L’orageuse passion interdite
1900 - 1905 :cC’est, pour Claudel, la « période de l’ouragan : l’appel de Dieu ne s’est pas traduit par une vo-
cation simple » ; plus encore, il découvre que « la femme possède l’arme de la beauté : Dieu lui a conféré ce
visage qui est une image de Sa perfection. Il l’a rendue désirable ». Sur un bateau vers la Chine, une femme,
Ysé, et trois hommes : De Ciz, son mari, qui espère faire fortune ; Amalric, planteur et aventurier ; Mesa,
jeune commissaire des douanes, à peine sorti du monastère, irrésistiblement attiré par Ysé. La pièce re-
trace l’aventure claudélienne d’alors et peint moins « les passions que la passion d’un homme », chez qui la
déception religieuse exaspère et paralyse l’élan amoureux. Quel meilleur portrait de Claudel que ce Mesa,
homme « sombre et las », en proie à la « manie religieuse », ce professeur volontiers colérique, face à une
Ysé « guerrière et conquérante, grande bête piaffante » aussi prompte à s’offrir et à s’imposer qu’à se déro-
ber ? « Entre un homme et une femme, il y a toute espèce de prises. » Dans la vie spirituelle comme dans
l’œuvre de Claudel, Partage de midi marque une rupture : à la solitude farouche des premiers héros se subs-
titue « le goût de l’autre »... jusqu’à Dieu ? « Nous voilà engagés ensemble dans la partie comme quatre ai-
guilles, et qui sait la laine / Que le destin nous réserve à tricoter ensemble tous les quatre ? »
Note d’intention
« Vingt ans déjà depuis ma mise en scène de L’Annonce faite à Marie ! Mon seul Claudel. Un moment d’une
telle force que je n’ai pas trouvé moyen de recommencer. Et pourtant, Claudel ne m’a pas quitté. Naguère au
cœur de mon enseignement au Conservatoire, il occupe aujourd’hui une place tout aussi primordiale dans les
ateliers que j’anime à La Tempête : c’est, du reste, fort de cette pratique que je me suis résolu à monter enfin
Partage de midi, la pièce culte où le génie dramatique du poète touche au tragique. Il faut cependant faire exis-
ter la fiction. À cet égard, mon point de vue, dont j’espère seulement qu’il s’est affiné avec le temps, reste le
même : en l’occurrence, sur un fond de drame passionnel – qui d’abord ne va pas sans quelque aspect de co-
médie bourgeoise –, susciter une écoute sensible et rigoureuse du texte dans sa dimension lyrique et poétique.
N’en rabattre ni sur la réalité, ni sur la poésie. Soutenir jusqu’au bout ce paradoxe. »
Philippe Adrien
Partage de Midi doit une grande part de sa beauté, de sa force dramatique au fait qu’il livre un état pur de
la structure claudélienne : au premier acte, la rencontre, révélation soudaine d’identité et d’apparte-
nance, « Mesa, je suis Ysé, c’est moi... » ; don et adhésion aussitôt suivis d’un pacte de séparation : « Non,
Mesa, il ne faut point m’aimer... - Ysé, je ne vous aimerai pas... » Le second acte répète, dans le charnel, ce
face-à-face de saisie ; c’est l’étreinte, mais dans le cimetière ; acte d’union qui annonce la mort ; modulation
que va reprendre le troisième acte, mais en sens contraire et ascendant : un retrait qui s’inverse imprévisi-
blement en retour. à la rencontre en plein midi de l’ouverture répond maintenant le face-à-face nocturne de-
vant la mort, la prise de possession dans l’avenir surnaturel ; ce dernier acte de présence se formule encore
en termes de séparation : « Adieu, je t’ai vue pour la dernière fois », mais il y a progrès au regard des situations
antérieures, la répétition est ascendante, l’absence entrevue n’exclura pas une forme de présence à distance :
Par quelles routes longues, pénibles,
Distants encore que ne cessant de peser
L’un sur l’autre, allons-nous
Mener nos âmes en travail ?
Jean Rousset
Forme et signification, josé Corti 1962.
Partage de midi Paul Claudel / Philippe Adrien