La sexualité des personnes atteintes de la maladie d`Alzheimer : l

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Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13 (4) : 434-40
La sexualité des personnes atteintes
de la maladie d’Alzheimer : l’approche
des guides pour les aidants familiaux
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Approach of the sexuality of Alzheimer’s disease patients
according to caregivers’ guides approach
Madeleine Ostrowski
Marie-Claude Mietkiewicz
Laboratoire Interpsy, EA 4432,
Université de Lorraine, Nancy, France
<[email protected]>
Tirés à part :
M. Ostrowski
Résumé. Si les troubles du comportement sexuel ne sont pas un symptôme majeur de la
maladie d’Alzheimer, ils peuvent néanmoins représenter pour l’entourage du malade une
source de souffrance et de difficultés, d’autant plus qu’il n’est pas toujours aisé de s’en
ouvrir à des personnes extérieures. Parmi l’éventail d’aides proposé aux aidants de malades
atteints de maladies d’Alzheimer, les guides dédiés aux proches des malades – avec pour
objectif de permettre aux accompagnants de toujours mieux connaître la maladie afin de
mieux accompagner le malade – tentent d’apporter quelques conseils et réponses aux éventuelles questions d’un accompagnant confronté aux troubles de la sexualité de son proche.
La lecture attentive de tous les guides parus entre 1988 et 2013 montre que trente des
quarante-six ouvrages abordent la sexualité des malades atteints de maladie d’Alzheimer,
parfois en quelques lignes, parfois en quelques paragraphes illustrés par des vignettes cliniques. Tous distinguent les deux types de manifestations habituellement rapportées chez
les malades atteints de maladie d’Alzheimer : d’une part, la perte d’intérêt et la diminution
des activités sexuelles et, d’autre part, les comportements sexuels déplacés. Cet éclairage
peut aider les proches, conjoints et enfants des patients, chacun à sa place dans la constellation familiale, à dédramatiser ces conduites déplacées et à les gérer sans en tenir rigueur
au malade.
Mots clés : maladie d’Alzheimer, sexualité, aidants, guides
Abstract. If sexual behavior disorders are not a major symptom of Alzheimer’s disease,
they might be a source for suffering and hardship to the patient’s entourage, especially
since it is usually not easy to address sexuality. Guides for relatives have been devoted to
improve their knowledge about the disease and to help providing best care for the patient.
Thirty of the forty-six guides make references to sexual behavior disorders in Alzheimer’s
disease patients, sometimes in a few lines, sometimes in a few paragraphs illustrated by
clinical vignettes. All these guides report two types of sexual disorders, loss of interest
and decreased sexual activity, or inappropriate sexual behavior, and give advices to help
relatives, spouses and children, managing the patient’s sexual disorders without blaming
the patients.
Key words: Alzheimer disease, sexuality, caregivers, guides
434
lité participe de son identité, y compris aux âges très
avancés.
S’agissant des personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer (MA), la question de la sexualité est abordée
selon deux modalités : soit perte d’intérêt et diminution
progressive du désir et de l’activité soit, à l’opposé, manifestations déplacées et comportement sexuel socialement
inadapté. Si les troubles du comportement sexuel ne sont
pas un symptôme majeur de la MA, ils peuvent néanmoins
représenter pour l’entourage du malade une source de souf-
Pour citer cet article : Ostrowski M, Mietkiewicz MC. La sexualité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer : l’approche des guides pour les
aidants familiaux. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13(4) : 434-40 doi:10.1684/pnv.2015.0580
doi:10.1684/pnv.2015.0580
L
es travaux récents qui portent sur la sexualité dans ses rapports avec le vieillissement ont
progressivement contribué à lever le tabou qui
pesait sur cette question pour reconnaître des besoins
sexuels aux personnes âgées. Dès l’instant qu’on ne
réduit pas la sexualité à la génitalité et qu’on n’assimile
pas le vieillissement à une sommation de dysfonctionnements, un consensus semble établi pour reconnaître
que l’individu est sexué, qu’il exprime désirs, pulsions et
fantasmes jusqu’à son dernier souffle et que la sexua-
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La sexualité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
Trente [2, 3, 5, 7, 9-13, 16, 19, 20, 22-25, 27-29, 31-33,
36, 39-45] des quarante-six guides étudiés abordent la
sexualité des malades atteints de MA, parfois en quelques
lignes, parfois en quelques paragraphes illustrés par des
vignettes cliniques. Cette question est traitée beaucoup
plus souvent dans les publications les plus récentes où
elle donne habituellement lieu à des développements plus
importants que dans les guides du siècle dernier.
Une caractéristique commune à tous ces ouvrages est
de reconnaître au malade une identité sexuée ; la légitimité
de son expression n’est jamais remise en cause, elle est
quelquefois explicitement réaffirmée : « On est amoureux à
tout âge. À tout âge on peut avoir envie de faire l’amour avec
celle ou celui qu’on aime » [2], « Comme toute personne, le
ou la malade peut ressentir un plaisir d’ordre sexuel » [11],
« Attention ! Les personnes âgées, même démentes, ont
toujours une sexualité » [22], ou encore : « la sexualité fait
partie de la vie, et ce jusqu’à la mort, que la personne soit en
bonne santé ou atteinte d’une maladie, qu’elle vive au domicile ou en institution » [45]. Plusieurs auteurs [27, 41, 43]
insistent sur la nécessité de lever le tabou dont peut encore
être l’objet la sexualité des personnes malades et certains
affirment que le maintien d’une sexualité active contribue à
leur bien-être : « Avant d’aborder le thème de la vie sexuelle
du malade, il faut éliminer une idée fausse très répandue :
« Ce n’est pas bien de faire l’amour avec une personne qui
a perdu ses facultés intellectuelles ». C’est une erreur. Pourquoi priver aujourd’hui votre proche de la vie en couple qu’il
a connue au cours de sa vie ? S’il peut encore faire l’amour,
il y trouvera plaisir » [36].
Ces préalables posés, tous les guides distinguent les
deux types de manifestations classiquement rapportées
chez les malades atteints de maladie d’Alzheimer : d’une
part, perte d’intérêt et diminution des activités sexuelles
et, d’autre part, comportements sexuels déplacés et sollicitations crues. Alors que le désintérêt pour la sexualité
est présent chez l’immense majorité des patients, un
petit pourcentage d’entre eux exprime, au contraire, des
demandes majorées qui se manifestent sans considération
des normes sociales et qui relèvent de ce que la plupart
des auteurs appellent l’hypersexualité : « Bien que les
personnes atteintes de maladie d’Alzheimer manifestent
généralement une indifférence vis-à-vis de la sexualité, environ 5 % d’entre elles – le plus souvent des hommes – ont
un comportement sexuel déplacé aux stades modéré et
avancé de la maladie » [44].
Bien que l’indifférence sexuelle associée à l’émoussement affectif soit beaucoup plus fréquente dans la MA
que les expressions brutales du désir et les conduites
déplacées [47, 48], c’est essentiellement sous l’angle
de l’hypersexualité que les guides abordent cette question, très certainement parce que, au-delà de leur
faible fréquence, les comportements sexuels inappropriés
concernent toute une gamme de manifestations qui vont à
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 4, décembre 2015
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france et de difficultés. Parce que ces questions restent
souvent difficiles à aborder avec les professionnels, les
proches du malade vont peut-être chercher des réponses
à leurs interrogations dans les guides destinés aux aidants
informels. Ces ouvrages, accessibles et disponibles, conçus
comme des manuels de l’accompagnement des malades
Alzheimer, s’attachent à proposer aux aidants familiaux des
conseils dans la gestion du quotidien et examinent à cette
fin les principales difficultés qu’ils rencontrent au fur et à
mesure de l’évolution des troubles. Écrits par des professionnels, les guides ont pour objectif essentiel d’apporter
aux proches des propositions pour vivre le mieux possible
et le plus longtemps possible à domicile avec le malade.
Nous proposons de relever comment les questions relatives à la sexualité des personnes atteintes de MA sont
abordées dans ces ouvrages et quels conseils et recommandations sont avancés pour aider les proches à faire face
aux éventuels troubles.
Les guides pour les aidants
et la sexualité des malades
Constitution du corpus des guides
Nous appelons « guides » les ouvrages qui s’adressent
explicitement aux proches des patients atteints de MA
et qui affichent leur intention d’expliquer la maladie pour
comprendre le malade et aider ses proches à l’accompagner
au quotidien. Le corpus sur lequel porte notre travail comporte les quarante-six ouvrages publiés entre 1988 et 2013
qui répondent à cet objectif.
Ces livres ([1-46] dans l’ordre chronologique de leur
première édition) indiquent souvent dès leur titre cette
intention d’apporter des réponses aux difficultés rencontrées par les proches, par exemple : « Comment vivre avec
un Alzheimer » [1], « Alzheimer – Le guide de l’aidant » [9],
« Alzheimer et démences séniles – Mieux vivre avec un
malade » [10], « Vivre avec un proche atteint d’Alzheimer »
[13], « Maladie d’Alzheimer : traiter, soigner et accompagner au quotidien » [14], etc. Les indications de la quatrième
de couverture de tous ces ouvrages précisent l’objectif –
« aider » – et le destinataire – « l’aidant ». Les introductions
désignent les « proches » du malade comme les lecteurs à
qui ces livres sont dédiés.
La sexualité dans les guides
M. Ostrowski, M.-C. Mietkiewicz
l’encontre des conventions sociales et embarrassent « en
raison de nos repères socio-éducatifs, religieux, moraux ou
éthiques qui peuvent avoir été perdus par les personnes
malades » [3].
Maladie d’Alzheimer et baisse
de la libido : une question intime
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Le trouble le plus fréquent
La moitié des guides [7, 9, 10, 12, 13, 20, 24, 27, 31, 32,
36, 39-42] mentionne que la perte d’intérêt pour les relations sexuelles, le déclin du désir et la diminution de
l’activité sexuelle sont les manifestations les plus habituelles de la maladie d’Alzheimer. Le constat de l’évolution
la plus fréquente de la sexualité des malades se résume
à « une libido en berne » [31]. L’évocation de la perte
« des motivations sexuelles » [36] donne lieu à des énoncés convergents : « Dans la plupart des cas, les troubles
sexuels sont davantage à type d’indifférence, d’apathie et
donc d’inactivité » [10] ; « Dans la majorité des cas, la
maladie d’Alzheimer entraîne une diminution du désir et de
l’activité sexuelle » [12, 24] ; « Les troubles sexuels sont le
plus souvent modérés et à type de désintérêt » [13] ; « Les
troubles du comportement sexuel constatés lors de la maladie d’Alzheimer sont le plus souvent un désintérêt et une
perte franche de la libido » [25]. Même si ce trouble est le
plus habituellement présent lors de l’évolution de la MA, son
expression reste discrète puisqu’il n’a pas d’incidence sur
les relations sociales du malade avec son entourage élargi
et ne se révèle comme une difficulté qu’exclusivement dans
un cadre intime.
du patient : « La perte d’intérêt du patient pour les relations
sexuelles peut poser problème au partenaire « sain » en
particulier lorsqu’il s’agit d’une forme à début précoce » [7].
Dans les guides qui soulèvent cette difficulté, il s’agit aussi
de rassurer le conjoint car il pourrait interpréter l’absence
de désir comme un indicateur d’indifférence : « Si vous
détectez chez votre partenaire une diminution progressive
du désir et de l’activité sexuelle, n’en concluez pas qu’il vous
aime moins ou qu’il fait moins attention à vous » [20] ou de
lui conseiller de trouver de nouveaux moyens de manifester
son attachement : « Il n’est pas toujours nécessaire d’arriver
à l’acte sexuel. Caressez-le, embrassez-le, multipliez les
contacts de tendresse physique (. . .). Tous vos gestes tranquilliseront, calmeront votre proche tout en lui démontrant
votre affection » [12]. Le souci principal est alors de maintenir un climat et des gestes de tendresse avec le malade
qui ne peut plus ou ne sait plus manifester son affection
pour son conjoint. « L’aidant peut guider son proche dans
les gestes de l’amour si ce dernier les a oubliés. Il peut
aussi manifester son affection par des gestes de tendresse
susceptibles de satisfaire la personne atteinte » [24]. Les
guides qui abordent cette question visent à permettre au
conjoint de ne pas se méprendre sur l’interprétation de la
perte d’intérêt pour la sexualité et à lui indiquer des pistes
pour conserver des attitudes chaleureuses pour exprimer
ses sentiments. Plusieurs auteurs invitent à s’ouvrir de ces
difficultés auprès d’un professionnel : « Il ne faut pas hésiter
à parler des problèmes sexuels rencontrés » [7] ; « Même
si le sujet est délicat à aborder, parlez-en à une personne
susceptible de vous comprendre et de vous aider » [27] ;
« Si la maladie a perturbé l’expression de la sexualité, il est
possible que le couple doive aller chercher une aide extérieure pour s’assurer que l’intimité et l’affection continuent
à s’exprimer quand le besoin s’en fait sentir » [40].
Un trouble vécu dans l’intimité
Maladie d’Alzheimer
et hypersexualité :
une perturbation publique
Cette fréquente ‘hyposexualité’ dont l’apathie qui
accompagne la maladie d’Alzheimer est responsable [36],
se révèle uniquement dans la relation singulière qui lie
le patient à un partenaire habituel, c’est-à-dire, le plus
souvent, dans le couple conjugal. La prise en considération du conjoint du malade est présente dans huit guides
[7, 12, 20, 24, 27, 29, 36, 41] pour reconnaître que l’absence
de désir du malade peut l’affecter : « Il est évident que la
relation rejaillit surtout sur le conjoint ! » [7] et que cette
situation peut être douloureuse pour la personne qui n’est
pas malade : « il est normal qu’elle se sente frustrée si elle
n’a plus de rapport sexuel avec son conjoint. . . » [7] ; « La
personne à accompagner dans ces situations est d’abord le
conjoint qui souffre et peut se sentir trahi, abandonné » [41].
La question de l’abstinence est mise en relation avec l’âge
Les comportements sexuels inappropriés, présents
chez une très petite proportion des malades atteints de
maladie d’Alzheimer, sont considérés comme tels parce
qu’ils se présentent sous des formes contraires aux bonnes
mœurs voire condamnées par la loi. Les définitions que
les auteurs donnent des comportements sexuels inappropriés insistent sur l’écart aux normes communément
admises : « Un comportement déplacé est une attitude,
une réaction ou un comportement spontané de la personne
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Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 4, décembre 2015
Les comportements sexuels inappropriés
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La sexualité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
atteinte d’une maladie d’Alzheimer, que nous considérons
comme socialement inadaptée » [3, 25] ; les conduites
qui relèvent de ces comportements sont divers mais renvoient toujours à cette définition qu’il s’agisse de : « (. . .)
masturbation, gestes obscènes, harcèlement sexuel de
l’aidant » [12] ; « conduite sociale inappropriée à expression
verbale ou comportementale (. . .) propos grivois, propositions sexuelles, attouchements (. . .) ou déambule nu »
[33]. ‘L’hypersexualité’ se manifeste essentiellement par
des modalités d’expression et des tentatives de satisfaction des désirs sexuels qui ne tiennent pas compte des
conventions sociales et s’expriment crûment sans considération pour l’entourage. Ces conduites sont considérées
comme inconvenantes parce qu’elles marquent l’oubli des
deux limites imposées à tous dans l’expression de la liberté
sexuelle : la pudeur qui exclut l’exhibitionnisme et le recueil
du consentement du partenaire qui bannit la contrainte.
La levée des inhibitions
Les comportements sexuels inappropriés sont rapportés dans vingt-quatre guides [2, 3, 5, 9-13, 16, 20, 22,
24, 25, 27, 28, 32, 33, 36, 39-42, 44, 45] ; ils ont en
commun de manifester « une baisse de la pudeur » [2],
« l’affaiblissement des tabous » [3], « la baisse des censures » [5], « la perte de la retenue » [9], « une certaine perte
de décence » [13], « l’affaiblissement de l’autocontrôle »
[22] « l’oubli des interdits » [24]. Ils sont toujours mentionnés comme une conséquence de la levée des inhibitions
qui conduit le malade à omettre les conventions sociales :
« En cours d’évolution, la maladie d’Alzheimer peut faire
perdre les inhibitions et les interdits. La personne oublie
que certains gestes sont liés à l’intimité » [3] ; « La maladie d’Alzheimer peut être à l’origine de certaines conduites
désinhibées, telles que gestes et comportements déplacés, masturbation publique, agression sexuelle (. . .) » [10] ;
« (. . .) la maladie a tendance à désinhiber les patients sur
le plan sexuel » [28]. Ainsi, « le malade montre ses désirs
comme ils viennent, au moment où ils viennent » [2, 5],
« il répond à des pulsions qu’il ne contrôle plus » [12, 20].
Les conduites sexuelles qui vont à l’encontre des attitudes
socialement admises sont abordées à travers des situations diverses, soit de manière générique, soit à partir d’une
vignette clinique : un père qui déambule nu et se masturbe
en public [3], un patient qui déclare à une inconnue qu’elle a
« des gros nichons » [43], une mère qui fait des propositions
indécentes à tous les hommes qu’elle croise [45].
présentent comme des délits : attentats à la pudeur, conduites de harcèlement ou mépris de l’obligation de s’assurer
du consentement du partenaire. Tous considèrent la désinhibition qui conduit à ces comportements inappropriés
comme une conséquence directe de la maladie d’Alzheimer
et dégagent la responsabilité de la personne malade : « Elle
ne se rend pas compte de ses gestes, parce qu’elle a perdu
sa retenue et qu’elle a oublié ce qu’implique un comportement convenable » [9]. On peut lire différentes expressions
de cette causalité directe, par exemple : « Cette levée des
inhibitions, qui conduit à faire ce que l’on a envie, est la
conséquence des lésions dégénératives cérébrales » [3] ;
« Une baisse des censures figure pourtant dans l’ordre des
symptômes classifiés de la maladie d’Alzheimer (. . .) » [5] ;
« Dans la maladie d’Alzheimer ce qui pose problème c’est
l’expression des tendances, qui n’est plus sous le contrôle
du lobe frontal du cerveau » [32] ; « Un des éléments les plus
marquants pour l’entourage d’une personne touchée par la
maladie d’Alzheimer est l’atteinte des fonctions exécutives,
et notamment l’absence d’inhibition » [45].
Ni provocation, ni perversion
Tous les auteurs insistent sur la nécessité de ne pas tenir
le malade responsable de ses actes alors même qu’ils se
Après avoir expliqué la mise en cause exclusive de la
maladie dans ces manifestations, plusieurs guides insistent
sur la nécessité de saisir que le patient ne peut être tenu responsable de ces écarts aux conventions et qu’il n’y a dans
ces agissements aucune intention de mettre son entourage
en difficulté. Les guides s’attachent à montrer l’absence
totale de volonté de la part du malade de choquer ou de
nuire, si bien que la tendance à l’exhibition que présentent
certains patients ne doit jamais être assimilée à une perversion ; « Ce n’est pas de l’exhibitionnisme. À partir d’un
certain degré d’évolution de la maladie, la pudeur diminue.
Il a oublié l’importance et la signification sociale que suppose le fait d’être habillé » [36]. Plusieurs auteurs mettent
l’accent sur l’importance de ne pas prendre les débordements sexuels pour des comportements pervers [11, 16] ;
d’autres excluent toute intention du patient de générer un
malaise de ses proches : « Il ne le fait pas pour vous mettre
dans l’embarras. Il le fait parce qu’il répond à un instinct
profond qu’il ne maîtrise plus » [36] ; « N’oubliez jamais
que c’est la maladie qui provoque ces comportements. Le
malade, lui, ne cherche pas à vous nuire ou à vous mettre
dans l’embarras » [40]. Le propos est unanime, il n’y a,
de la part du patient, aucune volonté délibérée de se libérer des contraintes sociales, aucune intention de provoquer
ou de mettre mal à l’aise son entourage, alors même que
ces comportements sexuels désinhibés sont de nature à
perturber ses proches.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 4, décembre 2015
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La maladie d’Alzheimer seule responsable
M. Ostrowski, M.-C. Mietkiewicz
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L’embarras des proches
Poser que la maladie d’Alzheimer s’accompagne d’un
déficit de l’autocontrôle qui se manifeste par des manifestations impulsives conduit à bannir toute attitude punitive
à l’égard du malade : « Il ne faut pas les condamner ou
les repousser méchamment » [2], « Ne le grondez pas »
[36], « Ne portez pas de jugement » [39]. Mais reconnaître et admettre que la maladie est la seule responsable
des conduites déplacées ne conduit pas les auteurs des
guides à nier la difficulté des proches ; au contraire, ils
sont nombreux [3, 9, 12, 25, 27, 28, 31, 32, 39, 40, 44, 45]
à prendre en considération l’embarras que ces comportements génèrent : « Un comportement sexuel déplacé
constitue souvent un problème pour les aidants alors
que la personne malade ne se voit pas agir de façon
indécente ou déplacée (. . .). Vous pouvez toutefois en
être embarrassé et trouver difficile d’affronter cette situation » [9] ; « Ce comportement résulte sans doute d’une
modification du jugement, de la disparition du sens de
l’interdit, mais vous laisse bien embarrassé » [27]. Plusieurs guides rendent compte de la gêne des proches
légitimement perturbés par des conduites qui sont en
contradiction avec leurs « repères socio-éducatifs, religieux, moraux ou éthiques » [3] et en rupture majeure
avec les conduites antérieures du malade : « Votre proche
peut donc avoir un comportement tout à fait inadéquat
avec les gens » [28], par exemple, « comportement sans
gravité mais potentiellement très gênant : les avances
sexuelles que votre proche pourrait faire à son entourage
ou même à des inconnus » [28]. « Pour quelques malades,
certains comportements peuvent choquer l’entourage. Le
malade ayant des réactions impulsives, voire embarrassantes » [39]. Quelques guides [40-42] suggèrent de ne pas
toujours considérer comme des comportements sexuels
certaines tendances des patients à se dévêtir et invitent
à explorer d’autres causes possibles à ses conduites, par
exemple : « Il arrive aussi que la personne se comporte
de manière désinhibée, voire indécente sans que cela ne
soit lié à un réel désir sexuel. Un monsieur qui se met
nu dans le corridor peut vouloir tout simplement se débarrasser de vêtements inconfortables, ou avoir trop chaud,
sans prendre conscience du caractère incongru de son
comportement dans un lieu public » [41]. Si les aidants
peuvent parfois être rassurés par des explications qui ôtent
toute connotation sexuelle aux conduites déplacées, ils
sont aussi invités à trouver des modalités d’intervention
pour gérer le plus tranquillement possible la situation :
détourner l’attention du malade [31], trouver une distraction [25, 40], proposer une activité de substitution [36],
le conduire dans sa chambre [36], rester soucieux de la
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Points clés
• La majorité des guides à destination des aidants
des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer (MA)
aborde les troubles de la sexualité.
• La manifestation la plus habituelle est le désintérêt et la diminution de l’activité sexuelle, mais les
comportements sexuels inappropriés retiennent davantage l’attention en ce qu’ils sont embarrassants pour
l’entourage.
• La désinhibition, conséquence de la MA, peut conduire
à l’oubli des interdits et à des conduites inconvenantes
dont le patient ne peut être tenu responsable.
• La tâche des auteurs de ces ouvrages est complexe :
ils se confrontent à un tabou persistant et ne peuvent
qu’avancer des propos généraux alors que les malades
sont singuliers et les lecteurs multiples.
dignité du patient [32], éviter des attitudes provocantes
[22, 40] et aussi donner des explications à l’entourage
[25, 28, 31, 36, 44] voire solliciter l’aide du médecin [39].
Ils sont aussi conviés à réaliser « un réel travail sur euxmêmes » [16], pour dépasser le stress, la colère et la
frustration engendrés par les débordements sexuels du
malade : « L’analyse des comportements constitue un exercice de mise à distance nécessaire pour juger une situation
permettant de mieux accepter et de mieux s’y adapter »
[42].
En conclusion, une tâche complexe
pour les auteurs des guides
Un sujet encore tabou
Malgré les indéniables changements dans la façon
de penser la sexualité des personnes âgées, malades
ou handicapés, dont attestent les publications scientifiques, plusieurs auteurs de guides [5, 9] soulignent à
juste titre la persistance de certains tabous qui font
de la sexualité un « sujet ô combien délicat qu’on ne
peut aborder ni avec des amis, ni avec la famille et
encore moins avec les enfants » [7]. Et c’est pourtant à
cette tâche qu’ils s’attellent lorsqu’ils traitent des troubles
sexuels qui peuvent affecter les malades atteints de maladie d’Alzheimer en s’adressant à leur entourage familial
dans le double objectif d’expliquer les troubles éventuels et de donner des pistes pour en tenir compte dans
l’accompagnement du patient, tâche d’autant plus difficile que les informations sur le point de vue des patients
eux-mêmes font défaut et que la plupart des recherches
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 4, décembre 2015
La sexualité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
concernent des populations en institutions (Ehpad, Unités
de vie protégée) et privilégient le point de vue des soignants.
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Des malades porteurs de singularité
Les guides s’accordent à montrer dans le domaine de
la sexualité, sans doute bien davantage que dans les autres
domaines, l’extrême variabilité des manifestations de la
MA, de la baisse de la libido à l’hypersexualité. La référence à une sexualité ordinaire qui se situerait au juste milieu
pose la question d’une référence à une norme ou plutôt à
la façon dont chaque individu a conduit sa sexualité en référence aux conventions sociales qu’il a faites siennes et l’a
vécue dans le cadre d’expressions et de relations intimes
propres avant la survenue de la maladie. Lorsqu’ils traitent
des troubles sexuels, les auteurs des guides ne négligent en
rien cette dimension puisqu’ils rendent compte des difficultés vécues par les proches confrontés à des changements
dans les comportements du malade, qu’il s’agisse du désintérêt pour la sexualité ou de l’apparition de comportements
sexuels inappropriés.
Des lecteurs multiples
Les auteurs se heurtent à une troisième difficulté qui
tient au statut du lecteur, qui, au-delà du vocable le plus
souvent utilisé « le proche », est essentiellement soit un
conjoint, soit un enfant du malade. On a montré plus
haut que la baisse de la libido était une difficulté qui
s’exprimait dans l’intimité d’une relation et s’inscrivait dans
une histoire de couple ; en revanche, les comportements
dits d’hypersexualité se manifestent de façon moins confidentielle et viennent heurter non seulement la sensibilité
du partenaire habituel du malade, mais aussi les autres
membres de son entourage familial dont ses enfants. Si
la plupart des guides s’adressent aux aidants de manière
générale lorsqu’ils évoquent la difficulté qu’engendrent les
comportements sexuels déplacés, certains [7, 11, 16, 32]
mentionnent explicitement le positionnement différent des
conjoints et des descendants pour souligner le trouble
majoré des enfants confrontés aux manifestations les plus
voyantes de la sexualité de leur père ou mère.
Un éclairage pertinent
Malgré ces difficultés inhérentes au sujet, on peut
souligner l’apport des guides ; en effet, l’approche proposée permet à la fois de reconnaître une vie sexuelle
aux malades et d’expliquer ses éventuels troubles les
plus dérangeants comme des conséquences directes de
la pathologie démentielle qui induit déshinhibition et oubli
des conventions sociales. Cet éclairage peut aider les
proches, conjoints et enfants des patients, chacun à sa
place dans la constellation familiale, à dédramatiser ces
conduites déplacées et à les gérer sans en tenir rigueur au
malade.
Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien
d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
12. Selmès J, Derouesné C. La maladie d’Alzheimer au jour le jour.
Montrouge : John Libbey, 2004.
1. Micas M. Comment vivre avec un Alzheimer. Paris : Éditions Josette
Lyon, 1988, 1997.
13. Pancrazi MP, Métais P. Vivre avec un proche atteint d’Alzheimer.
Paris : Inter Éditions, 2004.
2. Aupetit H. La maladie d’Alzheimer au quotidien. Paris : Odile Jacob,
1991.
14. Moulias R, ed. Maladie d’Alzheimer : traiter, soigner et accompagner au quotidien. Paris : Masson, 2005.
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