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Informations sociales n° 169
L’accompagnement social vers l’emploi
Les effets sur les publics
concernent deux personnes, mais dans un lien défini de l’extérieur par ce
troisième pôle que constituent les « règles du métier » ainsi que le contrat de
travail (donc un échange contractualisé). D’autre part, elles sont aussi défi-
nies, mais de l’intérieur, comme une manière de prendre en compte les
demandes (qui peuvent être non explicites) du « bénéficiaire » (et se pose
alors la question d’un échange par le don).
On considère que nos sociétés occidentales se sont construites à partir de
l’échange contractuel et que, petit à petit, de façon accélérée depuis l’indus-
trialisation, elles se développent aux dépens de l’échange par le don. Celui-ci
n’a pas disparu pour autant. L’importance sociale prise par le bénévolat, le
microassociatif et le caritatif en témoigne ; par ailleurs, une analyse fine de la
vie ordinaire montrerait que le don est présent au quotidien dans les micro-
services rendus, ou dans ce que l’on appelle les actes de « civilité ».
Plus précisément, il me semble que beaucoup d’actes que nous pensons être
construits à partir d’un échange contractualisé sont en réalité « métissés » ; je
veux dire par là que l’élément contractuel est infiltré par l’échange par le don
qui tiendra une place souvent cachée ou non dite. Mais parfois cette place
sera reconnue. Par exemple, lorsque l’on réclame le maintien d’un commerce
dans un village ou un quartier, on le fait au nom d’un lien social. On consi-
dère que la tâche du boulanger n’est pas totalement réductible à la vente du
pain (dans un échange objet contre argent, caractéristique de l’échange
contractualisé). L’échange entre le boulanger et son client fabrique aussi du
lien social ; il s’y loge ce que nous appellerons plus loin un don de reconnaissance.
Je postule que, chez tout être humain, il existe une interrogation concernant
ce qu’on pourrait appeler l’énigme d’autrui : « Qui est l’autre que je rencontre ? Qui
est-il pour moi et qui suis-je pour lui ? » Ce n’est pas seulement dans l’amour ou
l’amitié que ces questions se posent ; elles sont aussi présentes dans le champ
des pratiques sociales. L’énigme d’autrui génère une intense activité psy-
chique interprétative, ou plus exactement herméneutique. Le bénéficiaire
d’une aide sociale voudrait déchiffrer, à partir de situations dans lesquelles
intervient un professionnel, qui est celui-ci et quel sens prennent ses actes
(« Pourquoi donc fait-il cela ? »). Ce travail particulier de la pensée se place à
l’intérieur d’un système binaire d’hypothèses interprétatives.
Soit la personne à qui le travailleur social a affaire se satisfait de l’objet ou
de l’aide fournie. Elle ne pense pas plus loin : le travailleur social fait son
métier, rien d’autre ne vient s’y loger, la situation est banale. Cette interpré-
tation se fonde sur une conception implicite de la norme d’emploi. Elle
refroidit les affects, valorisant les règles du métier qui fonctionnent indé-
pendamment du sujet. Elle fait appel à un échange contractualisé.
Soit la personne est sensible à ce qui vient se loger de don possible, sous
l’épaisseur de la tâche professionnelle qu’exécute le travailleur social. Elle
décrypte, à travers des indices plus ou moins cachés, la présence du désir, une
rencontre des affects. Le lien qui se noue est centré sur le sujet qui se sent
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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.180.101.73 - 22/04/2015 00h09. © Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF)
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