Elke Winter
Multi-nationalism and Multiculturalism:
Analytically Different but Related in Discourse?
Paper prepared for
Immigration, Minorities and Multiculturalism in Democracies
October 25 – 27, 2007, Montréal
Abstract
Canadian scholarship produced internationally-accepted differentiations between
minority nations and immigration-induced ethnic minorities. Charles Taylor’s (1993)
concept of Québécois and First Nations’ “deep diversity” (versus other Canadians’ “first
level” membership in the polity) and Will Kymlicka’s (1995) liberal theory of
“multicultural citizenship” are just two of the most common examples. While the
distinction between various types of ethnic/national groups is crucial for these influential
theories, the relations between different types of national and ethnic struggles for rights
and recognition have remained unexplored. This is a fundamental departure from the way
Canadian multiculturalism was debated after its original implementation in the 1970s.
Are multi-nationalism and multiculturalism really entirely separate from each other?
Drawing on the results of a study on Central Canadian English-language newspaper
discourses during the 1990s, this paper examines whether and how images of
French/English dualism impact on legitimizations and delegitimizations of
multiculturalism in the public space. It thereby aims to develop a template of possible
interrelations between “traditional” pluralist structures along ethnocultural lines and
recent representations of immigration-induced diversity.
I will present my paper in English. The most elaborate written version, however, exists
currently in French (see below). Please feel free to contact me at
[email protected] for an English copy.
Les logiques du multiculturalisme dans les sociétés multinationales :
Leçons du cas canadien
Draft only; please do not quote
1 Introduction
Pendant les années 1990, les chercheurs canadiens ont élaboré la distinction – qui
a pu être acceptée au niveau international – entre les nations minoritaires et les minorités
ethniques constituées au travers de l’immigration. En témoignent les deux exemples les
plus connus que constituent le concept de « diversité profonde » appliqué aux Québécois
et aux Premières Nations (opposée à la qualité de membre de « premier niveau » de la
cité, attribuée aux autres Canadiens) élaboré par Charles Taylor (1993) et la théorie
libérale de la « citoyenneté multiculturelle » de Will Kymlicka (1995). Si la distinction
1
entre les divers types de groupes ethniques ou nationaux est essentielle dans ces théories
influentes, les relations entre les divers types de combats nationaux et ethniques pour les
droits et la reconnaissance restent peu explorées. C’est une entorse fondamentale à la
manière dont le multiculturalisme canadien a été abordé après sa mise en œuvre initiale
dans les années 1970. Le vide dans la littérature de spécialité est d’autant plus étonnant
dans le cas du Canada où la diversité à trois niveaux – distinguant entre le nationalisme
minoritaire québécois, l’intégration multiculturelle des immigrés et l’autogouvernement
des peuples aborigènes – est devenue un trait caractéristique de l’identité ‘nationale’
(Kymlicka, 2003). Cependant, cette lacune ne caractérise pas que le cas canadien. En
Europe également, des chercheurs déplorent « la rupture analytique radicale entre les
demandes que formulent les deux types de mouvements pour le pluralisme culturel : les
nations minoritaires d’une part, les groupes ethniques d’autre part » (Máiz & Requejo,
2005: 2).
Il faut convenir que, souvent, les groupes ethniques d’origine immigrée
demandent d’autres types de droits et poursuivent d’autres objectifs politiques que les
nations minoritaires. En outre, généralement, leurs organisations se caractérisent par un
achèvement institutionnel (Breton, 1964) moindre que celles des nations minoritaires.
Mais s’il est important de maintenir les différences conceptuelles entre les diverses
minorités nationales, cet article soutient que l’on doit également en étudier les
corrélations. Après tout, en tant que nouveaux venus dans le domaine social et politique
des sociétés établies, les immigrés sont perçus et classifiés par rapport aux divisions et
catégories sociales existantes. Quelles que soient leurs revendications, ils sont interprétés
en fonction des compromis établis antérieurement. Par conséquent, il est tout à fait
logique que les groupes ethniques s’adaptent aux discours sociétaux et qu’ils cherchent à
emprunter une partie de leur autorité et de leur légitimité aux mouvements qui sont
considérés, en quelque sorte, comme des prédécesseurs. Les formes préalablement
établies de compromis à l’égard des minorités, comme le multi-nationalisme, sont ainsi
susceptibles d’influer sur l’intégration et les revendications des immigrés.
S’inspirant du cas canadien, cet article vise à revitaliser le débat sur les relations
entre le multi-nationalisme et le multiculturalisme dans une société. Il est divisé en trois
parties. La première partie propose un bref panorama du cadre théorique et
méthodologique dans lequel a été conduite l’analyse empirique de discours choisis dans
les médias canadiens des années 1990. Par la suite, nous aborderons les schémas
argumentatifs utilisés pour légitimer et délégitimer le multiculturalisme immigré á l’aide
des références au nationalisme minoritaire québécois dans la presse canadienne. Enfin,
nous proposerons quatre scénarios sur la manière dont le multi-nationalisme
historiquement établi peut influer sur la mise en œuvre des politiques multiculturelles en
réponse à une diversité récente, induite par l’immigration.
2 Paramètres théoriques et méthodologiques de l’étude
Une identité nationale, qu’elle soit pluraliste ou non, représente un « compromis
culturel » historiquement acquis entre des groupes préexistants. Andreas Wimmer nous
met en garde contre l’effet de pouvoir particulier qu’entraîne ce compromis culturel.
2
Constitué comme un ensemble de normes, de classifications collectives et de visions du
monde qui engagent tous les membres d’une collectivité, il circonscrit le champ des
représentations collectivement acceptées et « limite l’horizon des possibilités à l’intérieur
duquel les individus peuvent débattre dans leur quête de pouvoir et de reconnaissance »
(Wimmer, 2002: 35, notre traduction). Un compromis culturel historiquement négocié
privilégie alors les individus et les groupes qui ont participé à sa mise en place. Les
groupes qui entrent dans l’arène politique à une étape ultérieure font face à une double
difficulté. Non seulement la logique d’adhésion préétablie ne leur réserve pas d’espace,
mais, pour faire valoir la justesse et la légitimité de leurs revendications, ils doivent aussi
articuler leurs préoccupations en tenant compte des représentations collectives largement
acceptées : « Any way that does not at least connect to the prevailing cultural
compromise is not understood and quickly marginalized in public debates » (Wimmer,
2002: 37).
L’argument de Wimmer nous rappelle que le changement social suit les
« sentiers » préétablis que représentent les cadres cognitifs et/ou les structures
bureaucratiques. Opérant dans les limites de la logique d’un compromis culturel et
institutionnel donné, le changement social ne remplace jamais les entités préétablies avec
quelque chose qui serait vraiment « inouï ». Il transforme plutôt d’une manière graduelle
les visions et les divisions.
Il est vrai que les octrois extérieures, comme la mondialisation ou les normes des
entités supranationales ont un impact sur les traditions nationales et peuvent en changer le
cours supposément « prédéterminé ». A cet égard, Christian Joppke constate une
harmonisation, universalisation et dé-ethnicisation des lois d’immigration et d’acquisition
de la nationalité en Europe (Joppke, 2007). Le même phénomène ne semble pourtant pas
se produire par rapport à l’intégration. Au contraire, les nouveaux-arrivés, supposément
admis selon des critères « universels » de mérite (dans les cas des immigrants) ou de
besoin (dans le cas des réfugiés), doivent, par la suite, s’insérer dans des contextes
nationaux ou locaux tout à fait particuliers du point de vue culturel (Fourot, 2006). C’est
à cause de la « dépendance au sentier » inhérente à chaque société qu’on parle de
glocalisation pour décrire les impacts locaux de la mondialisation (Robertson, 1995).
Il semble donc adéquat de définir les identités sociétales ou nationales comme
étant construites à l’intérieur des relations de pouvoir inter- et intra-nationales. Dans cette
perspective, les tendances à la communalisation ethnique (Vergemeinschaftung) et à
l’association civique (Vergesellschaftung), selon les termes de Max Weber, sont
inhérentes à tous les types de nations (Winter, 2004). Le type de pluralisme normatif
qu’une collectivité met en œuvre dépend de négociations et de rapports de force
complexes entre la majorité nationale et les groupes minoritaires (ces derniers étant
définis en termes de pouvoir plutôt que de démographie). Deux principales formes de
pluralisme normatif peuvent être distinguées : le multi-nationalisme et le
multiculturalisme. Le ‘multi-nationalisme’ implique l’octroi d’une certaine autonomie
aux minorités ethniques ayant été reconnues comme ‘nations minoritaires’. Ces dernières
années, le nombre accru d’immigrants dans presque tous les États occidentaux
industrialisés a conduit à l’émergence du ‘multiculturalisme’ comme forme particulière
de pluralisme normatif visant à l’accommodement des minorités ethniques immigrées et à
leur intégration dans la société majoritaire (Winter, 2007b).
3
Définir le multi-nationalisme et le multiculturalisme d’une façon sociologique,
c’est-à-dire comme relations de pouvoir et non pas comme principes normatifs
catégoriquement distincts, nous amène à croire que ces différents types de pluralisme
s’influencent mutuellement dans leurs constitutions sociales. Ceci se produit pour trois
raisons.
Tout d’abord, un compromis culturel multinational impose une structure
idéologique et discursive qui peut ou pas faciliter une revendication multiculturelle. Le
multiculturalisme est facilité lorsqu’on reconnaît une similarité entre les types de
différenciation ethnique/nationale qui ont déjà acquis une légitimité et les nouvelles
formes de groupes et d’identités minoritaires. Les Pays-Bas peuvent servir d’exemple :
on a souvent affirmé que l’organisation initiale reposant sur divers piliers de la société
néerlandaise a facilité l’élargissement de ce système aux minorités ethniques. Il s’est agi
de représenter le multiculturalisme comme une extension des droits de la citoyenneté
« typiquement pluraliste » de la nation (Penninx & Schrover, 2002). Cependant, le multi-
nationalisme préétabli peut aussi être indifférent ou préjudiciable à la mise en œuvre du
multiculturalisme. En témoigne l’exemple de la Suisse où les droits et la reconnaissance
accordés aux quatre groupes linguistiques historiques n’ont pas été étendus aux minorités
ethniques plus récents (Pfaff-Czarnecka, 2004).
Le multi-nationalisme et le multiculturalisme s’influencent également dans leurs
constitutions sociales parce qu’aucun compromis culturel établi dans une société ne reste
stable à titre indéterminé. Ainsi les droits à la reconnaissance obtenus ou délaissés par un
groupe affectent l’équilibre de pouvoir ainsi que l’horizon des possibilités normativement
acceptées dans la société. Le cas néerlandais peut encore servir d’exemple : la laïcisation
et la « dé-piliarisation » récentes des groupes majoritaires chrétiens ne restent pas sans
effet : peu à peu les allochtones (minorités ethniques issues d’immigration), et surtout les
musulmans, se trouvent les seuls à demander des droits multiculturels (Vasta, 2007).
Cela nous amène à la troisième raison pourquoi les différentes formes de
pluralisme en société s’impactent : le degré d’unité et d’accord entre les groupes
préétablis est souvent surestimé. Ainsi, dans The Established and the Outsiders, Norbert
Elias et John Scotson notent qu’« un groupe établi tend à attribuer au groupe extérieur
qu’il envisage comme un tout les ‘mauvaises’ caractéristiques du segment ‘le pire’ de ce
groupe – de sa minorité anomique » (Elias & Scotson, 1994: xix, nous traduisons). En
d’autres mots : la collectivité qu’accueille n’est ni homogène ni sans querelles internes.
Deux scénarios possibles viennent à l’esprit. D’une part, le conflit entre les groupes
préétablis peut entraîner des conséquences négatives pour les immigrants nouvellement
arrivés. C’est ce qu’on a souvent observé concernant les Etats-Unis : « once immigrants
arrived in the country, whatever their national origin or race, they were ideologically
positioned within the hegemonic bipolar white-black model of American society » (Ong,
1996: 271). D’autre part, en cas de conflit intérieur et des compromis instables, les
frontières entre « nous » et « eux » deviennent plus poreuses. Ainsi, un multi-
nationalisme conflictuel peut permettre aux nouveaux venus de mieux négocier leur
inclusion. La thèse de Pierre Anctil d’une « double majorité » montréalaise peut servir
d’exemple. Anctil observe qu’« en attirant à elle toute l’attention, la confrontation
politique et juridique entre francophones et anglophones de souche avait dégagé au
4
Québec un espace socio-culturel bien délimité, que les [immigrants] allophones avaient
pu occuper seuls (Anctil, 1984: 450).
En somme, les identités nationales – des compromis culturels préétablis – sont un
point de départ nécessaire pour comprendre les transformations pluralistes de la société.
Pourtant, les compromis entre les groupes établis peuvent reposer sur l’accord ou le
conflit relatifs. Aucune des deux situations ne semble prédéterminer les relations entre le
multi-nationalisme et le multiculturalisme. Pour mieux comprendre ce rapport, il convient
de nous pencher sur un cas spécifique.
Le cas du Canada est intrigant à cet égard. Bien qu’il constitue une politique
officielle depuis 1971, dans les discours publics le multiculturalisme restait à la fin des
années 1980 soit absent soit négativement connoté. Cependant, vers la fin du siècle, il
s’imposa comme forme d’imaginaire social dans les discours dominants (Karim, 2002).
Ce développement s’est produit en dépit de l’effritement du soutien institutionnel en
faveur du multiculturalisme et de la confrontation entre les deux ‘nations fondatrices’
linguistiquement définies ayant conduit le pays à deux doigts de la scission en 1995. Il y
avait-il une relation entre le nationalisme québécois et l’acceptation croissante du
multiculturalisme au Canada anglais?1
Notre argumentation s’appuie sur deux types de matériaux. D’une part, nous
avons fait une revue de la littérature extensive (Winter, 2007a). D’autre part, nous avons
effectué une analyse qualitative des discours de presse. 350 articles des journaux Globe
and Mail et Toronto Star publiés à Toronto entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre
2001 ont été sélectionnés au travers d’une recherche par mots-clés (tels que Québec,
Canada, multiculturalisme, diversité) dans les répertoires électroniques. Tous les articles
ont été examinés, codés et catalogués. Par la suite, 123 d’articles op-ed ont été choisis
pour une étude en profondeur à travers l’analyse critique de discours telle qu’elle est
élaborée par des chercheurs comme Fairclough (1992) et Wodak (1998). Cette démarche
nous a permis d’analyser un corpus déterminé et d’y identifier toutes les relations
explicites et implicites liant le multiculturalisme canadien au nationalisme minoritaire du
Québec. Nous nous sommes penchée sur Toronto, la ville supposément la plus
multiculturelle du Canada et sur des journaux qu’on qualifierait de majoritaire, urbain,
central-canadien, et politiquement au centre et au centre-gauche.
Notre analyse qualitative ne saurait rendre justice à la complexité de la situation :
ni à celle du sujet, qui se joue tant sur le plan idéologico-discursif que sur le plan
organisationnel et structurel, ni à celle des représentations, qui sont multiples au Canada,
un pays qui englobe des contextes culturels, socio-économiques, géographiques et
politiques extrêmement divers. En d’autres mots, nous ne prétendons pas produire des
résultats représentatifs. Au contraire, en nous penchant sur un cas particulier - les
représentations des relations entre bi-nationalisme et multiculturalisme dans un segment
de la presse anglophone majoritaire au Canada -, nous nous proposons de mettre en
lumière un rapport important oublié par la communauté scientifique et d’avancer
quelques éléments théoriques pour améliorer sa compréhension.
1 Le Québec poursuit sa propre politique d’intégration pluraliste des immigrants (Juteau et al.,
1998).
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