsi, l’impact positif des trois
composantes de la qualité (résultat, interaction, environnement) sur la
valeur est vérifié (R2 partiel = 1,9 %, 13,6 %, 3,0 % respectivement).
L’effet de l’interaction de service est largement le plus élevé, puisque
nous étudions un service éminemment expérientiel. Nous observons
les effets directs significatifs, mais modérés, de la qualité du résultat et
de la qualité de l’interaction, sur la satisfaction et le facteur principal
explicatif de la satisfaction est bien la valeur perçue, (R2 partiel =
32,6 %), conformément à la littérature [Cronin et al. (2000) ; Aurier et
al. (2001)]. L’impact de la qualité perçue sur la satisfaction est donc
essentiellement indirect, médiatisé par la valeur et suit la voie de la
forte chaîne relationnelle unissant qualité, valeur et satisfaction [Aurier
et al. (2001)].
IV.3. Impact de la justice sur la qualité du résultat du service
Les justices distributive et procédurale ont un effet significatif sur la
qualité du résultat, c’est-à-dire la perception du menu (H1a et H1b ;
R2 partiel = 3,9 % et 0,7 % respectivement). Pour limiter la confusion
entre justice distributive et qualité du résultat, le dispositif expérimental maintenait constante cette dernière. Malgré cela, la qualité du résultat est influencée par les justices distributive et procédurale, modérément mais significativement. Vivre une expérience de consommation
considérée comme « injuste », notamment en termes de résultat de
l’échange (avoir un plat moins joli que celui de son voisin de table, par
exemple), vient donc dévaloriser la qualité perçue, même si maintenue
à un niveau élevé. Le résultat du service et l’interaction de service sont
donc appréciés en fonction de ces deux critères de justice. Comme
attendu, la justice interactionnelle n’influence pas la qualité du
résultat.
IV.4. Impact de la justice sur la qualité de l’interaction de service
La qualité de l’interaction est influencée par la justice procédurale
(H1c, R2 partiel = 17,7 %) et fortement par la justice interactionnelle
(H1d, R2 partiel = 56,2 %). Ainsi, la justice affecte essentiellement la
qualité de l’interaction, conformément à la littérature sur les services
qui considère cette dimension centrale car source de satisfaction, par
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1793
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1793
opposition à la qualité du résultat (ou cœur de service) constituant un
simple facteur d’hygiène [Bendapudi et Leone (2003)].
Nous observons une influence significative, mais très faible, des
interactions d’ordre deux « justices distributive x interactionnelle » et
« justices procédurale x interactionnelle » (R2 partiel = 0,5 % et 2,9 %
respectivement). Par ailleurs, comme attendu, nous n’observons pas
d’impact de la justice distributive sur la qualité de l’interaction.
Comme supposé, la justice n’influence pas la qualité de l’environnement.
IV.5. Impact de la justice sur la valeur perçue de l’expérience
de service
Justices distributive et procédurale (H2a et H2b, R2 partiel = 8,3 %
et 4,2 %, respectivement) influencent la valeur perçue qui est le ratio
entre bénéfices et sacrifices. Il apparaît que le caractère équitable de ce
qui est reçu (justice distributive) et son mode d’allocation (justice procédurale) influencent la valeur perçue. Nous relevons également un
effet significatif (R2 partiel = 1,2 %) de la justice interactionnelle
(H2c). Justices distributive, procédurale et interactionnelle apparaissent ainsi comme des antécédents à la valorisation d’une expérience de
consommation. Malgré cela, aucune interaction significative n’est
observée. Ainsi, les entreprises aperçoivent des perspectives pour pallier, par exemple, les expériences de consommation demandant des
ressources importantes aux consommateurs. Néanmoins, le caractère
modeste de ces effets montre que l’effet de la justice sur la valeur est
largement médiatisé par la qualité perçue.
IV.6. Impact de la justice sur la satisfaction avec l’expérience
de service
Justices distributive et procédurale (respectivement, R2 partiel =
5,5 % et 7,5 %) ont un effet significatif sur la satisfaction (H3a, H3b).
Néanmoins, l’absence d’impact direct significatif de la justice interactionnelle sur la satisfaction conduit à rejeter l’hypothèse H3c. En effet,
cet impact n’est qu’indirect, via la qualité de l’interaction : la justice
affecte directement la qualité de l’interaction (impact très fort) qui ellemême affecte ensuite la satisfaction. Là encore, l’impact direct de la
justice demeure limité, bien que significatif, car il passe essentiellement par la qualité perçue (et, à un moindre niveau, la valeur) qui en
médiatise les effets sur la satisfaction. L’effet de la justice sur la satis-
09•Siadou-Martin
1794
27/10/09
8:04
Page 1794
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
faction est essentiellement un effet indirect, via la qualité et la valeur,
et emprunte donc la voie de la chaîne relationnelle forte qui unit qualité, valeur et satisfaction [Aurier et al. (2001)].
V. – DISCUSSION, LIMITES ET VOIES DE RECHERCHE
Cette recherche étudie l’impact de la justice sur l’évaluation d’une
expérience de consommation et propose trois contributions. Premièrement, l’étude de la justice s’étend aux expériences de consommation,
contrairement à l’essentiel des recherches qui portent sur le « service
recovery ». La justice a ainsi un impact direct sur la totalité du processus d’évaluation d’un service : la justice distributive influence qualité
du résultat, valeur et satisfaction. De même, la justice procédurale a
des impacts directs sur les trois composantes de la qualité (notamment
sur la qualité de l’interaction), sur la valeur et la satisfaction. La justice
interactionnelle impacte fortement la qualité de l’interaction, modérément la valeur et pas la satisfaction. Les travaux antérieurs sur la relation justice-qualité [Andaleeb et Basu (1994)], justice-valeur [Oliver et
Swan (1989)] et justice-satisfaction [Blodgett et al. (1997) ; Clemmer
(1993)] sont consolidés par notre recherche qui considère simultanément les trois composantes de la justice et les trois composantes de
l’évaluation d’un service.
Deuxièmement, les effets directs de la justice sur la satisfaction
semblent modérés, comparativement aux recherches antérieures qui
ont probablement surévalué cette relation en omettant la qualité et la
valeur, antécédents essentiels de la satisfaction mais aussi en se centrant essentiellement sur des expériences de réclamations (service
recovery).
Notre troisième contribution concerne l’absence quasi totale d’effets d’interactions entre les composantes de la justice contrairement à
la littérature [Thibaut et Walker (1978)]. Seule la qualité de l’interaction est faiblement influencée par les interactions « justices distributive
x interactionnelle » et « justices procédurale x interactionnelle ». Ainsi,
les impacts de la justice seraient essentiellement additifs et donc indépendants les uns des autres.
Cette recherche comporte plusieurs limites, à commencer par un
manque de validité externe dû au recours à l’expérimentation scénarisée et à l’application à un seul service expérientiel (le restaurant).
S’appuyant sur les aspects cognitifs du processus d’évaluation, notre
modèle fait partiellement abstraction des aspects affectifs, et notam-
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1795
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1795
ment des émotions consécutives à l’(in)justice et pourrait ainsi
s’enrichir.
Par ailleurs, comme le modèle qualité-satisfaction intégrant l’expérience passée et notamment la confiance envers la marque proposé par
Sirieix et Dubois (1999), les pratiques managériales répandues dans un
secteur d’activité constituant le contrat psychologique éthique [Ballet
et De Bry (2008)] pourraient être étudiées comme un sentiment de justice préexistant à toute interaction marchande.
Nos résultats apportent quelques jalons supplémentaires à la considération de la justice perçue dans la gestion des services, d’autant plus
que la justice affecte la totalité du processus d’évaluation d’un service
(qualité perçue, valeur et satisfaction).
La justice distributive, au-delà des stratégies basées sur la qualité
perçue, suggère que les entreprises peuvent aussi communiquer sur les
contributions et rétributions des partenaires. Ainsi, la promesse de
« rembourser la différence si vous trouvez moins cher ailleurs » sousentend une contribution déséquilibrée du client comparativement au
partenaire, qui justifie le dédommagement. Face à des modifications
importantes de leur politique de prix, les entreprises devraient mieux
évaluer l’impact négatif potentiel en matière d’injustice perçue pour
les clients. Par exemple, la baisse de la taxe à la valeur ajoutée (TVA)
au 1er juillet 2009 modifie les ratios d’équité des deux parties et constitue un challenge en termes de justice distributive pour ne pas apparaître comme une autre technique d’inflation des prix 5.
Composante essentielle, seule la justice procédurale influence les
trois composantes du processus d’évaluation d’un service (qualité,
valeur et satisfaction). Sa gestion devrait inciter les entreprises à élaborer des procédures plus équitables et plus transparentes et à les communiquer, et d’autant plus fortement en cas d’asymétrie informationnelle au bénéfice du prestataire. Ainsi, pour la livraison de plats
cuisinés à domicile, certaines entreprises définissent le délai de livraison maximum au-delà duquel elles diminuent le prix de vente supporté
par le consommateur.
Nos résultats concernant la justice interactionnelle qui influence
fortement la qualité de l’interaction suggèrent de recruter et former le
personnel. Ainsi, les pratiques de gestion des ressources humaines
affectent les employés mais aussi (indirectement) les clients, par un
effet de « débordement » (spill over effect) [Maxham III et Netemeyer
5 Évolution de l’indice des prix de la restauration depuis 2000 : 27 % (issu de « Une
baisse de la TVA à toutes les sauces »), Challenges, 2 juillet 2009.
09•Siadou-Martin
1796
27/10/09
8:04
Page 1796
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
(2003)]. Il s’agit d’identifier et de renforcer les compétences fondamentales du personnel en contact au moment du recrutement, de l’évaluation du personnel et de la formation professionnelle. L’entreprise
doit spécifier les marges de manœuvre de ses employés afin de régler,
de manière transparente et rapide, les litiges de faible importance.
La quasi-absence d’effets d’interaction entre les composantes de la
justice caractérise des effets essentiellement additifs, donc relativement indépendants dans leur gestion, ce qui est un atout intéressant.
Les managers peuvent s’appuyer alternativement sur une, plusieurs ou
toute combinaison des trois composantes de la justice, pour améliorer
l’évaluation de l’expérience de service. Cela permet aux entreprises de
se positionner, à leur gré, selon une ou plusieurs de ces composantes
pour valoriser leur savoir-faire et leur accès aux ressources. Ainsi, une
chaîne de restaurant associée à une enseigne de la grande distribution,
ayant de fait un accès privilégié à une matière première de qualité à
moindre coût (exemple la viande ou le poisson), pourra mieux se positionner en matière de justice distributive en communiquant sur le poids
et la qualité de la matière première participant à un plat. En revanche,
une chaîne de restauration rapide pourra développer la justice procédurale, en s’appuyant sur son expérience développée dans l’ensemble
de ses points de vente.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ADAMS J.S. [1963], « Toward an Understanding of Inequity », Journal of
Abnormal and Social Psychology, 67, 5, p. 422-436.
ANDALEEB S.S., BASU A.K. [1994], « Technical Complexity and Consumer
Knowledge as Moderators of Service Quality Evaluation in the Automobile
Service Industry », Journal of Retailing, 70, 4, p. 367-381.
ANDERSON J.C., GERBING D.W., HUNTER J.E. [1987], « On the Assessment of
Unidimensional Measurement: Internal and External Consistency, and
Overall Consistency Criteria », Journal of Marketing Research, 24, 4,
p. 432-437.
AURIER P., BENAVENT C., N’GOALA G. [2001], « Validité discriminante et prédictive des composantes de la relation à la marque », Association Française
de Marketing, Deauville, Cd-Rom.
BALLET J., DE BRY F. [2008], « La responsabilité de l’entreprise comme
contrat psychologique éthique », Économies et Sociétés, W. 10, janvier,
p. 83-110.
BENDAPUDI N., LEONE R.P. [2003], « Psychological Implications of Customer
Participation in Co-Production », Journal of Marketing, 67, 1, p. 14-28.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1797
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1797
BERRY L.L., PARASURAMAN A., ZEITHAML V.A. [1994], « Improving Service
Quality in America: Lessons Learned », Academy of Management Executive, 8, 2, p. 32-52.
BIES R. J., MOAG J.S. [1986], « Interactional Justice: Communication Criteria
of Fairness », in Research on Negociation in Organizations / Lewicki,
Sheppard et Bazerman (eds), Greenwich Press, p. 43-55.
BLODGETT J.G., GRANBOIS D.H., WALTERS R.G. [1993], « The Effect of Perceived Justice on Complainants’ Negative Word-of-Mouth Behavior and
Repatronage Intentions », Journal of Retailing, 69, 4, p. 399-428.
BLODGETT J.G., HILL D.J., TAX S.S. [1997], « The Effects of Distributive, Procedural, and Interactional Justice on Postcomplaint Behavior », Journal of
Retailing, 73, 2, p. 185-210.
BOLTON L.E., WARLOP L., ALBA J.W. [2003], « Consumer Perceptions of Price
(Un)fairness », Journal of Consumer Research, 29, 4, p. 474-491.
BRADY M.K., CRONIN J.J. [2001], « Some New Thoughts on Conceptualizing
Perceived Service Quality: A Hierarchical Approach », Journal of Marketing, 65, 3, p. 34-49.
CLEMMER E.C. [1993], « An Investigation into the Relationship of Fairness and
Customer Satisfaction with Services », in Justice in the Workplace: Approaching Fairness in Human Resource Management / Cropanzano R. (ed.), L.
Erlbaum, p. 193-207.
CRONIN J.J., BRADY M.K., HULT G.T.M. [2000], « Assessing the Effects of
Quality, Value and Customer Satisfaction on Consumer Behavioral Intentions in Service Environments », Journal of Retailing, 76, 2, p. 193-218.
EVRARD Y. [1993], « La satisfaction des consommateurs : état des
recherches », Revue Française du Marketing, 144-145, 4-5, p. 53-65.
GILLY M.C., GELB B.D. [1982], « Post-Purchase Consumer Processes and the
Complaining Consumer », Journal of Consumer Research, 9, 3, p. 323-328.
GRÖNROOS C. [1993], « Toward a Third Phase in Service-Quality Research:
Challenges and Future Directions », in Advances in Services Marketing and
Management / Swartz, Bowen et Brown (eds), JAI Press Inc., Greenwich,
p. 177-206.
HOCUTT M.A., CHAKRABORTY G., MOWEN J.C. [1997], « The Impact of Perceived Justice on Customer Satisfaction and Intention to Complain in a Service Recovery », Advances in Consumer Research, 24, 1, p. 457-463.
HOLBROOK R.L., KULIK C.T. [2001], « Customer Perceptions of Justice in Service Transactions: The Effects of Strong and Weak Ties », Journal of Organizational Behavior, 22, 7, p. 743-757.
LACHER K.T., MIZERSKI R. [1995], « Une étude exploratoire des réactions et
des relations associées à l’évaluation et l’intention d’achat de la musique
rock », Recherche et Applications en Marketing, 10, 4, p. 77-96.
LEVENTHAL G.S. [1976], « The Distribution of Rewards and Resources in
Groups and Organizations », in Equity Theory: Toward a General Theory
of Social Interaction / Berkowitz et Walster (eds), Academic Press, New
York, p. 92-131.
09•Siadou-Martin
1798
27/10/09
8:04
Page 1798
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
MAXHAM III J.G., NETEMEYER R.G. [2003], « Firms Reap What They Sow:
The Effects of Shared Values and Perceived Organizational Justice on Customers’ Evaluations of Complaint Handling », Journal of Marketing, 67, 1,
p. 46-62.
MARTINEZ-TURZ V., PEIR J.M., RAMOS J., MOLINER C. [2006], « Justice Perceptions as Predictors of Customer Satisfaction: The Impact of Distributive,
Procedural, and Interactional Justice », Journal of Applied Social Psychology, 36, 1, p. 100-119.
OLIVER R.L. [1980], « A Cognitive Model of the Antecedents and Consequences of Satisfaction Decisions », Journal of Marketing Research, 17, 4,
p. 460-469.
OLIVER R.L., SWAN J.E. [1989], « Consumer Perceptions of Interpersonal
Equity and Satisfaction in Transactions: A Field Survey Approach », Journal of Marketing, 53, 2, p. 21-35.
RUST R.T., OLIVER R.L. [1994], « Service Quality: Insights and Managerial
Implications from the Frontier », in Service Quality: New Directions in
Theory and Practice / Rust et Oliver (eds), Sage Publications, Thousand
Oaks, p. 1-19.
SABADIE W., PRIM-ALLAZ I., LLOSA S. [2006], « Contribution des éléments de
gestion des réclamations à la satisfaction : les apports de la théorie de la justice », Recherche et Applications en Marketing, 21, 3, p. 47-64.
SIRIEIX L., DUBOIS P.L. [1999], « Vers un modèle qualité-satisfaction intégrant
la confiance ? », Recherche et Applications en Marketing, 14, 3, p. 1-22.
SPARKS B.A., MCCOLL-KENNEDY J.R. [2001], « Justice Strategy Options for
Increased Customer Satisfaction in a Services Recovery Setting », Journal
of Business Research, 54, 3, p. 209-218.
TAX S.S., BROWN S.W., CHANDRASHEKARAN M. [1998], « Customer Evaluations of Service Complaint Experiences: Implications for Relationship
Marketing », Journal of Marketing, 62, 2, p. 60-76.
TAYLOR S. [1994], « Waiting for Service: The relationship between Delays and
Evaluations of Service », Journal of Marketing, 58, 2, p. 56-69.
THIBAUT J., WALKER L. [1978], « A Theory of Procedure », California Law
Review, 66, 3, p. 541-566.
ZEITHAML V.A. [1988], « Consumer Perceptions of Price, Quality, and Value:
A Means-End Model and Synthesis of Evidence », Journal of Marketing,
52, 3, p. 2-22.
ANNEXE 1 : LISTE DES ITEMS UTILISÉS POUR L’ENQUÊTE FINALE
Qualité de l’interaction
Le serveur de ce restaurant me semble sympathique.
Je dirais que la qualité de ma relation avec les employés de ce restaurant est bonne.
Le serveur de ce restaurant me paraît professionnel.
09•Siadou-Martin
27/10/09
8:04
Page 1799
IMPACTS DE LA JUSTICE SUR L’ÉVALUATION DU SERVICE
1799
Qualité du résultat
Les plats de ce restaurant semblent de bonne qualité.
La présentation des plats me paraît de bonne qualité.
Qualité de l’environnement
La salle de ce restaurant paraît bien décorée.
L’ambiance de ce restaurant est vraiment super.
Les clients qui fréquentent ce restaurant sont agréables.
Valeur
Je considère que cette soirée valait bien l’énergie que j’y ai consacrée.
Cette soirée, ça vaut bien les sacrifices que j’y ai consenti.
Je considère qu’aller dans ce restaurant, ça vaut bien le temps et l’argent que j’y ai consacré.
Je considère que cette soirée, ça m’a apporté plus que cela m’a coûté.
Satisfaction
Je suis satisfait de la soirée que j’ai passée.
Aller dans ce restaurant fut un bon choix.
Si je devais refaire mon choix, je choisirais un autre restaurant.
Je ne suis pas content de ce repas.
Aller dans ce restaurant était une bonne chose.
Imagerie mentale
La scène décrite a créé une image claire dans mon esprit.
L’événement décrit m’a rappelé quelque chose de précis.
La scène décrite m’a suggéré des images concrètes.
Vraisemblance du scénario
La scène décrite est vraisemblable.
Ce type de scénario est probable.
Justice distributive
Le repas proposé par ce restaurant était tout à fait équitable.
Au regard de ce que j’ai obtenu et de que j’ai donné par rapport aux
autres clients, je ne me sens pas perdant dans cet échange.
Je pense que d’autres clients n’ont pas été mieux traités que moi.
Justice procédurale
Ce restaurant ne fait pas attendre inutilement les clients, entre chaque
plat.
Ce restaurant essaye d’être aussi clair que possible en matière de choix
et de tarifs.
Ce restaurant sait s’adapter aux demandes de ses clients.
09•Siadou-Martin
1800
27/10/09
8:04
Page 1800
B. SIADOU-MARTIN, P. AURIER
Justice interactionnelle
Le serveur a écouté attentivement ce que j’avais à dire.
J’ai été traité avec respect par le personnel.
Le serveur m’a servi avec courtoisie.
10•Intercalaire II
29/10/09
15:24
Page 1801
Dossier.
Concepts et méthodes en analyse de filières.
Application à l’agriculture,
aux agro-industries et à l’espace rural
10•Intercalaire II
29/10/09
15:24
Page 1802
11•Temple
27/10/09
8:06
Page 1803
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1803-1812
Introduction aux concepts et méthodes d’analyse
de filières agricoles et agro-industrielles
Ludovic Temple, CIRAD, UMR 1110 Moisa
Frédéric Lançon, CIRAD, UR Arena
Étienne Montaigne, CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa
Jean-François Soufflet, ENESAD, UMR 1041 Cesaer
Une référence étymologique du mot filière renvoie aux filatures qui
transformaient la matière première agricole (laine, coton) en un produit intermédiaire industriel. Historiquement, cette démarche a structuré l’économie des relations verticales. Elle s’est constituée par le
croisement entre des travaux issus de l’économie agricole et agroalimentaire [Bénard (1936) ; Milhaud (1954) ; Goldberg (1957) ; Malassis (1973)] et de l’économie industrielle [De Bandt (1985) ; Perroux
(1973) ; Morvan et Marchesnay (1979) ; Foray et Garouste (1985)]. En
écho à un dossier thématique de la revue Économies et Sociétés en
1983 [Lauret (1983)] et une école chercheur organisée par le Cirad
[Soufflet (2008)], cette introduction rappelle les différents champs
d’application de l’économie des filières pour s’interroger sur l’actualité de cette démarche et sur les éclairages conceptuels et méthodologiques qu’apportent les travaux contemporains.
UN CADRE D’ANALYSE À L’ÉPREUVE DES MUTATIONS DES SYSTÈMES
PRODUCTIFS
L’analyse de filière a été un outil largement mobilisé pour la formulation des politiques publiques aussi bien dans les pays développés
[Jacquemin et Rainelli (1984)] que dans les pays du sud [Fabre
(1994)]. Elle a d’abord été appliquée à l’étude du fonctionnement des
structures industrielles dans un grand nombre de secteurs, avec une
portée particulière pour la compréhension des liens entre les produc-
11•Temple
27/10/09
1804
8:06
Page 1804
L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET
tions agricoles et leurs différentes utilisations dans les systèmes alimentaires et agro-industriels [Goldberg (1957) ; Malassis (1973)]. Ces
analyses se sont initialement focalisées sur l’aide à la définition des
stratégies d’intervention publiques pour des produits agricoles (lait,
viande, céréales, coton, banane, maraîchage, café, riz, sucre) présentant des enjeux particuliers pour les pouvoirs publics (balance commerciale, sécurité alimentaire, développement rural, réduction de la
pauvreté, changements technologiques, compétitivité). Leurs capacités
heuristiques ont dû faire face aux mutations qui ont marqué les systèmes agroalimentaires durant les dernières décennies.
D’abord, la libéralisation des échanges commerciaux puis la globalisation des systèmes agroalimentaires ont modifié le rôle des pouvoirs
publics dont l’action se concentre dorénavant plus sur les variables
macro-économiques et l’environnement juridique et institutionnel et
beaucoup moins sur l’intervention directe (privatisation, abandon des
offices, des organisations de marché, des interventions) plutôt que sur
la formulation d’actions d’appui et d’accompagnement à des filières
spécifiques. L’impact des changements des modes de régulation sur les
systèmes agroalimentaires privilégie d’autres échelles d’analyse,
considérées comme plus pertinentes, pour comprendre le fonctionnement des systèmes productifs [Kaplinsky (2000)]. Ainsi, la compréhension des transformations de l’agriculture et de l’agroalimentaire
mobilise de plus en plus des approches globales, internationales
[Raiker et al. (2000)] ou, inversement, plus territorialisées [Muchnik et
al. (2007)].
Par ailleurs, la complexification croissante des systèmes alimentaires [Allaire (1995) ; Rastoin (2006)] en relation avec l’urbanisation
des modes de vie (évolution des styles alimentaires, segmentation des
marchés autour de la qualité) a modifié les entrées privilégiées pour
comprendre les mutations en cours et, partant, la formulation et le
contenu des politiques d’accompagnement.
Enfin, les effets de la libéralisation ayant révélé les limites de la
régulation par le marché, les interrogations ont porté de plus en plus
sur les processus de coordination [Williamson (1985)], les stratégies
entre acteurs (développement des interprofessions, renforcement du
partenariat public privé, émergence des grandes surfaces) plutôt que
sur les performances technico-économiques des systèmes productifs
dans leur ensemble. En corollaire, les entreprises privées doivent
s’adapter à ces évolutions de l’environnement, ce qui nécessite de nouveaux schémas organisationnels reposant de plus en plus sur les travaux des sciences de gestion [Pérez (1983)].
11•Temple
27/10/09
8:06
Page 1805
INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES
1805
UN CADRE D’ANALYSE EN COURS DE RÉNOVATION
Ce changement graduel de paradigme (changement d’échelle, axe
d’entrée, nouvelles préoccupations) s’est traduit par la rénovation du
cadre analytique dans le champ de l’économie des relations verticales
appliqué à l’analyse des systèmes agroalimentaires par l’intégration
progressive de nouveaux référentiels.
On peut distinguer, notamment, les travaux portant sur les chaînes
globales de produits (commodities) [Hopkins et Wallerstein (1977)]
qui évolueront vers la chaîne globale de valeur [Gereffi et al. (2005)],
en mettant l’accent sur la compréhension des processus de globalisation des économies [Palpacuer et al. (2005) ; Daviron et Gibbon
(2002) ; Gibbon et Ponte (2005)]. Ils se focalisent de manière croissante sur leur incidence concernant les mécanismes de délocalisation
et d’intensification des filières longues (commerce international des
fruits et des légumes) et les conditions sociales de production.
D’autre part, les travaux de Porter sur les sources de l’avantage
concurrentiel des entreprises viennent enrichir les cadres de référence
de l’analyse de filière [Porter (1985)]. Ces travaux complètent les
approches en termes de « supply chain » (chaîne d’approvisionnement)
qui utilisent des d’outils d’aide à la décision stratégique relevant des
sciences de gestion [Paché (2008) ; Stassart et Mormont (2008)].
D’autres renouvellements sont apportés par l’économie néo-institutionnelle qui se concentre sur l’analyse des transactions (contrats formels ou informels, marché ou hiérarchie / intégration). Cette approche
fournit un cadre théorique complet sur les relations particulières entre
deux « maillons » de la filière. Elle réalise, par exemple, des études du
design des contrats qui remettent en cause la seule nature conflictuelle
des relations entre les acteurs par l’analyse de la quasi-rente contractuelle.
L’approche évolutionniste vient également renouveler, avec ses
concepts de paradigme technologique et de trajectoire technologique,
la compréhension des processus de genèse des innovations technologiques en agriculture et dans l’industrie agroalimentaire. Elle retrouve
la dimension de la théorie générale des systèmes [Lemoigne (1977)] en
développant le concept de filière d’innovation [Montaigne (1992)].
Ces référentiels diversifient aujourd’hui les déclinaisons de l’économie des filières. Néanmoins, au-delà des questions auxquelles ils
cherchent à répondre, ces référentiels ont de nombreux points communs avec l’analyse de filière proposée par les précurseurs (champ
sectoriel, approche systémique, référence à un processus d’élaboration
11•Temple
27/10/09
1806
8:06
Page 1806
L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET
de produits, prise en compte de plusieurs acteurs, formalisation et
modélisation dans les démarches, etc.). De plus, en dépit de la moindre
importance accordée aux politiques d’accompagnement sur des filières
spécifiques, on constate un maintien de la demande des pouvoirs
publics pour la réalisation d’analyses de filières, celles-ci étant toujours considérées comme un cadre de cohérence des évaluations d’impacts qui permet de pallier les déficiences de connaissances sur les
mutations en cours. L’élaboration de systèmes d’information centrés
sur les produits, participe également de la même logique [Galtier et
Egg (2003)]. Les récentes demandes sur l’évaluation des externalités
associées aux fonctionnements des systèmes productifs en termes de
qualité des produits, d’environnement (analyses de cycle de vie), de
bilans énergétiques ou sociaux conduisent aussi à étendre l’économie
des relations verticales à de nouveaux domaines.
Dans le contexte des pays du Sud, l’analyse des filières a été particulièrement sollicitée, compte tenu de la nécessité d’appréhender des
changements rapides des systèmes agroalimentaires, de répondre à des
enjeux de développement majeurs sur la sécurité alimentaire ou la
compétitivité [Couty (1981) ; Hugon (1985) ; Lançon (1989) ; Moustier (1994) ; Bencharif et Rastoin (2007) ; Temple (2008)]. Elle constitue une démarche efficace pour structurer l’analyse dans des contextes
de fragilité des environnements institutionnels et de défaillance des
systèmes d’informations statistiques.
Alors que l’analyse de filière ne fait plus, en apparence, l’objet
d’investissements scientifiques importants, elle reste, ou redevient, un
outil d’aide à la décision pour les décideurs publics, les organisations
professionnelles, les entreprises privées. De plus, les nouvelles références analytiques pour comprendre les systèmes agroalimentaires
présentent de nombreux éléments communs sur un plan méthodologique. Ce double phénomène incite à reposer la question de la dimension heuristique du concept de filière en tant que sujet de recherche et
à réfléchir sur son potentiel en tant qu’outil de développement.
DES CHAMPS D’APPLICATIONS MULTIPLES QUI CONTRIBUENT À LA RÉNOVATION DES RÉFÉRENTIELS MÉTHDOLOGIQUES
Ce numéro d’Économies et Sociétés réunit des contributions qui
mettent en perspective les différents référentiels analytiques afin de
mieux identifier les recoupements et les divergences, sur le plan de
leurs fondements théoriques, avec les approches filières. Pour cela, il
11•Temple
27/10/09
8:06
Page 1807
INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES
1807
souligne l’existence ou l’absence d’éventuelles filiations en s’appuyant sur des applications dans le champ de l’agroalimentaire. À travers les différentes communications, il rend compte de l’actualité de
cette approche dans sa contribution à la compréhension des mécanismes du développement. Trois types de communications peuvent
être différenciés au regard des interrogations posées.
Un premier ensemble de travaux concerne le prolongement d’une
trajectoire d’utilisation de cette démarche [Lauret et Pérez (1992) ;
Valceschini (1992)] pour comprendre les changements, les transformations des activités productives dans l’agriculture, l’agroalimentaire,
l’espace rural et leurs interactions :
– Ainsi, la communication de Ph. Hugon rappelle les fondamentaux
systémiques de l’économie de filières qui orientent l’analyse économique vers la compréhension des articulations (interactions)
entre les stratégies d’acteurs, les modes de coordination et de
régulation. En illustrant son propos sur le coton en Afrique subsaharienne, l’auteur montre en quoi l’approche en termes de
filière est constitutive du programme de recherche méso-analytique situant les niveaux intermédiaires de structuration des activités économiques entre le micro et le macro et conduisant à reintégrer le temps, l’espace, la technologie dans l’analyse
économique.
– Dans la même ligne, P. Grouiez montre comment, en Russie, les
spécificités territoriales régionales activent la spécialisation sectorielle et conduisent à expliquer l’insertion des agricultures dans
des logiques agro-industrielles.
– La contribution de J.M. Touzard souligne en quoi le renouvellement du programme de recherche régulationniste a besoin d’expliciter les déterminants méso-analytiques des activités productives dans l’articulation entre des logiques de gouvernance
sectorielle et territoriale.
– Enfin J.L. Fusillier, par l’utilisation originale d’une matrice de
comptabilité sociale dans le contexte spécifique du secteur sucrier
de l’île de la Réunion, démontre l’utilité de cette démarche mésoanalytique pour évaluer les externalités sociales d’une spécialisation agricole.
Un deuxième ensemble de communications, dans la filiation des
travaux du Cirad sur la sécurité alimentaire des pays du Sud [Griffon
(1994)], montre l’actualité des démarches de filières pour analyser les
conditions d’approvisionnement des marchés régionaux et urbains
11•Temple
27/10/09
1808
8:06
Page 1808
L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET
polarisés par la croissance des villes en Afrique sub-saharienne et en
Asie.
– P. Moustier, en mobilisant conjointement le cadre d’analyse de
l’économie des chaînes de valeur et celui de la nouvelle économie
institutionnelle (coûts de transaction), réalise ainsi une analyse
comparative du point de vue de la création de valeur et de sa
répartition entre les formes d’organisation des filières horticoles
et vivrières qui approvisionnent Hanoï et Ho Chi Minh. Ce travail
montre combien la démarche de filière reste un élément structurant et complémentaire des analyses néo-institutionnelles contemporaines.
– À un autre niveau, Temple et al., en caractérisant les systèmes
d’approvisionnement en ignames au Cameroun, explicitent en
quoi l’intensité de la demande marchande urbaine se répercute
peu aux producteurs et, par voie de conséquence, pourquoi les
processus d’innovations techniques ne sont pas mis en œuvre dans
les systèmes productifs.
Un troisième ensemble de travaux mobilise l’analyse de filière pour
organiser l’information et la connaissance dans un objectif plus opérationnel d’aide à la décision privée. Ainsi L. Trognon apporte, dans une
première partie, une discussion méthodologique essentielle en repérant
les proximités, les similitudes et les différences entre l’approche en
termes de supply chain et l’approche filière. Sa réflexion conclut sur
des niveaux d’analyse différents : l’entreprise d’un côté, le « méso-système », de l’autre. Il applique cette distinction au cas des produits viticoles ou des fromages d’appellation. Il montre comment, du point de
vue des sciences de gestion, l’analyse des relations verticales reste un
élément stratégique.
CONCLUSION
Ces articles montrent que l’approche filière s’est progressivement
enrichie de nouveaux référentiels pour mieux rendre compte des changements qui marquent les systèmes agro-industriels et les décisions
publiques ou privées que doivent prendre les agents. La dilution de
cette démarche méthodologique dans son utilisation pour l’orientation
des politiques publiques (globalisation, internationalisation des entreprises, constitution de groupes multinationaux multi-produits, désengagement de l’État en matière de protection des industries nationales)
11•Temple
27/10/09
8:06
Page 1809
INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES
1809
conduit surtout à un renouvellement des problématiques auxquelles
doit répondre le champ de l’économie des relations verticales en
termes d’enjeux et d’adaptation des référentiels conceptuels et méthodologiques. De fait, les approches de filières se diversifient sur deux
axes qui interagissent du point de vue des cadres méthodologiques
mobilisés (l’économie des relations verticales), des référentiels
conceptuels donc des hypothèses de recherches qu’ils mobilisent. Ils
se différencient du point de vue des questionnements empiriques auxquels ils répondent.
Le premier axe concerne l’accompagnement des décisions des
acteurs privés ou collectifs, qu’il s’agisse d’entreprises dans leurs stratégies de captation de la valeur ou de collectifs dans leur positionnement au sein de systèmes hiérarchisés. Il concerne dans cette orientation à la fois des travaux sur les outils opérationnels de la gestion
stratégique portés par les sciences de gestion (chaînes d’approvisionnement, par exemple) et des approches sur les coordinations entre les
acteurs et les formes organisationnelles les plus efficaces du point de
vue de l’inclusion des différents acteurs dans le partage de la valeur
créée.
Le deuxième axe renvoie plus à la filiation originelle de l’économie
de filière qui est centrée sur l’accompagnement des décisions
publiques dans l’analyse des processus de globalisation des économies
et des productions conduisant à comprendre les mécanismes de délocalisations de la production, à mesurer leurs effets sur le contrôle de la
valeur et les conditions de mobilisation du travail à l’échelle mondiale.
Ceci afin d’expliciter comment naissent de nouveaux modes de régulation des marchés et des systèmes agro-alimentaires.
Nécessairement incomplet, ce dossier, d’une certaine manière,
appelle également à repositionner la démarche méthodologique de
l’analyse de filières par rapport aux nouveaux enjeux mondiaux
qu’ouvre la crise sociale et environnementale générée par les trajectoires technologiques portées par les modèles de développement des
pays industriels.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ALLAIRE G., BOYER R. [1995], La grande transformation de l’agriculture : lectures conventionnalistes et régulationnistes, Economica-INRA, Paris.
BENARD A. [1936], Du producteur au consommateur, fruits et légumes, Sirey,
Paris.
BENCHARIF A., RASTOIN J.L. [2007], « Concepts et méthodes d’analyse de
filières agro-alimentaires : application par la chaîne globale de valeur au cas
11•Temple
27/10/09
1810
8:06
Page 1810
L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET
des blés en Algérie », Working Paper n° 7/2007, UMR Moisa, Montpellier,
23 p.
COUTY P. [1981], « Filières de production et circuits commerciaux », Actes du
Séminaire GERDAT ORSTOM, Montpellier, p. 33-41.
DAVIRON B., GIBBON P. [2002], « Global commodity chains and African export
agriculture », Journal of Agrarian Change, vol. 2, n° 2, p. 137-162.
DE BANDT J. [1985], « Quelques remarques sur la notion de filière de production », Cahier du CERNEA, n° 16, Paris.
FABRE P. [1994], Note de méthodologie générale sur l’analyse de filière :
utilisation de l’analyse de filière pour l’analyse économique des politiques,
Document de formation pour la planification agricole n° 35, FAO,
Rome.
FORAY D., GARROUSTE P. [1985], « Concept d’industrie et critère de politique
industrielle », in Les politiques industrielles / J. De Bandt (éd.), Economica,
Paris, p. 51-65.
GALTIER F., EGG J. [2003], « Le ‘paradoxe’ des systèmes d’information de marché (SIM): une clef de lecture issue de l’économie institutionnelle et de la
théorie de la communication », Économies et Sociétés, Série F Développement, vol. 41, n° 7-8.
GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The governance of global
value chains », Review of International Political Economy, vol. 12, n° 1,
p. 78-104.
GIBBON P., PONTE S. [2005], Trading down : Africa, value chains, and the global economy, Temple University Press, Philadelphia (PA).
GOLDBERG R. [1957], A concept of agribusiness, Harvard University Press,
Boston (MA).
GRIFFON M. [1994], « Analyse de filière et analyse de compétitivité », in Économie des politiques agricoles dans les pays en développement. Tome 1 :
Les conditions internationales / M. Benoit-Cattin, M. Griffon, P. Guillaumont (éds), Revue Française d’Économie, Paris, p. 153-169.
HOPKINS T., WALLERSTEIN I. [1977], « Patterns of development in the modern
world-system », Review, vol. 1, n° 2, p. 111-145.
HUGON Ph. [1985], « Dépendance alimentaire et urbanisation en Afrique : un
essai d’analyse méso-dynamique en termes de filières », in Nourrir les
villes en Afrique sub-saharienne / N. Bricas, G. Courade, J. Coussy (éds),
L’Harmattan, Paris, p. 23-46.
JACQUEMIN A., RAINELLI M. [1984], « Filières de la nation et filières de l’entreprise », Revue Économique, vol. 35, n° 2, p. 379-392.
KAPLINSKY R. [2000], « Globalisation and unequalization : what can be learned from value chain analysis ? », Journal of Development Studies, vol. 37,
n° 2, p. 117-146.
LANÇON F. [1989], « Centres urbains secondaires et commercialisation des
produits vivriers au Togo », Économie Rurale, n° 190, p. 33-39.
LAURET F. [1983], « Sur les études de filières agroalimentaires », Économies
et Sociétés, Série Progrès et Agriculture, n° 17, p. 722-740.
11•Temple
27/10/09
8:06
Page 1811
INTRODUCTION À L’ANALYSE DE FILIÈRES
1811
LAURET F., PEREZ R. [1992], « Mésoanalyse et économie agroalimentaire », Économies et Sociétés, Série Développement agroalimentaire, n° 21, p. 99-118.
LEMOIGNE J.L. [1977], La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation, PUF, Paris (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994).
MALASSIS L. [1973], Économie agroalimentaire. Économie de la consommation et de la production agroalimentaire, Cujas, Paris.
MILHAU J. [1954], Traité d’économie rurale, PUF, Paris.
MONTAIGNE E. [1992], « Les techniques à membranes en oenologie : une
approche évolutionniste ? », Économie et sociologie rurales : Actes et Communications, n ° 8, p. 127-140 (n° spécial : Innovation, changement technique et agro-alimentaire).
MORVAN Y., MARCHESNAY M. [1979], « Micro, macro, méso », Revue d’Économie Industrielle, n° 8, p. 99-103.
MOUSTIER P. [1994], « L’économie des filières pour la recherche agronomique
et le développement : le cas des légumes frais en Afrique », Fruits, vol. 49,
n° 4, p. 315-322.
MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007],
« Les Systèmes agroalimentaires localisés », Économies et Sociétés, Série
AG, n° 29, p. 1465-1484.
PACHÉ G. [2008], « Perspectives in food e-tailing. Is logistical performance
always essential to develop a sustainable competitive advantage ? », Timisoara Journal of Economics, vol. 1, n° 2, p. 163-176.
PALPACUER F., GIBBON P., THOMPSEN L. [2005], « New challenges for developing country suppliers in global clothing chains : a comparative European
perspective », World Development, vol. 33, n° 3, p. 409-430.
PEREZ R. [1983], « Introduction méthodologique sur l’articulation filières stratégies », in L’analyse de filière / ADEFI, Economica, Paris, p. 69-74.
PERROUX F. [1973], « L’effet d’entraînement : de l’analyse au repérage quantitatif », Économie Appliquée, vol. 26, n° 2-3-4, p. 647-674.
PORTER M. [1985], Competitive advantage : creating and sustaining superior
performance, The Free Press, New York.
RAIKES P., JENSEN M., PONTE S. [2000], « Global commodity chain analysis
and the French filière approach : comparison and critique », Economy &
Society, vol. 29, n° 3, p. 390-417.
RASTOIN J.L. [2006], « De la complexité des marchés alimentaires », Économies et Sociétés, Série AG, n° 28, p. 575-582.
SOUFFLET J.F. [2008], « Concepts et méthodes en économie des filières : application au pays du Sud. Synthèse et perspectives », Actes de l’Atelier
Concepts et méthodes en économie des filières, CIRAD, Montpellier,
p. 1-60 (CD-rom).
STASSART P.M., MORMONT M. [2008], « La recherche intervention pour la viabilité d’une filière », Économie Rurale, n° 306, p. 8-21.
TEMPLE L., MARIE P., BAKRY F. [2008], « Les déterminants de la compétitivité
des filières bananes de Martinique et Guadeloupe », Économie Rurale,
n° 308, p. 36-54.
11•Temple
27/10/09
1812
8:06
Page 1812
L. TEMPLE, F. LANÇON, É. MONTAIGNE, J.-F. SOUFFLET
VALCESCHINI E. [1990], « Exploitation, filière et méso-système », in Modélisation systémique et système agraire / J. Brossier, B. Vissac, J.L. Le Moigne
(éds), INRA-SAD, Paris, p. 269-282.
WILLIAMSON O. [1985], The economic institutions of capitalism : firms, markets and relational contracting, The Free Press, New York.
12•Intercalaire III
30/10/09
7:24
Page 1813
1. Articles
12•Intercalaire III
30/10/09
7:24
Page 1814
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1815
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1815-1834
Les effets économiques d’une filière agricole
évalués par une matrice de comptabilité sociale :
le cas du sucre à l’île de la Réunion
Jean-Louis Fusillier, Laurent Parrot, Michel Benoit-Cattin,
Hélène Basquin,
CIRAD
L’article présente l’évaluation économique de la filière sucre de
l’Île de la Réunion basée sur l’utilisation d’une matrice de comptabilité sociale. Ceci permet de représenter l’insertion de la filière dans
l’économie locale et d’évaluer ses effets d’entraînement par le calcul
de coefficients multiplicateurs. Alors que la valeur ajoutée directe
créée par la filière apparaît très modeste, son avantage, dans un
contexte marqué par un fort taux de chômage, tient à ses effets directs
et indirects en termes de distribution de revenus et d’emplois générés.
This paper presents an economic assessment of the sugar chain in
the Reunion island based on a social accounting matrix. This allows a
global representation of the commodity chain linkages and its multiplier effects within the local economy. The total direct value added by
the sugar industry may appear very low, but this study reveals the
importance of its indirect effects in particular its positive contribution
to income and employment.
13•Fusillier
29/10/09
1816
15:25
Page 1816
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
INTRODUCTION
Dans de nombreux territoires soumis à de fortes contraintes du
milieu physique, comme les départements français d’outre-mer, le
maintien de l’activité agricole peut apparaître souhaitable et mobilise
alors un niveau élevé de soutiens publics. Ces soutiens peuvent prendre
la forme d’aides compensatoires aux productions agricoles, de dispositifs de protection et de régulation des marchés, ou encore de primes
à des pratiques culturales bénéfiques pour l’environnement. La justification de ces soutiens publics fait l’objet d’une attention croissante et
invite à une meilleure connaissance des bénéfices attendus de l’activité
agricole dans les divers registres économiques, sociaux ou écologiques. L’évaluation des effets économiques renvoie à une analyse en
termes de filière de production lorsque des secteurs amont de fournitures et aval de transformation des produits sont interdépendants de la
production agricole soutenue. Il est bien connu que le développement
économique général et l’industrialisation du secteur agro-alimentaire
entraînent un déplacement de la valeur ajoutée, depuis la production
primaire vers les maillons amont et aval des filières. Ce processus d’intégration de l’agriculture dans une filière locale et au-delà dans le reste
de l’économie contribue à accroître les effets indirects de l’activité
agricole et élargit donc les retombées économiques des soutiens.
Cet article présente la démarche et les résultats d’une évaluation des
effets économiques de la principale filière de production agricole de
l’île de la Réunion, la filière sucre. L’avenir de cette filière a été au
cœur des débats de politique agricole et d’aménagement du territoire
de l’île au début des années 2000, lors de la négociation du renouvellement des aides à l’agriculture et de la réforme de l’organisation du
marché européen du sucre. La production de sucre de canne constitue
une activité emblématique de l’île, en tant que base historique de sa
mise en valeur. Alors que l’économie s’est fortement diversifiée et tertiarisée ces quarante dernières années, la filière sucre garde une certaine importance. Elle concerne environ la moitié des exploitants agricoles et de la surface cultivée de l’île et fournit toujours la majorité des
exportations. Mais la pérennité de cette filière héritée du passé colonial
repose sur un soutien public croissant à travers diverses aides accordées aux planteurs et aux usiniers. Elle mobilise ainsi l’essentiel des
aides à l’agriculture locale. La remise en cause, en Europe, des politiques productivistes fondée sur un couplage des aides aux productions
agricoles a fragilisé la position de la filière sucre et relancé la question
de l’intérêt de son soutien. Cette question a motivé la présente évalua-
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1817
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1817
tion axée sur la contribution de la filière sucre à l’économie insulaire
en termes de richesse créée, de revenus distribués et d’emplois générés. La recherche des effets d’entraînement de la filière, intégrant les
effets indirects, nous a orientés vers une approche par la matrice de
comptabilité sociale. En exprimant la circulation de l’ensemble des
flux monétaires entre les diverses entités d’une économie, la matrice
apparaît un outil pertinent pour saisir l’articulation de la filière avec les
autres secteurs économiques et notamment les enchaînements de
demandes intermédiaires.
Dans une première partie seront présentés les principes de construction d’une matrice de comptabilité sociale et la portée des indicateurs
qui peuvent en être tirés. Puis, on verra les spécifications de la matrice
pour l’analyse des effets de la filière sucre réunionnaise. Enfin, seront
discutés les résultats sur les effets directs de la filière, les effets d’entraînement globaux et les effets de distribution de revenus auprès des
diverses catégories d’institutions.
I. – L’OUTIL « MATRICE DE COMPTABILITÉ SOCIALE »
ET LA MÉTHODE D’ÉVALUATION DES EFFETS
La matrice de comptabilité sociale (MCS) constitue un instrument
privilégié pour l’analyse du fonctionnement d’une économie régionale
et de l’impact des politiques publiques [Bell, Hazell et Slade (1982)] ;
[Lewis et Thorbecke (1992)] mais aussi pour l’analyse de secteurs productifs particuliers, notamment en agriculture [Sadoulet et de Janvry
(1995)] ; [Benoit-Cattin et al. (1998)] ; [Bélières et Touré (1999)] ;
[Parrot et Ayiwoue (2008)]. La MCS est particulièrement adaptée pour
mettre en évidence l’articulation d’un secteur productif donné au reste
de l’économie. Elle fournit en effet une image statique des interdépendances d’une économie régionale ou nationale en intégrant, dans un
même cadre, la structure de la production, les liens intersectoriels, la
répartition de la valeur ajoutée, les transferts publics, l’utilisation des
revenus et les échanges avec l’extérieur. Ce sont ainsi quatre fonctions
fondamentales de l’économie – production, répartition, consommation
et accumulation – qui sont couvertes par la MCS. Un autre intérêt de
la MCS tient à la mise en cohérence des données car la matrice est
construite suivant une structure carrée en respectant les équilibres
macro-économiques entre emplois et ressources des produits, ainsi
qu’entre dépenses et recettes des institutions.
La MCS correspond au plan conceptuel à la synthèse du tableau
entrée-sortie (TES) et du tableau économique d’ensemble (TEE) du
13•Fusillier
29/10/09
1818
15:25
Page 1818
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
système de comptabilité nationale. Elle se présente sous la forme d’un
tableau carré à double entrée regroupant une série de comptes où, pour
une année de base déterminée, sont enregistrés les flux comptables des
recettes et des dépenses de l’économie étudiée. Par convention, les
recettes sont données en ligne et les dépenses en colonne. La structure
de base contient généralement cinq groupes de comptes (cf. schéma cidessous) :
– les activités de production : ces comptes lus en colonne fournissent la structure de la production domestique décomposée en
consommations intermédiaires et en éléments de valeur ajoutée
qui rémunèrent les facteurs de production ; en ligne figurent les
recettes tirées des ventes de biens et des subventions d’exploitation ;
– les biens et services : ces comptes retracent en colonne les ressources mobilisées (production domestique et importations) et en
ligne les emplois des productions domestiques ;
– les facteurs de production : travail, terre, capital à l’origine de la
valeur ajoutée ;
– les institutions : ménages, entreprises, administrations publiques.
Ces comptes détaillent la distribution de la valeur ajoutée et son
utilisation ainsi que les transferts réalisés par les administrations
publiques ;
– l’accumulation de capital qui mesure les flux d’épargne et d’investissement ;
– le reste du monde où sont décrits les échanges extérieurs.
Ces lignes et colonnes peuvent être désagrégées en fonction des
analyses conduites et dans la limite des informations disponibles.
L’étude d’une filière repose sur l’individualisation des comptes des
activités, des biens et services et des institutions concernées.
Les effets directs liés au fonctionnement des activités sont tirés
d’une simple lecture en colonne des comptes d’activités : il s’agit de la
demande en biens et services intermédiaires qui fournit une indication
des relations intersectorielles, et de la valeur ajoutée brute qui rémunère le travail, le capital, le foncier et l’État. La valeur ajoutée correspond à la création de richesse dans l’économie et constitue donc le critère fondamental d’analyse d’impact économique. Les effets directs
issus des investissements d’une activité apparaissent en détaillant les
comptes d’accumulation du capital.
Reste du
monde
TOTAL
Facteurs
Travail
Capital
Terre
Institutions
Ménages
Entreprises
Ad. publiques
Accumulation
de capital
Production
domestique
après subvention
Masse
salariale
RBE
Foncier
Taxes
Ressources
en B&S
Importations
Taxes
s/produits
Transferts
Épargne
totale
des comptes
courants
Épargne
domestique
Balance
des paiements
Revenus
provenant
de l’extérieur
Transferts,
Impôts
Exportations
Reste
du Monde
Versement
Dépenses
Investissement
Total
des facteurs des institutions
total
des exportations
Salaires
RBE
Ch. sociales
DEPENSES
Institutions Accumulation
Facteurs
résidentes
de Capital
Subventions
aux activités
Consommations Investissement
finales
(formation de
Importations
totales
Revenus
des institutions
Recettes
Emplois
des B&S
capital fixe)
Revenus
des facteurs
TOTAL
15:25
R
E
C
E
E
T
T
E
S
Consommations
intermédiaires
Biens
& services
Production
domestique
29/10/09
Biens
& services
Activités
Activités
de production
TABLEAU 1
Structure de base d’une Matrice de comptabilité sociale (adaptation de Thorbecke, 1985)
13•Fusillier
Page 1819
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1819
13•Fusillier
29/10/09
1820
15:25
Page 1820
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
Pour caractériser les effets induits par un ensemble d’activités, on
peut retenir les deux catégories proposées par la méthode des effets
[Chervel et Le Gall (1989)] 1 :
– les effets amont (appelés aussi effets primaires indirects) qui sont
liés à la demande de biens intermédiaires et diffusent dans les secteurs fournisseurs. Une décomposition itérative des consommations intermédiaires par remontée des chaînes de production aboutit à évaluer une valeur ajoutée indirecte et les fuites pour
l’économie locale que représentent les importations ;
– les effets liés à la dépense des revenus distribués, notamment aux
ménages (ou effets secondaires) qui vont stimuler la production
locale et engendrer de nouvelles valeurs ajoutées ainsi que des
importations induites.
Les effets globaux directs et indirects résultant de ces enchaînements de demande peuvent être appréhendés par des calculs matriciels
grâce aux propriétés de la MCS (structure carrée et équilibrage des
lignes et colonnes) ou par des méthodes de programmation par processus algorithmique sur tableurs [Ayiwoue et Parrot (2008)]. Le mode
opératoire consiste à transformer la MCS brute [Xij] en une matrice des
coefficients techniques A [aij = Xij/X.j] puis à inverser la matrice I-A
pour obtenir une matrice des multiplicateurs qui incorporent les effets
induits. Les revenus directs et indirects induits par la production d’un
bien sont donnés par les coefficients multiplicateurs au croisement de
la colonne du « bien » considéré avec les lignes des institutions,
ménages, entreprises, administrations publiques. Les importations
induites apparaissent au croisement avec la ligne « Reste du monde ».
Calculés sur une année de référence, ces coefficients peuvent aussi être
utilisés pour simuler l’effet d’un changement de niveau de production,
résultant par exemple d’un facteur exogène comme un nouveau débouché à l’exportation. Mais une telle approche est soumise à des conditions très restrictives : des prix fixes, une absence de substitution entre
facteurs de production et des capacités de production sous-utilisées.
Ces hypothèses peuvent être satisfaites pour des changements à court
terme portant sur des variations réduites des productions.
1 La méthode des effets comme les matrices de comptabilité sociale (Social Accounting Matrix) ont été imaginées de façon indépendante dans les années 70 pour évaluer
des actions de développement. Les calculs matriciels réalisés sont très similaires mais
l’avantage des SAM ou MCS est qu’elles rassemblent tous les comptes dans une seule
matrice carrée. Ces méthodes ont rarement été appliquées à des filières. La construction
de MCS tend à se généraliser car elles sont nécessaires pour étalonner les modèles
d’équilibre général.
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1821
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1821
Si la MCS rend compte de flux économiques en valeur, il est possible d’en déduire des effets en termes d’emplois à partir des revenus
distribués aux ménages et de références sectorielles sur les rémunérations moyennes par employé. Cela revient à raisonner sur des « équivalents actifs à plein temps rémunérés au niveau moyen du secteur ».
II. – STRUCTURATION DE LA FILIÈRE SUCRE À LA RÉUNION
ET SPÉCIFICATION DE LA MCS
La filière sucre réunionnaise est composée de trois segments d’activités : la culture de canne à sucre, la fabrication du sucre (brut ou raffiné) et la distillerie de rhum qui valorise un sous-produit du sucre, la
mélasse. Cette délimitation de la filière est basée sur l’interdépendance
d’activités autour du produit canne à sucre cultivé localement. Ces
activités sont organiquement liées car, pour les industries du sucre ou
du rhum, la matière première de base canne à sucre n’est pas substituable et, pour les planteurs, la sucrerie constitue le seul débouché. Ce
périmètre de filière ne recouvre pas exactement la filière au sens institutionnel de l’interprofession, représentée par la Commission paritaire
canne-sucre. L’interprofession rassemble les exploitants agricoles,
planteurs de canne et les industriels du sucre, sous la tutelle de l’État.
Elle exerce une mission de concertation pour organiser l’approvisionnement des sucreries en canne et, notamment, pour établir la convention pluriannuelle qui fixe le barème du prix de la canne et la répartition des aides publiques dont l’importance confère un important
pouvoir d’arbitrage à l’État. La convention canne actuelle (2006-2015)
s’inscrit dans la continuité avec le maintien du principe d’aides couplées à la production. Elle entérine le régime dérogatoire à la réforme
de la politique sucrière européenne avec la compensation des baisses
de prix garantis du sucre, accordée aux DOM en 2005. Un organisme
technique est associé à l’interprofession (le Centre technique interprofessionnel de la canne et du sucre) pour le contrôle de la qualité des
livraisons de canne.
Nous sommes donc en présence d’une filière agro-industrielle structurée de façon classique par un segment de production de matière première agricole très atomisé, avec 4 800 planteurs en 2000, et un segment industriel concentré qui compte deux sucreries et trois
distilleries. Les dernières décennies ont été marquées par un regroupement de l’appareil industriel en deux usines pour atteindre une dimension compétitive avec une capacité de broyage amenée à plus de 1 mil-
13•Fusillier
29/10/09
1822
15:25
Page 1822
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
lion de tonnes de canne par usine. La configuration de l’île, avec ses
deux bassins de production Nord et Sud difficilement connectables, ne
permet pas de pousser plus loin la concentration industrielle. Le défi
majeur pour la filière, imposé par le caractère industriel et l’importance des économies d’échelle, est de sécuriser un approvisionnement
en canne à sucre suffisant pour chaque usine. En effet, alors que les
débouchés du sucre sont sécurisés par un quota à prix garantis sur le
marché européen, au moins jusqu’en 2013, la production de canne,
quant à elle, reste largement en dessous des capacités des usines. Un
effet de seuil de production menace ainsi la pérennité de la filière. La
production de canne à sucre a connu dans les années 1990 un déclin en
raison principalement de l’urbanisation des terres agricoles. Les
modestes gains de rendements de la culture 2 et une politique plus
volontariste de protection du foncier agricole 3 ont permis de stabiliser
la production un peu en dessous de 2 millions de tonnes mais ce redressement est fragile. Une majorité d’exploitations de canne ont une taille
très réduite qui compromet la rentabilité de la production et limite les
possibilités d’intensification. Malgré ces difficultés, la plupart des
exploitations conservent la canne en quasi monoculture car cette dernière offre une sécurité de débouché et s’avère l’une des productions
les moins risquées sur un plan agronomique.
La spécification de la matrice de comptabilité sociale pour prendre
en compte la filière étudiée revient à désagréger les comptes des activités, des biens et des institutions liées ou connexes à la production de
sucre. Le découpage adopté reprend la structuration de la chaîne technique de la filière sucre avec ses trois niveaux (cf. graphe ci-dessous) :
– L’activité « plantation de canne à sucre » qui fournit le bien canne
à sucre. Elle est assurée par les planteurs qui relèvent dans la MCS
de l’ « institution ménages exploitants agricoles », catégorie particulière d’entrepreneurs individuels.
– L’activité sucrerie fournit le bien sucre et trois co-produits : la
bagasse, la mélasse et les écumes. Ce dernier co-produit n’étant
pas valorisé mais restitué gratuitement aux planteurs est donc
négligé pour la MCS. Le raffinage de sucre est intégré à l’activité
sucrerie. La bagasse est valorisée en énergie électrique par des
centrales thermiques qui sont considérées comme des activités
2 Rendement moyen en canne de 66 t/ha pour la période 1988-95 à 71 t/ha en 19962004.
3 Le schéma d’aménagement régional décidé en 1996 retient un objectif de
30000 ha de canne.
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1823
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1823
connexes à la filière sucre, donc non incluses dans le périmètre de
cette dernière. La bagasse fournit un quart de l’électricité de l’île
en 2000.
– L’activité distillerie qui produit des rhums à partir de mélasse. Les
différentes qualités de rhum (rhum traditionnel destiné au marché
local ou à l’exportation, rhum déclassé en alcool cru de canne destiné aux liquoristes) tout comme celles des sucres ne sont pas spécifiées en autant de biens dans la MCS, mais leur valorisation différenciée est bien prise en compte au niveau de chaque utilisation.
En termes d’institutions, la sucrerie et la distillerie sont des activités intégrées au sein des mêmes groupes industriels, les deux groupes
sucriers Quartier Français et Union SDA (devenu Tereos, troisième
producteur mondial de sucre). Ainsi la valorisation de la mélasse s’effectue à des prix de cession interne relevant de stratégies d’entreprise
qui peuvent s’éloigner de critères purement économiques. Il existe
dans la distillerie un troisième opérateur indépendant. Ces activités
industrielles mettent en jeu deux catégories institutionnelles, les entreprises et les ménages salariés.
Les activités amont spécifiées dans la MCS concernent les principaux biens et services intermédiaires : intrants agricoles, travaux de
récolte, aménagements fonciers, énergie, eau, transport, maintenance,
emballages.
Les activités en aval qui valorisent les produits issus de la filière
comprennent : l’alimentation animale pour la mélasse ; les centrales
thermiques qui convertissent la bagasse en vapeur et électricité avec, là
encore, des prix de cession internes aux entreprises puisque ces centrales sont en fait intégrées aux groupes sucriers ; la liquoristerie qui
s’approvisionne en rhum déclassé.
Les comptes de facteurs de production ne sont pas repris dans la
MCS, à l’exception du facteur terre, dans la mesure où la séparation
des facteurs travail et capital n’apparaît pas pertinente dans une agriculture à dominante familiale.
La MCS est renseignée pour l’année 1998 compte tenu des informations disponibles. Les sources mobilisées sont l’enquête annuelle
d’entreprise de l’INSEE, les comptes de l’agriculture de la DAF, des
référentiels technico-économiques « canne à sucre » de la Chambre
d’agriculture et du CIRAD et, enfin, les comptes économiques de la
Réunion qui fournissent les données macro-économiques de cadrage
de la MCS. L’année 1998 présente, avec 1,67 millions de tonnes, un
niveau de production de canne à sucre inférieur de 7 % à la moyenne
13•Fusillier
29/10/09
1824
15:25
Page 1824
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
décennale et très en dessous de l’objectif de deux millions de tonnes
affiché par la profession. Une simulation des effets d’entraînement
pour ce niveau de 2 Mt est toutefois envisageable à partir des coefficients multiplicateurs fixes dans la mesure où les hypothèses de fixité
des prix et de sous-emplois des capacités de production paraissent
acceptables dans le contexte réunionnais.
Activités, opérateurs et flux de produits
Approvisionnemen ts
eau
année 2000 en tonnes et hectolitres Al cool Pur
sources : CTICS, Douanes, Syndicat des fabricants de sucre
Prestation s de travaux
combustibles engrais
phytosanitaires
aménagements transport maintenance
Plantation
4 800 planteurs
Périmètre de
filière
canne à sucre
1 820 000 t
Sucrerie
& raffinage
énergie
Electricité
Bagasse
Ecumes
Sucre
540 000 t
64 000 t
200 000 t
2 industriels
Groupe Quartier Français
Union SD A
Mélasse 6 000 t
Alimen tation
animale
56 0 00 t
Distellerie
brut
conditionné
140 000 t
40 000 t
20 000 t
48 000 Hl
Expo rt
Rhums
11 000 Hl
Marché local
Quartier Français
Union SDA
Ets Isautier
6 000 Hl
Liquoristes
FIGURE 1
Structure de la filière sucre à la Réunion
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1825
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1825
III. – LES EFFETS DIRECTS DE LA FILIÈRE SUCRE
III.1 La contribution directe au revenu
et à l’emploi de l’économie locale
La production globale dégagée par la filière sucre s’établit entre 145
et 170 millions d’euros (M€) à la fin des années 1990 et début 2000
marquées par d’importantes fluctuations des productions de canne (de
1,67 en 1998 à 1,94 millions de tonnes en 1999) et de la richesse en
sucre. À titre de comparaison, ce produit brut avoisine le chiffre d’affaires des industries de la viande et du lait orientées vers l’approvisionnement du marché local [Fusillier, Dalphin et Nef (2001)].
Les sucres représentent toujours la part essentielle du produit brut de
la filière, avec plus de 80 % . Près de 40 % du volume est constitué de
sucres roux spéciaux à plus forte valeur. Les rhums en revanche ne se
positionnent pas sur des marchés « haut de gamme » très rémunérateurs ;
leur part reste ainsi confinée à 10 % du produit brut global de la filière.
Contrairement aux sucres essentiellement exportés, près de la moitié des
ventes de rhums, en valeur, sont effectuées sur le marché local. Quant
aux co-produits bagasse et mélasse non consommée par la distillerie, qui
font l’objet d’efforts de valorisation, leurs retombées économiques sont
encore limitées avec seulement 6 % du produit global.
La valeur de la production ne rend pas compte de la richesse créée
directement par la filière, il convient de raisonner sur la valeur ajoutée.
La valeur ajoutée considérée ici est brute d’amortissement car notre
approche se limite aux effets liés au fonctionnement de la filière sans
prendre en compte l’investissement. C’est aussi une valeur ajoutée
nette de subvention au produit car les effets liés aux subventions ne
sont pas générés par les ressources propres de la filière. Le point de vue
de l’évaluation économique diffère donc de celui de la comptabilité
nationale qui est préoccupée d’équilibre des flux et intègre les subventions au produit dans la valeur ajoutée.
Pour une production de canne à sucre fluctuant, de 1995 à 2001,
entre 66 et 81 M€ (au prix d’achat industriel hors subvention au planteur), la valeur ajoutée brute de l’activité de plantation se situe entre 34
et 46 M€. Avec un taux de consommations intermédiaires par rapport
au produit brut variant de 40 à 50 %, on voit que l’effet d’entraînement
sur les secteurs amont de l’agro-fourniture et des services est loin
d’être négligeable. Toutefois, la culture de canne à sucre présente une
moindre dépendance vis-à-vis de l’agro-fourniture que d’autres secteurs comme l’élevage où le taux de consommations intermédiaires
atteint 60 %.
13•Fusillier
29/10/09
1826
15:25
Page 1826
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
L’industrie sucrière se caractérise par de lourdes immobilisations et
un faible taux de valeur ajoutée (moins de 15 %). L’achat de canne à
sucre représente à lui seul près de la moitié du produit brut. La valeur
ajoutée varie de 18 à 23 M€.
La distillerie présente un plus fort taux de valeur ajoutée (27 %) car
elle tire sa matière première – la mélasse – d’un sous-produit du sucre
faiblement valorisé (3,5 à 4 M€). La valeur ajoutée de la distillerie se
situe autour de 4,5 M€.
La valeur ajoutée consolidée de la filière s’inscrit donc dans une
fourchette de 56 M€ en année de basse production comme 1998 à
70 M€ pour une campagne cannière faste comme 1999. La contribution directe de la filière sucre à la création de revenu dans l’économie
réunionnaise apparaît donc très modeste. La valeur ajoutée de la filière
représente en effet, en année favorable, 1 % du produit intérieur brut
de la Réunion et 1,6 % du PIB marchand. Ces chiffres contrastent avec
l’importance de la canne dans le paysage agricole de l’île ou avec
l’idée d’une économie dépendant d’une monoculture.
En termes d’emplois, la production de canne à sucre occupe 4 800
planteurs dont 3 200 à plein temps d’après le RGA 2000, auxquels
s’ajoutent environ 2 000 salariés saisonniers sur la base d’une hypothèse de 60 % du tonnage de canne récolté manuellement par des salariés 4. L’activité de plantation représente ainsi l’équivalent de 4 500
emplois à temps complet. Les effectifs salariés des industries sont de
450 dans les sucreries et 60 dans les distilleries, d’après les données
ASSEDIC de fin 1998. Les emplois directs de la filière sucre peuvent
donc être estimés autour de 5 000 équivalents plein temps, soit un peu
moins de 3 % de l’ensemble des emplois de la Réunion.
III.2 La distribution des revenus de la filière sucre
Les revenus distribués par la filière dépassent de beaucoup la répartition de la valeur ajoutée compte tenu des importantes subventions
versées par l’État, les fonds européens et les collectivités locales.
La production de canne à sucre distribue ainsi 70 M€ de revenus en
1998, pour une valeur ajoutée de seulement 35 M€. Le revenu brut
restant aux exploitants, après les versements de salaires (12 M€), cotisations sociales et impôts (5,6 M€), frais financiers et assurances
(3,3 M€) et fermages (2,7 M€) est d’environ 46 M€. Les subventions
4 80 % de la sole cannière est coupée à la main en 2004 d’après le CTICS mais, en
termes de production, la part manuelle peut être ramenée à 60 % car la coupe mécanique
est réalisée sur les terres à plus forte productivité.
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1827
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1827
(28,5 M€ d’aide au prix de la canne et 6,7 M€ d’aides structurelles
ICHN et replantation) représentent plus des trois quarts du revenu brut
des planteurs. La part des subventions dans les recettes totales des
planteurs a doublé entre 1980 et 2000, passant de 16 % à 33 %. Cette
augmentation des aides répond à un engagement de l’État de maintenir le prix de la canne à sucre en valeur constante mais elle ne compense pas la hausse du coût des intrants et de la main-d’oeuvre.
Les industries sucrières distribuent une importante masse salariale
(20 M€). Les revenus des entreprises sont contrastés en 1998. Les
résultats de la sucrerie paraissent très affectés par le faible approvisionnement en canne, ils frôlent le déficit malgré d’importantes subventions de l’OCM sucre pour l’exportation vers l’Europe (6,5 M€).
Les distilleries, en revanche, dégagent un revenu brut de 3 M€ : c’est
le segment rentable de l’industrie.
Le bilan des revenus distribués par la filière sucre en 1998 montre
que les ménages exploitants agricoles sont les principaux bénéficiaires
avec 46 M€. Ce revenu représente près de 30 % de l’ensemble des
revenus allant aux ménages agricoles réunionnais. Avec 27,4 M€ de
rémunération brute, les autres ménages salariés tirent également des
FIGURE 2
Effets directs de la filière sucre Réunion
13•Fusillier
29/10/09
1828
15:25
Page 1828
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
bénéfices importants de la filière. Les pouvoirs publics versent 42 M€
de subventions à la filière en 1998 (hors aides aux investissements et
dotations des services de recherche et d’appui technique) mais le bilan
sur les finances publiques doit tenir compte des taxes sur les activités
et les produits et des cotisations sociales perçues. Le déficit net pour la
collectivité s’élève alors autour de 23 M€.
IV. – LES EFFETS D’ENTRAÎNEMENT ET REDISTRIBUTIFS
DE LA FILIÈRE SUCRE
La filière sucre achète en 1998 pour 96 M€ de consommations
intermédiaires, intra-consommations de canne et mélasse non comprises. La part fournie localement par les secteurs énergie, transport,
maintenance, eau, travaux d’aménagement, commerce induit une
valeur ajoutée indirecte incorporée dans le calcul du multiplicateur de
la MCS. Ce dernier mesure la part totale de la valeur ajoutée de l’économie réunionnaise imputable à la filière sucre. Il intègre les valeurs
ajoutées directe et indirecte.
Les multiplicateurs issus de la MCS, hors subvention 1998, pour les
flux versés aux institutions par les productions des sucreries et des distilleries, sont respectivement de 0,617 et 0,459. Appliqués aux valeurs
totales des productions, ces multiplicateurs donnent, pour 1998, une
valeur ajoutée directe et indirecte de la filière d’environ 90 M€ soit 1,6
fois la valeur ajoutée directe. Pour une valeur de production correspondant au niveau de 2 millions de t de canne, l’effet d’entraînement
sur l’économie atteint 110 M€ ; la filière sucre représente alors 1,6 %
du PIB réunionnais et 2,4 % du PIB marchand.
Les importations directes et indirectes induites par le fonctionnement
de la filière atteignent 58 M€ en 1998. Ce montant représente la moitié
de la valeur des exportations de sucre et de rhum. Bien que les importations liées aux investissements n’aient pas été pris en compte dans notre
approche, la filière sucre, avec ses 115 M€ d’exportation, apporte toujours une contribution majeure à la balance commerciale de l’île.
On a vu que les effets d’entraînement par l’amont sont limités (les
importations induites directes et indirectes représentent 60 % de la
valeur des consommations intermédiaires de la filière), ce qui paraît
logique dans le contexte d’une petite économie insulaire relativement
ouverte aux échanges internationaux. Les effets redistributifs de la
filière ont une autre ampleur car ils intègrent les effets des subventions
(cf. tableau 2).
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1829
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1829
Les revenus indirects induits par la filière sont estimés à 38 M€
pour 1998. L’effet distributif global atteint 137 M€. Les revenus indirects se composent pour 40 % de salaires bruts distribués aux ménages.
Ainsi la filière distribue, de façon directe et indirecte, pratiquement
autant de revenus aux ménages salariés qu’aux ménages exploitants
agricoles (respectivement 43 et 46 M€ en 1998). L’effet sur l’emploi
est important, les 90 M€ distribués en 1998 aux ménages représentent
l’équivalent de 7 000 emplois à temps plein rémunérés au SMIC, soit
4 % de l’ensemble des emplois à la Réunion. Une récolte de 2 Mt de
canne induirait environ 8 500 emplois directs et indirects.
La collectivité (État et organismes sociaux) bénéficie également de
retombées significatives, les taxes et cotisations perçues sont évaluées
à un peu plus de 30 M€. Le bilan pour les finances publiques et
sociales n’est donc pas aussi déséquilibré que le laissaient paraître les
seuls effets directs. La contribution nette des fonds publics et sociaux
à la filière (hors prestations sociales versées) est estimée à 10 M€.
Cette contribution paraît finalement modeste au regard des emplois
créés par la filière. Dans un contexte de DOM marqué par l’importance
du chômage et la faiblesse des opportunités de nouvelles productions 5,
un soutien à l’activité économique ciblé sur la principale filière d’exportation apparaît une forme d’intervention publique socialement pertinente pour conforter les revenus des ménages, notamment si l’on
considère que la principale alternative serait la distribution de revenus
sociaux de type RMI sans contrepartie productive.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Le recours au cadre de la matrice de comptabilité sociale pour
décrire de façon quantitative l’économie du sucre à la Réunion s’est
révélé très efficace : il a permis de mobiliser des informations d’origines différentes tout en obligeant à les rendre cohérentes entre elles.
De plus, les calculs des effets économiques imputables à la chaîne des
5 On considère qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de culture de substitution à la
canne à sucre, notamment capable d’occuper une surface de 25 000 ha et que la déprise
et l’urbanisation diffuse seraient les réponses les plus probables des producteurs à un
arrêt des soutiens à la canne. Les productions légumières et fruitières destinées au marché local sont déjà proches de la saturation et aucune production agricole ne présente une
compétitivité qui permettrait une exportation à grande échelle. Les fourrages, principale
culture en expansion, sont contraints par le manque de compétitivité des productions
bovines face aux importations. La poursuite du développement des filières bovines
dépend, comme la canne à sucre, du maintien d’un niveau élevé de soutien public.
13•Fusillier
29/10/09
1830
15:25
Page 1830
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
TABLEAU 2
Effets de la filière sucre (planteurs, sucreries et distilleries)
Réunion
en millions d’euros
Effets directs
Effets directs + indirects
référence 1998 hypothèse référence 1998 hypothèse
1,67 Mt canne 2 Mt canne 1,67 Mt canne 2 Mt canne
Effets d’entraînement
Produit brut hors subventions
Valeur Ajoutée brute
Importations
149
56
177
70
Subventions
42
49
Effets distributifs avec subventions
Ménages agricoles
45,7
Ménages salariés
27,4
Entreprises
2,7
Institutions financières
5,8
État – collectivités
9,1
Organismes sociaux
7,6
Total Effets distributifs
98,5
55,6
30,5
5,3
6,4
10,7
8,4
116,9
91
58
110
69
45,7
43,0
9,6
6,1
19,8
12,3
136,6
55,6
50,9
12,2
7,2
23,2
14,6
163,7
Sources : INSEE, DAF, calculs MCS 1998 CIRAD
consommations intermédiaires comme à la dépense des revenus distribués découlent des propriétés matricielles de la MCS. Les résultats des
calculs montrent, d’une part, que la filière sucre tient une place beaucoup plus modeste que ce que l’on pourrait croire a priori dans l’économie de l’ile, mais que, d’autre part, elle joue un rôle clé dans la politique de soutien à l’activité économique et aux revenus des ménages.
La méthode trouve ses limites quand il s’agit d’évaluer des changements de politique économique ou agricole. Ainsi les incertitudes au
niveau de l’Union européenne en matière d’aide publique à l’agriculture au-delà de 2015 constituent une menace sérieuse pour la pérennité
de la filière sucre de la Réunion. La profession axe sa stratégie de
développement sur deux orientations. Une orientation productiviste
pour réaliser des économies d’échelle et dépasser le seuil de rentabilité
des sucreries. Des gains de productivité sont attendus à tous les
niveaux de la filière afin, notamment, de compenser la baisse anticipée
des aides publiques. Une autre orientation est la diversification des
débouchés à travers une valorisation plus poussée des co-produits du
sucre pour la production d’énergies (électricité ou biocarburants), la
canne à sucre ayant l’avantage d’être l’une des plantes les plus productives en biomasse. La recherche d’un compromis entre l’objectif
économique de compétitivité de la filière et l’objectif social de préser-
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1831
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1831
ver les emplois s’avère un défi difficile à résoudre. En effet, les marges
de progrès existantes se situent surtout au niveau de la production de
canne, elles concernent la mécanisation de la culture et son intensification par l’irrigation, l’amélioration variétale et les replantations plus
fréquentes. Or, la mise en œuvre de ces techniques passera essentiellement par un agrandissement des exploitations donc une concentration
du secteur avec un impact négatif sur l’emploi. Quels seraient précisément les impacts des options de développement futur de la filière ?
Dans quelle mesure les effets redistributifs de la filière pourraient être
remis en cause par la restructuration des exploitations agricoles ? Nous
avons utilisé la MCS pour mettre en évidence les effets directs et indirects de la filière dans sa configuration actuelle. Pour traiter les questions précédentes, on peut envisager de conduire une approche, cette
fois prospective de la filière, en utilisant la MCS comme outil de simulation. Une telle approche implique de lever les hypothèses restrictives
de la MCS sur la fixité des coefficients techniques et la linéarité des
processus. La prise en compte de changements structurels de l’économie nécessite en effet d’enrichir la matrice en intégrant des prix de
biens et facteurs de production, des élasticités de production et de
consommation, des possibilités de substitution et plafonnement des
ressources, ou encore des planchers de production exprimant des seuils
de rentabilité d’activités. Bien qu’il implique une grande complexification de la MCS, le passage d’une approche d’évaluation statique des
effets d’une filière à une prospective par la simulation reste envisageable dans des contextes bien informés dotés d’un appareil statistique
étendu, comme c’est le cas à l’île de la Réunion. La solution est alors
de construire un modèle d’équilibre général aussi détaillé que la MCS,
mais pour lequel on aura spécifié le comportement de tous les acteurs
essentiellement sous forme d’élasticités.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AYIWOUE E., PARROT L. [2008], « La méthode de programmation par processus algorithmique : application sur une matrice de comptabilité sociale », in
Agricultures et développement urbain en Afrique subsaharienne. Gouvernance et approvisionnement des villes / Parrot L., Njoya A., Temple L.,
Assogba-Komlan F., Kahane R., Ba Diao M., Havard M. (eds), L’Harmattan, Paris, p. 85-99.
BASQUIN H. [2002], La matrice de comptabilité sociale sous Access : conception, utilisation et méthodologie d’exploitation, Document de travail
CIRAD, Montpellier.
13•Fusillier
29/10/09
1832
15:25
Page 1832
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
BELIERES J.F., TOURE H.A. [1999], Impact de l’ajustement structurel sur
l’agriculture irriguée du delta du Sénégal, Thèse ENSAM, Montpellier.
BELL C., HAZELL P., SLADE R. [1982], Project evaluation in regional perspective, World Bank, J. Hopkins University Press, Baltimore.
BENOIT-CATTIN M., BELIERES J.F., TOURE H.A. [1998], « La matrice de comptabilité rurale, outil de mobilisation des connaissances technico-économiques pour la décision de politique de développement régional : exemple
du delta du fleuve Sénégal », Communication au Symposium international
de l’Association Ouest et Centre Africaine de Recherche sur les systèmes de
production et la gestion des ressources naturelles, 21-25 sept., Bamako
(Mali).
CHERVEL M., LE GALL M. [1989], Manuel d’évaluation économique des projets. La méthode des effets, Ministère de la coopération et du développement (Méthodologie).
FUSILLIER J.L., DALPHIN A., NEF A. [2001], L’agro-alimentaire : des industries
dynamiques confrontées aux importations, INSEE Économie de la
Réunion, n° 107,1er trim.
FUSILLIER J.L., JEAN-PIERRE P. [2002], Canne à sucre, état des lieux. Une
filière aidée qui redistribue largement, INSEE Économie de la Réunion,
n° 114, 4e trim.
INSEE [2002], Comptes économiques des départements d’outre-mer 19932002.
LEWIS B., THORBECKE E. [1992], « District level economic linkages in Kenya.
Evidence based on a small regional social accounting matrix», World Development, vol. 20, n° 6, p. 881-897.
NEVEU C. [2001], Conception d’une matrice de comptabilité sociale pour évaluer la contribution des secteurs agricole et agro-alimentaire à l’économie
réunionnaise, Document de travail CIRAD-TERA, n° 72/01.
PARROT L., AYIWOUE E. [2008], « Effets d’entraînement des activités économiques d’une économie locale : le cas de la ville de Muea au Cameroun »,
in Agricultures et développement urbain en Afrique subsaharienne. Gouvernance et approvisionnement des villes / Parrot L., Njoya A., Temple L.,
Assogba-Komlan F., Kahane R., Ba Diao M., Havard M. (eds), L’Harmattan, Paris, p. 101-113.
SADOULET E., DE JANVRY A. [1995], Quantitative development policy analysis,
J. Hopkins University Press.
THORBECKE E. [1985], « The social accounting matrix and consistency type
planning models », in Social accounting matrices. A basis for planning /
Pyatt G. et Round J.I., World Bank, Washington.
13•Fusillier
29/10/09
15:25
Page 1833
LA FILIÈRE SUCRE DANS L’ÉCONOMIE DE LA RÉUNION
1833
ANNEXE
Extraits de la Matrice de comptabilité filière sucre Réunion
1998 - Millions Euros
Sources : INSEE Enquête annuelle entreprises et Comptes économiques régionaux,
BOCCRF,
DAF statistiques agricoles, CIRAD référentiel canne à sucre
DÉPENSES
RECETTES
ACTIVITES
BIENS & SERVICES
Facteur
INSTITUTIONS
ACCUMU
LATION
CAPITAL
Plantati on Canne à sucre
Sucrerie
Distillerie
Liquoriste rie
Comm erce
Canne à sucre
Sucre
Mélasse
Bagasse
Rhum
Autres Produits Agricoles&
Alimentaires
Semences, plants
Engrais
Phytosanitaires
Autres produits chimiques
Produits pét roliers
Eau
Électricité
Emballages
Équipements agricoles
Autres Biens d'Equipement
Service Entretien, mainte nance
Service Travaux agricoles
Service Transport
Services Non Marchands
Autres Biens & Services marchands
Terre
Entreprises
Administrations Publiques
Organismes Sociaux
Exploitants agricoles
Autres ménages
Institutions Financières
Reste du Monde
Accum. Plante urs
Accum. Indu stries sucre
Accum. Autres Activités
TOTAL colonn e MCS
ACTIVITÉS
Plantati on
Autres
canne
Sucrerie Distillerie Liquoriste rie IAA
0,0
0,0
0,0
0,0
Energie
66,3
3,0
0,9
3,2
7,6
0,8
0,6
289,6
0,3
6,4
2,4
6,1
2,7
4,6
3,8
5,0
2,7
6,1
0,6
3,0
7,6
1,5
0,3
0,3
0,9
1,5
0,3
0,3
0,9
1,5
12,0
3,1
2,8
4,3
15,2
9,1
6,1
1,2
1,1
0,6
0,6
1,6
3,5
8,4
0,6
0,5
4,9
13,7
2,3
1,5
89,0
30,5
10,7
3,0
1,5
1,5
3,8
46,5
12,2
3,4
0,03
3,6
4,0
2,6
0,5
0,3
3,5
0,6
0,5
63,4
14,0
17,9
30,5
18,3
10,7
14,4
2,5
1,1
0,0
1,8
0,0
72,6
3,1
21,3
101,5
147,1
15,9
14,0
601,1
134,1
29/10/09
J.-L. FUSILLIER, L. PARROT, M. BENOIT-CATTIN, H. BASQUIN
BIENS & SERVICES
INSTITUTIONS
ACCUMUL
Terre
Entre prises
Adm Pub
Org Sociaux
Exploitants
Autre s mén
IF
RDMonde
Accu Plant
Accu Indust
Accu Autres
TOTAL
colonne MCS
0,8
1,5
14,0
747
5,5
0,0
0,0
10,7
109,0
0,2
13,1
1095
7,3
26,2
0,0
0,0
0,0
0,0
0,1
191,8
33,5
64,0
337,7
0,1
0,1
30,0
4,6
3,8
76,2
3,7
3315
0,0
0,8
3,8
320
2588
3,0
0,0
202,3
0,0
12,2
123
4,3
7,6 21,2
0,0
59,5
1082
6895
2,4
291,9
140,5
0,0
9,6
0,7
211,2
66,3
5,4
3848
0,0
0,0
4826
185,3
17,5
78,7
total ligne
MCS
35,2
6,4
0,1
Kal
sucrerie
7,6
15,9
Kal
Planteurs
7,6
RDM
Bagasse
4,3
66,3
Ménages
Mélasse
121
Admin
Publiq
Sucre
ACTIVITES
Plantation
Sucrerie
Distillerie
Liquo rist
Comm erce
Cann e
Sucre
Mélasse
Bagasse
Rhum
Autre s PAA
Semences
E ngrais
Phytosan
Aut Pchimi
P pétroliers
Eau
Electricité
Emballages
Equip agri
Autre s BE
Entretien
Trav agri
Transport
ServNMarch
Autre s B&S
Canne
RECETTES
ACCUMUL DE
CAPITAL
INSTITUTIONS
B&S
BIENS & SERVICES
DEPENSES
Fac
teur
Page 1834
Autres
1834
15:25
Rhum
13•Fusillier
101,5
147,1
15,9
14,0
1238,9
66,3
122,7
4,3
7,6
21,2
1580,9
1,8
8,4
9,8
100,5
375,9
49,0
145,0
80,8
10,7
1067,1
30,9
8,4
104,9
3325,4
6506,2
4,6
2433,8
1335,6
1152,6
169,4
6193,7
102,9
2443,7
19,2
10,7
240,2
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1835
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1835-1856
Gouvernance et performance
des filières alimentaires au Vietnam
Paule Moustier,
CIRAD, UMR 1110 Moisa
Au Vietnam, les petits producteurs peuvent-ils profiter du développement de la grande distribution? Nous avons étudié la gouvernance
de filières alimentaires et leurs résultats en termes de distribution de
revenus. Des enquêtes ont été menées auprès d’un échantillon de producteurs et commerçants dans les filières de légumes à destination de
Hanoï et Ho Chi Minh Ville, de riz parfumé et de litchis à destination
de Hanoï. Les résultats montrent une plus grande intégration des
filières caractérisées par des labels de qualité et des revenus plus élevés pour les producteurs que dans les filières peu intégrées.
Can the small Vietnamese farmers benefit from the development of
modern distribution? We studied the governance of food chains and
their results in terms of income distribution. Surveys have been
conducted on a sample of farmers and traders in the vegetable chains
supplying Hanoï and Ho Chi Minh City, in aromatic rice and litchi
chains supplying Hanoï. The results show that chains with quality
labels are more integrated and generate higher incomes for farmers
than chains with little integration.
14•Moustier
30/10/09
1836
7:25
Page 1836
P. MOUSTIER
INTRODUCTION
De nombreux pays d’Asie du Sud-Est font l’objet d’une croissance
rapide. Les marchés intérieurs, notamment ceux des villes, peuvent
représenter des opportunités de revenus pour les agriculteurs. Ainsi, au
Vietnam, les villes sont en croissance régulière. Elles concentrent le
quart de la population et 40 % du PIB [Moustier et al. (2003)]. Les
revenus de la population augmentent, la croissance dépassant 7 % par
an sur la période 2000-2006 (même si elle ralentit avec la crise financière internationale). Les consommateurs accordent de plus en plus
d’importance à la qualité des produits alimentaires. Ils sont attachés à
la qualité gustative des aliments qu’ils associent à des terroirs de production spécialisés. Ils se préoccupent aussi de la qualité sanitaire, surtout des pesticides dans les légumes et des résidus d’hormones dans les
viandes [Figuié et al. (2004)]. Une segmentation du marché et des
chaînes de distribution est en train de se développer. Comme dans de
nombreux autres pays en développement [Reardon et al. (2003)], la
grande distribution augmente rapidement (15 % de croissance par an),
soutenue par les investissements publics et privés. Les entreprises tentent d’attirer une clientèle aisée en basant leur communication sur une
qualité supérieure des produits vendus. Cependant la majeure partie de
la population se ravitaille toujours dans les marchés de détail de proximité, et auprès des vendeurs de rue [Moustier et al. (2006)].
Malgré une forte croissance, le taux de pauvreté s’élevait toujours à
20 % en 2004. Il concerne surtout les agriculteurs des zones rurales qui
cultivent une moyenne de 0,7 ha (données de l’office national de statistiques pour 2006).
Dans ce contexte de changements de la demande et de la distribution des aliments, nous nous demandons comment les petits producteurs peuvent augmenter leurs revenus en ciblant les débouchés les
plus rémunérateurs.
Pour répondre à ces questions, l’analyse de filière semble pertinente. La notion de filière, comme celle plus récente de chaîne de
valeur, invite à un découpage du champ économique (ou agroalimentaire) en différents sous-systèmes productifs où l’ensemble des étapes
de fabrication et de distribution d’un produit est considéré, ce qui est
pertinent pour comprendre les difficultés d’ajustement entre l’offre et
la demande d’un produit [Hugon (1985)]. Ce découpage est également
nécessaire pour évaluer les impacts économiques directs et indirects du
développement d’un secteur agricole.
Nous nous interrogeons ici sur les déterminants de la performance
des filières, particulièrement en termes de formation de la qualité et
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1837
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1837
des revenus. Nous présenterons tout d’abord de façon synthétique
comment la gouvernance des filières est mise en relation avec leur performance. Puis, nous illustrerons ces mises en relation par le cas de la
gouvernance et la performance en termes de qualité et revenus des
filières d’approvisionnement des supermarchés au Vietnam.
I. – ÉTAT DE L’ART
Nous considérons ici deux approches récentes : les chaînes de
valeur et l’économie des coûts de transaction. Les similitudes et différences entre ces approches sont résumées dans le tableau 1 et développées ci-après. Ces approches considèrent le contrôle de l’information
et des décisions concernant les transactions comme un élément clé des
flux de produits et des résultats économiques. Cependant, il existe des
différences importantes dans l’évaluation de ce contrôle, comme dans
le type de performance considérée.
TABLEAU 1
Différences dans les variables d’organisation
et de performance des analyses de filières
Variables d’organisation
Étapes techniques
Information
Relations et dépendances
(capital-travail)
Droits de propriété
Incitations
Compétences
Variables de performance
Coûts et prix
Revenus
Équité
Innovation-qualité
Économie des coûts de transaction
Chaînes de valeur
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Pour l’économie des coûts de transaction, la performance de l’organisation de l’échange (ou de sa gouvernance) est évaluée par rapport à
la capacité de diminuer les coûts de transaction, c’est-à-dire l’ensemble des coûts d’information, de recherche des partenaires, de négociation, de suivi et d’exécution du bon déroulement de la transaction
[Williamson (1987)]. Les principales organisations prises en compte
par l’économie des coûts de transaction sont : le marché spot, les
14•Moustier
30/10/09
1838
7:25
Page 1838
P. MOUSTIER
contrats et l’intégration verticale (« faire faire » plutôt que « faire soimême »). Ces organisations se distinguent par le degré d’autonomie
des décisions entre les acteurs et la distribution des droits de propriété.
La rationalité du choix d’une de ses alternatives dépend à la fois des
coûts de production et des coûts de transaction qui leur sont associés.
Les mécanismes d’incitation, la centralisation des décisions et des
droits de propriété réduisent les coûts de transaction. En revanche, le
marché peut conduire à des économies d’échelle sur les coûts de production par rapport à des organisations plus bureaucratiques [Williamson (1991)]. Il n’est pas possible d’évaluer directement les coûts de
transaction (CT) mais trois attributs des transactions sont déterminants
sur leur nature et leur niveau : la spécificité des actifs (qui est l’attribut
qui pèse le plus dans les CT), la fréquence des transactions et l’incertitude. La spécificité des actifs est la difficulté à utiliser les ressources
engagées dans l’échange pour des transactions alternatives : ils sont
particulièrement élevés lorsque l’entreprise doit s’assurer la fourniture
d’un produit ou service d’une qualité spécifique.
Les analyses de la gouvernance dans les chaînes de valeur globales
(Global Value Chains : GVCs) se basent sur l’économie des coûts de
transaction. Mais par rapport à l’ECT, elles introduisent l’importance
de la répartition des compétences entre les acteurs, ainsi que les innovations en termes de qualité des produits. Alors que l’ECT définit la
gouvernance des transactions (ou les modes de coordination) selon la
distribution des droits de propriété et l’autonomie de décision dans les
étapes de fabrication et d’échange du bien, la gouvernance des chaînes
de valeur fait référence au système qui régit la division du travail et des
responsabilités le long des entreprises dans la chaîne de valeur. Un
accent particulier est donc mis sur le travail (sa mobilisation et sa qualité). Par ailleurs, la principale notion de performance considérée est la
compétitivité sur le marché international en termes de coût et d’innovation. C’est souvent par l’innovation en termes de qualité que les
entreprises des chaînes de valeur peuvent se « mettre à niveau »
(upgrade) par rapport aux filières internationales avec lesquelles elles
sont en concurrence. Cette mise à niveau permet une meilleure part
dans la valeur totale de la chaîne pour l’entreprise innovante.
Deux typologies de la gouvernance sont proposées par Gereffi et al.
(2003). La première dépend de l’acteur contrôlant les investissements
dans les filières, distinguant les chaînes pilotées par les producteurs
(« producer-driven chains ») et les chaînes pilotées par les acheteurs
(« buyer-driven chains »). L’allongement des chaînes de distribution
alimentaire avec une augmentation des services ajoutant de la valeur,
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1839
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1839
concentrée au niveau de grandes entreprises agroalimentaires mondialisées, localisées dans les centres de consommation à hauts revenus, est
souligné par Bencharif et Rastoin (2007) et par Soufflet (2008). Une
autre typologie de Gereffi et al. (2003) est fondée sur la possibilité de
changement d’acheteur et l’adaptation du produit à l’acheteur, définissant la gouvernance marchande, modulaire, relationnelle, captive et
hiérarchique (voir tableau 2). L’efficacité de ces formes de gouvernance dépend de la complexité des transactions, de la capacité à codifier les transactions et de la compétence du fournisseur (voir tableau 3).
L’économie des chaînes de valeur rejoint l’ECT dans la prédiction que
les chaînes plus intégrées sont mieux à même de traiter les problèmes
de transactions complexes, difficiles à codifier, ce qui est le cas lorsque
les produits sont d’une qualité difficile à mesurer. Mais si les fournisseurs peuvent développer les compétences nécessaires, les chaînes
pourront passer de formes hiérarchiques aux formes captives ou modulaires, ce qui permet une diminution des coûts de production et des
risques à l’investissement de l’acheteur [Gereffi et Korzeniewicz
(1994)].
TABLEAU 2
Typologie de la gouvernance des chaînes de valeur
Marchande
Modulaire
Relationnelle
Captive
Possible changement
d’acheteur
+
+
≈
–
Adaptation du produit
à l’acheteur
–
+
≈
+
Source : Gereffi, Humphrey and Sturgeon (2003)
TABLEAU 3
Efficacité de la gouvernance selon les transactions
Marchande
Modulaire
Relationnelle
Captive
Hiérarchique
Complexité
des transactions
Abilité à codifier
les transactions
Compétence
du fournisseur
–
+
+
+
+
+
+
–
+
–
+
+
+
–
–
Source : Gereffi, Humphrey and Sturgeon (2003)
14•Moustier
30/10/09
1840
7:25
Page 1840
P. MOUSTIER
En résumé, la littérature permet de dresser une typologie de la gouvernance des filières selon leur degré d’intégration. La caractérisation
de l’intégration s’appuie sur les variables suivantes (croissantes avec le
degré d’intégration) : le contrôle des droits de propriété sur les produits
(ECT) ; le contrôle des décisions sur les produits (CV et ECT) ; l’adaptation du produit à l’acheteur (CV) ou la spécificité des actifs (ECT),
qui sont des notions proches ; le partage de l’information entre fournisseurs et acheteurs, en particulier sur la demande de qualité des
consommateurs finaux et en termes de flux de marchandises.
La forme la moins intégrée est la forme marchande ; la forme la plus
intégrée est la forme hiérarchique. Cette terminologie est commune à
l’ECT et aux CV. Entre les deux, se définissent pour l’ECT des
contrats, pour les CV des formes de relations modulaires ou captives.
Les contrats se définissent par des engagements des partenaires sur différentes caractéristiques des transactions.
Pour l’analyse des chaînes de valeur comme pour l’économie des
coûts de transaction, plus les chaînes sont intégrées, plus elles sont
efficaces pour réduire les coûts liés aux incertitudes sur la qualité des
produits. L’intégration peut également répondre à une asymétrie de
compétences au bénéfice de l’acheteur (selon l’analyse des chaînes de
valeur). Par contre, l’intégration des filières augmente les coûts de production et les risques à l’investissement des acheteurs.
Nous testerons les hypothèses suivantes tirées de la revue de la littérature. Tout d’abord, plus les transactions mettent en jeu des attributs
de qualité complexes, plus la gouvernance des filières présente des
caractéristiques d’intégration. Deuxièmement, une typologie de
filières peut être établie selon leur gouvernance plus ou moins intégrée,
caractérisée par l’adaptation du produit à l’acheteur, la capacité à changer d’acheteur ou de fournisseur, et la nature des engagements contractuels entre les partenaires. Enfin, la compétitivité (hors prix) est supérieure et les revenus plus importants, pour les acteurs qui innovent et
investissent dans des domaines à fortes barrières à l’entrée, comme de
nouveaux produits, une qualité nouvelle, des labels, et des stratégies
d’intégration dans la chaîne. L’État a un rôle à jouer pour développer
les capacités financières et techniques des acteurs qui sont les perdants
dans les chaînes intégrées, en général situés en amont des chaînes globalisées [Kaplinsky (2000)]. Pour tester ces hypothèses sur les filières
alimentaires au Vietnam, nous caractériserons leur gouvernance ainsi
que leurs résultats relatifs à la qualité des produits, aux revenus des
acteurs et à la compétitivité en termes d’accès aux supermarchés.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1841
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1841
II. – APPLICATION À LA PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES
AU VIETNAM
II.1 Méthode
Des études de cas ont été menées sur quatre chaînes de distribution
alimentaires : celle des légumes à Hanoï et Ho Chi Minh Ville ; des litchis et du riz parfumé à destination de Hanoï. Les sites de production
se trouvent, pour les legumes, dans certains districts périurbains de
Hanoï et Ho Chi Minh Ville et dans les hauts plateaux tempérés (provinces de Son La et de Lam Dong), pour les litchis, dans la province
de Hai Duong et, pour le riz parfumé, dans la province de Nam Dinh.
Les denrées ont été sélectionnées parce qu’elles concernent de petits
agriculteurs (moins de 0,5 ha) dont certains fournissent les supermarchés. Dans les villes du Vietnam, le riz est le premier produit alimentaire consommé, suivi par les légumes puis les fruits [Ali et al. (2006) ;
Moustier et al. (2003)]. Les fruits et légumes sont des denrées périssables dont l’offre est saisonnière et instable. Leur sécurité sanitaire
préoccupe les consommateurs. Au contraire, le riz peut être stocké,
l’offre est plus facile à prévoir et les inquiétudes des consommateurs
par rapport à la sécurité du riz sont limitées. Cependant, la filière du
riz, comme celle des fruits et des légumes, est caractérisée par des
incertitudes sur la qualité en termes de goût et sur son origine (le riz du
district de Hai Hau étant le plus apprécié, mais rarement labellisé).
L’étude a été menée entre juin 2004 et juin 2005. Des données
secondaires ont été utilisées sur l’origine et la nature des intermédiaires dans les filières traditionnelles de riz, légumes et fruits, sur la
base d’un échantillon représentatif de commerçants [Moustier et al.
(2003 et 2004) ; Van Wijk et al. (2005)]. Des entretiens ont été conduits
avec un échantillon de responsables de rayons alimentaires de supermarchés à Hanoï et Ho Chi Minh Ville, ainsi qu’un échantillon de vendeurs traditionnels sur les marchés formels et de rue (cf. tableau 4). Les
entretiens ont permis d’identifier la chaîne de grossistes, de collecteurs
et d’agriculteurs fournissant ces points de vente. Ils ont aussi fourni
des données financières sur les prix d’achat et de revente, les coûts de
mise en marché, les quantités distribuées. Ensuite, des entretiens ont
été menés avec un échantillon de ces fournisseurs dans les régions de
production. Les grossistes et collecteurs ont été sélectionnés de façon
aléatoire à partir d’une liste fournie par les supermarchés et d’autres
vendeurs. Les agriculteurs membres d’organisations approvisionnant
les supermarchés ont été sélectionnés de la même façon à partir d’une
liste fournie par les chefs de village (ou les collecteurs dans le cas des
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1842
1842
P. MOUSTIER
légumes) tandis que les agriculteurs non membres d’organisations ont
été tirés d’une liste fournie par les mêmes informateurs pour les agriculteurs situés dans les districts voisins et présentant des caractérisTABLEAU 4
Échantillon pour les enquêtes auprès des producteurs
et commerçants
Acteurs
Responsables
d’achat
des supermarchés (1)
Grossistes (2)
Détaillants
de marché (3)
Vendeurs
de magasins (2)
Vendeurs de rue
Collecteurs (2)
Producteurs
Litchis, Nord
Produits
Légumes, Nord Légumes, Sud
13
3
13
4
8
4
19
6 grossistes
Hanoï
3 compagnies
alimentaires
20 grossistes
6
8
6
10
6
6
3
Province de
Bac Giang
80 dans le district de Luc
Ngan (choix
aléatoire à partir d’une liste
fournie par les
collecteurs)
Province de
Hai duong :
Le chef et cinq
autres responsables de l’association de litchi de Thanh
Ha ; 30 producteurs de Thanh
Ha hors de l’association, 30
dans l’association
11
12
5
Province de Son
La, district de
Moc Chau :
32 (choix aléatoire à partir
d’une liste fournie par les collecteurs)
Le chef de l’association des producteurs de Moc
Chau et cinq
autres responsables
Province de
Hanoï, district de
Soc Son :
4 producteurs de
groupes fournissant les supermarchés, 12 en
dehors des
groupes Province
de Hanoï, district
de Dong Anh : le
chef de l’association de producteurs fournissant
un supermarché
(Van Noi)
4
Province de Lam
Dong :
3 responsables
d’organisations
de producteurs,
120 producteurs,
dont le tiers sont
members d’organisations
Province de Ho
Chi Minh Ville,
district de Cu
Chi :
2 chefs d’organisations de producteurs
5 membres de
l’organisation, 5
hors de l’organisation
(1) soit 80 % du total des supermarchés vendant ces produits
(2) soit 30 % du total des vendeurs de ces produits
Riz parfumé
dit tam xoan,
Nord
10
10
13
District de Hai
Hau, province de
Nam Dinh :
44 producteurs de
2 communes
(choix aléatoire à
partir d’une liste
fournie par les
autorités locales,
dont 24 dans l’association et 20 en
dehors de l’association
Chef de l’association
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1843
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1843
tiques de taille et d’éducation similaires. Les entretiens ont permis de
collecter des données financières ainsi que des informations qualitatives concernant le choix des points de vente et la participation aux
organisations d’agriculteurs.
Pour tenir compte des fluctuations saisonnières, nous avons
demandé les valeurs minimales, maximales et moyennes, ce qui a permis de vérifier la fiabilité des valeurs moyennes déclarées. Le principe
d’entretiens en cascade nous a permis de vérifier la valeur des prix
d’achat par rapport aux prix de vente. Nous n’avons pas pu obtenir les
coûts des supermarchés, donc nous présenterons seulement leurs
marges, c’est-à-dire les différences entre les prix d’achat et prix de
vente. Malgré toutes les mesures prises, il faut traiter ces données avec
précaution, notamment du fait du caractère saisonnier des denrées
concernées, de la réticence des agriculteurs et commerçants à fournir
des données financières et de la petite taille de l’échantillon.
Néanmoins, nous les estimons suffisamment fiables pour une analyse
comparative.
II.2 Résultats
Gouvernance des filières
Nous avons mis en évidence trois formes de gouvernance pour les
filières étudiées : la gouvernance marchande pour les filières traditionnelles ; la gouvernance contractuelle pilotée par les supermarchés ; la
gouvernance contractuelle pilotée par les organisations de producteurs.
Nous détaillons ci-dessous l’organisation des filières pour ces trois
types de gouvernance.
Gouvernance marchande et relationnelle :
Les légumes comme les litchis sont distribués à plus de 95 % par
des détaillants sur les marchés ou des vendeurs de rue. Ces détaillants
s’approvisionnent sur des marchés de gros situés aux principales
portes de la ville. Selon la localisation des zones de production, ces
marchés de gros sont ravitaillés directement par les producteurs à
mobylette ou bien par des collecteurs (dont certains sont des producteurs), à mobylette ou en camionnette (cf. figure 1). Des grossistes peuvent intervenir comme intermédiaires entre les collecteurs et les
détaillants et effectuer un stockage de courte durée. Les collecteurs
achètent dans les champs auprès des producteurs, ou sur la route à des
points de collecte. Certains de ces collecteurs approvisionnement éga-
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1844
1844
P. MOUSTIER
lement les supermarchés qui les contactent en appoint de leurs fournisseurs privilégiés. Pour le riz, les détaillants, qui exercent sur les
marchés ou dans des magasins, s’approvisionnent chez des grossistes
individuels souvent impliqués dans la transformation.
Producteurs
Collecteurs
Grossistes
Détaillants
Consommat eurs
FIGURE 1
Organisation des chaînes traditionnelles de légumes,
litchi et riz parfumé vers Hanoï et Ho Chi Minh Ville
(gouvernance marchande)
Les filières traditionnelles sont caractérisées par un grand nombre
de producteurs, collecteurs, grossistes, détaillants (plus de mille à
chaque stade pour les fruits et légumes ; une cinquantaine de grossistes
dans le cas du riz parfumé), commercialisant de manière individuelle.
Les ajustements entre la production et la consommation s’opèrent principalement par le biais des prix. Des relations personnalisées peuvent
unir les partenaires, principalement basées sur la durée de fréquentation, mais sans engagement spécifique sur les transactions.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1845
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1845
Gouvernance modulaire contractuelle pilotée par les OP et les supermarchés :
En ce qui concerne les légumes, nous avons estimé que les supermarchés à Hanoï sont approvisionnés à 80 % par cinq coopératives
situées dans deux districts périurbains rassemblant moins de 450
exploitations pour une superficie de 50 ha (figure 2). À Ho Chi Minh
Ville, les supermarchés sont approvisionnés en légumes tempérés par
cinq à dix coopératives et associations. Les légumes-feuilles sont fournis par une association et une coopérative dans le district de Cu Chi.
Producteurs des coopératives ou associations
Collecteurs
Grossistes
Supermarchés
Cantines
Consommateurs
FIGURE 2
Organisation des chaînes de légumes et litchi
vers les supermarchés et magasins de Hanoï et Ho Chi Minh Ville
(gouvernance modulaire contractuelle)
Pour le litchi, seize supermarchés s’approvisionnent chez
l’Association des agriculteurs de Thanh Ha et chez un certain nombre
d’agriculteurs-collecteurs. Contrairement aux filières traditionnelles,
ces litchis sont emballés et étiquetés, avec indication du lieu de production. Au moment de l’enquête, l’Association de litchis de Thanh Ha
représentait 75 % des approvisionnements aux supermarchés de Hanoï
et moins de 5 % des achats des vendeurs traditionnels. En plus des
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1846
1846
P. MOUSTIER
ventes aux supermarchés, l’association vend ses litchis à 50 points de
vente au détail à Hanoï ainsi qu’aux clients directs par le biais de son
propre magasin à Hanoï et de la vente sur la route.
Depuis 2003, une association d’agriculteurs fournit les supermarchés en riz parfumé à travers deux compagnies alimentaires dédiées
(figure 3). Elle représente 16 % du volume du riz parfumé vendu en
supermarché, tandis que sa part sur le marché traditionnel ne représente que 1,5 %. Elle approvisionne 16 supermarchés (30 % des supermarchés à Hanoï) et 20 magasins dans 7 des 9 districts de Hanoï. Le
riz vendu par l’association est conditionné et étiqueté avec le nom et
l’adresse de l’association. Il s’agit à 100 % du riz parfumé de la variété
originaire de Hai Hau, alors que le riz vendu à l’extérieur de l’association est souvent mélangé par les grossistes et les entreprises alimentaires à d’autres types de riz.
Producteurs dans l'association de Hai Hau
Compagnies alimentaires sous
contrat avec l'association
Supermarchés
Détaillants
Consommat eurs
FIGURE 3
Organisation de la filière de riz parfumé pilotée par l’association
(gouvernance modulaire contractuelle)
En général, la coopérative engage un employé chargé de la commercialisation. Elle paie à l’agriculteur le prix de revente moins une
commission qui couvre les frais administratifs, de transport, de tri et de
conditionnement. Pour les associations de légumes en zone périur-
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1847
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1847
baine, chaque membre est responsable de son point de vente, mais l’organisation intervient pour la négociation des contrats et, également,
l’emballage et la labellisation des produits portant l’indication de l’association. Par ailleurs, les organisations permettent aux producteurs de
mener un certain nombre d’activités et d’investissements communs
dans le domaine de la qualité des produits : formations des producteurs
(organisées par des programmes publics ou des ONG) pour respecter
un cahier des charges assurant la qualité sanitaire et gustative des produits (en liaison avec les pratiques d’utilisation de produits chimiques,
le choix des variétés, la localisation du terrain).
Toutes les organisations étudiées ont un contrat avec des supermarchés (ou, dans le cas de Hai Hau, avec les compagnies alimentaires).
Pour 80 % des supermarchés, ces contrats sont écrits. Ils précisent la
fréquence de livraison, les conditions de paiement, les conditions de
qualité et la fréquence des négociations sur les prix. Les caractéristiques de qualité ont trait à l’emballage, à certains critères visuels et
également à la délivrance de certificats de qualité sanitaire par les
administrations en charge de ces documents. Les spécifications de prix
et quantités sont laissées ouvertes. Les contrats n’ont pas de statut légal
et il n’existe aucune administration juridique pour les faire respecter
mais aucun litige relatif au contrat n’a été signalé, que ce soit de la part
des groupes d’agriculteurs ou des directeurs de supermarché qui affirment que la menace d’une rupture de la relation est une incitation suffisante pour respecter le contrat.
Gouvernance relationnelle modulaire pilotée par les compagnies
et les supermarchés :
Cette situation est illustrée par l’approvisionnement en riz parfumé
des supermarchés et, également, pour l’approvisionnement en légumes
tempérés de certains d’entre eux. Pour le riz parfumé, les supermarchés s’approvisionnent auprès de compagnies alimentaires, au nombre
de sept, qui sont d’anciennes sociétés étatiques privatisées (figure 4).
Ces compagnies achètent les denrées d’un réseau de grossistes qui
s’approvisionnent à leur tour chez des collecteurs. Elles participent à
la collecte, à la transformation, au conditionnement et à la distribution
du riz. Chacune d’entre elles a entre 30 et 40 employés. Elles ont le
plus grand contrôle de décision dans la chaîne, en particulier en termes
de qualité du produit final. Dans cette chaîne, le riz parfumé est
mélangé à 70 % avec d’autres types de riz. Le pourcentage de mélange
est de 30 % dans la chaîne marchande, il est nul pour la chaîne
contractuelle.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1848
1848
P. MOUSTIER
Producteurs individuels
Collecteurs locaux
Grossistes locaux
Compagnies alimen taires en ville
Supermarchés
Détaillants
Consommateurs
Note : les flèches représentent les opérations d’achat et vente, avec transferts de droits
de propriété.
FIGURE 4
Organisation des filières de riz parfumé
pilotées par les supermarchés et les compagnies
Résultats économiques
Les producteurs obtiennent plus de profit par kilo de produit vendu
lorsqu’ils appartiennent à des organisations qui approvisionnent les
supermarchés et magasins que lorsqu’ils vendent à des collecteurs
pour les marchés traditionnels (voir les figures 5 et 6 pour les cas des
filières des litchis et du riz parfumé). Ceci est dû à un prix de vente
plus élevé, lié à la reconnaissance par l’acheteur d’une qualité spécifique liée à l’origine du produit et à son mode de production. Il s’agit
aussi d’une « prime » à la fidélisation du fournisseur. Par ailleurs, la
répartition des profits est équilibrée entre les agents des filières, ou à
l’avantage des producteurs, pour les chaînes marchandes comme
contractuelles. Dans le cas du riz parfumé, la chaîne modulaire, pilotée par les compagnies alimentaires, est celle qui génère le moins de
profit pour les producteurs.
Cependant, les supermarchés et magasins représentent toujours une
part minoritaire du marché (moins de 5 %) et les producteurs diversi-
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1849
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
10000
12000
Marge du
supermarché
8000
6000
1000
4000
2000
0
1849
574
2567
933
Chaîne marchande
de lichi de Thanh Ha
10000
2000
Marge du
supermarché
Profit du
collecteur
8000
1810
Profit du
collecteur
Coût du
collecteur
6000
2690
Coût du
collecteur
Profit du
producteur
4000
Coût de
production
2000
0
3545
Profit du
producteur
Coût de
production
933
Chaîne de lichi de Thanh
Ha pilotée par l'association
FIGURE 5
Répartition des coûts et profits entre les acteurs des filières
du litchi (en VND/ kilo de produit final)
fient les types de débouchés (supermarchés, magasins, cantine, marché
traditionnel) ; l’utilité de cette « hybridation » a été montrée par Brousseau et Codron (1998). Par ailleurs, la vente aux supermarchés représente un certains nombre de contraintes : difficultés d’approche ; délais
de paiement de deux semaines ; nécessité de disposer d’un compte
bancaire et de pouvoir émettre des factures ; invendus à la charge du
producteur pour certaines enseignes.
III. – DISCUSSION
L’étude a permis de mettre en évidence trois types de gouvernance
des filières avec des niveaux d’intégration variable (tableau 5) : la
chaîne à gouvernance marchande, où les activités de production et de
commerce sont indépendantes ; la chaîne à gouvernance modulaire,
pilotée par les compagnies alimentaires, avec des relations de fidélisation entre les compagnies et les supermarchés, mais pas de contrats ; et
la chaîne à gouvernance contractuelle, pilotée par les supermarchés et
les organisations de producteurs. Les contrats entre les supermarchés
et les organisations de producteurs (ou les organisations de producteurs
et les compagnies alimentaires) représentent une forme d’implication
des acheteurs dans le processus de production, surtout par la spécification de critères de qualité. Cependant, cette intégration est limitée.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1850
1850
P. MOUSTIER
16000
Profit du
détaillant
16000
Marge du SM
14000
Profit de la
compagnie
Coût de la
compagnie
14000
Coût du
détaillant
12000
Profit du
grossiste urbain
12000
10000
Coût du
grossiste urbain
10000
8000
6000
700
404
1225
Profit du
grossiste local
8000
Coût du
grossiste local
6000
560
773
Profit du
collecteur
4000
2196
Coût du
collecteur
2000
4000
2000
1983
Chaîne marchande
1766
Coût du grossiste
local
1263
Profit du
collecteur
Coût du
collecteur
Profit du
producteur
0
Profit du
grossiste local
0
Coût de
production
3464
950
Profit du
producteur
Coût de
production
886
Chaîne modulaire pour les SM
16000
2700
14000
1030
270
448
1111
Marge du SM
12000
10000
2125
Coût de la
compagnie
Coût de
l'association
8000
6000
5442
0
Profit du
transformateur
Coût du
transformateu r
4000
2000
Profit de la
compagnie
3231
Profit du
producteur
Coût de
production
Chaîne de riz parfumé pour les SM
pilotée par l'association
FIGURE 6
Répartition des coûts et profits entre les acteurs
des filières du riz parfumé
(en VND/ kilo de produit final) – SM = Supermarché
Ainsi, les contrats laissent ouvertes les conditions de prix, de quantités
ou encore de sources des intrants. Par ailleurs, les acheteurs ne s’impliquent pas dans le contrôle de la qualité sanitaire, se fiant plutôt aux
certificats délivrés par l’administration.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1851
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1851
TABLEAU 5
Gouvernance des filières alimentaires sélectionnées
Type de gouvernance
Caractéristiques Détails sur les modes de coorde qualité
dination entre les acteurs
transactions atomisées, regroupées par les marchés de gros
(légumes, litchi) ou des grossistes (riz parfumé)
transactions régies par des
contrats flexibles (entre
Pilotage par les organisamembres des organisations de
tions de producteurs et les
supermarchés, gouver- qualité labellisée producteurs pour respecter un
cahier des charges; entre les
nance modulaire contracorganisations de producteurs
tuelle
et les acheteurs)
Pilotage par les supermartransactions atomisées regrouchés et les compagnies
qualité labellisée
pées par des grossistes dédiés
alimentaires, gouvernance
relationnelle modulaire
Gouvernance marchande
(et/ou relationnelle)
qualité non
différenciée
Les résultats montrent que l’intégration des filières correspond à
une plus forte valeur ajoutée pour les acteurs des filières et à la valorisation d’une qualité spécifique, en comparaison des filières marchandes où il n’existe pas d’indication ni de rémunération de la qualité. Nous pouvons donner plusieurs explications au fait que
l’intégration soit limitée à des contrats incomplets. D’une part, les
acheteurs font confiance aux compétences des fournisseurs en termes
de qualité des produits, à la fois gustative et sanitaire. D’autre part, les
prix sont très fluctuants, du fait des changements rapides des conditions climatiques comme macro-économiques. Les contrats incomplets
permettent de combiner les avantages de flexibilité et de coût apportés
par la coordination marchande, et les avantages de sécurité apportés
par les contrats [Brousseau et Fares (2000)].
Un apport original de notre étude est relatif au rôle des organisations de producteurs dans la gouvernance de filières innovantes en
termes de qualité. Les organisations de producteurs et les institutions
publiques qui les appuient sont les initiatrices des démarches de qualité et sont motrices dans la définition des critères de qualité, même si
les supermarchés exercent une pression sur ces mêmes critères. Les
filières sont à la fois pilotées par les organisations de producteurs et par
les supermarchés, alors que les études de chaînes de valeur présentent
un « pilote » unique, généralement le détaillant, une limite soulignée
par Raikes et al. (2000).
14•Moustier
30/10/09
1852
7:25
Page 1852
P. MOUSTIER
Les analyses sur les résultats financiers se heurtent au problème de
variabilité temporelle des prix et des quantités. Deux ans après notre
recherche sur la filière du litchi, l’association était confrontée à des
pertes importantes du fait de surproduction de litchis dans le pays. Par
ailleurs, des comportements classiques de « passager clandestin »
commencent à être observés dans les associations de litchis comme de
riz parfumé, tous les membres ne s’impliquant pas avec les mêmes
efforts dans le respect des cahiers des charges de qualité, ce qui apporte
une décote dans le prix du produit vendu. Enfin, disposer de l’information la plus fiable possible sur les questions délicates de résultats
financiers, a été réalisé aux dépens de la taille de l’échantillon, dans un
contexte de budget contraint. Cette taille limitée empêche les analyses
statistiques et économétriques.
Le cadre de la GVC met l’accent sur les résultats de « mise à
niveau » de filières de différents rayonnements géographiques, donc de
compétitivité des filières dans le marché international. Mais nous ne
sommes pas dans une situation de concurrence internationale dans le
cas étudié. Nous pouvons cependant conclure à une plus grande compétitivité des filières à gouvernance modulaire avec OP par rapport aux
filières à gouvernance marchande pour l’accès aux supermarchés.
CONCLUSION
Notre étude a montré la pertinence de l’analyse des chaînes de
valeur afin d’identifier des sources de gains de compétitivité et de revenus pour les petits producteurs agricoles du Vietnam. Elle confirme
partiellement nos hypothèses de départ. Ainsi, nous trouvons plus d’intégration dans les filières où des caractéristiques complexes de qualité
font l’objet des transactions (qualité sanitaire et gustative). Par ailleurs,
nous trouvons une diversité de formes de gouvernance des filières, que
nous avons pu décrire en utilisant la typologie de Gereffi et al. (2003),
complétée par la caractérisation des engagements contractuels. Enfin,
nous avons trouvé que les producteurs ne sont pas nécessairement les
perdants dans les filières intégrées caractérisées par des labels de qualité. Lorsqu’ils participent à des organisations de producteurs, ils peuvent accéder aux supermarchés et obtenir des profits plus importants
que dans les formes marchandes, et même supérieurs aux acteurs de
l’aval. Ces gains sont liés aux innovations des responsables des organisations de producteurs en termes de qualité, de transformation et de
labellisation des produits, couplés à des relations régulières et à des
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1853
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1853
engagements entre les acteurs de la production et du commerce. Les
organisations gouvernementales et non gouvernementales ont joué un
rôle important de formation et d’appui financier pour faciliter ces innovations. Le pilotage des filières par les organisations de producteurs est
peu pris en compte dans la littérature sur les chaînes de valeur ou l’économie des coûts de transaction et sa mise en évidence constitue un
apport original de notre étude.
Le fonctionnement actuel des filières est cependant fragile et une
régulation par l’État est justifiée. Pour les filières d’approvisionnement
des supermarchés, des entretiens menés avec les responsables de la
grande distribution montrent que ceux-ci envisagent d’imposer des
normes de qualité plus contraignantes, afin d’attirer les consommateurs dans un contexte de forte concurrence entre les enseignes. Les
distributeurs n’envisagent cependant pas de s’impliquer financièrement dans le processus et le contrôle de la production. Ceci peut
conduire à une exclusion des producteurs qui ne peuvent financer le
coût de la certification (par exemple, 1 000 dollars par hectare pour la
certification Vietgap, basée sur les principes Haccp). Par ailleurs, l’approvisionnement des supermarchés représente toujours un marché de
niche, même s’il est en forte augmentation. Nous recommandons que
l’État favorise l’accès des petits producteurs à d’autres formes de distribution où leurs efforts de qualité peuvent être valorisés, comme la
vente directe sur des marchés paysans ou dans des magasins. L’État
doit également être le garant de la qualité sanitaire pour l’ensemble des
filières de distribution, avec des contrôles rigoureux et réguliers assortis de sanctions effectives en cas de détection de produits toxiques, ce
qui n’est pas réalisé à l’heure actuelle. L’État a aussi un rôle à jouer
pour suivre l’évolution des conditions proposées par la grande distribution aux organisations de producteurs, vérifier qu’elles sont équitables et favoriser des codes de bonne conduite.
Enfin, différentes recherches complémentaires seraient utiles. Afin
de mieux comprendre les forces et fragilités des organisations de producteurs, il serait intéressant de mobiliser les théories de l’action collective. Il serait également important de disposer de plus d’applications
empiriques comparant l’effet de différents modes de gouvernance
d’organisations de producteurs et de filières sur les résultats financiers
et les capacités d’innovation dans les filières. Des filières avec organisations de producteurs et contrats entre OP et distributeurs pourraient
être comparées avec des filières intégrées sans organisation de producteurs en termes de construction de critères de qualité créateurs de
valeur ajoutée et de distribution des revenus entre les acteurs des
filières.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1854
1854
P. MOUSTIER
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ALI M., NGUYEN T.Q., NGO V.N. [2006], An analysis of food demand patterns
in Hanoï: predicting the structural and qualitative changes, AVRDC, Taiwan (Technical Bulletin ; 35).
BARDHAN P. [1989], The economic theory of agrarian institutions, Clarendon
Paperbacks, Oxford.
BENCHARIF A., RASTOIN J.L. [2007], Concepts et méthodes de l’analyse des
filières agro-alimentaires: application par la chaîne globale de valeur au
cas des blés en Algérie, ENSAM, IAMM, Montpellier (Working paper
Moisa ; 7).
BROUSSEAU E., FARES M. [2000], « The Incomplete Contract Theory and the
New-Institutional Economics Approaches to Contracts: Substitutes or
Complements? », in Institutions, Contracts, Organizations, Perspectives
from New-Institutional Economics / C. Ménard (ed.), E. Elgar.
BROUSSEAU E., CODRON J.M. [1998], « La complémentarité en formes de gouvernance : le cas de l’approvisionnement des grandes surfaces en fruits de
contre saison », Économie Rurale, n° 245-246 « La grande distribution alimentaire », p. 75-83.
FIGUIÉ M., BRICAS N., NGUYEN DUC TRUYEN, VU PHAM NGUYEN THANH
[2004], « Hanoï consumers’ point of view regarding food safety risks: An
approach in terms of social representation », Vietnam Social Sciences, vol.
3, n° 101, p. 63-72.
GEREFFI G., KORZENIEWICZ M. (eds) [1994], Commodity chains and global
capitalism, Greenwood Press, Wesport.
GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2003], « The governance of global
value chains », Review of International Political Economy, vol. 12, n° 1, p.
78-104.
HUGON P. [1985], « Le miroir sans tain. Dépendance alimentaire et urbanisation en Afrique: un essai d’analyse en termes de filières », in Nourrir les
villes / Altersial, CERED & MSA (eds), L’Harmattan, p. 9-46.
KAPLINSKY R., MORRIS M. [2001], A Handbook for Value Chain Research,
Working Paper Prepared for the IDRC, Institute for Development Studies,
Brighton (UK).
KAPLINSKY R. [2000], « Globalization and unequalisation. What can be learned from value chain analysis? », Journal of Development Studies, vol. 37,
n° 2, p. 117-146.
MOUSTIER M., DAO The Anh, HOANG Bang An, VU Trong Binh, FIGUIÉ M.,
NGUYEN Thi Tan Loc, PHAN Thi Giac Tam (éds) [2006], Supermarkets and
the Poor in Vietnam, CIRAD/ADB, Cartographic Publishing House, Hanoï.
MOUSTIER P., DAO The Anh, FIGUIÉ M. [2003], Marché alimentaire et développement agricole au Vietnam, MALICA, The Gioi Publishers, Hanoï.
MOUSTIER P., VAGNERON I., BUI THI THAI [2004], « Organisation et efficience
des marchés de légumes approvisionnant Hanoï (Vietnam) », Cahiers Agricultures, vol. 3, p. 142-148.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1855
PERFORMANCE DES FILIÈRES ALIMENTAIRES AU VIETNAM
1855
RAIKES P., FRIIS JENSEN M., PONTE S. [2000], « Global commodity chain analysis and the French filière approach: comparison and critique », CDR working paper, Copenhagen.
REARDON T., TIMMER C.P., BARRETT C.B., BERDEGUE J. [2003], « The rise of
supermarkets in Africa, Asia, and Latin America », American Journal of
Agricultural Economics, vol. 85, n° 5, p. 1140-1146.
SOUFFLET J.F. [2008], Concepts et méthodes en économie des filières. Application au pays du Sud : Synthèse et perspectives, CIRAD, Montpellier.
VAN WIJK M.S., TRAHUU C., TRU N.A., GIA B.T., HOI P.V. [2005], « The traditional vegetable retail marketing system of Hanoï and the possible
impacts of supermarkets », Acta Horticulturae, vol. 699, p. 465-477.
WILLIAMSON O.E. [1987], The economic institutions of capitalism, The Free
Press, Collier Macmillan Publishers.
WILLIAMSON O.E. [1991], « Comparative Economic Organization: the Analysis of Discrete Structural. Alternatives », Administrative Science Quarterly,
vol. 36, p. 269-296.
14•Moustier
30/10/09
7:25
Page 1856
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1857
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1857-1878
Quelles constructions de filières
dans l’agriculture russe ?
L’exemple d’Orel
Pascal Grouiez,
Université de Reims – Champagne-Ardenne, Laboratoire OMI
En prenant exemple sur la région d’Orel, nous interrogeons les
modalités de reproduction du secteur agroalimentaire russe d’après
1992. Notre description en termes de filière permet de questionner la
place de l’agriculture dans la dynamique sectorielle. L’intérêt de la
région pour le contrôle de cette dynamique atteste de son attention
pour la sécurité alimentaire. Elle favorise l’intégration de certaines
exploitations dans un complexe agro-industriel. Ces dispositifs organisent la filière afin notamment de reproduire le territoire en mobilisant des patrimoines collectifs.
This contribution aims at underlying the way the agro-food industry
survived after 1992. We chose a “path-oriented” bias in order to question the role of agriculture in this sector’s dynamics. Indeed, Orel’s
region appears very much interested in these dynamics, and thus committed to food security. Consequently, it promotes the integration of
some farms into the agro-industry. These measures organise the agrofood industry and put into practice various collective legacies in order
for the territories to survive.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1858
1858
P. GROUIEZ
INTRODUCTION
Dans l’histoire de la Russie, 1992 marquera la mise en place de la
« thérapie de choc » 1. Basée sur le consensus de Washington 2 et assumée par le pouvoir central russe de l’époque, elle visait la construction
du marché, dans une logique normative. Dans le secteur agroalimentaire, elle devait se traduire par la privatisation des exploitations agricoles et des entreprises de transformation agroalimentaire. Un rapport
de l’OCDE 3 [Kwiecinski (1998)] la justifiait par la nécessité de placer
l’agriculture russe sur ses avantages comparatifs dans un contexte de
globalisation du « marché » agroalimentaire. Les auteurs de ce rapport
hésitaient entre le soutien à un système agro-industriel intégré sous la
forme de grandes exploitations capitalistes et le recours à l’exploitation familiale insérée dans le marché, car ils n’arrivaient pas à discerner quel type de firme était capable d’auto-renforcer les règles de
marché.
Ce corps de doctrine laissait de côté un aspect essentiel de toute
économie décentralisée [Sapir (1992)] : quelles logiques, dans le cadre
d’une division du travail et de décomposition en unités autonomes,
viennent assurer la recomposition des coordinations des systèmes productifs et sociaux et avec quels objectifs ? L’idée que l’observation des
seuls effets de déploiement du marché suffirait à expliquer les dynamiques sectorielles observables est donc tout à fait discutable.
Une autre stratégie de recherche semble s’imposer : G. Allaire
(1995) envisage le secteur de production comme un espace de concurrence institutionnellement construit, gérant les tensions sociales liées à
l’accumulation du capital. Poursuivant ce raisonnement, M. Nieddu
(1998) a montré dans le cas français que la croissance très rapide de
l’agriculture des Trente Glorieuses ne pouvait être expliquée indépendamment de trois éléments : le paradoxe de dispositifs institutionnels
productivistes portés par les nécessités de la reproduction de l’exploitation familiale « productive » ; des modalités d’écoulement de la production qui affaiblissaient la concurrence de marché ; l’élimination des
acteurs « non productivistes » grâce à des normes administratives et
non des mécanismes « économiques ». L’agriculture moyenne a ainsi
imposé son modèle de développement en définissant une logique de
filière et un système agro-industriel qui lui était favorable.
1
2
3
Voir Magnin (1999).
Idem.
Paru avant la crise financière russe de 1998.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1859
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1859
La méthode de l’analyse de filière offre précisément la possibilité de
décrire l’espace que des acteurs cherchent à reproduire et la façon dont
est réalisée cette reproduction. Il s’agit d’identifier les dispositifs
déployés sans avoir d’a priori sur ce que l’on cherche à réguler et la
façon dont on le régule. Le schéma linéaire de cette méthode – organisation séquentielle d’une production, de la matière première au produit
final – donne à voir la façon dont des acteurs jouent sur les propriétés
de modularité des systèmes économiques ou s’ajustent à des
contraintes systémiques [Nieddu (1998)].
Cette démarche inductive pourrait être documentée par une analyse
des statistiques des produits en volume et en valeur. Si celle-ci se prête
à la description des filières agroalimentaires françaises, elle se heurte,
en Russie, au peu de fiabilité et à la nature des informations disponibles. Souvent incomplètes, ne proposant que des données en quantité
physique, les statistiques russes ne sont exploitables qu’en tant que
forme de représentation politique de l’organisation du secteur. Pour
cette raison, nous avons choisi de privilégier des entretiens qualitatifs
et en avons réalisé une trentaine entre 2004 et 2009 avec des exploitants dans la région d’Orel 4. Cette méthode permet de décrire la prise
en charge des tensions sociales et les logiques stratégiques. Une analyse régionale permet de comprendre les dispositifs régulateurs réels et
de relativiser les discours normatifs tenus au niveau central sur l’ouverture au marché.
Dès 1994, les autorités régionales d’Orel ont promu une politique
d’intégration des acteurs pour différents produits. La justification
avancée est la problématique de sécurité alimentaire et donc une question de reproduction sociale. Nous l’aborderons sous l’angle analytique de l’économie des patrimoines collectifs 5 [Barrère et al. (2005)].
Cela nous permettra de montrer qu’en raison du caractère multifonctionnel de l’agriculture, l’absence d’un désencastrement de la communauté dans le processus de production garantit l’existence de compétences partagées pour assurer la sécurité alimentaire. Les groupes
sociaux façonnent selon cette logique de patrimoines collectifs les
configurations productives 6 déterminantes de la dynamique sectorielle.
4 Les questions posées visaient à déterminer les choix des acteurs en matière de collaboration avec autrui et à définir la façon dont ils s’inséraient sur les marchés.
5 Les patrimoines collectifs étant ici compris comme des actifs permettant de définir
l’identité d’une communauté et de lui donner les moyens d’agir sur son environnement.
6 Non aborderons cette notion à partir de la conception de M. Nieddu (1998) qui définit la configuration productive comme « un outil d’investigation de l’hétérogénéité
interne en termes de solutions d’organisation économique, qui caractérise la sphère
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1860
1860
P. GROUIEZ
Dans un premier temps, nous identifierons les obstacles au régime
concurrentiel 7, ce qui nous permettra d’identifier les éléments de
cohérence qui relient les acteurs entre eux. Nous montrerons ensuite
que le secteur agricole russe est caractérisé par une hétérogénéité des
acteurs qui conduit à deux formes de configuration productive. La première met l’accent sur la sécurité alimentaire, justifiant la préservation
de patrimoines collectifs définissant des « professionnels » de l’agriculture. La reconnaissance de ces professionnels structure les filières
et permet de garantir la reproduction du territoire. La seconde vise à
assurer la reproduction d’une agriculture familiale indépendante de
son aval, dont l’insertion sur le marché ne passe pas par les canaux
régionaux.
I. – LES SPÉCIFICITÉS DE L’AGRICULTURE RUSSE SUR LONGUE PÉRIODE :
DÉCOMPOSITION DU SYSTÈME PRODUCTIF
ET ÉLÉMENTS DE COHÉRENCE SECTORIELLE
La politique agricole instaurée à la chute du système soviétique
devait offrir, selon le modèle normatif en vigueur, les conditions structurelles d’une mise en concurrence des acteurs. La diminution drastique du soutien à l’agriculture et le démantèlement des kolkhozes et
sovkhozes auraient dû, en peu de temps, produire les logiques de sélection de la production par le marché considérées comme efficaces. Or,
cette politique a surtout entraîné la décomposition du système productif qu’il a fallu gérer. Une analyse des facteurs de cohérence interne à
la production agricole russe permet de donner un sens aux stratégies
déployées par les acteurs pour faire face à la crise systémique.
agroalimentaire : cette hétérogénéité relève de choix de valorisation des capitaux différents, qu’il convient d’expliciter » (p. 165). Or, L’hypothèse la plus vraisemblable, celle
de l’hétérogénéité des configurations productives, conduit à considérer la régulation
comme régulation multiple du fait de la diversité des agents économiques réalisant leur
articulation à l’économie globale et des solutions qu’ils élaborent. La notion de configuration productive repose sur la même combinaison de trois logiques économiques
(production, échange, consommation) que celle du régime économique de fonctionnement, mais elle se différencie de celui-ci en ce qu’elle n’assure pas nécessairement la
régulation des trois logiques, mais peut constituer l’espace de la régulation d’une des
trois logiques.
7 Ils ne conditionnent pas l’absence de toute forme de concurrence. Il existe, et nous
le montrerons, une concurrence sur l’espace à reproduire qui conduit les acteurs à développer des stratégies, sinon contradictoires, du moins conflictuelles.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1861
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1861
I.1. La décomposition du système productif russe
L’agriculture soviétique se caractérisait par deux formes de production agricole. Les kolkhozes et sovkhozes assuraient l’essentiel de la
production suivant le Plan tandis que le lopin était une activité accordée par le régime aux kolkhoziens et sovkhoziens en vue d’assurer leur
autoconsommation. Une partie de cette production pouvait être vendue
sur le marché, non sans contrôle sur les quantités et les prix [Kerblay
(1968)].
La fin du régime soviétique a marqué l’abandon des aides accordées
aux kolkhozes et sovkhozes. Cette politique, basée sur l’idée d’une
sélection par le marché des exploitations les plus viables, a surtout
provoqué l’insolvabilité de nombre de ces exploitations 8. Entre 1990
et 1995, l’estimation du soutien aux producteurs 9 est passée de 80 %
des recettes de l’agriculture à – 3 % [OCDE (2000)], ce qui signifie
que les agriculteurs étaient soumis à une taxe implicite. Pour faire face
à leurs obligations, de nombreuses entreprises ont dû profondément
modifier leur activité. Ainsi, le cheptel russe collectif (concentré) a
presque disparu durant les premières années de la réforme 10.
Parallèlement, de nouvelles exploitations ont été promues : les
fermes. Largement subventionnées entre 1992 et 1995, ces exploitations ont ensuite été livrées à elles-mêmes. Après 1995, leur nombre a
diminué mais leur surface a augmenté. Paradoxalement, leur dotation
en capital est restée faible. Ainsi, le soutien initial entre 1992 et 1995
leur a surtout permis d’accéder à la terre [Grouiez (2008)]. En
revanche, leur capital se limite à quelques tracteurs, souvent défectueux, hérités des exploitations collectives. A partir d’une étude menée
dans la région de Tambov, M. et Mme Sazonov montrent que l’accès
aux machines agricoles est de 30 à 40 % inférieur aux normes pour ce
type d’exploitation et qu’elles ont entre 8 et 10 ans. De plus, l’étude
confirme que l’essentiel des investissements ont été réalisés entre 1992
et 1995 lorsque des crédits ont été accordés à ces fermiers.
8 V. Uzun (2008) estime à partir d’une étude statistique basée sur le niveau du profit
et de l’endettement que 52 % des « organisations agricoles » (voir encadré 1 pour une
définition du terme) sont en situation d’insolvabilité, dont 27 % en procédure de faillite.
9 Cet indicateur de l’OCDE reste l’objet de controverses. Il ne mesure que les principaux produits agricoles et ne prend pas en compte les soutiens indirects, ce qui rend
les comparaisons entre pays problématiques. C’est pourquoi nous ne l’utiliserons que
comme un indicateur de l’évolution des aides en Russie.
10 L’OCDE (2000) estimait le niveau de l’élevage en Russie en 1999 à 40 % du
niveau de 1990.
15•Grouiez
29/10/09
1862
15:26
Page 1862
P. GROUIEZ
Les lopins ont accentué leur pression parasite sur l’exploitation collective, au point que certains auteurs considèrent que les premières
années de la réforme ont marqué l’institutionnalisation du vol dans ces
structures [Yefimov (2003)].
Cette rapide description des acteurs montre que les exploitations
collectives restructurées sont en grande difficulté économique 11. Cette
situation met en doute leur capacité d’existence sur la base de critères
marchands. D’ailleurs, il est assez difficile, d’un point de vue normatif, d’expliquer la présence de 52 % d’exploitations insolvables tant
d’années après la réforme.
La lecture statistique que nous allons mener permettra de repérer
plus en détail les logiques de production des différentes exploitations.
Si l’existence d’entreprises économiquement peu viables contredit la
logique concurrentielle a priori à l’œuvre, nous allons tenter de déterminer dans les choix de production les signes d’une validation des
règles de marché (basées sur la notion d’avantages comparatifs) ou
d’une irrégularité dans ces dernières, qui tendrait à prouver que
l’orientation de la production est d’un autre ordre.
I.2. Une logique de marché repérable dans les statistiques russes ?
Les statistiques du Goskomstat montrent une forte spécialisation
des acteurs dans leur production agricole.
Encadré 1 – Les catégories d’exploitations agricoles
dans les statistiques du Goskomstat
Le secteur agricole est statistiquement représenté par trois formes d’exploitations distinctes. La première, les organisations agricoles, regroupe
l’ensemble des exploitations issues du démantèlement des kolkhozes et sovkhozes. Il ne s’agit pas d’une catégorie juridique à proprement parler
puisque ces exploitations ont des statuts juridiques divers. Il ne s’agit que
partiellement d’une réalité économique. Elles disposent d’une taille d’exploitation assez élevée (environ 24 000 hectares) mais leur relation de
dépendance vis-à-vis de l’aval est très différente d’une exploitation à
l’autre. Il s’agit donc d’une catégorie « fourre-tout » symbole d’une réalité
sociale qui résiste au changement : celle du kolkhoze. La catégorie des fermiers est plus récente. Elle correspond à la forme d’exploitation juridique
issue du démantèlement de certains kolkhozes et sovkhozes. Cette catégorie est donc juridiquement bien définie mais de nombreux exploitants
11 Pour une description détaillée de la situation économique des exploitations agricoles du point de vue de la dotation en capital, en travail et en terre, nous renvoyons à la
lecture de Zvi Lerman (éd.) (2008).
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1863
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1863
mènent leur activité sans enregistrement officiel. La taille de ces fermes
varie de 50 à 2500 hectares. La dernière catégorie est celle des lopins qui
regroupe un ensemble de formes juridiques d’exploitations (a priori non
professionnelles) qui ont pour point commun d’être destinées à une production d’autoconsommation. La taille de l’exploitation est autour d’un
hectare.
La définition statistique des formes d’exploitation est problématique. Les
critères retenus varient d’une exploitation à l’autre et la possibilité de mener
une activité agricole sans enregistrement officiel rend les frontières entre
catégories d’exploitations opaques. Un fermier non enregistré entre-t-il dans
la catégorie du lopin ? Reste-t-il au contraire ignoré des statistiques ? L’impossibilité de connaître avec certitude les méthodes utilisées par les statisticiens russes invite à beaucoup de prudence dans la manipulation des données
chiffrées.
La catégorie des « organisations agricoles » et celle des « fermiers »
semblent orientées dans la production de céréales et de betteraves. Les
« lopins » concentrent la majorité de la production maraîchère. D’un
point de vue purement statistique, les exploitations agricoles apparaissent nettement spécialisées en fonction de leur catégorie statistique.
100%
1,8
0,9
6,8
90%
19,8
80%
0,5
70%
60%
50%
92,2
fermes
lopins de terre
organisations
agricoles
97,1
93,2
40%
79,7
30%
20%
10%
0%
6
légumes
2
pommes de terre betteraves à sucre
céréales
GRAPHIQUE 1
Structure de la production végétale (en quantité) pour différentes
catégories de végétaux selon la nature de l’exploitation
[Rosstat (2006), p. 33]
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1864
1864
P. GROUIEZ
Cette spécialisation est également observée au niveau de l’élevage,
comme le montre le graphique 2.
100%
1,8
2,2
3
6
0,5
90%
23,3
33,1
80%
46,8
70%
70,9
60%
40%
fermes
86,2
50%
lop ins de terre
organisations agricoles
74,9
64,7
30%
50,2
20%
28,6
10%
7,8
0%
dont vaches
gros bé tail corné
chèvres et moutons
po rcs
volaille
GRAPHIQUE 2
Structure du bétail et de la volaille (par tête) selon les catégories
d’exploitation au 1er septembre 2006 [Rosstat (2006), p. 35]
Les « organisations agricoles » élèvent du gros bétail et des porcs,
tandis que les « lopins » s’occupent de volaille, de chèvres et de moutons.
Cette spécialisation est interprétée chez Ciman, Pokrovicak et
Drabik (2007) par un choix des acteurs de se placer sur leurs avantages
comparatifs. Tout se passe comme si les caractéristiques de l’exploitation déterminaient la nature de sa production. Les auteurs de cette
étude considèrent que les grandes exploitations bénéficient d’un avantage sur les productions nécessitant une forte intensité en capital, une
faible intensité en travail et une spécialisation de la main-d’oeuvre. Les
petites exploitations bénéficieraient au contraire d’un avantage sur les
productions nécessitant beaucoup de main-d’œuvre. À partir de ces
hypothèses, ils expliquent la spécialisation de la grande exploitation
dans la production de céréales puisque cette dernière nécessite peu de
main d’œuvre mais une forte intensité du capital. En revanche, le rapport capital/travail dans la petite exploitation l’orienterait naturellement vers la production maraîchère gourmande en main d’œuvre agricole.
Au vu des statistiques de la Région d’Orel et à partir de la grille de
lecture de Ciman et al., seuls les lopins seraient caractérisés par une
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1865
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1865
forte intensité en facteur travail. La catégorie du fermier présente donc
l’anomalie d’être peu dotée en capital mais orientée dans des productions à forte intensité capitalistique.
À la lecture de ces statistiques, les agriculteurs apparaissent indépendants les uns des autres et guidés par un simple rapport coût/bénéfice qui caractérise le modèle de concurrence 12. Cependant, des irrégularités dans le modèle apparaissent concernant le comportement des
fermiers.
I.3. Statistiques officielles versus statistiques alternatives ?
Les statistiques du Goskomstat fournissent des données essentiellement quantitatives. Tout est fait comme si les prix étaient identiques
quelle que soit la filière d’écoulement de la marchandise (dans l’hypothèse où chacune des trois formes d’exploitations est insérée dans un
marché). Si la forte spécialisation des exploitations laisse supposer une
faible variété des réseaux d’écoulement, cette absence de donnée
« prix » montre que le Goskomstat ne raisonne pas en termes de marché mais en termes de quantité produite sur le territoire.
Pour poursuivre l’analyse du mode de représentation des statistiques russes, il faut noter qu’il existe une statistique privée dans le
domaine agricole, le rating « agro-300 ». Cotation des 300 exploitations les plus performantes de Russie initiée par l’Institut russe des
problèmes agraires et de l’informatique, le rating propose une série de
tableaux mesurant la performance d’entreprises agricoles pour différents produits alimentaires. Il classe les entreprises selon le niveau de
la production (en valeur) et les profits réalisés pour différents produits.
Au vu des critères de classification, le rating « Agro-300 » semble plus
orienté vers une logique marchande que son homologue étatique
(information sur le prix). Toutefois, l’accent est mis sur le « produit »
plus que sur la nature de la firme. Ainsi, des entreprises figurent dans
plusieurs tableaux sans que ce fait ne soit vraiment analysé. Seule
l’existence d’agroholdings, soulignée en annexe, informe sur le niveau
d’intégration des exploitations et le fonctionnement des filières mais
ne donne pas d’information sur la façon dont les acteurs s’organisent.
12 Il n’est pas certain que cette argumentation soit reprise par les partisans d’une
logique marchande eux-mêmes. Il ressort plus souvent que l’agriculture ne peut pratiquer une forte division du travail et ne peut donc bénéficier des économies d’échelle du
fait des comportements opportunistes. La petite exploitation est donc souvent présentée
comme l’exploitation la mieux adaptée à la logique concurrentielle dans ce secteur d’activités.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1866
1866
P. GROUIEZ
Si les biens alimentaires sont clairement distingués (dans une logique
de branche), rien n’est dit quant à la façon dont les acteurs s’organisent
pour les produire et en assurer les débouchés 13.
Il est donc impossible d’exploiter les statistiques disponibles pour
déterminer les raisons pour lesquelles une entreprise s’oriente vers tel
ou tel produit (fait-on des céréales pour les vendre ou pour nourrir la
volaille ?). L’interrogation soulevée par les statistiques demande
d’analyser le modèle de concurrence présenté plus haut afin, d’une
part, de mieux comprendre les déterminants des stratégies des acteurs
(notamment d’insertion sur le marché) et, d’autre part, de mieux caractériser les acteurs eux-mêmes. Pour cela, il faut identifier les éléments
de cohérence sectorielle reliant les acteurs entre eux.
I.3.1. Poids de l’histoire et crise démographique :
analyse des éléments de cohérence sectorielle
Le modèle des kolkhozes et des sovkhozes pose la question des
frontières de la firme. Ces exploitations jouaient un rôle social avec
lequel les modèles occidentaux de firmes agricoles sont peu familiarisés. Les problèmes démographiques de la Russie post-soviétique obligent les formes nouvelles d’exploitations à reconnaître ces prérogatives à l’image des agroholdings 14 récemment apparus.
I.3.1.1. Le rôle socio-économique des exploitations soviétiques
Comme le rappelle M.C. Maurel (1980), les exploitations agricoles
soviétiques étaient plus que de simples entreprises. Elles géraient le
parc immobilier du territoire sur lequel elles étaient installées. Elles
13 Nous distinguons ici la logique de branche, privilégiée par « Agro-300 », de celle
de l’analyse filière que nous menons dans cet article. Si la logique de branche fait vivre
un produit, de façon autonome, sans s’intéresser aux restes des biens et acteurs participant à son élaboration, l’analyse filière étudie au contraire les relations étroites et complémentaires qui conduisent à une interdépendance des activités entre différentes
branches et permettent d’assurer les débouchés de produits plus ou moins élaborés.
14 Dmitri Rylko, Irina Khramova, Vasilii Uzun et Robert Jolly (2008) les présentent
comme une forme d’organisation permettant de pallier temporairement les imperfections
du marché notamment en matière d’accès aux crédits, aux inputs et aux services. Trois
autres points sont caractéristiques de ces exploitations : 1/ les agroholdings réalisent des
investissements significatifs dans le domaine des technologies améliorant la production ;
2/ les fondateurs des agroholdings travaillent en collaboration avec les autorités administratives dans le domaine du développement et de la gestion de leur activité ; 3/ leur
stratégie peut avoir des conséquences sociales (augmentation des licenciements), cependant les firmes essaient de garantir un niveau de salaire compétitif et certaines s’orientent vers le développement de services sociaux anciennement assurés par les formes collectives d’exploitation.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1867
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1867
offraient à tous les habitants du village l’accès aux soins dans des polycliniques et remplissaient des fonctions dépassant le simple cadre de la
production agroalimentaire.
Pourtant recommandé pour rendre les exploitations compétitives, le
transfert de ces prérogatives vers des structures distinctes est difficile à
réaliser [Lapina (2006) ; Lefèvre (2003)]. Ce rôle social est fondamental pour le monde rural. Il permet, en assurant l’accès aux crèches,
aux écoles de limiter l’exode rural et de conserver une main-d’œuvre
agricole. Les ruraux, pour la plupart propriétaires de lopins, sont également liés aux exploitations du territoire sur lequel ils vivent. Une
complémentarité s’instaure entre les « organisations agricoles » et les
« lopins ». Cette coopération, que nous analyserons dans notre
deuxième partie, est d’autant plus essentielle et le démantèlement des
exploitations collectives et le risque de voir disparaître les prérogatives
sociales qu’elles remplissent sont d’autant plus problématiques que le
monde rural connaît une crise démographique importante.
I.3.1.2. Une crise démographique qui touche la population active
rurale
Le tableau 1 met en évidence la crise démographique dans la région
d’Orel (crise que subit la Russie en général).
Entre 1989 et 2002, la population des hommes actifs à la campagne
a diminué de plus de 9 000 hommes. La population de jeunes est également en forte baisse. Se pose inévitablement la question du renouvellement de la population active.
Le développement supposé de la concurrence, dans le secteur
agroalimentaire, se heurte à la question de la relation entre la croissance économique et les conditions de vie à la campagne.
Le facteur démographique et le rôle social des firmes agricoles
russes constituent deux éléments de cohérence du secteur avec lequel
les acteurs doivent composer (ou qu’ils peuvent exploiter !).
Si, comme nous l’avons formulé dans notre introduction, il est possible de comprendre la dynamique sectorielle à partir de l’hypothèse
que les acteurs du secteur dessinent des configurations productives
assurant leur reproduction, il convient alors d’identifier qui sont les
acteurs exploitant les éléments de cohérence que nous venons d’identifier et comment ils les exploitent. C’est ce qu’une lecture en termes
de filière devrait nous permettre de démontrer.
1868
15:26
15 La catégorie des jeunes inactifs comprend les jeunes de 0 à 15 ans. La population active comprend les hommes de 16 à 59 ans et les femmes de 16 à
54 ans. Enfin, la catégorie des retraités comprend les hommes de plus de 60 ans et les femmes de plus de 55 ans.
29/10/09
Source : d’après le tableau 08 du tome 14 du recensement de la population de la Fédération de Russie de 2002 disponible sur internet à l’adresse
www.gks.ru, consulté le 20 mars 2009
TABLEAU 1
Population de la région d’Orel selon le sexe, le groupe d’âge 15 et le lieu de résidence
15•Grouiez
Page 1868
P. GROUIEZ
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1869
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1869
I.4. La reconfiguration des filières : intégration des acteurs
et préservation du patrimoine collectif en vue de reproduire
un territoire
La crise sociale consécutive à la fin du système soviétique et les difficultés démographiques du monde rural russe ont permis de légitimer
l’intervention régionale dans le domaine agricole. La Région d’Orel a
mis en place une série de mesures visant à soutenir ce secteur d’activité via l’intégration de certains acteurs.
I.4.1. Une politique publique d’intégration du secteur
dans une perspective de sécurité alimentaire
Le gouvernement de la région d’Orel a créé en 1994 un agroholding, « Orlovskaâ Niva ». Cette structure visait officiellement 16 à
maintenir des exploitations collectives en faillite. Les exploitations
intégrées dans la structure disposaient de crédits sous la forme de prêts
de matériel agricole et d’engrais en échange de la remise de tout ou
partie de leur production. Après la crise de 1999, un second agroholding a été créé, « Agrokombinat » 17. La création de ces deux firmes,
dont 100% des actions sont détenues par la Région d’Orel, a permis
l’intégration des acteurs du secteur dans des entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires. Les deux structures regroupent l’ensemble des activités agricoles et agro-industrielles nécessaires
aux besoins alimentaires régionaux, comme nous le montre cette
représentation schématisée de « Orlovskaâ Niva » :
16 La structure a également permis le détournement de fonds publics à des fins privées. Toutefois, le nouveau gouverneur de la région a annoncé un déficit de 1,3 milliards
de roubles pour Orlovskaâ Niva. Un tel déficit ne peut être expliqué sans une volonté de
maintenir en place des structures en faillite pour d’autres raisons que le simple détournement de fonds.
17 En ce qui concerne Agrokombinat, il a fait faillite en 2006, ce que nous décrivons
n’est donc valable en totalité qu’entre 1999 et 2006. En revanche, Orlovskaâ Niva existe
toujours et poursuit son extension avec un investissement récent dans une usine d’élevage de volailles. Toutefois, nous avons choisi de décrire la logique filière de la région
d’Orel en y incluant Agrokombinat car la disparition de la structure juridique ne remet
pas en cause l’intégration qu’elle a contribué à mettre en place. Le procès qui vient de
donner raison à la Région d’Orel contre une entreprise privée en est la preuve. La Région
d’Orel reprochait à cette entreprise d’avoir détourné les actions de la OAO Minskaâ (qui
appartenaient à l’agroholding) après le démantèlement d’Agrokombinat. Agrokombinat
disparu, la Région n’en reste pas moins propriétaire des actifs des entreprises qui le composaient, ce que confirme le tribunal de commerce de la région.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1870
1870
P. GROUIEZ
OAO Orlovskaâ Niva
Centre de production
Pain
Viande
Agrofirmes
-Hlebnaâ Baza
-Niva -Verhov'e
-Orlovskij
-Niva - Zalegos'
Mâsokombinat N°36
-Oreloblhleb
-Pokrovskaâ Niva -Zmievskij
-Orlovvskoe
Mâcokombinat -Glazun ovskoe
poles'e
-Verhovskij - hlebop riemnoe
-Niva -Kromy
Mâcokombinat predpriâtie
-Hotyneckaâ Niva Zivotnovadcesk (HPP)
-Maloarhang el'skaâ ie komplekcy -Bolhovskoe
HPP
MTC
-Hlebozavod
-Niva -Bolhov
(Verhovye)
-Niva Sablykino
-Orlovskij
-Niva Zmievka
HPP
-Niva -Korsakovo
-Hotyneckoe
-Saburovo
HPP
-Niva Kolos
-Kolpnânskij
-Dmitrovskij
èlevator
Kristall
-OAO Hiva
-Zarâ
Hleb
-Pokrovskaâ Hiva2
-Luc
-Livny
-Niva -Nikol'skoe
-Zanerussovskaâ
-Kromy
Emigrés
rentrés à Orel
Fonds
« Slavânskie dans 18 raïons
de la région
Korni »
Centre de service
Centre de
comm ercialisation
Transformation Approvisionnement Commercialisation
-Proizvod ctvennyj
-OAO Niva Servis Centre
Torgovyj
Kompleks (PTK) -Orelsel'hozimiâ
« Orlovskaâ
Hiva Supermarket -Zoovet snab
Niva » [marché
Orlovskagropromsn couvert, ndt]
-Orelkonditer
Maslosyrkombinat ab
-Niva keramika
-OAO Kpictall
Réseau inte r
-Agropromhimiâ régional de
- Molocnyj
-Agrosnaby
kombinat
supermarchés
-Volodarskoe RTP
« Orlovskij »
-Remontno -Livenskij
Marché de vente
tehiceskie
c'ûzavod
de produits pour
predpriâtiâ
-Molokozavody
les organismes
- Pisekombinaty -Avtotransportnyj d' État (crèches,
predpriâtiâ
écoles,
hôpitaux...)
Marché de gros
Magasins de
vente au détail
dans les villes et
à la campagne
GRAPHIQUE 3
Le complexe agroalimentaire de l’OAO Orlovskaâ Niva
[MCX (2001), p. 22]
Comme indiqué dans le graphique 3, pour compléter la structure,
Orlovskaâ Niva dispose d’un marché physique à Orel 18, qui assure un
débouché pour les produits alimentaires de l’agroholding. D’autres
lieux de commercialisation existent dans la région.
Des formes d’exploitations qui ne sont ni d’anciens kolkhozes ou
sovkhozes, ni d’anciennes entreprises de transformation agroalimentaire, viennent complexifier la structure. Ainsi, un fermier de la région
d’Orel, interrogé en 2005, expliquait :
« Ma principale activité est la culture céréalière. J’ai passé un accord
avec la Région. Je remets une partie de ma production à Orlovskaâ Niva. Le
prix de la tonne de blé est fixé à l’avance avec un tarif qui n’est pas toujours
18 Le centre administratif de la région qui regroupe plus du tiers de la population
régionale.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1871
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1871
avantageux. Mais je dois dire que la Région nous a soutenus pour la
reconstruction de notre maison ».
L’organisation englobe certaines fermes qui bénéficient d’un soutien matériel. Orlovskaâ Niva apparaît comme un goulet d’étranglement pour ces fermiers et permet aux entreprises de transformation de
sécuriser leur approvisionnement. Dans le même temps, elle offre aux
exploitations agricoles un soutien nécessaire à leur production et à leur
maintien sur le territoire. L’accès au logement dont bénéficie le fermier
interrogé représente une innovation importante. C’est Orlovskaâ Niva
qui prend en charge une partie du financement de la maison. En intégrant la structure, ce fermier bénéficie du rôle anciennement attribué
aux kolkhozes et sovkhozes.
Or, ce système s’étend à la troisième catégorie d’exploitation : les
lopins. Le fonds « Slavânskie Korni » (voir graphique 3) est géré par
l’OAO Orlvskaâ Niva qui donne accès à un logement et à une parcelle
de terre aux Russes originaires des anciennes républiques soviétiques.
En contrepartie, les familles doivent remettre une partie de leur production à Orlovskaâ Niva. Ce dispositif permet à l’agroholding d’accéder à la plupart des produits alimentaires, du fait de l’importante spécialisation des acteurs du secteur (voir notre première partie). In fine,
le complexe assure la sécurité alimentaire de la région. Ainsi, lors d’un
entretien, la comptable du marché d’Orlovskaâ Niva nous a expliqué :
« Sur ce marché, la charcuterie vient essentiellement des usines de transformation dont dispose l’agroholding. En revanche la viande provient, pour
l’essentiel, de contrats passés avec des fermiers. On peut donc tout acheter
sur notre marché mais l’origine des produits est diverse ».
Ce témoignage montre que l’objectif d’approvisionnement alimentaire de la région est bien présent. Pour assurer cet accès aux produits
correspondant au panier moyen de biens alimentaires d’un habitant de
la région (pain, lait, volaille, légumes, pommes de terre), le pouvoir
exécutif d’Orel a privilégié la construction des filières agroalimentaires de ces produits par la création d’agroholdings. Les filières-produits ainsi constituées permettent aux différentes marchandises d’atteindre le marché physique des différents villes de la région.
L’intégration de certains fermiers et lopins dans le dispositif assure la
pérennité du système.
Mais rien ne permet d’affirmer que les acteurs intégrés n’ont pas
participé à la construction de ces filières. Ainsi, « l’organisation agricole » (voir encadré 2), en valorisant son « rôle social », a pu justifier
de la nécessité de son maintien alors même qu’à partir des critères mar-
15•Grouiez
29/10/09
1872
15:26
Page 1872
P. GROUIEZ
chands, sa situation de faillite aurait dû la condamner à disparaître.
Dans la théorie des patrimoines collectifs, l’accès aux logements, aux
écoles, aux hôpitaux apparaissent comme des fonctions patrimoniales
que ces exploitations ont mobilisées pour assurer leur reproduction.
Pour ce faire, elles ont accepté de modifier leur frontière. Intégrée dans
Orlovskaâ Niva, elles ont transmis leur patrimoine au holding luimême. Leur intégration a permis, sinon l’effacement, du moins le gel
de leur dette tout en maintenant leur identité.
Ces prérogatives « sociales », constituées en patrimoines, ont offert
à certains fermiers et lopins les raisons d’intégrer à leur tour le holding.
Pour assurer leur reproduction, certains fermiers ont préféré abandonner leur insertion dans le marché au profit du canal régional. Leur forte
spécialisation leur a permis d’obtenir le statut de professionnels de
l’agriculture 19 qu’ils ont utilisé pour obtenir l’accès à un logement,
comme nous l’a rappelé un interviewé 20. En contrepartie, ces exploitations deviennent des composantes de l’agroholding, perdant les
bénéfices du système marchand (en termes de prix), mais aussi ses
inconvénients (en termes de volatilité). Les lopins ont pratiqué une
logique similaire. Jouant sur la spécificité de leur production (viande,
lait, légumes), certains d’entre eux ont utilisé le programme régional
pour se développer. L’administration d’Orel a, quant à elle, porté à 50
ha la limite de surface des lopins alors qu’elle est habituellement fixée
à 2 ha 21. Dans le même temps, ce processus apporte une solution aux
difficultés démographiques.
L’existence de configurations productives alternatives mises en
place par certains lopins et fermiers prouve que l’intégration régionale
peut être analysée en termes de stratégies d’acteurs.
19 Cette analyse patrimoniale du savoir-faire des professionnels de l’agriculture a été
proposée pour la première fois par Barthélemy (2005) dans le cas du passage d’un
modèle paysan à un modèle d’agriculteurs professionnels.
20 La notion de professionnels de l’agriculture est devenue, en Russie, un critère pour
obtenir l’autorisation d’exercer le métier d’agriculteur. Les jeunes qui souhaitent s’installer doivent, pour bénéficier des aides au logement, justifier d’un diplôme. La notion
de « professionnel » a également été utilisée par les propriétaires de parcelles de terre
pour sélectionner les fermiers avec lesquels ils ont passé des contrats de location
[Grouiez (2008)].
21 La loi indique la nécessité de fixer un maximum à la SAU des lopins, charge aux
sujets de la Fédération de le définir. Cet élargissement s’accompagne d’une reconnaissance du professionnalisme de ces lopins. Deux chercheurs de la Région d’Orel mettent
l’accent sur le rôle économique que remplissaient les lopins : « produire et permettre
l’approvisionnement des entreprises de transformation de matières premières et garantir
à la population urbaine l’accès aux produits alimentaires pour recevoir, en contrepartie,
un revenu stable qui constitue l’essentiel et souvent la seule ressource du foyer » [Cugunova et al. (2004), p. 352-353].
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1873
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1873
Encadré 2 – Qui sont les entreprises de la catégories
des « organisations agricoles » ?
La catégorie statistique des « organisations agricoles » comprend actuellement :
1) Des exploitations restructurées (en majorité des SA ou des SARL) intégrées dans des holdings régionaux. Généralement en difficultés financières,
elles doivent leur survie aux programmes promouvant la sécurité alimentaire
du territoire (elles représentent environ 15 % de cette catégorie statistique
dans la région d’Orel et sont intégrées dans Orlovskaâ Niva).
2) Des exploitations restructurées (en majorité des SA ou des SARL) intégrées dans des holdings privés. Certaines de ces entreprises étaient auparavant dans le holding régional à Orel. Les holdings les contrôlant valorisent
l’intégration verticale permettant d’assurer l’approvisionnement de leurs
entreprises de transformation. La logique de sécurité alimentaire n’est pas
leur priorité puisque la commercialisation de leurs produits se fait essentiellement à Moscou. Les exploitations intégrées dans ces holdings représentent
15 % de la catégorie des organisations agricoles dans la Région d’Orel
(aspect non développé dans cet article).
3) Des exploitations restructurées indépendantes (avec des statuts juridiques divers : SA, SARL, exploitations coopératives, etc.) assurant l’écoulement de leurs productions par divers canaux (entreprises de transformation). Leur situation financière est très variable d’une exploitation à l’autre et
dépend beaucoup de la personne qui dirige l’exploitation. La part de leur production dans la production totale est faible en comparaison du poids qu’elles
pèsent dans le total des exploitations de cette catégories [Lerman (éd.)
(2008)] (70 % à Orel ; aspect non développé dans cet article).
I.4.2. Des filières concurrentes à la logique de reproduction territoriale
Comme nous l’avons rappelé dans la première partie, les fermiers
ont rapidement cessé d’être subventionnés et les nouveaux dispositifs
de crédits mis en place après 2005 au niveau fédéral n’ont pas été favorables à ce type d’exploitation 22.
Dans la région d’Orel, certains fermiers ont cependant adopté des
stratégies différentes de celle consistant à intégrer l’agroholding régional pour poursuivre leur activité. Ils ont privilégié leur indépendance
en construisant des filières-produits courtes. Ainsi un fermier expliquait en 2006 :
22 Les conditions d’accès aux crédits du programme national de développement du
secteur agro-industriel n’empêchent pas les fermiers d’y prétendre. Dans les faits, de
nombreux témoignages soulignent que les banques exigent des conditions en termes de
SAU qui limitent de facto l’accès aux crédits aux plus grandes exploitations.
15•Grouiez
29/10/09
1874
15:26
Page 1874
P. GROUIEZ
« Je produis de la pomme de terre, 250 tonnes/an. Je vis uniquement de
cette activité [...]. J’ai privilégié deux moyens pour les vendre. Au début je
les vendais sur les marchés. Puis j’ai passé des accords avec des grandsmères afin d’éviter de perdre du temps. Aujourd’hui je vends la majorité de
ma production à des » spéculants » 23. La négociation des prix n’est pas à
mon avantage mais depuis que je travaille comme cela je ne m’occupe plus
de chercher des débouchés ».
Cette filière courte permet à ce fermier de s’insérer sur les marchés
sans avoir à entretenir une quelconque relation avec les autorités régionales, via la délégation de la vente à un acteur extérieur.
D’autre fermiers adoptent une stratégie similaire sans passer par des
intermédiaires. Dans le cas de la production de viande rouge, de nombreux fermiers vendent directement leurs produits sur les marchés de
la ville d’Orel. Cela a permis le développement de fermiers qui se tournent désormais vers une coopération avec des lopins. Un fermier, rencontré en 2006 expliquait :
« J’ai mis en place une coopérative de crédit dans mon village mais les
propriétaires de lopins étaient assez réticents. J’ai dû beaucoup m’engager
à les soutenir, mais leur aide m’est précieuse. Mon activité est spécialisée
dans l’élevage porcin, et je trouve dans ma coopération avec eux un moyen
de sécuriser mon approvisionnement en nourriture. En échange je leur
remets environ 10 % de ce que je produis ».
Par ailleurs, ce fermier nous a dit fournir gratuitement des services
vétérinaires aux propriétaires de lopins pour leur bétail.
Ce type de coopération entre les fermiers et les lopins se développe
aujourd’hui comme le rapporte J.J. Hervé (2007, p. 132-133). Les
lopins s’appuient sur leur savoir-faire spécifique et sur le contrôle du
patrimoine que constitue la terre dont ils sont les propriétaires
[Grouiez (2008)] pour s’insérer sur les marchés sans avoir à passer par
les canaux régionaux.
Cette filière alternative que nous venons de mettre en évidence est
le reflet d’une configuration productive mise en place par certains fermiers pour assurer leur reproduction. Cette configuration accorde une
place importante à l’insertion sur le marché de produits à faible valeur
23 Terme péjoratif, le mot « spéculant » désigne des intermédiaires qui parcourent la
Russie pour acheter les produits alimentaires des fermiers. Le plus souvent d’origine
caucasienne, ces acteurs du secteur agricole souffrent d’une mauvaise image. Ils achètent à des prix considérés comme faibles par les agriculteurs et revendent au prix fort sur
les marchés moscovites. Ils présentent cependant l’avantage de prendre à leur charge les
soucis de la commercialisation des produits jusqu’aux marchés des grandes villes. Leur
connaissance du fonctionnement des marchés épargne aux agriculteurs les lourdeurs
administratives et la corruption liées au transport et à la vente sur les marchés.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1875
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1875
ajoutée, c’est-à-dire ayant subi peu, voire aucune transformation. Par
ailleurs, la viande rouge n’étant pas constitutive du panier de bien
minimal d’un habitant de la région, les fermiers spécialisés dans ce
type de production ne s’exposent pas à la concurrence de la configuration productive mise en place par la région, ce qui garantit leur indépendance.
Sans approfondir plus avant une réflexion qui n’est pas directement
l’objet de cet article, nous voyons que cette analyse filière rend difficile la définition des acteurs du secteur agroalimentaire russe. Il
semble erroné de parler dans les mêmes termes des fermiers insérés
dans l’agroholding régional et de ceux qui ont privilégié les filière
courtes. Il en va de même pour les lopins. De plus, la frontière entre le
lopin et la ferme devient floue lorsque le propriétaire de lopin cherche
également à s’insérer sur les marchés pour vivre de son activité. Les
statistiques du Goskomstat, en se bornant à ces catégories, verrouillent
les possibilités de description de la réalité. Sans une approche par
entretiens qualitatifs, il serait difficile de rendre compte des configurations productives et de la dynamique sectorielle en termes de stratégies
adoptées par les acteurs eux-mêmes. Si les statistiques abordent d’emblée l’hétérogénéité des acteurs, elles ne permettent de proposer
aucune tendance quant à l’évolution de cette hétérogénéité.
CONCLUSION
Cet article rend compte de la difficulté d’aborder le secteur agricole
russe comme un secteur où les entreprises se placeraient sur leurs
avantages comparatifs. Une approche en termes d’analyse filières permet de comprendre pourquoi on a valorisé l’insertion des différents
acteurs au sein du même processus de production de marchandises. La
région d’Orel a, pendant une courte période, abandonné l’agriculture
au libéralisme. La logique systémique du secteur s’étant rappelée à
elle, elle a dû reprendre en main l’organisation de la filière. En s’appuyant sur un patrimoine collectif, les différents acteurs ont porté en
exergue leur spécialisation et la nécessité de développer des mesures
sociales (logement, accès aux soins) que nous avons qualifiées de fonctions patrimoniales et qui ont permis de maintenir sur place certaines
exploitations tout en axant la dynamique sectorielle sur la sécurité alimentaire du territoire. Cette dynamique entre en concurrence avec la
logique de reproduction de l’exploitation familiale indépendante. Pour
assurer leur reproduction, certaines d’entre elles ont préféré dévelop-
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1876
1876
P. GROUIEZ
per des filières produits courtes, difficilement contrôlables. Ainsi,
l’analyse filières permet de rendre compte, comme le décrit Soufflet
(1988), des contraintes et des opportunités qui influencent la stratégie
des entreprises.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ALLAIRE G. [1995], « Croissance et crise dans l’agriculture », in La grande
transformation de l’agriculture / R. Boyer et Y. Saillard (éds), Economica,
INRA, p. 341-349.
BARRÈRE C., BARTHÉLÉMY D., NIEDDU M., VIVIEN F.D. (éds) [2005], Réinventer le patrimoine de la culture à l’économie, une nouvelle pensée du patrimoine, L’Harmattan, Paris.
BARTHÉLÉMY D. [2005], « L’institution d’un patrimoine agricole professionnel », in Réinventer le patrimoine, L’Harmattan, Paris, p. 197-211.
CIMAN P., POKROVICAK A., DRABIK D. [2007], « The Economics of Farm Organization in Transition Countries », Beyond Transition, July-Sept., p. 12.
CUGUNOVA N.V., MINAKOVA I.V. [2004], « Licnye podsobnye hozâjstva v sel’skom hozâjstve Orlovskoj oblasti = La place des lopins de terre dans l’agriculture de la région d’Orel », in Èkonomiceskie osnovy, vozmoznosti i
napravleniâ razvitiâ licnogo podsobnogo hozâjstva, GNU, p. 352-357.
GAIGNETTE A., NIEDDU M. [1996], « Une lecture d’économie industrielle des
approches régulationnistes en agriculture et agroalimentaire », Économies
et Sociétés, Théorie de la régulation, Série R, n° 9, 6/1996, p. 193-211.
GROUIEZ P. [2008], « Libéralisation et régulation non marchande du patrimoine
foncier agricole russe (1991-2006) », Autrepart, n° 46, p. 31-50.
HERVÉ J.J. [2007], L’Agriculture russe. Du kolkhoze à l’hypermarché, L’Harmattan, Paris.
KERBLAY B. [1968], Les marchés paysans en U.R.S.S., Mouton, Paris.
KWIECINSKI A. [1998], OCDE examen des politiques agricoles, Fédération de
Russie, éditions de l’OCDE, Paris.
LAPINA [2006], « Le rôle social des entreprises russes », Le courrier des pays
de l’Est, n° 1055, p. 68-77.
LEFEVRE [2003], « Système de protection sociale et entreprises en Russie, héritages et transformations 1987-2001 », thèse soutenue en 2003 à l’EHESS.
LERMAN Z. (ed) [2008], Russia’s Agriculture in Transition, Lexington Books,
USA.
MAGNIN E. [1999], Les transformations économiques en Europe de l’Est
depuis 1989, Dunod, Paris.
MAUREL M.C. [1980], La campagne collectivisée, société et espace rural en
Russie, Anthropos, Paris.
MCX [2001], Ob integrirovanii agropromyslennyh struktur v orlovskoj oblasti
[= À propos de l’intégration du complexe agro-industriel dans la région
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1877
QUELLES CONSTRUCTIONS DE FILIÈRES EN RUSSIE ?
1877
d’Orel], Ministerstvo Sel’skogo Hozâjstva Rossijskoj Federacii (éd.), Moscou.
NIEDDU M. [1998], Dynamiques de longue période dans l’agriculture productiviste et mutations du système agro-industriel français contemporain, thèse
pour le doctorat ès sciences économiques, Reims.
OCDE [2000], Politiques agricoles : économies émergentes et pays en transition, édition de l’OCDE, Paris.
ROSSTAT [2006], Social’no-èkonomiceskoe polozenie orlovskoj oblasti za 2005
god (la situation socio-économique de la région d’Orel pour l’année 2005),
Orel.
RYLKO D., KHRAMOVA I., UZUN V., JOLLY R. [2008], « Agroholdings: Russia’s
New Agricultural Operators », in Russia’s Agriculture in Transition, Zvi
Lerman (ed.), p. 95-133.
SAPIR J. [1992], L’approche par la régulation, les économies de type soviétique et la transition, lettre de la régulation n°4.
SOUFFLET [1988], La filière bétail et viande bovine, fonctionnement et évolution de 1960 à 1985 : perspective 1990. Essai sur la dynamique des structures et des comportements, thèse pour le doctorat d’État en économie,
Montpellier I, juin 1988.
UZUN V. [2008], « Large and Small Business in Russian Agriculture », in Russia’s Agriculture in Transition, Zvi Lerman (ed.), p. 11-56.
YEFIMOV Vladimir [2003], Économie institutionnelle des transformations
agraires en Russie, L’Harmattan, Paris.
15•Grouiez
29/10/09
15:26
Page 1878
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1879
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1879-1896
Filière, supply chain et stratégies :
de la différenciation à la distinction
Laurent Trognon,
AgroParisTech-Engref
Cet article traite de similitudes, différences et complémentarités
entre les notions de filière et de supply chain (SC), en particulier dans
leurs contributions à l’analyse stratégique. Ce faisant, à la lumière de
l’approche fondée sur les ressources, il interroge la notion de stratégie
de différenciation, propose celle de stratégie de distinction et enrichit
l’outil SC. Comme facteur de distinction, la SC mérite d’être pilotée, y
compris par les petites entreprises. Comme outil d’analyse, elle permet
d’appréhender des ressources distinctives.
This paper deals about similarities, differences and complementarities of food chain and supply chain (SC) notions, especially in their
contributions to the strategy analysis. On the way and in the light of
the Resource-Based View, it examines the notion of differentiation strategy, suggests the notion of distinction strategy, and enriches the SC
tool. As distinction factor, the SC is worth piloting, included by SMEs.
As analysis tool, it allows to grasp distinctive resources.
16•Trognon
27/10/09
1880
8:12
Page 1880
L. TROGNON
INTRODUCTION
Le système agroalimentaire (SAA) et la dynamique des entreprises
qui le composent sont particulièrement marqués par deux facteurs : la
nature et la dimension sociale des produits élaborés et distribués, d’une
part, et, de l’autre, l’organisation en réseaux des acteurs économiques
concourant à la production de matières premières, à l’élaboration et à
la distribution de ces produits. L’infinie variété des produits est un
levier essentiel de la différenciation des offres et donc des entreprises
qui les proposent. Que ce soit au sein des filières ou des supply chains
(SC), la variété des modes d’organisation des réseaux auxquels une
entreprise appartient est également pour elle une source de différenciation, qui rejaillit sur la différenciation de ses produits. Cependant, à
un certain niveau d’analyse, la notion de SC peut se confondre avec
celle de filière et la notion de différenciation peut paraître bien
confuse.
Il nous a été permis d’approfondir ces notions et leurs interrelations
lors d’un projet de recherche européen 1 dont l’objectif était de contribuer à l’identification de facteurs de compétitivité des petites entreprises agroalimentaires (PEAA) situées dans les zones rurales en difficulté. L’originalité du projet tenait à une approche systémique par la
supply chain. Il s’agissait d’étudier dans une démarche abductive « la
SC des PEAA comme un réseau constitué par les entreprises qui participent à la chaîne d’approvisionnement et de distribution de ces
PEAA. [Cette SC englobant] à la fois les flux de produits (logistique),
les flux financiers et les flux d’information contribue à la création de
valeur sous forme de produits et services destinés au consommateur »
[Lagrange et al. (2006)]. En France, six études de cas de SC de PEAA
ont été élaborées à partir d’entretiens semi-directifs d’un terrain composé de quarante PEAA localisées dans le Massif central, trente-cinq
de leurs intermédiaires, quarante de leurs clients finaux, et quinze institutions de leur environnement.
Issu de cette recherche, cet article ne vise cependant pas à en présenter les résultats. Son but est la formulation d’une proposition théorique susceptible d’inspirer la communauté agro-industrielle. Dans
cette optique, il étudie les principales similitudes, différences et complémentarités entre les notions de filière et de SC, en particulier dans
1 SUPPLIERS – « Supply Chains Linking Food SMEs in Europe’s Lagging Rural
Region » ; 1/02/2001-1/03/2004 ; contrat : QLK5-CT-2000-00841
–
http://suppliers.econ.upatras.gr
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1881
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1881
leurs contributions à l’analyse stratégique. Ce faisant, il interroge la
notion de stratégie de différenciation et propose celle de stratégie de
distinction pour compléter la boîte à outil du stratège. Pour cela, il
reprend une littérature relativement ancienne pour montrer que, même
si elles décrivent des sous-systèmes d’acteurs économiques potentiellement superposés, filière et SC se distinguent (§I). Leurs contributions
à l’analyse stratégique sont ensuite abordées, notamment leurs déclinaisons de la stratégie de différenciation et la prégnance du modèle
portérien du positionnement (§II). Enfin, après avoir proposé un paradigme stratégique alternatif, il est montré que celui-ci enrichit l’apport
potentiel d’une approche stratégique par la SC, et que le pilotage de la
SC est source de distinction (§III).
I. – FILIÈRE ET SC COMME SOUS-SYSTÈMES
L’objet de cette partie est de montrer qu’en dépit de similarités
fortes entre filière et SC, ces deux notions ne devraient pas être confondues. Leurs principales différences qui tiennent à l’échelle, l’objet et
les applications de leurs analyses sont liées à leur genèse disciplinaire
et méthodologique.
I.1. Des définitions similaires pour des objets
et des applications d’échelles différentes
La notion de SC provient de problématiques logistiques traitées par
les sciences de gestion. Née avec l’extension de l’approche logistique
de l’entreprise à l’ensemble de ses partenaires amont et aval, elle
constitue l’espace de la coordination de la chaîne de valeur étendue
[Roy et al. (2006)]. La question de l’intégration y est centrale et combine une variété d’éléments à intégrer (flux, processus et activités, systèmes et technologies, acteurs) et de niveaux d’intégration (intra-organisationnelle, inter-organisationnelle limitée, inter-organisationnelle
étendue, sociétale) [Fabbe-Costes (2007)]. Bien qu’utilisée dans le
secteur agroalimentaire depuis les années 90, l’étude de l’environnement des entreprises agroalimentaires, en particulier leurs relations
amont-aval, mobilise toujours l’approche filière. Ce concept, développé dans les sciences économiques, décrit un sous-système du système agroalimentaire qui rend compte des connexions entre agriculture, industrie agroalimentaire, distribution et consommateur. Il
délimite un sous-système d’acteurs réunis autour d’un même produit.
16•Trognon
27/10/09
1882
8:12
Page 1882
L. TROGNON
Plus précisément, « la filière se rapporte à l’itinéraire suivi par un produit (ou groupes de produits) au sein de l’appareil agro-alimentaire ;
elle concerne l’ensemble des agents (entreprises et administrations) et
des opérations (de production, de répartition, de financement) qui
concourent à la formation et au transfert du produit jusqu’à son stade
final d’utilisation, ainsi que les mécanismes d’ajustement des flux des
facteurs et des produits le long de la filière jusqu’à son stade final »
[Malassis et Ghersi (1992)].
Définie ainsi, la notion de filière est proche de celle de SC. Avant
l’avènement de la notion même de SC, les logisticiens s’interrogeaient
déjà sur le rapport Filière-Chaîne 2. Tixier et al. (1983, p. 235) notent
ainsi des points clés d’opposition relatifs à la nature de leur représentation, de la gestion des opérations dans le réseau, de la marchandise
et du processus de son traitement. Notre approche, complémentaire,
cherchant à différencier ces concepts afin de les exploiter dans les
conditions appropriées, identifie trois ambiguïtés majeures de leur
synonymie qu’il convient de discuter et de lever. La première est liée à
l’itinéraire suivi par le produit. Remarquons en effet, avec Malassis et
Ghersi, que les filières lait et fromage sont distinctes ; l’une part d’une
matière première potentielle, l’autre d’un produit fini. Ajoutons que
dans une approche SC, ce sont les flux, en amont et en aval de l’entreprise, qui importent. Alors que l’approche filière est marquée par une
vision amont du système productif, l’approche SC s’est construite sur
une problématique d’approvisionnement de l’aval. La seconde ambiguïté tient au fait qu’un produit peut exprimer, à la fois, une catégorie
(comme dans le cas de la filière saint-nectaire) ou un objet concret,
spécimen de la catégorie (le saint-nectaire de la ferme Unetelle par
exemple). Les analyses de filière traitent généralement de produit-catégorie, alors que le produit-spécimen relève fondamentalement du
domaine de la SC. Enfin, la troisième ambiguïté est un corollaire des
précédentes. Elle pose la question des acteurs effectivement concernés.
Si, par exemple, l’ensemble des vignerons de telle AOC (appellation
d’origine contrôlée) appartiennent à la filière constituée par cette
appellation, seuls quelques-uns pourront éventuellement appartenir à
la SC de tel négociant.
Les définitions du terme filière abordent rarement la question des
flux informationnels. C’est là également une différence fondamentale
avec la SC qui nécessite la prise en compte systématique des flux
2 Cet ouvrage centré sur la logistique de l’entreprise porte les linéaments du SC
management. Cf. son analyse de formes innovantes d’intégration reposant sur l’idée de
famille logistique.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1883
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1883
informationnels en plus des flux physiques et financiers. Au cours de
la décennie passée, le concept de SC s’est d’ailleurs particulièrement
développé en liaison avec les progrès des technologies de l’information et de la communication dans le domaine de la logistique [Paché
(2000)].
I.2. Genèses disciplinaires et méthodologiques différentes
Le concept de filière est marqué par la discipline scientifique qui,
dans les années 70, l’a introduit dans sa boîte à outils et développé en
France, en réponse aux interpellations des pouvoirs publics. La macroéconomie le conçoit comme un outil de représentation du système productif, que Laganier (1988, p. 184) définit comme « l’ensemble des
agents économiques concourant à la production et des relations qu’ils
entretiennent, dans un espace déterminé ». Son large développement,
en France, s’explique par sa pertinence pour préparer et évaluer les
politiques industrielles par branche. Nombre d’auteurs ont d’ailleurs
considéré le concept de filière intraduisible en anglais. Pour Boss et
Boudon (1981), son lien à une politique de planification explique son
non-développement dans les pays à économie plus libérale. Toutefois,
dans les écrits d’auteurs anglophones, food chain correspond sensiblement à la notion de filière agroalimentaire et n’est pas confondu avec
celui de SC [Commins et al. (2001)]. Traduire filière par supply chain
est donc une erreur, même si l’idée renvoie à la notion de « filière d’approvisionnement » qui, dans les travaux d’Arena et al. (1988), est associée à une approche privilégiant l’aval de la filière, plus que ne le ferait
une approche en termes de « filière de production ».
De son côté, l’expression SC est souvent employée en français et
parfois traduite par chaîne ou canal logistique ou encore par chaîne
d’approvisionnement et de distribution. Le champ de la SC est en effet
d’abord celui de la logistique. Une notion qui ne se limite pas au transport de marchandises mais fait référence aux données de la situation et
à un ensemble de flux internes et externes à l’entreprise.
La filière, par son approche synthétique des sous-ensembles du système agroalimentaire, qui privilégie l’identification des itinéraires suivis par les produits, et les agents économiques de la « fourche à la fourchette », est un concept séduisant pour le logisticien. Celui-ci pourrait
d’ailleurs le confondre avec la SC et n’y voir, comme le suggère Montigaud (1989), « qu’une délimitation, à un moment donné d’un champ
d’investigation qui va permettre à l’observateur en fonction de sa problématique d’effectuer un travail d’analyse avec les outils qui lui
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1884
1884
L. TROGNON
paraissent les plus appropriés » et non « un outil d’analyse économique ». Toutefois, en tant que concept de l’économie industrielle, son
emploi tendra davantage à chercher quelles sont les connexions entre
acteurs définis comme catégories, que la dynamique de ces connexions
entre entreprises considérées individuellement et dans leurs interrelations au sein d’une chaîne logistique. Tixier et al. (1983) opposent la
« complémentarité théorique d’acteurs », représentée par la filière, au
« fonctionnement réel d’un acteur » décrit par la chaîne.
Ainsi, la genèse de ces deux concepts diffère aux plans disciplinaire
et méthodologique. Initialement la filière est une conception théorique
dont certaines applications ont pu être développées par et pour les
acteurs impliqués dans le flux du produit. Tandis que la SC est d’abord
le réseau effectif de clients et fournisseurs d’une entreprise, dont la
théorisation a enrichi la compréhension et le management, et permis
d’étendre le champ d’application.
II. – FILIÈRE ET SC : OUTILS D’ANALYSE STRATÉGIQUE
Les notions de filière et de SC n’ont pas été conçues originellement
pour traiter de la stratégie des acteurs économiques. Leur contribution
à l’analyse stratégique est liée à leurs développements théoriques dans
le cadre du paradigme de l’école du positionnement. La filière, concept
de l’économie industrielle, apparaît ainsi comme espace de la différenciation, tandis que la SC, analysée comme chaîne de valeur étendue, devient un vecteur de sur-différenciation au sein de la filière, permettant aux acteurs de distinguer leur offre.
II.1. Filière : une affiliation naturelle à l’école du positionnement
La filière est un espace de stratégies [Morvan (1985) ; Rainelli
(1988)], celles d’agents économiques en relations de
concurrence/coopération ou dans des problématiques d’intégration
vers l’amont ou vers l’aval. Abordée globalement ou au plan de chacun
des acteurs qui la composent, elle s’analyse dans le cadre et avec les
outils de l’économie industrielle (dont ceux de stratégie développés
par Porter, père de l’école du positionnement).
Au plan global, on s’intéresse à la dynamique de la filière. La stratégie de filière est une question de coordination et de choix collectifs
des acteurs du système pour la production ou/et l’offre d’un produit
différencié. En tant que système, la filière permet de rendre compte de
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1885
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1885
l’interdépendance des agents. Ces relations peuvent être de complémentarité (division technique du travail entre les opérateurs, construction de la chaîne de valeur), de solidarité (attitude vis-à-vis des pouvoirs publics) ou/et de concurrence (appropriation des marchés en
amont ou en aval, répartition de la valeur ajoutée, contrôle du pilotage
de la filière, etc.). L’analyse de filière s’intéresse notamment à deux
types de points stratégiques particuliers : les nœuds stratégiques et les
goulets d’étranglement. Le premier type concerne les points d’interconnexion entre filières, des points de rencontre « de relations technico-socio-économiques [...] elles impliquent à la fois le processus
descendant et ascendant, la circulation de la marchandise (approvisionnement, écoulement), le service lié, les flux de paiement, l’information ». Aussi sont-ils l’enjeu de conquêtes de la part des firmes
[Koulytchizky (1985) ; Morvan (1985)]. Le deuxième type, les goulets
d’étranglement, sont des points de faiblesse de la filière autour desquels peuvent se créer des positions stratégiques. Ils concernent principalement les processus matériels de production ou d’écoulement,
mais aussi les flux financiers (politique de prix abusive) et d’information [ Koulytchizky (1985)]. Il en résulte que la connaissance de la
stratégie des acteurs est indispensable pour comprendre la dynamique
de l’ensemble de la filière. Cette dynamique sera d’ailleurs qualifiée de
stratégique dès lors qu’elle résultera d’une volonté collective ou du
pilotage par un ou quelques acteurs. L’élaboration d’un cahier des
charges définissant le produit et ses conditions de production et de distribution, contenant parfois des clauses très restrictives, en est
l’exemple le plus abouti (cas par exemple des filières sous SIQO 3). Il
en découle une concurrence inter-filières.
Au plan individuel, la filière permet d’étudier l’environnement de
l’entreprise (concurrents, réseaux amont et aval) et de préciser son
positionnement par rapport aux cinq forces de la concurrence [Porter
(1986)] : rivalité entre les entreprises présentes dans la même industrie ; pouvoir de négociation des fournisseurs ; pouvoir de négociation
des clients ; menaces des produits de substitution ; menaces de nouveaux entrants. Conformément au paradigme SCP (structure-comportement-performance) 4, ces forces déterminent les facteurs clés du succès d’une industrie, c’est-à-dire « les éléments sur lesquels se fonde en
priorité la concurrence, correspondant aux compétences qu’il est
nécessaire de maîtriser pour être performant » [Strategor (1993)].
3
4
Signe d’identification de la qualité et de l’origine : AOC ; label rouge, etc.
Modèle selon lequel la structure du marché influence le comportement et les performances des entreprises.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1886
1886
L. TROGNON
Implicitement, cela suppose la préexistence de ces facteurs et que
ceux-ci s’appliquent à toutes les entreprises appartenant à l’industrie
concernée. Dans cette approche, l’entreprise est vue à l’extrême
comme une entité sélectionnée par son environnement. Le degré de
liberté d’une entreprise, bien que limité, réside dans son choix de se
positionner sur des marchés dont elle juge les structures favorables, et
ses tentatives pour influencer son environnement, en particulier sur les
conditions de la concurrence dans l’industrie. De fait, au sein d’un secteur, la même stratégie peut être suivie par plusieurs entreprises et l’ensemble qu’elles constituent forme un groupe stratégique. L’école du
positionnement définit deux stratégies génériques possibles. L’une, la
stratégie de domination par les coûts, repose sur les concepts de courbe
d’expérience et d’économie d’échelle et consiste à offrir des produits
au meilleur prix du marché. L’autre, la stratégie de différenciation, ne
se focalise pas sur la réduction des coûts mais consiste à valoriser des
spécificités recherchées par les consommateurs pour échapper, au
moins en partie, à la concurrence en développant une situation de
monopole sur des segments de marché.
II.2. Supply chain :
une chaîne de valeur étendue pour se distinguer
À la différence de la filière, la SC n’est pas à l’origine une conception systémique théorique mais un outil opérationnel ; elle consiste en
l’identification pratique par une entreprise de sa chaîne logistique. En
revanche, par sa réification, la SC est devenue un objet dynamique sur
lequel les acteurs économiques qu’elle implique peuvent agir. C’est
l’idée du Supply Chain Management (SCM), défini comme « une fonction intégratrice dont la principale responsabilité est de relier les fonctions et processus clés au niveau intra- et inter- organisationnel pour
former un business model cohérent et hautement performant »
(CSCMP, 2007 5). De multiples autres définitions existent, expressions
des préoccupations disciplinaires, notamment logistique, marketing,
achats, management des opérations [Livolsi (2009)]. Certaines mettent
l’accent sur les processus qui lient fournisseurs et clients ou sur les
fonctions à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise qui permettent à
la chaîne de valeur de fabriquer les produits et de fournir des services
au consommateur final. Cette dernière approche, via l’ouvrage de
5 Council of Supply Chain Management Professionals (http://www.cscmp.org), traduction de N. Fabbe-Costes (2007).
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1887
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1887
Christopher (1998), a significativement influencé notre réflexion car
elle fait de la conception d’une « chaîne de valeur étendue », incorporant les chaînes de valeur de ses fournisseurs et clients, une condition
clé de succès du SCM. Cette vision globale, qui relève à part entière de
la stratégie, conserve néanmoins une dimension opérationnelle très
prégnante. Ainsi, l’optimisation de la SC consistera à planifier et
manager l’activité de l’entreprise, les achats, la production, les stocks
et la distribution des produits en se calant sur la demande des clients.
Son objectif sera de fournir le bon produit (aspects logistique et marketing) au bon moment, au bon prix et au bon client, de manière toujours profitable. L’évaluation de sa performance se résumera aux critères définissant la capacité à fournir un produit et service satisfaisant
le client, à un coût bas, et la réactivité à la demande [Christopher
(1998) ; Paché (2000)].
Cependant, la conception de la chaîne de valeur étendue ouvre une
autre perspective de la stratégie ; nombre d’auteurs considèrent en effet
que la concurrence inter-SC se substitue à celle qui oppose les entreprises. La SC serait le nouveau terrain de la compétition [Christopher
(1998)]. Cela conduit à s’intéresser à la coopération intra-SC et à la
coordination de la SC, voire à son pilotage. La prise de conscience et
l’intégration dans les pratiques de cette approche touchent plutôt les
entreprises appartenant aux grands groupes notamment de distribution.
Pourtant, en particulier dans le cadre des produits bénéficiant d’un
SIQO, c’est-à-dire de produits hautement différenciés sur le marché,
une certaine maîtrise de la chaîne d’approvisionnement et une certaine
influence sur la chaîne de distribution pourraient constituer des facteurs de compétitivité. Cette concurrence inter-SC prend toute sa
dimension dès lors qu’il s’agit pour une entreprise agroalimentaire
d’accéder à des marchés éloignés. Les grandes entreprises de distribution, qui souvent coordonnent les SC, s’inscrivent déjà dans cette perspective de compétition inter-SC et profitent de la situation de concurrence interentreprises pour bénéficier des meilleurs coûts
d’approvisionnement. Cette pratique a cependant comme limite forte
les comportements opportunistes des partenaires de la SC [Paché et
Bacus-Montfort (2002)]. La concurrence inter-SC n’exclut cependant
pas d’autres formes d’interactions entre SC, comme la coopération. Le
réseau de SC interreliées, décrit par la notion de Supply Chain Network
Economy [Zhang et al. (2003)], présente des similitudes avec la notion
de filière. Les relations collaboratives peuvent se lire, par exemple,
dans la construction, la défense et la valorisation d’une AOC, tandis
que la compétition s’observe dans le développement de certaines SC et
de leurs producteurs au sein de l’AOC.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1888
1888
L. TROGNON
Ces conceptions de la SC et leurs applications ont principalement
été dédiées aux problématiques d’entreprise de grande taille pour des
marchés de produits de grande consommation. Nos travaux empiriques
montrent cependant qu’ils mériteraient d’être étendus aux SC des plus
petites entreprises agroalimentaires, en particulier celles qui offrent
des produits fortement différenciés [Trognon (2005)]. Certaines
d’ailleurs, bien que ne connaissant pas le concept de SC, ont su développer intuitivement des pratiques qui leur permettent d’échapper partiellement à la concurrence inter-entreprises en faisant de la coordination de leurs réseaux d’approvisionnement et de distribution un facteur
clé de leur compétitivité. Cette approche plus fine du système agroalimentaire permet en outre d’enrichir la compréhension de la construction de la sur-différenciation.
Filière et SC sont devenus des outils d’analyse stratégique complémentaires. Le premier permet d’étudier le cadre d’une stratégie de différenciation et de concurrence inter-filières. Le deuxième, grâce à son
regard sur les relations clients-fournisseurs, affine significativement
l’analyse de la dynamique des acteurs au sein des filières et mériterait
d’être promu auprès des petites entreprises. Il recommande en effet de
concevoir la concurrence au niveau inter-SC, siège d’une « sur-différenciation » de l’offre. Ce constat positif amène cependant à s’interroger sur le foisonnement des différenciations produites ou annoncées.
Ne pourrait-on parler de distinction ?
III. – PILOTAGE DE LA SC ET DISTINCTION :
UNE PERSPECTIVE DE LA RESOURCE-BASED VIEW
L’idée de « sur-différenciation » considère, pour un produit donné,
l’addition d’expressions de différenciation ajoutées par les membres
de la filière-SC qui offrent ce produit. Les emballages de fromage en
sont des supports courants : marque de la fromagerie, AOC, caractère
fermier, marque ou message du distributeur affirmant sa sélection des
fournisseurs, etc. Si bien qu’au sein d’une AOC qui se veut espace de
coordination d’une différenciation, foisonnent les « sur-différenciations ».
Substituer distinction à « sur-différenciation » serait superficiel sans
paradigme alternatif pour le justifier car, « faute de conceptualisation
adéquate, les singularités, perdues au sein des produits différenciés, ne
peuvent que rester invisibles » [Karpik (2007)]. L’approche théorique
fondée sur les ressources [Arrègle et Quelin (2001)] propose un
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1889
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1889
modèle alternatif à l’école du positionnement qui reconnaît l’existence
de ressources distinctives et permet de requalifier certaines stratégies
dites de différenciation en stratégie de distinction [Marchesnay
(2003) ; Trognon (2005)]. Un tel cadre enrichit l’apport potentiel d’une
approche stratégique par la SC ; le pilotage de la SC devient un facteur
de distinction.
III.1 Vers un autre paradigme :
de la différenciation à la distinction
Pour Porter (1986), une stratégie de différenciation repose sur une
offre dont le client perçoit un caractère unique. Pourtant, l’observation
montre qu’il s’agit moins de création d’une offre inédite que d’une certaine copie d’un modèle qui « marche » et dont on aura modifié
quelques éléments pour le dire différent. Les produits de grande
consommation comme les yaourts en sont de formidables exemples.
La même conclusion s’impose pour une AOC étudiée dans une
approche filière et l’on considérera que cette filière suit une stratégie
de différenciation. Cependant, lorsque l’on s’intéresse aux entreprises
et à leurs SC au sein de telles filières, des niveaux supplémentaires de
différenciation s’ajoutent et cette sur-différenciation intègre, à des
degrés plus ou moins élevés, une certaine singularité fondée sur des
ressources spécifiques. S’agit-il d’épiphénomènes ou de faits méritant
toute notre attention ? Par ailleurs, peut-on qualifier du même mot (différenciation) une démarche globale, de niveau filière (interprofessionnelle), qui vise à inscrire une offre dans une catégorie ou à positionner
une catégorie dans une meta-catégorie, et une démarche individuelle
d’entreprise qui conduit une offre à prendre une place singulière au
sein de cette catégorie ?
L’approche théorique fondée sur les ressources (AFR) est un
modèle alternatif qui propose des pistes de réponse à ces questions et
des applications intéressantes [Trognon (2005)]. Sa critique initiale à
l’égard de l’école du positionnement (EP) tient à la nature, à l’accessibilité et au rôle que celle-ci donne aux ressources. Selon l’EP, les
firmes d’une même industrie doivent contrôler des ressources identiques pour fonder leur performance. Dit autrement, l’appartenance à
un groupe stratégique implique une perspective commune sur la
manière d’être compétitif. Une entreprise qui décide d’entrer dans une
industrie, car elle présente une « structure attractive », devra donc
identifier les actifs nécessaires et les acquérir si elle ne les possède pas
encore. L’AFR rejette cette conception car, pour elle, certains actifs,
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1890
1890
L. TROGNON
idiosyncratiques, ne peuvent s’acheter et d’autres sont particulièrement difficiles à imiter. Aussi considère-t-elle et préconise-t-elle
qu’une entreprise qui souhaite entrer dans une industrie commence par
identifier ses ressources propres puis, dans un second temps, recherche
le marché qui lui permettra le mieux de les valoriser [Teece et al.
(1997)]. Illustrons ces deux conceptions de la stratégie avec les deux
exemples suivants. Un entrepreneur qui dispose de ressources financières, de ses propres compétences et de celles qu’il peut louer, peut
décider de s’installer dans un terroir particulier car le secteur économique lui semble attractif. Il devra alors s’interroger sur l’ensemble
des actifs indispensables pour faire sa place dans ce petit monde local
et sur les marchés qu’il visera, et les acquérir. Le cas Mondavi [Torrès
(2005)] en est une illustration. Une autre démarche, relativement courante dans le secteur agricole et alimentaire est celle d’entrepreneurs
qui partent des ressources qu’ils possèdent déjà pour envisager une
autre ou une meilleure valorisation. Par exemple, un éleveur laitier
localisé en zone d’AOC peut décider de se lancer dans la production
du fromage AOC correspondant ou/et d’ouvrir une table d’hôtes. Il
pourra alors construire et faire valoir, notamment par le choix d’une
SC adaptée, la spécificité de ses ressources et la singularité de son offre
qui, ce faisant, deviendra distinctive sur un marché fortement
différencié.
La notion de ressources distinctives et la recherche de rentes fondées sur elles ont conduit à l’émergence de la notion de stratégie de
distinction [Marchesnay (2003)]. Considérant que faire valoir sa singularité n’implique pas nécessairement sortir de tout référentiel, la
notion de stratégie de distinction incorpore donc largement l’idée
d’une empreinte singulière profonde et claire comme expression de
ressources et de compétences propres à l’entreprise [Trognon (2005)].
L’observation des fondements de la distinction d’une entreprise et de
son offre montre en quoi cette notion vient opportunément affiner la
connaissance du champ qui, jadis, était exclusivement abordé en
termes de différenciation. Ainsi, chaque entreprise peut se distinguer
par la singularité de son histoire, de son encastrement social et économique dans ses réseaux (en particulier les réseaux de proximité géographique ou/et d’activités) et de ses représentations et logiques d’action propres.
III.2 Piloter sa SC pour construire sa distinction
Ici peut être évoquée l’une des études de cas de SC de PEAA élaborées dans notre projet de recherche, VinGoude. Cette SC implique
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1891
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1891
une SARL viticole, son fournisseur (le domaine familial) et quatre de
ses clients (deux restaurateurs, un négociant-caviste et un crémier). Des
résultats de son analyse, mentionnons deux domaines où une approche
par la SC s’est révélée particulièrement pertinente : la SC comme
espace de distinction et le territoire comme facteur de distinction.
– La SC comme espace de distinction
Bien que reposant sur une appellation d’origine, VinGoude se distingue par l’atypicité de ses vins qu’elle construit et affirme et dont sa
SC assure la valorisation et poursuit la construction. C’est le cas, par
exemple, du restaurateur qui met en scène la bouteille et le vin pour
offrir au consommateur une expérience singulière 6. Ainsi, si la filière
est l’espace de la différenciation, la SC est celui de la distinction. Un
choix judicieux et cohérent des chaînes d’approvisionnement et de distribution ainsi que leur coordination sont des facteurs clés d’une stratégie de distinction. Plus précisément, la SC peut constituer une organisation singulière pour véhiculer l’essence de la valeur produite par
les acteurs d’amont et incorporer celle construite par les acteurs d’aval
et, ce faisant, être elle-même facteur de distinction. La coordination de
SC par une PEAA est rare mais renforce significativement la singularité de l’offre et donc la distinction des acteurs impliqués. Elle est facilitée par des circuits courts et l’encastrement social du produit et des
acteurs qui le construisent tout au long de la SC car ceux-là maintiennent une proximité entre producteur et consommateurs. Restaurateurs
et détaillants savent en effet parler des produits et de leur origine (terroir, histoire, producteur, etc.) et incorporer leur contribution à l’offre
sans la dénaturer. Les relations qui se tissent entre les acteurs économiques donnent à l’offre une valeur particulière ; on comprend
d’ailleurs que dans cette situation, l’offre ne se réduit pas au produit
per se, aussi typique soit-il. Marsden et al. (2000) font également cette
observation. Pour eux, dans le domaine agroalimentaire, le caractère
unique et distinctif de l’offre doit être maintenu et assuré du point de
production au point de consommation, et cela peut être assuré par des
SC courtes. Toutefois, leur définition de SC courtes ne considère ni le
nombre de séquences fournisseur-client ni la distance géographique
producteur-consommateur, mais la capacité de la SC à permettre au
produit d’atteindre le consommateur « avec l’information intégrée ».
Pour eux, le rôle des relations du producteur au consommateur dans la
construction de la valeur et du sens importe plus que les considérations
6
Cf. travaux de Pine et al.. (1999).
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1892
1892
L. TROGNON
techniques du produit. In fine, on pourra dire que cet encastrement
social des acteurs et du produit, composante clé d’une stratégie de distinction, fonde sa rareté sur le marché. Les pratiques du restaurateur
parisien de VinGoude (très éloigné de l’aire d’appellation) en sont une
illustration.
– Se distinguer par le territoire
Des approches combinant territoire et filière ont été développées
dans les travaux relatifs au district industriel et ses prolongements sous
la dénomination de système productif localisé et de système agroalimentaire localisé (SYAL) [Moity-Maïzi et al. (2001) ; Muchnik et al.
(2007)]. Cependant, l’écueil de la définition d’une unité spatiale pertinente pour l’analyse de filière, tant au plan social qu’économique, a
souvent amené les auteurs à privilégier l’approche « par le marché et
le produit, entrée ‘verticale’, délibérément économique » à l’approche
« horizontale » par l’espace [Valceschini (1991)]. Cela tient peut-être
au fait que le territoire sous-entendu est rarement univoque, continu et
superposable à des espaces évidents pour l’analyste (voir notamment
les manières d’aborder le territoire dans les travaux sur les SYAL
[Muchnik et al. (2007)]). Dans le cas des produits de terroir bénéficiant
d’une indication géographique, des filières territorialisées existent et
font du territoire un critère clé de différenciation. Toutefois, le territoire en question concerne, le plus souvent, tous les acteurs de
l’amont ; ceux-là se différenciant ainsi des producteurs de produits
similaires ne bénéficiant pas de l’appellation (exemple producteurs
AOC vs producteurs hors AOC ou dont les produits sont déclassés).
Pour la SC, en revanche, la question territoriale est essentielle. La
logistique, évidemment, ne peut se départir des conditions et paramètres géographiques. Mais les observations montrent qu’au sein
d’une même filière, il est possible de distinguer différents territoires
d’entreprise et de SC et surtout, que ceux-là contribuent à la distinction
même de ces entreprises et SC et à la formation de la richesse de leur
offre sur le marché. VinGoude se distingue notamment ainsi de la SC
d’un vigneron concurrent dont la grande distribution est le principal
client. Cette organisation infra-filière, dépassant les frontières du bassin de production et répondant à d’autres logiques que celles de la
filière, a sans doute une influence sur la performance des organisations
collectives de filières sous SIQO 7. Le viniculteur de VinGoude
7
Cf. travaux de D. Barjolle (2007).
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1893
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1893
influence en effet les pratiques de ses concurrents (élevage des vins) et
défend ses positions dans le syndicat.
Ces quelques résultats illustrent l’intérêt méthodologique d’une
approche plus fine des filières agroalimentaires par l’analyse des SC
qui les composent. Ces apports résultent notamment de la focale mise
sur la relation clients-fournisseurs et la prise en compte systématique
de paramètres comme le territoire considéré.
CONCLUSION
Filière et SC permettent de décrire et de conceptualiser des soussystèmes du système agroalimentaire. Marquées par des genèses disciplinaires et méthodologiques différentes, elles se distinguent principalement par l’échelle, l’objet et les applications de leurs analyses. Leur
intérêt méthodologique, comme outils d’analyse stratégique, d’entreprise ou de sous-systèmes d’acteurs, s’est développé et enrichi au
cours du temps. Dans ce domaine, elles s’inscrivent pleinement dans le
modèle de la stratégie défendue par l’école du positionnement. La
filière partage avec ce modèle une origine commune, les travaux
d’économie industrielle, tandis que la SC, définie comme chaîne de
valeur étendue, puise dans ce modèle un concept clé élaboré pour l’entreprise. De plus, les approches filière et SC se proposent de contribuer
à la définition de stratégies de différenciation, voire de sur-différenciation, dans des relations de concurrence inter-filières et inter-SC.
La remise en question de ce modèle de la stratégie par l’approche fondée sur les ressources ouvre de nombreuses perspectives. L’introduction
des notions de singularité et de distinction permet tout d’abord d’éclaircir l’espace concurrentiel que la notion de différenciation semblait épuiser. Ainsi, alors que la différenciation vise un positionnement relatif, la
distinction procède de l’art de cultiver sa propre différence sans se marginaliser. Elle se concrétise sous la forme d’une empreinte singulière,
profonde et claire, comme expression de ressources et de compétences
propres. Dans cette dynamique, la SC n’est plus seulement un canal
véhiculant la distinction mais devient un facteur de distinction. Cette
prise de conscience, voire le pilotage de la SC, devient un enjeu fort, y
compris pour les plus petites entreprises. Ce cadre théorique accroît l’intérêt méthodologique de la SC comme outil d’analyse stratégique car il
permet d’appréhender pleinement la relation clients-fournisseurs, pierre
angulaire de toute SC, ou encore le potentiel de distinction offert par la
localisation des acteurs, le territoire.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1894
1894
L. TROGNON
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ARENA R., RAINELLI M. et al. [1988], « Filières et découpages productifs », in
Traité d’économie industrielle, Economica, Paris, p. 249-261.
ARREGLE J.L., QUELIN B. [2001], « L’approche fondée sur les ressources », in
Stratégie. Actualité et futur de la recherche / Martinet A.C., Thiétart R.A.
(eds.), Vuibert, Paris, p. 273-288.
BARJOLLE D., REVIRON S., SYLVANDER B. [2007], Création et distribution de
valeur économique dans les filières de fromages AOP, Économies et Sociétés, AG, n° 29, 9/2007, p. 1507-1524
BOSS J.F., BOUDON A. [1981], Les études filières : éléments de synthèse,
Coopération-Distribution-Consommation.
CHRISTOPHER M. [1998], Logistics and Supply Chain Management, Strategies
for Reducing Cost and Improving Service, 2nd ed., Financial Times, Prentice Hall
COMMINS P. et al. [2001], Literature review and theoretical framework. Report
1, SUPPLIERS – EU Fifth Framework Research Programme Contrat QLKCT-2000-00841, Teagasc, Dublin
FABBE-COSTES N. [2007], « La gestion des chaînes logistiques multi-acteurs :
les dimensions organisationnelles d’une gestion lean et agile », in Gestion
des chaînes logistiques multi-acteurs : perspectives stratégiques / Paché G.,
Spalanzani A. (eds.), PUG, Grenoble, p. 19-42
KARPIK L. [2007], L’économie des singularités, Gallimard, Paris
KOULYTCHIZKY S. [1985], « Analyse et stratégies de filière. Une approche nouvelle en agro-alimentaire, apports, dangers à surmonter », in L’analyse de
filière, Colloque organisé par le Centre de Recherches et d’Études Appliquées du Groupe École Supérieure de Commerce de Nantes, Economica,
Paris, p. 131-141.
LAGANIER J. [1988], « Le système productif et ses représentations », in Traité
d’économie industrielle, Economica, Paris, p. 182-232.
LAGRANGE L., TROGNON L., DESSAUX L. [2006], « La supply chain des petites
entreprises agroalimentaires : des enjeux sous-évalués. Le cas de la
France », in Sustainable Development and Globalisation of Agri-Food
Markets, AIEA2, Université Laval, Québec, p. 169-189.
LIVOLSI L. [2009], « Le Supply Chain Management. Synthèse et propositions », Colloque AIMS 2009, http://www.aims2009.org/
MALASSIS L., GHERSI G. [1992], Initiation à l’économie agro-alimentaire,
Hatier, Paris.
MARCHESNAY M. [2003], De la rente de différenciation à la rente de singularité, Atelier Entrepreneuriat Grand Sud, ESC Toulouse, mai 2003.
MARSDEN T., BANKS J. et al. [2000], « Food Supply Chain Approaches: Exploring their Role in Rural Development », Sociologia Ruralis, vol. 40, 4, p.
424-438.
MOITY-MAÏZI P., DE SAINTE MARIE C. et al. (ed.) [2001], Systèmes agroalimentaires localisés : terroirs, savoir-faire, innovations, INRA, Paris.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1895
FILIÈRE, SUPPLY CHAIN ET STRATÉGIE DE DISTINCTION
1895
MONTIGAUD J.C. [1989], « Les filières de fruits et légumes et la grande distribution : méthodes d’analyse et résultats », in Économie des filières des
régions chaudes. Actes du 10e séminaire d’économie et sociologie, Montpellier.
MORVAN Y. [1985], « Analyse de filière et économie industrielle », in L’analyse de filière, Economica, Paris.
MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007],
« Introduction : Les systèmes agroalimentaires localisés (SYAL) », Économies et Sociétés, AG, n° 29, 9/2007, p. 1465-1484.
PACHÉ G. [2000], « Repérer les évolutions du canal logistique : quelques
enjeux majeurs dans une perspective marketing », Convegno « Le tendenze
del marketing in Europa », Università Ca’ Foscari Venezia, 24 nov. 2000.
PACHÉ G., BACUS-MONTFORT I. [2002], « Fédérer des entreprises autour d’un
projet productif commun : management logistique intégré et choix de partenaires », Économie et SociétéS, série « Économie de l’entreprise », « réactivée », K, n° 12, mai, p. 821-843.
PINE J., GILMORE J. [1999], The Experience Economy, Harvard Business
School Press, Boston.
PORTER M. [1986], L’avantage concurrentiel, InterEditions, Paris.
RAINELLI M. [1988], « Les filières », in Traité d’économie industrielle, Economica, Paris, p.233-237.
ROY J., LANDRY S., BEAULIEU M. [2006], « Collaborer dans la chaîne logistique : où en sommes-nous ? », Revue Internationale de Gestion, vol. 31,
n° 3.
STRATEGOR [1993], Stratégie, Structure, Décision, Identité. Politique générale
de l’entreprise, 2e éd., InterEditions, Paris.
TEECE D.J., PISANO G. et al. [1997], « Dynamic Capabilities and Strategic
Management », Strategic Management Journal, 18, 7, p. 509-533.
TIXIER D., MATHE H., COLIN J. [1983], La logistique au service de l’entreprise.
Moyens, mécanismes et enjeux, Dunod, Paris.
TORRÈS O., YAOUANC D. [2005], La guerre des vins : l’affaire Mondavi – Mondialisation et terroirs, Dunod, Paris.
TROGNON L. [2005], Contribution à l’étude des stratégies de la petite entreprise agro-alimentaire. Stratégie de distinction par la construction de la
typicité, Thèse Sciences de gestion, Université de Montpellier I, ENITA
Clermont. http://halshs.archives-ouvertes.fr/
VALCESCHINI E. [1991], « Exploitation, Filière et Méso-Système », in Modélisation systémique et système agraire / Brossier J., Vissac B., Le Moigne
J.L., Hubert B., Osty P.L., Valceschini E., INRA, Paris, p. 269-282.
ZHANG D., DONG J., NAGURNEY A. [2003], « A supply chain network economy:
Modeling and qualitative analysis », in Innovations in Financial and Economic Networks / Nagurney A. (ed.), E. Elgar, Cheltenham, p. 195-211.
16•Trognon
27/10/09
8:12
Page 1896
17•Intercalaire IV
30/10/09
7:26
Page 1897
2. Expertises et libres propos
17•Intercalaire IV
30/10/09
7:26
Page 1898
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1899
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1899-1912
Filières d’approvisionnement
en ignames de Douala
et changements technologiques
Ludovic Temple,
CIRAD, UMR 1110 Moisa
Sylvain Bertelet Ngassam,
Université de Dschang (Cameroun)
Guy Blaise Nkamleu,
Banque Africaine de Développement, Tunis
Cette étude teste l’hypothèse selon laquelle les conditions d’accès
aux marchés sont suffisamment incitatives pour encourager les transformations techniques de l’agriculture vivrière concernant l’igname
au Cameroun. Elle mobilise une démarche d’analyse de filière dans un
contexte de sources d’informations hétérogènes. Elle révèle des dysfonctionnements dans l’augmentation des coûts et des marges commerciales en période de pénurie saisonnière. Elle démontre en quoi ces
dysfonctionnements expliquent pour partie l’inertie technologique des
systèmes productifs.
The main hypothesis of this study is that market access conditions
are incentive enough to develop the technical transformation of yam
food production in Cameroon. The study is carried out using supply
chain analysis in a context of heterogeneous sources of informations.
It reveals dysfunctions in the increase of costs and commercial margins
in the period of seasonal shortage. It shows how these dysfunctions are
partially responsible of technological inertia of production systems.
18•Temple, Bertelet
1900
27/10/09
8:15
Page 1900
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
INTRODUCTION
L’agriculture vivrière des pays moins avancés (PMA) est soumise à
plusieurs sollicitations qui vont s’accroître dans les décennies à venir
[World Bank (2007)]. La première porte sur la nécessité d’augmenter
ses performances productives pour répondre aux objectifs de sécurité
alimentaire et de démographie exponentielle. La deuxième implique de
réaliser cet accroissement de productivité par des innovations technologiques différentes des trajectoires d’intensification en intrants chimiques et d’énergie 1. La troisième renvoie aux contributions de cette
agriculture à la lutte contre la pauvreté par la création de revenus dans
les zones rurales et dans l’approvisionnement alimentaire des populations urbaines. Cette agriculture vivrière en Afrique centrale est fondée
sur les amylacées tropicaux : les plantains, bananes à cuire [Temple et
al. (1996)] et les tubercules : manioc, macabo, igname. Elle mobilise
une fonction technique de production caractérisée par une efficacité
faible de ses performances techniques [Nyemeck et al. (2006)]. Plusieurs hypothèses sont posées pour expliquer cette inertie technologique dont la mauvaise répercussion des incitations de marché aux producteurs. Nous testons cette hypothèse sur l’igname au Cameroun qui
présente des potentialités dans sa contribution à la lutte contre la pauvreté [Bricas et al. (2003)]. L’igname qui fait l’objet de nombreuses
recherches techniques [Ngeve (1998) ; Soro et al. (2003)] est en effet
oubliée des recherches en sciences sociales [Dumont et al. (1994)].
Dans un contexte d’incomplétude des statistiques mobilisables, nous
retenons une démarche de filière [Lauret et al. (1992)] qui pose pour
hypothèse structurante que le découpage méso-analytique du réel
autour d’un produit fait suffisamment sens du point de vue systémique.
Cette acception finalise l’analyse sur l’économie des relations verticales concernant un produit, sur un marché cible. Elle met en complémentarité différents diagnostics pour créer une connaissance systémique sur les facteurs limitants, les opportunités dont la réalisation
permettrait d’améliorer les capacités d’ajustement de la production aux
sollicitations de la demande. Elle conduit à caractériser les coordinations entre les acteurs des filières et à analyser leurs performances
comparées du point de vue de la répercussion de la demande urbaine
aux producteurs. Cette démarche spatialise en premier lieu un système
d’approvisionnement polarisé par un marché urbain à partir du recou1 Les conditions d’obtention de ces intrants sont de plus en plus coûteuses et les
externalités environnementales de leurs utilisations (pollution, effet de serre, raréfaction
des ressources) de plus en plus contestées.
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1901
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
1901
pement de données secondaires : Institut national de la statistique
(INS) au Cameroun, FAO, Programme national de développement des
racines et tubercules (PNDRT). Nous y caractériserons les systèmes
productifs dans lesquels s’insère la production d’igname. Dans un
deuxième temps, nous analyserons le fonctionnement de cette filière à
partir d’une enquête en face à face conduite 2 entre mars et août 2007
sur un échantillon de 60 acteurs de la commercialisation dans les provinces du littoral et du Sud-Ouest.
I. – DU DIAGNOSTIC GLOBAL AUX STRUCTURES DE LA FILIÈRE IGNAME
Une demande explosive, mais des systèmes productifs « atones »
Le Cameroun connaît depuis plus d’une décennie une forte augmentation de sa population urbaine : la ville de Douala a un rythme
d’accroissement parmi les plus élevés d’Afrique centrale. L’igname
étant un bien alimentaire à élasticité-revenu positive, la demande est en
constante augmentation. Ces deux observations, selon certains auteurs
[Cour (2004)], remplissent les conditions nécessaires à une transformation des systèmes de production vivriers par une intensification qui
accroît la productivité. Les statistiques mobilisables révèlent (tableau
1) une augmentation de la production vivrière mais surtout d’ignames,
non proportionnelle à celle de la population. La disponibilité en
ignames par habitant a diminué significativement (28 kg en 1999,
16 kg en 2005). Pourtant les superficies cultivées (28 000 ha en 2000)
ont augmenté depuis 2005 à un taux annuel moyen de 6,6 % supérieur
à celui de la production. Ces observations montrent le maintien du
caractère extensif des systèmes de production avec une stabilisation
des rendements autour de 7 tonnes à l’hectare [MINADER (2005)].
Les expérimentations agronomiques en station [IITA (2005)] permettent d’obtenir jusqu’à 30 tonnes/ha. Selon ces observations, la révolution verte n’a pas eu lieu sur l’igname au Cameroun.
Des évolutions de prix instables qui interrogent l’efficacité des
filières
L’analyse chronologique des séries de prix [Temple et al. (2003)]
sur les marchés de Douala révèle une forte saisonnalité des prix (figure
1) avec une période de prix élevés entre les mois de janvier et de juin
2
Enquêtes menées dans le cadre du projet IFAD finance par l’IITA et le PNDRT.
18•Temple, Bertelet
1902
27/10/09
8:15
Page 1902
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
TABLEAU 1
Structure de la production des ignames au Cameroun
Années
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Production*
en tonnes
261650
262610 (0,37)
311353 (18,56)
280330 (–9,96)
286494 (2,20)
292796 (2,20)
Superficie* Rendement Disponibilités en Pression
en hectares tonnes/ha
kg/habitant
[1]fiscal
28038
35175 (25)
35877 (2)
36595 (2)
37327 (2)
38059 (1,9)
9,33
7,46
8,67
7,66
7,67
7,69
17,1
16,7
19,3
16,9
16,8
16,7
16,4
18,0
18,2
17,0
18,0
18,6
* les données entre parenthèses représentent les taux de croissance annuels moyens
Source : Données de base PNDRT 2005, antenne de Douala, calculs auteurs.
(période de pénurie) et de prix bas entre juillet et décembre (période
d’abondance). Elle montre aussi une instabilité des prix plus forte pendant les périodes de pénuries saisonnières 3 (figure 2). Cet accroissement de l’instabilité dans les périodes de baisse saisonnière des prix
est aussi constaté sur les marchés internationaux [Geronimi et al.
(2007)]. Au Cameroun, des travaux sur les amylacées soulignent une
augmentation du différentiel de prix entre la production et la consommation liée à la croissance des coûts de commercialisation et des
marges commerciales [Nkendah et al. (2007)]. Ces marges sont par
hypothèse explicatives de l’accroissement de l’instabilité des prix.
Or de nombreux auteurs démontrent que cette instabilité génère des
risques pour les producteurs qui investissent peu dans les adaptations
technologiques d’intensification de la production [Boussard et al.
(2006)].
Structures du système d’approvisionnement en ignames de
Douala
En utilisant les enquêtes de consommation, on peut extrapoler les
volumes qui approvisionnent la ville de Douala à environ 15 000
tonnes. Le Sud-Ouest et le littoral sont les principales provinces d’approvisionnement de Douala [Hatcheu (2003)]. Les transactions se réalisent sur différents lieux : bords champs, bordure des axes routiers,
3 Les écarts types des prix sont plus élevés en période de pénurie et les différences
de moyennes des prix sont significatives entre les deux périodes (tests de Fisher, Levene,
Batlet) sur la majorité des années observées entre 2001 et 2007. Nous remercions
V. Meuriot (Cirad) pour son appui à la réalisation des tests.
Prix Fcfa/kg
0
100
200
300
400
500
600
700
800
900
1000
01/12/1993
01/12/1994
01/12/1995
Source
Données : INS, Graphique auteurs.
FIGURE 1
Tendance et instabilité prix igname frais au Cameroun
01/12/1996
01/12/1997
01/12/1998
01/12/1999
01/12/2000
01/12/2001
01/12/2002
01/12/2003
01/12/2004
01/12/2005
01/12/2006
01/12/2007
Yaoundé
Garoua
Douala
Bamenda
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
1903
Page 1903
Indice saisonnalité prix igname à Douala
60
70
t
Da
e
Ja
ie
nv
r
ie
vr
é
F
r
ril
Av
ai
M
n
i
Ju
t
lle
i
Ju
t
ou
A
e
br
em
pt
Se
FIGURE 2
Saisonnalité des prix de l’igname à Douala
s
ar
M
t
Oc
re
ob
m
ve
No
e
br
m
ce
Dé
e
br
8:15
80
90
27/10/09
100
110
1904
120
130
140
18•Temple, Bertelet
Page 1904
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1905
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
1905
marchés physiques. Les acteurs qui interviennent dans l’acheminement du produit des champs aux consommateurs concernent :
– Les producteurs qui vendent directement aux demi grossistes, aux
grossistes, ou aux détaillants dans la première ou deuxième mise
en marché.
– Les demi-grossistes à l’interface producteur-grossiste qui collectent des petites quantités pour les revendre aux grossistes sur les
marchés de gros terminaux ou secondaires.
– Les courtiers qui travaillent conjointement pour des grossistes et
des producteurs en leur fournissant les informations sur les disponibilités et les prix.
– Les collecteurs qui travaillent pour les grossistes qui leur confient
argent et emballages pour l’achat des produits qu’ils peuvent
transporter eux-mêmes ou se faire livrer.
– Les grossistes qui, en période d’abondance, s’approvisionnement
sur les marchés physiques et, en période de pénurie, à travers des
réseaux marchands.
– Les détaillants (75 % de femmes) qui achètent soit auprès des
grossistes en période de pénurie, soit aux producteurs en période
d’abondance et revendent aux consommateurs.
– Les transporteurs et chargeurs : du champ au lieu de rassemblement du produit, des marchés villageois aux marchés de gros ; des
marchés de gros en zone rurale aux marchés de gros urbains.
Ce système se schématise par deux circuits en interactions. Un circuit
dans lequel la production commercialisée transite par les marchés de
production. Les détaillantes des marchés urbains, les grossistes achètent
sur ces marchés qui sont approvisionnés soit directement par les producteurs soit par des courtiers. Un circuit plus opaque d’approvisionnement des grossistes urbains par des réseaux de demi grossistes, courtiers
sans transfert de la production sur les marchés physiques.
En période d’abondance saisonnière de l’offre, le premier circuit
fonctionne de manière dominante. En période de pénurie saisonnière,
la raréfaction des disponibilités sur les marchés physiques augmente
les risques pour les détaillantes qui renoncent à s’approvisionner sur
les marchés de production. Le deuxième circuit devient dominant et les
marchés de production ne jouent qu’un rôle éventuel de transit des lots.
Les transactions commerciales se réalisent majoritairement au sein des
réseaux mis en place par les grossistes qui limitent les incertitudes
transactionnelles liées à la rareté du produit.
18•Temple, Bertelet
1906
27/10/09
8:15
Page 1906
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
II. – FONCTIONNEMENT DE LA FILIÈRE :
LES MODES DE COORDINATION DOMINANTS DES ACTEURS
Les grossistes (8,6 % des acteurs) par qui transitent 80 % de la production commercialisée sont au centre du système de pilotage des
approvisionnements. Leurs stratégies varient en fonction des périodes
(abondance ou pénurie).
Stratégies d’approvisionnement et de distribution des grossistes
en ignames
Les producteurs et les grossistes sont liés par des relations sociales
complexes et accords commerciaux multiformes (tableau 2) mobilisant
des contrats liés qui préfinancent la production (15,4 %), la vente à crédit (50 %), les quantités à livrer (76,9 %), la qualité 4 à livrer (84,6 %)
et les prix de réalisation de la première mise en marché (57,7 %).
TABLEAU 2
Typologie des accords entre producteurs et grossistes
Types d’accords
Préfinancement production
Vente à crédit
Quantités à livrer
Qualités à livrer
Prix de vente
Effectifs
%
8
26
40
44
30
15,4
50,0
76,9
84,6
57,7
Sources : PNDRT/IITA 2007
Ces contrats sécurisent les approvisionnements en diminuant les
coûts de transaction dans la collecte des produits en période de pénurie. Ils assurent aux producteurs les débouchés dans une période où
l’accès aux marchés physiques est plus difficile du fait de la saison des
pluies qui culmine en juillet-août 5. Si les prix sont connus à l’avance
par les producteurs, ils sont très inférieurs à ceux observés sur les marchés physiques. Le différentiel de prix moyen aux producteurs entre
les transactions faisant intervenir des engagements contractuels
(184 FCFA/kg) et les transactions sur les marchés physiques
4 Aspect physique du produit : tubercules sans blessure, facile à transporter et limitant les pertes lors du trajet.
5 De juin à fin août, les fortes pluies dégradent les pistes secondaires.
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1907
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
1907
(258 FCFA/kg) atteint 40 %. Les grossistes, pour ces contrats, font
souvent appel aux collecteurs compte tenu du caractère atomisé de la
production d’ignames. Ils passent une commande à un négociant qui se
charge de collecter et livrer le produit. Dans ces réseaux marchands,
les relations personnelles et les obligations qui en découlent sont
essentielles pour fidéliser les fournisseurs. Elles sont une barrière à
l’entrée pour de nouveaux grossistes. Ces réseaux jouent aussi le rôle
de systèmes d’information informels [Galtier et al. (2003)] qui fournissent une information sur mesure (précise, complète et en temps
réel).
Lorsque les détaillants ont suffisamment de capital et un espace de
stockage, ils s’approvisionnent directement sur les marchés physiques
(Penda Mboko) en période d’abondance. Majoritairement des femmes
(84 %), faiblement dotées en capital nécessaire à l’acquisition des
stocks et ne disposant pas d’emplacements de vente pour 80 % d’entre
elles, ces détaillants peuvent bénéficier de la mise à disposition par les
grossistes d’un espace et d’un stock de produits à un prix fixé à
l’avance et qui sera payé une fois le produit vendu. Le détaillant qui
reçoit « espace » et « produit » à crédit peut difficilement négocier les
prix et diversifier ces sources d’approvisionnement. Ces marges sont
en général réduites [Moustier (1998)].
Les grossistes, de par leurs stratégies, pilotent le système amont et
aval de l’approvisionnement urbain à travers leurs emprises aussi bien
sur les producteurs (achat à prix faible, fixé à l’avance, surtout en
période d’abondance) que sur les détaillants (vente à prix élevé).
Coûts et marges de commercialisation,
un indicateur du fonctionnement des filières ?
Une hypothèse retenue sur le faible ajustement des systèmes productifs aux sollicitations des marchés porte sur le fonctionnement du
système de commercialisation qui génère des instabilités de prix.
Ayant constaté une instabilité des prix plus forte en période de pénurie, nous avons analysé la structure des coûts de commercialisation
puis comparé l’évolution des marges de commercialisation entre les
périodes d’abondance et de pénurie sur deux années.
L’évolution structurelle des coûts de commercialisation
L’insuffisance des moyens de transport, la qualité des routes, la
pression fiscale, les prix de l’essence en augmentation constante au
Cameroun, les vignettes automobiles, les tracasseries policières
18•Temple, Bertelet
1908
27/10/09
8:15
Page 1908
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
conduisent à une augmentation continue des coûts de transport dans le
commerce des vivriers [Dury et al. (2004)]. Nous vérifions cette observation sur l’igname, pendant la période étudiée (tableau 3). Les coûts
de transport avec 43 % des coûts de commercialisation sont les plus
importants, on note ensuite l’importance de l’augmentation des coûts
induits par les taxes qui sont passés de 3 % du prix à 16 % en deux ans.
Enfin le poste stockage et perte souligne les difficultés logistiques de
la filière susceptible d’améliorations technologiques.
TABLEAU 3
Structure et évolution des coûts de commercialisation par kg
Dépenses
Transport
Ticket quai
Manutention
Stockage
Nettoyage
Taxes
Pertes
Total
2003
Montants (en FCFA)
%
2005
Montants (en FCFA)
%
18,4
4
3,4
12,3
0,3
1,8
9,1
49,3
37,3
8,1
6,9
25,0
0,6
3,7
18,5
100,0
23,3
2,14
2,14
8,57
0,29
8,57
8,13
53,14
44,0
4,0
4,0
16,0
1,0
16,0
15,0
100,0
Source : Données de base PNDRT 2005, antenne de Douala, calculs auteurs.
Les pertes (qui pèsent sur les coûts de transport) varient entre 13 et
50 % selon les transactions (en fonction de la durée de conservation) du
fait de l’état des routes et d’une logistique de stockage inexistante. La
conservation de l’igname à même le sol expose le produit aux rongeurs
et aux maladies. Elle est peu adaptée à la forte teneur en eau du produit.
L’augmentation des coûts de commercialisation 6 explique pour partie une mauvaise répercussion des incitations de la demande urbaine
dans les zones de production ; explique t-elle l’augmentation du différentiel des prix payés par le consommateur, avec ceux perçus par les
producteurs ?
Comparaison des marges commerciales
entre les périodes de pénurie et d’abondance
En calculant une moyenne entre les années 2003 et 2004, nous comparons entre la période de pénurie et la période d’abondance comment
6 Or l’accroissement des volumes commercialisés vers les villes est susceptible de
permettre des économies d’échelle logistiques et diminuer les coûts de transport.
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1909
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
1909
évoluent les marges commerciales et, par hypothèse, la répercussion
des incitations de prix aux producteurs. L’analyse a porté sur les
marges brutes sur la période considérée 7. Elle montre que la raréfaction saisonnière de la production se traduit par une augmentation du
prix aux consommateurs (marché central de Douala) plus que proportionnelle aux producteurs (marché de Mbongue) du fait de l’accroissement important des marges de commercialisation (tableau 4). Nous
avons vu qu’elle correspond à une augmentation de l’instabilité du
marché en période de pénurie.
TABLEAU 4
Structure des marges de commercialisation de l’igname
par période à Douala
Moyenne 2003-2005
Abondance
Pénurie
Différence
Novembre-février Mars-octobre Cfa/kg
Prix producteur
Coûts de commercialisation
Prix consommateur
Marge commerciale
Taux de marge
201
51
351
150
0,75
257
53
444
188
0,73
55
2
93
38
Sources : Auteurs à partir des données PNDRT Littoral (2005)
Les goulets d’étranglement 8 de la filière
Dans un contexte d’instabilité des prix, les producteurs d’ignames
maintiennent leurs itinéraires techniques extensifs fondés sur la mise
en valeur continue de nouvelles terres. Cette stratégie atteint cependant
ses limites. Dans le Sud-Ouest et le littoral, qui approvisionnent majoritairement les villes de Douala, Buéa, Kumba, l’agriculture industrielle (banane, hévéa, palmier) et la pression démographique créent
une concurrence de plus en plus forte sur les terres fertiles. Les producteurs d’ignames dans le Sud-Ouest, majoritairement allochtones
(originaires des provinces du Nord-Ouest, Ouest et Nigeria) ont un
7 Un calcul en terme de « marge nette » prenant en compte les coûts fixes aurait
impliqué de disposer des volumes annuels de transaction pour chaque type d’acteur,
information non produite par l’enquête.
8 Un « goulet d’étranglement » localise un lieu organisationnel dans la filière où
apparaît une pénurie (saisonnière ou structurelle) de la production qui oriente la
recherche des facteurs limitants.
18•Temple, Bertelet
1910
27/10/09
8:15
Page 1910
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
accès difficile aux terres et se contentent de produire l’igname, à titre
temporaire parfois, sur des anciennes bananeraies dont ils ne sont pas
propriétaires 9. Suite au conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigeria, beaucoup de nigérians producteurs se sont vus déposséder des
terres à cultiver. Enfin, beaucoup de travaux agronomiques soulignent
le facteur limitant que pose l’accès à des semences saines.
CONCLUSION
Le fonctionnement de la filière igname se caractérise par l’augmentation des coûts de transport et un accroissement des marges de commercialisation en période de pénurie saisonnière. Plusieurs explications ont été identifiées, comme : l’atomisation spatiale et
micro-économique de la production, la difficulté des marchés physiques à jouer leur rôle structurant d’organisation des transactions en
période de pénurie, la structure oligopolistique qui caractérise la première mise en marché, l’augmentation de la taxation sur le transport
des vivriers. Il s’ensuit des prix aux producteurs qui augmentent peu et
une opacité en fonction des différentes formes de transaction. On note
également une forte instabilité des prix au consommateur et une augmentation saisonnière importante qui pénalise la compétitivité de cette
filière par rapport à des productions alimentaires importées (blé, riz).
L’intensité de la demande étant peu perçue par les producteurs, ils sont
peu incités à innover dans l’intensification de leurs systèmes de production qui induit une dépendance au marché. Or cette intensification
(susceptible de diminuer les contraintes phytosanitaires) pourrait
contribuer à une meilleure régularité de la production et à une diminution de l’instabilité des prix. Les systèmes productifs sur l’igname
maintiennent un caractère extensif de la production et répondent difficilement à l’explosion de la demande urbaine régionale au Cameroun.
Des innovations organisationnelles et techniques dans la commercialisation permettant de diminuer les coûts et les marges de commercialisation sont susceptibles d’accroître la rémunération des producteurs et
d’accélérer l’innovation. Leur mise en place suppose de mieux expliciter les conditions dans lesquelles ces organisations sont susceptibles
de réaliser des économies d’échelle dans un contexte d’atomisation
forte de la production. Ce diagnostic devrait mieux hiérarchiser les
9 Des interrogations pèsent sur la pollution possible par la chloredecone des terres
anciennement cultivées par la banane dans la province du Littoral qui concourt à près de
80 % à l’approvisionnement en ignames de Douala.
18•Temple, Bertelet
27/10/09
8:15
Page 1911
FILIÈRES D’APPROVISIONNEMENT EN IGNAMES DE DOUALA
1911
autres déterminants des changements technologiques : accès à la terre,
au travail, aux semences et aux connaissances pour la réalisation d’une
intensification écologique.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BOUSSARD J.M., GÉRARD F., PIKETTY M.G., AYOUZ M., VOITURIEZ T. [2006],
« Endogenous risk and long run effects of liberalization in a global analysis framework », Economic modelling, n° 3, vol. 23, p. 457-475.
BRICAS N., NJOUENKEU R., KAMENI A., CERDAN C. [2003], « Manger l’igname
autrement », in Savanes africaines : des espaces en mutation, des acteurs
face à de nouveaux défis. Actes de colloque, Garoua, Cameroun.
COUR J.M. [2004], « Peuplement, urbanisation et transformation de l’agriculture : un cadre d’analyse démo-économique et spatial », Cahiers Agricultures, vol. 13. n° 1, p. 158-165.
DURY S., MEDOU J.C., FOUDJEM TITA D., NOLTE C. [2004], « Limites du système local d’approvisionnement alimentaire urbain en Afrique subsaharienne : le cas des féculents au Sud-Cameroun », Cahiers Agricultures, vol.
13, n° 1, p. 116-124.
DUMONT R., HANON P., SEIGNOBOS C. [1994], Les ignames au Cameroun,
Cirad-Ca Montpellier (Repères).
GALTIER F., EGG J. [2003], Le paradoxe des systèmes d’information des marchés : une clef de lecture issue de l’économie institutionnelle et de la théorie de la communication, Working Paper UMR Moisa, n° 2.
GERONIMI V., MATHIEU L., TARANCO A. [2007], « Les cours internationaux des
produits agricoles : tendances et cycles », in La régulation des marchés
agricoles internationaux / Boussard J.M., Delorme H., L’Harmattan, p. 44.
HATCHEU E.T. [2003], L’approvisionnement et la distribution alimentaire à
Douala (Cameroun) : logiques sociales et pratiques spatiales des acteurs,
Thèse, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne.
IITA [2005], Participatory Evaluation, Multiplication and Distribution of
Improved varieties of Dioscorea Rotundata and D. Cayenensis in Cameroon, Rapport IITA, Cameroon.
LAURET F., PEREZ R. [1992], « Méso analyse et économie agro-alimentaire »,
Économies et Sociétés, A.G. n° 21, p. 99-118.
MINADER [2005], Document de Synthèse de l’étude de Base sur les Racines et
Tubercules, Ministère de l’Agriculture, Programme National de Développement des Racines et Tubercules, Yaoundé (Cameroun).
MOUSTIER P. [1998], « Offre vivrière et organisation des échanges : problématique générale », in Contrats et concertation entre acteurs des filières
vivrières, Inter-Réseaux, Paris, p. 9-17.
NKENDAH R., BEATRIC C., NZOUESSIM B.C., TEMPLE L. [2007], « Economic
analysis of the spatial integration of plantain markets in Cameroon », African Journal of Economic Policy, n° 1, vol. 14, p. 57-83.
18•Temple, Bertelet
1912
27/10/09
8:15
Page 1912
L. TEMPLE, S. BERTELET NGASSAM, G. BLAISE NKAMLEU
NGEVE J.M. [1998], « L’igname au Cameroun : contraintes de production,
acquis de la recherche et perspectives pour l’avenir », in L’igname plante
séculaire et culture d’avenir, Actes de séminaire international, Cirad,
Montpellier.
NYEMECK B.J., NKAMLEU G.B. [2006], « Potentiel de productivité et efficacité
technique du secteur agricole en Afrique », Canadian Journal of Agricultural Economics, n° 3, vol. 54, p. 361-377.
SORO D., DAO DAOUDA, CARSKY R., ASIEDU R., ASSA A. [2003], « Amélioration de la production de l’igname à travers la fertilisation minérale »,
in Savanes africaines, Actes de colloque, Université Ngaoundéré, Garoua,
p. 7.
TEMPLE L., DURY S. [2003], « Instabilité du prix des vivriers et sécurité alimentaire urbaine au Cameroun », Série Urbanisation, alimentation et
filières vivrières, n° 6, Cirad, Montpellier, p. 21.
TEMPLE L., CHATAIGNER J., KAMAJOU F. [1996], « Le marché du plantain au
Cameroun, des dynamiques de l’offre du fonctionnement du système de
commercialisation », Fruits, vol. 51.
WORLD BANK [2007], L’agriculture au service du développement, Rapport sur
le développement dans le monde, Banque Mondiale, Washington.
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1913
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1913-1922
Dynamique des filières cotonnières en Afrique
Philippe Hugon,
Université Paris X Nanterre
La valeur heuristique de la filière ou de la méso-économie est
controversée. La méthode proposée suppose de partir d’un découpage
analytique pour comprendre les interdépendances systémiques. Cet
article illustre cette problématique en prenant le cas des filières coton
en Afrique. La démarche inductive décrit les dynamiques des filières
coton en Afrique francophone (I) avant de les mettre à l’épreuve de
plusieurs argumentaires permettant de comprendre les dynamiques
des méso-systèmes (II).
The heuristic value of commodity chain or meso-economy is debatable. The proposed method implies to depart from an analytical study
in order to understand systemic interdependencies. This article illustrates this problem in the context of the cotton commodity chain in
Africa. The inductive procedure describes the dynamics of cotton commodity chain in French Speaking Africa (I) before testing these evolutions by a meso-systemic approach (II).
19•Hugon
27/10/09
1914
8:17
Page 1914
P. HUGON
La valeur heuristique de la filière ou de la méso-économie est
aujourd’hui controversée. Certains considèrent qu’elle renvoie à une
simple description de transformation de produits et non à une conceptualisation. D’autres y voient une représentation volontariste faisant
abstraction des lois du marché, des interdépendances économiques (à
la différence des MEGC) et justifiant des politiques publiques et interventionnistes de développement. Certains considèrent que les
approches nord américaines en termes de global chain value ou de global commodity chain sont des substituts ; celles-ci analysent les systèmes industriels dans un contexte de mondialisation en partant des
marchés du Nord et en se focalisant sur les questions de délocalisation,
de décomposition des processus productifs industriels, de sous traitance dans un contexte global [Gereffi (1995) ; Bair (2005)].
Nous pensons, au contraire, que l’intérêt de l’approche filière est de
prendre en compte les interdépendances entre les jeux d’acteurs disposant de pouvoirs asymétriques en référence à des relations intersectorielles hiérarchisées et à des institutions. Nous définissons la filière ou
méso-système [Hugon (1989, 1994)] comme « un ensemble structuré
de transformation de biens par des opérations d’acteurs, de modes de
coordination (par les prix de marché, par les conventions, par les
contrats, par les règles et réglementation), de modes de régulation
(domestique, marchand, capitaliste, administré). Le déploiement des
stratégies des acteurs (firmes, offices publics, paysanneries, pouvoirs
publics) chargés des opérations se caractérise par une régulation du
fonctionnement de la chaîne ; celle-ci est pilotée par une concertation
entre plusieurs acteurs ou l’un d’entre eux ayant une position hégémonique ». Les filières se définissent selon un rapport espace/temps en
fonction de leurs échelles (locale, régionale, nationale, internationale),
de l’horizon temporel (court, long terme, viager, intergénérationnel) et
selon leur mode spécifique de régulation.
Notre démarche est inductive en partant des descriptions des dynamiques des filières coton en Afrique francophone (I) avant de les
mettre à l’épreuve de plusieurs argumentaires analytiques permettant
de comprendre les dynamiques de méso-systèmes (II).
I. – LES FILIÈRES COTONNIÈRES AFRICAINES : DE L’INTÉGRATION
À LA LIBÉRALISATION ET À DES COORDINATIONS MARCHANDES
Le cas du coton en Afrique zone franc (AZF) est révélateur des
enjeux économiques et géopolitiques et de la complexité de la filière
de « l’or blanc ».
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1915
DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE
1915
I.1. L’organisation de la filière coton intégrée en Afrique zone franc
I.1.1. Une réussite économique remarquable contrastant
avec la marginalisation de l’Afrique
Le coton africain a une importance stratégique pour de nombreuses
économies nationales (Burkina Faso, Mali, Tchad) ou régionales
(Nord Côte-d’Ivoire ou Nord Cameroun). Destinée principalement à
l’exportation et vendue aux négociants et non aux filateurs (90 % de la
production est consacrée à l’exportation), la culture de coton assure
des revenus monétaires réguliers à la population rurale. La culture du
coton, principale source des revenus des paysans en région sahélienne,
est également un outil de modernisation, de diversification, de financement des activités sociales et de structuration du monde paysan. Elle
assure une sécurité alimentaire et permet de financer les dépenses
sociales tout en jouant un effet multiplicateur en milieu rural. La
concurrence avec les cultures céréalières (sorgho, par ex.) ne concerne
que certains facteurs (eau, terre voire travail). Au niveau macro économique, le coton apporte à l’État des recettes budgétaires et des devises.
On peut parler de multifonctionnalité du coton dans les pays sahéliens.
I.1.2. Une organisation en filière intégrée et administrée
Les partisans de l’intégration de la filière mettent en avant les
normes de qualité, la compétitivité et l’efficience du processus de production. D’autres fonctions résultent du prix unique (pan territorialité)
jouant un rôle d’aménagement du territoire dans les zones cotonnières,
des transactions liées entre l’accès aux intrants et aux pesticides et la
vente garantie des produits à des prix déterminés ou de l’encadrement
technique et la vulgarisation ont conduit à une grande réussite du
coton. Celui-ci apparaît ainsi comme une culture sûre dans un environnement incertain. L’intégration industrielle des filières et la coordination administrative ex ante ont de nombreux avantages (efficacité
des opérations, motivation des opérateurs, continuité des flux physiques et financiers, absence de risque pour le paysan et stabilité des
prix et des flux d’achat et de vente). Elle permet ainsi la prévisibilité
des prix et des flux et réduit le risque ou l’incertitude des producteurs.
Elle réduit les coûts de transactions et de gestion. Elle assure un horizon temporel long pour que les agents puissent faire des anticipations
raisonnables et avoir l’apprentissage de comportements productifs.
La justification de la coordination administrative ou centralisée
renvoie également aux défaillances du marché justifiant les produc-
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1916
1916
P. HUGON
tions publiques (externalité) mais également à son incomplétude pour
réaliser une allocation des ressources et une innovation technologique.
L’organisation de la filière a ainsi conduit, notamment en Afrique francophone, à une internalisation par rapport au marché. Les sociétés
d’intervention, avec l’appui des bailleurs de fonds, jouaient également
un rôle central. Les filières coton ont historiquement fait l’objet de
coordination centralisée sous le contrôle de la société d’État nationale
et de la CFDT. Ce mode de coordination correspondait à un compromis institutionnel entre les producteurs disposant de revenus garantis et
stabilisés, l’État bénéficiaire des recettes fiscales et des devises, les différents acteurs de la filière et la compagnie cotonnière ayant une position dominante de monopole. Ce système était en phase avec l’incomplétude des marchés et l’univers incertain. En revanche, il était protégé
de la concurrence de nouveaux entrants et relativement déconnecté des
prix mondiaux, d’où des déficits périodiques comblés par l’aide
publique française.
Ces filières ont également connu, régulièrement, d’importants dysfonctionnements sur le plan financier conduisant les bailleurs de fonds
à des opérations régulières de sauvetage. La chute en longue période et
la volatilité des cours ainsi que les dysfonctionnements internes de la
filière coton, liés notamment aux coûts de fonctionnements et d’intermédiation mais aussi aux détournements des fonds de stabilisation, ont
conduit à une crise financière obligeant à réformer les filières en les
libéralisant, en les privatisant et en autonomisant leurs différents segments.
I.2. Les enjeux de la libéralisation et de la privatisation
De nombreuses réformes institutionnelles ont cherché à ouvrir le
secteur à la concurrence internationale, à privilégier l’objectif de compétitivité, à accepter les signaux des prix du marché mondial, à privatiser et à décomposer les segments des filières. Les compromis institutionnels ont fait place à des arrangements contractuels conduisant à
une situation de forte instabilité en liaison avec l’instabilité des marchés mondiaux.
Les filières intégrées ont présenté des inconvénients tels que la
confusion des fonctions de services publics (vulgarisation et formation) et des fonctions économiques, la rigidité liée à l’intervention de
l’État ou la position dominante de la CFDT. Les différents acteurs de
la filière, et notamment les organisations paysannes, ont peu voix au
chapitre et l’organisation demeure hiérarchique. L’intégration, s’ajou-
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1917
DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE
1917
tant à l’absence d’alternative en zone cotonnière, réduit la flexibilité
rendue nécessaire par l’environnement international. Dans la pratique,
les fonds de stabilisation, au lieu de lisser les conjonctures, ont souvent
servi à alimenter les caisses de l’État ou de certains intérêts. Les
barèmes retenus ne reflétaient pas les coûts que qui tendaient à croître.
Les liens politiques entre les sociétés cotonnières et les responsables
politiques africains voire entre l’ex-CFDT, les sociétés cotonnières et
les intérêts politiques français se sont ajoutés, selon des degrés divers,
à la faiblesse de la transparence. « L’or blanc » constitue souvent une
caisse noire à la discrétion des autorités politiques.
Les modalités de la privatisation ont été multiples [Folk (2009)].
Des monopoles locaux ont été mis en œuvre au Burkina Faso ou en
Côte-d’Ivoire alors que les sociétés d’égrenage étaient privatisées au
Bénin ou au Togo. Les contextes internationaux de prix dépressifs en
$ ou nationaux de faibles organisations paysannes ont joué. Dans l’ensemble, on note une baisse des rendements et des rentabilités. La privatisation a plutôt été une réussite au Burkina Faso (cession de parts
aux producteurs, prix garantis liés aux prix mondiaux). Elle a peu
réussi au Bénin ou en Côte-d’Ivoire. Elle suppose, en 2009, au Mali
qui a retardé sa privatisation, une mise à niveau et un système limitant
les risques de marginalisation des zones les moins rentables ou les
déstructurations de filière.
I.3. Les débats et limites de la privatisation
Ces argumentaires théoriques, doctrinaux et politiques ont fait l’objet de débats et de contre-propositions de réformes de la part des pouvoirs publics africains et de la coopération française (MAE et AFD).
Un débat interne à la Banque mondiale a également eu lieu [Lele
(1988) ; Goreux et Macrae (2003)]. La privatisation connaît de grandes
difficultés dans le cas d’États fragiles ou faillis (exemple du nord de la
Côte-d’Ivoire) ou de conjoncture défavorable. Les difficultés de la
société Dagris, prise dans les ciseaux des bas prix du marché et du
niveau de l’euro ont conduit à son rachat par le consortium Advens et
CMA/CMG. En 2008, le revenu brut annuel de la filière est passé en
Afrique francophone de 790 millions à 505 millions de $. La valeur du
passif est supérieure à celle des actifs, mais les repreneurs, anticipant
une hausse des cours du coton, vont rationaliser la filière et lier le
coton avec les huiles et les tourteaux. Cette disparition d’un fleuron de
l’empire colonial conduit vraisemblablement à démanteler la filière
cotonnière africaine et à insérer davantage certains segments rentables
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1918
1918
P. HUGON
dans un contexte mondial. CMA/CGM, troisième armateur mondial,
achemine la moitié du coton africain vers la Chine. Des compromis de
langage politiquement correct ont favorisé le dialogue ; la stabilisation
est devenue auto-assurance et les filières ont été dénommées chaînes
de valeur ou coordination verticale. Ces contre-propositions visent à
limiter la généralisation de ces mesures libérales tout en sachant la
force de bulldozer de la Banque mondiale pour, in fine, faire aboutir
son projet.
Il importe, au-delà de ce constat empirique, de décomposer les
divers arguments théoriques concernant la « filière » et de raisonner au
plus près des questions [Daviron (2000)] en différenciant les questions
d’asymétrie d’information, d’incomplétude des marchés, de pluralité
des modes de coordination, de concurrence imparfaite et de spécificité
des contextes africains.
II. – LES FILIÈRES AU REGARD DES DIFFÉRENTS ARGUMENTAIRES
THÉORIQUES
L’analyse de la dynamique des filières ou méso-systèmes suppose
de combiner trois approches :
– l’approche micro qui part des acteurs, de leurs rationalités situées
et de leurs stratégies,
– l’approche économie politique internationale qui étudie l’impact
de la concurrence déloyale et imparfaite
– et l’approche méso-économique en termes de chaînes de valeur,
de compromis institutionnels et de rapports de pouvoir entre
acteurs publics et privés.
II.1. La micro économie du développement
Il s’agit de repérer à la fois la pluralité des acteurs intervenant au
sein de la filière (des producteurs directs aux exportateurs en passant
par les collecteurs, les distributeurs, les transporteurs, les industriels)
et le fait que ces acteurs ont des actions non réductibles à la filière.
Ainsi les paysans, producteurs de coton dans le cadre d’une agriculture
familiale, pratiquent-ils des pluriactivités. Il s’agit de définir la pluralité des mobiles objectifs de ces acteurs : maximisation des profits,
minimisation des risques, sécurité alimentaire ou de solidarité. Les
acteurs qui interviennent au sein des filières sont pluriels et non réduc-
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1919
DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE
1919
tibles aux paysanneries. Ils connaissent des situations asymétriques, de
pouvoir, d’information et visent des objectifs pluriels.
De très nombreux tests empiriques relativisent les réactions « normales » de l’offre des producteurs face aux prix. En cas d’aversion au
risque, le coût marginal diffère de l’espérance mathématique de l’utilité ; il est égal à l’équivalent certain du prix aléatoire. À défaut de marché d’assurance ou du risque, les producteurs ayant une aversion au
risque « diversifient leurs portefeuilles » (polyactivité, diversification
des spéculations agricoles ou des parcelles) ; ils optent pour l’extensivité des cultures ayant souvent des effets destructeurs sur l’environnement ou bien ajustent le travail, sa rémunération et les surfaces cultivées aux aléas extérieurs. Les élasticités prix à court terme sont
asymétriques à la hausse des prix (effets rente) et à la baisse des prix
(effets revenus) avec des possibilités de forte baisse en-deçà de seuils
(cf. la grève des cotonculteurs maliens en 2000-2001 ou la chute de la
production en 2008-2009). Mettre en place des systèmes d’assurances
n’est possible que si l’environnement est risqué et non incertain. Dans
un univers d’incertitude radicale, les producteurs font un arbitrage
entre liquidité et incertitude et non entre rentabilité et risque. Ils préfèrent le court terme avec une forte valeur d’option, c’est-à-dire un prix
accordé à la réversibilité d’une décision. Ils ont une forte préférence
pour la liquidité et préfèrent des actifs monétaires ou financiers aux
actifs physiques leur donnant un éventail de choix.
Les modes de coordination et les choix organisationnels :
Les filières peuvent être traitées en termes d’efficience, de capacité
à réduire les coûts de transaction (coûts d’identification des partenaires, de négociation et de contrôle) ou de règles du jeu. Les arrangements institutionnels ou contractuels ont un fondement microéconomique dans le sens où l’on peut expliquer des choix organisationnels.
La société cotonnière lie le préfinancement, l’accès aux intrants, les
débouchés assurés, l’information et la création des savoirs. Le producteur à domicile reçoit les intrants, et la vente du produit est assurée. Le
différentiel entre les prix du coton graine et celui des intrants inclut le
coût du crédit. Les relations contractuelles de quasi-intégration entre
producteurs, commerçants et industriels sont d’autant plus justifiées
que les produits sont périssables ou ont un coût de stockage élevé, que
la valeur par unité de poids et de volume est importante, que la culture
est annuelle, que le produit est transformé et que l’industriel a un coût
fixe et a un besoin de réguler les approvisionnements, que le label de
qualité est déterminant dans la compétitivité [Goldsmith (1985)].
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1920
1920
P. HUGON
II.2. L’économie politique internationale et la concurrence
imparfaite voire déloyale en aval de la filière
À l’autre bout de la chaîne ou de la filière en aval dominent des
logiques liées à la mondialisation des produits, à la compétitivité (prix,
qualité), aux enjeux des subventions et des politiques publiques et aux
politiques de change et aux pouvoirs de marché des opérateurs. L’environnement international est éloigné d’un marché de concurrence
pure et parfaite. Les marchés internationaux du coton sont, ainsi, surréactifs du fait des fluctuations des surplus exportés, des importations
de la part des grands pays consommateurs comme la Chine, des stockages spéculatifs et des placements des fonds de pension privés ou
publics des pays émergents. La référence aux signaux des marchés
mondiaux ne conduit à une allocation optimale des ressources que si
ces prix expriment les raretés et ne sont pas manipulés. Les prix mondiaux ne peuvent être considérés comme des prix équilibrant à long
terme l’offre et la demande et donnant ainsi aux producteurs des
signaux d’une bonne spécialisation. Ces argumentaires sont complétés
par des analyses d’économie politique prenant en compte les rapports
de force entre les pouvoirs privés et publics au niveau international.
L’univers cotonnier révèle les asymétries internationales. Le million de
cotonculteurs sahéliens cultivant entre 2 et 3 ha et payés moins de 1$
par jour affronte la concurrence des 25 000 cotonculteurs américains
(dont 8 000 touchent 90 % des 4 milliards de $ de subventions) disposant de 1 000 ha mais produisant à des coûts supérieurs de 50 %.
II.3. Vers une méso-dynamique
La prise en compte des interdépendances entre acteurs et institutions à propos d’activités productives est le nœud permettant de relier
les approches microéconomiques et macrointernationales. Les institutions ne se réduisent pas à des règles du jeu, à des modes de coordination réductrices de coûts de transaction ou réductrices d’incertitude.
Elles expriment des rapports de pouvoirs et des compromis socio-politiques. L’approche méso-dynamique veut intégrer les contraintes techniques de l’analyse en termes de filières, les stratégies des acteurs et les
différents modes de coordination de l’économie des organisations et
les liens entre les régimes d’accumulation et les configurations institutionnelles de la théorie de la régulation [De Bandt, Hugon (1988)].
Les filières regroupent des agents partageant des objectifs communs
liés par un ensemble de règles hiérarchiques. La permanence des relations permet des dispositifs cognitifs collectifs. Les opérateurs déter-
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1921
DYNAMIQUE DES FILIÈRES COTONNIÈRES EN AFRIQUE
1921
minent des règles et des contrats, notamment en ce qui concerne le partage de la valeur ajoutée au sein de la filière. Certains opérateurs jouent
un rôle de leader. Les principales questions sont : les dynamiques viennent-elles de l’amont ou de l’aval de la filière ? Quels sont les goulets
d’étranglement ? Quels sont les nœuds stratégiques et les lieux de valorisation ?
Plusieurs éléments permettent ainsi de caractériser les filières:
– les diverses technologies utilisées : traditionnelles, non artificialisées, artisanales, industrielles,
– les espaces de référence : géographiques et socio-politiques
(local, sous-régional, national, régional, mondial),
– les modes de coordination : prix de marché libre ou garanti, franchise, contrats, hiérarchie, intégration,
– les logiques des acteurs : comportements sécuritaires, spéculatifs,
de rentabilité,
– les régimes de concurrence : monopolistique, oligopolistique,
– les droits de propriété : privée, publique, mixte avec participation
au capital d’acteurs pluriels,
– les modes de gouvernance selon les rapports de pouvoir entre les
acteurs : marché modulaire (spécifications pour certains clients),
relationnel (dépendance mutuelle), captif (relations asymétriques
entre acteurs dominants et dominés), hiérarchique (intégration
verticale) [Gereffi (2003)].
CONCLUSION
Cet article a visé à ouvrir des pistes en mettant les dynamiques des
filières coton au regard d’une pluralité d’éclairages. Il n’est pas évidemment sans poser des problèmes méthodologiques dès lors que les
cadres théoriques mobilisés ne sont pas fondés sur les mêmes corpus
d’hypothèses. Le défi analytique est de comprendre quelles sont les
stratégies d’acteurs disposant de pouvoirs asymétriques et se situant à
des échelles plurielles à propos d’interdépendances sectorielles hiérarchisées. Les dynamiques repérables à des niveaux méso sont caractérisées par des déplacements des nœuds stratégiques, des changements de
localisation des segments de filière, un poids croissant du pilotage de
l’amont par l’aval et un rôle croissant des signaux du marché mondial.
Mais, en même temps, de nouveaux compromis institutionnels se
nouent à des échelles régionales et nationales.
19•Hugon
27/10/09
8:17
Page 1922
1922
P. HUGON
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BAIR J. [2005], « Global capitalism and Commodity chains: looking back,
going forward », Competition and Change, vol. 9, n° 2, june, p. 153-180.
DE BANDT J., HUGON Ph. (eds) [I988], Les Tiers Nations en mal d’industrie,
Economica- Cernea, Paris, 335 p.
DAVIRON B. [2000], Dispositif de suivi des filières cotonnières en Afrique subsaharienne : proposition de cadre méthodologique, CIRAD, Montpellier,
13 p.
FOK M. [2009], « Crisis in cotton of Francophone Africa: fatality or challenge
for multidimension cooperation », in Trade Governance and economic Institutions: news Challenges in the 21st Century / M.N.G. Mavrotas (ed.),
Palgrave Macmillan, London.
GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The Governance of Global
Value Chains », Review of International Political Economy, 1466-4526,
vol. 12, n° 1, p. 78-104.
GOLDSMITH A. [1985], « The private sector and rural development: can agribusiness help the small farmer? », World Development, vol. 13, n° 10-11,
p. 1125-1138.
GOREUX L., MACRAE J. [2003], Réformes des filières cotonnières en Afrique
subsaharienne, Rapport Banque Mondiale, MAE, Paris, 71 p.
HUGON Ph. [1994], « Filières agricoles et politiques macro-économiques en
Afrique subsaharienne », in Économie des politiques agricoles dans les
pays en développement. Tome 2 : Les aspects macro économiques / BenoitCattin M., Griffon M., Guillaumont P. (eds), Revue française d’économie,
Paris.
HUGON Ph. [2005], « Les filières cotonnières africaines au regard des enjeux
nationaux et internationaux», Notes et études économiques, n° 23, sept.,
p. 87-112.
LELE U. [1988], « Le coton en Afrique : une analyse des écarts de performance », Madia Discussion Paper, 7, Banque Mondiale, Washington DC.
SHAFFER J.D. [1973], « On The Concept of Subsector Studies », American
Journal of Agricultural Economics, vol. 55, n° 2, p. 333-335.
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1923
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1923-1934
Théorie de la régulation et transformations
agroalimentaires actuelles
Perspectives ouvertes par l’ouvrage
de Catherine Laurent et Christian du Tertre
« Secteurs et territoires
dans les régulations émergentes »
Jean-Marc Touzard,
INRA, UMR 951 Innovation
L’article fait le point sur les contributions possibles des travaux
régulationnistes à l’analyse des dynamiques agroalimentaires
actuelles, en s’appuyant sur la présentation d’un ouvrage édité par
Catherine Laurent et Christian du Tertre. Les débats politiques sur
l’agriculture et l’alimentation, tout comme la coexistence de différents
modèles, offrent un cadre favorable pour redéfinir l’agenda de
recherche régulationniste, en lien avec les travaux de prospective et le
renouvellement de l’analyse des filières ou des systèmes agroalimentaires localisés.
This article sets out “ regulation school ” contributions to the analysis of agrifood industry, discussing a book edited by Catherine
Laurent and Christian du tertre. Current political debate on agriculture and food calls for a renewed regulationnist research agenda on institutions that regulate agricultural and agrifood systems, taking into
account the evolution of territorial conditions of these activities. Such
an agenda may also contribute to agrifood “ foresight study ” and to
analysis of food chains or local agrifood systems.
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1924
1924
J.-M. TOUZARD
INTRODUCTION
Reconnus pour leurs contributions à l’analyse des régulations et
crises du capitalisme, les travaux se référant à la théorie de la régulation (TR) ont connu en 2008 un regain d’intérêt indéniable, portés par
une crise financière mondiale pour partie anticipée par les économistes
issus de ce courant [Sapir (2008)]. Mais au-delà des transformations du
capitalisme et de la crise de son modèle néolibéral, le programme régulationniste étudie aussi depuis la fin des années 1980 les dynamiques
institutionnelles et économiques de systèmes infranationaux, secteurs
et systèmes productifs régionaux pour l’essentiel [Boyer, Saillard
(1995)]. L’agriculture et l’agroalimentaire ont constitué un domaine
privilégié pour développer ces approches [Bartoli, Boulet (1989) ;
Allaire, Boyer (1995)]. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les difficultés à
dépasser une analyse sectorielle ex post ou l’atténuation apparente des
spécificités des institutions agricoles ont-elles eu raison de l’engouement régulationniste pour ce secteur ? Au contraire, la prégnance de
débats politiques questionnant la place de l’agriculture et des aliments
dans la société, tout comme l’éclatement récent de « crises alimentaires » ne justifieraient-ils pas un réinvestissement de TR sur ce secteur ? La publication en 2008 d’un ouvrage de synthèse sur les régulations sectorielles et territoriales, coordonné par Catherine Laurent
(Inra) et Christian du Tertre (Université Paris VII) est l’occasion de
faire le point sur l’évolution des approches régulationnistes mésoéconomiques et de discuter de leur développement possible à l’échelle des
filières et territoires agroalimentaires.
I. – ÉTUDIER LES DYNAMIQUES SECTORIELLES ET TERRITORIALES
POUR COMPRENDRE LES RÉGULATIONS ÉMERGENTES
Cet ouvrage réunit douze contributions de participants au séminaire
« Régulation-Secteur-Territoire » (RST), lié à l’association
« Recherche et Régulation » 1 qui assure depuis une dizaine d’années
la confrontation de travaux mobilisant TR à des échelles sectorielles
et/ou territoriales. En partant d’études menées sur des terrains aussi
différents que les services aux personnes, l’aéronautique, l’agriculture,
l’éducation ou les nouvelles technologies, les contributeurs partagent
donc les mêmes références théoriques et méthodologiques chères aux
1
Voir pages web de la « Revue de la Régulation » : http://regulation.revues.org/
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1925
RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES
1925
régulationnistes. L’attention est ainsi systématiquement accordée aux
temps longs, aux mouvements économiques et aux changements structurels et institutionnels qui marquent un secteur, en questionnant ses
rapports à la fois aux transformations globales de la société et aux
dynamiques territoriales. L’affaiblissement des régulations sectorielles
issues de la période du fordisme et les modifications des frontières des
secteurs sont signalés par tous mais les évolutions actuelles apparaissent aussi différentes d’une situation à l’autre : renforcement de régulations marchandes influencées par les stratégies des grandes firmes
(énergie, communication) ; affirmation d’une gouvernance territoriale
plutôt privée (cas de l’aéronautique à Toulouse) ou plutôt publique
(services aux personnes, éducation) ; combinaison plus équilibrée
entre gouvernance sectorielle et territoriale (agriculture), etc. L’enjeu
est aussi de dépasser une analyse ex post pour s’interroger sur les
formes émergentes de régulation qui peuvent se construire à travers de
nouvelles articulations entre secteurs et territoires. La thèse que soustend l’ouvrage est que les changements économiques actuels sont
certes influencés par la globalisation et l’évolution des formes institutionnelles nationales et internationales (en premier lieu la libéralisation
financière et les négociations internationales sur les formes de concurrence), mais qu’ils se jouent aussi à travers une variété de nouveaux
conflits, compromis, arrangements locaux ou sectoriels. On poursuit
donc l’idée que les régulations sectorielles et territoriales peuvent à la
fois exprimer les contraintes et opportunités du modèle de développement national et affirmer des spécificités structurelles [Boyer, Saillard
(1995)].
Dans l’ouvrage, ces recompositions sectorielles et territoriales sont
abordées à partir de l’analyse des principaux changements institutionnels :
– En premier lieu, l’évolution des conditions du travail, de l’activité
et de l’emploi est discutée par Catherine Laurent et Marie-Françoise Mouriaux, en proposant la notion de « rapport social d’activité » pour dépasser celle de « rapport salarial » très liée à la
période fordiste. La construction de ce rapport conserve bien une
variété selon les secteurs, mais il intègre globalement une plus
grande diversification et mobilité des activités, une individualisation des compétences et une territorialisation de ses formes d’accompagnement (rôle des collectivités locales). C’est ce que
confirment Jacques Perrat et Patrick Dieuaide en analysant l’évolution des dispositifs sectoriels et territoriaux chargés de la gestion de l’emploi, puis Thomas Lamarche en suivant l’évolution du
20•Touzard
27/10/09
1926
8:18
Page 1926
J.-M. TOUZARD
système éducatif confronté à une triple logique de professionnalisation, de territorialisation et d’internationalisation.
– Au-delà de la construction de nouveaux modèles d’emploi et des
institutions qui les orientent, ce sont les investissements immatériels (R&D, formation, communication, évaluation, outils de gestion) qui sont au cœur des transformations productives actuelles.
Christian du Tertre analyse ainsi les processus de construction de
« patrimoines immatériels collectifs » qui supposent coopération
et légitimation et peuvent relever de différentes articulations entre
gouvernance territoriale et sectorielle, à l’image des clusters pour
des PME et TPE.
– Autre angle d’entrée, les nouvelles formes de l’action publique
dans les secteurs sont étudiées à partir de l’exemple agricole
(Marielle Berriet-Solliec, Christophe Déprés et Aurélie Trouvé),
puis du développement aéronautique sur Toulouse (Yves Dupuis
et Jean-Pierre Gilly). Dans ces deux cas, l’évolution de stratégie
de l’État (national et européen) est déterminante et le rôle des
pouvoirs publics locaux s’affirme. Mais ces derniers restent finalement « contenus » et leurs modes d’intervention diffèrent selon
les cas : logique d’adaptation aux ressources locales, de négociation et de compensation des « défaillances de marché » pour
l’agriculture ; stratégie d’accompagnement par une politique de
soutien à la recherche et à l’innovation dans le cas de l’aéronautique, laissant place à l’affirmation d’une gouvernance industrielle
privée.
– Présente dans chaque chapitre, la question des formes de territorialisation des activités et entreprises est l’objet de contributions
spécifiques, plus théoriques. La confrontation des approches de
TR avec les travaux se référant à « l’économie de proximité » permet à Jean-Pierre Gilly et Yannick Lung de revisiter les arguments
interactionnistes et institutionnalistes expliquant la diversité des
configurations productives territoriales au sein d’une dialectique
secteur-territoire. Ancrage territorial et mobilité des activités sont
analysés plus spécifiquement par Gabriel Colletis en distinguant
les stratégies spécifiques au groupe, à la firme et à l’établissement.
Cette question renvoie à celle de la prise en compte par TR des
stratégies des firmes dans les secteurs et territoires, ce que Yannick Lung présente en reprenant les articulations possibles entre
modèles de firmes et formes du capitalisme.
– Enfin la modification des rapports d’échange internationaux bouleverse les régimes d’accumulation nationaux et les frontières et
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1927
RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES
1927
structures des secteurs et territoires. C’est ce que précise Pascal
Petit à partir de l’exemple des services d’intermédiations marchandes et des services aux entreprises, liés à la diffusion des
NTIC. La tertiarisation des économies ouvre de nouveaux horizons de croissance locale et nationale, mais elle renforce aussi une
régulation oligopolistique de firmes multinationales, rejoignant
sur ce point les analyses des approches en terme de « Global Value
Chain » [Gereffi (2005)].
L’ouvrage montre donc que l’analyse des dynamiques sectorielles et
territoriales permet d’éclairer les changements institutionnels et économiques plus globaux, en suivant un questionnement permanent sur
les relations entre ces différents espaces. Les recherches présentées
restent néanmoins centrées sur la situation française et mériteraient
une mise en perspective avec l’évolution des régulations observées
dans d’autres pays. Par ailleurs, si les dispositifs institutionnels concernant les conditions du travail, les formes de concurrence ou l’action
publique sont largement traités, il aurait été intéressant d’explorer la
dimension monétaire ou financière de ces régulations (émergence de
formes locales à l’image du micro-crédit ?) et de développer la question de leur insertion internationale. Enfin, on peut aussi regretter l’absence d’une synthèse finale qui aurait repris la diversité des évolutions
sectorielles et territoriales, souligné de nouvelles questions et précisé
les conditions de poursuite de ce programme de recherche.
II. – RÉINVESTIR L’AGROALIMENTAIRE
À PARTIR DE LA THÉORIE DE LA RÉGULATION
La lecture de l’ouvrage coordonné par Catherine Laurent et Christian du Tertre amène alors à s’interroger sur les apports possibles de
TR à l’analyse des transformations actuelles de l’agriculture et l’agroalimentaire. On peut d’ailleurs être surpris par la place assez modeste
accordée à ce secteur, alors que le travail animé par Gilles Allaire et
Robert Boyer (1995) avait ouvert la voie à une série de recherches
approfondissant dans l’agroalimentaire les questions de la qualité
[Allaire (2002)], de l’organisation du travail [Laurent, Mouriaux
(1999)], de l’évolution des rapports à l’environnement [Lacroix, Mollard (1995)], de l’intégration territoriale [Nieddu, Gaignette (2000) ;
Pecqueur (2001)] ou des dynamiques d’innovation [Touzard (2000)].
Des travaux se référant à TR ont aussi étudié les secteurs agroalimentaires de différents pays [Goodman et Watts (1997) ; Lopez, (2006)],
20•Touzard
27/10/09
1928
8:18
Page 1928
J.-M. TOUZARD
mais sans déboucher réellement sur une synthèse comparative à
l’échelle internationale. Sans chercher ici à expliquer les difficultés à
capitaliser et prolonger ces recherches, on conviendra que le contexte
actuel plaide pour une relance des travaux régulationnistes sur les systèmes agroalimentaires.
En premier lieu, le secteur agroalimentaire s’est retrouvé sur la dernière décennie au cœur de nombreux débats politiques, du local à l’international, témoignant de tensions mettant en jeu des changements
institutionnels et économiques importants. Les interrogations sur la
place de l’agriculture familiale et des « petits producteurs », sur la légitimité et les formes du soutien public ou sur l’organisation des
échanges internationaux sont toujours présentes dans les négociations
internationales [Boussard, Delorme (2007)]. Mais elles sont maintenant associées à une médiatisation de controverses sur les biotechnologies (OGM), les contributions positives ou négatives de l’agriculture
vis-à-vis de l’environnement ou de la santé humaine, les concurrences
entre usages alimentaires et énergétiques, la sécurité ou souveraineté
alimentaire et, plus largement, son rôle dans le développement durable
[IASSTD (2008)]. Cette mise au jour de confrontations politiques pouvant influencer les dynamiques économiques agricoles fournit un terrain propice pour TR, mais suppose de dépasser la seule référence aux
cinq formes institutionnelles canoniques, en spécifiant trois compromis institutionnels : la légitimité et l’usage des technologies, la
construction de la qualité des produits alimentaires et le rapport au territoire [Muchnik et al. (2007)].
Ces débats politiques renvoient, de fait, à la coexistence de différents modèles de développement au sein même de la sphère agroalimentaire, au Nord comme au Sud. Qu’ils résultent de la persistance
d’une diversité inhérente à l’agriculture ou de l’éclatement du modèle
productiviste antérieur, ces modèles se distinguent par des combinaisons spécifiques entre un dispositif institutionnel (organisation du travail, forme de concurrence, rapport à l’État) et une dynamique économique, mais aussi des rapports spécifiques aux technologies, au
territoire et à l’aliment :
– un modèle salarial et financier « néoproductiviste » associé à un
régime économique extensif s’est réaffirmé, notamment en Amérique du Sud autour du soja (OGM), du maïs, du blé, de la canne
à sucre et de la poursuite de l’industrialisation alimentaire ;
– une trajectoire agroalimentaire patrimoniale construite sur une
rente de qualité territoriale (avec indications géographiques) tente
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1929
RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES
1929
de poursuivre sa croissance intensive, notamment dans le cadre
des échanges internationaux ;
– un modèle d’agriculture biologique (et éthique ?) en forte croissance (plutôt intensive en travail) construit une « rente écologique » et les dispositifs assurant son contrôle et sa légitimité ;
– une agriculture de proximité, notamment périurbaine, trouve un
écho notable en s’appuyant sur une relation directe producteurconsommateur et une gouvernance locale renforcée ;
– un modèle agroalimentaire « familial multifonctionnel
marchand », pouvant intégrer des orientations précédentes, combine une diversité d’activités dans le cadre d’une gouvernance
sectorielle et territoriale associant soutien public et organisations
plus ou moins contrôlées par les agriculteurs ;
– enfin une agriculture domestique, peu insérée dans les marchés,
subsiste dans de nombreuses régions du monde et semble retrouver de nouvelles perspectives à travers le développement de jardins familiaux et d’agricultures urbaines.
La caractérisation plus précise de ces modèles et trajectoires agroalimentaires peut largement s’appuyer sur la méthode de TR [Touzard
(2000)]. Leur coexistence dans la plupart des pays interroge en retour
les approches sectorielles de la régulation, en posant notamment la
question de leur articulation à l’échelle nationale. De fait, c’est la généralisation de cette coexistence qui semble un trait actuel de la mondialisation.
Le repérage et l’analyse de ces modèles invite alors à revenir sur la
question des spécificités de la sphère agroalimentaire, au regard des
évolutions globales du capitalisme et des autres dynamiques sectorielles. Dans le prolongement des interrogations de l’ouvrage de
Catherine Laurent et Christian du Tertre, il faut distinguer les évolutions qui expriment une convergence globale et celles qui semblent
renouveler les bases de spécificités sectorielles. Les transformations
générales du « rapport social d’activité » dans l’agriculture, la médiatisation et « responsabilisation » des filières agroalimentaires, l’effacement des politiques agricoles nationales, la financiarisation des activités sur les principales « commodities » et l’affirmation
« compensatrice » de gouvernances territoriales sont des traits généralement partagés avec les autres secteurs. En même temps, les caractéristiques fondamentales de l’activité agricole et agroalimentaire
(dépendance aux ressources et risques bioclimatiques, externalités territorialisées, structures productives familiales héritées, périssabilité
20•Touzard
27/10/09
1930
8:18
Page 1930
J.-M. TOUZARD
des produits, dimension culturelle ou symbolique des aliments) maintiennent une série de problèmes et d’enjeux spécifiques et incitent à la
pérennisation ou l’émergence d’arrangements institutionnels particuliers, par exemple dans la construction des « circuits agroalimentaires
alternatifs » ou des négociations sur les « services environnementaux »
de l’agriculture [Chiffoleau et al. (2008)]. C’est dans la combinaison
de ces caractéristiques structurelles (jamais totalement exclusives au
secteur) que se renouvelle une spécificité agroalimentaire, plus ou
moins affirmée selon les modèles considérés.
Par ailleurs, le développement en 2007 et 2008 de « crises alimentaires » (hausse des cours mondiaux, révoltes urbaines) et les perspectives de leur récurrence constituent en tant que tel un domaine de
recherche privilégié pour TR. Quels sont les mécanismes et la nature
de ces crises ? Comment s’articulent-elles aux crises du capitalisme
néolibéral et à la crise climatique ? Comment s’agencent les processus
dans les différents espaces de production et de consommation ? En
quoi les différents modèles agroalimentaires sont-ils concernés ?
Quelles stratégies politiques et économiques se dessinent et peuvent
les influencer ? Les premiers travaux analytiques engagés permettent
de repérer différents facteurs structurels et conjoncturels de cette crise
[Bricas (2008)]. Ils soulignent précisément l’importance de l’évolution
des régulations agroalimentaires (libéralisation des politiques agricoles au Nord et au Sud, basculement de la spéculation financière sur
les marchés agricoles à terme, occidentalisation des modèles de
consommation, paupérisation urbaine et perte de souveraineté alimentaire au Sud). Ils suggèrent alors la nécessité d’une réponse institutionnelle reprenant en compte l’enjeu stratégique et la spécificité agricole et agroalimentaire. C’est donc en quelque sorte dans la
« désectorialisation » libérale de l’agriculture que les crises alimentaires trouveraient pour partie leur origine, et dans une « resectorialisation » plurielle (construite sur la coexistence des différents modèles
évoqués) qu’elles pourraient être surmontées, en s’appuyant sur la
redéfinition des rapports de cette activité au territoire, à l’alimentation
et aux techniques. Voilà une question centrale pour les recherches sur
les régulations sectorielles et territoriales.
Le renouvellement des débats politiques autour de l’agroalimentaire, la diversité de ses modèles et trajectoires, les interrogations sur
l’évolution des spécificités de ce secteur et sur ses crises offrent donc
un contexte propice à un réinvestissement de TR. Au-delà de contributions permettant d’enrichir ce programme (notamment dans une perspective comparative interne et externe à l’agriculture), l’invitation est
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1931
RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES
1931
faite pour un usage pragmatique et politique de TR, en s’associant à
des travaux mobilisant d’autres approches en économie ou sociologie
politique :
– Le dépassement d’un travail analytique et historique (important
en soi) peut s’effectuer en participant à, ou même en animant, des
travaux de prospective, souvent conceptuellement et méthodologiquement proches (démarches systémiques interrogeant les
dynamiques économiques, les évolutions structurelles et technologiques, les options institutionnelles). Cet usage de TR peut
apparaître risqué. Il est régulièrement invoqué [Boyer (2004)],
mais n’a pas vraiment été conceptualisé et les expériences sont
peu nombreuses, en particulier pour l’agroalimentaire. La plateforme Agrimonde [Hubert, Dorin (2007)] peut en offrir l’opportunité.
– La mobilisation des analyses de filière et systèmes productifs
locaux (travaux sur les SYAL, notamment) est susceptible de
fournir et d’organiser un matériel empirique important, complétant les données macroéconomiques qui saisissent mal les spécificités des différents modèles de développement agroalimentaire.
Au-delà d’une caractérisation de ces mésosystèmes, l’analyse des
flux, relations et stratégies qui s’y construisent, tout comme le
repérage des problèmes de coordination qui se posent, sont importants pour étudier les conditions endogènes du changement institutionnel [Touzard (2000)]. La coopération avec des approches
institutionnalistes spécifiant les conditions des interactions au sein
d’un système agroalimentaire apparaît alors judicieuse [EymardDuvernay (2006)].
– Enfin, l’analyse des conditions de construction politique des institutions économiques, que TR cherche à endogénéiser, peut
conduire à développer les collaborations avec des recherches en
sociologie économique ou en sociologie politique [Chiffoleau et
al. (2008)]. Là aussi, les apports croisés avec TR sont potentiellement nombreux (contextualisation et économicisation vs spécification de séquences d’action pouvant conduire à une crise ou institutionnalisation) et permettent d’ouvrir l’analyse à des
motivations non économiques [Touzard (2008)].
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1932
1932
J.-M. TOUZARD
CONCLUSION
Pour un économiste, un gestionnaire ou un sociologue travaillant
sur les systèmes agroalimentaires, la lecture de l’ouvrage de Catherine
Laurent et Christian du Tertre permet de confronter son « terrain de
recherche » aux évolutions d’autres secteurs et de le situer dans les
transformations plus globales de la société. Sans forcément adhérer à
l’ensemble des thèses régulationnistes, l’interrogation permanente que
suscite cette approche sur les spécificités ou non des systèmes agroalimentaires, sur leurs transformations au regard de changements institutionnels et politiques englobants, mais aussi sur les formes de leur
ancrage territorial, n’est alors pas un simple exercice intellectuel. Elle
s’avère aujourd’hui importante pour comprendre les crises de ces systèmes et repenser leurs régulations afin d’assurer leur coexistence et
leur adaptation dans le sens de la durabilité.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ALLAIRE G. [2002], « L’économie de la qualité en ses territoires, ses secteurs
et ses mythes », Géographie, Économie et Société, n° 4 (2), p. 155-80.
ALLAIRE G., BOYER R. (éds) [1995], La grande transformation de l’agriculture, INRA-Economica, Paris.
BARTOLI P., BOULET D. [1989], Dynamique et régulation de la sphère agroalimentaire : l’exemple de la sphère viticole, Thèse d’État, Université Montpellier I, 3 vol.
BOUSSARD J.M., DELORME H. [2007], La régulation des marchés agricoles
internationaux, L’Harmattan, Paris.
BOYER R. [2004], Une théorie du capitalisme est-elle possible ?, O. Jacob,
Paris.
BOYER R., SAILLARD Y. [1995], Théorie de la régulation : l’état des savoirs, La
Découverte, Paris.
BRICAS N. [2008], « Nourrir le monde : retour aux fondamentaux de l’humanité », Diplomatie, n° 33, p. 58-62.
CHIFFOLEAU Y., DREYFUS F., TOUZARD J.M. (éds) [2008], Nouvelles figures des
marchés agroalimentaires : apports croisés de la sociologie, de l’économie
et de la gestion, Paris, Symposcience, éditions QUAE.
HUBERT B., DORIN B. [2007], « La prospective Agrimonde », in Pour une
recherche agronomique ouverte sur le monde / Caron P., Lasbenne F., Chabrol D. (éds), CIRAD, Montpellier.
EYMARD-DUVERNAY F. [2006], « L’Économie des conventions : méthodes et
résultats », La Découverte, Paris.
GEREFFI G., HUMPHREY J., STURGEON T. [2005], « The gouvernance of global
value chain », Review of international political economics, n° 12, p. 78-104.
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1933
RÉGULATION ET DYNAMIQUES AGROALIMENTAIRES
1933
GOODMAN D., WATTS M. [1997], Globalising food : agrarian questions and
global restructuring, Routledge, London.
IASSTD [2008], Rapport de synthèse, Johanesbourg, www.agassessment.org
LACROIX A., MOLLARD A. [1995], Agriculture et gestion de l’environnement :
du conflit au compromis, INRA ESR, Grenoble.
LAURENT C., MOURIAUX M.F. [1999], « La multifonctionnalité agricole dans le
champ de la pluriactivité », Lettre du Centre d’étude de l’emploi, n° 59,
p. 1-10.
LAURENT C., DU TERTRE C. [2008], Secteurs et territoires dans les régulations
émergentes, L’Harmattan, Paris.
LOPEZ M. [2006], « Regulation redux. regional studies and the sociologie of
agriculture », Congrès de la Rural sociology society, Louisville, Kentucky,
10 août 2006.
MUCHNIK J., REQUIER-DESJARDINS D., SAUTIER D., TOUZARD J.M. [2007],
« Systèmes agroalimentaires localisés », Économies et Sociétés, AG, n° 29,
p. 1465-1484.
NIEDDU M., GAIGNETTE A. [2000], « L’agriculture française entre logique sectorielle et territoriale », Cahiers d’Économie et Sociologie Rurales, n° 54,
p. 48-87.
PECQUEUR B. [2001], « Gouvernance et régulation : un retour sur la nature du
territoire », Géographie, Économie, Société, vol. 3, n° 2, p. 229-245.
SAPIR J. [2008], « Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps
court et temps long », Revue de la régulation, n° 3/4.
TOUZARD J.M. [1995], « Régulation sectorielle, dynamique régionale et transformation d’un système productif localisé », in La grande transformation
de l’agriculture / Allaire G., Boyer R. (éds), INRA-Economica, p. 293-322.
TOUZARD J.M. [2000], « Coordination locale, innovation et régulation : la transition vin de masse-vin de qualité », Revue d’Économie Régionale et
Urbaine, n° 3, p. 589-605.
TOUZARD J.M. [2008], « Construction des marchés et actions politiques :
l’exemple de la reconversion viticole en Languedoc-Roussillon », Les
cahiers du CEVIPOF, n° 48, p. 113-140.
20•Touzard
27/10/09
8:18
Page 1934
21•Intercalaire V
30/10/09
7:27
Page 1935
Note de lecture
21•Intercalaire V
30/10/09
7:27
Page 1936
22•Montaigne
29/10/09
15:27
Page 1937
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1937-1942
Analysing Commodity Chains :
Linkages or Restraints ?
Shane Hamilton
in « Food Chains : from Farmyard to Shopping Cart » /
W. Belasco and R. Horowitz (eds.),
Philadelphia, University of Pennsylvania Press, dec. 2008, 296 p.
(chap. 3, p. 16-28)
Deux professeurs, ayant déjà publié sur l’histoire de l’alimentation,
nous livrent un recueil de contributions regroupant une douzaine
d’études de cas sur ce sujet, aux États-Unis. La plupart des rédacteurs
sont historiens, mais deux auteurs sont anthropologues et l’une des
contributrices, Catherine Grand Clément, est une sociologue française
formée à l’École des Mines de Paris, chez Bruno Latour. Le fil conducteur de l’ouvrage est le suivant : avec les crises alimentaires, vache
folle, risques hormonaux, clonages, contaminations diverses et OGM,
le consommateur est de plus en plus intéressé à connaître ce qui se
passe avant que l’aliment n’arrive dans son assiette et la perspective
historique peut enrichir cette compréhension ; d’où la mobilisation du
concept de food chain ou filière alimentaire. La référence aux ouvrages
de Claude Fischler en France et Michael Pollan aux États-Unis avec
« Le dilemme de l’omnivore » est très présente.
Le chapitre de Shane Hamilton a retenu notre attention car il nous
livre « une histoire de la pensée » sur la vision américaine de la notion
de filière dans ce secteur. Ce point de vue est celui d’un historien de
l’économie politique de l’agriculture industrielle. Nous y avons cherché des éléments pour tenter de comprendre pourquoi ce concept a eu
tant de mal à franchir la barrière culturelle de la pensée économique
anglo-saxonne, alors qu’il fut l’une des références majeures de l’école
française d’économie rurale dans les années 1970-1990.
22•Montaigne
29/10/09
1938
15:27
Page 1938
É. MONTAIGNE
Nous retrouvons bien, au fil du texte, les trois courants théoriques
de base de l’analyse de filière [Lauret (1983)] 1 : la notion de circuit,
la référence marxiste et l’analyse systémique, mais de façon fort dispersée et non structurante de l’exposé. La présentation s’attache plutôt aux auteurs marquants qui ont mobilisé ce concept dans les travaux
appliqués à l’agriculture dans la deuxième moitié du XXe siècle. À ce
titre, le lecteur trouvera de nombreuses références bibliographiques
très pertinentes et qui ont le mérite d’y être rassemblées.
Disons-le tout de suite, le concept de filière ou de chaîne de production (commodity chain) est mobilisé dans d’autres sciences sociales
que l’économie, à savoir la sociologie principalement, mais également
la géographie et l’anthropologie. Seule la référence à John H. Davis,
de Harvard, en 1955 auquel il attribue la paternité du concept d’agribusiness, puis la référence aux « chaînes globales de valeur » de Hopkins et Wallerstein, reprise par Gary Gereffi, le repositionne dans
l’économie politique de l’agriculture. Bref, ce qui importe pour les utilisateurs de la notion de filière, c’est beaucoup plus la question posée
que le champ disciplinaire retenu. Ainsi l’auteur s’adresse-t-il aux historiens et autres intellectuels, intéressés par une approche interdisciplinaire de l’alimentation à travers la politique économique de l’agriculture, les sciences et les techniques, et la mondialisation.
La création de l’analyse filière (Commodity Chain Analysis, CCA –
Commodity System Analysis, CSA) appliquée à l’agriculture est attribuée à notre collègue et ami, William H. Friedland, professeur émérite
au département de sociologie de l’université de Californie à Santa
Cruz, pour ses travaux fondateurs sur la mécanisation de la récolte des
tomates et des laitues Iceberg, en 1984. L’analyse filière apparaît ainsi
comme un moyen de relancer la sociologie rurale, « emberlificotée »
selon lui, dans l’étude de l’identité rurale face à l’urbanisation galopante. Il invite à revenir à la question de l’impact du système alimentaire sur la structuration de la vie des ruraux et la détermination de
leurs moyens de subsistance. Il définit ainsi cinq composantes ou
sujets d’étude de la CSA : les pratiques de production dans l’agriculture moderne, les organisations professionnelles, l’offre de travail et sa
mise en oeuvre, la recherche scientifique et technique, le marketing et
la distribution au-delà de la porte de l’exploitation. Son approche est
volontairement empirique et systémique.
Son appel a été entendu car suivi de nombreux travaux de sociologues, géographes et anthropologues apportant ainsi un regard neuf
1 LAURET F. [1983], « Sur les études de filières agroalimentaires », Économies et
Sociétés, Tome XVII, n° 83, mai, p. 721-740.
22•Montaigne
29/10/09
NOTE DE LECTURE
15:27
Page 1939
1939
sur la « question agraire » définie par Karl Kaustsky en 1899 et s’interrogeant sur la soumission de la paysannerie au capitalisme industriel. Ces travaux sur les relations de pouvoir ont été affinés, notamment par Lawrence Busch, sur les relations entre les grandes ou les
petites exploitations agricoles et les salariés, les industriels, les
banques, les transformateurs, les distributeurs, le consommateur, l’État
et l’environnement. Les anthropologues ont attiré l’attention, à l’autre
bout de la chaîne, sur le rôle du consommateur dans la définition de la
politique alimentaire.
L’analyse filière (CCA) éclaire également le rôle des sciences et des
techniques dans l’économie politique de l’agriculture. L’idée maîtresse
reste que les nouvelles machines modifient les relations entre les agriculteurs, les industries agroalimentaires, le gouvernement, les institutions éducatives, le consommateur et la nature. L’éloignement des pratiques traditionnelles a transformé la vie des ruraux à travers le monde.
Cette transformation des techniques de production par les scientifiques
et les ingénieurs – citons l’industrialisation de l’élevage du poulet ou
du bœuf, l’industrie du surgelé, les transports à longue distance et les
biotechnologies – ont fait resurgir chez les consommateurs activistes
européens la vision des expériences du Dr Frankenstein, ouvrant le
débat sur les « Frankenfoods », en référence à l’ouvrage de 2005 de
Hugh Gusterson.
La sociologie de l’acteur réseau de Michel Callon (Actor Network
Theory, ANT) apparaît ici comme une avancée déterminante en ce sens
qu’elle donne une place équivalente, symétrique, à la technique ou à
l’objet de la recherche (les coquilles Saint-Jacques en baie de SaintBrieuc) et aux chercheurs et autres acteurs impliqués. Cette approche
remet en cause l’hypothèse fonctionnaliste et déterministe du rôle de
la science qui piloterait les filières. L’étude de cas, réalisée par John
Soluri, du rôle de la maladie de Panama sur la structuration de l’United Fruit Company vient renforcer l’intérêt de faire jouer le même rôle
aux acteurs humains et non-humains. On peut dire que Michel Callon
a réussi a endogénéiser ainsi, dans sa discipline, le rôle de la dynamique des technologies, tout comme l’a fait Giovanni Dosi en économie industrielle et de l’innovation par les concepts de paradigme et trajectoire technologiques.
L’analyse filière a été également l’une des méthodes les plus fructueuses dans le renouvellement des études sur la mondialisation. Les
travaux fondateurs de Hopkins et Wallerstein (1986) et leur concept de
chaîne globale de production (Global Commodity Chain, GCC), repris
par la suite par Gary Gereffi (ou Jennifer Bair), apparaît comme une
22•Montaigne
29/10/09
1940
15:27
Page 1940
É. MONTAIGNE
ramification de l’analyse filière. Cette mobilisation de l’analyse filière
dans l’étude des échanges internationaux a renouvelé la théorie du système monde et la théorie de la dépendance. Le retour à une vision
« méso-économique » qui cherche à expliquer comment les liens se
forment, où et par qui les matières premières sont transformées, comment sont délocalisées les productions, comment les entreprises
réagissent à la demande du consommateur, non seulement éclaire la
production mondiale, l’organisation du travail et les modèles de
consommation, mais encore explique la construction d’inégalités au
sein même d’un pays.
L’application de cette approche renouvelle également l’économie
politique de l’agriculture, cherchant à expliquer « la crise mondiale de
l’agriculture » ou l’économie « sans amarres » des agricultures exportatrices des pays en développement. Ainsi, les travaux de la sociologue
Harriet Friedmann expliquent cette crise par l’effort des États puissants, comme les États-Unis, pour saper l’autosuffisance des agriculteurs compétitifs des pays en développement. Les GCC expliqueraient
la restructuration mondiale des agricultures, le rôle des firmes privées
multinationales et des institutions agissant au niveau mondial, au-delà
des États. Elles expliqueraient ainsi le coté « chaotique » de la géographie du capitalisme mondial.
Shane Hamilton insiste sur deux difficultés inhérentes à l’analyse
filière. Tout d’abord, comment choisir un découpage pertinent de ce
qu’il est important d’étudier : où faut-il s’arrêter, à la ferme, au champ,
au microbe ? La seconde difficulté porte sur l’infinité des études possibles dès lors que l’on s’intéresse aux réseaux agroalimentaires complexes. Selon nous, des réponses peuvent être apportées par les spécialistes de l’analyse des systèmes comme Jean-Louis Lemoigne 2 qui
propose un nouveau paradigme scientifique ou discours de la méthode.
L’auteur termine également sur les limites de l’analyse par la seule
logique du marché et invite à revenir aux questions essentielles :
qu’est-ce qui permet aux employés de l’agroalimentaire et aux agriculteurs de disposer de revenus décents, comment construire des
filières « durables » écologiquement, comment limiter le pouvoir des
monopoles dans l’agroalimentaire ? Les marchés sont incapables d’expliquer les caractéristiques et l’organisation des réseaux alimentaires
modernes. L’analyse filière permet de prendre en compte les résistances, l’adaptation, les exceptions locales à la règle, les orientations
2 LEMOIGNE J.L. [1977], La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation,
PUF, Paris (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994).
22•Montaigne
29/10/09
NOTE DE LECTURE
15:27
Page 1941
1941
alternatives. L’auteur invite enfin à développer des recherches empiriques sur les contingences, les complexités, les subtilités et ainsi faire
passer l’alimentation d’une idée abstraite à la perception de ce qui se
passe entre la fourche et la fourchette.
Nous pouvons maintenant livrer quelques réflexions sur cette recension proposée par un jeune historien américain de l’alimentation (PhD
au MIT en 2005). Tout d’abord cette vision classe nettement les travaux utilisant l’analyse filière dans le domaine des sciences humaines
et sociales, sociologie principalement. Tous les travaux ayant eu pour
référence l’économie industrielle (Market structure analysis) ou la
stratégie, appliqués au système agroalimentaire sont pratiquement
ignorés. En France, les synthèses sur l’économie des filières ont été
clairement apportées par les économistes industriels (Morvan, De
Bandt, etc.) et les chercheurs de l’INRA et de l’université les ont utilisés pour leurs études de cas dans le vin, les fruits et légumes, la filière
avicole ou laitière. De même, la référence aux travaux de Goldberg sur
l’agrobusiness dans les années 50 est absente.
Notre cocorico dût-il en souffrir, la seule référence française citée
est celle de « L’économie des filières en région chaude » publiée par le
CIRAD sous la direction de Michel Griffon, en 1990. Mais l’article
méthodologique cité est celui de Lawrence Busch. Peut-on reconquérir un réseau international de recherche mobilisant cette référence ?
Cette recension ayant ignoré les références économiques, il y
manque les nouveautés apportées à l’analyse filière par les courants
majeurs de la pensée économique tels que la nouvelle économie institutionnelle (NEI) ou l’économie évolutionniste. La première affine la
nature des relations contractuelles entre acteurs de la filière, étudie les
dispositifs formels et informels indispensables à la compréhension des
mécanismes transactionnels et de leur régulation. L’approche évolutionniste de l’étude des innovations technologiques qui, bien que restant dans l’économie industrielle et n’ayant pas recours à la définition
du dispositif technique comme acteur réseau non-humain, n’en
demeure pas moins proche des travaux de Callon sur la compréhension
de la genèse des innovations technologiques, tant dans la méthode
d’enquête que les explications proposées. Elle donne cependant une
place centrale à l’entreprise et au processus de « sélection naturelle »
des innovations par la confrontation au marché.
In fine, la désaffection relative de cette référence chez les économistes ruraux français peut être attribuée aux limites présentées par
Shane Hamilton : incertitude sur le découpage de la filière, objet complexe à l’étude toujours inachevée. La référence à l’analyse de filière
22•Montaigne
29/10/09
1942
15:27
Page 1942
É. MONTAIGNE
réapparaît toutefois régulièrement dans les colloques internationaux du
fait de ses dimensions descriptives, analytiques et explicatives sans
pareil.
Étienne Montaigne,
CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa
23•Intercalaire VI
30/10/09
7:27
Page 1943
Manifestations scientifiques
23•Intercalaire VI
30/10/09
7:27
Page 1944
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1945
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1945-1950
École doctorale internationale d’été
Management environnemental
et des agro-ressources
EDIEMEAR 2010
Amiens-Paris 4-10 juillet 2010
I. – CONTEXTE ET OBJET DU PROJET
En juillet 2010, la France accueillera et organisera la 10th IFSAM
World Conference.
L’International Federation of Scholarly Associations of Management (IFSAM), créée en 1990, est une organisation internationale non
gouvernementale regroupant les associations académiques en management d’un grand nombre de pays (notamment Allemagne, Australie,
Canada, Chine, Espagne, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Scandinavie, USA…) ; soit un potentiel de membres représentant des
dizaines de milliers d’enseignants et chercheurs en management,
répartis sur les cinq continents ; l’IFSAM ayant l’ambition de devenir
« The United Nations of the Academies of Management ».
La 10th IFSAM World Conference se tiendra du 8 au 10 juillet 2010,
à Paris, dans les locaux du Conservatoire National des Arts et Métiers
(CNAM) et d’institutions de la région parisienne associées au programme. Le thème directeur, retenu pour ce congrès mondial est « Justice and Sustainability in the Global Economy ».
Les responsables de ce prochain congrès mondial ont souhaité permettre aux différentes associations académiques françaises/francophones concernées d’être plus présentes dans un univers managérial
essentiellement anglo-saxon.
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1946
1946
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
Dans cette perpective, le RIODD propose des initiatives en cohérence avec son propre objet. Le RIODD – Réseau international de
recherche sur les organisations et le développement durable – rassemble, depuis 2005, un certain nombre de chercheurs et groupes de
recherches travaillant sur les thèmes du développement durable dans le
champ des sciences humaines et sociales (économie et gestion, droitsciences politiques, sociologie, etc.). Ces chercheurs sont implantés
principalement en France et dans les pays francophones (notamment
Canada) avec une internationalisation progressive dans les autres aires
linguistiques. Après les congrès de 2006 (Paris Est), 2007 (Montpellier), 2008 (Lyon), le 4e congrès vient de se tenir, en juin 2009, à
Lille 1.
Pour 2010, le RIODD a décidé de s’associer à la préparation de la
10th IFSAM World Conference, compte tenu de la proximité géographique, thématique et de l’ouverture internationale de cette manifestation.
II. – PRÉSENTATION, OBJECTIFS, THÉMATIQUE
> Présentation :
L’École Doctorale Internationale d’été 2010 « Management environnemental et des agro-ressources » se tiendra à Amiens du 4 au
10 juillet 2010. Elle accueillera des jeunes chercheurs de toutes disciplines (principalement des sciences humaines et sociales mais aussi
des autres disciplines scientifiques intéressées par le dialogue avec les
SHS).
L’École Doctorale Internationale d’été 2010 « Management environnemental et des agro-ressources » s’adosse au 10th IFSAM World
Conference qui se tiendra du 8 au 10 juillet 2010, à Paris, dans les
locaux du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et
d’institutions de la région parisienne associées au programme.
> Objectifs scientifiques :
Le RIODD, depuis sa création, se caractérise par sa transdisciplinarité. Le thème de l’école doctorale 2010 (environnement et agro-ressources) renforce son aspect transdisciplinaire qui ne se limite plus aux
seules sciences humaines et sociales, mais s’adresse à l’ensemble des
secteurs scientifiques. L’école doctorale d’été offre l’occasion aux
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1947
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
1947
jeunes chercheurs français et étranger de travailler avec des chercheurs
confirmés sur les différentes thématiques, afin d’enrichir leurs propres
travaux. Leur participation aux congrès RIODD-IFSAM, auxquels ils
seront invités, sera l’occasion de rentrer dans un réseau de recherche
international.
> Problématique et thématique :
Le programme de l’école doctorale d’été est bâti autour de la problématique et des thèmes suivants (liste provisoire) :
– Spécificité des systèmes agro-alimentaire, relations marchandnon marchand, prise en compte des externalités (positives, négatives)
– Instabilité des marchés, crise alimentaire et politiques agricoles
dans un environnement mondial instable (choix des filières faisant
l’objet d’intervention, protection des agriculteurs contre les
risques, adaptation à l’instabilité des revenus...)
– Management environnemental et gouvernance des organisations
(management des unités compétitives vs reconversion des secteurs
en décroissance).
– Approche spatio-temporelle du management environnemental
(approche globale vs locale)
– Résilience des petites et très petites exploitations agricoles dans
un contexte d’instabilité des marchés mondiaux et d’instabilité
climatique (alternative sècheresse, inondations, limites d’exploitation des ressources en eau...)
– Politique de développement rural permettant le maintien d’une
population (sécurité alimentaire, revenu) ; liaison avec les politiques d’environnement
– Crise énergétique et agro-ressources, le rôle des ACV
– Concurrences et complémentarités entre valorisations alimentaire
et non-alimentaire des agro-ressources dans une perspective de
développement durable
– KBBE « knowledge based bioeconomy » : dynamiques économiques reposant sur les investissements en recherche et développement sur l’ensemble des biotechnologies : (biofuel, OGM, chimie verte, valorisation énergétique des déchets...).
Les sessions sont construites comme des séminaires doctoraux, sous
la forme d’ateliers thématiques avec exposé de la problématique et travaux communs. Chacune de ces sessions d’une demi-journée sera portée par une école doctorale du pays d’accueil
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1948
1948
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
Les approches pluridisciplinaires et transdisciplinaires seront particulièrement mises en lumière ainsi que les contributions émanant de
chercheurs nationaux et internationaux.
En milieu de semaine, une « étude de cas » incluant des visites de
sites et d’organismes pertinents est prévue.
III. – MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE
1 – Public ciblé : étudiants avancés (doctorat ou post doctorat) et
jeunes chercheurs, de divers pays, concernés par la thématique ; 40
places sont offertes.
Les langues de communication sont le français et l’anglais (il n’est
pas prévu de traduction/interprétariat).
Le programme et le formulaire d’inscription sont accessibles en
ligne (http://www.riodd.net/) en cliquant sur le logo « École doctorale
Internationale d’été 2010 ».
Attention : la date limite d’inscription est fixée au 31 janvier 2010.
2 – Durée
L’EDIEMEAR se déroulera sur une semaine (du 4 au 10 juillet
2010), ainsi répartie
– dimanche 4 après-midi et soir : accueil à Amiens
– lundi 5 matin : ouverture et conférence invitée (une personnalité
scientifique)
– lundi 5 après-midi et mardi 6 matin : ateliers doctoraux
– mardi 6 après-midi : table-ronde chercheurs/professionnels et
conférence invitée
– mercredi 7 : visite d’un site (matin) et voyage Amiens-Paris
(après-midi) ; jonction avec congrès RIODD 2010
– jeudi 8 au samedi 10 : conférence internationale IFSAM au sein
duquel l’EDIEMEAR se poursuivra sous la forme de « tracks »
spécifiques.
Cette organisation devrait permettre une bonne répartition des exposés et communications selon leur statut
– la partie picarde pourrait être à la fois académique (au sens des
séminaires doctoraux et jeunes chercheurs) et professionnelle
(exposés et posters + la table-ronde du mardi 6 après-midi + visite
terrain du 7) ; par ailleurs, elle aurait une tonalité transdisciplinaire marquée ;
– la partie parisienne serait forcément plus classique (communications scientifiques – 3 par séance de 1h30 – comme dans tout
congrès international).
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1949
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
1949
3 – Logistique
Les participants seront logés à Amiens, puis à Paris, dans une résidence universitaire (3 nuits dans chaque ville).
Les autres aspects (repas, documentation congrès, activités socioculturelles) sont pris en charge par l’organisation picarde pour la première partie, par l’IFSAM pour la seconde.
Conditions financières :
Les 40 candidats retenus sur critères académiques par le comité
scientifique, bénéficieront d’une bourse qui financera les frais d’hébergement, les repas de midi, les visites de sites touristiques, les frais
d’inscription au colloque de l’IFSAM, et les frais pédagogiques. Les
frais de voyage et les menues dépenses sont à la charge des participants.
IV. – COMITÉS SCIENTIFIQUE ET D’ORGANISATION
> Institutions organisatrices
A – d’une part, le RIODD et l’IFSAM dont cette EDIE constituera
une composante, associée puis intégrée aux activités 2010 dans les
conditions décrites supra et infra,
B – d’autre part, les établissements scientifiques concernés en
région Picardie : UPJV Amiens (notamment l’IAE et l’équipe de
recherche CRIISEA), UT Compiègne (notamment le laboratoire du
Pr D. Thomas), d’autres institutions implantées en région (Institut de
Beauvais).
> Institutions associées :
A – au plan régional : les collectivités territoriales concernées :
Région Picardie, département Somme, ville et agglomération
d’Amiens, Pôle de compétitivité IAR (industrie et agro-ressources),
B – au plan national : INRA, CIRAD, Académie d’agriculture, Académie des technologies, Ministère de l’Enseignement supérieur et de
la recherche (DRIC),
C – au plan international : AUF – Agence universitaire francophone
(réseau environnement et développement durable), PNUD, FAO,
diverses institutions, entreprises et fondations concernées (ex : Accademia dei Georgofili, Firenze ; Crédit agricole, FARM).
24•RIODD
30/10/09
7:28
Page 1950
1950
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
> Comité scientifique
Le CS de l’EDIEMEAR est co-présidé par
– Pr R. Pérez1, U. Montpellier, membre Académie agriculture, Président 2007-2009 du RIODD, délégué aux partenariats IFSAM
2010
– Pr D. Thomas, UT Compiègne, membre Académie des technologies, Président Pole compétitivité IAR (industrie et agro-ressources)
Le CS comprend par ailleurs une dizaine de personnalités scientifiques (françaises et étrangères) concernées par cette manifestation,
dont :
– Pr F.-O. Baptista, U.T. Lisboa (Portugal)
– Pr S. Bedrani, CREAP Alger (Algérie)
– J.-M. Boussard, Académie d’agriculture (F)
– Dr X. Calatrava, IFAPA, Junte Andalousia, Granada (Espagne)
– Pr M. Capron, U. Paris Est, Pt du CS du RIODD
– Pr B. Christophe, UPJV, Amiens (F)
– Pr J. Pasquero, UQAM Montréal (Canada), Président RIODD
– Pr J.-L. Rastoin, Supagro Montpellier (F)
– Pr J. Richard, U. Paris Dauphine (F)
– Pr Y. Tékélioglu, U. Antalya (Turquie)
> Comité d’organisation :
Un CO de l’EDIEMEAR est mis en place avec les représentants des
différentes institutions organisatrices. Il est animé par le Pr B. Christophe, UPJV, Amiens2
1
2
Roland PEREZ, 06 73 24 39 28, [email protected]
Bernard CHRISTOPHE, 06 03 10 36 04, [email protected]
25•ISDA
30/10/09
7:29
Page 1951
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1951-1953
Innovation § sustainable development
in agriculture and food
(ISDA)
International Symposium
“Facing the Crisis and Growing Uncertainties, Can Science
and Societies Reinvent Agricultural and Food Systems to Achieve
Sustainability?”
Montpellier, France. 28 June - 1 July 2010
Organized by CIRAD, INRA and Montpellier SupAgro
At a time of increasing global threats including climate change, the
scarcity or degradation of resources, and population growth, the current economic crisis has triggered unpredictable short-term consequences. In the long term, the crisis may offer new opportunities, but
in a global context, agriculture and the food sector face an uncertain
future. How can we anticipate better and develop our capacity for resilience?
Following the 1993 international symposium organized by CIRAD,
INRA and ORSTOM on « Innovation and Societies: What kinds of
agriculture? What kinds of innovation? », we would like to review
changes in the way research contributes to innovation. Please join us to
reflect collectively upon future choices, design appropriate scientific
agendas, and help renew actions and policies so that innovation systems can better achieve sustainability. Researchers from all disciplines
are welcome, as well as stakeholders and policy makers, from Northern and Southern countries.
For more information about ISDA 2010, please visit:
www.isda2010.net (in English, French, and Spanish).
25•ISDA
30/10/09
1952
7:29
Page 1952
MANIFESTATIONS SCIENTIFIQUES
ISDA 2010
« Innovation et Développement Durable
dans l’Agriculture et l’Agroalimentaire »
Symposium International
Face à la crise et aux incertitudes grandissantes,
comment les sciences et les sociétés peuvent-elles réinventer
les systèmes agricoles et agroalimentaires
vers une plus grande durabilité ?
Montpellier, du 28 juin au 1er juillet 2010.
Organisation CIRAD-INRA-Montpellier SupAgro
À une époque où différentes menaces globales se font plus pressantes, avec le changement climatique, la pénurie ou la dégradation des
ressources et la croissance démographique, la crise économique a
déclenché à court terme des conséquences imprévisibles. À long
terme, la crise peut aussi offrir de nouvelles opportunités, mais dans ce
contexte global, l’agriculture et l’agroalimentaire font face à un futur
incertain. Comment mieux anticiper et augmenter notre capacité d’innovation?
Suite au colloque international organisé en 1993 par le CIRAD,
l’INRA et l’ORSTOM sur le thème « Innovation et Sociétés : Quelles
agricultures ? Quelles innovations ? », nous proposons d’engager une
réflexion sur la manière dont les systèmes d’innovation se sont transformés. Nous vous invitons à vous joindre à ce symposium pour faire
émerger de nouvelles perspectives pour les agendas scientifiques et
apporter des propositions concrètes pour l’action et les politiques. Les
chercheurs de toutes disciplines sont les bienvenus, ainsi que les
acteurs du développement et les responsables politiques, du Nord
comme du Sud.
Pour plus d’information sur ISDA 2010 : www.isda2010.net (en
français, anglais et espagnol).
26•Intercalaire VII
30/10/09
7:29
Page 1953
Appels à contributions
26•Intercalaire VII
30/10/09
7:29
Page 1954
27•Appel à contribution
27/10/09
8:21
Page 1955
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1955-1957
Relations entre producteurs
et grande distribution alimentaire
Dossier thématique pour la revue « Économies et Sociétés »,
série « Systèmes agroalimentaires », n° 32, 2010
Appel à contributions
Les relations entre producteurs et grande distribution alimentaire
connaissent des évolutions majeures. Les réformes profondes du cadre
juridique, notamment la loi LME (Loi de modernisation économique)
du 4 août 2008, visent à améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs par une baisse des prix. Elles conduisent les distributeurs et les
producteurs à développer de nouvelles stratégies et à faire évoluer
leurs pratiques de négociation.
Les distributeurs ne peuvent se focaliser uniquement sur la variable
prix. Ils recherchent également une différenciation fondée sur l’originalité de leur assortiment. Cette stratégie peut se révéler propice au
développement de relations de coopération entre fournisseurs et
détaillants. Les marques de distributeurs comme vecteur de différenciation peuvent constituer un terrain favorable au rapprochement entre
l’amont et l’aval.
Ce secteur en pleine évolution est confronté à d’autres enjeux liés
notamment au débat sur la responsabilité sociale des entreprises (commerce équitable, relations avec les PME), au renforcement de la sécurité alimentaire (traçabilité, normes ISO 22 000), au développement
des nouvelles technologies de l’information (RFID, commerce électronique) et à l’internationalisation (global sourcing). Ces changements sont susceptibles de transformer les contours et les rapports à
l’intérieur de la chaîne logistique (supply chain). Quelles méthodes
mettre en œuvre pour faire face à ces nouveaux enjeux ?
Du point de vue du champ géographique, on s’intéressera tant aux
pays à haut revenu qui ont mis en place des filières agroindustrielles
dans lesquelles la grande distribution occupe un rôle majeur au niveau
27•Appel à contribution
27/10/09
8:21
1956
Page 1956
APPEL À CONTRIBUTIONS
des circuits de commercialisation alimentaires, qu’aux pays émergents
dans lesquelles on observe une croissance rapide des implantations de
super et d’hypermarchés.
Champs disciplinaires :
Ce dossier thématique de la série « Systèmes agroalimentaires » de
la revue Économies et Sociétés vise à proposer des réponses à ces questions en adoptant une lecture plurielle. Différentes disciplines comme
le droit, l’économie, la géographie, la gestion et la sociologie retiennent les relations entre producteurs et grande distribution alimentaire
comme objet d’étude en partageant certains cadres théoriques comme
la théorie des coûts de transaction ou la théorie de la justice sociale.
Les contributions, qui pourront s’inscrire dans ces différentes disciplines, apporteront un éclairage complémentaire sur l’évolution du
contexte et des pratiques.
Thèmes des propositions (liste indicative et non exhaustive) :
L’évolution du cadre juridique
L’évolution des marques de distributeurs
Les nouvelles conditions de la négociation commerciale
La gestion des compétences de la force de vente
La sécurité alimentaire, la traçabilité
Le management de la chaîne logistique
Le commerce équitable et le développement durable
L’impact de la grande distribution sur la configuration des filières
agricoles et agroalimentaires
Le partage de la valeur dans les filières.
Éditeurs scientifiques invités :
Hervé Fenneteau, Professeur à l’Université Montpellier 1
Karim Messeghem, Professeur à l’Université Montpellier 1
Gilles Paché, Professeur à l’Université de la Méditerranée
(Président du comité scientifique).
27•Appel à contribution
27/10/09
APPEL À CONTRIBUTIONS
8:21
Page 1957
1957
Votre proposition de contribution devra être conforme aux dispositions de la note concernant la politique éditoriale de la série et de
la note aux auteurs sur les normes techniques à respecter (infra).
Merci de l’adresser, en indiquant la rubrique choisie (article,
expertise, note de lecture, compte rendu de colloque) et avant le
15 décembre 2009 à :
[email protected]
(fichier Word via messagerie électronique)
27•Appel à contribution
27/10/09
8:21
Page 1958
28•IFSAM
30/10/09
7:30
Page 1959
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 30, 11-12/2008, p. 1959-1962
Appel à contributions atelier
PME et développement durable
Jean-Marie Courrent,
maître de conférences, Université de Perpignan Via Domitia
Martine Spence,
professeure agrégée, Université d’Ottawa, École de Gestion
Leïla Temri,
maître de conférences, Université Montpellier-1
Afin de bien comprendre l’enjeu que représente le développement
durable (DD) en PME, il convient de rappeler le poids que représentent ces entreprises, dans tous les pays, tant en termes de valeur ajoutée que d’emploi. Forts de ce constat, les états axent souvent leur politique économique sur les PME, en y intégrant de plus en plus des
dispositifs en faveur du DD. Or, l’offre abondante d’outils et de dispositifs DD ne semble pas avoir d’effets très probants sur les attitudes et
les comportements des dirigeants de PME, la profusion des dispositifs
ayant tendance à entraîner l’incertitude plus que l’adhésion des propriétaires-dirigeants de ces entreprises [Murillo and Lozano (2006) ;
Roberts et al. (2006)].
Les travaux académiques se sont développés dans la dernière décennie, portant sur les déterminants de l’implication des PME dans le DD
[Cabagnol and Le Bas (2006) ; Spence et al. (2007) ; Paradas (2007),
sur des comparaisons entre petites et grandes entreprises en termes de
28•IFSAM
30/10/09
1960
7:30
Page 1960
APPEL À CONTRIBUTIONS
comportements et de pratiques durables [Jenkins (2004) ; Perrini et al.
(2007)], ainsi que sur les freins et motivations à l’engagement [DTI
(2002) ; Longo et al. (2005)].
Ce champ de recherche reste néanmoins encore en construction,
tant en termes de cadre théorique que d’opérationnalisation des
concepts. Ainsi, de nombreuses questions demeurent en suspens et
bien des voies restent à explorer :
– En premier lieu, la plupart des travaux s’intéressent prioritairement au seul aspect environnemental. Or, cette approche est doublement réductrice, en ce sens qu’elle ne s’attache qu’à l’un des
trois enjeux du développement durable et qu’elle évacue donc le
problème fondamental de leur conciliation.
– En second lieu, une dimension centrale reste souvent négligée :
celle des représentations et stratégies des dirigeants de PME, dans
la conduite de leur entreprise en général et vis-à-vis du développement durable plus particulièrement. L’un des enseignements
essentiels de la recherche sur l’entrepreneuriat et sur les firmes de
petite et moyenne dimension repose, en effet, sur le constat d’une
très grande hétérogénéité des profils comme des conduites. Or, la
connaissance des attitudes et des comportements durables en
PME reste parcellaire, et donc insuffisante pour appréhender de
façon fine (et opératoire) les freins et les déterminants de l’engagement.
– En troisième lieu, le développement des travaux sur la mesure des
niveaux d’engagement DD semble fondamental, si l’on souhaite
aider les chercheurs, praticiens et organismes d’appui à proposer
des mesures pratiques d’accompagnement des PME.
Cet atelier accueillera donc des contributions empiriques et théoriques portant sur le développement durable en PME, qui s’intéressent
notamment aux sujets suivants :
– La conciliation des dimensions économique, sociale et environnementale
– Les spécificités du management durable en PME
– Le processus d’engagement de la PME dans le DD
– L’existence d’effets de taille en matière de DD
– Les motivations et freins des dirigeants
– La mesure du degré d’engagement
– L’entrepreneuriat « durable »
– La dimension DD dans la transmission / reprise d’entreprise
– La mesure de la performance durable
28•IFSAM
30/10/09
7:30
Page 1961
APPEL À CONTRIBUTIONS
1961
Les propositions de communications doivent être envoyées
avant le 31 janvier 2010
([email protected])
Normes de présentation des textes sur
http://www.ifsam2010.org/tracks.htm
• Jean-Marie COURRENT, maître de conférences
Université de Perpignan Via Domitia
E-Mail: [email protected]
Jean-Marie Courrent enseigne le management stratégique, l’entrepreneuriat et la gestion de la PME à l’Université de Perpignan Via
Domitia (France).
Ses travaux de recherche portent sur l’éthique, la responsabilité
sociale et le développement durable en contexte PME.
• Martine SPENCE, professeure agrégée
Université d’Ottawa, École de gestion Telfer
E-mail: [email protected]
Martine Spence enseigne l’entrepreneuriat, le marketing stratégique et le marketing international à l’Université d’Ottawa
(Canada). Ses recherches portent sur l’entrepreneuriat durable et
l’internationalisation des PME.
• Leïla TEMRI, maître de conférences
Université de Montpellier (France)
E-mail : [email protected]
Leïla Temri enseigne le management stratégique à l’Université de
Montpellier. Ses travaux de recherche sont centrés sur les processus d’innovation et le développement durable en PME.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CABAGNOLS A., LE BAS C. J.P. [2006], « Les déterminants du comportement de
responsabilité sociale de l’entreprise. Une analyse économétrique à partir
de nouvelles données d’enquête » (Determinants of firm’s social responsibility. An econometric analysis from new survey data), Premier congrès du
RIODD Organisations et développement durable : dialogues interdisciplinaires, Créteil, France.
Department of Trade and Industry (DTI) [2002], Engaging SMEs in Community and Social Issues, Research Report, London: DTI.
JENKINS H. [2004], « A critique of conventional CSR theory: an SME perspective », Journal of General Management 9(4), p. 55-75.
28•IFSAM
30/10/09
1962
7:30
Page 1962
APPEL À CONTRIBUTIONS
LARSON A. [2000], « Sustainable innovation through an entrepreneurship
lens », Business Strategy and the Environment 9, p. 304-317.
LONGO M., MURA M., BONOLI A. [2005], « Corporate social responsibility and
corporate performance: the case of Italian SMEs », Corporate Governance
5(4), p. 28-42.
MURILLO D., LOZANO, J. [2006], « SMEs and CSR: An approach to CSR in
their own words », Journal of Business Ethics 67, p. 228-240.
PARADAS A. [2007], « Le dirigeant comme levier de la RSE en TPE. Approche
exploratoire basée sur l’utilisation de récits et d’une cartographie cognitive » (The owner-manager as driver of CSR in SMEs. An exploratory study
based on discourse and cognitive mapping), Revue Internationale P.M.E.
20(3/4), p. 43-68.
PERRINI F., RUSSO A., TENCATI A. [2007], « CSR strategies of SMEs and large
firms. Evidence from Italy », Journal of Business Ethics 74, p. 285-300.
ROBERTS S., LAWSON R., NICHOLLS J. [2006], « Generating regional-scale
improvements in SME corporate responsibility performance: Lessons from
responsibility Northwest », Journal of Business Ethics 67, p. 275-286.
SPENCE M., BEN BOUBAKER GHERIB J., ONDOUA BIWOLÉ V. [2007], « Développement durable et PME : Une étude exploratoire des déterminants de leur
engagement », Revue internationale PME, 20(3-4), p. 17-42.
29•Intercalaire VIII
30/10/09
7:31
Page 1963
Politique éditoriale
et
note aux auteurs
29•Intercalaire VIII
30/10/09
7:31
Page 1964
30•Politique éditoriale
30/10/09
7:32
Page 1965
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 31, 11/2009, p. 1965-1966
Économies et Sociétés
Série « Systèmes agroalimentaires »
Politique éditoriale
Économies et Sociétés est une revue scientifique à comité de lecture (RCL) référencée dans les bases de données bibliographiques
« Econlit » et « IBSS » qui font autorité dans le domaine des sciences
sociales. Elle comprend 12 séries actives publiées par la Fondation
François Perroux et l’ISMÉA. La série « Systèmes agroalimentaires » est référencée dans la catégorie « Économie de l’agriculture,
de l’environnement et de l’énergie » de la section 37 du CNRS, ainsi
que dans la liste de revues scientifiques retenues par l’AERES en
sciences sociales.
La série « Systèmes agroalimentaires » a succédé, en 2000, à la
série « Développement agro-alimentaire », dirigée par Louis Malassis
de 1990 à 1999, qui elle-même prenait le relais de « Progrès et agriculture » (directeurs, de 1970 à 1989 : Michel Cépède, Louis Malassis
et Joseph Klatzmann). Ce changement d’appellation témoigne de la
dynamique d’une discipline scientifique qui accompagne les mutations
de ses objets de recherche.
Dans la continuité des séries précédentes, la série « Systèmes agroalimentaires » de la revue Économies et Sociétés a pour ambition d’accueillir des auteurs de disciplines scientifiques variées (économie,
gestion, sociologie, etc.) s’intéressant à un objet empirique commun,
le système agroalimentaire, dans la perspective du progrès de la
connaissance et de l’aide à la décision.
De nouvelles thématiques sont proposées aux chercheurs en agroalimentaire. On peut citer, à titre d’illustration : mondialisation et développement durable, modes de gouvernance du système alimentaire,
nouvelles fonctionnalités de l’agriculture, de l’industrie et de la distribution alimentaire, sécurité alimentaire au Nord et au Sud, dynamiques
de la consommation et durabilité, prix des aliments et itinéraires tech-
30•Politique éditoriale
1966
30/10/09
7:32
Page 1966
POLITIQUE ÉDITORIALE
niques, rôle des normes et régulation des marchés, intermédiation dans
les filières, configurations stratégiques des entreprises, relations entre
territoires et acteurs privés et publics, politique alimentaire, etc. Le
numéro 32 (à paraître à l’automne 2010) comportera un dossier
spécial : « Les relations entre producteurs et grande distribution ».
Différents types de textes pourront être publiés, avec des modalités d’évaluation interne (comité de rédaction – CR) et externe sous
anonymat (membres du comité de lecture – CL) conformes au standard
académique ambitionné par la série :
– Articles scientifiques (5 à 6 000 mots, comprenant une revue de la
littérature, une méthode d’analyse et un traitement empirique ou
une proposition théorique) : évaluation par 2 membres du CR + 2
membres du CL.
– Expertises et libres propos (2 à 3 000 mots, expertise/point de vue
sur une filière, une entreprise, une question de politique publique,
etc.), avec la réponse d’un « discutant », dans le même numéro ou
dans le numéro suivant : évaluation par 2 membres du CR + 1
membre du CL, le cas échéant.
– Notes de lecture sur un ouvrage scientifique récent ou republié (2
à 4 pages) : évaluation par un membre du CR.
– Compte rendu de colloque (2 à 4 pages) : évaluation par un
membre du CR.
Les projets de publication sont reçus et traités en continu. Ils
devront être expédiés au secrétariat de la revue ([email protected]) en précisant la formule retenue au sein de la liste précédente. Le comité de rédaction supervise l’ensemble du processus d’admission des publications et décide in fine de toute publication.
Pour le Comité de rédaction,
Jean-Louis Rastoin
Le Comité de rédaction de la série « Systèmes agroalimentaires »
de la revue Économies et Sociétés remercie l’UMR 1110 Moisa
(Ciheam-Iamm, Cirad, Inra, Montpellier SupAgro) pour son appui
humain, financier et logistique.
31•Note aux auteurs
30/10/09
7:32
Page 1967
In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 30, 11-12/2008, p. 1967-1970
REVUE ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS
Série « Systèmes agroalimentaires »
NOTE AUX AUTEURS
Présentation des articles
Toute contribution proposée doit être originale (non déjà publiée
dans une autre revue française ou étrangère) et présentée en langue
française, sous la forme technique suivante :
1 – Le volume des textes ne doit pas excéder :
5 à 6 000 mots pour un article scientifique,
2 à 3 000 mots pour un article proposé dans la rubrique Expertises et libres propos,
2 à 4 pages pour une note de lecture ou un compte rendu de colloque,
y compris les annexes et notes de bas de page, et doit respecter
les règles de forme suivantes : dactylographie au RECTO de la
feuille uniquement, en caractère Times New Roman 12, interligne 1,5 ; marges de 2,5 cm et justification.
– La numérotation des différentes parties et sous-parties du texte doit
être décimale et en chiffres arabes uniquement (par exemple : 1, puis
1.1, puis 1.1.1, puis 1.1.2, puis 1.2, etc., 2, puis 2.1, puis 2.2, etc.) ;
l’introduction et la conclusion ne seront pas numérotées.
– Les passages du texte qui doivent être en italique doivent être présentés directement en italique,
– Les citations doivent être clairement entre guillemets français (« ... »).
31•Note aux auteurs
30/10/09
7:32
Page 1968
1968
NOTE AUX AUTEURS
2 – La page UNE doit comporter :
– le titre courant (c’est-à-dire ce qui figure dans la revue en haut des
pages tout au long de l’article) : 50 signes au maximum,
– le titre de l’article en anglais et en français,
– le résumé de l’article (six lignes au maximum), en français et en
anglais,
– le nom de l’auteur (ou des auteurs) accompagné de son identification et de son adresse professionnelle, téléphone, fax et e-mail
(publiables), ainsi que de son adresse personnelle, téléphone, fax
et e-mail (non publiés),
– le nom d’un auteur correspondant, dans le cas d’un article rédigé
par plusieurs auteurs ; à défaut, c’est le premier auteur qui sera
considéré comme correspondant.
3 – Les notes (notes d’éclaircissement nécessaire à l’intelligence du
texte seulement) doivent figurer en bas de page, numérotées à la
suite, graduellement, conformément aux appels de note, sur la
même page (suite page(s) suivante(s) s’il y a lieu), numérotés à
partir du corps du texte proprement dit seulement (en en-tête de
l’article : astérisque(s)).
4 – Les références bibliographiques doivent figurer en fin d’article,
classées par ordre alphabétique d’auteurs, et, pour chaque auteur,
chronologiquement. Il est recommandé de limiter au strict minimum les autocitations.
pour un article, ne pas dépasser une trentaine de références.
Lorsque le texte renvoie à l’une de ces références, l’année de la
publication est signalée à la suite du nom de l’auteur (entre crochets, en caractères normaux, avec l’indication de la page chaque
fois que c’est nécessaire). Exemple : [Martin (1959), p. 54-59].
À la fin de l’article, les ouvrages ou articles sont présentés conformément aux normes et conventions professionnelles de l’édition
scientifique des revues économiques :
a) Pour un ouvrage :
NOM initiale(s) du prénom, année de la publication [entre crochets],
Titre de l’ouvrage en italique, Éditeur, Lieu de l’édition.
exemple : DUPONT J. [1999], Économie générale, Éditions du
Panthéon, Paris.
31•Note aux auteurs
30/10/09
NOTE AUX AUTEURS
7:32
Page 1969
1969
b) Pour un article :
NOM initiale(s) du prénom, année de la publication [entre crochets],
Titre de l’article « entre guillemets », Titre de la revue ou de l’ouvrage en italique,
Série, numéro, tome, volume, mois, pages (un seul p.).
exemple : DURAND F. [1982], « Marché et concurrence »,
Économie appliquée, tome XXXV, n° 2, p. 175-192.
c) Pour Économies et Sociétés, il faut signaler le nom de la série et
le n° dans la série ;
exemple : DUBOIS J. [1992], « Les Pays de l’Est », Économies et
Sociétés, G. 44, avril-mai, p. 40-61.
5 – Tous les éléments illustratifs (tableaux, figures, dessins, schémas,
graphiques, etc.) doivent être fournis en même temps que l’article
(c’est-à-dire insérés dans le corps de l’article ou dans les annexes
s’il y a lieu) et séparément (c’est-à-dire sur des pages séparées, à
distinguer des annexes) :
– sous la forme d’un document ORIGINAL, de bonne qualité technique,
– au format de la revue (13.5 x 21.5 cm maximum, moins les
marges) et directement reproductible.
N.B. : Le titre des tableaux figure au-dessus du tableau ; le titre des
graphiques et autres illustrations figure en dessous.
6 – La qualité technique de présentation des manuscrits doit être
respectée :
• le texte doit être soigneusement rédigé, sans fautes d’orthographe
ou d’accentuation (les capitales doivent être accentuées) ;
• le secrétariat de la revue refusera tout texte dans lequel le nombre
de fautes (orthographe, accents, ponctuation) est trop grand ou la
présentation non conforme aux spécifications ci-dessus.
7 – Le texte doit nous être envoyé par fichier électronique (Word).
Pour des raisons de coût et de délai, aucune correction d’auteur ne peut être admise au stade de l’imprimerie (l’imprimeur
ne fournit pas d’épreuves).
31•Note aux auteurs
1970
30/10/09
7:32
Page 1970
NOTE AUX AUTEURS
8 – Les textes seront examinés par le comité de rédaction de la
série. S’ils sont jugés conformes à la politique éditoriale de la
revue, ils font alors l’objet d’une procédure classique d’évaluation par 1 ou 2 referees selon la formule retenue (cf. Politique éditoriale). Après navette éventuelle, le comité de rédaction décidera seul, en dernier ressort, de la publication de
l’article.
Jean-Louis Rastoin,
Directeur de la série
Merci d’adresser vos articles
(fichier Word via messagerie électronique) à :
Myriam Haider
[email protected]
32•AdressesProf. 11/09
30/10/09
7:33
Page 1971
LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES
DES AUTEURS
Philippe AURIER
Université Montpellier 2, CR2M
place Eugène Bataillon
34095 Montpellier cedex 5
[email protected]
Hélène BASQUIN
CIRAD
avenue Agropolis
34398 Montpellier
Michel
BENOIT-CATTIN
CIRAD, UMR 1110 Moisa
TA C-99/15
34398 Montpellier cedex 5
[email protected]
Nicolas BRICAS
CIRAD, UMR 1110 Moisa
TA C-99/15
34398 Montpellier cedex 5
Natacha CALANDRE
Centre Edgar Morin
IIAC
EHESS - CNRS
22 rue d’Athènes
75009 Paris
[email protected]
Jean-Louis FUSILLIER
CIRAD
avenue Agropolis
34398 Montpellier
[email protected]
Pascal GROUIEZ
Université de Reims Champagne Ardenne
OMI, bât. Recherche
57 bis rue Pierre Taittinger
51096 Reims cedex
[email protected]
Patricia GURVIEZ
AgroParisTech
1 avenue des Olympiades
91744 Massy
[email protected]
Philippe HUGON
Université Paris X Nanterre
200 avenue de la République
92000 Nanterre
[email protected]
32•AdressesProf. 11/09
30/10/09
1972
7:33
Page 1972
LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES
Frédéric LANÇON
CIRAD, UR Arena
TA C88/15
avenue d’Agropolis
34398 Montpellier cedex 5
[email protected]
Étienne MONTAIGNE
CIHEAM-IAMM, UMR 1110 Moisa
3191 route de Mende
34093 Montpellier cedex 5
[email protected]
Paule MOUSTIER
CIRAD, UMR 1110 Moisa
TA C-99/15
34398 Montpellier cedex 5
[email protected]
Sylvain
Bertelet NGASSAM
Université de Dschang
BP 110 Dschang (Cameroun)
[email protected]
Guy Blaise NKAMLEU
Banque Africaine de Développement
BP 323
1002 Tunis-Belvédère (Tunisie)
[email protected]
Laurent PARROT
CIRAD
avenue Agropolis
34398 Montpellier
[email protected]
Jean-Louis RASTOIN
Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa
2 place Pierre Viala
34060 Montpellier cedex 1
[email protected]
Béatrice
SIADOU-MARTIN
Lucie SIRIEIX
Université Montpellier 2, CR2M
IUT de Montpellier
place Eugène Bataillon
34095 Montpellier cedex 5
[email protected]
Montpellier SupAgro, UMR 1110 Moisa
2 place Pierre Viala
34060 Montpellier cedex 1
[email protected]
32•AdressesProf. 11/09
30/10/09
7:33
Page 1973
LISTE DES ADRESSES PROFESSIONNELLES
Jean-François
SOUFFLET
1973
ENESAD, UMR 1041 Cesaer
26 bd Docteur Petitjean
21000 Dijon
Ludovic TEMPLE
CIRAD, UMR 1110 Moisa
TA C-99/15
34398 Montpellier cedex 5
[email protected]
Jean-Marc TOUZARD
INRA, UMR 951 Innovation
2 place Viala
34060 Montpellier cedex 1
[email protected]
Laurent TROGNON
AgroParisTech-Engref,
centre de Clermont-Ferrand
24 av. des Landais - BP 90054
63171 Aubière cedex
[email protected]
32•AdressesProf. 11/09
30/10/09
7:33
Page 1974
Téléchargement