5
l’espèce considérée. La critique de l’expérimentation opère parfois l’amalgame avec la
chasse, l’esclavage, la torture, la destruction de l’environnement. La passion des opposants
en conduit certains à la violence.
Les scientifiques, quant à eux, ont longtemps refusé de prendre en considération toute
autre valeur que celles de la science : la mesure du progrès des connaissances était le seul
étalon pour évaluer leurs pratiques. Le discours scientifique réduit les animaux de laboratoire
à du simple matériel expérimental. Face au questionnement éthique de l’expérimentation
animale, ce discours s’accompagnait parfois de présuppositions qui permettaient de négliger
la souffrance animale. Un cartésianisme fruste joue alors le rôle d’une métaphysique de
convenance dispensant d’un examen moral. Un récent éditorial du journal Nature (médecine)
repousse ainsi les arguments éthiques à l’encontre de l’expérimentation sur les primates :
« Plusieurs arguments éthiques concernant l’utilisation de primates non humains repose sur leur
étroite ressemblance avec les hommes, davantage que toute autre espèce. Cette ligne de
raisonnement, toutefois, pose problème. Par exemple, plusieurs de ces arguments impliquent
des concepts tels que la personnalité, la conscience de soi et la sociabilité, dont la définition
appliquée à des primates non humains demeure disputée par les savants qui travaillent sur le
sujet. Il serait, par conséquent, prématuré de tirer des conclusions définitives au sujet de notre
responsabilité éthique envers les primates non humains sur la base de notre compréhension
actuelle du problème »
1
.
Le discours des scientifiques s’avance sur un terrain glissant dès lors qu’il abandonne
sa justification habituelle (le rappel des progrès obtenus grâce à l’expérimentation animale)
pour envisager les enjeux éthiques des relations homme – animal. Autant l’on comprendrait,
sur la base d’incertitudes, une réfutation de l’assimilation pure et simple des primates non
humains à des « personnes », autant il est maladroit, pour ne pas dire choquant, de récuser
par principe la possibilité de relations éthiques entre hommes et animaux. L’éthologie
moderne remet en cause la possibilité d’établir une différence radicale entre humains et
primates non humains. Elle n’affirme pas l’identité mais la relativité des concepts de
« langage », de « conscience de soi » ou de « culture » appliqués aux différentes espèces.
En retournant la charge de la preuve, l’éditorialiste de Nature semble justifier une pratique
scientifique au nom de l’ignorance. Un tel discours ne convaincra nullement les opposants
de modérer leurs protestations et n’offre pas une défense satisfaisante du principe de
l’expérimentation animale. Renforcer la validité du discours scientifique sur le plan éthique
exige au contraire de ne pas balayer d’un revers de main le problème. Prise entre les
initiatives dangereuses de certains opposants et les défenses maladroites de l’autonomie
1
Nature (medicine) 14, 791 – 792, 2008 : “When less is not more”.