
Journal Identification = MTP Article Identification = 0419 Date: February 13, 2012 Time: 11:4 am
La vulnérabilité n’est pas que le fait du sujet malade, qu’il
soit nouveau-né, enfant, adolescent, adulte ou vieillard.
Les professionnels doivent aussi ne pas oublier qu’ils ont
au-delà de leurs compétences, de leurs possibles, eux
aussi leurs impossibles, leurs vulnérabilités. La collégia-
lité imposée pour l’instruction de toute décision médicale
est un impératif qui participe à l’émergence du respect du
sujet comme acteur de sa vie, de son temps, de ses intérêts.
Aussi vulnérable qu’il soit, malgré ses incapacités liées à
son âge, à sa pathologie ou à toute autre raison, le sujet
pourra bénéficier de regards, d’approches et compétences
croisées de fac¸on à questionner ses intérêts au plus près
de leur possible expression.
La collégialité induit comme impératif de ne pas déci-
der seul, de confronter sa rationalité comme ses ressentis
et ses projections ou interprétations avec celles des autres.
Elle facilite l’impérieuse nécessité de sortir d’une atti-
tude projective d’appropriation voire d’identification qui
peut être «désujettisante », plac¸ant le sujet en posi-
tion «d’objet »de désir, d’illusion, etc. Elle permet de
rendre au sujet toute sa place. Il en est de même pour
l’entourage (et donc pour les parents). Le sujet est ainsi
pris en considération en tant que tel et au-delà de ceux
qui le représentent. Les parents, les conjoints, les enfants,
les frères ou sœurs, les proches, quel que soit l’âge, sont
des tiers représentants indiscutablement, mais le sujet lui,
prime. Le simple fait d’être, lui donne le statut central.
Il paraît difficile objectivement de consentir pour autrui.
Tout au plus pouvons-nous prétendre que ce qu’à quoi
nous consentons nous paraît le plus raisonnable, le moins
mauvais à défaut du mieux. Cela un peu dans la notion
reprise par Kant [1] quand il conseille de ne pas faire à
autrui ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fît.
La collégialité facilite aussi l’émergence d’un possible
travail de raison partagée. Elle permet aussi de garantir une
approche éthique par étapes. La première approche étant
celle de l’éthique de conviction, moment d’expression
de la visée éthique qui va être confrontée à l’obligation
morale comme l’a décrit Paul Ricœur [2]. C’est le moment
où chaque acteur peut exprimer sa capacité à vouloir
(voire pouvoir) le bien ou le moins mauvais pour l’autre
que lui. Le moment où chacun exprime l’estime de soi qui
participe à l’expression de ce qu’il est, comme il est (son
background socioculturel). C’est aussi le moment pendant
lequel vont se mobiliser à la fois ces connaissances, ses
croyances, ces projections et interprétation. La seconde
étape est celle de l’éthique de discussion ou le «Je »(le
en-soi) rencontre le «tu »(l’autre que soi) comme le «Il »
(le tiers présent ou absent). La seconde approche, celle
de l’éthique de la discussion est l’instant des échanges,
de la rencontre, de la confrontation des convictions, des
ressentis, des interprétations voire projections des uns et
des autres. Viens ensuite l’étape de l’approche en res-
ponsabilité, qui amène chacun à identifier ses possibles,
ses impossibles, en d’autres termes les limites de soi, de
l’autre, des autres comme celle du tiers absent (en d’autres
termes de la société). La question des limites est probable-
ment cruciale en ce qu’elle ramène chacun à ce qu’il est,
un être-là au monde. Au monde, dans un monde qui n’est
pas centré sur lui. Ce n’est pas lui qui est le monde ni le
monde qui est lui. Il est simplement mais totalement être
dans le monde, monde non nécessairement pensé pour
lui, parfois hostile, parfois si étranger à lui qu’il n’en sait
que peu. Comme quoi Platon avait raison de faire dire, en
substance, à Socrate dans son apologie : «Je ne sais qu’une
chose c’est que je ne sais pas tout ou si peu, il me reste tant
à apprendre ». Derrière la question des limites, des pos-
sibles ou impossibles, il y a celle du doute. Doute non pas
comme paralysant mais bien comme moteur, comme désir
de rencontre, d’aller au plus loin dans le monde pour le
mieux connaître. Connaître n’est pas maîtriser. Ce pourrait
être le chemin pour développer une étape complémentaire
qui pourrait être une éthique de finitude. Finitude, non pas
comme renoncement, soumission, repli sur soi, obnubilé
que l’homme pourrait être de sa condition mortelle, mais
finitude au sens d’aller vers la fin en soi plus que vers la
fin de soi. La fin en soi étant d’être, totalement être, dans
ce monde malgré les étrangetés auxquels il me confronte,
préservant le sens d’être à chaque instant, en toute cir-
constance. La condition de mortel n’est qu’un fait, une
réalité, une limite qui ne doit en rien empêcher le vivre,
la vie, le sens et la mobilisation de soi. Chaque singularité
étant participative à l’émergence du sens partagé, d’une
part de sens commun permettant à chaque être humain
de dire, à sa fac¸on, dans ses limites, avec ses doutes de
l’humain, du sens. Cela malgré l’incertitude de l’être-au-
monde. La collégialité, plus particulièrement quand elle
est ouverte à tiers neutres et bienveillants est un outil utile
pour sortir celle ou celui sur qui pèse la responsabilité
de la décision de la solitude décisionnelle. Elle lui garan-
tit la prise en considération des différentes dimensions
du questionnement nécessaire qui mobilisent les grands
principes cardinaux de l’éthique : liberté, responsabilités,
autonomie, bienfaisance, non-malfaisance, etc.
Prendre soin
comme objectif premier
Beaucoup de ce qui vient d’être décliné est dans la
rencontre, dans la présence à l’autre pour faire face à
cette incertitude d’être-au-monde. De moi, de l’être, de
l’homme, l’autre m’en dit, m’en témoigne tout autant que
je peux le faire. Autrement dit, c’est ensemble, au sein
de la rencontre, qu’ensemble nous disons de nous, de soi
comme de l’autre de soi. Ensemble nous pouvons parta-
ger cette incertitude, cette inquiétante étrangeté du monde
et ainsi dépasser notre simple singularité. C’est pour-
quoi nous pouvons considérer que soigner, prendre soin,
c’est d’abord et avant tout rencontrer [3, 4]. La rencontre
mt pédiatrie, vol. 15, n◦1, janvier-février-mars 2012 39
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