Constitué comme un ensemble de normes, de classifications collectives et de visions du
monde qui engagent tous les membres d’une collectivité, il circonscrit le champ des
représentations collectivement acceptées et « limite l’horizon des possibilités à l’intérieur
duquel les individus peuvent débattre dans leur quête de pouvoir et de reconnaissance »
(Wimmer, 2002: 35, notre traduction). Un compromis culturel historiquement négocié
privilégie alors les individus et les groupes qui ont participé à sa mise en place. Les
groupes qui entrent dans l’arène politique à une étape ultérieure font face à une double
difficulté. Non seulement la logique d’adhésion préétablie ne leur réserve pas d’espace,
mais, pour faire valoir la justesse et la légitimité de leurs revendications, ils doivent aussi
articuler leurs préoccupations en tenant compte des représentations collectives largement
acceptées : « Any way that does not at least connect to the prevailing cultural
compromise is not understood and quickly marginalized in public debates » (Wimmer,
2002: 37).
L’argument de Wimmer nous rappelle que le changement social suit les
« sentiers » préétablis que représentent les cadres cognitifs et/ou les structures
bureaucratiques. Opérant dans les limites de la logique d’un compromis culturel et
institutionnel donné, le changement social ne remplace jamais les entités préétablies avec
quelque chose qui serait vraiment « inouï ». Il transforme plutôt d’une manière graduelle
les visions et les divisions.
Il est vrai que les octrois extérieures, comme la mondialisation ou les normes des
entités supranationales ont un impact sur les traditions nationales et peuvent en changer le
cours supposément « prédéterminé ». A cet égard, Christian Joppke constate une
harmonisation, universalisation et dé-ethnicisation des lois d’immigration et d’acquisition
de la nationalité en Europe (Joppke, 2007). Le même phénomène ne semble pourtant pas
se produire par rapport à l’intégration. Au contraire, les nouveaux-arrivés, supposément
admis selon des critères « universels » de mérite (dans les cas des immigrants) ou de
besoin (dans le cas des réfugiés), doivent, par la suite, s’insérer dans des contextes
nationaux ou locaux tout à fait particuliers du point de vue culturel (Fourot, 2006). C’est
à cause de la « dépendance au sentier » inhérente à chaque société qu’on parle de
glocalisation pour décrire les impacts locaux de la mondialisation (Robertson, 1995).
Il semble donc adéquat de définir les identités sociétales ou nationales comme
étant construites à l’intérieur des relations de pouvoir inter- et intra-nationales. Dans cette
perspective, les tendances à la communalisation ethnique (Vergemeinschaftung) et à
l’association civique (Vergesellschaftung), selon les termes de Max Weber, sont
inhérentes à tous les types de nations (Winter, 2004). Le type de pluralisme normatif
qu’une collectivité met en œuvre dépend de négociations et de rapports de force
complexes entre la majorité nationale et les groupes minoritaires (ces derniers étant
définis en termes de pouvoir plutôt que de démographie). Deux principales formes de
pluralisme normatif peuvent être distinguées : le multi-nationalisme et le
multiculturalisme. Le ‘multi-nationalisme’ implique l’octroi d’une certaine autonomie
aux minorités ethniques ayant été reconnues comme ‘nations minoritaires’. Ces dernières
années, le nombre accru d’immigrants dans presque tous les États occidentaux
industrialisés a conduit à l’émergence du ‘multiculturalisme’ comme forme particulière
de pluralisme normatif visant à l’accommodement des minorités ethniques immigrées et à
leur intégration dans la société majoritaire (Winter, 2007b).
3