51 INCITATIONS AUX INVESTISSEMENTS ET CONCURRENCE

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Concurrence fiscale entre Etats
INCITATIONS AUX INVESTISSEMENTS
ET CONCURRENCE ENTRE ETATS
Néji BACCOUCHE*
Professeur à la Faculté
de Droit de Sfax
Sommaire
I- Efficacité limitée de l’incitation fiscale a l’investissement
II- Effets contrastes de la concurrence fiscale
************
1- L’investissement est à la base de la croissance économique
et du bien-être social. Désormais, il constitue une sorte d’obsession
pour les pouvoirs publics car le niveau des investissements
conditionne l’emploi (ou si l’on veut le niveau du chômage) et, par
suite, il se répercute directement sur les équilibres financiers de l’Etat
et des caisses de sécurité sociale. Il n’est pas exagéré de dire que la
stabilité sociale et politique d’un pays, notamment celui non doté de
richesses naturelles suffisantes, peut dépendre du niveau des
investissements réalisés sur son territoire.
2- Depuis plusieurs décennies, l’investissement est devenu
l’objet de convoitise des politiques publiques alors même que la
rationalité économique dicte, d’une manière insistante, le désengagement de l’Etat. Tous les Etats, y compris les plus libéraux,
s’efforcent d’avoir une stratégie pour promouvoir l’investissement, en
particulier l’investissement privé. Assez souvent, l’investissement
public lui-même est mis au service de l’attraction de l’investissement
privé. Un arsenal juridique régissant les incitations aux investissements s’est déjà mis en place et il ne cesse de s’adapter avec les
exigences politiques et économiques qu’impose la conjoncture.
*
E-mail : [email protected]
51
Concurrence fiscale entre Etats
3- Depuis un demi siècle environ, les Etats, du moins ceux qui
ont opté pour l’économie de marché, cherchent à attirer les
investissements privés en les encourageant y compris par l’instrument
fiscal. Le désengagement de l’Etat des activités économiques,
fortement encouragé par les instances financières internationales,
s’opère progressivement au prix d’un interventionnisme fiscal de plus
en plus utilisé par l’ensemble des Etats. Tout se passe comme si
l’interventionnisme fiscal se substituait à l’interventionnisme
économique, même si l’interventionnisme fiscal n’a pas été à l’abri de
la critique1. Tous les Etats recourent, à des degrés divers, à
l’instrument fiscal comme régulateur économique et comme
catalyseur de l’investissement. Chaque Etat se propose d’être
fiscalement plus accueillant en recourant, s’il le faut, aux mesures
incitatives dérogatoires. La neutralité de l’impôt a dû alors s’adapter et
recevoir un contenu variable, pour tenir compte de l’utilisation de
l’impôt dans une finalité extérieure à la fonction traditionnelle de
couverture des charges publiques.
4- L’économie de marché, qui s’impose aujourd’hui comme
une fatalité pratiquement à tous les pays, se traduit par une tendance
vers la disparition quasi-totale des frontières économiques pour
favoriser la libre circulation des biens, des services et des capitaux.
Dans cet espace qui se construit, la concurrence souvent vantée, voire
vénérée, en raison de sa corrélation étroite avec le mérite, devient de
plus en plus rude entre Etats pour attirer les investissements. Ces
derniers à leur tour, sont confrontés à une rude compétition à l’échelle
planétaire. D’où, l’insistance sur la compétitivité comme vertu
immanquablement recherchée non seulement par l’entreprise, mais
aussi par les politiques publiques.
La compétitivité est désormais un principe cardinal qui tend
à gouverner à la fois l’univers économique et l’univers politique.
Le droit ne peut plus ignorer cet impératif économique majeur et doit,
à cet effet, se réinventer pour gérer cette nouvelle réalité économique
traversée, plus qu’elle ne l’était auparavant, par les contradictions les
plus aiguës et dont la conciliation peut échapper au seul pouvoir
normatif étatique.
1
Maurice LAURE, Traité de la politique fiscale, PUF, 1956, Science fiscale, PUF,
1993, p. 59 et s.
52
Concurrence fiscale entre Etats
5- La concurrence fiscale entre Etats pour attirer les
investisseurs peut résulter soit de mesures fiscales dérogatoires,
consistant en une série d’avantages fiscaux qui se traduisent pour
l’Etat par les dépenses fiscales représentant le coût des mesures
dérogatoires, soit de ce que l’on appelle la politique fiscale par la
norme consistant en l’adoption d’un cadre fiscal commun suffisamment attractif pour l’entreprise et sans recourir nécessairement à des
mesures dérogatoires qui sont, par ailleurs, source à la fois de
complexité inutile et de distorsions assez souvent économiquement
indésirables 2.
6- Au sein des Etats, tout comme au sein des ensembles
économiques régionaux, la concurrence entre les opérateurs
économiques obéit à des règles nationales ou supranationales. Le droit
de la concurrence entre agents économiques est en voie de
standardisation à l’échelle mondiale et des instances ont été mises en
place pour censurer et sanctionner la concurrence déloyale.
7- Mais en matière d’investissements, la concurrence s’opère,
depuis une quinzaine d’années, d’une manière à la fois franche et
farouche, entre Etats, c'est-à-dire entre des entités politiques
juridiquement souveraines. La régulation de cette concurrence est, dès
lors, beaucoup plus complexe à régir car elle touche les ressources
financières de l’Etat, c'est-à-dire les principaux moyens d’action de
l’Etat. Or, faut-il le rappeler, il n’existe pas d’Etat viable sans impôts.
Même les Etats pétroliers du Golfe arabe se sont rendus à cette
évidence au lendemain de la première guerre irakienne de 1991.
8- Actuellement, les Etats se livrent à une véritable guerre
d’incitations aux investissements. Chaque Etat se prémunit derrière sa
souveraineté pour édicter un arsenal fiscal incitatif d’autant plus qu’au
niveau supranational, il n’existe presque pas une législation qui
interdit ou qui réprime le dumping fiscal pratiqué par les Etats. Déjà,
la communauté internationale éprouve des difficultés pour lutter
contre le dumping social. Le dumping fiscal sera encore plus difficile
à combattre même si les Etats prennent conscience des effets pervers
de cette forme de dumping sur les finances publiques.
2
B. CASTAGNEDE, Comment agir sur l’économie par l’impôt : les nouvelles
méthodologies de la politique fiscale, Revue politique et parlementaire, n°104,
4ème trimestre 2005, p.27.
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Concurrence fiscale entre Etats
Les Etats développés ont eux-mêmes utilisé l’incitation fiscale
pour promouvoir l’investissement. Ils l’utilisent encore alors même
qu’ils se positionnent en « donneurs de leçons », notamment dans le
cadre de l’OCDE où un observatoire de la concurrence fiscale, dite
dommageable, est mis en place pour désigner les Etats coupables de
pratiques fiscales désormais condamnables3.
9- Les délocalisations des bases imposables ou des entreprises,
ont mis au grand jour l’enjeu considérable de la concurrence entre
Etats, puisque ces délocalisations se traduisent non seulement par la
perte d’emplois mais aussi par la perte certaine de ressources fiscales4.
Dans la zone euro-méditerranéenne, les délocalisations ne se
font pas nécessairement du Nord au Sud en quête d’avantages fiscaux
dérogatoires offerts par les pays du Sud. Pour l’essentiel, elles
s’opèrent des grands pays de l’Europe occidentale vers des pays de
l’Est dont les taux d’imposition de droit commun font rêver
l’investisseur français ou allemand puisque le taux de l’IS est parfois
difficile à concurrencer dans la mesure où il est fixé à 0 % sur les
bénéfices réinvestis (en Estonie par exemple). Déjà au sein de
l’Europe occidentale, les disparités fiscales des systèmes de droit
commun sont sources de tensions. En Irlande, le taux de l’IS, fixé à un
taux représentant 12,5 %, est presque le tiers du taux de droit commun
applicable aux sociétés en France (33,33%).
10- L’engouement pour les incitations fiscales quelle qu’en
soit la forme est-il justifié ? Les sacrifices consentis par les Etats sontils compensés par un flux d’investissements justifiant la renonciation
de plus en plus douloureuse aux impôts ? Le coût financier des
incitations fiscales sera de plus en plus insupportable compte tenu des
impératifs de la suppression quasi-totale des droits de douanes
découlant du nouveau droit GATT / OMC. Et puis, certaines
exonérations fiscales ne sont-elles pas incompatibles avec l’un des
3
4
Rapport de l’OCDE : « Concurrence fiscale dommageable : un problème
mondial » 1998.
Laurent FABIUS, Baisser les impôts pour préparer l’avenir, Le Monde du 28
août 2001.
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Concurrence fiscale entre Etats
accords de l’OMC, celui relatif aux subventions et aux mesures
compensatoires5?
11- Dans ce contexte où la mondialisation est tantôt accusée de
tous les maux, tantôt vantée pour les perspectives de croissance
qu’elle promet, où va alors le droit des incitations aux investissements ?
En réalité, l’efficacité économique de l’incitation fiscale est
aujourd’hui discutée (I) et la concurrence fiscale à laquelle se livre les
Etats produit des effets contrastés (II). Cette ambivalence, qui
caractérise la politique fiscale dans une société intégrée dans un cadre
de globalisation6, conduira inévitablement les Etats à se concerter pour
mettre en place un cadre juridique et institutionnel régissant
l’utilisation des incitations fiscales et pour éviter que la concurrence
fiscale ne soit contre-productive.
I- EFFICACITE LIMITEE DE L’INCITATION FISCALE A
L’INVESTISSEMENT
12- Si l’on juge par les usages qui en sont faits, les incitations
aux investissements connaissent un succès sans précédent même si
l’instrumentalisation de l’impôt à l’effet de promouvoir l’investissement est actuellement l’objet de contrastes et des critiques les plus
acerbes par ceux-là même qui les utilisent. Les Etats développés ont
utilisé à leur profit les paradis fiscaux qu’ils dénoncent aujourd’hui.
Les opérateurs économiques qui ont profité de ces paradis n’appartiennent pas aux pays du tiers-monde et les territoires fiscalement
paradisiaques des pays en développement n’ont pas toujours attiré des
investissements durables et profitables pour justifier les sacrifices
fiscaux consentis.
13- Les pays de l’Union européenne utilisent encore
l’incitation fiscale même si cet usage se veut, du moins en apparence,
de plus en plus limité. La France, premier fournisseur de capitaux
étrangers investis en Tunisie et au Maghreb, dispose, à son tour, d’une
fiscalité dérogatoire qui a fait l’objet d’un examen critique de la part
5
6
Bassem KARRAY, les mesures de défense commerciale à l’importation en droit
tunisien, thèse de doctorat, Faculté de droit de Sfax, 2005, p.92 et s.
Olivier BOUTEILLIS, les nouveaux horizons de la politique fiscale dans la
société globale de l’information, Revue de droit de fiscal, n 7, 2000, p.322.
55
Concurrence fiscale entre Etats
du Conseil des Impôts dans son XXI rapport (2003). Dans ce rapport,
il a été recensé plus de 400 dispositifs incitatifs dont le coût serait de
l’ordre de 50 MD d’euros au titre des dépenses fiscales, soit plus de
3% du PIB ou encore 20 % des recettes fiscales nettes de l’Etat
français7.
14- Les Etats en voie de développement, souvent en manque
de capitaux, mettent à profit l’incitation fiscale pour attirer les
investisseurs étrangers, souvent moyennant un cadre juridique
conventionnel taillé sur mesure pour chaque investisseur pour
sécuriser ce dernier contre les retournements de situations et pour le
soustraire à la juridiction du pays et sa loi fiscale. Pourtant, cette
dernière est, dans de nombreux cas, particulièrement généreuse en
matière d’octroi d’avantages fiscaux au profit des investisseurs
étrangers.
15- La Tunisie, à l’instar d’autres pays de la région du sud de
la Méditerranée, utilise régulièrement les incitations fiscales et non
fiscales pour attirer les investissements, et en particulier les
investissements extérieurs. Depuis 1969, l’Etat offre des garanties et
des avantages multiples qui s’améliorent progressivement, mais qui
sont consentis au prix d’importants sacrifices pour le trésor public.
Les dépenses fiscales en Tunisie seraient actuellement supérieures à
650 millions de dinars soit environ 9 % des recettes fiscales réalisées
alors qu’elles étaient de l’ordre de 400 millions en 19988. Les
dépenses fiscales représentent actuellement environ 2% du PIB
tunisien. Une étude inédite réalisée par les autorités marocaines
montre que les dépenses fiscales représentent 3,4% du PIB9.
Mais les sacrifices politiques et financiers consentis par des
budgets, souvent en difficultés, sont-ils toujours compensés par un
flux d’investissements suffisamment générateur de richesses et
d’emplois particulièrement pour les pays en développement ?
7
8
9
XXI Rapport du Conseil des Impôts, 2003, p. 5.
Rapport de la Commission préparatoire de la Conférence nationale sur la
relance de l’investissement privé et de la création des entreprises (document
inédit).
Rapport sur les dépenses fiscales, Direction des impôts du Royaume du Maroc
octobre 2005. Dans ce rapport, on a recensé l’existence de 337 mesures fiscales
dérogatoires.
56
Concurrence fiscale entre Etats
16- La littérature économique, et en particulier celle des
institutions financières internationales, ne laisse plus de doute quant à
l’effet limité de l’incitation fiscale sur les investissements. La fiscalité
n’est qu’un des déterminants des flux des investissements10. Son
attractivité diminue encore plus lorsque le pays considéré n’offre pas
les préalables
sans lesquels l’investissement serait hasardeux
(marché, main d’œuvre qualifiée, infrastructures, stabilité, etc.…).
Désormais, la localisation de l’investissement extérieur n’est que
faiblement déterminée par des considérations fiscales.
17- L’incitation fiscale viendrait au 6ème ou au 7ème rang parmi
les facteurs qui déterminent le choix de l’investisseur. La taille du
marché, l’infrastructure, la qualification et la productivité de la maind’œuvre, la souplesse de la législation de travail et de changes, la
protection du secret bancaire et la transparence du système juridique et
politique comptent beaucoup plus pour l’investisseur que les
incitations fiscales dont on sait qu’elles ne sont pas à l’abri des
changements. « La fiscalité semble jouer un rôle réduit dans la
problématique d’ensemble de la localisation des entreprises…et la
fiscalité des personnes (…) n’influe que marginalement sur la
localisation des activités » affirme le Conseil des impôts en France
dans son XXII rapport consacré à la concurrence fiscale et
l’entreprise11. Le facteur fiscal reste aux dires d’un auteur marginal12.
18-Le caractère temporaire des incitations fiscales n’est pas
hypothétique. Tous les Etats se livrent à l’exercice périlleux de remise
en cause des avantages fiscaux. La Tunisie, pourtant très soucieuse de
son image auprès des investisseurs, procède ces dernières années à ce
que le législateur appelle la « rationalisation des avantages fiscaux »
qui signifie tout simplement la réduction de ces avantages. Cette
révision quasi annuelle à la baisse doit se poursuivre en raison de la
perte des recettes douanières occasionnée par le démantèlement des
10
11
12
XXI Rapport du Conseil des impôts, 2003, p. 5.
XXII rapport du Conseil des impôts, 2004 p.16. La synthèse est disponible sur
le site web du Conseil.
André BARILARI, La concurrence fiscale : la France reste relativement
attractive, problèmes économiques, n°2-890, janvier 2006 p.16. Pour l’auteur, le
facteur fiscal « ne peut être d’un poids significatif qu’au regard d’un choix
entre pays comportant des caractéristiques proches sur les autres grands
déterminants ».
57
Concurrence fiscale entre Etats
tarifs douaniers en application de l’accord d’association avec l’Union
européenne et des accords GATT/OMC.
La politique fiscale tendant à alléger le régime de droit
commun et à reconsidérer le régime incitatif tout en garantissant les
droits acquis par les investissements déjà réalisés13 est vivement
recommandée car les mesures générales qu’elle intègre ne peuvent
être regardées comme subventions condamnables au regard du droit
du commerce international ou, pour un Etat membre du l’Union
Européenne, au regard du droit communautaire14. Cette politique
débarrasserait le système fiscal de la connotation de dispositif de
faveur qui s’y attache et qui est désormais condamnée par les
instances de surveillance qui se mettent en place.
19- Par ailleurs, le volume des investissements, extérieurs en
particulier, n’a pas augmenté substantiellement dans les pays qui ont
consenti les incitations fiscales les plus généreuses. D’après les études
qui sont consacrées à ces questions, l’essentiel des investissements
proviennent des Etats membres de l’OCDE et circulent à l’intérieur de
ces mêmes pays. Les pays bénéficiaires des investissements hors
OCDE sont très concentrés sur dix principaux pays et qui sont :
l’Argentine – le Brésil – la Chine – la Corée – l’Inde – l’Indonésie – la
Malaisie – le Mexique et la Thaïlande15. Dans ce groupe de pays, les
investissements sont plus productifs grâce à une main-d’œuvre
qualifiée et disciplinée et grâce à un climat d’affaires favorable.
20- En revanche, très peu de capitaux vont vers l’Afrique. Les
investissements sont concentrés dans certains pays, notamment ceux
dotés de richesses naturelles tel que l’Afrique du Sud. La Tunisie, à
l’instar du Maroc et de l’Egypte, n’a pas réussi à drainer un volume
d’investissements à la mesure des sacrifices financiers et des
ambitions affichées. Les pouvoirs publics tunisiens ne cessent
d’ajuster les incitations au profit de l’investissement. Le droit des
investissements, dans son volet fiscal, ne cesse de changer pour
13
14
15
Lors de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de la
Tunisie, le Chef de l’Etat a annoncé des mesures fiscales tendant à améliorer le
régime de droit commun et à limiter les avantages fiscaux, (cf. Journal La
Presse de Tunisie du 21 mars 2006).
B. CASTAGNEDE, op. Cit.
Bernard PLAGNET, Les facteurs de compétitivité fiscale d’un pays, Etudes
Juridiques, ( Revue de la Faculté de Droit de Sfax, n° 10) 2003, p. 9 et s.
58
Concurrence fiscale entre Etats
répondre au mieux aux besoins de l’investisseur. On peut même
penser que ce droit est modifié à un rythme anormalement élevé ou du
moins à un rythme peu compatible avec les exigences de l’investisseur
qui a besoin d’un minimum de stabilité des textes pour arrêter ses
choix.
21- Faut-il conclure pour autant que le régime des incitations
fiscales est sans effets sur le flux des investissements dans les pays du
sud de la Méditerranée?
Les pouvoirs publics, ici et là, affirment, chiffres à l’appui,
que l’investissement extérieur a connu une progression significative.
S’il est vrai que la fiscalité peut déterminer l’entrée des
capitaux étrangers, il faut se garder de croire que l’incitation fiscale
peut, à elle seule, attirer les investissements. L’environnement
juridique, administratif, politique et économique et la productivité de
la main-d’œuvre sont devenus les déterminants principaux compte
tenu de la concurrence ouverte et féroce entre les économies des
différentes nations et de différentes cultures dont le rapport avec
« le travail » est extrêmement variable16.
22- En outre, la transparence du système administratif,
judiciaire et fiscal, est, à l’évidence, la condition qui créé aujourd’hui,
aux yeux des investisseurs, la réputation favorable d’un pays. La
transparence, tout comme la compétence des juges et des différents
agents publics ou privés en charge de l’économie et des finances,
sécurise l’investisseur alors que l’opacité et l’incompétence
alimentent, à juste titre d’ailleurs, ses craintes.
23- Le système fiscal d’un pays se doit aujourd’hui d’être
compétitif. Mais son attractivité ne tient plus aux seules exonérations
fiscales. Elle tient à sa transparence, à son caractère modéré et à son
caractère plutôt neutre. La concurrence fiscale entre Etats se joue sur
des considérations qui dépassent les taux de l’impôt ou les
dégrèvements : la simplicité de la législation, les garanties du
contribuable face à l’administration, les garanties juridictionnelles, les
modes de payement de l’impôt, les règles d’assiette, le niveau général
16
C’est ainsi que les peuples arabes ou africains n’ont pas la même perception du
travail que celle des peuples du Sud-Est asiatique. Le rapport très relâché
qu’ont les arabes ou les africains avec le travail en tant que valeur explique, du
moins en partie, leur sous-développement.
59
Concurrence fiscale entre Etats
des prélèvements obligatoires à la charge de l’entreprise et le contexte
politique sont autant d’éléments qui sont pris en compte pour juger de
la compétitivité fiscale du pays et de son attractivité des
investissements.
24- Il faut dire que les préalables à la compétitivité fiscale sont
de plus en plus nombreux et les Etats n’auront pas la tache facile pour
répondre à ces exigences qui supposent une grande rigueur dans la
conduite des affaires publiques.
Mais si la concurrence fiscale entre Etats est un fait quasiment
inévitable dans une économie de marché qui se mondialise, quels sont
ses effets?
II- EFFETS CONTRASTES DE LA CONCURRENCE FISCALE
25- La concurrence fiscale à laquelle se livre les Etats
aujourd’hui peut être considérée en soi comme un phénomène
bénéfique pour les contribuables dans la mesure où elle exerce une
pression sur les Etats pour modérer les impôts17. Ainsi, les Etats
peuvent être amenés à optimiser la gestion des deniers publics. Dans
ces conditions, les sommes non prélevées par le fisc sont, soit
consommées, ce qui est de nature à encourager la production et donc
l’investissement, soit épargnées ce qui constitue en principe une
source de financement de l’investissement. C’est aux Etats-Unis, et
cela n’est pas une surprise, où l’hostilité à des prélèvements élevés est
la plus farouche ; les impôts prélevés le seraient d’abord, selon
l’école ultra-libérale, au détriment de l’investissement.
26- Néanmoins, la concurrence fiscale, ou si l’on veut, la
surenchère fiscale18, constitue un défi majeur puisqu’elle conduira
inévitablement les pouvoirs publics à réduire les dépenses publiques
au détriment des services publics et pourra restreindre
considérablement la marge des Etats dans le choix de la structure
fiscale la plus adaptée pour réaliser les objectifs pour lesquels les
gouvernants ont été élus. Cette concurrence, qui se traduit par une
17
18
En 1956, un économiste américain TIETBOUT a théorisé le phénomène de la
concurrence fiscale entre Etats et a vanté ses effets utiles sur l’optimisation de la
gestion des deniers publics ainsi que pour les contribuables.
Rapport de la commission des finances du Sénat français sur : la concurrence
fiscale en Europe : Une contribution au débat (1998/99), disponible sur site
Web du Sénat.
60
Concurrence fiscale entre Etats
surenchère de législateurs nationaux en quête d’attractivité, pourrait
empêcher l’impôt de jouer son rôle de redistribution et de correction
des inégalités sociales et économiques.
27- Si la concurrence n’est pas mauvaise en soi, elle produit
une politique de nivellement fiscal par le bas et risque fort de priver
les Etats de la possibilité d’utiliser, avec une certaine efficience, le
levier fiscal à des fins de développement économique et social comme
ils en ont pris l’habitude. C’est pourquoi dans le cadre de l’Union
européenne, un code de bonne conduite a été adopté à l’effet de
limiter la concurrence entre les Etats membres qui se sont engagés
à supprimer une soixantaine de pratiques fiscales déloyales déjà
recensées en 200019. Mais, certains Etats membres pratiquent encore,
en matière d’IS par exemple, des taux anormalement attractifs
(cas précité de l’Estonie ou de l’Irlande).
28- La difficulté au sein de l’Union européenne d’harmoniser
la fiscalité ouvre la voie à une compétition entre les Etats pour attirer
les investisseurs. La fiscalité est actuellement utilisée à outrance par
les Etats soit moyennement les dépenses fiscales en recourant à
l’exonération totale ou partielle ou encore à la subvention au profit de
l’investisseur ; les régions elles-mêmes (c'est-à-dire les échelons infraétatiques) pratiquent l’incitation pour séduire l’investisseur, soit
moyennant les réformes du système d’imposition de droit commun en
baissant les taux et en réajustant l’assiette et le barème20.
29- Les disparités encore importantes entre les systèmes
fiscaux des pays de l’Union européenne sont de nature à favoriser la
recherche d’optimisation, non plus des activités économiques, mais
des bases imposables à travers plusieurs techniques : la localisation
des holding, la fixation des prix de transferts, la sous-capitalisation,
les échanges avec les pays à faible taxation, etc..21. En outre, les
efforts déployés par les administrations fiscales pour limiter les abus
de ces mécanismes sont parfois neutralisés par le juge communautaire
ou même par la jurisprudence du juge fiscal national (cf. la juris19
20
21
Le rapport du groupe de travail pour l’application du code de conduite en
matière de fiscalité des entreprises, Revue de droit fiscal, n 16, 2000, p. 657.
Johannes VIEGENER, La réforme fiscale en Allemagne, Revue de droit fiscal,
n° 45/46, 2000, p.1454.
A. BARILARI, étude précitée.
61
Concurrence fiscale entre Etats
prudence du Conseil d’Etat français notamment à propos de l’article
209B du CGI)22.
30- Dans le cadre de l’OCDE, les Etats membres ont créé une
structure, « le Forum » pour lutter contre la concurrence fiscale qu’on
peut estimer « déloyale » mais qu’on appelle concurrence fiscale
dommageable depuis l’adoption, en 1998, du rapport élaboré par la
commission fiscale de l’OCDE intitulé « concurrence fiscale
dommageable : un problème mondial ». Le nombre de pays qui
s’engagent à échanger effectivement des renseignements et à pratiquer
réellement la transparence augmente sensiblement. L’OCDE a obtenu
quelques succès dans le domaine des prix de transfert (par
l’instauration d’une méthodologie commune et d’une instance de
règlement) et dans le domaine de lutte contre les paradis fiscaux
essentiellement par l’échange de renseignements23. Les résultats
atteints sont encore moins spectaculaires concernant la transparence et
en particulier à propos de la levée du secret bancaire.
31- Des groupes de travail se sont mis en place pour préciser
« les règles de jeu ». Un groupe ad hoc travaille actuellement sur la
comptabilité pour mettre au point des normes communes en matière
de transparence afin de faciliter les échanges effectifs de
renseignements à des fins fiscales24.
Actuellement, les experts de l’OCDE examinent les moyens
de coordonner les mesures défensives afin de neutraliser plus
effectivement les effets délétères des pratiques fiscales25 puisque
l’utilité des mesures unilatérales ou bilatérales s’est avérée limitée.
32- On s’oriente progressivement vers l’établissement des
bases d’une concurrence fiscale équitable de manière à réduire
les distorsions induites par l’impôt dans les flux d’investissement.
Le Forum sur les pratiques fiscales dommageables se propose
d’élaborer un corpus de règles ou un cadre potentiel des mesures
22
23
24
25
XXII Rapport du Conseil des Impôts (2004) ; Cf. aussi, Maurice-Christian
BERGERES, L’arsenal législatif contre les expatriations fiscales, Revue de
droit fiscal, n5, 2001 p. 223.
A. BARILARI, étude précitée.
Projet de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables : rapport d’étape
2004 (disponible sur le site Web de l’OCDE).
Op. cit.
62
Concurrence fiscale entre Etats
défensives coordonnées sur la base d’un certain nombre de principes
arrêtés par le comité fiscal de l’OCDE26.
33- Dans ce contexte, les Etats reconnaissent que la
concurrence entre Etats est inéluctable. Elle doit même les conduire à
rationaliser leurs systèmes fiscaux pour les rendre plus compétitifs.
Elle doit les pousser à optimiser la gestion des deniers publics et à se
poser la question de la rentabilité des incitations fiscales. Il est souvent
rappelé, à juste titre, que la compétitivité s’impose, non seulement à
26
Projet de l’OCDE précité, point n°29. Le Comité estime qu’un cadre de mesures
défensives coordonnées devrait être guidé par les principes suivants :
a) un cadre de mesures défensives coordonnées devrait être proportionné et
ciblé sur la neutralisation des effets délétères des pratiques fiscales
dommageables.
b) ce cadre devrait s’intéresser à deux aspects : savoir si un pays Membre
dispose déjà de mesures défensives applicables et si ces mesures sont
effectifs.
c) ce cadre devrait reconnaître que chaque participant conserve le droit
souverain d’appliquer ou de ne pas appliquer de mesures défensives le cas
échéant, que ce soit à l’intérieur du cadre des mesures défensives
coordonnées ou à l’extérieur de ce cadre.
d) chaque participant peut décider d’appliquer et de mettre en œuvre les
mesures défensives d’une manière proportionnée et en tenant compte des
priorités, en fonction de l’importance des dommages qu’une pratique
fiscale dommageable particulière est susceptible d’infliger et en tenant
compte de l’efficacité de ces mesures défensives existantes.
e) il existe différentes formes de pratiques fiscales dommageables et des
mesures défensives différentes peuvent être appropriées selon les
circonstances.
f) une réponse coordonnée aux pratiques fiscales dommageables résultant
d’un dialogue entre les pays Membres renforcera l’efficacité des mesures
unilatérales et permettra de repousser les limites inhérentes à de telles
mesures.
g) tout cadre commun doit être conçu avec soin de manière à éviter d’imposer
aux contribuables des contraintes excessives en matière de discipline fiscale
et de faire peser une charge trop lourde sur les administrations fiscales.
h) un cadre commun de mesures défensives doit être dynamique, adaptable à
l’évolution des circonstances et, pour être effectif, nécessitera la mise en
œuvre de procédures continues d’application et de vérification..
63
Concurrence fiscale entre Etats
l’entreprise, mais aussi aux politiques publiques et en premier lieu au
système fiscal27.
34- L’impossibilité d’aboutir jusque là à un accord
international sur l’investissement est liée à l’existence d’intérêts
contradictoires d’ordre économique et fiscal qu’il n’a pas été possible
de concilier. Les Etats auront du mal à renoncer à leur prérogative
fiscale, y compris celle d’encourager l’investissement privé par
l’impôt. Mais les Etats seront condamnés, faute d’une harmonisation
de la fiscalité, à coordonner leurs efforts pour que la concurrence entre
Etats ne soit pas sauvage. Chaque Etat a besoin d’une politique fiscale
qui prend en considération les mutations et les exigences du nouveau
contexte international.
35- La concurrence fiscale a besoin d’être moralisée. Le club
des pays développés (les membres de l’OCDE) se penche sur
l’élaboration d’un minimum de normes qui, une fois arrêté, ne tardera
pas à s’imposer au reste des Etats en développement habitués à subir
le droit confectionné par les plus forts. Néanmoins, tout laisse à croire
que ce sont les pays en développement qui auront le plus besoin d’une
véritable régulation du droit des incitations aux investissements pour
se prémunir contre l’attractivité déjà très forte des pays riches.
36- La régulation est inhérente à toute libéralisation. C’est
pourquoi un droit de l’incitation aux investissements à l’échelle
mondiale ne tardera pas à s’imposer comme un cadre juridique
permettant aux Etats, et en particulier ceux qui manquent de capitaux,
une marge de manœuvre pour provoquer le développement. Pour les
Etats en développement, il s’agit là d’une question de survie car cette
régulation de la concurrence fiscale peut les protéger contre les
pratiques des Etats riches dont les moyens leur permettent de concéder
aux investisseurs des avantages encore plus substantiels. Entre eux, les
pays développés finiront par adopter l’imposition des bénéfices sur le
résultat mondial et consolidé. Ce mécanisme d’imposition permettra
d’assurer une plus grande neutralité du lieu de l’investissement
productif et découragera les délocalisations d’activités ou de
bénéfices.
27
XXII Rapport du Conseil des Impôts précité ; cf. aussi, Problèmes économiques
n°2-890 consacré à la réforme fiscale et concurrence, janvier 2006, La
documentation française.
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Concurrence fiscale entre Etats
37- L’idéal est que l’incitation aux investissements par les
dépenses fiscales devienne une exception au profit des Etats en
développement pour les aider à rattraper un grand retard par rapport
aux pays développés d’autant plus que la mondialisation les expose à
une concurrence manifestement inégale. La concurrence équitable,
ardemment recherchée par les membres de l’OCDE, suppose la
reconnaissance au profit des Etats sous-développés de ce type de
mesures pour assurer un partage équitable entre les Etats des bases
taxables28.
Mais le monde d’aujourd’hui ne semble pas laisser de place à
ce type de souhaits dictés par un idéalisme perçu comme une naïveté
prolongée dans un contexte dominé par la rationalité financière.
L’équité est souvent réduite à un simple instrument de
communication, à un slogan. Or, dans la plupart des cas, les slogans
cachent une réalité terriblement triste.
Sfax, 2006
28
Bernard CASTAGNEDE, Mondialisation de l’économie et fiscalité des
entreprises : les voies d’une réponse rationnelle et équitable, Revue politique et
parlementaire n°107, 2005 précité p.85.
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