COURRIER DES LECTEURS Oméprazoleésoméprazole : ai-je bien compris ? Énantiomère, énantiomère... est-ce qu’on a une tête d’énantiomère ? J’ai bien l’impression que l’oméprazole (alias Mopral®) pourrait faire cette réflexion à l’ésoméprazole (alias Inexium®). À la suite d’une séance de FMC sur les IPP, j’ai révisé les prescriptions des différentes molécules, toutes dites d’effets désiré et indésiré équivalents. J’ai eu droit aux turpitudes liées aux pleines et demi-doses selon les molécules (sans doute histoire de faire toujours plus simple !). C’est comme cela que j’ai appris qu’oméprazole et ésomeprazole étaient quasi « sœurs jumelles » : même composition moléculaire, même poids moléculaire mais l’une dévie la lumière à gauche (l’ésoméprazole), l’autre ne dévie pas la lumière puisqu’il est un mélange de forme dextrogyre et lévogyre (l’oméprazole). Vieux souvenirs de Fac ? Alors je déduis sans erreur : – Oméprazole 10 mg : × molécules de forme lévogyre (ésoméprazole) et × molécules de forme dextrogyre (0,46 e/j en juillet 2009) – Oméprazole 20 mg : 2 × molécules de forme lévogyre (ésoméprazole) et 2 × molécules de forme dextrogyre (0,75 e/j en juillet2009) – Ésoméprazole 20 mg : 4 × molécules de formes lévogyre (0,78 e/j en juillet 2009) – Ésoméprazole 40 mg : 8 × molécules de formes lévogyre (1,09 e/j en juillet 2009) Donc selon le mémo sécu : pour un RGO sans oesophagite, je prescris en première intention : – X molécules de forme lévogyre + X molécules de forme dextrogyre (oméprazole10) pour 0,46 e/j ; ou – 4 × molécules de forme lévogyre (ésoméprazole 20) pour 0,78 e/j. DOI : 10.1684/med.2010.0578 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Mots clés : IPP Votre avis nous intéresse Toujours selon le mémo Sécu : pour la prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS chez les sujets à risque, je prescris : – 2 × molécules de forme lévogyre (ésoméprazole) et 2 × molécules de forme dextrogyre (omeprazole 20) pour 0,75 e/j ; ou – 4 × molécules de forme lévogyre (ésoméprazole 20) pour 0,78 e/j. 286 MÉDECINE juin 2010 Bons souvenirs de Fac ? Bons raisonnements ? Bons calculs ? Histoires de fous ? Histoires à pleurer de rire ? Histoires à pleurer, pleurer ? Et alors, l’ésoméprazole de l’Inexium® a-t-il des petits bras plus musclés que l’ésoméprazole du Mopral® ? Et le patient ......... ? Il patiente............et pendant ce temps-là, les aiguilles tournaient et les mouches volaient....... ! Crazy, isn’t it ? Elisabeth Chorrin-Cagnat, 94520, Mandres-les-Roses Pourquoi développer un énantiomère lorsque le mélange racémique est sur le marché ? Comme les procédés de synthèse industrielle relativement simples sont incapables de distinguer les deux formes énantiomériques des molécules possédant une symétrie 3D, la plupart des substances médicamenteuses produites par les chimistes sont des mélanges dits racémiques, moitié forme lévogyre, moitié forme dextrogyre (comme nous avons un pied droit et un pied gauche qui ne peuvent rentrer dans la même chaussure). Ce qui n’a aucune importance tant que les deux formes de cette même molécule ont les mêmes effets, fastes et néfastes. Cependant, il est des cas où les effets diffèrent Par rapport à l’autre, un des deux énantiomères peut être : 1) inactif ; 2) moins actif ; 3) antagoniste de l’activité du premier (cas du baclofène) ; 4) avoir des effets totalement différents, en portant, par exemple, la toxicité du mélange. Les choses se compliquent singulièrement avec les médicaments métabolisés car les deux énantiomères peuvent l’être différemment, ce qui d’ailleurs peut expliquer certains des cas d’efficacités différentes [1]. COURRIER DES LECTEURS Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Votre avis nous intéresse Tout ça pour dire que la différence de comportement entre les deux molécules chirales est bien peu prédictible et que le recours à l’expérimentation est incontournable [2]. Cette expérimentation est souvent difficile (les différences d’effets à mettre en évidence sont faibles), sauf peut-être dans les cas 1 et 4 ci-dessus. Notons, point important, que dans les cas 2 et 3 il suffit d’augmenter les doses du mélange pour avoir l’efficacité désirée, si la toxicité est également portée par les deux énantiomères ou si c’est l’énantiomère actif qui la porte. Dans ces cas, il n’y a guère d’intérêt à isoler le composé actif car sa production coûtera plus cher, parfois beaucoup plus, sans que le patient ne gagne quoi que ce soit. Quand les deux énantiomères sont responsables d’effets différents (cas 4), la situation peut être bien difficile. On connaît l’exemple du sotalol, mélange racémique de deux molécules chirales. Ce médicament était considéré comme un bêtabloquant bâtard car il possédait indiscutablement des propriétés pharmacologiques de la classe des bêtabloquants mais aussi, sur myocytes isolés, des propriétés l’apparentant aux anti-arythmiques de classe I. Dans un essai randomisé contre placebo en post-infarctus du myocarde on avait observé moins de décès dans le groupe sotalol que dans le groupe placebo (3 % versus 5 %) mais cette différence n’était pas statistiquement significative. Avec d’autres bêtabloquants, les résultats des essais étaient du même ordre de grandeur ((intervalle de confiance du risque relatif obtenu par méta-analyse 0,7 à 0,9) mais ils étaient significatifs. Plutôt que de faire un essai plus puissant, la firme a décidé de conduire le même genre d’essai avec l’énantiomère portant l’activité anti-arythmique, espérant sans doute doubler tous les concurrents. Ce fut l’essai SWORD [3]. Las, il dut être interrompu à cause d’un surcroît de décès dans le groupe D-sotalol par rapport au groupe placebo. Alors, devant ces incertitudes et autres difficultés, pourquoi, développer un énantiomère lorsque le mélange racémique est déjà sur le marché ? Selon les cas, on espère une meilleure tolérance, moins de variabilité dans les effets, soit parce que le récepteur (la cible de la molécule) présente des variants génétiques et que l’un des énantiomères a une affinité plus générique, plus indépendante des variants, soit pour des raisons pharmacocinétiques, ou encore une plus longue ou plus courte durée des effets pour cette même raison... Mais la réponse est aussi à chercher du côté du brevet qui protège le racémique des copies. L’énantiomère émerge souvent à l’issue de la période de protection. Il s’agit de profiter de la dynamique du produit initial. Et le dossier à fournir aux autorités est plus succinct. Ce qui est d’ailleurs en contradiction avec l’observation que les bénéfices par rapport au racémique sont le plus souvent modestes... Venons en à l'ésoméprazole, énantiomère lévogyre de l'oméprazole Deux arguments complémentaires ont été avancés pour sa mise sur le marché. Lorsqu’un patient avale une dose d’oméprazole, les deux molécules chirales du mélange racémique sont transformées en un même métabolite actif par les cytochromes hépatiques. Donc, a priori, la situation ne correspond à aucun des cas mentionnés ci-dessus. Sauf que chez les 3 % de métaboliseurs lents parmi les « Caucasiens », la transformation du composé dextrogyre est deux à trois fois plus lente que celle du lévogyre. On imagine donc que pour quelques patients il y aurait un intérêt... minime en tout état de cause car comme la marge de sécurité des inhibiteurs de la pompe à protons est large il suffirait d’augmenter la dose chez ces patients sans crainte. Plus troublant, certains prétendent que la transformation en métabolite actif des deux composés commence dans l’estomac, pour des raisons de pH. Ce qui, si cela était confirmé, enlèverait tout rationnel à la substitution par l’ésoméprazole. Comme toujours, nous attendons des essais cliniques qu’ils clarifient la situation en confirmant ou infirmant la théorie. Dans le cas de l’ésoméprazole, nous restons partiellement sur notre faim. L’essai de Lind et al. [4] réalisé sur 38 sujets avec 40 mg et 20 mg d’ésoméprazole comparés à 20 mg d’oméprazole conclut à une plus grande aire sous la courbe des concentrations plasmatiques et une durée plus grande du « contrôle » de l’acidité gastrique avec les deux doses d’ésoméprazole, surtout avec la plus forte, et à une moins grande variabilité du pH gastrique. Si les hypothèses semblent confirmées, trois questions sont sans réponse après cette expérience clinique bien limitée : 1. Les différences constatées ont-elles une traduction clinique ? 2. Ne suffirait-il pas d’augmenter les doses d’oméprazole pour obtenir à moindre coût le même résultat ? 3. Qu’en est-il du différentiel possible de toxicité par rapport au mélange racémique ? En effet, on sait l’histoire du dilevalol, énantiomère du labetatol qui dû être retiré du marché à cause d’une toxicité hépatique non prévue [5]. Car, plutôt plus que moins, l’énantiomère devrait être considéré comme un produit nouveau et exploré comme tel. Jean-Pierre Boissel Références : 1. Somogyi, A, Bochner, F, Foster, D. Inside the isomers : the tale of chiral switches (http://www. australianprescriber. com/magazine/27/2/47/9), 2004;27:47-9. 2. Tucker GT. Chiral switches. Lancet. 2000 ;355 :1085-7. 3. Waldo AL, Camm AJ, deRuyter H, Freidman PL, MacNeil DJ, Pitt B, et al. Survival with oral d-sotalol in patients with left ventricular dysfunction after myocardial infarction : rationale, design, and methods (the SWORD trial). Am J Cardiol. 1995;75:1023-7. 4. Lind T, Rydberg L, Kylebäck A, Jonsson A, Andersson T, Hasselgren G, et al. Esomeprazole provides improved acid control vs omeprazole in patients with symptoms of gastrooesophageal reflux disease. Aliment Pharmacol Ther. 2000 14:861-7. 5. Clark JA, Zimmerman HJ, Tanner LA. Labetalol hepatotoxicity. Ann Intern Med. 1990;113:210-3. Erratum in : Ann Intern Med. 1990;113:485. MÉDECINE juin 2010 287